Difficile de quitter l'eau chaude? (Pv Marius et Eléanor)

Marius suivait la jeune femme bien docilement, préférant ne pas faire de nouvelle vague pour la soirée. Ce n’était pas souhaitable. Pas du tout… Eleanor restait très silencieuse malgré ses excuses, le rendant un brin nerveux. Etait-elle d’humeur miséricordieuse ce soir, ou s’était elle définitivement braquée ?

‘Passons.’

La prêtresse le gratifia enfin de sa voix et semblait prête à pardonner… C’était tout du moins ce qu’elle laissait supposer. Tant mieux. Marius n’aurait pas à se plier en quatre ou à l’implorer plus pathétiquement. Lui adresser ses excuses avait été relativement compliqué, mieux fallait qu’il n’ait pas à insister ou à en rajouter.
La tension reste palpable et le guerrier n’ose pas prendre l’initiative et rompre le silence qui les entoure. Eleanor est redevenue souriante, mais est-ce une façade ou a-t-elle vraiment balayé ces dernières minutes d’un battement de cil ?
Il doit trouver quelque chose, crever l’abcès et l’inconfort de la situation pour ne pas se sentir trop oppressé… Il l’observe un instant et lui dit, un demi sourire au coin des lèvres :

“ Vous êtes pas obligée de vous forcer à garder la face comme ça. J’me doute bien que ça vous enchante pas particulièrement de d’voir vous occuper d’un vieux gars pas bien obéissant.” Il fait craquer sa nuque en inclinant sa tête à droite puis à gauche et pince ses lèvres un instant.

“ Vous avez fait plus que votre boulot c’soir, moi j’me suis mal conduit ; j’vous suis redevable en quelque sorte. Envers vous, le temple, et les dieux.” Il marque une pause et s’assied lourdement, grimaçant en resserrant sa main contre ses côtes avant de reporter son attention sur la jeune femme.


“J’suis pas bon dans beaucoup de choses Mère, mais j’peux vous être utile si vous avez besoin de protection, d’escorte, ou d’main d’oeuvre... J’ai pas un passé bien glorieux vous savez, j’étais mercenaire avant… avant tout ça.
J’étais pas vraiment un brave type ça nan. M’est même arrivé d’accepter des ‘missions’ pour des têtes mise à prix parce que c’était bien payé. J’prenais des contrats et j’obéissais comme un chien-chien pour quelques sous. D’l’argent sale.” il esquisse un rictus amer.

“Pas bien reluisante comme vie, ça nan. Mais j’ai appris à me battre comme ça, et c’est ce que je fais de mieux.” explique-t-il d’une voix presque absente avant de se racler la gorge et de reprendre avec plus d’entrain.

“Vous faisiez quoi vous lorsque tout s’est écroulé ? Vous avez l’air plutôt jeune, vous étiez déjà prêtresse ou… vous aspiriez à autre chose ? Y’a des tas de choses, de rêves qui se sont effondrés en même temps qu’ces bêtes sont arrivées.

Vous avez peut-être pas envie de discuter ?” demanda-t-il dans un haussement de sourcil,.

Après un bon moment, pendant lequel elle avait observé du coin de l'oeil le milicien et avait vu qu'il avait l'air plus que gêné, celui-ci brisa enfin le silence. Et il etait bavard. Bien plus qu'elle ne l'avait escompté. Elle allait devoir faire avec et fit contre mauvaise fortune bon coeur, surtout lorsqu'il s'assit en grimaçant.

- "Vous ne m'êtes pas redevable, mon fils. Tout le monde fait des erreurs et malheureusement de nos jours elles sont de moins en moins pardonnables... Elles peuvent vous couter la vie."

La jeune femme resta debout face au milicien, les mains jointes et souriante. Elle avait vraiment oublié sa colère d'antan et, de toutes façons, celle ci ne servait à rien. Elle n'oubliait pas que l'homme avait ammené une arme en plein coeur du Temple mais, bizarrement, elle croyait à sa sincérité. On ne pouvait pas dire qu'elle avait confiance en lui, surtout avec ce qu'il venait de lui reveler - aussi restait-elle a un bon mètre et demi de l'homme - mais elle croyait plutôt au fait qu'il n'avait pas fait exprès. Il avait réellement l'air extenué, ou en tous cas il le jouait très bien.

En revanche, elle fut surprise par les questions de Marius. Il s'interessait à elle, ce qui était rare même au sein du Temple. La prêtresse vivait plutôt dans l'ombre depuis qu'elle était entrée au service de la Trinité et s'y plaisait beaucoup, aussi était-elle assez gênée de répondre.

- "Eh bien... je venais d'être nommée prêtresse, cela ne fait que deux ans que j'exerce vraiment à vrai dire. Mais je suis la formation depuis mes dix ans. J'aurai aimé continuer à apprendre, parfois j'envie mes ainés pour cela car eux ont eu le temps... Mais il a fallu aider, s'entraider et soutenir tous ceux qui perdaient petit à petit la foi. Maintenant c'est ce à quoi j'aspire le plus, aider les autres, les soutenir jusqu'à la fin."

Quelques larmes perlèrent à ses yeux. Elle savait que la plupart de ceux qu'elle avait aidés ou voulu aider n'étaient plus désormais. Mais c'était comme ça, il fallait tenir. Alors la prêtresse tenait tant bien que mal, même lorsque son grand frère était mort elle avait tenu. Elle ne pouvait pas vraiment blâmer le milicien pour avoir été étourdi quelques instants. Lui aussi avait du tenir. Elle se doutait même que Soeur Johanna n'avait pas du y aller de main morte avec lui.

- "Malrgé tout, vous m'êtes sympathique. Si vous voulez discuter encore un peu, celà ne me pose pas de problème. Vous avez encore la force de marcher jusqu'aux quartiers privés ou vous préférez vous reposer encore un peu?"

Il commençait à se faire tard et la jeune femme devait encore s'occuper de le soigner et de le nourrir pour la nuit... Et surtout de lui trouver une place. Il y avait encore un peu de monde au Temple et il allait être difficile de lui trouver une couche disponible. Peut être allait-elle devoir le faire dormir par terre ce soir là, les lits confortables étaient pour ceux qui vivaient leurs derniers instants...

- "Vous avez besoin d'aide pour vous relever?"

Marius avait enfin laissé la tension retomber ; tant mieux. Il écoutait la jeune femme d’une oreille attentive, tentant d’être un minimum compatissant face à ce qu’elle avait dû subir et vivre depuis la Fange.
De ce qu’elle disait, elle était destinée à la prêtrise depuis très jeune… Avait-elle perdu ses parents tôt ? Avait-elle été abandonné au temple ? Ce passé laisse un point d’interrogation mais il ne se fera pas plus intrusif dans ses questions. Elle redevenait confiante, arborait de nouveau son sourire et semblait plus apte à discuter que ces dernières minutes ; autant ne rien gâcher.

“Ouai…” maugréa-t-il dans un froncement de sourcil avant de plisser son front.

“Personne était préparé à ce qui allait se passer… Vous avez dû apprendre sur le tas, c’est pas ce qui est le plus rassurant mais c’est ce qui est le plus formateur croyez moi. Ça fait de vous quelqu’un de fort, une survivante et une débrouillarde… Vous avez su vous adapter, vous avez su faire face… Et vous avez certainement inspiré et redonné de la force à pas mal de monde.
Au moins à une personne, en tout cas.” fit-il dans un léger sourire.

“On peut pas en vouloir aux gens d’avoir perdu la foi quand on voit les enchaînements d’événements qu’on s’est mangés. C’est comme si on avait pas le droit à du répit ou de souffler un peu. Nan, y’a toujours quelque chose qui éclate, y’a toujours quelque chose qui dérappe au bout d’un moment… On pourrait se demander ce qu’on a fait aux dieux pour mériter ça, trouver un coupable ça a quelque chose de rassurant, c'est humain.

Mais moi j’leur en tiens pas rigueur.

Toutes ces calamités, toutes ces épreuves… On a perdu des gens oui, y’a eu beaucoup de morts et on peut pas tirer un trait d’ssus, c’est sûre, y’a eu beaucoup de banis aussi, mais ce qu’il faut voir derrière tout ça, derrière ce fléau, c’est cette espèce de chose qui nous lie tous les uns aux autres maintenant. Même si c’est compliqué, même si c’est épuisant, je reste persuadé que l’arrivée de la fange a au moins permis de faire ressortir ce qu’il pouvait y avoir de meilleur en nous.” Il marque une pause semblant pensif et finit par reporter son attention sur elle.

“Vous croyez pas ?” ajoute-t-il en se relevant lourdement dans une grimace.

“Marbrume est une énorme fourmilière. Ceux qui n’parvenaient pas à se trouver une place avant en ont enfin trouvé une. Tout le monde à son importance, tout le monde compte, chaque effort est vital. On prend tous sur nous, on se contrôle, on s’entraide et tout ça pour ‘le bien commun’. Moi j’suis pas certain qu’on aurait pu atteindre une telle cohésion si l’humanité avait pas manqué de s’effondrer complètement.

J’peux marcher, ça devrait aller.” Il plaqua de nouveau sa main contre son flan, pas question de faire tomber son masque maintenant.

Oh.. Marius s’était aventuré sur un terrain glissant en commençant à prendre position sur la Fange et en se montrant 'positif' sur le sujet. Il avait tenté de montrer le plus d’espoir possible pour voir si Eleanor se joignait à sa façon de penser et le résultat fut… Stupéfiant. La prêtresse regrettait les morts et les pertes, quoi de plus normal ? Mais à mesure que son discours avançait, ses propos furent de plus en plus… ‘familiers’ à ses oreilles.
Elle critiquait le système en place, les bannissements et n’était pas persuadée pour un sous du semblant de cohésion dont il venait de lui parler. Et voilà qu’elle parlait de punition divine ? De l’arrivée des Fangeux comme d’un châtiment mérité ?
Le garde ralentit malgré lui, l’observant d’un oeil particulièrement curieux et intrigué. Ça, c’était un discours digne de l’un des siens… Le blond jubile, il brûle d’impatience et de questions à poser à la jeune femme… Et si elle était une purificatrice elle aussi ?! Si elle était l’une de ses soeurs ?! Marius ne la quitte pas des yeux et reste béat quelques secondes.

Aux réunions, la discrétion était de mise… les masques empêchaient de voir le visage des confrères pour ne pas risquer de faire tout s’écrouler et de balancer des noms en se faisant attraper. Mais l’avait-elle reconnu malgré tout ? Sa voix peut-être ?

La frustration est terrible, son coeur s’accélère et sa température monte face à l’envie ardente de pouvoir discuter librement avec cette femme qui le comprendrait sans doute parfaitement. Ils partageaient une vision, une philosophie commune, une même foi… quelle torture que de se forcer au silence.
Marius ne devait pas enfreindre les règles, il ne devait faire tomber son masque sous aucune prétexte, aucun… Et surtout pas à cause d’un doute sur l’identité d’une prêtresse qu’il avait rencontré plus tôt dans la journée. Mais c’était si... tentant !
Le garde se reprend, humecte ses lèvres et ferme les yeux un instant pour tenter de trouver les mots justes.

“ C’est…. très pessimiste c’que vous dites.” se permit-il d’un ton grave. “.. Mais je crois que ça nous a tous traversé l’esprit lorsque ‘tout ça’ s’est abattu sur nous.

C’est arrivé si soudainement… Avec tant de force et de virulence, une vague si énorme de bêtes inconnues affamées et résistantes comme on en avait jamais vu… “ il fronce les sourcils et marque une pause.

“ Accuser les Dieux d’une telle horreur est grave. Mais c’est une pensée que je partage avec vous, Eleanor.” Il lui prit les mains et les serra dans les siennes.

“Une punition cruelle, à la hauteur des péchés que nous avons commis, pour briser l'ego que nous avions.
Une épreuve parce que nous ne nous sommes jamais préparés à ce que tout disparaisse si vite autour de nous. Le deuil est une chose compliquée… Le deuil de cette vie que nous menions, et de toutes ces pertes que nous avons subit.”

Marius détourne son regard, les épaules alourdies par les souvenirs et les regrets.

“Une bénédiction. Parce que les Dieux nous ont offert une chance de nous racheter et de changer notre façon de vivre et de percevoir le monde. Regardez autour de vous Eleanor, nous avons survécu là où d’autres n’ont pas eu cette chance ! C’est à nous de rebâtir, de reconstruire selon le plan des Trois et de leurs desseins. Nous sommes leurs ouvriers, leurs mains pour créer une cité plus saine et en accord avec eux. Ils ont semé leurs graines, à nous de les faire germer pour en faire quelque chose de beau.”

Il lui sourit doucement, cachant une bien grande angoisse derrière ce visage serein et compatissant qu’il affichait. Il venait de parler… beaucoup. Peut-être trop ? Et s’il s’était grillé ? Il ne se défait pas de son expression mais lui lâchera les mains avant de prendre une grande inspiration.

“ Notre façon de penser est dangereuse à exprimer. Vous m’avez fait confiance en me parlant si sincèrement, et je vous fait aussi confiance, Eleanor.”