Marbrume


-26%
Le deal à ne pas rater :
Bosch BBS8214 Aspirateur Balai Multifonction sans fil Unlimited ...
249.99 € 339.99 €
Voir le deal

Partagez

 

 [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Aller à la page : 1, 2  Suivant
Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyMar 16 Juin 2020 - 22:13


1er octobre 1166
Quelques pars dans les marais
Il pleut

J’ai toujours adoré la pluie, du plus loin que je m’en souvienne j’aimais sentir l’eau froide inonder mon visage, se perdre dans ma chevelure. Oui, j’aimais voir les éclairs illuminer le ciel sombre, j’aimais sursauter à chaque fois que le tonnerre venait retentir si proche et loin à la fois. Aujourd’hui tout me semble différent alors que la cordelette permettant de diriger le convoi me brûle les mains, que l’humidité s’imprègne du tissu de mon vêtement, que mes cheveux viennent se coller à mon visage avec une telle force que j’ai l’impression d’en manger parfois. Les bruits des sabots s’immergeant dans la boue, des roues sautillants à chaque rencontre de pierre ou de trou et cette voix qui s’élève afin de nous ordonner à nous, d’avancer, de continuer. Le village n’est plus très loin, paraît-il. Quel village au juste ? Je donne des rênes maintenant parfaitement l’ensemble, je fouette les côtés, claque de la langue, comme dans un vague souvenir ou le bonheur m’enveloppait encore parfois. Plus vite, je sais qu’il faut aller plus vite, je sens qu’il faut aller plus vite. Les hommes autour de nous sont à cheval, ce qui est suffisamment rare pour être notifié, les autres s’accrochent sur les rebords du convoi pour ne pas tomber. J’ignore comment je me suis retrouvée à conduire ainsi l’attelage, ou pas. C’est vrai, je suis une femme et une femme ne sait pas se battre, autant que je sois utile il paraît. Mes lèvres se pincent, mes dents viennent rencontrer l’intérieur de ma bouche dans cette violence inégale.

Autour de nous le vent rentre dans la danse, fait trembler les arbres, les feuilles, toute la forêt chante et pourtant elle me semble si silencieuse, si calme, si pesant. Je n’ai pas le temps de définir grand-chose du paysage, je n’en ai rien à faire d’ailleurs. Mon ventre se retourne en tous sens alors que tous on tremble de peur, on se fait dessus à l’idée même de rencontrer la fange. Celui en charge du convoi me hurle d’aller plus vite, bien évidemment, comme si je le pouvais, je grogne, je peste, j’enrage. Fils de catin. Je retiens ceux qui m’ont dit qu’il s’agissait d’un petit convoi, qu’il serait simple de le détourner, si simple qu’on est perdu en plein milieu des marais, qu’il pleut, qu’il gronde. Un éclair vient traverser le ciel s’abattant non loin de non, les montures s’emportent et se décale, l’inévitable se met en place. Les culs de l’ensemble des occupants se soulèvent sous le choc, on est sorti du sentier et j’évite de justesse les arbres. Les chevaux sont intenables, terrifiés, tétanisés. Ça se cabre, j’ai beau hurler, tout autour de moi continue de hurler, on s’est arrêté, chacun tente de rassurer les chevaux. Beaucoup sont descendus, pas moi.

J’avise celui qui est installé côté de moi, celui qui devait diriger en ma compagnie, je ne lui ai pas dit le moindre mot et sans trop comprendre pourquoi, lorsqu’il se relève, sans doute pour descendre aider alors que les montures semblent enfin s’apaiser, je ferme violemment mes doigts sur ses bras pour le faire se rasseoir.


- « Si j’étais toi, je ne ferais pas ça. »

C’est tout, je fais preuve de cette violence manuelle pour l’obliger à rester là, le cul posé sur le morceau de bois trempé. Je lisse la pluie venir nous inonder sans même chercher à nous protéger. Chacun fait le point sur sa vie, sur l’état du convoi, il fait calme, trop calme, je le sais. Mes doigts viennent s’enrouler sur les rennes, je sais quelque chose dans ma poitrine qui bat de cette manière inégale. Cette crainte je la connais par cœur, lorsque l’on vit dehors on sait très bien de quoi il s’agit. Chacun reprend place, on remonte et une voix masculine, celle du dirigeant vient me cracher dessus en m’incitant à faire plus attention.

- « Fichtre dieux, on s’tape une femme et v’la pas qu’en plus de pas savoir se battre, elle ne sait pas non plus diriger deux canassons, hormis sucer des queues, t’sais faire quelque chose ma mignonne ? »

- « Navrée Chéri, ta mère n’a même pas eu le temps de m’apprendre ça »

Comme unique réponse, je me prends un cracha qui dégouline du milieu de mon front pour descendre sur l’arrête de mon nez. La pluie battante vient essuyer le reste. J’me suis crispée alors qu’une main c’est glissé sous ma cape, instinctivement j’ai relativisé, mais je doute que mon geste brusque ne soit passé inaperçu pour celui qui m’accompagne. Derrière ça beugle qu’il faut se remettre en route, je grogne, j’enrage, devant autant de raffuts, les Hommes n’apprendront-il jamais ? Quelques appels de langue et on redémarre, certains viennent pousser derrière le convoi pour obliger l’ensemble à revenir sur le chemin. C’est là que je le sens, se frisson, je le sens avant de voir la crispation des montures, mon regard se met à vibrer légèrement, trembler légèrement. Ils sont là. Les lèvres pincées je ne peux que murmurer un accroche toi, alors que sans même attendre que tous soient montés, sans même attendre que la charrette soit bien remise. Le claquement du fouet, le claquement brutal des rênes qui s’agitent viennent briser ce silence précaire, alors que tout part si vite que je manque moi-même de chuter. Derrière nous, les cavaliers partent au galop, hurlant au vol avant que les hurlements et les insultes ne se transforment en hurlement d’agonie. Ceux qui sont dans l’ensemble gémissement déjà, nous supplient d’aller plus vite, alors qu’ils évoquent ce qu’on sait déjà : la fange est là.

- « Tu sais conduire ? » demandais-je le souffle court sans lui laisser le temps de répondre en lui glissant entre les mains l’ensemble « J’compte sur toi, j’crois qu’on va avoir besoin de quelques distractions si on veut survivre » je lui fais un clin d’œil, furtif.

On est trop lourd, c’est ça que je sais, trop lent, ça aussi j’en ai conscient et déjà au loin c’est le calme plat, signe que les abandonnés sont mort ou peut-être même déjà des créatures, des atrocités, des ignoblités. Devant moi ceux qui sont en équilibre me regard comme des nourrissons apeurés, le premier comprend dégaine, je n’ai pas besoin de faire grand-chose, son propre mouvement provoque son déséquilibre et sa chute. Un de moins. Le second me supplie là, avant de se jeter sur moi, je m’écroule sur le dos sur le minuscule espace entre l’intérieur du convoi contenant les marchandises et le vide, j’ai dégainé en même temps lui aussi. Je sens sa lame s’enfoncer dans mon ventre et la mienne faire de même, il gémit, moi pas, j’ai trop l’habitude. Je repousse le corps sans vie qui sursaute déjà au-dessus de moi il s’écroule. Plus qu’un, mais un utile. Il a un arc, m’explique qu’il ne tirera pas, il est allongé au-dessus du convoi et semble viser les créatures qui nous fonce dessus. Je me relève dans une grimace, me maintenant difficilement, je suis couverte de sang, sang qui s’écoule avec la pluie. Une main au niveau de mon ventre, je ne dis rien, je me contente de cracher le goût cuivré que j’ai en bouche. Dans commun accord, dans un simple regard sans doute provoque-t-on cette paix temporaire, chacun comprenant que l’autre est inutile, je reviens m’installer, essuyant mon visage d’un revers d’une main pour retenir les traces rougeâtres qui s’y trouvent.

- « Un vrai chef » fis-je glissant une main discrète au niveau du trou du tissu, laissant mes doigts s’enfoncer légèrement pour mesure la profondeur « Faut aller plus vite, sinon on est mort donne. »

Je lui prends les rênes ou il me les donne, sauf que problème, si la fange est derrière, elle arrive devant aussi. Les montures s’emballent et de nouveau ce qui semblait être une évidence depuis le départ vient se jouer sous mes yeux. Une pierre qui n’avait rien à faire provoque la chute du convoi, chacun est projeté, le bois s’écrase contre un arbre, j’entends gémir, j’entends hurler, j’entends les sabots déjà arriver, tiens, le reste ne serait pas mort. Par chance ou malchance, je me suis retrouvée plus loin, a terre, la tête tourne, ma vision est trouble et je ne suis plus certaine de ressentir la totalité de mon être. Je dois bouger, mais rien ne se passe. Le bruit des lames, les hurlements m’indiquent qu’autour de moi le combat fait rage et lorsque je relève la tête : je le vois. L’ordure qui m’a craché au visage. La mauvaise herbe à la peau dure. Instinctivement je roule, ce qui me fait éviter la lame de justesse, je viens finalement le faire tomber en enroulant mes pieds autour de lui, il tombe et au-dessus de nous se jette un monstre. J’hurle je me débats lui aussi, mais il me protège, finalement la bête est sur lui et moi dans la panique je cours. Je cours sans savoir où aller, j’ai mal partout, je sens un filet de sang s’échapper de mon front, j’ai le goût âpre dans la bouche, je ne vois plus rien, je me jette sous le convoi, glisse mes mains sur mes oreilles. Ici je ne suis pas protégée je le sais, pourtant je suis tétanisée. Habituée ou pas ça change rien face à la fange, on est rien absolument rien juste un bout de viande. A ma grande surprise, je vois des pas courir, puis un hurlement de nouveau, l’homme qui était notre archer à terre et bien huit fangeux lui foncent dessus.

Je respire fort, trop fort, beaucoup trop fort, même un sourd pourrait m’entendre, alors la fange… Je laisse les morts se faire bouffer, les survivants continués de hurler, une main sur mon ventre je reprends ma course, je sors et je cours. Dans ma précipitation, je trébuche, ou je rentre dans celui qui était à côté de moi, fuyait-il, était-il en train de se battre, contre un humain, un fangeux, autre chose ? Je l’ignore, mais je ne sais pas pourquoi, au lieu de l’abandonner, ma main libre s’agrippe à son épaule, je le relève ou il me relève et je cours, sans jamais lâcher sa main qui s’est glissée ou que j’ai glissée dans la sienne.

Le désastre est derrière ou peut-être devant, je l’ignore. Je cours, je cours à en perdre tout sens de logique, je ne sais pas où je vais, lui non plus sans doute, j’arrive à peine à écarter les branchages, éviter les chutes. Chute il y a de nouveau, de sa faute, de ma faute, je l’ignore, mais je retrouve face contre terre dans un grognement de douleur invivable. J’ai mal, atrocement. Ce n’est qu’allongé là, à côté de lui, sur lui, j’en sais rien. Que je réalise, je sais où nous sommes, JE SAIS. La marque sur l’arbre plus loin était une véritable révélation, c’est un signe chez les bannis. Derrière nous, c’est de nouveau le silence, les bêtes vont se remettre en chasse, si elles n’y sont pas encore.

- « Pas pars là » grommelais-je en crachant un filet de sang « Là… Là, regarde la marque » je ne sais plus trop où je suis soudainement, j’ai la tête qui tourne, c’est un banni lui aussi ? « Roger » pestais-je en sa direction « Bordel, mais tu m’écoutes ! »

Je le dévisage Roger, je ne comprends pas, habituellement, il n’en fait pas qu’à sa tête, il me parle, il m’écoute.

- « Tu as pris un coup sur la tête ou quoi ?! » puis entendant les gargouillis significatifs je viens lui prendre la main « L’abri est par là, viens ! »

Je ne lui laisse pas le temps de réagir moi non plus, on arrive rapidement à cette cabane, je glisse et je m’écroule sur le sol. Ma tête me lance, j’ai atrocement mal partout. Je grogne encore, je n’arrive même pas à définir l’état de Roger, quoi qu’il en soit je m’accroche je me relève avec ou sans son aide. Avant de m’exclamer soit parce qu’il tente d’ouvrir la porte qui est condamnée soit parce que je ne sais plus trop ce que je fais.

- « Bordel, qu’est-ce que tu fou, tu es con ou quoi ? Faut passer par derrière la pierre et ramper… Roger... Sérieux, concentre toi, tu fais chier ! »

Je l’entraîne, ou il me suit, peu importe, tout est flou, je laisse faire soit parce que je lui ai montré soit parce qu’il se souvient globalement, je rampe dans le trou me relève pour me retrouver à l’intérieur de la maison. Tout est obscur ici, absolument, mais y a ce qu’il faut pour faire du feu et manger. Un repère en cas de danger. En me redressant, je sens un nouveau tournis et juste là j’ai juste le temps de lui dire :

- « Pense à remettre la pierre »

Et là c’est le trou noir, complet. J’ai senti mes doigts effleurer le trou au niveau de mon ventre réalisant à l’instant que ce connard m’avait plantée avec une flèche et que la flèche était encore coincée à l’intérieur, j’ai entendu le tonnerre tomber pas très loin, puis plus rien. La dernière chose que j’ai perçue c’est le sol contre ma tête et ma voix murmurant un « Roger je me sens pas très bien »



Dernière édition par Isaure Hildegarde le Jeu 24 Sep 2020 - 10:05, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyMer 17 Juin 2020 - 9:05
[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] N7k5

Je détestais aussi bien le mauvais temps que la pluie.

Même par le passé, alors que j'étais perpétuellement au chaud et protégé des intempéries, derrière les murs de ma demeure, je ne l'appréciais aucunement. Je lui trouvais quelque chose de sombre et de mélancolique. Je ne comprenais pas comment certains pouvaient dire qu'il y avait quelque chose de contemplatif à la regarder tomber. En cette époque, la pluie ne m'était en aucun cas exécrable parce qu'elle alourdissait mes vêtements dans une fuite, parce qu'elle rendait mes doigts gourds mêmes sous l'effort, ou parce qu'elle pouvait me glacer jusqu'à la moelle. Je ne réalisais pas que la pluie pouvait être un fardeau pour les récoltes ou les vagabonds sur les routes. Je ne pensais pas qu'elle pouvait vous geler de la tête au pied, et je n'avais pas conscience de son réel impact sur les gens importants et les gueux impotents. Je ne percevais pas que cette vile compagne du mauvais temps alourdissait aussi bien les manteaux d'hermines des puissants que les capes élimées des paysans. Je ne comprenais pas que sous sa puissance, tous étaient égaux, pliant et ployant pour se protéger d'une intempérie les forçant à courber l'échine.

Non, je la détestais simplement, comme l'inconscient que j'étais, parce qu'elle transformait les paysages bucoliques en un morne enfer de boue et de tourbe. Avec du recul, je me sens idiot de l'avoir réprouvé simplement pour cela. Or, j'étais aveuglé par la nitescence de mon monde, ne connaissant aucunement les véritables maux du mauvais temps. Malheur qui n'incombait qu'aux indigents, à ceux incapables de se protéger du froid et de l'orage. Aujourd'hui, ma position face au mauvais temps a changé. Non, je ne la déteste plus. Après tout, je ne suis pas un idiot. Étant un moindrement sensé, je sais rester cohérent.

Dès lors, je ne la déteste plus. J'en ai peur.

Alors que les intempéries ne symbolisent plus un simple imprévu du climat, j'en suis terrifié. Car en ces jours, le temps grisonnant et ses averses sont devenus les ennemis de l'humanité. Sous son couvert, les monstres ne foulent plus les méandres de nos cauchemars, mais le chemin de nos existences. Avançant silencieusement sous la pluie, s'extirpant des marais débordant à cause des averses, la fange rampe vers nous, dans ce monde sur le déclin et sous ses nuages gorgés d'eaux. Car morts, ils ne se méfient pas de notre fer, ne craignant plus le tombeau. Avançant inexorablement et sans relâche, elle chemine pour venir nous tuer. Ainsi donc, oiseau de mauvais présage, la fange est, comme son nom l'indique, aussi synonyme de mauvais temps.

Alors, oserez-vous me demander si je déteste la pluie ? Si oui, je vous répondrais simplement qu'il faut être seau pour l'apprécier...!


◈ ◈ ◈

Aujourd'hui, il pleuvait à boire debout. C'est à cause de ce temps que mes pensées s'étaient tournées pour un temps vers mon passé tourmenté.

Je rentrais la tête dans mes épaules, tentant de faire face à cette intempérie qui nous frappait avec force, nous les membres de ce convoi qui cheminions en direction de Marbrume. Adjointe à la pluie, les bourrasques de vent nous harcelaient et le tonnerre grondait au loin. Je n'entendais que le tambourinement de l'eau, le fracas de l'orage et la cavalcade effrénée de notre attelage qui frappaient de ses sabots le sol humide et boueux de la route sur laquelle nous cheminions. Mes vêtements étaient imbibés d'eaux et mon corps était transi par le froid. L'espace d'un fugace instant, je me sentais tel le misérable miséreux que j'avais été dans les faubourgs lors de la famine et de l'hiver qui avait suivi la mort de ma famille. J'étais aussi gelé et affamé que par le passé. Or, je tentais de passer outre les récriminations de mon ventre pour me concentrer sur la route qui défilait. Je ne devais pas tomber, car le convoi ne s'arrêterait aucunement pour moi.

J'avais rejoint le groupe qui avait été en partance du Labret pour une simple et bonne raison. Ces derniers m'avaient proposé contre une rémunération de me protéger jusqu'à Marbrume. Évidemment, j'avais négocié habilement pour diminuer le coût du transport. J'étais même plutôt fier d'avoir réussi à diminuer le prix mirobolant que le fieffé personnage avait voulu me voir débourser pour rejoindre son groupuscule, plutôt maigre, d'homme en partance du plateau pour la capitale du Morguestanc. Or, la fierté avait été de courte durée, rapidement supplantée par l'idiotie dont j'avais fait preuve. Je n'avais pas le moindre pécule sur moi où m'attendant à la cité. J'avais promis une fortune que je n'avais aucunement, alors que je ne pouvais même pas me payer un repas.

Toutefois, il fallait me comprendre. Je devais impérativement quitter les verts pâturages du Labret pour rejoindre la lande et les marais entourant Marbrume. Pourquoi ? Parce que je venais de me sortir de peine et de misère d'une situation où j'avais été prisonnier de la milice. Ainsi, ayant appris de mes erreurs, je ne fuyais plus à la première occasion, attendant d'être reconnu coupable de mes crimes pour fuir. Ayant croisé la route du convoi, ceux-ci m'avaient pris pour un bien stupide voyageur. J'avais dès lors joué l'idiot, préférant de loin être perçu comme un crétin que comme un malandrin. De ce fait, j'avais rejoint ce convoi en ne considérant aucunement rallier la cité du despotique et omnipotent Sigfroi de Silvrur. Après tout, tout ce qui m'attendait dans cette cité était la hache du bourreau. Dès lors, je quitterais le groupe avant qu'il n'atteigne le dernier bastion de l'humanité. Car pour moi, la ville fortifiée ne symbolisait aucunement un refuge.

Marbrume ne me promettait que pénitence et potence.

Ramené à la réalité par un mouvement brusque de notre moyen de transport, je réussis de peine et de misère à me retenir au bois constituant notre assise. Ma tête partie sur le côté, me permettant d'apercevoir durant un fugace instant nos essieux qui creusaient des sillons toujours plus profonds dans la boue. Derrière nous, ces marques dans le limon deviendraient des trous, puis des mares avant d'être ravalées par ce sol instable et boueux sur lequel nous cheminions. C'était mauvais signe pour notre convoi. C'était la preuve que nous nous enlisions et ralentissions à cause de cette route devenue traîtresse par la pluie et la glaise. Au-dessus de nos têtes, les cieux se faisaient tonitruants. L'éclat des éclairs et le fracas du tonnerre égratignaient à la fois nos yeux et nos oreilles. Était-ce un signe que l'impie Trinité nous vouait à la damnation ? Allez savoir... toujours est-il que ma présence dans le groupe ne devait aucunement apporter les faveurs des déités sur nous.

Au milieu du brouhaha, un homme intransigeant admonestait la masse et tentait de nous forcer à continuer à avancer au même rythme effréné. Il semblait dire que nous arrivions à promiscuité d'un village. Conques, peut-être ? Qu'importe. Cette pluie minait et alanguissait mon esprit. Je ne rêvais que d'une bonne flambée ou à tout le moins d'une protection contre l'eau qui s'écoulait du ciel. Je frissonnais un peu plus fort, alors que mes dents se mettaient à claquer et que l'attelage continuait sa route. À mes côtés, une femme menait notre chariot. Sans l'avoir réellement observé, sachant que la pluie me forçait à me plier et que ce n'était guère bienséant, je pouvais tout de même sentir une maigre chaleur, là où nos bras se touchaient. Loin de m'éloigner de ce contact, je poussais même à ce qu'il perdure. Du même coup, je tentais de me convaincre que je faisais ça seulement pour lutter contre le froid du vent et non pas à cause que j'étais en manque de contact humain. Évidemment, je me mentais à moi-même. Je cherchais aussi sûrement qu'assurément l'un et l'autre.

Les arbres commençaient à craquer contre les assauts du vent. Les feuilles dansaient puis tombaient face à ce belligérant intransigeant. Le mauvais temps vira à la tempête. Serrant la mâchoire, je retins à la fois mes dents de claquer, qu'un cri guttural de quitter le fond de ma gorge. Pourquoi avais-je envie de hurler ? Je ne savais pas. Mon côté vagabond commençait à prendre le pas sur mon passé de mondain. Il sentait que quelque chose de fâcheux et malencontreux se tramait. Mais quoi ? Est-ce que je m'imaginais des choses ? Qu'importe. Réfléchir demandait des forces. Des forces qu'il me manquait, sapées par la faim et le froid. Je voulais simplement survivre à cette journée. Mon esprit était alangui dans une torpeur maladive. Je ne réfléchissais plus clairement, fléchissant aussi sûrement que la végétation se pliait sous la force des éléments. Un peu de chaleur et de nourriture, était-ce trop demandé ?

À nouveau, je fus rappelé à la réalité par une embardée. Cette fois-ci, ce n'était pas le sol inégal qui amena le soubresaut de notre chariot, mais plutôt le mouvement rapide de nos montures qui s'affolaient alors qu'un éclair ne tombait guère loin de notre position. Secouant la tête, je croisais les bras et je glissais les mains sous mes aisselles pour tenter de les réchauffer. Ce faisant, je me rapprochais encore plus de ma partenaire qui guidait notre moyen de transport. Que pensera-t-elle de cela ? Qu'importe. Je ne veux qu'un peu de chaleur. Finalement, cette embardée plus sérieuse força l'ensemble du convoi à s'arrêter. Je ne professais pas le moindre son, si ce n'est qu'un soupir. Il ne manquait plus que ça.

Me relevant je m'apprêtais à quitter mon assise pour tenter d'aider en contrebas et pour pouvoir reprendre la route rapidement. Mon mauvais pressentiment continuait à me torturer et me dicter de faire se dépêcher la troupe. Encore inexpérimenté, je ne lui faisais aucunement confiance et je me forçais à ne pas croire ce que me dictaient mes sens. Or, avant que je ne puisse esquisser le moindre geste, mon bras fut agrippé par celle qui n'avait pas desserré les lèvres du voyage. Écoutant ses mots, je finis par la regarder, hésitant à répondre. "D'acc..." depuis combien de temps n'avais-je pas parlé ? Trop longtemps. Je me raclai la gorge pour que ma voix ne chevrote plus. "D'accord." Pourquoi est-ce que je lui offrais mon assentiment à l'idée de ne pas aider notre prochain ? À cause de son regard. Elle semblait savoir quelque chose. Est-ce que cela me réconfortait ? Pas le moins du monde. Sous le couvert de la beauté ou de la bonté, elle dégageait quelque chose de sauvage. Je ne pouvais dire que c'était complètement effrayant, mais cela n'était aucunement réconfortant...

Toujours est-il que je décidais de lui faire confiance. J'étais faible ainsi qu'inexpérimenté sur les routes, et elle me semblait tout le contraire de moi. Me laissant retomber, j'appuyai ma tête contre le bois aussi humide et mouillé que ma tenue. Je fermais les yeux un instant, sentant les doigts de ma partenaire d'infortune quitter mon bras, maintenant que je n'avais pas fait ce qu'elle semblait juger comme une erreur. J'ouvris les yeux au moment où le scélérat qui espérait m'extorquer parla vertement avec la jeune femme à mes côtés. Inconsciemment, ce fut à mon tour de lui attraper le bras pour l'empêcher de faire ce que, moi, j'estimais être une erreur. Lorsque je l'avais regardé, j'avais cru voir un feu couver dans le fond de ses yeux. M'étais-je aveuglé ? Peut-être. Toujours est-il qu'elle me semblait être le genre de femme à réagir à l'injure plutôt agressivement. Elle serait dans son bon droit, mais cela apporterait plus de tort qu'autre chose. Mieux valait se taire et ne pas risquer la rixe...

Quand bien même j'eus voulu la retenir de pousser en direction de la répartie, ou même de la violence, elle ne s'empêcha pas de se moquer à son tour. Lorsque le crachat de notre "chef" s'écrasa sur son front, je raffermis mon emprise sur son bras. Avais-je tort ou l'avais-je vraiment sentie se crisper ? Je ne savais pas, mais elle ne fomenta aucune vengeance. Je ne savais pas si c'était grâce à moi ou, car elle se restreignit elle-même, mais cela valait mieux pour tout le monde. Relâchant lentement ma prise sur son bras, levant doucement ma main je repris la parole, proférant un simple mot. "Navré.". De qui parlais-je ? De mes agissements ou de ceux du chef du convoi qui avait fait preuve d'ignominie ? Je ne saurais dire, mais sur le coup, ces mots me semblèrent de circonstance.

Difficilement, mais sûrement, le convoi redémarra. Aidés par la force conjointe des bêtes et des hommes, les chariots bougeaient lentement et quittaient l'enlisement de la terre. Cette vision des vains efforts de nos camarades me ramena en arrière. Ce n'était pas le premier convoi auquel je participais, mais plutôt le second. Le premier avait été durant la reconquête du Labret. J'étais attitré à forcer et pousser contre les chars et charrettes pour éviter qu'ils ne s'enlisent. Aujourd'hui, tout était quasiment à l'identique. Finalement, la réminiscence de ce passé me fit réaliser d'où provenait mon mauvais pressentiment "Ce n'est plus un convoi, mais une procession mortuaire...". Proférais-je, peut-être quelque peu mystérieusement. Toujours est-il que je venais de comprendre. La fange approchait.

Ma vis-à-vis l'avait compris bien avant moi. Je le sus lorsqu'elle me dit de m'accrocher et qu'elle poussa les chevaux à la cavalcade. Je l'avais regardé interloqué, avant de devoir me concentrer pour rester sur le chariot sans tomber. Comment pouvait-elle savoir que la mort approchait ? C'était une évidence qu'elle en avait conscience. Elle m'avait averti de rester sur le chariot. Dès lors, d'où tirait-elle sa clairvoyance ? De son expérience ? Qu'importe. Je n'avais pas le temps de m'en soucier. Les hommes tombaient aussi bien de notre moyen de transport que sous les griffes des prédateurs de l'humanité. Lorsqu'elle me demanda si je savais conduire, je lui offris un sourire dément. "J'apprends vite !" Trop tard. Les rennes furent déjà dans mes mains. L'écoutant en tentant de rester concentré sur la route devant nous, je pensai capter un bref clin d'œil. En contrepartie, je lui offris un froncement de sourcil furtif. Je ne pus m'empêcher de me demander qui elle était, mais surtout, qu'était-elle ?

La route était traîtresse et sinueuse. Je devais me focaliser sur cette dernière pour éviter une embardée qui serait synonyme de mort pour tout un chacun. Que ce soit à cause de la chute ou de la fange. Je commençais à entendre des borborygmes derrière moi et des bruits de lutte. Les monstres étaient-ils montés sur le chariot ? Me retournant, je vis ma "sauveuse" devenir une tueuse. "Arrête !" Ne pus-je que je tenter de hurler, devant me focaliser sur la course de nos montures. Est-ce qu'elle m'entendit au milieu des flots qui s'épanchaient des cieux ? Difficile à dire. Toujours est-il que je devins un peu plus blême qu'à mon habitude. J'avais désormais la réponse à mon interrogation concernant ce qu'elle était. Elle est une tueuse.

La meurtrière, car c'est ce qu'elle était désormais à mes yeux, revint prendre son assise. L'écoutant, je la vis me reprendre les rênes de mes mains. Je me laissais faire, moi qui avais l'habitude d'être une brebis galeuse plutôt qu'un loup vorace. "Tu es blessé !" Dis-je stupidement, définissant une vérité qui n'était un secret pour personne. Je ne sais pas trop si je m'inquiétais pour elle ou si je jugeais qu'elle le méritait. Peut-être un peu des deux. Finalement j'oubliai et oblitéra de mon esprit ce futile tracas de la vie d'autrui, alors que le chariot se renversa et que je m'écrasai le visage dans la boue. Mon hurlement fut arrêté alors que la terre humidifiée par l'eau remplissait ma bouche. Me sentant suffoquer, en quête d'air, je tentais de me relever. En vain. Un poids mort me pesait aux creux des omoplates. Paniqué, je me mettais à battre des jambes et à tenter de me soustraire à cette pression qui risquait de me tuer par asphyxie. N'arrivant pas à résister, alors que le poids inconnu est trop lourd, un bref éclat de sagacité crève les limbes de ma panique. Au lieu de chercher à me relever, je tentai finalement de me retourner sur le dos. Ce fut une réussite.

Au-dessus de moi, le cadavre d'un équidé me protégeait autant qu'il m'était nuisible. À cause de lui, j'avais failli mourir dans la tourbe. Or, il m'avait aussi permis d'éviter d'être une victime de premier ordre sous les griffes et les crocs des fangeux qui s'en donnaient à cœur joie autour de nous. Renvoyé dans le passé durant un infime instant, revoyant ces monstres bestiaux dévorer ma famille au grand complet, je fermais les yeux et tentais de m'évader par la pensée. En vain. Une perle saline, silencieuse coula sur ma joue. Qu'avais-je fait pour mériter cette vie qui voguait et voltigeait d'infamie en ignominie ? Finissant par réaliser que je me devais de bouger, j'arrivais à me secouer. Glissant de droite à gauche puis de gauche à droite, usant de la boue pour m'aider à m'extirper de sous le cadavre du cheval j'arrivais enfin et finalement à me remettre debout. Chancelant, j'avais la tête qui tournait. Mon front était anormalement humide, même sous un déluge. J'avais affreusement mal à la tête et le monde tanguait aussi sûrement qu'il vacillait. Comme s'il était sur le bord de la ruine.

Inconsciemment et stupidement, sonné par la chute et malmené par la terreur, j'étais debout au milieu de ce macabre festin auxquels s'adonnaient les pires créatures que la terre n'avait jamais portées. Glissant sur le sol instable, je tournais sur moi-même en quête d'un chemin pour fuir et m'enfuir. Dans mon dos, je sentis un choc qui me fit de nouveau tomber. Croyant à un fangeux venu pour me dévorer ou me déchirer, je tentai rapidement de me relever et de me retourner, glissant avant de retomber. Quand bien même, je réussis à faire face à mon opposant. Ou plutôt, devrais-je dire mon opposante. La tueuse était là, devant moi, et bien vivante. Devais-je en être content ou malheureux ? De nouveau, elle renoua le contact. Dans les derniers instants, cela était devenu comme une habitude. Elle avait agrippé mon bras, puis moi le sien et enfin elle ma main. Où me guidait-elle désormais? Je ne savais pas et je n'en avais que faire. Je savais qu'elle voulait nous mener loin de la fange et cela me suffisait amplement.

Je ne saurais dire durant combien de temps nous avions couru. Mais ce fut long, trop long pour mes maigres forces, ainsi que pour mon corps rachitique et faible. Je commençais à voir des points noirs tourner devant mes yeux. Or, je ne pouvais et ne voulais lui dire par peur de la voir m'abandonner. Je devais me faire violence pour ne pas être victime de l'une de mes crises et pour continuer à avancer. Alors que je pensais chuter pour de bon, nous suspendîmes notre mouvement. Que me disait-elle ? Tout était flou, trop flou. Elle parlait d'un coup sur la tête ? Ça, je pouvais l'affirmer ! "Oui, je crois..." Dis-je. " Il est où Roger ?" Je ne comprenais pas de qui elle parlait. Je n'arrivais pas à réaliser qu'elle délirait. Décidément, l'un ne rattrapait pas l'autre...

Nous arrivions devant une cabane. Retrouvant un peu de clarté d'esprit grâce à l'espoir, je tentai d'ouvrir la porte. En vain. Je fus rabroué par ma sauveuse tueuse. "Je tente d'ouvrir !" Dis-je en forçant inutilement. "Je suis con...Con...condamné ?" Comment le sais-tu ? Aurais-je voulu demander. Trop tard. Je fus guidé vers l'arrière et vers une pierre que je m'évertuai à déplacer. Cette dernière nous permit de rentrer à l'intérieur. Finalement, je la replaçais à sa demande et je me retournais pour la voir chuter sur le sol.

J'aimerais dire que je me suis rapidement porté à son chevet. Or, j'étais dans le brouillard et la brume, avec la conscience affaiblie par un choc que je ne me rappelais même plus d'avoir reçu. La regardant au sol durant de longue seconde, prenant beaucoup trop de temps pour traiter l'information, mon regard finit par s'accrocher à la hampe de la flèche qui dépassait de son ventre. "Merde, ça doit faire mal." Je m'entendais de loin, comme si ce n'était pas moi qui parlais. "Attends une minute, je ne m'appelle par Roger !" Mes priorités n'étaient clairement pas positionnées au bon endroit. Toujours est-il que je finis par tomber à quatre pattes à ses côtés. Mon monde tanguait et vacillait. Je me devais de l'aider, or aviez-vous déjà entendu d'un blessé s'occupant d'une blessée ? Pas moi. Généralement, dans les histoires, ou de ce que j'en sais, c'est un prêtre ou un herboriste qui soigne les maux et les blessures. Pas un homme recherché par la milice et encore mois un être lui-même blessé à la tête. Qu'importe. Mes maux étaient nettement moins profonds que ceux de ma partenaire. "Partenaire". Je n'étais même pas convaincu qu'elle était réellement cela, elle qui m'appelait "Roger" et qui avait tué de sang-froid. Or, je ne voulais pas abandonner mon prochain si facilement. Mathilde et Jacob m'avaient appris que la compassion existait même dans les pires moments. C'était à mon tour de l'offrir à quelqu'un d'autre, désormais.

Avisant, le bois pour faire un feu et de quoi manger, je salivai, mais finit par réussir à me contenir à l'idée de faire partir une flambée. Je mangerais après l'avoir sauvé. Ou condamné. Avec mes maigres talents, tout était possible. Je me mis à lui parler. Aussi bien pour meubler le silence et repousser ma peur que pour tenter d'encourager celle que je ne savais même pas si elle était réellement consciente. "Ça va aller. Ça va aller, d'accord ?" Je tentais ,pour le coup, de me convaincre moi-même. "J'ai envie de vomir...pas à cause de ta blessure, ne t'inquiète pas. J'ai simplement la tête qui tourne." Dur à dire si cela pouvait la rassurer."Je me permets de soulever tes vêtements..." Ça non plus, ça ne risquait pas d'être nécessaire.

Je finis par réussir à partir un petit feu dans le vieux foyer de la bicoque qui était plus ruine que demeure. Dehors, la pluie s'écrasait avec force et l'orage se faisait toujours entendre avec fracas. Si la fange s'approchait de notre repère, je ne l'entendrais jamais. Secouant la tête pour oblitérer cela de mon esprit, je fus pris de vertige. D'accord, je ne devais plus faire le moindre mouvement brusque avec ma tête.

Récupérant la dague de ma compagne, moi qui n'avais aucune arme, je me sentis un peu mieux. Je ne me l'avouais aucunement, mais de savoir cette tueuse désarmée me rassérénait quelque peu. Toutefois, lorsque je vis le sang sur la lame, j'eus envie de vomir. Grognant et me concentrant, je lavai l'arme du mieux que je pouvais avec ma cape et l'eau qui l'humidifiait avant de la mettre au-dessus de la flamme. "Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas trop ce que je fais." C'était honnête. Peut-être même un peu trop, mais pouvait-elle m'entendre ? Dans tout les cas, je ne sais pas quelle situation était mieux pour elle. Celle de pouvoir m'entendre ou non ? "Je vais te retirer le trait et tenter de cauté... cautéritruc la plaie. J'ai déjà vu un guérisseur faire ça." Je ne me rappelais plus du mot exact, mais l'idée était là.

Glissant sur mes genoux pour surplomber la blessée, mon regard quitta le trait pour remonter vers son visage. Je ne pus cacher mon étonnement. Elle était assez jeune. Même belle, une fois le visage inexpressif. Recommençant à me focaliser sur ma tâche à venir, j'attrapai la flèche. Il ne restait presque rien et je pense qu'aucun organe n'avait été touché. Sinon, il ne me restait plus qu'à recommander son âme aux Trois. Chose que je ne ferais aucunement, étant plus qu'en froid avec cette odieuse Trinité.

-"Je vais tirer à trois. Un...deux..." Et j'enlevai le trait. Oui, je venais de mentir et d'agir avant la fin du décompte. Mais j'avais une bonne raison ! Enfin. Pour mon esprit enfiévré du moment, cela m'avait semblé logique. De fait, je ne voulais pas remettre le sort de ma sauveuse tueuse entre les mains des Trois, eux qui n'avaient jamais été d'un très grand secours pour ma personne. Dès lors, j'avais préféré agir avant d'arriver au chiffre qui les symbolisait. Avais-je fait une erreur ? L'avenir nous le dirait bien assez vite...Avait-elle crié ? Hurlé ? Si elle avait repris connaissance entre-temps, venait-elle de la perdre à nouveau ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Tout ce que je sais, c'est que je laissai tomber le morceau de bois et la tête de flèche. Mes mains étaient poisseuses de sang, mais je finis ma tâche en déposant sa lame chauffée à blanc sur la plaie. La peau grésilla et une odeur horrible embauma l'endroit. Plissant les yeux, je dus relâcher l'arme et me retourner. Glissant jusque dans un coin de la chaumière, je me mis à vomir sous les contrecoups de l'odeur et mes maux de tête.

Me secouant, je revins vers elle. Je n'avais pas encore fini. Usant de la dague pour découper un morceau dans ma cape, déjà bien suffisamment élimé et troué, je déchirai une bande de tissu sur la longueur. Cela officierait à titre de bandage. Commençant à l'enrouler autour de la blessure, et donc de sa taille, je pus remarquer à quel point elle pouvait être maigre. Vivait-elle une existence de pérégrination comme la mienne ? Trop apathique, je n'eus pas l'ingéniosité de regarder son bras en quête d'une marque qui la définirait comme une bannie. Mal m'en prit ? Allez savoir...

Lorsque je finis mon travail, je redescendis les vêtements qu'elle portait sur la balafre. Elle était aussi mouillée que moi. Devais-je la dévêtir ? Je me forçai à ne pas envisager la chose. J'étais Alphonse de Sarosse, bon sang ! Ou du moins ce qu'il en restait. Toujours est-il que je ne m'abaisserais pas à assouvir mes sens simplement parce que je croisais enfin une âme vivante et humaine depuis une longue période. La rapprochant du feu, je laissai de nouveau mon visage courir le long de son visage, silencieux. Elle semblait avoir froid alors qu'elle tremblait. Alors pourquoi était-elle en sueur ? Non. Ça devait être de l'eau de pluie...non ? Je n'y voyais plus clair. Récupérant ma cape, je la laissais tomber sur elle. Pour le moment, ma sauveuse tueuse en avait plus besoin que moi. Rajoutant du bois dans le feu, je finis par m'allonger à ses côtés pour profiter aussi de la flambée.

Finalement, le monde tangua et vacilla jusqu'à ce qu'à mon tour je tombe dans une sorte d'inconscience.
Revenir en haut Aller en bas
Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyMer 17 Juin 2020 - 22:15


J’ai froid, c’est tout ce que je parviens à comprendre et percevoir. Je ne sais plus trop où je suis, la silhouette debout un peu plus loin ne me dit rien et tout à la fois. Je m’entends parler à Roger peu de temps avant, alors j’ai tendance à écarquiller les doigts en sa direction. Supplier, je ne l’ai jamais fait et si je dois mourir dans la boue, sur le sol d’une maison, ça ne me semble pas si mal. Je me sens partir puis revenir, je lutte alors qu’instinctivement mes doigts se dirigent vers la douleur brûlante la plus vive : mon ventre. Je sens le bois, puis le dur un peu plus loin, sans trop savoir ce que c’est ni c’est même mon propre corps qui souffrance. Je ne gémis pas, je ne lutte pas. Lentement, mes yeux finissent par se fermer, lentement je vois la silhouette approcher dans un brouillard qui s’élargit puis c’est le trou noir. C’est étrange, parce que j’entends, j’entends sans avoir la force de bouger de lui montrer que je suis vivante. Ma respiration est lente, elle provoque ce frisson, cette douleur qui se propage de la blessure pour s’étaler dans la totalité de mon être. Un gémissement finit par s’échapper de mes lèvres alors que j’entends comme une voix très lointaine, des ça va aller, ça va aller. Je ne comprends pas tout… Je suis incapable de lutter, incapable de repousser les mains sur ma peau.

Immobile par obligation, je sens un filet d’air s’échapper de mes lèvres alors que j’ai envie de vomir, j’ai chaud, puis froid, puis chaud. La tonalité des mots, elle me semble inconnue, mais si lointaine et comme brouillée que là encore je ne sais pas, je ne suis plus. Je me promets de me venger, m’attendant sans doute à me faire abuser, qui ne profiterait pas d’une femme après tout ? Cette pensée est si naturelle, que je me fais peur à moi-même. Ma dague quitte sa protection et je grogne, c’est tout ce que je suis en mesure de faire, sans pouvoir ouvrir les yeux. Il parle, il parle tout seul où à quelqu’un je ne sais pas, je crois ne percevoir qu’une voix, je sens ma chemise se relever, je n’entends pas les mots, je n’y arrive pas. Je sens mes sourcils se froncer et mon visage grimacer, il parle de chiffre de trois et je ne peux m’empêcher d’essayer de bouger, seul le bout de mes doigts semble accepter de se mouvoir, dans une manœuvre sûrement invisible.

Mon geste il est brutal, presque soudain alors que j’ai la sensation qu’il vient de me poignarder. Meurtrier. Je me suis redressée, j’ai la main sur son avant-bras, les yeux écarquillés, le souffle court et le ventre se gonflant et dégonflant dans une brûlure qui n’a de cesse de se faire plus dense. J’enfonce mes ongles sur sa peau, ou son tissu. Je n’ai pas hurlé, j’ai appris à ne pas le faire, mais la contracture de mon visage de mon corps doivent largement parler pour moi. Je cri, sans bruit. Je le regarde, pour la première fois, il est trouble et je sens du liquide s’échapper de ma plaie, mes lèvres s’écartent, puis se referme, je regarde la lame… MA lame, elle luit de chaleur, alors je le relâche comprenant qu’il n’est pas en train de me tuer, mais bien de m’aider. Glissant mon avant-bras à mes lèvres, je mordais avec force alors que la lame venait refermer ma plaie. Autant dire que ma mâchoire on pouvait la reconnaître sur mon bras qui perlait de petites gouttelettes de sang, je n’avais pas crié, mais toute ma souffrance pouvait se déchiffrer sur ma peau. Relâchant je soufflais avec force, gémissant sans même m’en apercevoir alors que je tente de glisser sur le côté, mes mains viennent se poser sur l’ancien trou non naturel, mes jambes se replient instinctivement vers mon buste ce qui aggrave la sensation de brûlure.

L’odeur me rend nauséeuse alors que je sens une nouvelle fois ses doigts sur ma peau, il est chaud alors que j’ai la sensation d’être gelée. Je l’aide à ma façon, tout en ayant cette envie de lui sauter à la gorge, sans savoir s’il est un danger ou non. Je crois que je finis par perdre connaissance et quand je reviens à moi, le silence est maître. Je ne suis pas loin du feu, j’ai toujours cette sensation de froid et de chaud. Je me redresse avec lenteur, pour voir l’homme qui m’avait secourue sur le sol, instinctivement je recule, cherchant ma dague que je n’ai plus. Merde. S’il était mort ? J’ai mal partout, je sens une croûte sur mon front, je me sens pas très bien. Je suis habillée, ce qui me surprend, j’ai un morceau de sa cape autour du ventre, lorsque mes doigts l’effleurent je ne peux m’empêcher de sourire. Lentement je m’approche, ou plutôt je me hisse, parce que mon ventre clairement, il me tire. J’ai poussé sa carte et j’ai mis ma main sur sa bouche, je veux voir si il respire, c’est le cas.

Je profite de sa somnolence pour relever la manche de son bras droit, rien. Je le bouscule du bout du pied, comme pour m’assurer qu’il est toujours vivant, du moins qu’il ne va pas se réveiller soudainement. Il a l’air épuisé, je ne vois pas de sang, rien, ce qui me laisse entendre que c’est un sacré chanceux. Sa cape se retrouve sur lui, alors que je me redresse finalement, je récupère ma lame que je ne retrouve pas loin de la silhouette masculine. Mes vêtements sont toujours humides, alors je retire l’ensemble pour venir l’accrocher sur un rebord de meuble presque complètement détruit. J’ouvre un coffre non loin, qui grince et j’en retire une peau de bête dans laquelle je m’enroule. La nudité n’a jamais été un problème pour moi, du moins, depuis que je suis bannie. La morsure en haut de ma cuisse est visible, comme d’autres parties de mon corps en fonction de mes mouvements. La peau ne peut pas tout camoufler.


- « Je vois que tu sais faire du feu le bel au bois dormant. » fis-je en m’approchant debout de lui, le secouant toujours du bout des orteils au niveau de ses côtes « J’ai repris ma dague, merci » fis-je en lui montrant et la rangeant.

Ma tête tourne encore, mais je ne veux pas le montrer, d’ailleurs, le fait qu’il ne se réveille m’inquiète un peu. Alors je viens secouer mes pieds sous son nez, entre la boue, la pluie et la transpiration il y a largement de quoi réveiller les morts. J’insiste un peu, rapproche l’ensemble avant de le reposer sur le sol, riant légèrement devant la grimace que je crois percevoir.

- « Piou, j’ai bien cru que tu n’allais pas émerger de ton sommeil Maurice. » soufflais-je en glissant mes mains sur mes cuisses dévoilées et me penchant légèrement vers lui « Tu as faim ? Il y a de la viande séché, je ne sais pas trop de quand elle date, mais je ne suis pas sûr que ça puisse avoir une grande importance. »

Je lui tourne le dos, je n’ai pas vu de lame, rien, ce qui m’intrigue réellement. Je penche la tête vers lui avant de récupérer de la viande séchée. Ici on a une règle si tu prends, tu remplaces, ça veut dire que je vais devoir chasser pour laisser une proie à la place. Les maisons de sauvetages comme ça, elles sont souvent utilisées et quand quelqu’un est dedans la règle veut que personne n’y vienne. Cependant, lui, je ne suis pas certaine qu’il réalise ni ce que je suis ni ce qu’on doit faire. Du coup je me retourne un morceau de viande entre les deux, mastiquant plutôt bruyamment. Mon épaule est dévoilée, ma poitrine à peine camouflée par la peau qui retombe légèrement sur ma silhouette particulièrement maigre. Mon avant-bras marqué est replié vers moi, forcément, je mange. Je secoue doucement la tête de droite à gauche, avant de glisser un doigt sur mes lèvres.

- « Chuuuuuut » je n’entends plus les oiseaux, cela m’inquiète

Sur la pointe des pieds je me hisse pour observer la petite ouverture, une fissure entre les pierres, je ne vois rien, je n’entends rien. Dos à lui, je ne me méfie pas, je suis convaincue qu’il n’est pas un danger, peut-être que je me trompe, mais j’ai la sensation qu’il n’est pas trop doué. L’absence de bruit qui ne s’arrête pas, ça me fait frémir, davantage lorsqu’on entend se grognement inhumain. Ici on est en sécurité, il suffit d’attendre et les hurlements des hommes qui se font entendre ne tardent pas à me donner raison.

- « Bon appétit saleté » soufflais-je soulagée « Règle numéro 26 le silence est ton ennemi » soufflais-je en levant un doigt « Bon dis-moi Edouard » fis-je en changeant de nom même si il m’avait donné le sien simplement pour le tester « Tu n’es pas un milicien n’est-ce pas ? Je doute que tu sois un paysan, je commence à savoir les reconnaître et tu n’as pas un banni, ça je le sais aussi. Tu n’as pas les bons réflexes non. Sinon tu m’aurais tué. Parce que je suis mordue et que j’aurais pu mourir et donc te dévorer. »

J’écarte légèrement une jambe pour lui dévoiler mon ancienne morsure, la pudeur, je l’ai déjà dit, après avoir été abusé et après avoir offert son corps, on n’en a plus vraiment.

- « Tu devrais retirer tes vêtements, ne te fais pas d’idée si tu approches, j’te couick l’entrejambe et je la mange. C’est que tu vas prendre froid si tu gardes l’humide sur toi et être malade dehors… C’est mourir, tu vois. »

Revenir en haut Aller en bas
Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyJeu 18 Juin 2020 - 21:43
[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] E7p2

Qui n'a jamais eu de réveil difficile ? L'homme d'armes devant se lever aux aurores, traînant les pieds pour aller effectuer son devoir. Le malade qui sort de son alanguissement nocturne pour replonger dans les supplices des maux le rongeant. Le jeune enfant qui ouvre les yeux, paniqué et terrifié après un cauchemar, retrouvant l'apaisement d'une chambre calme et sereine. La femme enceinte, le vieillard sur le bord de la mort, le mécréant ressassant ses crimes, le prêtre torturé par les péchés de ses ouailles ou bien le roi ayant assassiné des innocents... Bref, tout le monde doit être passé par ce genre de situation, où le réveil est abrupt, tandis que le sommeil ne fut d'aucun secours ni réparateur. Aujourd'hui, c'est ce que je vécus. Mon éveil fut horrible. À cause des douleurs de mon crâne...

Et du pied d'une femme.

Certes, je lui en étais grés qu'elle n'ait pas tenté d'attenter à ma vie, ou que ses orteils ne soient pas venus rosser rudement mes cotes. Pourquoi aurait-elle agi ainsi ? Je ne sais pas, mais je n'oubliais pas que sous ses dessous de femme, elle cachait l'âme d'une meurtrière. D'ailleurs, en parlant de dessous, je n'en voyais aucun à même de couvrir sa physionomie toute féminine. Mais ne brûlons pas les étapes. Nous étions en train de parler de ses pieds et non de ses courbes. Je ne dis pas que je préfère les uns aux autres, mais je connais mes priorités. Ne me jugez pas sot ou fou ! Vous auriez les mêmes que les miennes, si vous pouviez sentir l'odeur qu'ils dégageaient. Ici, je ne parle pas d'une fragrance de fleur, mais bien d'un fumet fétide. Mon nez pouvait en juger. La pluie, la boue et la sueur étaient un mélange pestilentiel.

Sortant finalement complètement de mon alanguissement et de sa torpeur tourmentée, j'écoutais ce qu'elle me dit avec un œil qui virevoltait entre son pied et sa jambe dénudés. Me relevant sur un coude, tout autour de moi se mit à osciller. Par chance, c'était moins pire que précédemment. Émergeant, je ne me rappelais plus trop bien ce qu'elle m'avait dit juste avant. Or, j'arrivais à me souvenir qu'elle vient de me nommer belle au bois dormant. Je fronçais des sourcils. Je ne savais pas si je préférais cette appellation à celle de Roger. Mes yeux remontèrent le long de ses cuisses, suivant la course ascendante de ses doigts. C'est à cet instant que je réalisai qu'elle était complètement nue sous ses fourrures. Cette découverte me força au silence, m'empêchant de réagir à ce nouveau nom dont elle m'affublait; Maurice.

La part de moi qui avait grandi dans l'opulence et la splendeur aurait voulu lui dire de se couvrir et aurait désiré souligner son indécence. Or, celui que j'étais désormais savait que ce n'était que futilité. La pudibonderie ne nous était d'aucun secours, et sa quasi-nudité ne nuisait en rien à notre situation. Même, elle pouvait être d'une précieuse pour éviter d'attraper froid à cause de vêtements humides. Dès lors, je savais qu'il aurait été vain de lui mentionner de se couvrir plus que nécessaire, tandis que je commençais à cerner l'une de ses facettes. Oh, il ne fallait guère être un génie pour réaliser ce que j'avais compris. Elle semblait simplement être prête à tout pour vivre. L'ensemble de ses sens et sa conscience pointait en une direction, c'est-à-dire vers l'objectif tout désigné de la survivance. Ainsi, je pouvais donc oublier de la voir faire preuve de pudeur. De toute façon, le problème était nettement plus mon embarras que sa lubricité. Nous le savions tous deux et elle semblait en jouer, s'amusant à mes dépens. Le mieux que je pouvais faire était de tenter d'ignorer qu'elle était complètement nue sous ses fourrures. De ne rien dire et de garder un visage de marbre. Or, c'était plus facile à dire qu'à faire.

Car bien malgré moi, mon regard n'arrêtait pas de revenir contempler les parties de son corps qui s'échappaient d'en dessous des pelisses. Là, je voyais la naissance de son cou. Puis, sa clavicule et le début de son buste, là où la fourrure fleuretait à la limite de sa poitrine. Puis, c'était une jambe ou une cuisse qui s'échappait de la couverture animale. Certes, à chaque fois, je détournais les yeux, encore trop impacté par ma galanterie qui me venait d'un passé révolu. Je savais que cette courtoisie n'avait aucunement sa place dans cette bicoque, plus chaumière que demeure, ou dans ce refuge plus tanière que repère. Or, je n'arrivais pas à m'en défaire. Comme je n'arrivais pas à arrêter de l'observer à la dérobade... C'était une drôle de dualité, comme si ma conscience était écartelée entre mon ancienne noblesse et ma nouvelle misère. En outre, depuis combien de temps n'avais-je pas eu un quelconque contact humain, une quelconque présence à mes côtés ? Qui plus est, d'une femme ? Trop longtemps. Dès lors, même si ma sauveuse-tueuse avait été habillée dans les robes d'une représentante de l'impie Trinité, je n'aurais pas réussi à ne pas la contempler encore et encore. Certes, le spectacle en aurait été moins idyllique ou charmant, mais tout de même.

Bien que j'avais décidé de ne pas proférer la moindre récrimination sur son habillement, mon visage parlait sans l'ombre d'un doute pour moi. Mon teint hâve et blême ne cachait aucunement le passage des émotions sur mon faciès. Je pouvais sentir la rougeur de la gêne se répandre sur ce dernier. En outre, les coups d'œil que je lui envoyais, je vous le rappelle; bien malgré moi et à mon corps défendant, ne m'aidait aucunement pour retrouver la maîtrise de moi-même, ou simplement pour dresser un faux manque d'intérêt. En cet instant, j'étais un bien mauvais acteur, mais je me forçais tout de même à continuer d'endosser le rôle d'un homme désintéressé. Pourquoi ? Car à mes yeux, il était mieux de tenter de faire preuve de détachement que de lui laisser voir à quel point elle pouvait facilement se jouer de moi.

Or, ma perception changea lorsqu'elle me tourna le dos. À cet instant, je ne voyais plus simplement un corps de femme, mais aussi les balafres et les blessures le parsemant. J'apercevais des cicatrices et des stigmates de ses tourments passés. Qu'avait-elle vécu pour souffrir de la sorte ? Qui avait été son bourreau pour l'avoir supplicié ainsi ? Un monstre à tout le moins. Car je le savais; ce que je voyais était des marques de torture. C'est grâce à cette découverte que je réussis à ne plus la dévorer du regard. Non pas, car les lézardes et entailles qui marquaient sa peau la rendaient affreuse, mais parce qu'elles me permettaient de voir la personne derrière le corps. Ainsi, je découvris sa maigreur provenant de jours difficiles et des muscles fins d'une vie d'errance. Je réussis à retrouver une certaine forme de dignité, un visage plus neutre et un regard perçant qui recherchait les informations m'intéressant et non ce qu'elle voulait bien me dévoiler. Je pus chercher à aviser son regard, ou percevoir son humeur sur son visage. Je pus tenter de juger de son état, elle qui avait été blessée, ou simplement tenter de percevoir ses émotions, voir ses mouvements.

Ainsi, la regardant bouger sur la pointe des pieds, parler à tort et à travers, je restais au sol. Ironiquement, elle me demanda de faire silence, d'un "chut" retentissant, tandis que je n'avais pas proféré le moindre son. Écoutant sa règle 26, me doutant qu'elle n'était pas en mesure de définir la gradation que ce chiffre représentait, je la laisse de nouveau me débaptiser. Cette fois-ci, ce fut Édouard. Charmant. Elle parla, définissant que je n'étais ni un milicien ni un paysan. Je souriais tout d'abord pour moi-même, heureux de ne pas être tout de suite perçu comme un ancien noble. Je m'améliorais ! Mathilde avait tout de suite deviné mon rang. Or, mon expression revint rapidement à la normale lorsqu'elle mentionna que j'aurais dû la tuer. Pourquoi ? Elle me montra la marque des dents d'un prédateur de l'humanité. Cette fois-ci, mon regard ne put rester de marbre, retournant vagabonder en direction de ce qu'elle n'aurait pas dû montrer aussi facilement. Or, la réalité me rattrapa et mes yeux furent aspirés par les traces de la morsure. Je pâlis, mais finit par secouer la tête.

Était-elle sérieuse ? Je haussais les épaules feignant un détachement que je n'éprouvais aucunement. Moi, devenir un tueur ? "Vous..." Je suspendis ma prise de parole durant quelques secondes. Je devais oublier qui j'étais et arrêter avec ces politesses qui me désignaient comme une cible idéale. Le vouvoiement n'avait pas sa place ici."Tu me sembles plutôt énergique pour quelqu'un que j'aurais dû tuer." Puis penchant la tête sur le côté: "Bernadette". Elle voulait me débaptiser ? Très bien. Je ferais de même. Ainsi nous sauverions du temps en évitant les présentations, non ? Puis, la regardant de haut en bas. "Quoique je dois dire que durant un instant j'ai eu un petit doute sur la chose, alors que j'ai senti une odeur de putréfaction. Par "chance", ce n'était que tes pieds." Enfin, je me relevais, grognant et serrant des dents.

Lui faisant face, je hochai lentement la tête. "Nul besoin de menace, je sais me contrôler." Je retins difficilement un "moi" discriminatoire, alors que je la revoyais plonger son acier dans des innocents. Je secouais la tête pour m'enlever cette pensée de mon esprit. Ce fut une mauvaise idée avec mes douleurs au crâne, je vacillai et m'appuya contre le mur. "Il n'y aura donc pas de... "couick", Joséphine." Dis-je en l'imitant. Je pouvais bien parler, si elle avait aperçu les regards que je lui avais lancés précédemment, ma tirade risquait de manquer d'un peu de sérieux à ses yeux. Me détournant d'elle, j'allais en direction du coffre pour gagner du temps. Je savais que je devrais me dévêtir pour éviter d'attraper froid à cause de mes vêtements détrempés, mais je ne pouvais dire que j'étais chaud à l'idée. Difficile d'effacer une vie de pudeur d'un coup !

Lui offrant mon dos comme elle l'avait fait, voulant en quelque sorte aussi lui présenter ma confiance, aussi ténue fût-elle, je regardai à l'intérieur de la boîte. Il n'y avait plus de fourrure. Ça, ça ne m'arrangeait pas, mais au moins, il y avait de la nourriture. Attrapant une lanière de viande inconnue et séchée, je mordis à pleine dent dedans. Ce n'était pas très bon, mais j'avais déjà appris à ne plus faire la fine bouche. Par ailleurs, j'étais affamé. " J'imagine que tuer son prochain s'il est mordu c'est quelque chose comme la règle 5 ?" Demandais-je avec un petit sourire en levant un seul et unique doigt. Avisant la manche de mon bras droit un peu remonté, je fronçais des sourcils, me mordant la lèvre inférieure. "S'assurer que sa compagne d'infortune n'est pas une bannie, c'est la règle numéros combien, Lucie ? 13 ?" Dis-je en levant deux doigts.

Je n'étais pas fait pour ce monde. Or, je n'étais pas un idiot. Il commençait à m'apparaître évident ce qu'elle pouvait être. Une bannie. "Je te dis qui je suis, quoique ça, ça ne semblait pas trop t'intéresser..." me corrigeais-je en sachant qu'elle ne désirait pas savoir mon nom, mais plutôt d'où je venais. "Donc, je dirais plutôt que je te dis ce que je suis, si tu me montres ton bras droit, Lucette." Je n'étais pas courageux, mais aucunement couard. Je n'étais pas téméraire, mais pas non plus excessivement prudent. Je ne la forcerais pas à me le montrer, mais qu'importe. Si elle refusait, sa réaction risquait de m'en apprendre tout autant. Lui laissant le temps de réfléchir ou d'agir, je me mis à enlever ma tunique, conservant pour le moment mon pantalon. Je ne pouvais pas repousser l'inévitable plus longtemps. "Que faisais-tu donc dans ce convoi ?"

Je n'avais aucunement un corps puissant. Maigre, aussi bien à cause de la faim que de la maladie que je traînais depuis toujours, ce dernier était blême tout comme mon teint était blafard. Ma nouvelle vie d'errance n'arrivait guère à me donner des couleurs que je n'avais jamais eues. En outre, cette peau laiteuse n'avait aucune marqué par des cicatrices. Fais plutôt rare dans une vie d'effort ou de labeur. Tout comme mes mains, mon corps était filiforme et chétif. Déposant la première pièce de vêtement sur le meuble à moitié disloqué, je me mis à éviter son regard. Je n'avais pas envie ou le besoin d'y lire un quelconque jugement. Par la suite, je m'attaquai à mes bottes.

-"C'est quoi la suite du plan ? Passer la nuit ici et attendre l'aurore ?"
C'est prise de parole avait plusieurs objectifs. Le premier, de définir réellement ce qui nous arriverait par la suite. Je n'étais aucunement habitué à décider et diriger, ayant toujours mis mon existence entre les mains d'autrui. Aussi incongru que cela puisse paraître, je le refaisais, là, donnant l'entière décision de la suite des choses à une inconnue, une tueuse et potentiellement une bannie. En second, cette prise de parole permettait de lui montrer que je désirais en faire une alliée, ou à tout le moins de lui montrer que je lui faisais confiance. Bannie ou non. Étais-je idiot de me reposer ainsi sur elle ? Peut-être, mais j'avais encore plus peur de la solitude. À mes yeux, elle était aussi horrible que la faim et le froid. En troisième, je cherchais aussi à la faire réfléchir pour gagner quelques précieuses secondes pour terminer de me dévêtir.

Alors que j'avais toujours été face à elle, je me retournai pour enlever mon pantalon. Gardant ma cape dans les mains, je m'assis au sol, face à la flambée, déposant cette dernière sur mes jambes comme un pagne. Ainsi, elle sécherait et permettrait de me couvrir un moindrement. Je n'étais pas comme ma sauveuse-tueuse. J'étais incapable d'être complètement détaché de l'idée de me retrouver complètement dénudé. Je pouvais jouer l'indifférence, mais pas la revêtir complètement. Perdant mes yeux dans les flammes, de biais à ma vis-à-vis, je finis par lui glisser un petit regard. "Ta blessure te fait mal ? Il faudrait peut-être penser à chang..." changer le pansement, oui. J'aurais peut-être dû y penser avant de me déshabiller complètement et de me couvrir de cette cape de femme qui me couvrait. Soupirant je fis comme si de rien n'était. De toute façon, elle risquait aucunement de me rendre sa dague pour que je puisse couper des lanières dans ma "couverture". Je me pensais donc sauf. " Veux-tu que je regarde ?" Après quelques secondes de silence, je préférai me corriger en fronçant les sourcils. Je n'étais aucunement gêné du possible double ton de mes propos, mais je voulais éviter de me voir adjoindre des idées peu chastes que je n'avais pas eues. "Je parle encore de la blessure. Rien d'autre."
Revenir en haut Aller en bas
Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptySam 20 Juin 2020 - 1:21


Bernadette. Je n’avais pas pu m’empêcher d’afficher un sourire sur mes lèvres, alors que mon regard avait suivi son vagabondage, puis la pâleur de son visage en observant la morsure. J’ignorais qui il était, je ne parvenais pas encore à définir s’il était dangereux ou non à mon égard. Mes doigts étaient venus effleurer le bandage, alors que mes lèvres se pinçaient avant de se faire malmener par mes dents. Difficile de condamner celui qui m’avait sans aucun doute sauvé la vie. Cette constatation, je ne la formulais pas à voix haute, non, je laissais une main rester sur la blessure, alors que l’autre réajustait légèrement la fourrure sur mon dos, sans qu’il ne soit question un seul instant d’un mouvement de pudeur. Je ne peux m’empêcher de l’imiter, roulant une épaule, puis l’autre, dans un geste qui fait glisser légèrement la peau de bête. Il continue de parler, ça me laisse le temps de m’habituer à sa voix et sa présence. Moi je ne bouge pas, vient placer ma main gauche sur ma blessure, mon bras passant su mon ventre presque dévoilé et la main droite au niveau de l’épaule gauche pour maintenir ma couverture improvisée. Je ne peux m’empêcher de rire alors qu’il évoque l’odeur de mes pieds, j’ai déjà vu plus charmant comme homme.

- « Et encore, ce n’était que l’odeur de mes pieds, tu n’as pas senti le reste » fis-je sans trop savoir moi-même de quel reste je parlais. Était-ce aussi un moyen de le dissuader d’entreprendre quoi que ce soit.

Il était peu convaincant dans sa manière de paraître détaché, alors que peu de temps avant, j’avais senti ses yeux caresser la moindre parcelle de ma peau dénudée. Comment lui en vouloir ? Il avait fini par se redresser et je suivais chaque geste avec une minutie non feinte. Derrière les vêtements, j’essayé de définir sa corpulence, sa force. Une seule question semblait se bousculer dans ma tête : « qui était-il ». Il prétend savoir se contrôler et une nouvelle fois je roule une épaule, puis l’autre, toujours un fin sourire sur les lèvres. Je me gratte une jambe du pied opposé, tenant en équilibre tout en grimaçant de douleur à cause de la décharge qui traverse mon corps. C’est peut-être à cet instant que je remarque que ma plaie n’est pas l’unique souvenir que je garde de notre petite balade en convoi. Super des nouvelles égratignures marques et petites cicatrices en perspective !

- « Tu devrais pourtant… » soufflais-je bras croisés « Enfin, j’parle pas du contrôle, mais quand lorsque le corps est froid c’est un bon moyen de se réchauffer » je pince les lèvres « Dommage, pour le couic moi qui avait faim justement »

Moi je reste immobile, alors que lui va vers le coffre, les rôles s’inversent, je n’ai pas grand-chose à observer, hormis son dos, sa manière de se tenir, de mâcher. Il me montre un doigt et l’associe à ce chiffre cinq, je ne sais pas trop pourquoi, mais je veux bien croire qu’il sait compter, lui. Alors, j’essaie de mémoriser, d’ailleurs, je ne peux m’empêcher de regarder mon doigt tout en me répétant : cinq. C’est quelque chose que je pourrais apprendre aux autres, peut-être. Ma conscience me laisse entendre qu’il se fou de moi, parce que dans ma mémoire, quand je devais égorger deux poulets, ce n’était pas ce geste que me montrait monsieur. Je fronce les sourcils. Quoi qu’il en soit, je secoue la tête négativement, par deux fois. Non, ce n’est pas un numéro, mais simplement du bon sens, savoir si je suis une bannie, est-ce que cela a vraiment de l’importance.

- « Ca » fis-je en lui montrant un doigt « C’est vraiment cinq ? » demandais-je avec lenteur « Sinon non, c’est juste de la survie, tu sais ce que deviennent les mordus, hein ? » dans le fond j’ai un doute, mais je ne précise pas l’évidence me semble suffisamment présente pour ne pas avoir à préciser, « Peu importe la tête, le corps, le dynamisme de la personne que tu as en face de toi. Si tu as un doute sur sa survie, il faut la tuer. Sinon… » je glisse un doigt sous ma gorge, en ligne droite, le long de celle-ci, avant de laisser ma tête tomber sur le côté en tirant la langue et imitant un bruit d’agonie. « Est-ce que cela a vraiment de l’importance ? » fis-je finalement « De savoir si ta compagne d’infortune est une bannie ? »

Je ne sais pas pourquoi j’avais vérifié, sans doute parce que je voulais savoir s’il était mordu, donc marqué de ce nouveau symbole. Sa question, elle avait eu le don de me révolter intérieurement, sans que je n’en dise rien, hormis cette fermeture, cette grimace, se presque dégoût. Il me montrait des doigts relevés et je l’imitais, en me répétant 13, toujours avec ce doute étrange. Il était méfiant, autant que moi, avant de m’interroger sur mon bras, je n’avais plus honte de ce que j’étais et même s’il décidait de se jeter sur moi, le bruit d’une bagarre avec ce temps, c’était attirer la fange, j’espère qu’il en avait conscience. Alors j’ai levé le bras, intérieur face à moi avant de le pivoter pour lui dévoiler ma marque, je ne détournais aucunement les yeux, j’avais besoin de savoir, de voir sa réaction. Avait-il peur, était-il comme la plupart à se pisser dessus en imaginant déjà toute les immondices que j’avais dû commettre. Était-ce plus simple ça, que d’imaginer que leur tout nouveau Roi avait pu faire une erreur, n’est-ce pas ?

- « Surpris, alors, heureux ? » tentais-je en roulant des yeux « J’étais là, parce que je devais être là, c’était un convoi avec de la nourriture, je t’apprends quelque chose ou tu sais qu’on crève de faim, dehors ? » soufflais-je « Bon, Étienne, maintenant que tu commences à te dévêtir, tu vas p’tetre me dire toi ce que tu es ? Ta la peau lisse, les fesses tout pareil j’suis certaine… Alors quoi, tu as fait le mur pour prouver à papa et maman que tu étais grand et fort ? »

À vue de nez il n’est pas beaucoup plus vieux que moi, je crois, j’en sais trop rien, je sous-entends plus que c’est un p’tit bourgeois qui avait voulu s’faire peur, jouer les gros bras, p’tetre un cadet d’une famille noble qui a survécu à tout ça. Je n’en sais rien. Je finis par me déplacer, récupérer dans le coffre un nouveau morceau de viande séché, sacrément séché d’ailleurs. Je mastique davantage en pivotant vers lui, venant m’installer sur le coffre que je referme d’une main, cette position n’est pas la plus agréable si bien que je sens mon ventre tirer dans une violence non négligeable. Je viens appuyer du bout des doigts sur la plaie bandée en me penchant légèrement, retenant une quinte de toux avant de cracher un filet de sang. Fais chier. Je ne peux que m’essuyer le coin des lèvres d’un revers maladroit, mon visage a dû pâlir et je sens la totalité de mon corps frémir. Il me parle de la suite du plan, je crois, je ne suis pas certaine de comprendre, je me sens fiévreuse soudainement. Je bouge légèrement les épaules, le dos, tout en grimaçant. Fais plus que chier.

- « J’sais pas » soufflais-je « Tiens, met ça, si être à poil te dérange, j’voudrais pas trop voir tes fesses pâles si toutefois tu décidais de faire tomber le bas, une horreur par jour, ça me suffit. » fis-je en retirant la peau de mon corps en me relevant pour lui déposer sur la tête.

Je suis debout, devant lui, entièrement nue sans que cela me semble être outrageant. Faut dire qu’après avoir été abusé, traîner dans la boue, torturée… Ce genre de choses devient soudainement presque banal. Pour éviter de le gêner, je viens extirper du bout des doigts la cape, tirant dessus avec un demi-sourire.

- « On échange tu veux ? » j’ai déjà la cape en main de toute façon et je l’enroule déjà au-dessus de ma poitrine et au ras de mes fesses « Allez tout nu Arthur, tu serais encore capable de tomber malade et faudrait que j’te surveille toute la nuit, la main sur la bouche pour éviter tes hurlements de mauvais rêves tout droit envoyés par Rikni »

Je suis dos à lui, avec sa cape autour de moi, face au feu. J’ai la tête qui tourne par instant et je comprends que j’ai trop forcé, en même temps… Avec un trou dans le ventre, ce n’était peut-être pas l’idée la plus lumineuse. Alors je me suis allongée, les pieds pas loin des flammes, le dos bien à plat et je regarde le plafond, alors que je perçois ses mouvements au-dessus de ma tête, un peu plus loin. Il me proposait de me regarder, regarder quoi au juste ? J’ai penché la tête en arrière, pour avoir cette vue étrange de lui, en contre-plongée. Venant placer mes mains sur mes yeux, je ne pouvais que venir le provoquer à demi-mot, les doigts écartés pour laisser ma vision s’entrevoir, alors que je faisais mine d’être terriblement dérangée.

- « Cachez donc cette boule que je ne devrais voir…. » fis-je dans un pouffement qui provoqua bien évidemment une nouvelle quinte de toux ensanglantée « Je ne vois rien, je ne vois rien » assurais-je peu de temps après en levant les mains vers le ciel « J’voulais juste voir si tu étais vraiment gêné ou si j’me faisais des idées, j’ai ma réponse. »

Je laisse un soupir fuir mes lèvres, la paume de ma main vient toujours appuyer sur l’ensemble et mon visage se crispe à certains moments. Il me fait trop rire, c’est de sa faute. Quoi qu’il en soit, je viens tortiller mes orteils non loin du feu et ça me soulage, c’est agréable.

- « Bon… Édouard, Henri, Bernard ou que sais-je… » murmurais-je « Tu préfères que je te nomme comment ? De mon côté tu n’as cas m’appeler… Isadora » Isadora c’est mignon et si j’ai un peu trop fièvre et que je divague, le début ressemblera suffisamment à mon vrai prénom pour me faire réagir.

Des frissons, j’en ai dans tout le corps, il était de toute façon peu probable que mon guérisseur improvisé parvienne à éviter les inconvénients de ce type de blessures. Je suis d’ailleurs surprise du résultat, je ne sais pas si c’est une première, mais, penser à chauffer une lame ce n’est pas donné à tout le monde. Par contre ça abîme la dague et la mienne n’était déjà pas de très bonne qualité. En l’air, je lève mes mains, c’est ce que je nomme faire un inventaire de soi-même. Tu vérifies chaque parcelle de ta peau pour t’assurer d’être en état. C’est essentiel après une attaque, une blessure, un combat où je ne sais trop quoi. J’ignore ce qu’il doit savoir de tout ça lui, déjà pour sortir sans aucune arme… Je me souviens de sa question, de sa demande plutôt ce qu’il fallait faire. Je ferme les yeux, me tortille légèrement sur place, j’ai soif.

- « On va récolter de l’eau de pluie, pour boire et se laver, je pense que l’odeur du sang peut attirer les bêtes et je ne parle pas nécessairement de la fange. Il faut voir pour fabriquer des pièges, on a pris de la nourriture ici, il faut la remplacer. » je pince les lèvres « Aussi agréable soit ce feu, il faut l’éteindre, parce que la fumée malgré la nuit peut attirer. Tu es plus en état que moi, mais sans vouloir te vexer, j’ai bien peur que si j’compte sur toi pour me sauver, j’ai autant me planter tout de suite. »

Je ne plaisante qu’à moitié, les hommes sont toujours plus débrouillards que les femmes, la plupart découvrent les armes par obligation. Moi c’était un peu différent, mais sans Cécilia, je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui. Il me fait penser un peu à moi, au début. Est-ce que c’est pour ça que je ne le tue pas ? J’sais pas trop. Je garde mes pensées pour moi alors que j’ouvre les yeux, avisant le toit, j’ignore ce qu’il sait faire ou ne sait pas faire et ça va rapidement devenir une priorité. J’ai ramené mes mains contre mon corps, le moindre mouvement que je fais semble être si lourd que j’ai quelques difficultés.

- « Bien, comme je t’ai sauvé, parce que je t’ai sauvé n’est-ce pas ?! » cette maison, le convoi, c’est moi, juste moi, bon, peut-être pas, mais je refuse de lui dire que je suis incapable de bouger « Tu vas regarder si tu trouves deux récipients quelques parts par-là » fis-je en bougeant les doigts dans une direction « Tu vas pousser la pierre, écouter. Tu sais faire ça ? La nature elle parle, si la nature ne parle pas, c’est qu’un danger n’est pas loin. Si il y a du bruit, peu importe le bruit –bon sauf un gémissement fangeux, un hurlement humain-, tu peux sortir, tu récoltes de l’eau et tu reviens. Tu ne t’éloignes pas de la proximité de la maison. Tu en profites pour regarder dehors, en l’air si la fumée est beaucoup visible ou pas, avec la pluie, il est possible qu’on puisse garder encore un peu le feu… »

Je parle trop, j’ai la gorge sèche, mais j’ai la sensation qu’il faut au moins ça pour qu’il comprenne. Pas que je le prenne pour un idiot, non, il me semble plus intelligent que moi, mais pas en survie. Je repenche la tête en arrière, je l’avise un long moment cette fois-ci silencieuse. Ma main vient appuyer sur ma prochaine cicatrice, est-ce qu’il a conscience du reste ? De la nuit qui nous attend, de la pluie, du froid, des fangeux qui vont roder ? Je ne suis pas plus certaine que le reste. Et demain ? Je ne suis pas une nourrice moi, c’est bon, j’ai déjà donné. J’ai l’impression que lui aussi il lui faut une récompense pour travailler.

- « Si tu fais ça bien, j’te laisse regarder, ça te va ? » je laisse volontairement le double sens, comme il a su le faire précédemment. Et maintenant ?

Revenir en haut Aller en bas
Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyDim 21 Juin 2020 - 22:53
[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] S69r

En ce jour, j'avais connu le chaud et le froid à plusieurs reprises.

Tout d'abord, il y avait eu la pluie et le vent qui avait amené le froid. Fourbes opposants et fidèles associés du mauvais temps, l'une s'était abattue avec force, tandis que l'autre avait soufflé sans relâche. Ensuite, il y avait eu la chaleur qui avait fait son apparition. Plus faible et plus ténue, cette dernière n'avait pas moins été présente au travers de la flambée que j'avais réussi à démarrer une fois la chaumière ralliée. Bien que nous restions aussi trempés que nos frustes frusques, après les malheureuses frasques de notre convoi, la flambée semblait à même de nous réchauffer quelque peu. De détrempé, nos vêtements étaient devenus trempé. De trempé, ces derniers étaient devenus humides.

Or, de nouveau, le froid était revenu. Moins souffrant et douloureux que précédemment, ce dernier n'en restait pas moins tout aussi mordant et incisif. Fluctuant par intermittence, il disparaissait rapidement, laissant place à la chaleur, avant de revenir en force m'étreindre à bras le corps. Ici, il n'était pas question du mauvais temps, mais bien d'un élément qui me faisait à la fois ressentir une appréhension toute polaire, puis un réconfort tout solaire. De quoi suis-je en train de parler ? Et bien...

Du fait que ma compagne d'infortune soufflait le chaud et le froid sur mes sens.

Premièrement, la vision de sa blessure par flèche m'avait fait ressentir le froid de la mort qui planait, là, au-dessus de notre étrange duo. Puis, bien que réveillé d'une bien fâcheuse manière, le savoir assez en forme pour pouvoir plaisanter de la sorte m'avait baigné dans une douce chaleur qui provenait de l'apaisement. Deuxièmement, son manque de pudeur m'avait voué à une chaleur tirant sa provenance de ma gêne. Puis, la découverte de ses balafres et stigmates de la torture qu'elle avait subie m'avait glacé jusqu'au sang.

Or, en cet instant, tout cela était dernière nous. Était-ce la fin pour autant de cette dualité entre le glacial et l'ardent ? Aucunement, alors que désormais, c'était plutôt ses mots qui m'écartelaient entre le chaud et le froid et me rendaient ambivalent à son égard. Pourquoi ? Car je l'appréciais autant qu'elle me rebutait. Je la voyais comme ma sauveuse, mais aussi comme une tueuse. Je la pensais généreuse, puis en l'espace d'un instant elle me semblait plutôt égoïste. Qu'était-elle ? L'un ou l'autre ? L'un et l'autre, peut-être ? Dur à dire. Toujours est-il que j'étais mitigé et incapable de décider ce qu'elle me faisait ressentir le plus fortement...

la chaleur de la candeur ou la froideur de la noirceur ?

◈ ◈ ◈

Lorsque ma vis-à-vis me mentionna que l'odeur de ses pieds était nettement moins horrible que le reste, j'ouvris la bouche, interdit. Puis je finis par la refermer précipitamment en ayant peur d'avoir l'air idiot. De quel "reste" faisait-elle mention ? Parlait-elle de...? Non, non et non. Elle devait encore se moquer de moi. Oui, voilà ! Et puis, pour imaginer une pestilence pire que celle de ses orteils, orteils qu'elle, je vous le rappelle, avait agités sous mon nez, il fallait réellement qu'elle ne se soit pas lavée depuis des lustres ! Ayant eu le temps de la détailler (je ne dirais aucunement de la contempler. Je m'y refuse !) de haut en bas, elle me semblait tout de même propre de sa personne. Enfin, un moindrement. Enfin, un moindrement en sachant ses conditions de vie et le temps dehors. Bref, là n'est pas l'important. D'ailleurs, je passe beaucoup trop de temps à élaborer sur son physique. De sa silhouette à ses blessures en passant par ses pieds, j'ai plutôt fait le tour de sa personne... non ? Dès lors, autant passer à autre chose. Vous ne m'y reprendrez plus à la décrire, voilà !

Lorsqu'elle mentionna que la promiscuité était un bon moyen pour se réchauffer, je secouais la tête. Plaisantait-elle ? Elle me menaçait de perdre une partie plus qu'importante de mon anatomie si je m'approchais et maintenant elle me mentionnait que c'était possiblement une bonne idée de venir en contact avec son corps et sa peau ? Vous comprenez désormais ce que je veux dire lorsque je mentionne qu'elle soufflait aussi bien le chaud que le froid ? Toujours est-il que je ne prendrais pas le risque de l'approcher. Puis, je préférai ne pas trop réfléchir lorsqu'elle mentionna qu'elle avait faim et que c'était dommage pour ce que nous avions tous deux baptisé "couick". Plaisantait-elle ? Que voulait-elle dire par là ? Pourquoi à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche, elle me faisait avoir plus de questionnements que de réponses à l'esprit ? Par l'impie Trinité, elle était si dure à suivre ! Elle m'amenait vers des sommets vertigineux, avant de plonger dans un ravin en un éclair, au détour de la conversation. Tout ce que je lui offris fut en soupir. J'avais mal à la tête. Mais était-ce à cause d'elle ou de ma blessure ? Un peu des deux, sans l'ombre d'un doute...

Debout, je me dirigeais vers le coffre pour trouver le courage de me dévêtir et pour me sustenter. Par mimétisme, je tentais de manger comme elle, de déglutir comme elle, d'ouvrir la bouche -peut-être un peu trop grandement- comme elle. Pourquoi ? Parce que j'avais l'intime conviction qu'il n'était pas le temps pour moi d'être reconnu comme un ancien nanti de la haute-société du Morguestanc. Lorsqu'elle me demanda si un doigt levé représentait véritablement le chiffre cinq, je souris énigmatiquement et peut-être un peu malicieusement. Son questionnement me permit de la cerner un peu plus. Elle n'était pas idiote, alors qu'elle arrivait à réaliser que je lui mentais et me moquais d'elle. Elle manquait simplement d'éducation. Et surtout, de manière quant au regard de son manque de pudeur !

Finissant d'avaler mon maigre repas qui me semblait tout de même un véritable festin, je m'approchai d'elle lentement. Je ne me mouvais aucunement doucement pour ne pas l'effrayer. Après tout, je ne semblais aucunement en mesure de le faire. Désarmé et plutôt rachitique, je ne représentais pas réellement une menace, même pour celle qui était blessée. Non, j'avançais de la sorte pour éviter qu'elle ne recule ou ne me menace de sa dague. Arrivé face à elle, j'attrapais sa main. Du moins si elle me le permettait. Si cela n'était pas le cas, je lèverais la mienne pour la mettre devant son visage. "Ça, c'est un." Dis-je en levant son -ou mon- index. Puis, gardant son index dressé, je fis de même un à un avec les quatre autres doigts restants. "Ça, c'est deux. Trois. Quatre, et finalement cinq." Une fois que cela fut fait, je laissai tomber ma main. Or, si j'avais été en mesure de le faire avec ses doigts à elle, je vins frapper doucement ma paume dans la sienne pour la féliciter. Évidemment, je fis attention pour ne pas faire trop de bruit. Je ponctuai mon geste d'un clin d'œil. "Et voilà, Lucille. Tu sais maintenant compter jusqu'à cinq. Bravo ! "

Me reculant finalement, je retournai vers le coffre pour faire ce pour quoi je l'avais approché. En l'occurrence, pour me dévêtir. Lorsqu'elle me mentionna les mordus, je hochais la tête. Évidemment que je le savais. Mais, y avais-je pensé ? Pas le moins du monde... me salir les mains d'un meurtre ne me venait pas à l'esprit aussi facilement qu'elle. Devrais-je devenir comme ma sauveuse-tueuse pour vivre ? Délaissant pour un temps les boutons de ma tunique, je levais ma main devant mon visage. Celle-là même qui avait potentiellement tenu ses doigts. Elle n'avait pas des mains de tueuse. Ces dernières ne dégageaient rien d'horrible ou de meurtrier, si ce n'est qu'elles étaient froides. Très froide. Trop froide, peut-être ?

Nous en vînmes finalement sur le sujet du bannissement. Était-ce réellement important ? Pas tout à fait. En un sens, bien que je ne le sois moi-même aucunement, je ne valais guère mieux que ceux-ci, forcé à fuir la justice pour conserver ma vie. Toutefois, un élément me rendait quelque peu hésitant concernant ceux qui portaient la marque. Non pas leur situation précaire dans ce monde sur le déclin, mais plutôt les causes et les raisons de leurs condamnations. Devais-je craindre pour ma vie si le bras armés du despotique roi de Marbrume avait décidé de la bannir ? Était-elle une meurtrière de sang-froid, une véritable aliénée qui finirait pas m'assassiner dans mon sommeil ?

Finissant par hocher la tête, je m'appuyai sur le coffre et lui fit face, la regardant dans les yeux, quasiment pour la première fois, moi qui avait l'habitude d'éviter les regards des autres." J'ai besoin de savoir si ma compagne d'infortune peut être un danger pour moi." Puis levant une main, pour lui dire d'attendre et pour me corriger un moindrement. "Je n'ai pas oublié que tu m'as sauvée. Mais je ne sais pas pourquoi tu l'as fais. Je n'arrive pas à comprendre comment..." Le mot se bloque dans ma gorge. Bon sang, du nerf !"Comment peux-tu tuer de sang-froid l'espace d'un instant, puis sauver ton prochain juste après." Haussant les épaules, je secoue la tête avant de poursuivre, me retournant pour enfin terminer de me dévêtir. " Est-ce important si tu es une bannie ? Pas le moins du monde. Mais devrais-je avoir peur pour ma vie ?" Lui demandai-je en lui jetant un regard par-dessus mon épaule.

Lorsqu'elle me montra sa marque, je hochai la tête, et lui offrit un petit sourire, ainsi qu'une grimace. " Pas trop surpris, non." Dis-je en haussant les épaules. Lorsqu'elle me parla de la raison de sa présence dans le convoi, je gardai le silence. Elle était là pour le voler, alors. Je ne sais pas si l'idée me révoltait ou non. Toujours est-il que je m'étais initié à cette pratique dangereuse. Alors, qui étais-je pour juger ? Lorsqu'elle me manqua de nouveau de respect, me débaptisant -encore- et en me faisant passer pour un enfant à ses parents, je me retournais vivement, la colère au fond des yeux. Colère qui ne resta aucunement présente, disparaissant excessivement rapidement. Que devais-je lui dire sur moi ? Non pas ma véritable identité et encore moins les raisons expliquant ma vie de fugitif. Après tout, je ne voulais pas qu'elle pense que je puisse d'être d'une quelconque valeur pour la milice. De fait, je ne voulais aucunement qu'elle me vende aux hommes d'armes pour une bouchée de pain...

Profitant d'être "occupé" à me dénuder pour ne pas répondre, je continuai ma tâche tout en l'écoutant déblatérer en tout sens. Évitant de la regarder, je ne voyais pas que son état empirait, ou du moins qu'elle perdait ses forces. Puis, voilà que maintenant, de par ses mots, elle s'en prenait à ma physionomie. N'y avait-il rien à son épreuve ? Me retournant pour l'admonester de son manque de civilité, je suis forcé au silence. Oui, j'avais promis de ne plus parler de son corps ou de sa physionomie. Or, il faut me comprendre. En cet instant, cette dernière était tout offerte à mon regard, sans la moindre barrière pour cacher un tant soit peu ce qui devrait l'être. Ouvrant la bouche, l'esprit complètement vide, mon regard retourna analyser ce qui s'offrait à ma vision, suivant les courbes et vallons de sa silhouette. Elle se jouait de moi si facilement...

Soudain, je fus plongé dans le noir, tandis que la peau qui la recouvrait tomba sur ma tête et couvrit mon visage ainsi que mon regard. Profitant de la noirceur pour retrouver un certain contrôle de mes sens, et pour soustraire mon visage rouge pivoine à sa propre observation, je grognai. "N'as-tu aucune pudeur ?" Retirant la fourrure de ma tête, la laissant tomber au sol, je plongeai mes yeux dans les siens, sans faillir ni défaillir. Or, je savais que par mes mots je venais de lui dévoiler à quel point elle me vouait facilement au vice. Comme pour contrebalancer, aussi bien ma pudicité que je venais de dévoiler au grand jour, que ses paroles toujours plus insultantes à mon égard je finis par me dévêtir sans lui tourner le dos. Avais-je perdu ma retenue ? Pas le moins du monde. Or, ma fierté avait été suffisamment bafouée et traînée en terre pour que je fasse preuve d'un peu de zèle. C'était enfantin, mais elle avait été mesquine. Dès lors, qui était le pire entre elle ou moi ?

-"Tu peux bien parler, Lucille.." Grognais-je en lui jetant un regard blessé, réalisant que sa nouvelle tenue n'était aucunement mieux que la dernière, sinon pire.

Je finis par trouver assis à sa droite, proche du feu. Je levais mes doigts suite à son énumération des noms. "Édouard, Henri ou Bernard... ça fait combien de noms, ça, Isadora ?" Dis-je dans un sourire. Sur une autre note, je savais que ce n'était pas son véritable nom. C'était une évidence." Tu peux m'appeler..." Je prenais le temps de réfléchir, cherchant le nom qui serait une couverture idéale. Puis, frappé d'un éclat de sagacité je claquai des doigts. "Tu peux m'appeler Alphonse, tiens !" Sur le coup, je trouvais que c'était une bonne idée de laisser penser que je ne lui donnais pas mon véritable diminutif. Ainsi, elle chercherait à percer les mystères d'un faux nom qui était en vérité mon véritable patronyme. Ingénieux, hein ? Pour l'heure, c'est ce que je pensais. Puis, fronçant les sourcils et tournant la tête à droite, puis à gauche, je lui posai une question: "Ai-je le visage d'un Alphonse ?".

Par la suite, je ne pus éviter plus longuement l'une de ses précédentes questions. Qu'étais-je ?"Je ne suis pas un bannis à proprement parlé, mais je suis recherché pour un meurtre que je n'ai pas commis." Dis-je en haussant les épaules. Me croirait-elle ? Voudrait-elle avoir plus d'information ? Allez savoir...

L'écoutant parler, dresser le plan de ce qui allait suivre, je hochais la tête, fronçant les sourcils par intermittence. Était-ce réellement une bonne idée, tout ce qu'elle me dit ? J'étais un peu hésitant concernant l'impératif déteindre le feu. Mais je savais qu'elle parlait en connaissance de cause, et que mon doute prenait racine dans le confort de la chaleur qui se diffusait devant nous. Tel un bon soldat, je me leva et me dirigea vers l'endroit qu'elle me désignait. Mon habitude de suivre les "ordres" refaisait surface. "Tu m'as sauvé autant que je t'ai sauvé !" Lui rappelais-je.

Attrapant une jarre en terre cuite qui n'était pas ébréchée, je me retourna et secoua la tête négativement à la fin de son monologue d'informations. "Me laisser regarder ce que j'ai déjà vu, pour toi, c'est comme une récompense ?" Dis-je en penchant la tête sur le côté, restant arrimé dans cette idée de double sens. De fait, parlais-je de son corps ou de la blessure ? Après tout, j'avais déjà eu la "chance" de voir les deux. Puis, un peu plus sérieusement, je finis par hocher la tête. "Je reviens".

Avant de sortir, dos à Isadora, j'enlevais la fourrure pour éviter de la salir et de la mouiller. Puis, je me glissais à l'extérieur. Mon corps qui se tortillait puis mes pieds furent rapidement en contact avec le sol boueux et glacé de ce mois d'octobre. Restant immobile, je tendis l'oreille, en quête des "bruits de la nature" dont elle avait parlé. Ce faisant, de l'eau qui gouttait du toit vint s'écouler le long de mon échine. Grimaçant, mais me forçant à garder le silence, je me déplaçai d'un pas sur la droite, toujours aux aguets. Finalement, je perçus le piaillement d'un oiseau. C'était bon signe. Avançant de quelques pas, je me retournai pour regarder le toit de la bicoque. Cette fois-ci, je grimaçais. La flambée à l'intérieur dégageait beaucoup trop de fumée dans l'air pluvieux et froid. Secouant la tête de dépit, je descendis rapidement en direction d'un petit ruisseau qui sinuait aux pieds de notre refuge. Me pliant, je mis le contenant dans l'eau pour le remplir. Regardant autour de moi, toujours en quête des sons qui assureraient que nous étions loin de la présence de fangeux, je ne pus m'empêcher de sourire devant l'étrangeté de la situation. Un homme complètement dénudé en train de remplir une jarre...charmant !

Je finis par revenir et rentrer, faisant glisser le contenant avant mon corps. Attrapant tout de suite la fourrure, je m'enroulais de nouveau dedans, claquant des dents et retrouvant la chaleur du foyer. Foyer que je savais que nous devrions abandonner. Mais chaque chose en son temps, non ? "La nature parlait !" Dis-je, peut-être un peu trop fort, tel un gamin heureux d'une nouvelle découverte. Si je lui avais appris à compter jusqu'à cinq, elle venait de m'apprendre un élément crucial de survie. "J'ai de l'eau !" Fier, comme si je revenais avec de la nourriture, j'avançais en levant un peu plus haut ma jarre, avant de m'arrêter et de froncer les sourcils. "Tu vas bien ?" Question futile et idiote. Je réalisais -enfin- qu'elle souffrait. Me mettant à genoux à côté de son visage, je la regardais. Elle me semblait blême et je percevais même une fine pellicule de sueur sur son front. "La fumée est visible de l'extérieur. J'imagine donc qu'il faudra l'éteindre ?" Disais-je en grimaçant. "Mais avant, j'ai le droit de regarder, non ?" Continuais-je sur le ton de la plaisanterie.

Or, je fus rattrapé par la réalité. Elle était enroulée dans ma cape. Cape qu'il faudrait enlever pour atteindre la blessure sur son ventre. Ainsi, elle serait de nouveau complètement dénudée, ou du moins que très sobrement cachée à mon regard. La regardant, je plissais les yeux pour tenter de deviner si tout cela avait été planifié. Ma recherche de réponse fut vaine. En outre, je devais déchirer de nouvelle bande de tissu dans le vêtement pour refaire le bandage de fortune. Déjà affreusement courte, la cape n'en serait que plus courte encore. "Je sacrifie ma seule protection contre la pluie pour toi, Isadora !" Dis-je en tentant l'humour pour cacher mon ambivalence sur la suite des choses. "Je vais avoir besoin de ta dague pour couper des lanières dans le tissu." Continuais-je. "Tu...tu préfères que je... je coupe en haut ou en bas ? Enfin, tu me dira que ça revient au même..."

Au final, si rien d'autre n'était proposé, je fis ce qui devait être fait. Qu'elle enleva la cape ou que je sois obligé de le faire moi-même, j'entrouvris le vêtement pour à la fois être en mesure de regarder la blessure que pour pouvoir couper le tissu. Fronçant les sourcils, je tentai de me focaliser uniquement sur mes tâches à venir. Plus facile à dire qu'à faire, alors que je n'avais jamais été aussi proche de... enfin. Si jamais elle ne m'offrait pas l'arme pour une quelconque raison, je finirais par déchirer le tissu à l'aide de mes doigts -et au besoin- de mes dents. Ce ne serait guère droit, mais cela vaudrait mieux que rien. M'attelant finalement à enlever le premier pansement, je vis qu'elle avait des frissons. Ce n'était pas normal alors que je trouvais qu'elle dégageait énormément de chaleur. "Ça ne saigne presque plus." Lui dis-je pour l'encourager sans la regarder, sachant que je ne voulais pas détourner mon regard de ma tâche. Je ne savais pas trop quoi faire ou que dire d'autre pour l'aider et le silence me rongeait aussi sûrement que sa nudité. Pour briser cela, je tentai de renouer de nouveau avec l'humour. "Je ne sais pas ce que tu désignais comme le reste précédemment, mais si ce n'est de tes pieds, tu ne dégages pas une mauvaise odeur." Puis, fronçant les sourcils, tandis que je voulais éviter qu'elle pense que je disais qu'elle avait une charmante odeur; "Je ne dis pas non plus que tu sens la rose !"

Prenant un peu d'eau dans le creux d'une main, je lui aspergeai la blessure. Par après, je lui offris un avertissement. "Attention, elle est peut-être froide." Finalement, satisfait de ne plus voir de trace de sang trop importante, je m'apprêtais à refaire son pansement. "Crois-tu être en mesure de te redresser un peu ?" Je devais après tout enrouler le tissu autour de sa taille, alors... Qu'importe la méthode ou la manière, je devais avoir fini par réussir. Me laissant tomber sur les fesses, je soufflai, épuisé. Non pas réellement par la tâche, mais plutôt par l'impératif de rester concentré sur la plaie que sur le reste de sa personne. Certes, mais yeux étaient partis voguer quelques fois dans la mauvaise direction, mais pas trop souvent, à mon humble avis. "Veux-tu un peu d'eau ?" Moi-même j'avais la gorge sèche. Mais par politesse, je lui en offrais en premier.

Enfin, après l'ensemble de cela, il était temps de penser à éteindre le feu une bonne fois pour toutes. Me relevant, j'étouffais les flammes pour ne plus laisser qu'un lit de braises. J'avais l'impression de tuer de mes mains ce qui nous maintenait en vie. En l'espace d'un instant, la chaumière refroidit drastiquement. Était-ce la réalité ou mon esprit blessé par la perte de chaleur qui me jouait des tours ? Finalement, je retrouvai assis à côté d'Isadora, tel le garde-malade (ou la mère) que j'étais devenu. Inquiet de son état, je meublais le silence avec une pluie de question. "As-tu encore soif ? Ou faim peut-être ? Es-tu confortable ? As-tu froid ?" Ma dernière interrogation me força au silence. Évidemment qu'elle devait avoir froid. Dès lors, que devrais-je faire si tel était le cas ? Ce qu'elle avait mentionné alors que j'étais encore vêtu ? D'ailleurs, de quoi avait-elle voulu parler plus précisément ? "Si je m'approche pour tenter de partager un peu de chaleur, dois-je encore avoir peur pour mon entrejambe ?"

Comme il fut dit, depuis ma rencontre avec cette bannie, tout tournait autour de l'idée du chaud et du froid. Cette fois-ci, le froid était de nouveau là, alors que la chaleur avait disparu avec le feu. Ainsi, je me demandais. Qu'elle serait la finalité de tout cela ? S'inscrirait-elle dans une douceur chaleureuse ou dans une morsure polaire ?

Allez savoir...
Revenir en haut Aller en bas
Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyDim 30 Aoû 2020 - 15:32


Je savais compter jusqu’à cinq, je n’étais pas peu fière et ainsi installer sur le dos, je ne pouvais que me répéter en boucle les éléments. Un, deux, trois, quatre, cinq… Je déroulais au fur à mesure mes doigts indiquant le bon nombre. Lui… Il était sorti et moi, je me concentrais sur ma respiration, sur la sensation de ses doigts sur ma peau, un instant, un infime instant le temps de m’enseigner une chose que je devrais juger inutile, mais qui me fascine. J’ai mal sans vraiment avoir mal, je ne peux m’empêcher de laisser mes doigts courir le long du bandage. Mes orteils continuent de se dandiner au rythme que je leur impose non loin des flammes, alors que toute mon attention et sur l’extérieur, sur ses mouvements, sur ce que je peux percevoir malgré l’épaisseur de la pierre. Je déglutis plusieurs fois, de nombreuses fois, j’ai soif, oui, et je n’ai même pas envie de pisser. La pisse ce n’est pas ce qu’il y a de meilleur, mais ça fait l’affaire de temps. Je ne peux m’empêcher de pincer mes lèvres, de respirer fort. Des regrets ? J’en ai déjà, un débutant lâché ainsi à l’extérieur, si un fangeux débarque, même un raton laveur, j’suis certaine qu’il ne ferait pas le poids. Fais chier.

- « Princesse ? » soufflais je mâchoire contractée, ne parvenant pas à me souvenir de son prénom initial, ou de son faux prénom. Alphonse. Oui c’est ça.

Offrant une grimace, je me souvenais de sa question, celle à laquelle je n’avais pas répondu, est-ce que cela lui allait bien ? Difficile à dire. Je tentais de me déplacer légèrement, de me redresser au moins, alors que j’avais déjà la sensation qu’il était parti depuis une éternité. Je me consolais en me répétant que je l’aurais entendu hurler, à défaut se faire déchiqueter s’il avait fait une mauvaise rencontre… Un blaireau… L’idée me fit sourire, je l’imaginais volontiers se figer, tremblant de peur devant la moindre bestiole, oui… Alphonse ça lui allait bien finalement. Je me souviens de la conversation, je me concentre sur toute cette conversation que j’ai gardée en silence. Je n’ai répondu à rien, ni cette idée de danger, ni cette identité, ni son potentiel meurtre dont il est innocent. Chez nous, on ne parle pas de tout ça, je ne sais pas les méfaits de mes camarades, on ne connaît pas les miens, c’est notre règle. Parfois les rumeurs sont pires que la réalité, parfois pas… Parfois. Je ne peux que retenir une nouvelle toux. Je ferme les yeux, alors que les bruits m’indiquent qu’il est de retour, je penche légèrement la tête en arrière, celle qui est à la fois si lourde et si douloureuse, mais qui ne parvient pas à se taire juste un instant. Il parle et je l’écoute, sans percevoir le moindre mot, du moins en partie, parce que je comprends à son regard qui s’illumine qu’il a réussi, qu’il a entendu.

- « Pas aussi folle que ça, la bannie hein ?! » soufflais-je en grimaçant.

Je réalise sans doute à cet instant qu’il voit, je ne cherche pas nécessairement à le dissimuler plus que de raison. On est dans la même cachette, dans la même merde. Je laisse mes doigts courir un instant sur ses doigts alors que je lui ai tendu ma dague. Il sait, je sais. Ça ne m’amuse plus vraiment alors que des perles de sueurs viennent dégouliner parfois de mon front. Pourtant ma priorité n’est pas autour de ma blessure, mais plutôt de sa tête, de sa découverte et son niveau de survie, alors je l’arrête dans ses mouvements, j’enroule mes doigts autour de son poignet pour l’empêcher de sacrifier le tissu, de s’atteler à la tacher. Je suis fatiguée et alors ? Si là, je dors… Et que lui ne sait pas survivre ? Qui va nous maintenir en vie, me maintenir en vie ?

- « Attends… » soufflais-je en tentant de me redresser avec difficulté « Petit coquin, tu ne pensais qu’à regarder n’est-ce pas ? » tentais-je dans un clin d’œil « Tu as bien remis la pierre ? » demandais-je sans parvenir à pivoter pour vérifier « Tu sais écouter alors ? » revenais-je vis-à-vis de la nature « Tu deviens un homme, Alphonse ! » tentais-je avec une pointe d’humour « Je ne sais pas si ça te va bien… Mais, tu peux m’appeler Isa’ c’est plus simple, non ? Va pour le bas…. »

J’ai relâché son poignet, pour le laisse faire, tout en me tortillant au besoin pour lui laisser l’espace de réaliser. Quand je ne maîtrise plus les choses, je suis plus nerveuse, je sens mon ventre qui se dégonfle et gonfle plus rapidement, je sens ma peau devenir plus humide, je sens ses doigts parcourir le bandage pour le retirer et vérifier et son regard qui bascule d’un point à un autre. Je suis immobile, je ferme les yeux par instant, j’attends que le temps passe, j’attends, exactement comme auparavant, quand trop faible j’étais incapable de me défendre, quand mes sanglots venaient trouver écho sur les parois de la geôle, oui… Comme avant. Rien ne change jamais vraiment, n’est-ce pas ? Il me dit que cela ne saigne plus et je ne peux m’empêcher de rire… Il ne sait pas quoi regarder n’est-ce pas ?

- « Un débutant dans tout ? » questionnais-je avec lenteur… « Le saignement ne fait pas tout… Il faut sentir et toucher… Est-ce que ça sent mauvais, est-ce que c’est dur ? » un instant ma tête c’est légèrement relevé, pour le fixer, l’empêcher ne serait-ce que de songer à autre chose que ma blessure.

Je glisse mes doigts sur les siens, je viens tapoter autour de la plaie, je glisse ses doigts sur le rugueux de la brûlure, puis sur le pourtour, j’appuie légèrement toujours mes doigts sur les siens. C’est souple, ça me rassure presque immédiatement. Est-ce que c’est rouge autour ? Je relâche sa main, je prends une inspiration, puis opine à sa demande… Il peut refaire le bandage, j’inspire, j’expire.

- « Après…une attaque, une blessure, en fonction de la fatigue, on peut rentrer dans un état… de choc. » Soufflais-je avec lenteur « Il faut vérifier la peau, si elle est souple ou dure, si c’est rouge ou non, si un liquide s’échappe de la blessure, s’il n’y a rien de tout ça, alors c’est juste le conte coup du choc sur le corps. »

J’opine à plusieurs reprises, le laisse éclabousser la blessure, le contact de l’eau sur ma peau me fait frissonner et me tire un soupir que je ne parviens pas à retenir. Je me laisse retomber un instant sur le dos, me tortillant légèrement tant je ne sais comment me mettre pour soulager un peu le sentiment de douleur désagréable qui ne se décolle pas de ma peau. Je me redresse en déposant une main sur son épaule pour le laisser faire le bandage, puis, je me laisse retomber sur le dos, non sans venir me recouvrir comme je peux avec le restant de cape. Je n’en oublie pas de récupérer ma dague non plus. Je l’avise un instant lui, et son envie de boire, je secoue la tête négativement, on ne change pas une équipe qui gagne. Je ne sais pas ce qu’il a mis dans l’eau de pluie à l’extérieur, je ne boirais pas la première.

- « Tu peux vas-y » grognais-je sans m’en apercevoir « j’en prendrais après… »

Bien évidemment, quand il boit je ne peux m’empêcher de le dévisager, mais une fois rassurée de ne pas voir la moindre trace de plante, je viens récupérer l’ensemble pour avaler une gorgée, puis une seconde. Je ne bois pas plus, parce que j’économise. La pluie dehors réalise encore sa danse et sans que je n’ai besoin de lui rappeler, il vient éteindre le feu, nous plongeons dans l’obscurité et dans la fraîcheur de la nuit… Elle s’annonce longue celle-ci, trop peut-être… Atrocement. Sur le dos, je ne bouge pas. Je l’écoute se mouvoir, chercher à faire la conversation, m’interroger sur ma faim, ma soif, ma fraîcheur… Il est là, trop proche, comme si il était mon garde malade. Cette fragilité est désagréable, si bien que je ne peux pas m’empêcher de lui mettre un coup sur la jambe, sans trop de force, mais un coup quand même.

- « Je ne vais pas mourir » grognais-je une seconde fois « Même si ça t’arrangeait bien, tu aurais de quoi manger. J’te préviens, je n’ai pas bon goût j’ai déjà essayé. » puis je fais silence, je l’observe lui et sa proposition, ou ma proposition précédente, je ne sais plus trop …. « Tu… » .......« Tu ne perds vraiment de temps ! PERVERS ! » soufflais-je dans une tonalité amusée.

Je me suis rapprochée pour venir me blottir contre lui, juste là, tirant à la fois sa peau de bête et MA cape – qui était devenue ma cape à partir du moment où je m’étais enroulée à l’intérieur et qu’il avait en plus coupé dedans, la mienne donc-. J’ai laissé un bras passer au-dessus de son buste, ma tête se déposer sur le haut de son torse, le menton légèrement relevé vers son visage pour le détailler plus en profondeur.

- « Alors heureux ? » soufflais-je en cherchant à le mettre mal à l’aise, laissant mes doigts remonter le long de son torse, cherchant la limite, cherchant à observer la moindre de ses réactions, à le tester « Tu connais nos lois ? » demandais-je en douceur « Ici on n’a pas de passé, on n’en parle pas, je me fiche que tu sois meurtrier ou innocent, comme tu dois te foutre de ce que j’ai fait… Peut-être suis-je la pire des crapules, la meurtrière, la cannibale ou que sais-je… ou bien comme toi une innocente… L’imagination est le pire des fléaux hein ? Comment tu survis, seul ? »

Je penche la tête, puis grimace, je me laisse retomber contre lui, l’effort tirant sur ma blessure, je grimace légèrement, cherche une position plus confortable. Proximité, oui, clairement, je sens sa peau contre la mienne, ma jambe contre la sienne, un sein contre son torse… Je perçois presque sa respiration dans mon oreille qui repose contre le haut de son torse.

- « Si tu ne veux pas répondre, ne mens pas, réponds juste pas… On fonctionne comme ça ici… Il faudra partir au premier rayon du soleil, tu sais ? »

Revenir en haut Aller en bas
Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyMar 8 Sep 2020 - 17:57
[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Dark_f10

Suite à mon expédition à l'extérieur, le froid avait de nouveau pris l'ascendant sur mon être. La chaleur diffuse de la flambée n'était plus qu'un lointain souvenir, sur le point d'être éteinte pour nous préserver d'une malencontreuse rencontre. À la fois frigorifié et trempé, je n'en menais guère large. Certes, j'avais déjà connu le froid du morne hiver dans les Faubourgs. Toutefois, en 24 années d'existence, j'avais plus souvent eu l'habitude d'un foyer et d'une bonne flambée que d'un taudis et d'une brise glaciale. D'ailleurs, cette dernière était un ennemi retors, tandis que le vent du nord s'immisçait entre les interstices des murs pourris de notre refuge. Ma peau déjà trempée subissait cette froideur de plein fouet, tandis que la fourrure dans laquelle je m'enroulais n'était qu'un maigre rempart contre ce belligérant qui nous assaillait sans s'essouffler.

Ainsi, lorsque la chaumière sombra dans le clair-obscur de la fin de journée et du temps pluvieux, alors que les flammes s'amenuisaient et allaient s'éteindre pour de bon, quelque chose se brisa en moi. La part de courage et de motivation qui m'avait fait avancée jusqu'alors s'étiola jusqu'à n'être plus qu'un lointain souvenir. Mon faciès, qui s'était illuminé suite à la découverte des "bruits de la nature" s'assombrit. Je ne sais guère ce qui fut réellement l'élément déclencheur de cette perte de volonté. La prééminence de la mort sur mon existence ? La morsure du froid ? L'obligation d'éteindre le feu ? L'état de ma compagne d'infortune ? Le fait qu’elle soit à la fois ma sauveuse et une tueuse ? C'était dur à dire et difficile à savoir. Probablement que l'ensemble des éléments ne m'aidaient guère à préserver ma volonté. Comme pour faire écho à mon émoi, un coup de tonnerre gronda, bientôt suivi par un éclair qui illumina de sa lumière diaphane notre bicoque durant quelques infimes secondes.

Hochant la tête lorsqu'elle me demanda si j'avais remis la pierre, je finis par soupirer et m'approcher de celle qui était blessée. Qu'importe mon état, je me faisais un devoir d'essayer de l'aider. Or, une question me tarauda tandis que je prenais place auprès d'elle. Aurait-elle fait la même chose, si c'était moi qui me serais retrouvé dans son état ? Aurait-elle jugé que j'étais un fardeau trop lourd à porter ? "Si nos positions avaient été inversées, là, maintenant. M'aurais-tu aidée ?" Je n'avais pas réfléchi, laissant libre cours à mes pensées morose et taciturne. Ouvrant la bouche puis la refermant, je préférai me concentrer sur ce qu'elle me disait plutôt que d'attendre une quelconque réponse. D'ailleurs, mon interrogation n'en méritait pas vraiment une, elle qui avait été prononcée dans un bien ténu filet de voix. Je ne comprenais toujours pas pourquoi elle m'avait sauvé au détriment des autres et comment elle avait pu être aussi meurtrière avec autrui. Je ne savais toujours pas comment la percevoir.

-"Je ne pensais qu'à regarder ? J'ai déjà tout vu, Isadora." Dis-je en haussant les épaules et d'une voix égale. Ma morosité avait cet avantage de me faire paraître désabusé et désintéressé par son côté aguicheur et par sa silhouette que j'avais vu plus que de raison. Évidemment, bien que semblant plus de marbre que précédemment, rien n'avait véritablement changé. Sur une autre note, la bannie m'avait aussi mentionné de l'appeler Isa plutôt qu'Isadora. Or, ayant eu le droit à un "princesse" plutôt qu'à mon diminutif, je faisais l'effort de continuer à la nommer de son faux nom complet.

Lorsque je tentai de prendre les devants, de me montrer utile, mon manque d'expérience criant en survie revint au galop. Même au plus mal, alors que je voyais que sa peau se couvrait d'une fine pellicule de sueur et que son humour s'effritait sous les contrecoups de la douleur, Isadora se rendit compte de ma méconnaissance complète pour effectuer un quelconque soin. "Je ne suis pas un débutant en tout. La preuve, je sais au moins compter." Dis-je en reniflant, me moquant de moi-même et de mon inutilité toujours plus flagrante dans cette nouvelle vie qui était désormais la mienne. L'écoutant, tentant d'apprendre de ce qu'elle me disait, je ne pus m'empêcher de répondre à ses questionnements. "Ça sent moins mauvais que tes pieds." Puis, sa main se glissa sur la mienne. D'abord, j'eus un mouvement de recul, tendu, avant de me reprendre et de me laisser guider. Hochant la tête à la fin de ses explications, je fus satisfait de voir que sa blessure semblait plutôt saine. Du moins, si je me fiais à ce que je venais d'apprendre. Mettant de l'eau sur sa blessure, puis m'attelant à faire un bandage alors qu'elle se redressait et déposait sa main sur mon épaule, se rapprochant ainsi de mon corps et me forçant à enrouler le tissu de MA cape autour de sa taille, je tentai de terminer le plus rapidement possible pour la laisser retomber sur le dos, dans une position qui devait être moins difficile pour elle. Or, fébriles, mes doigts s'emmêlaient à cause de notre proximité. Je dus m'y reprendre par trois fois pour finalement réussir, grognant à chaque occasion où le tissu s'échappait de mes doigts. "C'est fait !" Finis-je par dire, à moitié hargneux d'avoir été aussi long et content d'en avoir terminé.

Lorsque je lui proposais de l'eau et qu'elle refusa, du moins d'en prendre en première, je penchai la tête sur le côté, coulant mon regard au fond de ses yeux. Certes, je ne savais rien faire d'utile. Or, je n'étais pas un idiot et je décelais tout de suite le manque de confiance envers moi derrière sa prise de parole. " J'imagine que c'est une énième leçon que je me dois d'apprendre ? Ou bien serait-ce peut-être l'une de tes innombrables règles ? Ne faire confiance à personne, hein ?" Secouant la tête, plus impacté que je ne l'aurais voulu par son doute envers ma personne, je pris une rasade du liquide cristallin. "Satisfaite ?" Puis, enfin, j'éteignis la flambée, plongeant notre repère dans le noir et laissant l'entière place au froid.

Trouvant assise près d'elle, je commençais à la noyer sous un flot intarissable de questions. Bien malgré moi, j'avais conscience que je recherchais le dialogue, sa compagnie et sa proximité. Pourquoi ? Oui, il y avait une part d'inquiétude pour elle, mais pas seulement. Moi-même j'avais besoin de parler, de ne pas être seul à nouveau. De fait, Isadora était la première personne avec qui j'échangeais plus que quelques mots -ou menace- depuis Mathilde. Ainsi, mon rôle de garde-malade était à la fois pour l'aider elle que pour me secourir moi-même. Était-ce égoïste ? Peut-être. Le coup qu'elle m'offrit sur la jambe me rendit silencieux. Insuffisamment fort pour me faire pousser un gémissement de douleur, ce dernier restait tout de même assez puissant et je ne pus m'empêcher de m'interroger. La cible de son attaque fut mon corps, mais contre quoi se rebellait-elle ? Quelle était la cause de cette agression ?

Finissant par abandonner ce questionnement qui ne trouverait jamais réponse, je l'écoutai mentionner qu'elle ne mourra pas et qu'elle a mauvais goût. Sa dernière tirade semblait farfelue. Or, j'eus l'impression que ce n'était pas réellement une fausse bravade. Oui, ma sauveuse semblait aimer parler à tort et à travers. Mais pour le coup, je ne sais pas pourquoi, cela ne m'étonnerait guère qu'elle se soit déjà retrouvé en proie à une faim dévorante pour s'imaginer manger une partie de son corps. Peut-être était-ce à cause des balafres démontrant les sévices qu'elle a vécut par le passé que je pensais cela. Toujours est-il que j'étais en partie prêt à la croire. "Je suis certain qu'il y a des bonnes parties chez toi..." Dis-je en levant les yeux au ciel, un bref sourire en coin se tarissant à mesure que le silence reprenait ses droits. J'avais conscience que ma prise de parole pouvait être prise et comprise de plusieurs façons différentes. Mais la connaissant un moindrement, je me doutais déjà du sens qu'elle donnera à mes mots.

Je finis par secouer la tête de gauche à droite à de nombreuse reprise à la suite de ses dires lorsque je mentionnais que je voulais m'approcher pour partager un peu de chaleur sans avoir à craindre pour une quelconque partie de mon anatomie. "Tes désirs sont désordres." Proférais-je dans un soupir. "Tu fus la première à le proposer et ça serait moi le pervers ?" Ses mots n'étaient que des propos pour s'amuser à mes dépens, alors qu'elle s'approchait d'elle-même. Soudain, je ne fus plus convaincu que l'idée qui me semblait excellente pour se réchauffer soit toujours aussi bonne, alors que son corps dénudé rentrait en contact avec le mien. Toujours immobile, je sentis sa tête s'appuyer sur mon torse, son bras se déposer au-dessus de mon buste. "Décidément, tu ne fais rien à moitié." Dis-je lentement pour m'assurer que je contrôlais ma prise de parole. Je n'avais jamais imaginé qu'elle se rapprocherait autant. Ou du moins, jamais de la sorte. Pour être tout à fait honnête, je ne savais pas trop comment répondre à son interrogation. Étais-je "heureux" de cela ? "Autant qu'il est possible de l'être dans ce taudis et en ta compagnie." Je voyais très bien ce qu'elle cherchait à faire. Elle renouait avec son jeu préféré; celui de me rendre mal à l'aise. Ses doigts remontaient le long de mon torse, me vrillant à petit feu. Encore une fois, je tentais d'avoir l'air de marbre. Or, difficile de présenter cela alors qu'elle était si proche et alors qu'elle me vouait à cette douce et perfide torture.

Ainsi, aussi proche l'un de l'autre, je sentais le souffle qui l'habitait, qui gonflait son corps à chaque inspiration, qui nous rapprochait encore et toujours plus, puis nous éloignais tandis que cet air quittait ses poumons. Je percevais sa chaleur, à la fois source de bienfait et synonyme de sa douleur. Là, au milieu de la chaumière faite de vent et de froid, Isadora était aussi brûlante que le foyer maintenant éteint. En guise de carburant, en lieu et place du bois, le brasier qui l'habitait consumait ses forces. J'étais aussi heureux qu'inquiet de ce phénomène, alors que cela me réchauffait, mais que cela provenait de sa souffrance. Dès lors, il m'était difficile d'accepter que ma source de réconfort provienne des maux physiques de ma partenaire d'infortune.

Pour finir, tel un ivrogne enivré, je goûtais au contact de nos peaux l'une contre l'autre avec envie. Ainsi, aux prémices de l'instant, j'étais écartelé entre retenue et désir, alors que je pouvais sentir son corps contre le mien. Ici, il n'était pas question d'un maigre frôlement, mais bien d'un contact n'ayant quasiment plus aucune barrière de tissu nous séparant. Or, au bout d'un moment, je retrouvai une certaine forme de lucidité. De fait, je ressentais toujours son physique contre le mien, mais je percevais aussi les marques et les stigmates d'une vie difficile et compliquée. Sa peau qui pouvait être douce était aussi en de multiples endroits dur et revêche, là où les balafres des tortures et les accidents d'une vie de pérégrination et de danger l'avaient marqué. Je ressentais aussi sa maigreur d'une existence de famine, d'une vie où la faim est un mal rampant et dévorant. Ces découvertes faites bien malgré moi me permirent de me concentrer et de me focaliser sur autre chose que le brasier qui couvait en moi. Dès lors, était-ce un maigre sursis ou ma planche de salut face à la tentation ?

Bien qu'ayant l'esprit un peu plus clair, mon corps était complètement tendu et je restais toujours aussi immobile. Mes mains ne savaient guère où se placer. Devais-je la toucher ou plutôt éviter ? L'une et l'autre de ces deux possibilités me semblaient être de mauvaises idées. J'avais encore la chair de poule et un long frisson parcourait l'ensemble de mon épiderme. Mais était-ce à cause du froid glacial ou de ma partenaire d'infortune et de ses doigts vagabondant au gré de ses envies ? J'aurais juré à qui voudrait l'entendre que c'était à cause du froid, mais j'aurais été un fieffé menteur. Finalement, tel un naufragé, je m'accrochai à sa prise de parole. Tout valait mieux que de rester concentré et focalisé sur son physique et son contact, alors que je sentais une nouvelle vague d'un appétit insatiable m'envahir. Par chance, aussi bien pour moi que pour elle, je n'étais guère un être à me laisser enhardir. Ainsi, plus brebis galeuse que loup vorace, je me détournais de ses actes pour me focaliser sur ses dires.

-"L'imagination serait le pire des fléaux ? Dans tous les cas, tu ne lui laisses guère de place avec ton empressement à te jouer de moi avec tes charmes." Répondis-je tout d'abord pour essayer de lui faire entendre que je comprenais ses manigances. Était-ce sa poitrine que je sentais contre mon torse ? Par l'impie Trinité, c'était de pire en pire... me raclant la gorge, évitant de la regarder directement, je laissais mes yeux se perdre sur l'un des murs de la cabane. "Vos lois ? Celle des bannis ?" Demandais-je réellement curieux, ne connaissant aucunement leur fonctionnement ou leur organisation, moi qui n'étais qu'un vagabond miséreux et un ancien mondain. Intrigué par ses dires, j'avais penché la tête pour la regarder. Bien mal m'en prit alors que je rougissais devant pareil spectacle et que je détournais de nouveau le visage. Bon sang, du nerf Alphonse ! " Survivre est un bien grand mot." Lui répondis-je, amère. Hésitant à répondre, la suite de ses propos me permettait de tout simplement ne pas le faire. Toutefois, haussant les épaules je pris ma décision. À quoi bon passer sous silence cette réalité qui n'était pas un danger pour moi ? "Je survis principalement grâce à la chance et aux autres." Répondis-je platoniquement en la pointant du menton. Cette sentence pouvait paraître nébuleuse, mais celle-ci expliquait bien pourquoi le minable que j'étais était encore en vie. "...Et toi ? Comment fais-tu ? Toujours caché dans les convois pour voler ce qu'il s'y trouve ?" Je ne jugeais aucunement sa façon de faire. J’annonçais simplement un fait, réellement curieux de savoir comment cette femme réussissait à survivre dans ce monde sur le déclin.

Attrapant sa main au poignet pour la faire cesser son manège sur mon torse, je cherchai un endroit où la déposer, sans trouver de prime abord un lieu acceptable. Me sentant stupide à la retenir de la sorte, je finis par relâcher son bras en soupirant, la laissant de nouveau libre de ses mouvements. Lorsqu'elle mentionna qu'il faudrait partir aux premiers rayons du soleil, je ne pus m'empêcher de ressentir une pointe d'angoisse. Me laisserait-elle seule au milieu des marais ? Si oui, je risquais de connaître un dénouement plus que fâcheux. "N'avais-tu pas mentionné qu'il faudrait remplacer la nourriture que nous venions d'emprunter ? Nous devrons rester encore un peu alors, non ?" Percevait-elle mon inquiétude ? Comprendrait-elle que cela était à cause de l'idée de finir de nouveau esseulé et isolé ? " Tu risques aussi d'avoir besoin d'aide dans les jours à venir, non ?" Dis-je, tentant de me trouver une utilité pour ne pas être abandonné. Je me sentais pitoyable de m'accrocher à elle de la sorte. Or, je ne pouvais me résigner à la solitude de nouveau. Ainsi, je préférais me couvrir de honte que de me draper dans une fierté qui me mènerait directement au tombeau. Triturant ma lèvre inférieure de mes dents, je finis par secouer la tête et proférer un rire nerveux. "Il semblerait que je ne puisse déjà plus me séparer de toi, Isadora." L'humour et la dérision étaient d'un piètre secours, alors que je doutais amèrement de la suite des choses.

De fait, le manque de confiance qu'elle avait affiché à plusieurs reprises avec l'eau et la main mise sur sa dague me poussait à voir cela comme un funeste présage pour la suite de notre duo. Or, je ne comprenais pas comment elle pouvait être aussi proche de moi sur le plan physique et autant sur la défensive ailleurs. Finalement, une interrogation qui avait été couverte par la gêne et le désir germa -enfin- dans mon esprit. Était-elle en train de me tester plutôt que de jouer à mes dépens ? Était-ce une façon de voir si elle pouvait me faire confiance, ou était-elle simplement outrancière et effrontée à volonté ? Bon, probablement qu'elle était effrontée et outrancière à volonté. Toutefois, est-ce que cela cachait quelque chose d'autre ? Depuis le début de notre conversation, je n'avais que réagi ou répondu, ne maîtrisant jamais et aucunement les rênes de nos échanges. Quoi de plus normal pour ma personne, moi qui avait toujours été un individu effacé et un être plus spectateur qu'acteur de sa vie ? Toutefois, je ne pouvais me permettre de continuer de la sorte avec ma sauveuse tueuse. Je ne la comprenais pas suffisamment, elle qui me faisait passer de déconvenue en surprise par ses agissements et ses propos décousus. Mortelle, menaçante puis aguicheuse, j'étais mené par le bout du nez depuis notre rencontre et je ne faisais quasiment rien pour réagir !

Quittant mon inactivité, je soulevais mon bras gauche pour le passer derrière ses épaules et l'appuyer un peu plus fortement contre moi. Elle voulait jouer ? Grand bien lui face, moi aussi je pouvais le faire ! Penchant la tête pour être un peu plus prêt de la sienne, je laisse mes doigts venir toucher son bras. Le mouvement de mon visage vers le sien avait pour simple but d'essayer de déchiffrer quelque chose dans ses yeux, potentiellement un signe de surprise ou de crainte prouvant qu'elle me testait et qu'elle n'avait aucune confiance en moi. Indécis quant à ce que je pouvais y lire, je me fis quelque peu hésitant avant de pousser plus loin. Ma main qui trônait sur le haut de son épaule glissa sur son avant-bras avant de bifurquer vers ses côtes que j'effleurais du bout des doigts. Certes, je n'avais aucune idée derrière la tête en effectuant cela, du moins si ce n'est de percevoir quelque chose dans son regard. Or, je ne pouvais dire que cela me laissait complètement de marbre. Par chance, mon observation intempestive me détournait de toute autre préoccupation.

Puis, soudain, je me rétractais. J'en faisais probablement trop. Après tout, c'était un risque que je ne pouvais prendre, non ? Elle était armée et violente. Elle pourrait me tuer si facilement si elle pensait que je voulais profiter d'elle, non ? Elle pourrait aussi attendre mon sommeil pour me tuer sans esquisser le moindre effort. Non, je ne devais pas jouer de la sorte. Je ne devais pas me risquer à pareil danger. Ainsi, faible, je soulevais ma main, ne sachant plus trop que faire de cette dernière désormais. Finissant par simplement la laisser retomber mollement, vaincu par une conviction et une volonté que je n'avais plus, perdues face au danger et au jeu dangereux auquel je m'adonnais.

Laissant le silence s'éterniser, s'alourdir et s'allonger, je finis par le briser d'une prise de parole longuement mûrie et réfléchie, mais aucunement confiante; "Crois-tu que je pourrais avoir ma place chez les bannis ?" Tout valait mieux que la solitude. Même la vie d'un paria de la société. Or, comme elle me l'avait fait remarquer implicitement, tout était une question de confiance, non ? Dès lors, avais-je sa confiance ? Dur à dire. Mais une chose était quasiment certaine; cette dernière tenait plus ou moins ma vie entre ses mains. Sa prise de parole scellerait en quelque sorte ma damnation ou ma salvation. Alors, qu'en sera-t-il, bannie ?
Revenir en haut Aller en bas
Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyMer 9 Sep 2020 - 23:39


- "Si nos positions avaient été inversées, là, maintenant. M'aurais-tu aidée ?"

J’ai senti mes lèvres se pincer, s’ouvrir, un souffle chaud s’y échapper, puis se refermer. Au plus profond de moi-même, je connaissais la réponse, oui. Oui parce que malgré les apparences, ce que je montre, mes grognements, mon jeu habituel je ne parviens jamais à abandonner définitivement l’humanité. Je n’ai rien dit, je me suis contentée de rouler une épaule dans une grimace, de laisser cette idée se faire dans son esprit, que oui, je l’aurais abandonné, peut-être tué. Le fait qu’il le pense me rassure et me révolte à la fois, je sens mes doigts triturer MA cape, comme nerveuse, comme grondant de cette colère que je ne m’explique pas. Après tout, n’est-ce pas moi qui l’avais aidé en l’amenant ici ? N’aurais-je pas pu le laisser là-bas, avec la fange, la mort, le sang, les morts ? La suite ne fit qu’augmenter mon propre ressenti, si bien que je m’étais sentie me contracter, vriller mon regard dans le sien. Avais-tu vraiment tout vu Alphonse, ou simplement l’image que je souhaitais refléter ? Une nouvelle fois, j’ai senti mon épaule rouler, mes lèvres se froisser entre elles et craqueler. Un tambour c’est fait plus vif dans ma poitrine, un coup de chaud plus important, alors que je frissonnais de froid tout en ayant le corps transpirant de chaleur.

- « Tu as déjà tout vu, c’est vrai » soufflais-je de cette voix plus désabusée que j’aurais voulu.

Montrer un bout de viande à un chien et il n’en fera qu’une bouchée, c’était un peu la même chose, non ? Il voyait un corps, juste un corps et le voilà persuadé d’avoir vu tout ce qu’il y avait à voir. Pourtant, je suis convaincue qu’il n’est pas capable de me décrire la forme de ma morsure, ni même le nombre de lignes qui vagabonde sur mon dos, sans parler des impacts de lames, de brûlures à la dague chaude… J’ai senti mes sourcils se froncer, je me suis sentie frissonner encore, désagréablement, j’ai continué la conversation, tout en l’observant. Débutant l’était-il vraiment, en survie sans aucun doute, mais pour le reste. J’ai étouffé un petit rire, en baisant le menton laissant ma chevelure l’espace d’un instant camoufler mon visage.

- « Savoir compter ça en dit déjà beaucoup » lui répondis-je en redressant la tête vers lui « Ne te sous-estime pas. » mon visage s’était secoué de droite à gauche, comme si je me ressaisissais « Mais oui, un vrai débutant en survie ! Et pour mes pieds, attention à ce que tu dis ou je te tortille tout sous le nez, puis bon, ça pue forcément moins qu’eux hein… »

J’avais fini par récupérer sa main pour lui expliquer, lui montrer la blessure, apprendre à la décortiquer, l’analyser. Je l’ai sentie vouloir fuir, alors j’ai serré un peu plus, comme pour capturer ses doigts, le retenir. Il n’y avait rien d’aguicheur dans mes gestes, pas de sous-entendue ou de proposition, devait-il même percevoir ma crispation quand sa froideur rencontrait ma peau humide, transpirant cette température étrange. Je l’ai laissé terminer son œuvre, j’ai souri lorsqu’il était en difficulté, convaincue par son comportement que cet homme n’était pas un monstre, sans doute pas un meurtrier, sans doute pas quelqu’un de mauvais. On est ce que la vie fait de nous, qu’avait-elle fait de lui, qu’avait-il vécu pour me sembler encore si pure… Une nouvelle fois, mon regard c’est perdu dans les traits de son visage, dans cette curiosité sincère, sans doute dérangeante. J’ai souri lorsqu’il a ronchonné, encore.

- « Félicitations pour ton premier bandage, Alphonse » fis-je dans un regard amusé Alors qu’est-ce que ça fait ? »

J’avais envie de le détendre, le sentir toujours dans cette incompréhension n’était pas agréable, j’avais la sensation de le voir encaisser, encaisser et encore encaisser, prêt à succomber à tout ce qu’il ne disait pas. Étais-je si terrifiante que ça, enroulée dans ma cape adoptée –qu’il ne récupérerait pas-, nue, une plaie au ventre et grimaçante de douleur ? Il s’offusquait de mon manque de confiance, ce qui me révoltait, j’avais fini par détourner mon regard du sien. Si, j’avais fait confiance, SI, j’avais envie de lui hurler, de lui hurler que le peu de fois que je l’avais fait on m’avait trahie. Lance m’avait fait miroiter une vie normale, m’avait-il vendu à la milice, milice qui avait tenté de m’abuser, parce que c’était drôle de se glisser entre les cuisses ou le cul d’une femme pour ensuite la saigner, non ? Ouais et ce milicien, celui qui se prétendait amoureux… Ridicule. Je ne parle encore que de mes récentes aventures, avant c’était encore pire, si j’en suis là, n’est-ce pas parce que j’ai fait confiance ?

- « Ça t’étonne pour la meurtrière, catin, salope, immondice chose que je suis ?? rétorquais-je avec sans doute plus de virulence que ce que j’aurais voulu. N’était-ce pas ce que j’étais à ses yeux, ne l’avait-il pas dit, qu’il avait tout vu ? « Satisfait » fis-je finalement en récupérant le récipient pour boire.

La suite était tout aussi déroutante pour moi que pour lui je suppose. Faisais-je sans doute par être ce que je pensais qu’il imaginait de moi. Sa phrase vis-à-vis d’une possible bonté chez moi me fit rire en silence, je n’avais fait que secouer la tête, exactement de la même manière que je l’avais fait lorsqu’il m’avait indiqué que j’étais la première à avoir proposé un rapprochement physique. Je m’étais retrouvée contre lui, contre sa peau, la tête en haut de son torse, mes doigts vadrouillant ici et là. Il était froid, il était humide, là où je frissonnais de chaleur avec cette sensation d’avoir si froid, où je me sentais faible. Je jouais, comme j’appréciais le faire, ça me tenait éveillée, m’empêchait de sombrer alors que mes pensées me hurlaient de fermer les yeux, juste un instant.

- « Tu es cruel » soufflais-je dans une mine enfantine et boudeuse en relevant le menton vers son visage « Autant qu’il soit possible de l’être dans ce taudis… Je t’offre l’hospitalité et voilà comment tu parles de mon abri et ma beauté n’éclipse en rien tes mauvaises pensées… On ne peut pas dire que tu sois parfaitement au fait de comment parler à une femme ! »

Si mes gestes se faisaient provocateurs, si ma peau était brûlante, ce n’était ni de désir ni d’envie. Mon corps, mon regard, rien ne dévoilait une once de plaisir, de volonté pour que nos corps se nouent, bien au contraire, sentait-il parfois cette crispation, comme un rejet de ma position. Pourtant, je restais contre lui, je conservais cette proximité nécessaire pour la survie, pour ne pas mourir de froid. Je m’amusais, je crois, j’appréciais le voir fuir du regard, ne pas savoir où mettre ses mains, sentir son souffle, sentir cette tension… Puis sa main immobilisant la mienne, est-ce que je le mettais mal à l’aise, est-ce qu’il n’assumait pas ce qu’il était, ce qu’il ressentait ? L’amusement avait fini par me quitter, au fur à mesure que je le sentais réagir, tout du moins sa peau, ses membres. Je me crispais à mon tour, tout en poursuivant le jeu malicieux qui pourtant tout au fond me donnait la nausée. Étais-je l’unique chose que je savais faire ? Peut-être.

- « Ou bien peut-être que c’est toi qui es aveugle ? » soufflais-je d’une voix faiblarde

Je ne savais pas ce que je pouvais dire concernant le village, concernant les bannis, je sentais mon être se crisper une nouvelle fois, comme tiraillé entre mon envie de lui apprendre à survivre, comme j’avais pu moi-même apprendre. Enfouissant ma tête au niveau de son cou, parce qu’elle me semblait terriblement lourde, j’avais fini par répondre, les yeux mi-clos.

- « Les lois des survivants… Est-ce qu’il faut forcément parler de banni, ou de non banni ? » questionnais-je hésitante « Déjà on ne prétend pas survivre grâce à la chance, elle n’existe pas la chance, elle se provoque tout au plus » concluais-je un instant « Mais oui, si tu y tiens. Les lois des bannis… On survit ensemble par obligation, chacun doit faire sa part, tu vois ? Je suis souvent sur les convois et…attends ! Comment est-ce que tu m’imagines survivre, dis-moi ! »

J’ai cessé de vadrouiller de ma main sur son corps, parce que plus je sens que ça fonctionne plus ça me crispe, plus je sens son corps réagi… Je ne souhaite pas que ça dérape, non, tout du moins, ce n’est pas ça qui a réellement fait stopper mes gestes, c’est l’absence de marque, de coups, de cicatrices. Mes doigts ont bien capturé la main qui a immobilisé la mienne, juste pour effleurer le dos de sa main quelque peu éraflé avant de la relâcher. Alphonse n’a rien d’un travailleur de la terre, d’un survivant, d’un banni, il n’a rien… Rien du tout, de tout ça. Ma main est au niveau de mon visage, mes doigts pianotent juste là, je suis nerveuse, je crois. Puis tout change, il me parle de la nourriture, de mon besoin d’aide durant les jours à venir, je ne comprends pas.

- « De moi ou de ce que je représente ? » fis-je brusquement sans trop y réfléchir « Chez nous, on n’utilise pas les belles phrases comme ça… On échange, tu as besoin de quelque chose, dis-moi ce que tu peux donner en échange. »

Puis la situation change du tout au tout, je sens ses doigts sur ma peau, pour la première fois. La situation m’échappe, je crois, son bras passe sous ma tête, me serrant davantage contre lui, son visage s’approcher du mien et ses yeux chercher des réponses à des questions qu’il ne pose pas. Je sens le tambour de mon être battre plus fort et mes mains faire soudainement pression dans le sens opposé à lui. C’est bref, très bref comme mouvement de lutte, tout comme cet éclair de peur dans le fond de mes yeux, j’ai résisté, tellement peu longtemps que c’est peut-être passé inaperçu, comme si je m’étais résignée, sans doute me suis-je résignée à ça… À n’être plus que ça. J’ai fui son contact, sa peau juste après qu’il est cessé. Je me suis éloignée sans le faire réellement, ma tête ne repose plus sur son épaule, mais contre le sol, mon corps n’est plus contre le sien, mais à côté, j’ai repoussé ses bras et j’attends. J’attends la finalité, qu’il me saute dessus crache son affaire, j’attends de sentir les nausées remonter le long de mon corps après ça, c’est tout ce que je peux faire… Sauf que rien ne vient. Je ne joue plus, je ne fais plus de bruit, je ne cherche pas à parler. J’ai envie de lui sauter à la gorge de le secouer, le frapper, ou faire je ne sais quoi, mais je sens cette révolte gronder.

- « Oui, sans aucun doute » fis-je amère avec plus de virulence que ce que j’aurais voulu « T’es pas différent d’eux en tout cas » ça n’a rien d’un compliment, les bannis ne sont pas des personnes douces, même si on a des règles, certaines dérives perdurent encore.

C’est tout ce que je dis, tout ce que je me sens capable de dire sur l’instant, je fais silence. Tout s’embrouille dans mon esprit tout, qu’est-ce que je suis à ses yeux ? J’entends encore les cris, les rumeurs, je revoie ses gens par le passée… une catin, un monstre, une sorcière. C’est ça ? Meurtrière. Ma réaction, peut-être plus brusque que ce que j’avais imaginé, je me retrouve à califourchon sur lui, les mains appuyant sur son torse dans un gémissement de douleur, en soi, je suis certaine qu’il pourrait me maîtriser en un instant, mais je suis si contrariée, que je ne parviens pas à me raisonner. Main en pression contre son torse, bassin contre bassin, sans qu’aucune connotation ne soit particulièrement présente.

- « On est quoi hein ?! » soufflais-je brusquement, le souffle court provoquer par la colère, l’incompréhension, la peur, la fatigue et la douleur « C’est quoi pour toi ?! Un jeu ?! Observons les bannis ?! Sautons la petite bannie ?! C’est ça, ça t’amuse ?! Ça t’excite de t’imaginer survivre dehors alors que tu peux faire autre chose ?! C’est plaisant hein ?! T’imagines quoi, que c’est drôle ?! »

Je le repousse, je me penche vers lui sans pour autant dégainer ma lame, sans pour autant l’agresser véritablement. Je me sens si contrariée alors que je l’imaginais comme moi, moi avant, innocente, inexpérimentée, la faute à pas de chance, putain de connerie !

- « Tu crois quoi ? Que c’est simple de faire confiance, que ça m’amuse de faire attention ? Ce n’est pas un jeu la survie ! T’entends, c’pas un jeu, quand tu es marqué tout le monde se retourne contre toi ! On te traque, on rêve de ta mort, ton ami d’hier devient ton ennemi d’aujourd’hui, ta tête est mise à prix et ce n’est pas la mort que tu dois redouter si tu es pris, c’est ce qu’il y a juste avant ! C’est ça que tu veux ?! »

J’ai senti ma voix monter dans les aigus, passer largement au-dessus du bruit de la pluie, j’ai sa question qui s’est répercutée dans ma tête encore et encore et encore et encore. Il n’est pas comme moi, il ne sera jamais comme moi, il a le choix. Il pourrait avoir une vie normale, peut-être un peu reniée des autres mais une vie normale et il vient jouer, me narguer de ce besoin de venir là. Je me surprends à le frapper, sans force, ça me désespère, je ne supporte plus… Je ne peux plus voir les nouveaux, ceux qui pensent être comme moi, personne n’est comme moi où les premiers du village et lui…

- « PUTAIN tu fais chier ! » je le repousse, ou je me repousse j’en sais rien, je gémis encore, mes mouvements ont provoqué des douleurs plus importantes, c’est comme si tout ce que je gardais… Oui c’est comme si une simple phrase provoquait tout ça « Donne-moi une bonne raison de te faire confiance »

Revenir en haut Aller en bas
Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyJeu 10 Sep 2020 - 21:21
-"Satisfaite ?"
« Satisfait »
-"Parfait."
-Pas l'impie et perfide Trinité, Alphonse de Sarosse ! Cesse ces mensonges au nom des Trois ! Rien n'était moins satisfaisant ou parfait que cet exécrable échange !

De fait, un vent glacial avait soufflé sur notre conversation depuis qu'elle avait démontré son manque de confiance à mon égard. Blessé par cela, j'en devenais morose et taciturne. Même si je ne voulais pas me l'avouer, je le vivais comme une trahison. Je m'en voulais aussi de ressentir ce drôle de sentiment. Après tout, quoi de plus normal, alors qu'elle ne me devait rien et que je ne la connaissais pas avant le bain de sang dans lequel nous avions baigné ? Couplé à cela, j'étais aussi en colère de ressentir ce sentiment. Ainsi, j'avais réagi plus fortement que nécessaire, laissant entendre mon amertume devant sa réaction. Ce qui, logiquement, amena ma partenaire à réagir avec agressivité à son tour.

Or, alors que je m'étais attendu à la voir s'égosiller et me couvrir d'insulte en tout genre, Isadora avait fait quelque chose d'imprévu. Oui, bien qu'elle m'ait habitué à me faire voguer de surprise en surprise, je n'avais pas été préparé à cette dernière. J'en avais été plus que déconcerté. Pourquoi ? Parce qu'au lieu de me noyer sous le flot d'injures que j'avais prévu, elle s'était plutôt attaquée à sa propre personne. Meurtrière. Catin. Salope et immondice. Voilà les mots qu'elle avait dressés comme défense face à mes récriminations. De cette agression, dirigé contre elle, j'aurais dû ne rien ressentir. Après tout, je n'étais même pas visé, non ? Alors, pourquoi en souffrais-je autant que si elle s'était attaquée directement à mon être ?

Défait avant même d'avoir lutté, me détestant de l'avoir fait proférer ce genre de palabre acrimonieuse à son égard plutôt qu'au mien, je m'enfonçais dans un silence et m'efforçais de l'aider. Ce faisant, je tentais de me convaincre que sa façon d'agir était aussi vile que fourbe, qu'elle voulait se positionner en victime pour éveiller ma pitié. C'était aussi vain que futile. Je n'arrivais pas à lui en vouloir, alors que je pouvais revoir son regard au moment où elle avait proféré ses dires, alors que je pouvais sentir la haine au travers de sa prise de parole. Était-ce moi qui m'aveuglais ou croyait-elle réellement être ce genre de femme exécrable ?

Soudain, elle se rapprocha de mon corps. Trop proche, quasiment sur moi plutôt qu'à mes côtés, elle agissait comme ce qu'elle avait annoncé être avec douleur. Si cette vision d'elle-même la révulsait, pourquoi faisait-elle ça ? Pourquoi jouait-elle cette triste dualité ? Pourquoi se faisait-elle tueuse, puis sauveuse ? Comment pouvait-elle se révolter d'être perçue comme une catin, puis agir de manière aguicheuse et frivole l'instant d'après ? C'était tout bonnement incompréhensible ! Bon sang, j'avais envie de la secouer, de lui hurler dessus de lui faire comprendre qu'il était impossible de suivre ce qu'elle faisait, de comprendre ses pensées et ses actions. Mais comme d'habitude, je restais muet, inapte à briser les chaînes de cette habitude. Avec du recul, j'aurais voulu creuser cette réflexion, pousser mon investigation jusqu'à trouver réponse à mes interrogations. Or, faible, je ne voyais que ce qu'elle me montrait. Trop obnubilé par le jeu auquel elle s'adonnait et par son corps, je n'avais pas encore réalisé que malgré ses gestes, elle était aussi tendue que moi et que son regard était vide d'intérêt, voire maladif.

Couplée à ses actions irrévérencieuses, elle ajoutait plaisanterie sur plaisanterie, alors que je n'avais aucune envie de rire ou de sourire. Tout ce que je lui offrais, c'était de vague assentiment qui se faisait entendre sous forme de grognement. Comment pouvait-elle se révolter puis redevenir cette femme s'amusant à mes dépens ? J'avais mal à la tête. Je savais que le choc sur mon crâne durant l'attaque était en partie la cause de cette douleur, mais je me doutais aussi que mon esprit était fatigué d'essayer de déchiffrer les humeurs et états d'âme de ma sauveuse. Ne comprenant pas pourquoi elle me traitait d'aveugle, je haussais les épaules sans chercher à découvrir les tenants et aboutissants de sa prise de parole. Qu'importe, non ?

Parlant des bannis, puis de ma façon de survivre, pour me focaliser sur autre chose, je fus intrigué par ses réponses. Du moins suffisamment pour sortir de mon silence boudeur dans lequel je m'étais enfermé depuis qu'elle avait réagi violemment en s'insultant elle-même. " Je ne savais pas qu'il existait une sorte de code des... survivants." Dis-je pour expliquer pourquoi j'avais parlé des lois des bannis plutôt que d'autre chose. " Alors, disons que j'ai un don pour provoquer la chance à outrance." Répondis-je plus fermement qu'habituellement, préférant clore le sujet, là, maintenant. Isadora pouvait croire ce qu'elle voulait. Moi, je ne me bernais et ne me berçais d'aucunes illusion. Si j'étais encore vivant, c'était purement et simplement à cause de la chance. Point final.

Sa main avait enfin cessé de se promener sur mon corps. Je commençais même à m'habituer à sa drôle de proximité, me permettant de réfléchir plus clairement. Comment je l'imaginais survivre ? Rapidement, durant un fugace instant, il me revint en mémoire l'image d'elle sur le point de tuer, couverte de son sang et de celui de sa victime. Ouvrant la bouche, puis la refermant je secouais négativement la tête et évitais son regard qui pouvait être scrutateur. "Je...de tout et de rien." Disais-je en essayant d'effacer cette macabre image que j'avais d'elle. "Des opportunités qui te tombent sous la main." Terminais-je en haussant les épaules et en me passant la langue sur les lèvres. Oui, je n'avais pas menti. Je la croyais réellement comme ça. Après tout, de ce qu'elle m'avait montré, Isadora me semblait n’être le genre de personne à agir par impulsion, guidé par son sixième sens et mue par son instinct plutôt que par la réflexion. Tout le contraire de moi. C'est peut-être à cause de cela que nous ne nous comprenions pas, non ? Dès lors, il était peut-être possible de parler d'incompatibilité entre nous ?

-"Pardon ?" Indécis et interdit, n'arrivant pas à comprendre où elle voulait en venir, je fronçais des sourcils avant de rapidement arrêter, réalisant que ce n'était guère bienséant. Puis, me rappelant que je n'étais plus un mondain, mais bien un indigent, je recommençais de nouveau, plus fortement et avec exagération. "C'est à mon tour de ne pas comprendre." À force, cette incompréhension qui devenait entre nous une habitude risquait de devenir un problème... " Chez vous on échange." Répétais-je froid et distant, comprenant par là qu'elle ne m'aiderait pas gratuitement. À ma question précédemment formulée, à savoir si elle m'aurait sauvé comme je l'avais fait, j'eus l'impression d'avoir trouvé réponse dans les dires qu'elle venait de m'offrir. En l'occurrence, Isadora ne l'aurait pas fait si cela ne lui apportait rien. C'était à la fois horrible et décevant. Mais aussi révoltant que cela fût, je ne fis ou ne dis rien. Telle la mule faisant tourner la meule, j'ignorais les coups qu'elle me portait, le doute qui s'insinuait peu à peu en moi quant à la suite des choses. De fait, je commençais réellement si elle pouvait me sauver de ma solitude, elle qui ne semblait afficher aucune sollicitude ?

Lorsqu'elle me questionna sur ce dont je ne pouvais me passer, d'elle ou de ce qu'elle représentait, je pris en considération qu'elle traitait de son "titre" de bannie. Hochant la tête, croyant qu'elle avait compris ce que je voulais, en l'occurrence rejoindre cette société de survivants et de mécréants. " De ce que tu représentes." Dis-je d'une voix que je voulais égale, mais qui fut plus tremblante que réellement détachée. Mentais-je ? Pas vraiment. Après tout, Isadora venait de me faire comprendre qu'elle ne m'aurait pas aidé et que tout était question de troc et d'échange. Dès lors, comment aurais-je pu continuer à m'accrocher au mirage de ce qu'elle représentait ? C'est-à-dire une potentielle compagne d'infortune, une alliée dans ces temps incertains ? Non, je devais arrêter de me berner et de me bercer d'illusions. Comme elle l'avait décidé et si bien imagé, notre "relation" n'en était que commercial. Je devais me montrer utile pour espérer avoir et recevoir quelque chose en échange. En l'occurrence, une guide pour rejoindre l'engeance qui constituait les bannis de Marbrume.

Lorsque je tentais de voir sa réaction en jouant au même jeu qu'elle avec ma main, bien que je ne sois pas aussi entreprenant que cette dernière, avais-je vu de la crainte ? Avais-je senti un mouvement de recul sous les sous-entendus que j'avais laissé planer de par mes gestes ? Je ne savais pas. Je n'en étais pas certain. Abandonnant ma quête de réponse, ayant déjà essoufflée cet élan bien loin de mon inactivité habituelle, je me rétractais et m'enfermais dans mes pensées, tentant de déchiffrer ses objectifs derrières les simagrées d'affection qu'elles déployaient. Peut-être que je réussis à avoir gain de cause, tandis qu'elle s'éloignait pour se coucher non plus sur moi, mais à mes côtés. Après avoir connu une si grande promiscuité, l'espace entre nous semblait aussi large et profond qu'un gouffre abyssal. J'eus un frisson qui me remontait le long du dos. Était-ce à cause du froid qui s'agrippait de nouveau à moi maintenant qu'elle s'éloignait quelque peu ? N'était-ce pas ce que j'avais voulu ?

-"D'eux ? Oh non, Isadora. Tu veux plutôt dire que je ne suis pas différent de vous." Ce n'était pas une question que je venais de formuler, mais bien une affirmation. Si elle voulait me faire endosser l'ignominie de cette société de paria, je l'entraînerais avec moi dans ma chute, dans cette infamie. Je n'étais pas un meurtrier, moi. Je n'étais pas un monstre. Mais elle, l'était-elle ? Je n'arrivais toujours pas à statuer sur la chose. Mais mon amertume continuait à m'aveugler, alors que ma rage gagnait de plus en plus d'ardeur. Or, j'aurais dû me taire, ne pas jouer avec le feu, rester cloîtré à mon rôle silencieux dans cette mascarade précédemment amicale dans laquelle nous baignions. Pourquoi ? Parce que ma colère serait toujours infiniment moins forte et puissante que celle de ma compagne. Elle en était devenue agressive.

Poussé au sol par une furie, je me retrouvais écrasé sous son poids alors qu'elle était désormais à califourchon sur moi. Surpris par la manœuvre, je n'avais pas le moins du monde réagi. Tombant lourdement sur le dos, ouvrant la bouche et regardant celle qui me surplombait, ma surprise se transforma en animosité au fur et à mesure que ses mots s'égrenaient. Pourtant, je ne voulais pas rentrer dans son jeu. Je ne commencerais pas une lutte verbale. Je n'y gagnerais rien. En outre, ce n'était pas mon genre. Faible, je restais muet. Mais aucunement lâche, je l'observais, je regardais ses gestes et je l'écoutais, encore et encore. Que pensait-elle de moi ? Que je jouais ou que je voulais coucher avec elle ? Sérieusement ? Je secouais la tête, mais me retint de proférer le moindre son. Je valais mieux que ça. Que je pouvais faire autre chose ? Elle ne savait rien ! Je secouais la tête. Ma situation était aussi, sinon pire, que celle d'un bannis ! Rongeant ma lèvre inférieure, je sentis un goût de métal inonder ma bouche. Pourtant, celle-ci restait résolument close. "Tu devrais arrêter, ta blessure risque de s'ouvrir." J'aurais voulu être calme et serein, mais cette phrase que je venais de proférer était empreinte du fracas haineux de mes émotions. Hors propos, ma prise de parole véhiculait tout de même le brasier qui me dévorait à petit feu devant ses récriminations.

Toujours immobile, la voyant revenir à la charge sans réellement prendre en compte mes propos, je grognais, alors que ma bouche s'ouvrait. Les dents toujours serrées, mes mains devinrent des poings. Non pas pour la menacer, mais pour me retenir, me restreindre. Je devais encaisser. Oui, voilà. Me taire et laisser faire. Si elle voulait être fougueuse comme une tempête, je serais le calme lui manquant. Si elle voulait m'inonder de sa haine, je serais le miroir reflétant les peines qu'elle déversait sur moi. Je ne lui offrirais pas du combustible pour alimenter le brasier de sa colère en réagissant. Avec du recul, j'ai conscience qu'elle parlait en pensant si peu, alors que ne parlait pas en pensant beaucoup trop...
Finalement, toute ma retenue fut vaine, brisée et volante en éclat à cause de ses derniers propos. Grognant, puis me mettant à rire avec acrimonie, je secouais la tête comme un posséder, toujours au sol. "Que penses-tu savoir de moi, hein ?! Tu crois avoir le monopole de la douleur et de la souffrance ? Tu penses avoir tout vu et tout subit ?" Luttant littéralement contre elle, contre son poids, je me redressais pour lui faire face, le dos droit. Toujours juché sur moi, nous nous retrouvions dans un simulacre de position lascive, alors que mon mouvement m'a de nouveau rapproché d'elle. Or, rien ne pouvait être moins vrai alors que le seul désir nous habitant était celui d'en découdre. " Redescends sur terre, bon sang !" Agrippant de force -si nécessaire- son poignet, je passais sa main sur mes cotes avec de la relâcher brusquement. J'étais famélique et rachitique. Comme toute personne ne mangeant aucunement à sa faim. N'était-ce pas suffisant pour voir que je mourrais à petit feu de ne pas savoir chasser, voler ou ne serait-ce que trouver de la nourriture ? "Tu trouves que j'ai l'air de jouer, de m'amuser ? Tu trouves que c'est un jeu de crever de faim ? " Reniflant pour faire entendre mon dédain, je secouais la tête.

-" Ne prends pas tes désirs pour réalités, Isa." Je n'avais jamais accepté de la nommer plus simplement que par son nom d'emprunt complet. Or, au milieu de cette guerre de mots à laquelle nous nous acharnions à mener, je trouvais que c'était le bon moment pour faire preuve de ce genre de perfidie. "C'est toi qui me sautes dessus, toi qui te dénudes sans la moindre pudeur et qui tentes de me faire réagir. Ne sois pas arrogante au point de sous-entendre que je chercherais à coucher avec toi. Je n'ai pas esquissé le moindre mouvement en ce sens." Frappé, sans force, j'encaisse le coup en secouant de nouveau la tête. Voilà la personne qu'elle était. Violente et féroce. Prompt à la colère lorsque l'on n’agit pas comme elle le désirait.

Relâché alors qu'elle s'éloigne en me repoussant, je me relève. Attrapant la fourrure, je la lui jette dessus sans violence. Je suis un idiot en colère, mais pas dépourvu de compassion. Son gémissement m'a atteint. Ainsi, bien qu'incapable de m'approcher de nouveau d'elle, je préférais encore lui laisser la chance de se réchauffer. Après tout, c'est elle qui est blessée. " C'est TOI qui fais ch...chi...chier !" Il faut dire que je n'étais guère habitué à proférer des insanités. Mais je doutais bien que cela serait rapidement réglé si je continuais à échanger avec Isadora. "Crois-tu que ce que tu racontes c'est seulement pour les bannis ? Que la traque et que le désir de mort à ton encontre est un privilège seulement pour les gens comme toi ?" Je riais avec amertume. " Si tu savais..." Je secoue la tête avec dédain. "La prime sur ma tête doit valoir le double de la tienne." En proférant ces mots, je venais de réaliser mon erreur. Je venais de lui offrir une arme contre moi; la possibilité de me vendre à la milice. En quelque sorte, elle avait fait de même en proférant ces mots. Toutefois, elle, elle avait la marque du bannissement, ce qui pouvait expliquer cette chasse à l'homme à son égard. Moi, je n'avais rien et je venais d'en dévoiler beaucoup. Attenter à la vie du Roi et être un De Sarosse n'était guère payant à notre époque...

Me retournant, dos à elle, une main sur le front et l'autre sur ma nuque, je soupirais. Peu habitué à m'emporter, je faisais des erreurs stupides. Je devais me calmer. " Je ne joue à rien. Je ne veux que survivre, Isa..." murmurais-je abattu. Puis, tel un barrage éclatant sous les flots tempétueux, les mots déferlèrent, fracassant les silences qui s'étaient immiscés entre nous depuis que j'étais revenu de l'extérieur. Ce faisant, je dévoilais l'ensemble des non-dits qui m'avait écrasé. "Il n'y avait rien de parfait à notre échange. Je ne suis pas cruel. Non, je ne sais pas comment parler à une femme. Enfin, pas une comme toi. Non, je ne t'insulte pas en disant cela. Je ne te comprends pas..." Reprenant mon souffle après avoir déversé l'ensemble de ces dires, je me retournais et la regardais de nouveau, en hochant la tête doucement. "Une bonne raison ?" Répétais-je doucement. "Il n'y en a pas. Ou plutôt, il n'y en a plus. Si mes actions n'ont pas suffi à gagner ta confiance, je n'y arriverais jamais." Après tout, je l'avais aidé autant qu'elle m'avait aidé. Je n'avais jamais été entreprenant, agressif ou ordurier. Que devais-je faire de plus pour qu'elle baisse sa garde et me laisse une chance ?

M'assoyant au sol, serrant les dents pour quelle ne s'entrechoquent pas à cause du froid, trop fier pour laisser voir que j'avais froid, je déposais mon menton dans ma paume et me mis à l'observer sans aucune gêne. "Je serais aveugle..." dis-je, répétant ce qu'elle m'avait dit et ce que je n’avais pas compris de prime abord. Pianotant de l'index sur mon menton, je tentais de déchiffrer cette phrase en l'observant. Qu'avais-je manqué ? Qu'est-ce que je n'avais pas compris ou réalisé ? Est-ce que cela me serait réellement utile pour la comprendre ? Elle était striée et marquée de balafres. Elle avait été torturée, ça ne faisait aucun doute. Donc, elle avait commis un crime ? Non, pas forcément. Après tout, je n'étais coupable de rien, si ce n'est de porter mon nom, et j'étais poursuivi. Elle pouvait être innocente. Je ne devais pas m'aveugler sur cette question. Cette réflexion ne menait nulle part. Je devais chercher ailleurs. Qu'avais-je vu d'elle ? Elle était beaucoup trop aguicheuse. Pourtant, elle m'avait fait entendre sa haine contre l'idée qu'elle serait une catin. N'était-ce pas ironique ? Pourquoi y avait-il un clivage entre ses agissements et ses pensées ? Plissant le front, je me perdais dans ma réflexion. Pourquoi tout revenait toujours autour de l'idée qu'elle était une prostituée ? Soudain, je compris. Je n'avais pas réalisé, je n'avais pas réfléchi. J'avais fléchi, obnubilé par l'attrait de son corps plutôt que les maux de son cœur et de son esprit. "J'ai été aveugle...". J'en avais la nausée, l'envie de hurler, voire de pleurer de honte.

Les blessures d'Isaure n'étaient pas que physiques. Derrière son masque de paraître se cachait plutôt une jeune femme aussi déchirée et écartelée par la vie que sa peau était striée des stigmates des tortures vécues. Les sévices physiques du bourreau devaient aller de pair avec les vices de ces mécréants qui avaient dû abuser d'elle sur le plan psychologique. Avait-elle été traitée comme une fleur de trottoir ? D'où cette présomption à penser n'être que ça dans le regard des autres, tout en se révulsant de n'être perçut que comme telle ? Cela expliquerait pourquoi elle agissait en jouant la séductrice tout en détestant être perçue comme un bout de viande. "Je suis désolé." Pourquoi m'excusais-je ? D'une part pour ma stupidité et de l'autre, à cause de ma colère que j'avais laissé exploser. Le silence revint prendre l'ascendant sur notre échange. Après avoir parlé aussi fort, je trouvais ce mutisme oppressant. Quasiment plus douloureux que notre conversation houleuse.

-"J'ai été présomptueux de croire que j'avais tout vu." Me passant une main sur la nuque, je glissais vers l'avant. J'étais encore loin d'elle, mais je n'étais plus à l'extrême opposé de la pièce. " S'il n'est pas trop tard pour me reprendre, j'aimerais plutôt dire que je n'ai rien vu. Enfin, rien d'important." Après quelques instants, je me tentais à de l'humour pour enterrer la hache de guerre. " Du moins, si ce n'est ta beauté légendaire, qui, elle, n'éclipse en rien mes mauvaises pensées, n'est-ce pas ?" Je ne prenais guère de risque en réactualisant ses pitreries à mon encontre...

Penchés vers l'avant, sans m'en rendre compte, mes doigts pianotaient sur le plancher froid de la pièce. À la recherche de quelque chose à quoi m'agripper pour éviter de la voir se renfermer ou exploser de nouveau, je repris la parole, incertain de ce que je faisais. " Je m'appelle Alphonse. Je suis enchanté de vous rencontrer, mademoiselle." Dis-je inclinant lentement et courtoisement la tête pour la saluer, mimant avec un peu trop d'efficacité le parler distingué des mondains de l'Esplanade. Puis, un peu plus sérieusement et revenant à mon rôle de misérable miséreux; "Je fuyais le plateau du Labret en étant dans le convoi. Je pensais que la lande serait l'endroit idéal pour me faire oublier, mais je ne peux pas dire que ma première expérience en ces lieux soit une réussite." Dis-je en grimaçant, revoyant les griffes et les crocs des monstres déchirés les chaires et muscles de nos compagnons d'infortune. " Je ne peux pas approcher de Marbrume et je cherchais un endroit où survivre. Voilà." Nul besoin de me juger, je sais, je sais. C'était minime. Infiniment peu. Je ne racontais presque rien sur moi, expliquant tout au plus quelques éléments de mes plus récentes pérégrinations. Or, c'était déjà beaucoup pour moi. Par ailleurs, c'était en quelque sorte, ce qu'elle m'avait demandé. Certes, je trichais un peu, car je ne lui disais pas pourquoi elle devait me faire confiance...
Je lui offrais plutôt ma confiance.

Le regretterais-je ? Je ne savais pas. Toutefois, je savais une chose; si cela me permettait de ne plus être seul, j'en assumerais les risques. Il n'était plus le temps d'être circonspect et pondéré. Je me devais de prendre des risques, d'être avide de victoire. Serait-ce un maigre gain ou une lourde défaite ? Nul ne le savait.

Du moins, si ce n'est d'Isadora...
Revenir en haut Aller en bas
Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyVen 11 Sep 2020 - 13:17


« De vous ». Je crois que c’est ce qui m’a fait définitivement basculer dans cette colère sourde. Je n’étais pas comme eux, j’appartenais au groupe, mais je n’étais pas comme eux. Peut-être que c’était pour ça que je m’éloignais du village, peut-être que c’était pour ça que je n’écoutais plus les réunions du conseil qui n’en finissait pas dans cette haine contre les autres, ceux qui sont dans les villes, dans Marbrume. Je l’avais sauvé, j’étais encore là, nos corps ne s’effleuraient plus, je restais immobile, ruminant comme une vache que je n’avais jamais été. Mon ventre se gonflait et se dégonflait plus rapidement, le tambour de ma poitrine réalisait à lui tout seul la mélodie de la fureur, du tonnerre grondant. De vous. C’est ce qu’il avait dit, tout le reste n’avait plus d’importance, ni son aveu de ne pas comprendre, ni sa curiosité vis-à-vis de notre mode de vie, ou ce renfermement que j’avais notifié en expliquant que tout se basait sur l’échange. Il ne me comprenait pas, tant mieux, je ne le comprenais pas non plus. Je suis allongée sur le dos, les poings tout aussi fermés que les siens, je sens mon souffle se saccader et mes mouvements provoqués une douleur au niveau de la nouvelle brûlure. Je me consume sur place, à la différence de notre ancien feu, aucune fumée ne se dégage de ma réflexion qui se mue en une tempête dévastatrice.

J’ai succombé. Je me suis consumée sur place de révolte, j’ai agi sans réfléchir, je me suis redressée brusquement pour me jeter sur lui, comme si je pouvais faire le poids, comme si… Folle de rage, je le pousse, je le frappe –à la juste mesure de ce que mon corps est capable, c’est-à-dire de manière insignifiante-, je m’emporte verbalement. Je sens son dos rentrer au contact du sol, je lis la surprise dans ses yeux, je crois. Je me débats sans pour autant sentir ses mains sur ma peau, chercher à me contrôle, à m’immobiliser, à me retenir. Il ne disait rien, absolument rien, me regardait juste avec cette pitié que je détestais –où ce que je pensais identifier comme de la pitié-. Aucun coup, aucune violence, rien, j’aurais voulu lui hurler de se battre, d’agir comme un Homme, j’aurais voulu qu’il s’emporte, avoir une raison vraiment de m’épuiser dans un combat perdu d’avance… Quand enfin j’entends sa voix… C’est pour me mettre en garde au sujet de ma blessure. Je crois que j’ai dû laisser un rire s’échapper de ma bouche, je crois que j’ai senti mes yeux s’écarquiller sous la surprise avant de sentir davantage la colère s’enflammer en moi. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire, hein ?!

Lui ne s’emporte pas, toujours pas, jusqu’à ce que je perçoive la crispation de son corps sous le mien, jusqu’à ce que je sente que j’ai touché un point sensible. Enfin. Je m’attends à des coups, je m’attends à des hurlements, autre que ce grognement ridicule que j’ai perçu peu de temps avant… Si il réagit enfin, c’est pour se redresser, pour lutter contre moi pour rester dans cette position inconfortable, il est demi-assis, je suis sur lui, les fesses sur le haut de ses cuisses. Il s’est mis à rire, ça m’a révoltée, il me parle de monopole de la souffrance, je ne sais même pas ce qu’est un monopole. Ça m’énerve encore plus.


- « Ordure ! » grognais-je la mâchoire contractée, le haïssant d’avoir ce beau parlé que je n’aurais jamais et qui m’insultait. « C’est un non marqué qui me parle de difficultés ?! T’a la peau lisse ! »

Si ça aurait dû être une qualité, un compliment, de ma bouche, il n’en était rien. Non marqué. Peau lisse. C’était le pire chez nous, ça voulait dire qu’on n’avait rien vécu, qu’on était né dans le beau monde, du bon côté de la barrière. Je tente de le repousser, de le faire retomber sur le dos, mais il finit par m’agripper de force les poignets, placer mes mains sur ses côtés. D’abord révolté par son emprise, je me débats comme un chat enragé, puis peu à peu la fatigue, ou la raison finit par diminuer ma lutte silencieuse. Il a relâché mes mains et pourtant, elles restent au niveau de ses côtés, mes doigts appuient comme pour réaliser, vérifier qu’il ne s’agit pas d’une quelconque manipulation. J’ai dû paraître mon sauvage un instant, juste un instant, puisqu’il reprend avec ses phrases compliquées, avec sa manière de s’exprimer…

- « Mes désirs ?! » j’écarquille les yeux davantage révoltés « Tu n’as pas quoi en ce sens ?! Tu te t’fou de ma tête ?! C’est moi l’arrogante ?! Je rêve !»

Je me suis éloignée, brusquement, non sans grimacer et étouffer un gémissement de douleur. J’étouffe dans un abri que je fréquente, je me sens enfermée comme lorsque j’étais dans cette cellule. Je pourrais lui cracher dessus, le dépenser, mais je n’en fais rien, je me contente d’enrager dans mon coin. Mes doigts finissent par effleurer la cautérisation récente, je grimace encore… Je me prends une fourrure sur la tête, que je rejette. Si il pense que j’ai envie de sa pitié, il peut se la mettre où je pense. Lui continuait de parler, encore et encore, non sans souligner que sa prime était plus haute que la mienne. Il n’avait donc rien à compris, ce n’était pas une compétition. J’avais froid soudainement, je m’enroulais dans mes bras, me recroqueviller alors qu’il était désormais dos à moi, précisant qu’il ne savait pas faire avec une femme comme moi. Comme moi. J’ai lâché un soupir sans lui accorder le moindre regard, hormis quelques brefs coups d’œil au-dessus de mon épaule. Qu’est-ce que ça peut me faire moi, qu’il soit recherché… Je laisse mes doigts longer mes genoux, mes mollets, puis venir triturer mes orteils alors que mon dos est aussi rond que ce que ma position m’impose. Je me sens en sécurité comme ça, c’est ridicule parce que je ne vois pas ses mouvements, il pourrait m’attaquer soudainement. Je suis enfermée dans mon silence, il me parle de sa survie et je l’écoute par obligation.

Le lieu est si petit que même si je mettais mes mains sur mes oreilles, je serais obligée d’entendre. Il n’a aucune raison, voilà, c’est ce qu’il me dit et je ne peux m’empêcher de soupir bruyamment. Qu’il aille se faire mettre par une dame qui parle comme lui là au lieu de me faire chier moi. Merde. Puis ce fut un silence complet, enfin. Je ne pouvais que le savourer, alors qu’il murmurait plus pour lui-même qu’autre chose, il parlait d’aveugle, je crois… Je me suis redressée, debout, je m’étais immobilisée, le laissant dans son coin, je longeais les murs pour retrouver mes vêtements encore humides. Je me casse. C’est ça qui se répercute dans ma tête, ce besoin de partir. Je préférais tomber malade, crever de froid, me faire bouffer par la fange que de rester ici. Puis il me surprend. Je l’entends s’excuser et je ne peux que me retourner lentement vers lui, la bouche entrouverte. Je l’avais agressé, j’aurais pu le tuer et il s’excusait ?


- « Je ne sais pas ce que veut dire présomptueux » grognais-je à moitié sans que ma voix ne soit virulente, avant de rouler une épaule sans exercer le moindre autre mouvement « je vais… » partir, je voulais lui dire que je partais, qu’il pouvait rester là.

J’étais faible. Faible de regarder mes doigts en me souvenant la sensation de sa peau fine sous ma main, de ses côtés, de ce supplice et cet aveu qu’il crevait de faim. Si bien que mon temps de réflexion me fit perdre le peu d’avance que j’avais sur lui, il se présentait, encore : Alphonse, il penchait la tête, avant de m’expliquer qu’il fuyait le labret, ne pouvait pas rejoindre Marbrume et cherchait un lieu pour survivre. Reprenant ma marche pour récupérer mon restant de vêtements, mes chaussures trouées et le reste de ma tenue que je repassais sur mon corps, je ne lui accordais pas le moindre regard. Ma raison me disait de me barrer de là, alors voilà, oui, c’est ce que j’allais faire.

- « Eh bien bonne chance, Alphonse ! » concluais-je toujours sans le détailler en arrivant à moitié vêtue jusqu’à la pierre qu’il fallait que je déplace.

J’avais déposé mes mains sur la pierre et commençait à déplacer l’ensemble. Je me fichais de la nuit, de la pluie, de la fraîcheur, tu restes, rien à faire, je m’éloignais de lui. C’est tout. Plus je poussais, plus je sentais la douleur s’intensifier, plus j’étais lente dans mes mouvements. Ce n’était pas elle la responsable, mais la petite voix dans ma tête… Et cette voix que je n’avais plus entendue depuis si longtemps… Mathie. Je me suis crispée alors que ma mâchoire s’était de nouveau contractée. Si j’allais le laisser là, évidemment. Pourtant, elle ne semblait pas l’entendre de cette oreille, elle. J’avais senti son odeur, sentie sa présence et lorsque je relevais les yeux, elle se trouvait juste derrière lui.

- « Mathie… » elle était là, juste là, avant de disparaître et de me laisser de nouveau seule sans sa présence réconfortante, comprenant que j’avais formulé à voix haute son prénom je secouais la tête « Isaure. Je m’appelle Isaure et tu fais vraiment chier Alphonse… »

Je me suis appuyée contre la pierre, le ventre se tortillant de douleur et de nervosité. Ma voix avait dû se teinter de cette émotion étrange. Mathie m’avait permis de rester en vie au début, puis plus je m’étais enfoncée dans la survie, plus elle avait disparu de ma vie et là… Elle refaisait son apparition, me reprochant de l’abandonner. Et maintenant ? J’avais froid atrocement, je ne voyais pas grand-chose dans l’obscurité régnante, malgré le fait que mes yeux c’étaient un peu habitué. Je percevais sa silhouette masculine, sans pouvoir détailler son regard. Je ne savais pas quoi lui dire de plus, je ne pouvais pas encore me faire avoir… Non, c’était fini ça de communiquer, d’échanger avec les survivants du dehors du village… Et puis… Merde.

- « On échange au village, je te l’ai dit, si tu veux quelque chose, tu dois donner en échange » débutais-je « On vient de partout, j’veux dire… On ne sait pas tous compter, soigner, prier, ou utiliser des mots compliqués comme ‘présomptueux’ ou ‘monopole’. » je glisse ma main sur mon avant-bras gauche, serrant légèrement « Chacun à une tâche, la chasse, le soin la surveillance et on échange… C’est notre manière de payer. » je ne fonctionnais pas vraiment comme ça « Il n’y pas de dirigeant… C’est la durée de la survie dehors qui te donne ou non un droit de parole… Les plus anciens bannis font partie d’un conseil, qui organise le village… Mais n’importe qui peut décider de devenir membre du conseil… »

J’ai abandonné la pierre qui n’a finalement pas bougé, j’ai replacé le peu qui c’était décalé. J’ai hésité à m’approcher de lui, j’ai fait un pas dans sa direction avant de reculer. Je suis terrifiée à l’idée de tendre une main, encore, ce n’a jamais été bénéfique pour moi. Jamais. Je le contourne, récupère la fourrure qui traîne sur le sol et reviens vers lui –avec une lenteur importante- pour la déposer sur ses épaules. Je m’installe à côté de lui, juste là, s’il me le permet ou une distance plus éloignée si je sens que ça ne lui convient pas.

- « J’ai froid et j’ai mal… » avouais-je « Je peux ? » demandais-je dans un bref geste de menton pour lui demander la permission de me rapprocher et de me blottir « Je te l’ai dit… Chez nous, on s’en fiche du avant, ce qui compte c’est le maintenant. L’argent n’a pas de valeur, je ne sais même pas si elle a encore de la valeur quelque part. MAIS» parce que ce n’est pas beau la vie au village « Il y a de la violence, il y a des choix à faire… On ne fait pas survivre pour certains… La vengeance se rumine… La guerre peut-être ? Tu as de tout, ceux qui veulent voir le prix de leur liberté tomber, d’autre… juste survivre, d’autre recommencer simplement. » j’ai soupiré « Il y a un règle plus importante que toutes les autres… Jamais on ne parle du village, jamais on ne donne son lieu, jamais on évoque les autres, sauf à un autre banni, peut-être… »

Dans le fond, même si il a dit non, je me suis approchée pour déposer ma tête sur son épaule. J’ai mal dans l’ensemble de mon corps, je tremble alors que ma peau est brûlante et le tissu la recouvrant humide. Mes doigts viennent effleurer ses côtés, constater encore la lisseur de sa peau, le creux de ses côtes. Je me souviens de Lance, je me souviens de Gondemar, je me souviens… Mocheté. Chaque fois cela avait entraîné des coups, de la douleur, de la souffrance, chaque fois, mais durant un infime instant, j’avais ressenti autre chose que du négatif.

- « Ne dis pas que tu es bourgeois ou noble » sa manière de parler, d’agir, je le supposais « Ne dis pas que tu as une prime sur la tête, ne dis pas que tu survis parce que tu as de la chance… Plus les rumeurs à ton sujet sont graves, plus tu auras un espoir d’être tranquille… Au début, c’est dur.. » je le supposais, car le village, je l’avais vu se créer, à mon arrivée il n’existait pas, mais je ne dis rien « C’est ça que tu veux ? Moi, je n’y suis plus aussi souvent. »

Parce que je n’avais plus envie de grand-chose, j’aurais voulu vivre comme avant, dans cet avant qui me manquait si fortement… Je n’avais plus beaucoup de souvenirs.

- « On peut tout échanger, même son corps… » c’était un moyen de paiement, pour de la nourriture, pour une chambre, pour quelqu’un qui nous a sauvé la vie « Que ce soit un homme ou une femme. » je ferme les yeux, cesse de le toucher alors que je frisonne davantage « Il y a des abris ici un peu partout dans les marais, tu y trouves toujours de quoi survivre, manger… Il faut toujours le remplacer, c’est une autre règle, mais tous ne la respectent pas… Et puis… Comme ta vie n’a plus grande valeur, les habitants du Labret ou des villages peuvent te confier des contrats à risques, que personne ne veut faire… En échange… Tu auras de quoi manger, des vêtements, une bête… » je ferme les yeux « Tu comprends ? »

Revenir en haut Aller en bas
Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptyVen 11 Sep 2020 - 18:39
La tempête avait soufflé. La quiétude de notre repère avait été fracassée, déchirée par les tourments et écartelée par les peines. Un gouffre d'incompréhension s'était ouvert entre nous. Insondable et abyssal, ce puits sans fond semblait s'élargir sans discontinuer au fur et à mesure de notre discussion antipathique. Alors qu'il aurait mieux valu ne rien dire, j'étais entré dans le jeu de la haine et de la colère. Dès lors, je laissais exploser ma férocité, guidé par l'amertume acrimonieuse devant la vie d'indigent que je menais. Ainsi, tel un combattant luttant contre son opposant, j'avais enchaîné les phrases pour blesser, usant des mots pour créer des maux, lançant des phrases comme un épéiste userait de ses meilleurs techniques pour défaire un adversaire. Or, je devais me faire une raison. Mon innocence crasse et puérile ne s'accordait point à la violence et à la noirceur de cet instant. Encore trop fragile, trop faible, je ne pus continuer, défait au bout d'une lutte sordide, certes, mais courte dans le temps.

Isadora ou quel que fut son véritable nom, venait de gagner.

Fuyant comme un lâche et telle une armée en déroute, je m'étais relevé pour créer de la distance entre cette dernière et moi-même. Ses attaques avaient pesé sur ma conscience. Suffisamment pour me faire sortir de mon mutisme et pour me le faire regretter. Une fois debout, la solitude revint m'agripper à bras le corps. Oui, la bannie était encore là. Toutefois, ce n'était plus pareil. Une distance s'était créée entre nous. Et pour le coup, je ne parlais pas seulement et simplement de la distance entre nos deux corps... Finissant par renouer avec ce que je savais le mieux faire, je redevins silencieux et j'observais ma vis-à-vis, tentant de comprendre ce que je ne comprenais pas, de battre en brèche cette incompréhension devenue problèmes, ces problèmes devenus souffrances.

Finalement, je crus percer les nuages de mon ignorance, percevant peut-être une partie de l'histoire de ma sauveuse. J'avais été idiot. Et comme elle l'avait si bien dit, j'avais été aveugle, focalisé sur son corps plutôt que sa conscience, sur ce qu'elle me disait plutôt que sur ce qu'elle me cachait. Tentant de faire amende honorable, de racheter cette bévue, que je m'incombais, je tentais des excuses et d'enterrer la hache de guerre. Était-ce vain ou futile ? Peut-être. Après tout, seul Isadora pourrait en décider. Toutefois, à ne rien faire, à ne rien dire, je savais que je serais défait. Dès lors, je ne perdrais rien à essayer de me rattraper.

-"Présomptueux ?" Je fronçais des sourcils, réalisant que je me devais désormais de faire attention à mon choix de mots. "J'ai été... prétentieux, alors ?" Disais-je en penchant la tête sur le côté, cherchant à trouver un mot plus facile à comprendre. Toujours est-il que j'avais eu l'impression que mes excuses lui avaient glissée dessus sans que cela ne lui fasse le moindre effet. Elle se levait et s'habillait. Pour quoi faire ? Pour éviter que mon regard ne s'attarde sur les formes et les courbes façonnant sa silhouette ? J'en doutais. La seule explication plausible était impossible... Elle ne pouvait quand même pas partir, là, maintenant ? "Que fais-tu ?" Murmurai-je interdit, piteusement et quelque peu effrayé par cet hypothétique abandon. Lorsqu'elle me souhaita bonne chance, je me relevais, tendant une main pour la retenir, mais sans pour autant bouger. "Tu ne vas pas réellement sortir ? Allons ! Tu es blessé, il pleut, et surtout; c'est la nuit." Je savais qu'elle connaissait les incroyables dangers auxquels elle se livrait en voulait s'éclipser. De fait, elle les connaissaient même probablement mieux que moi.

Soudain, une image sortie tout droit des limbes de ma conscience me vint en mémoire. C'était aussi la nuit. La pluie faisait autant de bruit qu'en ce jour. "Non..." Les supplications allaient rapidement laisser place aux hurlements de terreur. "Non, non..." La mort allait supplanter la peur. Le sang coulerait, et les cadavres s'entasseraient. Je le savais, je l'avais vécu. "N'y va pas !" Je fis un pas, tremblant. Je pouvais quasiment sentir de nouveau l'odeur de la chair humaine en train de brûler. L'affaire de Sarosse me revenait en mémoire. J'avais le souffle court, comme si je venais de courir longuement, moi qui en étais pourtant incapable. Grognant, fermant les yeux et secouant la tête pour chasser les démons du passé, je tentais de m'arrimer au présent pour ne pas la voir partir. Je ne pouvais vivre un autre abandon. Pas encore. Pas maintenant. Pas elle. "Je t'en prie..."

Je n'eus pas gain de cause. Pour autant, elle ne put partir, retenue par la pierre que j'avais remise en place. Trop faible, elle n'était pas en mesure de la bouger. Évidemment, je levai les yeux au plafond, m'adressant plus aux cieux qu'aux dieux, me promettant de ne pas la déplacer par moi-même tant et aussi longtemps qu'Isadora aurait des envies de départ. Les jambes vacillantes, je reculais chancelant vers le mur du fond, avant de m'appuyer dessus et de me laisser tomber. Relevant les jambes et me recroquevillant, je me mis à la regarder s'échiner, ayant compris avant elle qu'elle ne serait pas en mesure de la déplacer dans son état. Patiemment, j'attendis qu'elle se retourne, profitant de ce bref interlude pour retrouver contenance. Mon passé m'ayant rattrapé dans le présent, alors que sa disparition symbolisait en quelque sorte un énième abandon. Comme je l'avais vécu avec l'ensemble de mes proches lors de leur mort, eux qui m'avaient laissés seul après leur trépas.

Enfin, Isaure, car tel était son nom, se détourna de la pierre et se retourna vers moi, m'insultant de nouveau. Or, au lieu de vivre cela avec difficulté, je souriais en hochant la tête. "Je le sais déjà que je fais chier, Isaure." Disais-je en testant la sonorité de son nom pour la première fois. "Enchanté." Poursuivis-je sans bouger et sans la brusquer, attendant patiemment la suite des choses. Je n'avais pas été sourd. J'avais entendu qu'elle avait parlé à une quelconque Mathie. De prime abord, je pensais qu'elle me débaptisait de nouveau, ajoutant à l'opprobre de me donner un nom tout féminin. Cependant, voyant qu'elle m'avait appelé par mon vrai diminutif quelques instants plus tard, je n'en étais plus si certain. Désormais, tous les deux nous nous regardions sans esquisser le moindre geste ou proférer le moindre son. Alors que nous avions été si prompt à parler plus fort et plus violemment que son vis-à-vis, nous étions réduits au silence, ne sachant plus trop que dire ou par où recommencer une conversation qui reprendrait un semblant de normalité. "C'est qui, Mathie ?"

L'écoutant et hochant la tête, comprenant un peu plus l'idée derrière l'échange faites au village des bannis, je me permis de poser une question. "Quelle est ta tâche ? Qu'est-ce que tu échanges ?" J'étais curieux de l'apprendre. Aussi bien pour avoir une idée de ce qui pouvait être fait dans cet endroit que pour mieux connaître ma partenaire d'infortune. Après tout, notre dispute qui avait failli la voir partir prenait racine derrière l'idée que je ne mettais pas assez concentré sur elle, que je n'avais pas vue au-delà des principaux éléments qui caractérisait sa physionomie. "Le monopole c'est quand quelqu'un possède l'exclusivité de quelque chose..." Lui répondis-je doucement. J'étais un peu embarrassé de lui présenter la signification du mot et l'utilisation que j'en avais faite. Après tout, oui, j'avais vécu des moments difficiles. Par contre, sa peau couverte de cicatrice était un rappel à quel point son passé avait dû être douloureux. Si dans cette cabane quelqu'un possédait réellement le monopole de la souffrance, c'était bien Isaure. "Il n'y a pas de dirigeant..." Répétais-je doucement, goûtant les mots en les proférant, en quelque sorte heureux d'apprendre qu'il n'y avait pas une entité semblable à ce perfide despote qu'était Sigfroi de Silvur. Puis penchant la tête sur le côté, appuyant ma joue sur mon genou et plissant les yeux; "Ferais-tu partie de ce conseil, Isaure ?" À mes yeux, cette possibilité s'inscrivait comme une logique. Elle semblait en connaître un rayon sur la survie, preuve de son expérience, mais surtout de sa longévité dans ce milieu précaire. En outre, les preuves de torture qui striait son corps étaient aussi la preuve évidente qu'elle avait été punie pour un crime quelconque. D'où l'idée qu'elle avait été bannie de Marbrume et qu'elle n'était pas forcément initiée de prime abord à la vie à l'extérieur. Ainsi, Isaure devait avoir appris par après à assurer sa propre protection. Et au vu de ses connaissances nettement plus étendues que les miennes, je me doutais que cela devait être arrivé aux prémices de l'idée de bannissement avec l'apparition de la fange.

Puis, la regardant s'approcher avec hésitation, je restais immobile pour ne pas la faire fuir. Souriant pour moi-même, revoyant dans son approche la démarche d'une bête blessée doutant de pouvoir faire confiance de nouveau, je lui laissais prendre sa décision sans brusquer quoi que ce soit. L'important était qu'elle reste dans le taudis qui nous servait de tanière. Aussi bien pour elle que pour moi. La laissant s'installer près de moi, je la remerciais d'un petit sourire lorsqu'elle déposa la fourrure sur mes épaules. "Je me doute bien que tu as mal. Tu as été plutôt...agité pour une personne blessée." Répondais-je en la revoyant me sauter dessus, puis tenter de déplacer la pierre qui nous servait en quelque sorte de porte. "Évidemment." Disais-je lorsqu'elle me demanda la permission de se blottir plus près. Ouvrant la fourrure pour la partager, la laissant s'installer, je la refermai sur elle pour qu'elle puisse à son tour se réchauffer. La voir et la sentir reprendre sa place me soulagea sans n'éveiller plus aucun appel de désir.

-"Je me doute que l'argent n'a guère d'utilité..." Lui répondis-je dans un soupir, ayant conscience qu'il y avait moyen de gagner bien plus que ça en me vendant à la milice. Mais je préférais rester silencieux plutôt que de relancer cette discussion sur un sujet plus que tabou à mes yeux. L'écoutant décrire la vie au village, ma gorge s'assécha. Évidemment, je savais que cela ne serait pas idyllique en un tel lieu. Après tout, certains avaient été bannis pour de bonnes raisons. Toutefois, je m'étais peut-être un peu bercé d'illusions et d'espoir. Avais-je tort de vouloir rejoindre cette société hétéroclite et disparate ? Me raclant la gorge, je haussais les épaules. "Je veux juste survivre et je ne pense pas être en mesure de le faire seul. J'ai besoin d'aide." Puis lui glissant un regard en coin. "Encore...". Puis continuant à l'écouter, je finis pas laisser tomber ma tête contre le mur derrière moi, levant les yeux au ciel. "À t'écouter, ça ne m'a pas l'air d'être un lieu bien charmant."

Lorsque ses doigts viennent toucher de nouveau mes côtes, je ne bouge pas, la laissant faire, réalisant que ce contact est plutôt pour s'assurer elle-même que je suis un crève-la-faim que pour s'amuser à mes dépens comme précédemment. "Je peux ?" Demandais-je à mon tour en levant le bras pour le passer sur ses épaules et derrière sa nuque. J'attendrais son assentiment ou son refus, ne voulant pas l'enfermer dans quelque chose de néfaste ou de douloureux pour elle. "Est-ce que c'est ça que je veux ?" Répétais-je hésitant. "Non, ce n'est pas ce que je veux. Mais mes désirs sont impossibles à réaliser, malheureusement." Oui, voilà. Voir revenir le passé n'était qu'un doux rêve qui ne me permettrait pas d'avancer. Je devais arrêter de penser au passé et passer au présent pour pouvoir espérer un futur. " À dire vrai, je voudrais plus que de seulement survivre. Je voudrais vivre." Me rendant compte que mon discours devait être un peu compliqué et beaucoup trop réflectif, je tentais de m'expliquer un peu plus rapidement que d'habitude. "De pouvoir connaître la quiétude et le calme plutôt que l'urgence et la détresse de tous les instants. D'avoir un foyer et non pas un taudis en guise de chaumière. De ne plus être seul. De ne pas craindre pour sa vie à tout les jours, de manger à ma faim de..." J'allais trop loin pour rien. Refermant la bouche, je lâchais un "voilà" pour finir cette prise de parole qui était plus rêve que réalité. "Si ce n'est pas trop indiscret, qu'est-ce que tu veux, toi ?"

Puis, la voyant fermer les yeux lorsqu'elle eut fini de parler, me demandant si je comprenais, je lui répondis lentement. "Je crois, oui." De ce que j'avais compris -ou retenu- c'est que tout ne serait pas rose dans ce milieu de malandrin et de mutin. Serais-je à ma place ? Probablement pas. Autant alliés qu'ennemis, mes futurs partenaires d'infortune seraient aussi bien un malheur qu'une bénédiction pour moi. "Mais ai-je réellement le choix ?" Disais-je tout bas, pour moi "Si tu n'es plus souvent au village, où te trouves-tu généralement ? Ici et là, un peu partout où dans un endroit en particulier ?" Puis, penchant la tête vers elle; "Ça va ?" Question idiote pour une blessée qui avait passé quelques instants à s'égosiller puis à se mouvoir avec un peu trop de force et de précipitation. "Tu devrais te reposer." Je ne lui imposais évidemment pas de force ce choix, mais cela me semblait plus que logique. " Je prendrais le premier tour de garde. Question de sécurité." Dis-je en haussant les épaules. "J'ai un peu peur que notre discussion quelque peu enflammée est faite un peu de bruit." . Dis-je en mimant un espace minime entre mon pouce et mon index. Puis, en la regardant; "Je ne ferais rien." Promis-je. "Fais-moi conf..." Me rendant compte que c'était un terrain glissant et que je ne voulais pas renouer avec ce genre de conversation, je me repris. "Je ne ferais rien." Préférais-je répéter.

Puis, retournant appuyer ma tête contre le mur, je pris la parole de nouveau, avant de potentiellement lui laisser la chance de glisser dans le sommeil. " Je pense qu'il est important de remplacer la nourriture que nous avons prise avant de partir." Ou de se séparer, pensais-je sans le formuler, encore aucunement certain de la voir rester ou m'aider dans les jours à venir. "Mais ça, ça peut attendre demain..."

Finalement, si Isaure acceptait de se reposer plutôt que de continuer de discuter, je la laisserais dormir, laissant mon esprit vagabonder autour des réponses que j'avais trouvées grâce à elle autour du village des bannis. Plus désenchanté qu'enchanté par ses informations, il n'en restait pas moins que tout valait mieux que de finir esseulé et isolé dans les marais. Je devais éviter Marbrume, ses environs et le Labret pour un temps. Dès lors, avais-je réellement le choix de ma destination ? Mon avenir semblait plutôt tout tracé, me menant directement au milieu de cette engeance qui portait la marque. Et ce, pour le meilleur comme pour le pire...

Si elle dormait d'une traite, je ne la réveillerais pas. Elle était blessée et moi j'avais l'esprit surchargé. La laissant se reposer, je monterais une garde silencieuse, sans bouger et les yeux rivés dans le vide. Or, je finirais par m'endormir à mon tour, aux premières lueurs de l'aurore. La rejoignant, en quelque sorte, dans les bras du sommeil, ma garde terminée contre mon gré, moi qui avais été achevé par le sommeil.
Le soleil se lèverait-il sur un jour nouveau ou sur une énième matinée de galère ?
Revenir en haut Aller en bas
Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptySam 12 Sep 2020 - 1:39


- « Personne » fis-je brusquement, comme un chien protégeant sa gamelle « C’est personne » répétais-je en fixant le coin ou je l’avais vue sans succès

Mathie elle me manquait, je l’avais supplié de revenir, elle n’avait jamais répondu à mes appels et là… Là elle débarque pour me demander de ne pas l’abandonner. Je suis certaine que c’est elle qui a bloqué la pierre. Je ne me sens pas très bien, j’ai mal, je ne tiens pas bien sur mes jambes, pourtant je suis là, encore, dans cette pièce avec lui. Tout mon être frissonner, ma peau continue de perler de sueurs pour ensuite coller au tissu qui est pourtant déjà humide. Alphonse n’avait pas bougé, contre une paroi, il me regardait, il avait eu peur que je parte, je l’avais vue paniquée, je l’avais entendue, pourquoi ? Mes lèvres se pinçaient à de nombreuses reprises, alors qu’il osait une première question, celle de ma tâche au village… Difficile à dire, je faisais beaucoup de choses et j’avais peur de lui révéler trop d’éléments à la fois.

- « Je… » comment raconter toute une vie, une habitude, un quotidien qui m’échappe la plupart du temps « Je ne sais pas quoi te dire Alphonse » avouais-je finalement « je… Je ne sais pas ce qui est important ou non… »

Dans ma tête ça se bousculait, ça me mettait mal à l’aise, je n’avais pas l’habitude d’être ainsi le centre d’intérêt. Alors je devais avoir l’air ridicule à trifouiller mes doigts en regardant le sol, à réfléchir en fronçant les sourcils à de nombreuses reprises. A prendre des inspirations, puis des expirations bruyantes. La vérité c’est que je n’étais pas la survivante qu’il voyait en moi… Je ne savais même pas ce qu’il voyait en moi. J’ai relevé les yeux vers lui, avec cette question au bord des lèvres, pourquoi avait-il eu si peur de mon départ ? Pourtant, je n’ai rien dit, j’ai glissé une main derrière ma nuque, j’ai froissé une mèche de cheveux avant de reprendre la parole.

- « Un peu tout… Je chasse, je vais en ville, j’espionne, je fais s’éloigner la milice... J’écoute... Je crois.»

Ma main quitte ma nuque pour venir se déplacer sur mon avant-bras, que je pince à plusieurs reprises. Je crois que je sens une douleur dans ma poitrine quand je comprends le mot monopole. Est-ce que je n’ai pas suffisamment souffert pour l’affirmer, est-ce que je l’ai affirmé ? J’ai effleuré de mes doigts quelques cicatrices, j’ai insisté sur ma cuisse où la morsure se trouve. J’ai repensé à mocheté, à Lance et j’ai senti ma gorge se serrer. Finalement, j’ai fait silence, lui offrant peut-être un regard plus froid que ce que j’aurais voulu, mais à cette distance je doute qu’il puisse vraiment le voir. Peut-être que lui avait le monopole de la connerie alors. Je soupire, encore. Sa dernière me question augmente cette sensation de gêne, comme si je devenais encore cette chose positive à ses yeux, il n’y a rien de bon à être au village, ni même à faire partie du conseil… C’est un gouffre, juste un gouffre.

- « Je suis une des plus anciennes bannies encore en vie, alors… » oui, mais ce n’est pas sortie, pas le moindre son « Cela n’a pas vraiment d’importance, tu sais ? N’importe qui peut devenir un membre du conseil, demain peut-être que je ne reviendrais pas. » C’était plus simple de dire ça, plutôt que d’avouer que sans doute on me tuera pour ma place, ma cabane, parce qu’on me jugera faible, trop absente.

Je me suis relevée pour avancer, puis m’éloigner. Je n’arrivais pas à le rejoindre, c’était comme si un mur invisible se retrouvait entre nous, comme si des flammes allaient me consumer sur place une fois à côté de lui. Alors, je l’ai contourné pour récupérer la fourrure, moi j’avais des vêtements humides, lui, rien du tout. Sa demande d’aide me fit m’immobiliser, moi aussi, j’avais eu besoin d’aide au départ. Je n’étais pas là Isaure d’aujourd’hui, j’avais peur, j’avais froid, j’avais faim, j’étais seule. Je ne savais pas utiliser un arc, une dague, ni reconnaître les points d’eau, ni vérifier l’eau, ni monter à un arbre… J’avais fini par le rejoindre, déposer la fourrure sur lui, ma tête sur son épaule. J’avais simplement opiné lorsqu’il avait demandé pour son bras. Je tirais sur la fourrure offerte, venait davantage contre sa silhouette avant de laisser courir mes doigts dans une curiosité naturelle. Il me disait que ses désirs étaient impossibles à réaliser, je ne pouvais que comprendre non ?

- « C’est possible, mais si tu continues d’arrêter d’essayer alors… Est-ce que ça vaut encore le coup de vivre ? »

Et puis c’est le choc… Le vrai, il développe sa pensée ce qu’il veut et je me sens me crisper complètement. Je ne dis rien, je reste silencieuse, encore, mon souffle est un peu hésitant. Comment il peut vouloir tout ça, lui ?! Je crois que je comprends, pour la première fois depuis notre rencontre, je comprends. Mes doigts cessent l’exploration, presque naturellement. Je me sens comme Etiol à ce moment, rejetée ou porteur de mauvaises nouvelles. J’avais essayé, mais ce n’était pas possible. On ne pouvait pas retrouver la normalité, on ne pouvait pas être heureux, avoir des enfants, un foyer, ne plus avoir peur… Ce n’était plus possible, mais je ne pouvais me résoudre à briser ses espoirs, comme Lance avait fait éclater les miens après m’avoir promis une vie si belle. Je ne voulais pas être la « Lance » d’Alphonse, ce rôle ne m’appartenait pas. Je me refusais de briser quelqu’un, de faire ressentir ce que j’avais ressenti moi.

- « Je crois que je suis un peu trop ancienne pour continuer à espérer quoi que ce soit, mais… » j’ai failli lui dire que c’était dingue de penser encore ça, de renoncer, d’accepter tout de suite qu’il n’y aurait plus que la survie. Mathie intervient encore, ne fais pas ça qu’elle me dit, alors je renonce « Qui sait de quoi demain sera fait… Il ne faut jamais abandonner son rêve, non ? Je vais essayer de survivre déjà et puis… Un beau jour je trouverais p’tetre ce que je cherche»

C’était ridicule. Ce que je cherchais ? Rien. Je ne voulais plus espérer ni ressentir ni… Je voulais être seule, seule dans une cabane, avec un arc en main, je voudrais tuer des fangeux, hurler et mourir… Ça serait tellement plus simple, mais à chaque fois que je m’installe dans une cabane, avec un arc, que j’attends que la mort arrive… Je fuis. Je suis bien trop faible pour accepter de mourir. Alors j’ai fermé les yeux, tout en restant contre lui, les yeux fermés, mais à l’écoute de tout le reste, du bruit, du silence, de la pluie, du tonnerre qui gronde. Il me parle de choix, comme si il n’en avait pas. Est-ce qu’il s’adressait à moi ? Son attention me retombe dessus, il veut savoir ce que je fais, où je vais, pourquoi ? Je roule des épaules, secoue la tête de gauche à droite. Je ne sais pas moi-même, rarement, je suis une piste, puis une autre, et puis je me retrouve dans la merde, souvent, comme là.

- « Je… vadrouille. De village en village, de chemin en chemin… Dans des abris comme celui-là… » je ne parle pas des viols, je ne parle pas des moments où je vends mon corps, je ne parle pas de grand-chose finalement « Il ne faut jamais rester longtemps au même endroit, alors… On ne peut pas avoir de monopole avec une marque » j’ai tenté de placer le nouveau, sans trop savoir si je l’ai bien utilisé, je ne crois pas, ce n’est pas très grave.

Alphonse. Je me répète son prénom, je crois que je l’articule même silencieuse. Mathie, elle est là de nouveau, elle m’adresse un sourire alors qu’il me demande si ça va. Je l’a déteste à cet instant, je crois. Elle a tout compliqué en m’abandonnant, deux fois. Je croyais qu’elle avait pu rejoindre les Trois et elle est là, à m’empêcher de me barrer d’ici. Je ne suis pas comme ça, je ne suis pas cette femme qui aide, je n’apprends pas, je veux juste la tranquillité moi pas… un… un… Un Alphonse à mes côtés. Il veut prendre le premier tour de garde, craint que la fange soit là à cause de notre dispute. Il prône qu’il ne me fera rien et je me contente de rouler encore des épaules, peu importe dans le fond. Je crois que le geste m’a échappé, mais ma main est venue frapper l’arrière de sa tête, brièvement, brusquement, sans lui décrocher le crâne non plus.

- « C’pas possible d’être bouché comme ça » ronchonnais-je « T’écoute vraiment rien hein ! » poursuivais-je dans la même idée « Elle est déjà là, la fange. » il n’y avait plus de bruit dehors, hormis la pluie, le vent « Elle ne restera pas… Il y aura une autre proie, ailleurs.. Si tu entends crier, ne sors pas, si tu entends pleurer et supplier n’ouvre pas. » si elle rentre, tu fuis sans te retourner. Ca je ne l’ai pas dit, mais je ne peux que le penser. Puis je me mets à rire, avant de tousser « Toi quand tu te bats avec quelqu’un tu dis que la discussion est enflammée, c’est ça ?! Putain de bordel de merde… J’imagine pas ce que tu dis pour des autres trucs »

Je ne pouvais que rire… Je n’arrivais pas à m’en empêcher. Je l’imaginais sauter la gueuse en disant des phrases à la con. Lui, ça devait pas être le genre à nommer ses couilles Maurice, Lucette ou que sais-je… Il devait même ne pas utiliser le mot là. Merde... Je l’imaginais installer dans un fauteuil, demander dignement ‘Madame pourriez-vous je vous prie venir siéger sur mes cuisses avant de discutailler de manière sportive’, je me suis mise à rire encore, plus fort, si bien que j’ai dû placer mes doigts devant ma bouche, retenir un petit hoquet qui venait d’apparaître à cause de mon rire. Je n’osais qu’à peine lui lancer un regard en coin, un peu désolé. Je devais paraître bien mal éduquée pour lui.

- « Ne promets jamais rien… » fis-je finalement « Ici, tu veux quelque chose, tu le prends, c’est comme ça. Tu ne promets pas à une femme de la protéger ni de rien faire… Tu ne le fais pas, ou tu le fais, c’est tout. » je referme les yeux, enfouie ma tête un peu dans son épaule « On n’est pas des gens biens, ni digne et p’tetre qu’un jour un homme voudra te retourner pour te pilonner le cul, juste pour se soulager, alors franchement Alphonse… arrête de réfléchir. »

Je devais paraître monstrueuse ainsi, mais je l’étais non ? Je ne sais plus trop. Dormir, j’en étais incapable, c’est ce que je pensais du moins. Il me parlait de la nourriture et j’étais surprise de le voir souhaiter la remplacer, quoique ça lui ressemblait plutôt bien finalement. Il avait l’air du genre chevaleresque, à baiser les mains des dames, à saluer de la belle manière, à parler avec des beaux mots…

- « Ça doit attendre demain » grommelais-je finalement en sentant le sommeil m’emporter.

J’avais luté au début, terriblement, il avait dû le sentir, mon souffle était rapide, trop pour être naturel, mes yeux s’ouvraient puis se refermaient encore et encore. Je ne disais pourtant plus rien, rien du tout. Et puis j’ai sombré, complètement. Mon sommeil n’avait jamais été reposant, pas depuis la mort de Mathie, pas depuis que je suis bannie, je gesticule, je gémis, je lutte endormie comme si je fuyais ou comme si je me battais contre quelqu’un. Lorsque je dors, je pense à Lance, je pense à Mathie, je pense à la fange, la mort et tous ceux qui sont plus là. Cette nuit-là n’échappait à aucune règle et je ne serais aucunement surprise de savoir que je lui avais mis des coups involontairement, ou que j’avais parlé de Mathie, de lance, de Mocheté, ou même d’avoir été vulgaire. Le bruit des hurlements cela ne m’atteignait plus, le plus des griffes sur l’abri non plus, la pluie, le tonnerre, le froid. Non, plus rien ne parvenait à m’atteindre, pourtant il était impossible de prétendre que j’avais le sommeil lourd. J’avais dû me réveiller à plusieurs reprises sans vraiment m’en souvenir. Je me revoyais encore dans cette cabane, après tout ça, après avoir réalisé que Lance m’avait vendu à la milice en comprenant que j’étais la domestique accusée de toute cette immondice… J’aurais tellement voulu avoir le courage de ne pas fuir, d’attendre la fange, mais je n’ai pas réussi. Je me suis sentie murmurer ce pourquoi, j’ai perçu ma propre voix dans mon sommeil et les larmes dévaler mes joues. Je me suis revue rentrer dans l’eau, mettre la tête sous l’eau pour hurler, hurler encore et encore, si bien que je crois que j’en ai même arrêté de respirer.

Quand j’ai ouvert les yeux, je m’étais accrochée –sans doute vraiment brusquement et fortement- à son bras, alors que je reprenais mon air comme si j’en avais manqué, alors que je sentais les tambours battre avec une force impressionnante. J’ai pris peur, peur de qui était à côté de moi, je me souvenais plus très bien. Je me suis éloignée d’un bon attrapant ma dague pour la diriger vers lui, le goût salé encore sur les lèvres. Comme une bête sauvage le dévisageant, je réalisais… C’était Alphonse, je relâchais mon arme, prenait le temps de respirer calmement. J’avais dormi, véritablement. Et lui ? Je me redressais avec lenteur, sans trop savoir quoi lui dire.


- « Je n’ai pas l’habitude de me réveiller avec quelqu’un… J’avais oublié que tu étais là… » un semblant d’excuse, je rangeais ma dague dans ma botte, réajustais mes vêtements désormais secs « Tu as dormis ? Ça va ? » je meublais la conversation « Bon… Il ne faut pas traîner… » je devais me décider, le prendre avec moi ou pas « Enfile tes vêtements, on s’en va récupérer de quoi remplacer la nourriture »

Le réveil n’était pas lent avec moi, dès que les rayons du soleil émergeaient c’était autre chose qui pouvait arriver : les Hommes. Banni, brigand, pirate, milice, peu importe. J’avais mal, encore et je ne pouvais m’empêcher de glisser une main au niveau de mon ventre. La douleur n’allait pas disparaître ainsi.

- « Enfin, quand je dis on… C’est toi. Mais je veux bien te montrer… » je lui montre d’un geste de la tête la pierre que je ne peux pas déplacer « Dehors, c’est humide, alors écoute tout… D’accord et…. Ne me fais pas confiance, ne pense pas que je suis autre chose qu’un monstre, remets toujours tout en question, peu importe de qui ça vient, mais ne montre pas que tu le fais. » C’était sans doute brutal pour un réveil, même pour moi… « Je te laisse me trouver de quoi remplacer là, je te suis… Et après… On prendra le temps du réveil proche de l’eau… Je ne veux pas te faire peur, mais tu empestes encore plus que mes orteils. »

Je détestais les réveils, encore plus que le sommeil. Je me reprenais tout en pleine tête, l’absence, l’envie de retourner dans tout ce que je ne veux plus. Alphonse. Je ne veux pas l’aider, pourtant je le fais, je ne veux pas l’emmener au village pourtant je lui laisserais ce choix, je ne le formule pas vraiment, mais je ne peux me résoudre à être ça… Celle qui condamne, on ne m’a pas laissé de chance à moi, malgré les épreuves, les réussites. Je me suis éloignée de lui, je maintiens une distance alors que la nuit était proche, mais je n’arrive pas, je suis incapable d’être encore là, je ne le connais pas, il ne m’a rien dit de lui. Il est trop différent… C’est ça les nouveaux bannis, même pas. Je prends une inspiration, puis une autre… Je vais trop vite pour lui, j’en suis convaincue. Que pouvais-je faire ? Alors je reprends, avec lenteur, comme si je tentais de devenir plus sociable, plus humaine…

- « Bon matin.. Alphonse… » je me tortille un peu sur place de cette manière ridicule « Le matin, les nouveaux fangeux se relève, c’est là que les dernières transformations ont lieu… C’est pour ça qu’il faut s’approcher des plages si possible….Tu n'as pas changé d'avis? »

Revenir en haut Aller en bas
Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptySam 12 Sep 2020 - 18:22
-"Autant être mort que de ne plus avoir de rêve..."

Précédemment, j'avais peut-être été aveugle. Or, cette fois-ci, je voyais bien qu'elle en pensait plus qu'elle disait. D'ailleurs, je percevais que mes désirs pour l'avenir n'étaient guère conciliables avec sa propre vision du monde dans lequel nous vivions. Comment je pouvais le savoir ? Son regard s'était fait fuyant. Ses mots étaient devenus hésitants. Plutôt que de me conforter dans mes envies, elle cherchait à me donner raison tout en me donnant tort par les silences qui entrecoupaient ses prises de parole. Souriant doucement en l'écoutant, je fus pris d'un sentiment amer. J'étais déçu de ne pas trouver en Isaure une personne à même de réellement comprendre mes aspirations. Certes, ces dernières étaient plus que folle en ces temps incertains, mais je pensais -peut-être à tort- que rien de mal ne pouvait arriver d'un simple désir tourné vers l'avenir.

Toutefois, bien que j'étais attristé de ne pas trouver un support sur ma vision des choses chez la bannie, j'étais aussi en quelque sorte heureux de la voir patauger pour ne pas briser mes rêves éveillés. Certes, sa façon d'agir ne m'apportait aucun sentiment d'apaisement personnel. Cependant, cela transformait un peu ma vision sur elle. Moi qui pensais qu'elle parlait toujours à tort et sans réfléchir, j'étais plus que surpris de la voir faire attention au choix de ses mots. Preuve s'il en est qu'au fond elle n'était pas une si mauvaise personne.

Quand elle parla de sa vision, j'eus l'envie de lui présenter le fait qu'elle était aigrie. Je ne savais pas le nombre d'échecs qu'elle avait vécus dans son existence. Je me doutais que sa vie avait été faite de récifs, de tempêtes et de tourments. Après tout, son corps et son esprit le prouvaient assez bien; elle était aussi bien navrée que balafré par son passé. Or, était-ce réellement une raison pour abandonner ? Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais l'impression d'être au côté d'une femme qui était déjà morte. Ou à tout le moins endeuillé par la vie. Sans commune mesure avec ses propres états d'âme, j'avais déjà été habité par des sentiments semblables. Or, j'avais eu la chance de tomber sur des gens qui m'avait redonné une forme d'espoir. Thomas et sa fille Ophélie. Mathilde la fermière et Jacob mon ancien ami en quelque sorte retrouvé. Et pour tout vous dire, même une certaine Isaure... quoique pour le coup, mon sentiment à son égard restait encore ambivalent et mitigé.

-"Je suis le plus inutile et futile des fugitifs et j'ai des rêves grandiloquents." Puis, me reprenant pour m'assurer qu'elle comprenne; "J'ai des rêves hors du commun et fort possiblement inatteignable." Puis haussant les épaules et fermant les yeux pour un temps, ne voulant pas voir sa réaction et préférant conserver pour moi cette parcelle d'espoir; " Probablement que mon innocence et ma fraîcheur ne s'accordent pas à la violence et à la noirceur du monde qu'est le village des bannis et la survie." J'étais peut-être fou d'espérer, oui. Mais pas idiot pour autant. " Mais si je continue d'arrêter d'espérer, est-ce que ça vaut encore le coup de vivre, hein ?" Je venais de réutiliser ses propres mots, lui renvoyant ce qu'elle m'avait dit. Je pense que lesdits propos n'auraient pas été les mêmes si j'avais commencé par énumérer mes désirs. Or, sur ce point, j'étais d'accord avec elle. Son commentaire avait été plus qu'étonnant, tandis qu'elle ne semblait plus rien espérer. Du moins, si ce n'est la délivrance des douleurs et des difficultés qui la suivait... "Tu devrais t'écouter plus souvent, Isaure. J'ai l'impression que tes propos ne concordent guère avec tes pensées." J'étais peut-être un idéaliste et elle une réaliste. Mais qu'importe, je n'arrivais pas à rester impavide devant pareil détachement et abandon.

Sur une autre note, je me rendais compte que plus je la questionnais, plus elle se rétractait. Tiens, tiens, intéressant. Ne pouvais-je m'empêcher de penser en souriant à pleine dent. Autant qu'elle pût n'avoir aucune gêne avec son corps, elle semblait ne guère aimer de se laisser découvrir au détour de la conversation. Si je ne savais pas comment parler aux femmes de son genre, Isaure ne savait, quant à elle, tout simplement ne pas parler de sa personne. Ou du moins, pas avec le monde de mon genre, alors que je percevais son malaise. Évidemment, faisant comme si je n'avais rien vu, je continuais à la questionner. En quelque sorte, c'était un peu à mon tour de m'amuser à ses dépens. Or, peut-être étais-je un peu plus perfide, tandis que je cachais au mieux mon observation de son indisposition.

Lorsqu'elle me parlait de monopole, j'hochais la tête pour lui dire qu'elle n'avait pas fait d'erreur en plaçant ledit mot dans sa phrase. Décidément, Isaure était une élève qui apprenait vite et ce, que ce soit au niveau des chiffres ou bien des mots. Il ne me restait plus qu'à espérer être aussi rapide pour apprendre à survivre. Me faisant frapper derrière le crâne, sans m'y attendre, je grognais pour faire entendre que je n'appréciais guère ce genre de traitement. Toutefois, je restais silencieux sur la chose, habitué à me laisser marcher sur les pieds. " Je t'écoute toi..." Tentais-je de m'excuser pour ne pas avoir remarqué le silence extérieur.

Puis, c'est son éclat de rire qui me sortit de ma mauvaise humeur suite à son énième attaque. Je ne m'attendais aucunement à ça. Comme d'habitude, elle me surprenait. Or, je déchantais de nouveau, réalisant que j'étais la source de son amusement. Je fronçais des sourcils, pinçant les lèvres, avant de relâcher les traits de mon visage et de hausser les épaules. Était-ce si grave d'être la victime de son amusement ? Non, je ne pensais pas. C'était la première fois que je l'entendais s'amuser de la sorte. Ce serait potentiellement la dernière. "Je me doute très bien de "quels autres trucs" tu parles !" Disais-je en tentant d'avoir l'air sérieux et vexé, mais en vain. "Sache que quand on a un minimum de politesse, on n'en parle tout simplement pas, de ces "autres trucs"." Avouais-je en secouant la tête, me rendant compte que cela serait sûrement ô combien stupide pour elle qui agissait comme elle le désirait et disait tout ce qu'elle voulait. Toujours est-il que je préférais la voir rire que de se mettre en colère. Ainsi, pour cela, j'étais prêt à lui offrir une bonne raison de se moquer de moi.

Mais comme d'habitude, tout revint à la normale. Cet instant fugace, où j'avais eu l'impression de côtoyer une autre personne, disparue excessivement rapidement pour me laisser de nouveau auprès de la bannie, de celle qui c'était fait appelé Isadora et qui était encore et toujours, ma sauveuse tueuse. Elle vint parler de ce qui devait être fait et de ce qui ne devait point être acté. Parlant au "on", elle répudiait l'idée de faire une promesse, arguant que la malveillance et la concupiscence étaient les seuls principes qu'"ils" connaissaient et respectaient. " Je croyais avoir compris que tu ne t'associais pas à toutes les pratiques des bannis et voilà que tu parles en "on" ? " Était-elle comme les monstres qu'elle décrivait, elle qui avait pourtant sous-entendu ne pas l'être ? Je ne devais plus réfléchir ? Jamais je n'en arriverais là. C'était mon arme, ma seule force. " Et toi, arrête de fléchir." Murmurais-je obstiné et buté, commençant à percevoir à quel point elle était désabusée de la vie. "L'habitude au désespoir est pire que le désespoir en lui-même..." Continuais-je sur le même ton faible. Mais préférant ne pas retourner et renouer avec un débat houleux, je n'en dis pas plus. Par ailleurs, j'étais perdu, n'arrivant pas à m'enlever de la tête l'idée que je ne savais rien sur ce qui m'attendait là-bas et que la situation serait peut-être horrible. Or, je savais une chose...

Si j'entendais crier, je sortirais. Si j'entendais supplier et pleurer, j'ouvrirais. Pourquoi ? Probablement parce que j'étais un idiot et...

Et parce que j'étais un homme et non un monstre.

Du moins, pour le moment.

◈ ◈ ◈

J'avais veillé toute la nuit durant, l'esprit surchargé de pensée. Cogitant les récents événements et mes nouvelles découvertes, j'avais écouté les bruits extérieurs sans être dérangé par une quelconque menace. Du moins, par ces derniers, car ma compagne d'infortune avait été plus que grouillante et "dangereuse" pour moi. Ses mouvements désordonnés m'avaient valu quelques coups qui m'avaient fait serrer les dents. L'une de ses attaques involontaire, plus intempestive que les autres m'avait fait grogné et possiblement marqué au niveau des cotes. Lui lançant un regard, alors que la douleur m'avait tiré de ma rêverie comateuse. Or, voyant son visage aussi crispé par les cauchemars, j'avais soupiré et je n'avais plus rien fait, subissant les attaques sans broncher. À quelques reprises, Isaure s'était réveillé durant d'infimes secondes, en panique. Encore une fois, je ne faisais rien et je ne lui parlais pas, ne lui offrant que ma présence et la chaleur que nous partagions. Continuellement, lorsque cela arrivait, elle retombait dans un sommeil qui était tout aussi agité.

C'est peut-être au milieu de la nuit que j'entendis ses premiers mots. La bannie parla d'une lance et d'une mocheté. Intrigué, tentant de percevoir d'autres mots à même de m'aiguiller sur les tracas qui parsemaient les méandres de ses macabres rêves. Ce fut vain. Entre "Mathie" et ces nouveaux éléments qui semblaient importants pour elle, je ne comprenais rien. Était-ce son arme de prédilection, la lance ? Avait-elle perdu son arme ? C'était un peu gros pour faire des cauchemars à cause de ça... et puis, mocheté. Parlait-elle d'une amie en particulier ? Peut-être.

Toujours est-il que je ne cherchais aucunement à l'aider ou à lui offrir un support plus important ou grand que ma présence. Pourquoi ? Parce que je me sentais minable et misérable devant ses peines. Que pouvait donc faire Alphonse de Sarosse pour aider cette femme écartelée par son présent et son passé, cette femme marquée par une vie de misère et de douleur ? Absolument rien. Faible, je ne pouvais que rester là en silence, contemplant les démons qui peuplaient les landes de son esprit.

Finalement, ma garde que j'avais voulu continuelle vacilla. Mes yeux se fermèrent tout seuls. Moi qui avais pensé ne les reposer que quelques secondes, me retrouva plutôt en train de dormir à mon tour. Trop écrasés par le sommeil, les cauchemars ne vinrent pas m'attaquer.

Soudain, je ne savais guère combien de temps après m'être assoupis, je fus réveillé en force par une main m'agrippant le bras. Sursautant, j'entendais Isaure reprendre sou souffle, comme si elle sortait de sous l'eau. "Je ne dormais pas ! Je ne dormais pas !" Tentais-je tout de suite de dire, me redressant alors que j'avais glissé et que mon crâne était venu se déposer sur le haut de la tête de la bannie. Clignant des yeux, en quête d'une lucidité qui avait été battue en brèche par ma torpeur, je glissai un regard à Isaure, avant de suspendre l'ensemble de mes gestes. Elle me dévisageait dans un mélange de peur, de colère et d'incompréhension. Qu'avais-je fait ? "Je n'ai rie..." J'avais levé les mains pour me dédouaner de tout potentiel crime. Or, c'était trop tard. Je la vis prendre sa dague, prête à fonde sur moi. "Isaure !" Son geste se suspendit et je vis son regard s'éclaircir. Plus calme, bien qu'encore tourmentée par sa nuit, elle rangea son arme et se mit à respirer. Ce faisant, je réalisais que je retenais mon souffle. Relâchant ce dernier d'un coup je laissai ma tête retomber sur le bois-pourri derrière moi.

Ouvrant un œil je l'observais, remarquant ses yeux rougis. Je fis comme si je n'avais rien vu. " J'ai vu ça !" Disais-je lorsqu'elle mentionna qu'elle avait oublié ma présence. Attendant la suite, des excuses plus formelles, je n'en eus aucune. Guère surpris, mais en quelque sorte déçu, je reniflais et secouais la tête. " Oui, oui j'ai dormi." Mentis-je. " D'accord". Me relevant, laissant choir la fourrure sans plus aucune gêne, je me dirigeais vers mes vêtements de la veille. Ce faisant, je laisse mon regard se diriger vers mes cotes, voyant un bleu qui s'était formé durant la nuit. Claquant la langue, je commençais à m'habiller. Moins mouillées que la veille, mes frustes frusques étaient encore humides. Ce n'était guère plaisant à enfiler, mais je survivrais. L'écoutant parler, mais rester silencieux n'était guère heureux de ce qu'elle proférait, je la laissais terminer avant de me diriger de nouveau vers elle. Le dessous de mes yeux devait être violacé par le manque de sommeil, tandis que je savais pertinemment que mon teint hâve et blême marquait facilement, tout comme il se paraît plus que rapidement de rouge lorsque j'étais en proie à la gêne.

Heureux d'enfin l'entendre dire quelque chose qui s'apparentait à une marque de politesse, plutôt qu'à un ordre ou un avertissement amer, je hochais la tête sans m'en rendre compte, comme pour l'encourager. "Bon matin à toi aussi, Isaure." Disais-je dans un grand sourire. Puis un peu plus sérieusement; "Non, pas le moins du monde." Me passant les deux mains dans les cheveux, sachant pertinemment que c'était le meilleur moment pour parler avant de se retrouver dehors, j'en profitais pour me vider le cœur et répondre à ses propos. "Ne t'attends pas à des miracles." Disais-je en levant mes dix doigts. "Je connais quelques racines ou champignons comestibles, mais je ne sais pas le moins du monde tendre un collet." D'ailleurs, j'étais complètement démuni en matériel pour le faire. En outre, ça je ne lui dirais pas, mais mes maigres connaissances sur ce qui était comestible ou non, je l'avais appris tout seul alors que la faim me dévorait de l'intérieur. J'avais été la plupart du temps chanceux avec la flore et la végétation de la forêt. Toutefois, à quelques reprises, j'avais été bien malade... généralement, je me dirigeais plus vers le vol que la chasse. Bien qu'un piètre escamoteur, j'avais au moins la chance d'espérer pouvoir chaparder un élément pour me sustenter. Mais là, au milieu de la forêt ? Il n'y aurait pas grand-chose à voler. "Comment vas-tu ce matin ? Veux-tu que je regarde ta blessure ?"

Enfin, je lui livrais l'une de mes pensées; " Je serais tenté de retourner au convoi. Il doit bien rester de la nourriture et des choses utiles là-bas." Puis levant la main; "Je sais que ce n'est guère une bonne idée. Surtout pas présentement, alors que les nouveaux fangeux sont peut-être encore sur place. Mais si on attend..." Attendre quelques heures, ou le lendemain ? Je n'en étais guère certain, ne connaissant que la bestialité et la voracité de ces prédateurs de l'humanité. Serait-elle d'accord avec mon idée méditée cette nuit ? Allez savoir.. Toujours est-il que je ne sortais pas cela de nulle part. Oui, je voulais y aller pour ramener de la nourriture, mais pas seulement. Ce qu'Isaure m'avait dit sur le village des bannis m'avait interpellé. Je n'étais pas prêt à plonger dans cette société. Toutefois, je considérais ne pas avoir le choix. Ainsi, au lieu d'arriver tels le mendiant et l'affamé que j'étais, je préférais pouvoir m'y rendre avec nourriture et des objets utiles pour conforter ma position précaire dans cet endroit qui semblait être un repère d'indigent et de mauvaises gens. Et, bien que dangereux, le charnier duquel nous nous étions sortis restait une véritable source de trésor. Mort ou en fuite, personne ne nous empêcherait de chaparder ce que nous voulions. Du moins, si ce n'est de la fange...

-" J'ai compris pour la confiance. Je ne suis pas assez idiot pour l'offrir au premier venu, mais je suis assez stupide pour te l'offrir à toi." Terminais-je en haussant les épaules. Je savais qu'elle voulait m'aider et je savais aussi qu'elle avait en quelque sorte raison. Or, son amertume était tellement forte et sordide que cela me révulsait. Isaure était un être de hargne et de colère. Et bien qu'elle est probablement de bonne raison d'être ainsi, son ressentiment envers les autres était à mes yeux aussi bien une force qu'une faiblesse. Après tout, l'important n'était-il pas plutôt de pouvoir cerner convenablement les gens ? D'éviter les salopards et mécréants et de s'allier avec ceux faisant preuve d'un semblant de bonté ?

Soupirant et secouant la tête, sachant pertinemment qu'on n’en arriverait point à un consensus en l'état et sur la question, je me mis à déplacer la pierre avant de sortir à l'extérieur, prêt à affronter cette nouvelle journée de survie et de pérégrination. L'indolence que j'avais connue à l'intérieur de la chaumière laissa place à l'urgence de l'extérieur. Je n'étais pas aussi expérimenté qu'Isaure, mais je n'étais pas non plus un débutant. Je savais que dehors, nous courrions un danger à tous les instants. Mes yeux se promenaient autour de nous, en quête d'un signe révélateur d'une quelconque engeance à même de nous nuire. Je m'inquiétais peut-être un peu trop rapidement, tandis que les bruits de la forêt se réverbéraient jusqu'à nos oreilles. Or, une surdose de surveillance ne ferait jamais de mal, non ?

La journée était encore chargée de l'humidité de la veille. Le soleil perçait la nappe de brouillard dans laquelle nous nagions et qui planait sur la forêt. Le parterre était recouvert de feuille, la végétation était encore mouillée et l'air était froid. À chacune de nos respirations, des petits nuages de condensations se formaient devant nos bouches. Laissant durant un instant le soleil réchauffer mon visage, je me permis un regard circulaire, en quête d'un élément pouvant devenir un aliment. Autour de nous, je voyais pertinemment que le paysage se fermait, se préparant à l'hiver et à ses frimas. Le vent, tombeur de feuille, soufflait doucement, mais sans cesse. Me mettant à bouger sur place pour tenter de me réchauffer, je continuais à observer les sous-bois. En vain, je ne voyais rien. Soupirant pour moi-même, je pointais une direction pour tenter de trouver quelque chose pour se sustenter et remplacer la nourriture que nous avions prise. Logiquement, je pris la direction inverse d'où nous étions arrivés. Pour le moment, s'éloigner du convoi me semblait être une bonne idée.

Marchant lentement, écoutant, je ne sais pas combien de temps j'ai cherché de la nourriture. Finalement, au bout d'un certain temps je me retournais avec une très maigre récolte entre les doigts. Soit quelques champignons, qui bien qu'ayant un goût infect, étaient comestibles. C'était si peux... regardant Isaure, ne sachant pas si elle avait elle-même trouvé -ou cherché- quelque chose, mes yeux criaient le mot "convoi". Comme si cela serait une solution miracle à nos problèmes. M'approchant d'elle pour parler tout bas, je pris la parole en faisant attention de ne pas trop renouer avec une proximité trop importante. J'avais comme le sentiment que cela n'était plus d'actualité et que ma partenaire s'était renfermée. À cause que nous étions à l'extérieur ? Je n'en étais pas si certain...

-" Est-ce que nous continuons ? Je ne pense pas qu'une simple récolte sera très fructueuse. Mais je ne doutais pas que tu t'y connais mieux que moi sur ce qui est comestible ou non." Puis me passant la langue sur les lèvres, j'attendais la suite. Était-il temps de revenir vers la chaumière ? Après tout, elle avait raison; je sentais mauvais. C'était un peu fort de dire que je sentais plus que ses pieds, mais il fallait bien reconnaître que ça ne serait pas de trop de nous laver. Cette propreté toute relative était un élément que j'avais gardé de ma vie d'avant, incapable de ne pas tenter un brin de toilette quand l'occasion se présentait. "Peut-être qu'il y aura quelque chose dans l'eau ?" J'en doutais, mais peut-être que nous trouvions quelque chose à manger. " Il faudra regarder avant que tu trempes tes pieds, sinon, nous risquons de ne rien attraper !"
Revenir en haut Aller en bas
Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] EmptySam 12 Sep 2020 - 21:45


/!\ Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des âmes jeunes et/ou sensibles(dans la deuxième partie du Rp) . Si on ne rentre pas dans le détails de certains faits, l'évocation peut rester troublant et dérangeante pour certains d'entre nous. Merci de vous abstenir cela peut vous concerner.

Grandiloquents. Même comme ça, je n’étais pas certaine de parvenir à l’articuler, je n’avais pas eu besoin de préciser que je n’avais pas compris, si bien qu’il m’avait expliqué presque aussitôt. La définition me déplaisait, est-ce que je lui avais laissé entendre que ce n’était pas atteignable ? Pourtant, je n’avais rien dit à ce sujet. Je me suis pincé les lèvres, mordillé l’intérieur de la joue, laissant courir mes doigts. Je refusais d’être celle qui admet que ce n’est pas possible, alors que j’avais tout fait pour essayer quitte à y laisser ma vie –ou celle des autres-. La vérité c’est que je ne parvenais pas à digérer que celui qui m’avait laissé croire en la confiance m’avait vendu dans le même temps. Qu’avait-il gagné en échange ? Je ne le comprenais plus –l’avais-je seulement compris à un moment-. J’ai senti un soupir fuir mes lèvres, nouvelle habitude digne de la bougonne que je devenais au fur et à mesure des jours. C’est peut-être seulement maintenant que je réalisais que je ne m’approchais plus des autres, des vivants… Je devenais comme Cécilia. Comme elle, fermée à tout, sauvage, terrifiée par ce qui l’entoure tout en ayant cette capacité à survivre. J’ai enroulé mes doigts entre eux, sans bouger de cette proximité qui m’apportait un peu de chaleur. J’étais encore dans cette idée –trop sévère- qu’il allait finir à califourchon sur moi, prenant de force ce qu’il voulait juste pour décharger une frustration. Je l’avais trop vue pour envisager réellement –malgré les propos de Mathie- qu’il soit différent. Pourtant, il n’a rien fait de tout ça, hormis me renvoyer en plein visage mes propres paroles accompagnées d’un « le point va à Alphonse » de Mathie, qui me fit grogner intérieurement.

- « Tu comprendras un jour » rétorquais-je horrifiée dans le même instant par cette phrase que les anciens disaient souvent à leur gamin « Enfin… » étais-je vraiment devenue comme ça… « Je n’ai pas l’habitude de réfléchir à ce type de choses… La survie, c’est l’instant présent, pas de quoi demain sera fait » quel beau mensonge Isaure, bravo.

Plus il me questionnait, plus je répondais, plus je réfléchissais, plus je me fermais. Je lui en voulais de me mettre face à ce que j’étais avant, puis aujourd’hui. Je me revoyais au village prétendre avoir envie de trouver une maison, je me revoyais face à Jocelyn lui expliquer que j’allais monter un potager dans un arbre… Où était cette Isaure là et puis, comme une idiote, sans trop savoir pourquoi, je l’ai laissé échapper.

- « J’ai eu envie de faire une cabane dans un arbre, pour essayer de faire pousser des légumes… Au milieu des marais, loin de tout » formulée à voix haute, c’était encore pire « Mais c’était stupide… Il y a toujours un danger qui rôde, cette fois-là, c’était un vagabond, comme toi » Eric. « Mais alors lui… » je me suis mise à rire, lui il aurait pu crever la gueule ouverte que je ne serais pas intervenue « Si ça peut te rassurer, il y a pire que toi en survie… Tu es loin d’être… ce que tu penses être, on ne peut devenir… » comme moi, est-ce que je lui souhaitais ça ? « Enfin, on ne devient pas un survivant du jour au lendemain. »

Est-ce que je me sentais mieux ? Pas vraiment. J’avais eu envie de lui montrer que je n’étais pas que cette femme qui pointait du doigt le fait que vivre dehors gnagnagna ce n’était pas pour les faiblards. Pourtant, est-ce que je n’étais pas ça, justement ? Et puis lui, il avait toujours ce don ultime de me déstabiliser. Je le détestais pour ça aussi. La liste du pourquoi Alphonse m’agaçait… elle devenait de plus en plus longue. Alors que je venais de le recadrer vis-à-vis de l’écoute, ce qui était primordial pour vivre dehors… Il me répondait presque au tac au tac qu’il m’écoutait moi. J’aurais pu lui réexprimer le fait qu’il était un emmerdeur de première, mais je me suis abstenue. Un autre point pour Alphonse. Je suppose que c’est ce que Mathie aurait dit, si elle avait daigné se montrer là, plutôt que d’apparaître juste pour me mettre dans la merde après autant de temps d’absence. Fort heureusement pour moi, l’ensemble se mua en un amusement –sans doute moins apprécie que moi par Alphonse-, il me faisait rire avec sa manière de parler, de se comporter et sa façon de me faire comprendre qu’il était poli lui.

- « Navrée mon cher monsieur, je ne suis point de votre niveau pour échanger sur la politesse ou non et préférais-je sans le moindre doute être cette sauvageonne sans éducation que… » ça m’a demandé de la concentration, mais ça venait de si loin aussi, l’utilisation du bien parler, de faire un effort, comme avant…Mais un avant très très loin.

J’ai fait silence. Je voulais me moquer de lui, lui montrer que j’étais capable moi aussi de parler bien, en prenant le temps de réfléchir un peu, après tout par le passé devant les maîtres il fallait bien. Au moment où j’ai perçu ma propre voix s’exprimer ainsi, je me suis sentie comme… en danger. En danger de montrer autre chose, en danger que toute cette histoire me revienne dessus, qu’on fasse le lien avec mes manières de domestique, avais-je encore ce type de manière. Évidemment, je me suis fermée, bougonnant encore. Ce fut sans doute pire, quand pensant sans doute que je ne l’entendrais pas, il me demandait d’arrêter de fléchir, j’ai senti mes poings se serrer, mon corps tout entier se crisper et trembler de cette révolte que je ne laissais cette fois-ci pas me submerger.

- « Tu es vraiment con. » Grognais-je « Repose toi aussi. »

Conversation terminée. Moi, je devais arrêter de fléchir ?! Parce que je fléchissais quand je tuais, quand je luttais pour sauver mon cul, quand je me retrouvais dans un trou avec un pirate, ou quand je continuais à me relever après avoir eu la milice dans le cul ?! Connard. Je ne pouvais m’empêcher de penser que d’ici quelques mois, lui aussi il penserait différemment et à peine avais-je eu cette pensée que je culpabilisais de l’avoir eu. Pouvais-je réellement lui souhaiter de vivre autant de déception ? C’est contrarié que j’avais fini par succomber.

◈ ◈ ◈

La nuit était comme l’ensemble des autres, compliqué, si bien qu’à mon réveil, j’en avais oublié sa présence. Je m’étais peut-être même dit que j’avais dû rêver, oui… Mais non, et lorsque je prenais pleinement conscience de mon réveil, de sa présence, j’étais immobile la dague en main vers lui le regard froid prête à lui sauter à la gorge. Niveau petit matin, il avait déjà dû connaître plus de douceur, je n’en doutais pas, mais j’étais bien incapable de m’excuser. Pourquoi y aurait-il fallu que je m’excuse, en plus ? Il était nu, tentait de remettre ses vêtements et je n’avais pas pu détacher mon regard de sa silhouette, comme si je doutais de sa réalité. Peut-être qu’il était comme Mathie, dans ma tête ? Pas vraiment… Je finissais par ranger un peu ici et là, lui souhaitant un bon matin, alors que sa tête ressemblait plus à un fangeux, qu’à une tête d’homme bien sous tout rapport. Je lui proposerais de sortir remplacer les aliments, alors qu’en réalité ma décision était déjà prise : on ne remplacerait rien ici. On. Je ne remplacerai rien ici et lui non plus, il aurait bien le temps de le faire plus tard, ou moi. La saison n’était de toute façon pas favorable à tout ça. Inutile de lui en parler, j’étais déjà persuadée qu’il serait contre l’idée.

- « Je sais… Ce n’est pas grave… Tu te vois toujours aussi négativement ? » ne puis-je que lui demander avant de secouer vivement la tête « Non, ça va. Inutile de regarder » je ne voulais plus qu’il me touche et surtout, plus qu’il recommence avec sa fausse bienveillance.

Nianiana, je t’écoute Isaure. Nianiania le désespoir est pire que je sais plus trop quoi. Qu’il garde ses mots et son besoin de gentillesse. Je ne suis pas prêtresse moi. Il me proposait de retourner au convoi, je le dévisageais, une main sur la hanche. Il voulait retourner là-bas tout en ayant conscience que ce n’était pas une bonne idée… Bon ok, je lui avais dit d’arrêter de réfléchir, mais fallait pas tout éteindre non plus là-dedans. Je prenais une inspiration, puis une autre, l’expérience lui apprendrait. Je secouais simplement la tête avant de termine de rassembler mes affaires, retenant quelques grimaces de douleur. Je ne pouvais que le conseiller d’arrêter d’être trop gentil, de faire confiance à tout le monde et…. Il recommençait. Il me faisait confiance à moi. Je m’étais comme crispée, immobilisée sur place, fermée, encore. Il le faisait exprès ?! Si je le voulais, je pourrais essayer de le zigouiller dès qu’il aurait le dos tourné, je pourrais même l’attaquer là maintenant et… Merde. Alphonse. Tu. Fais. Vraiment. Chier. Il a déplacé la pierre, je suis sortie avec cette hésitation. Le laisser là et fuir, partir, l’abandonner à son sort. Après tout je lui avais déjà expliqué non ?

Je n’ai rien fait de tout ça. Je me suis contentée de repousser la pierre derrière nous en grognant, de frotter mes bras, d’humer l’air tout en étant satisfaite de retrouver encore l’extérieur. Je l’avais suivi en silence, sans lui offrir la moindre indication. J’avisais autour de nous sans trop m’en faire, les oiseaux chantaient déjà, la brume était présente, mais la nature parlait. S’il faisait autre chose que m’écouter, il n’aurait pas besoin de s’épuiser à aviser le moindre bruit. Il suffit d’écouter, rien de plus. Je le suis, silencieuse, ruminant, m’agaçant sans doute, je ne cherche pas de nourriture, parce que je sais déjà que ce n’est pas ça que je veux. Qu’est-ce que je veux…. Alphonse récupère des champignons, des plantes, hésite sur certaines. J’étais surprise de le voir renoncer à la position du convoi, lui dont chaque geste, chaque regard qu’il me lançait hurler ce besoin. Je lui avais déjà dit, s’il voulait quelque chose, il allait devoir le prendre. On ne demande pas la permission dehors.

J’ignore combien de temps nous avons marché, je ne sais même pas trop comment il s’appliquait pour choisir un chemin, le hasard sans doute. Même moi, je ne savais plus très bien où nous étions. Dans un juste mélange de marais et de forêt. Il avait fini par s’approcher, m’interrogeant sur le fait de continuer ou non. Je m’attendais à le voir me proposer d’aller au convoi, mais non. Alors que son regard hurlait ce même mot. J’ai secoué la tête, j’ai senti mes doigts agripper son avant-bras, puis venir ouvrir ses mains pour observer ce qu’il avait trouvé.


- « Tu sais comment vérifier si c’est mangeable ? » je prends un champignon, l’observe tout en expliquant « Tu regardes, la forme, l’apparence, l’état, tu le renifles » je le sens au même moment « Si tu ne vois rien d’anormal, tu viens le frotter sur ta lèvre. » je nettoie un peu le champignon et viens donc le frotter sur ma lèvre. Une fois fais, je me hisse sur la pointe des pieds pour faire de même sur la sienne –ou lui remettre un morceau s’il ne me laisse pas faire- « Tu attends, si ça gratte, si c’est désagréable, ce n’est pas mangeable, si rien ne se passe, tu fais la même chose sur ta langue, si toujours rien tu peux la manger… Idéalement si tu n’as pas trop faim mange un petit morceau et attends un peu avant de manger le reste, comme ça c’est encore plus sûr. Ça marche pour tout.»

Il voulait aller proche de l’eau, alors j’opine, mais je n’entends pas la mer, on a du s’éloigner. J’avise autour de nous, je ne suis pas certaine, pour retrouver la mer, généralement je suivais la mousse. Mais là… Je me recule de quelques pas, sans lui notifier si le reste est ok ou non. Je viens de lui expliquer comment vérifier, a lui de prendre des décisions. Je me recule encore, avant de lui indiquer, la direction, définitivement.

- « Viens » avançant lentement, je relevais le nez de temps en temps vers le ciel qu’on ne parvenait pas beaucoup à voir avec les feuillages –bien que dégarni par endroit- « Il y a les insectes, les serpents et les grenouilles aussi, mais… Si tu t’approches de l’eau, tu dois d’abord surveiller et faire du bruit pour vérifier qu’aucun fangeux n’est dedans… » tout ça, je l’avais apprise avec Cécilia au fur à mesure « Attends »

J’avais fini par m’immobiliser, il y avait un bruit, un bruit oui, mais le silence de la nature. En avançant encore un peu de quelque pas, je finis par m’immobiliser, sur le sol, sous les feuilles, je lui montre un petit morceau de corde, si nous avions avancé encore de quelques pas, on se serait retrouvés enfermés dans un filet, suspendus dans le vide. Je glisse un doigt sur mes lèvres, je contourne l’ensemble sagement et lui fais signe de me suivre, alors je suis désormais courbée pour progresser. Un peu plus loin, dans le même type de piège un corps inanimé et suspendu, je secoue la tête de droite à gauche pour lui indiquer de ne pas s’approcher, pour m’en assurer je glisse ma main dans la sienne, je ne le lâcherai et il doit bien le comprendre à ma manière de serrer sa paume et la mienne. J’avance, mais lentement, et chaque nouvelle découverte au détour d’un tronc d’arme… me semble pire que la précédente. Un nouveau corps est accroché, pendu, son ventre est ouvert et des serpents s’échappent de l’ouverture pour tomber sur le sol. Des nuages de mouche volent autour de l’ensemble alors qu’une odeur particulière vient me prendre le nez.

Cette fois, je sais. C’est un gémissement qui parvient à mes oreilles –et sans doute celle d’Alphonse aussi-, plaintif, agonissant, je serre davantage sa main. La raison voudrait qu’on s’éloigne, que je lui épargne, mais un bruit derrière nous me fait sursauter, ainsi que des échanges verbaux.


- « T’es sur que tu as vu quelqu’un ? »
- « Je te dis que oui »
- « Les autres sont en pleine cérémonie, si on dérange pour rien… »

Le duo est masqué, ils sont passés à quelques pas de nous, j’ai à peine eu le temps de plaquer Alphonse contre un tronc d’arbre, de mettre mes doigts sur sa bouche et mon autre main sur la mienne. Mon corps est contre le sien, je ne bouge plus, mon ventre se gonfle et se dégonfle rapidement, alors que les deux hommes, très peu vêtu et masqué continuent d’avancer en contournant certaine zone du chemin. Peu à peu, je réalise que les bruits semblent provenir de tout autour de nous et que ce duo-là est loin d’être seul. Je relève les yeux vers Alphonse, avant de retenir ma main de sa bouche –ou de la faire retirer avant si en l’a jugé nécessaire-. Je ne bouge toujours pas, alors qu’un deuxième duo nous contourne sans nous voir, deux femmes cette fois presque nues elle aussi, un masque toujours sur le visage, elles aussi contournent des zones sur le sol en avançant.

- « Le sacrifice est prêt »
- « J’ai hâte de voir ça et je commence à avoir faim »

Mon souffle se saccade un peu plus, il y a trop d’indices pour que je puisse ignorer où nous sommes. Dans un nid de sectaires… On a visiblement eu de la chance de ne pas tomber dans un piège et si un de nous deux a le malheur de faire une erreur de ce type, la finalité serait dramatique. Je sens un nouveau tambour rythmer dans ma poitrine et si je paraissais très confiante jusque-là, cette fois-ci il n’en est rien.

- « On doit partir de là » je l’ai murmuré dans un souffle, mes lèvres ont dû bouger sans que j’ai la certitude que le son est accompagné le mouvement « Regarde où tu mets les pieds » j’allais reprendre le déplacement avant de m’immobiliser « Alphonse » je n’en reviens pas que je vais dire ça… « Si jamais… Tu fuis. Tu te retournes pas »

Le regard que je lui lance est sans appel, j’ai plus de chance que lui de m’en tirer si je me fais capturer. Il rêve encore non ? C’est la règle, on ne revient pas sauver l’autre, sa propre survie avant tout. Je ne sais pas si il le comprend, je ne sais pas si il l’âme chevaleresque, mais je sais que cela devient obligatoire à ce niveau. On n’est pas face à des vilains bannis ni des brigands… C’est Etiol. Je relâche lentement sa main, je m’écarte, revenir sur nos pas ne me semble pas probable, alors je l’interroge d’un geste de la tête, soit vers le côté droit, soit vers le côté gauche. Je ne sais pas trop si c’est moi, ou si la présence autour de nous qui me semble se rapprocher… Mais on avance finalement dans la même directement que les duos, pas au même rythme, beaucoup plus lentement. Je m’arrête régulièrement, lui montre d’autres pièges… Putain. Un trou est camouflé avec des bois taillés en pointe juste en dessous. Ailleurs, c’est un fangeux sans jambe qui se trouve dans un gouffre, qui grogne s’agace.

Plus on avance, plus les gémissements me semblent importants et lorsque je m’immobilise c’est parce que je suis rentrée dans Alphonse, ou parce qu’Alphonse m’est rentré dedans je ne sais plus trop. Mon regard se retrouve confronté à une femme entre deux hommes, elle est ensanglantée, eux aussi. C’est elle la blessée, je le comprends facilement à ses tentatives de se débattre. Les autres discutent plus loin, comme si de rien, alors qu’elle subit les à-coups en se vidant peu à peu de ses blessures. Je crois que j’ai eu un mouvement de pas en avant, avec cette hésitation de la secourir avant que la raison ne revienne à moi, ou était-ce encore Mathie ?

J’ai senti quelque chose dans ma main, celle d’Alphonse, celle de Mathie ? Je ne sais plus. J’ai reculé d’un pas finalement. On était au centre. Une sculpture d’Etiol était au centre, un groupe discuté, les deux autres s’amusaient. Tous portaient des masques, des motifs ensanglantés recouvraient les troncs et le sol, un homme était accroché entre deux arbres, la gorge tranchée, il s’étouffait dans son propre liquide. Chaque fois que mon regard changeait de zone, c’était pire, toujours pire. Je me suis retournée pour aviser Alphonse, et j’ai dégainé ma dague en le poussant sur le côté. Je ne l’avais pas entendu, elle était juste derrière nous et sur le point de nous assommer… Ma dague venait de se figer dans sa gorge et le bruit de son agonie était couvert par les hurlements de la pauvre femme continuant à se faire malmener.

Comme une furie si personne ne m’en empêchait j’étais sur le point de sauter sur ce corps agonissant qui était juste à un pas de nous pour m’acharner avec ma dague. Comment les hommes avaient-ils pu tomber aussi bas et comment allions-nous, nous sortir de là ?


Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
[Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 2Aller à la page : 1, 2  Suivant

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Alentours de Marbrume ⚜ :: Marécages de l'Oubliance-
Sauter vers: