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 [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]

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Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyDim 13 Sep 2020 - 7:41
/!\ Certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des âmes jeunes et/ou sensibles(dans la deuxième partie du Rp) . Si on ne rentre pas dans le détails de certains faits, l'évocation peut rester troublante et dérangeante pour certains d'entre nous. Merci de vous abstenir si cela peut vous concerner. /!\


J'haussais des épaules avant de sortir de notre refuge. "Je ne pense pas être quelqu'un de bien négatif..." je ne proférais pas le "moi" qui laisserait sous-entendre qu'Isaure, elle, l'était. Du moins, à mes yeux. Toutefois, mon petit temps d'hésitation à la fin de ma sentence véhiculait tout aussi bien cette opinion que je me permettais d'avoir sur elle. "Je suis pragm..." Non, pas pragmatique. "Comment dire ?" Disais-je en réfléchissant à la façon de simplifier mon discours. Puis, en claquant des doigts; "je pense que je suis plutôt réaliste sur mes capacités, voilà tout." Terminais-je en haussant les épaules de nouveau. Lorsqu'elle me dit qu'elle ne voulait pas que je regarde sa blessure, je hochais lentement la tête, lui glissant un regard suspicieux, mais tout en restant silencieux.

Je n'arrivais pas à dire quoi ou pourquoi, mais depuis son réveil, je ressentais une certaine forme de malaise chez ma partenaire. Oui, bon. Notre "relation" n'avait jamais été facile. Même à notre arrivée dans la chaumière, nous nous étions regardés en chiens de faïence. Déjà, elle avait été prête à sauter à ma gorge au moindre faux pas. Sans remords ou réflexion, elle aurait agi comme ce qui était arrivé à son réveil tout à l'heure. Déglutissant en me remémorant cet événement qui venait quasiment de survenir, je me passais une main sur la trachée, la où sa dague s'était dirigé avant de suspendre sa course. Je lui offris un énième regard fuyant pour essayer de percer les mystères qui l'entouraient et les états d'âme qui la chamboulaient. En vain, bien évidemment. Toujours est-il que j'avais conscience d'une chose...

C'était ses cauchemars qui l'avaient malmené et qui la faisaient probablement prendre ses distances avec le futile et inutile fugitif que j'étais.

Tout en marchant en quête de nourriture, je réfléchissais. Encore. Je me doutais que si elle l'avait su, Isaure m'aurait dit de me concentrer, ou plutôt d'arrêter de toujours me perdre dans mes pensées. Or, j'étais fait ainsi. Même après avoir passé quasiment la moitié de la nuit à ressasser ce qu'elle m'avait dit, mais surtout ce qu'elle ne m'avait pas dit, je continuais à le faire, là, au milieu de la forêt qui cédait peu à peu la place aux marécages de l'Oubliance. Dès lors, pour le moment, mon esprit était occupé par une interrogation de laquelle je n'arrivais pas à trouver réponse; comment avait-elle pu feindre la politesse et le respect avec autant de brio lorsque nous avions échangé juste avant son sommeil ?

De fait, je n'arrivais pas à comprendre comment celle qui n'avait aucune pudeur pouvait se transformer en une toute nouvelle personne en l'espace d'un instant. En outre, je ne pensais aucunement qu'elle me menait en bateau depuis le début. Sa connaissance des chiffres et du vocabulaire étaient réellement limités. Or, pour ce qui était de la bienséance... me détournant durant un instant, je lui coulais un regard en coin en repensant à ce qu'elle m'avait dit. Elle m'avait appelé "monsieur". Sur le coup, tellement surpris, je n'avais pas réagi. De toute façon, Isaure était rapidement revenu à la normale en renouant avec l'une des choses qui semblaient devenir une habitude; m'insulter avant de se renfermer.

Finalement, cette réflexion resterait pour l'heure au point mort. Après tout, je ne me dirigerais pas sur le sujet avec ma sauveuse. Je savais pertinemment qu'elle ne répondrait pas à ma curiosité. En outre, je me doutais aussi que c'était un terrain dangereux sur lequel je ne devais pas me risquer si je ne voulais pas la voir se braquer. Cela devait provenir de son passé lointain, réminiscence d'une vie depuis longtemps révolue. Mais une pensée continuait à me tarauder; elle cachait admirablement bien son jeu. Y avait-il d'autres éléments qui restaient en suspens et qui était dans mon intérêt à savoir ?

Secouant la tête pour m'enlever ces idées douteuses de mon esprit, je me focalisais de nouveau sur la chasse au champignon. Non, je ne devais pas penser comme ça. J'avais décidé de lui faire confiance, et pour l'heure, je ne le regrettais pas. Enfin, j'avais reçu quelques coups ici et là et une pluie d'insulte. Toutefois, ce n'était guère cher payé pour ne plus être seul et pour pouvoir apprendre à survivre. Au bout d'un certain temps, je lui montrais ma maigre récolte, défait devant le fait d'en avoir trouvé si peu.

-"Non, je ne sais pas comment voir si c'est comestible." Lui répondis-je en me dandinant sur place, de mon pied droit à mon pieds gauche, hésitant à lui dire ma "façon de faire". Puis, me souvenant du rire cristallin qu'elle m'avait fait entendre en se moquant de moi, j'eus conscience que j'étais encore prêt à être victime de son moquerie si cela lui permettait de s'amuser un peu. "À dire vrai, je ne faisais qu'essayer. Parfois, c'était comestible. Parfois..." Grimaçant et plissant les yeux, je terminais. "Parfois, ça ne l'était pas et ce n'était guère... idylli...charmant !" Oui, non. Cela avait été une mauvaise idée. Je n'aurais pas dû. Bon sang, Alphonse ! Ça n'avait rien de drôle, ça démontrait simplement et seulement la stupidité qui pouvait parfois t'habituer ! Idiot...

Me mordant la lèvre inférieure, détournant le regard en me rendant compte de mon erreur dans ma volonté excessive de calmer celle qui semblait prête à sauter au visage de n'importe qui pour n'importe quoi, je revins à ce que je savais faire le mieux; garder le silence. L'écoutant dresser la réelle et bonne façon de procéder, je hochais la tête avec peut-être un peu trop de force pour lui prouver que j'étais attentif. La laissant frotter le champignon sur ma lèvre, ne la lâchant pas du regard, j'attendis patiemment qu'elle continue. Je ne m'étais guère attendue à la voir revenir aussi proche. Au milieu de sa dernière phrase, je volais le champignon d'un rapide mouvement, l'avalant tout rond, tandis qu'elle disait que je devais "manger un petit morceau et attendre". "Ah...". Puis grimaçant comme un gamin, moi qui détestais le goût des champignons, je lui offris un sourire contrit. " J'ai été un peu rapide, excuse-moi." Disais-je sans vouloir avouer que j'avais été idiot. Encore. Oui, ce que je venais de faire était stupide. Or, surpris de la voir se rapprocher de la sorte, me parler face à face et dans le blanc des yeux, j'avais quelque peu perdu contenance. Je n'arrivais pas à me l'expliquer, mais Isaure avait le moyen de me faire sortir de ma zone de confort en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire...

Lorsqu'elle me parlait des marais et des animaux pouvant se trouver aux abords de celui-ci, j'opinais du chef, conscient que c'était potentiellement une source de nourriture intéressante. Or, le problème, c'était les fangeux qui gisent au fond de cette eau croupie et stagnante. Ouvrant la bouche puis la refermant, je préférais garder le silence. Oui, faire du bruit pourrait être un moyen de découvrir si oui ou non un prédateur de l'humanité se trouvait au milieu des eaux, attendant son heure pour sortir du limon tel un spectre aquatique. Or, étant incapable du moindre effort physique trop conséquent, c'était un jeu dangereux auquel je ne me risquerais qu'en dernier recours. Réalisant qu'Isaure ne connaissait pas cette faiblesse physique qui m'incombait depuis mon plus jeune âge, j'avais été tenté de lui dire, avant de me retenir. À quoi bon, après tout ? Elle me mésestimait probablement déjà suffisamment sans que j'aie besoin d'en rajouter par moi-même. En outre, je ne risquais pas d'avoir besoin de cavaler de sitôt, non ?

Quel idiot j'étais. En sa compagnie et quant au regard de ses habitudes en survie, je me sentais intouchable. Je n'aurais pu être si loin de la réalité. Mais ça, je ne le savais pas encore. Et pour l'heure, nous nous dirigeons vers ce que nous pensions être la mer...

Je ne saurais dire combien de temps cela nous prit avant d'arriver aux abords de la mort. Or, Isaure me montra un piège en me faisant signe de faire silence. Relevant la tête, voyant le filet qui nous attendait, j'eu conscience que ce traquenard n'était pas destiné à un quelconque animal, mais bien à un homme. Était-ce un moyen qu'utilisait la milice pour attraper des bannis ? Après tout, qui se risquerait au milieu des marécages, sinon eux, pour assouvir leur vengeance sur la société de pariât que je voulais côtoyer ? Entendant les bruits de la nature autour de nous, j'avais conscience que le potentiel danger ne serait pas, pour l'heure, la fange, mais bien l'homme. Ma sauveuse continuait d'avancer et d'ouvrir la marche. Hésitant, je finis tout de même par la suivre, sans briser le silence, bien que ma conscience hurlait. Pourquoi ? Pourquoi continuions-nous sur cette route au mépris du danger ? Je ne savais pas encore ce qui nous attendait plus loin, mais rien de bon ne risquait d'en ressortir. Mais, trop habitué à suivre plutôt qu'à diriger, je me taisais au mépris du danger.

Le second piège sur lequel nous tombions était le même que le premier, Or, dans ce dernier, un corps inerte S'y trouvait. Le malheureux semblait avoir succombé par la faim. Sentant les doigts d'Isaure se faufiler entrent les miens, je serrais sa paume en retour, continuant à la laisser me guider. J'en suis doublement convaincu. Nous devrions partir. Rebrousser chemin et ne pas se retourner. Mais, je ne fais rien. Je ne tire pas sur cette main qui m'entraînait vers la damnation. Je mordais ma lèvre inférieure, inquiet. Je n'étais pas un couard, mais je n'étais pas sot au point de vouloir me jeter dans la gueule du loup sans réfléchir.

Devant l'ensemble de ce que nous croisions, ma rage enflait. Les pendus aux arbres étaient déchirés et déchiquetés, se balançant au gré du vent. Les pièges étaient tous plus sordides les uns que les autres et avaient pour seule et unique vocation de tuer. Si je puais, je ne me sentais plus. Même les pieds d'Isaure me semblaient un fumet agréable comparativement à l'odeur pestilentielle qui flottait tout autour de nous. Nous étions au milieu d'un charnier, d'une zone de massacre. Le sang tapissait la végétation, et des restants de corps humains jonchaient ici et là le sol sur lequel nous nous déplacions. Les insectes nous entouraient, attirés par les senteurs de mort et de décomposition, se régalant d'une chaire que les tortionnaires avaient jugé infecte à leur consommation.

Interpellé par un gémissement de douleur vers l'avant, nous nous arrêtions, à l'affût de ce bruit de douleur inimaginable. Le ton était si plaintif et pitoyable que mes poils se hérissèrent et qu'un frisson me remonta le long de l'échine. La personne qui se faisait entendre au travers des râles de souffrance ne quémandait qu'une seule et unique chose. Non pas d'être sauvé, mais bien d'être délivré par la mort. Je ne sais pas pourquoi, mais même sans voir la scène, j'avais l'intime conviction que la suppliciée -car la voix appartenait à une femme- savait qu'aucune miséricorde ne lui serait offerte. C'était abject. C'était horrible. C'était la preuve que l'homme pouvait être un monstre aussi infâme, et perfide que la fange. Puis soudain, il fut trop tard pour rebrousser chemin. Derrière nous, des voix remontaient le long du sentier que nous avions emprunté.

Isaure fut plus réactive que moi. Me plaquant à un arbre, s'écrasant sur moi et déposant une main sur ma bouche, je me forcais à me faire le plus immobile possible. Écoutant le discours des hommes masqués, de ces déviants à l'allure de démons, je me tordis de dégoût. Comment pouvait-il parler ainsi ? Fermant les yeux, retenant un hurlement de colère, je me força au calme. Mes états d'âme n'aideraient en rien. Puis, ce fut un autre duo qui nous contourna. Cette fois-ci, c'était deux femmes. Je n'entendis pas réellement ce qu'elles disaient, si ce n'est qu'elle commençait à avoir faim. Isaure n'avait pas enlevé sa main de ma bouche. Lorsqu'elle me dit que nous devons partir, j'hochais la tête rapidement, m'exprimant dans un murmure similaire. "Plutôt deux fois qu'une !" Hochant la tête face à la suite de ses paroles, mon mouvement s'arrêta brusquement. Partir sans elle ? Fuir sans se retourner ? Mes yeux se firent brûlants. En temps et en heure, si cela devait arriver, ce serait ma décision et non la sienne. Son regard s'était fait insistant. Le mien, intransigeant.

N'ayant nullement le temps de tergiverser en ce lieu, nous reprenions notre marche silencieuse, accroupi. Mes sens volaient d'alerte en alarme au moindre bruissement du vent dans les feuilles. Laissant Isaure guider, je regardais le sol et où nous mettions les pieds pour éviter les pièges. Pièges qui se trouvaient en nombre conséquent, tous plus vil et retors les uns que les autres. Je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il fallait véritablement être d'une infamie sans borne pour mettre sur pieds ce genre de guet-apens. Puis soudain, nous débouchions aux abords d'une clairière, là où la cérémonie réunissait les sectaires. Épicentre de la déliquescence et de la malveillance, le spectacle qui s'offrait à nous était horrifique. Comme si de rien n'était, comme si tout était normal, les monstres déblatéraient entre eux ou se déplaçaient sans prêter attention aux scènes de cruauté qui se jouait autour d'eux. La victime que nous avions entendue est là, devant nous. À la merci de ses tortionnaires qui s'amusent à ses dépens, elle subissait sans pouvoir résister, sans pouvoir se débattre alors que ses maigres forces vacillaient et flanchaient à mesure que le sang s'écoulait des multiples plaies qui la recouvraient. Son agonie était lente et amère, décuplée par les vices et sévices qu'elle vivait. Pour elle, la mort ne serait aucunement condamnation, mais bien délivrance.

J'étais en proie à la plus sourde des colères. Je voulais voler à sa rescousse, tenter de la libérer des griffes de ses prédateurs. Avant que je n'ai eu le temps de m'appesantir réellement sur la possibilité de la chose, et la stupidité d'un tel acte, je vis Isaure faire un pas vers l'avant. Lui attrapant la main, je la tirais vers l'arrière, vers moi, en la forçant à se retourner et non pas à avancer vers un acte certes héroïque, mais suicidaire. Je me détestais sur le coup pour avoir fait cela. Non pas que je regrettais d'avoir soustrait ma sauveuse de cet acte qui aurait été synonyme de mort pour elle, mais j'avais l'impression d'avoir abandonné l'éploré qui hurlait ses maux. Ainsi, c'était comme si moi même j'avais son sang sur mes mains...

Soudain, poussé sur le côté par Isaure, je crus un instant qu'elle se débarrassait de moi pour se ruer vers l'avant, vers une mort certaine. Or, ce fut plutôt derrière nous qu'elle plongea, attaquant une sectaire qui avait profité des bruits environnants pour se glisser dans notre dos. Tombant au sol en amortissant ma chute de mes poignets et en tentant de faire le moins de bruit possible, je me retourne pour voir qu'Isaure a triomphé d'un coup d'estoc dans la gorge. Le même qu'elle m'avait réservé ce matin en se réveillant. Me relevant rapidement, je l'attrapais par les épaules en la retenant, elle qui se débattait pour plonger sur ce qui n'était déjà plus qu'un cadavre. Approchant ma bouche de son oreille, je tentais de lui faire entendre raison. Tout bruit ou mouvement était un risque que nous devions éviter, tandis que nous étions dans la gueule du loup. "Elle est morte !" Enserrant finalement ses épaules de mes deux bras, je m'appuyais contre un arbre pour m'assurer qu'elle se calme et arrête de se débattre. Bien qu'elle restait muette, ses yeux criaient son désir de vengeance. Je connaissais ce sentiment. J'étais habité de la même haine vorace et tenace à l'égard de ces sectaires. Mais nous devions nous faire une raison. Mourir pour rien n'était pas la solution. Glissant au sol, je finis par la relâcher une fois qu'elle se fut calmée et tandis qu'un nouveau problème se présentait à moi.

Ce maigre effort pour la retenir m'avait rendu à bout de souffle, épuisé par la faim et le manque de sommeil. Je sentais poindre une crise. Je commençais à manquer d'air. Mon souffle se faisait rauque et sifflant. Bien que nécessaire, chacune de mes respirations était rendue difficile par la pestilence du cloaque dans lequel nous étions. Je plaquais une main sur mon nez et ma bouche pour tenter de filtrer ces odeurs de mort et de décomposition. Fermant les yeux un bref instant, je me concentrais sur mon souffle. Je devais inspirer, puis expirer. Inspirer, puis expir... soudain, pris de nausée, mon corps se ploya sous les hauts de cœur. Au prix d'un violent effort, je réussis à me retenir de vomir. En nage, je sentais la sueur froide couler le long de mon échine et recouvrir d'une fine pellicule l'ensemble de mon corps. Les yeux rougis, je tentais de me reprendre, de me calmer, de retrouver ce foutu air qui me manquait tant. Même si elle était fétide, vicié et rance, je tentais encore et encore de m'en abreuver. En vain jusqu'à présent, alors que devant mes yeux des points noirs commençaient à danser. "Pas...maintenant." Bien que j'étais léthargique, m'enfonçant dans une torpeur maladive. J'entendais encore les bruits de douleurs et les sons macabres des actes qui se jouaient, là, derrière nous. Je ne savais guère comment je repris contenance. Était-ce grâce à Isaure ou à cause d'un déferlement de rancœur contre les sectaires ?

Toujours est-il que je retrouvais enfin mon souffle. Ce qui pour moi avait semblé être si long n'avait dans les faits duré que quelques secondes. Levant la main pour montrer que ça allait mieux, bien que je devais sembler aussi cadavérique que le cadavre à nos pieds. Je récupérais la sorte de masse rudimentaire qui avait été levée pour nous assommer. Je m'en emparais pour ne pas être désarmé, testant son ballant. Bien qu'incapable de me battre sur la durée, j'avais eu un entraînement rudimentaire au maniement des armes. Or, dans mon état, je ne pourrais guère échange plus d'un ou deux coups avant de m'effondrer et de tomber dans le coma pour de bon cette fois-ci. D'ailleurs, pour le moment, le morceau de bois me servait plus d'un support pour me relever que d'une arme pour me défendre...

Attrapant de ma main libre celle d'Isaure, je me mis à ouvrir la marche. Reculer était toujours impossible. Derrière nous, d'autres bruits se faisaient entendre. Potentiellement d'autres cultistes en route pour la cérémonie. Il fallait donc contourner la clairière pour déboucher de l'autre côté, tout en espérant que ce qui nous attendrait là-bas serait moins pire que ce que nous venions de traverser ou de voir. Cheminant lentement entre les arbres, j'étais aux aguets de ce qu'il se passait au milieu de la zone un peu plus clairsemé, mais aussi d'où nous mettions les pieds et des alentours. L'avancée était longue et fastidieuse et j'avais les nerfs à fleurs de peaux. J'avais envie de courir pour m'enfuir, sachant pertinemment que ce serait futile et vain. Aussi bien à cause de mon état physique que du terrain dangereusement piégé sur lequel nous évoluions.

-"Bon sang, relève-là !"
-"Ce n’est pas plus mal au sol..."

La femme au centre de cette pièce macabre s'était affaissée, tandis que ses jambes ne la portaient plus. Ses hurlement de douleurs n'étaient devenus que de simple souvenir, fantôme d'un son ne s'échappant plus de sa gorge, alors que la vie quittait son corps à gros bouillon de sang. Face contre terre, quasiment inerte, elle était sur le point de fermer les yeux. J'espérais que cela soit pour de bon. Or, soudain, elle nous aperçut. Je la voyais tenter de lever son bras pour le tendre vers nous, elle qui de par se geste nous lançait une supplication muette. Je sentais les larmes remplir mes yeux. Les laissant couler silencieusement, je n'arrivais pas à détourner la tête, continuant à la regarder jusqu'à la toute fin, serrant la main d'Isaure avec beaucoup trop de force.

-"Elle est morte."
-"Bon et bien laissons celle-ci aux autres et allons chercher la suivante, ça sera aussi bien."

Je ne pouvais accepter de laisser quelqu'un d'autre subir pareil traitement. Me retournant, regardant Isaure, mes yeux criaient mon désir d'agir, de sauver celle qui ne méritait pas cette torture. Je voulais croire que la bannie serait d'accord avec moi. N'avait-elle pas fait un pas vers l'avant pour plonger dans la clairière avant que je ne la retienne ? Le ferait-elle encore, là, maintenant ? "Nous ne pouvons pas rien faire à nouveau." Serait-elle d'accord avec moi ? Refuserait-elle d'apporter son secours à une énième victime ? C'était impossible, non ? Elle avait vu les mêmes atrocités que moi. Alors comment pourrait-elle accepter de voir quelqu'un subir cela une seconde fois ?

Pour le moment, la question pouvait rester en suspens, car qu'elle soit d'accord ou non, nous fûmes obligés d'avancer dans la même direction que ceux qui quittaient la clairière, alors qu'un nouveau sectaire arrivait derrière nous. Les suivants à distance, beaucoup plus lentement, cheminant entre les pièges, les ossements, le sang et les corps pendus ici et là, nous avions l'avantage de pouvoir marcher dans leur trace, eux qui connaissait les endroits où il fallait mettre ou ne pas mettre les pieds. Au fur et à mesure de notre avancée, il y avait de moins en moins de marques de la présence du culte déviant. Nous éloignant du centre de leur lieu de cérémonie, nous revenions peu à peu dans une végétation normale et les pièges s'amenuisaient. Au bout d'un moment, le morbide duo tourna à droite dans un embranchement, et au détour d'un arbre, nous les perdions de vue. Or, les cris de terreur qui crevèrent la canopée nous laissèrent entendre que la prochaine victime en devenir venait de voir apparaître ses bourreaux.

Tenté de continuer de les suivre pour agir sans plus attendre, je suspendis mon mouvement, alerté par un bruit provenant du chemin opposé à celui des sectaires. L'odeur saline qui embaumait les lieux ne laissait guère de doute. Nous nous approchions de la mer. Potentiellement, cela voulait dire que le chemin de gauche nous mènerait loin de cette zone où la malveillance du culte d'Etiol prédominait sur tout le reste. Une part de moi voulait emprunter cette route et partir sans me retourner. Or, je n'arrivais pas à abandonner celle qui risquait de connaître les pires sévices. Je ne la connaissais pas et je ne lui devais rien. Toutefois, je ne pouvais accepter de l'abandonner ainsi. "On ne peut pas rien faire !" La décision était encore plus difficile, alors que nous étions à deux doigts d'en réchapper. "Je...je ne peux pas le faire tout seul." Avouais-je en pointant la direction que les deux monstres avaient prise, me sachant trop faible pour les maîtriser. D'ailleurs, même au meilleur de ma forme, cela aurait été un exploit. "Isaure..." la suppliais-je, abattu par tout ce que j'avais vu en cet infâme endroit.

C'était un risque inconsidéré. Si nous agissions, nous avions plus de chance d'échouer que de réussir. Si ce n'était pas les sectaires qui nous arrêtaient, ce serait tôt ou tard l'un de leurs pièges. La liberté me tendait la main, mais les cris de la future victime me retenaient en ce macabre endroit. Là, au milieu d'un embranchement, nous avions un choix à faire; partir ou agir ? Inapte à prendre la décision moi-même, trop habitué à suivre et à ne jamais diriger, et trop faible pour lutter seul, le choix était entre les mains de celle qui avait toujours laissé sous-entendre que tout ce qui comptait, c'était la survie. Bafouerait-elle ses propres principes ? Irait-elle à l'encontre de ce qu'elle laissait présager en risquant sa vie pour une inconnue ? Malgré les risques, j'avais envie de croire que oui. J'avais l'espoir de la voir refaire le même choix que durant l'attaque du convoi, là où elle avait pris la décision de me sauver au détriment du danger.

Si elle se risquait sur le sentier qu'avaient emprunté nos ennemis, je l'accompagnerais, prêt à jouer l'appât si nécessaire. J'avais déjà le sentiment de lui devoir beaucoup, alors je ne lui laisserais pas la chance de se faire capturer. Ainsi, je respecterais en quelque sorte ce qu'elle m'avait demandé. Dans le pire scénario, je n'aurais pas à partir sans me retourner, je m'assurais qu'elle puisse le faire à ma place. Mais pour cela, encore fallait-il qu'elle décide de nous entraîner sur le sentier représentant les pires risques et dangers...

-"Isaure...!"
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Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyDim 13 Sep 2020 - 15:41



Elle est morte. Je sais. Je ne peux cependant pas me résoudre à me contenter de sa mort. J’aurais voulu la faire souffrir, la voir me supplier d’arrêter, j’aurais souhaité pouvoir la voir lutter pour sa vie tout en ayant conscience qu’elle était finie. Non. J’avais attaqué dans le but de tuer, d’empêcher toute blessure et je me haïssais pour ça. Combien du village ils avaient pris, combien des autres villes ? Combien ?! J’allais me précipiter sur elle, pour la défigurer, mais les mains d’Alphonse m’en empêchaient, d’abord sur mes bras, puis mes épaules. J’étais capturée entre lui et un tronc d’arbre et j’avais beau pousser encore et encore, je ne parvenais pas à me défaire de son emprise –et je ne voulais pas le blesser-. Le souffle court, j’avais fini par renoncer, abandonner, me résoudre. Il avait raison. Dans le même temps, j’ai vu son visage pâlir, je l’ai vue glisser sur le sol. Je ne comprenais pas. Craquait-il ? Était-ce trop difficile à gérer ? Je me suis surprise à naturellement suivre son mouvement, comme pour le retenir. J’ai lu la panique dans son regard la révolte, alors que je cherchais à capturer ses yeux des miens. Il cherchait son air et je paniquais, je le voyais rentrer en difficulté sans savoir quoi faire. Avait-il était blessé ? L’avais-je blessé ? Avais-je perdu le contrôle ?

Mes doigts cherchaient inévitablement sur sa silhouette la source de sa souffrance, sans trouver. J’étais à genoux devant lui, l’observant en peine à trouver une solution. Il articulait un pas maintenant que je ne comprenais pas. Pas maintenant quoi ? Je regardais autour de nous, je cherchais une solution, un risque que je ne trouvais pas. Impuissante, voilà ce que j’étais. Mes lèvres s’ouvraient puis se refermaient, je murmurais son prénom, je ne savais pas. Putain. Je crois que j’ai paniqué, jusqu’à entendre un murmure de Mathie qui me demandait de me souvenir. De me souvenir de quoi ?! Sans trop savoir comment, j’ai fini par agir dans un réflexe ancien trop sans doute. J’ai attrapé une main de ses mains pour la placer sur mon ventre, sous le tissu, l’autre derrière sa nuque pour le forcer à place son front contre le mien. Je respire fort, je prends le temps d’inspirer et d’expirer avec lenteur, de me concentrer sur le gonflement de mon ventre et le dégonflement. Je veux qu’il se concentre sur moi, non sur lui, qu’il retrouve mon rythme.

Le tambour dans ma poitrine bat fort, ma peau se perle de sueur sous les émotions, mon regard cherche le sien, j’ai peur. S’il meurt ici je ne pourrais pas déplacer son corps, je n’y arriverais pas. Je ne peux pas le laisser là, je ne peux pas. Cette idée me révolte, je devrais l’abandonner pourtant… Tout se calme, je ne sais pas combien de temps ça dure, ça me semble avoir duré si longtemps. Je crois que j’ai même du mal à comprendre et accepter que ce soit fini. Je sais qu’on ne peut pas rester ici, mais je voudrais qu’il se repose un peu. Une nouvelle fois mes lèvres s’ouvrent, puis se referment parce que je ne sais pas quoi lui dire. Je sens sa main se glisser dans la mienne et je l’immobilise un instant. Je ne sais pas pourquoi, je me dis que c’est l’odeur qui le dérange. Je veux croire que ce n’est que ça. Je relâche sa main pour venir écraser dans ma main une plante, jusqu’à obtenir une petite mixture transparente sur le bout des doigts. Je me suis approchée de lui pour en étaler juste sous son nez. Ça piquera un peu, mais ça lui permettra de sentir autre chose que la mort.

- « Ça devrait t’aider… » murmurais-je tout doucement

Les rôles s’inversent et je culpabilise pour ça. Je devrais pouvoir le rassurer, mais je n’en suis pas capable. Peu importe depuis combien de temps on vit dehors, on ne peut pas s’habituer. Pas moi en tout cas, malgré ce que je peux bien dire aux autres. Mon regard n’effleure plus vraiment le centre de la clairière, je n’entends même plus les gémissements, peut-être parce qu’il n’y en a plus. On est trop lent dans notre fuite, trop lent, oui, les deux hommes qui ‘s’amusaient’ peu de temps avant partent chercher une autre proie. Je sens le besoin d’Alphonse et je secoue simplement la tête.

- « On ne peut pas… » murmurais-je avant de suspendre ma phrase. On ne pouvait pas intervenir. On ne faisait ni le poids ni la taille. Sauver tout le monde, il devait renoncer à cette idée.

J’avais de la chance, on avançait. Peu à peu les pièges disparaissent, peu à peu l’odeur salée de la mer venait me chatouiller les narines. La végétation avait évolué elle aussi, les arbres, la terre, la boue et l’humidité se muaient en tout autre végétaux. Le duo que nous suivons plus ou moins fini par tourner et les hurlements indiquent que la nouvelle victime et tout trouvé. Dans ma tête, l’hésitation n’est pas présente, il faut partir d’ici, dans celle d’Alphonse, je sens que c’est plus compliqué. Je suis déjà tournée vers notre sortie, mais la supplication de celui qui m’accompagne me fait m’immobiliser. On ne peut pas ? Si on peut. Il ne peut pas y arriver tout seul ? Ni à deux. Je trépigne sur place, je regarde le chemin qui nous mène vers notre survie, puis celui qui nous amène vers notre mort. Je soupire, une fois, deux fois, trois fois.

- « Alphonse … » je l’ai regardé longuement « On ne peut pas faire ça » réaffirmais-je

Les hurlements étaient présents et j’imaginais parfaitement ce qui allait se dérouler, je savais. L’expérience m’avait appris qu’on ne pouvait plus sauver tout le monde, ce n’était pas envisageable. Je l’ai tiré à moi, j’aurais voulu qu’il comprenne sans que je ne vois dans son regard cette déception. Peut-être était-ce trop tôt pour lui, ou peut-être que je me trompais à son sujet ? Je sentais un souffle chaud s’échapper de mes lèvres alors que je m’éloignais d‘un pas en direction de la plage. J’avais encore en tête sa difficulté respiratoire, cette femme agonisante, cet homme se vidant de son sang. Si je l’écoutais, ça serait nous à leur place, le comprenait-il ? Comment pouvais-je encore hésiter en ayant conscience de tout ça.

- « Tu fais chier » protestais-je « Arrête » grognais-je incertaine « Tu dois comprendre… Sinon ça sera nous à leur place t’entends ?! Ça sera moi entre les deux hommes me vidant de mon sang, ou peut-être toi. Ou l’un de nous écartelé en suppliant, ça sera toi le repas, je ne pourrais rien faire Alphonse… Je ne pourrais rien faire. »

Je n’étais pas cette survivante qu’il voyait en moi, je n’étais pas surhumaine, je n’étais pas… j’aurais pu hurler, le pousser, je ne ressentais plus tout ça, je ne culpabilisais plus et lui… Il arrivait là, avec ses putains de parole, son regard appuyé, sa soi-disant confiance, ses sous-entendus. Je le détestais, je le détestais. MERDE. J’avais fini par prendre sa main, c’était fini la négociation, l’hésitation, on ne pouvait pas c’est tout. Qu’il m’imagine en monstre, en tueuse, meurtrière ou tout ce qu’il voulait, c’était comme ça. Je ne lui laissais pas le choix, je le tirais pour nous éloigner de cet endroit, je pressais le pas, par contrariété sans trop faire attention à lui, il fallait partir, c’est tout ce qui comptait.

Peu à peu la terre s’est transformée en sable, les arbres avaient disparu et les hurlements n’existaient plus. Je ne sais pas combien de temps on a avancé comme ça, mais la mer était enfin là, avec ses rochers, son sable fin et le silence coupé par le bruit des vagues se jetant vers nous. J’avais fini par m’immobiliser, mains sur les cuisses, me penchant légèrement en avant pour reprendre mon souffle, j’étais épuisée, réellement épuisée. Les images hantaient encore mon esprit, mon cœur tapait si fort dans ma poitrine que j’en avais la nausée. Je n’étais pas épargnée, l’habitude ne changeait rien. Mon choix faisait-il de moi une personne horrible ? Sans le moindre doute. Je ne voulais pas le formuler ni voir encore sa déception. Je lui offrais juste un regard, prête à patienter ou à l’aider s’il en avait besoin pour reprendre son souffle. Après ça, je reprenais, comme si de rien n’était, alors qu’on aurait peut-être dû en discuter.

- « Ici… On ne risque rien niveau fangeux. » et ont été suffisamment loin des sectaires « Mais il faut faire attention aux pirates et brigands… La mer rejette souvent un tas de choses qu’on peut récupérer » de la ficelle, du bois, parfois de la nourriture, des corps des bijoux « Sûrement des bateaux qui ont coulés, ‘fin je ne sais pas. »

Je n’osais pas le regarder véritablement. J’avais la sensation d’être celle qui condamnait la totalité de ses espoirs. Je savais que c’était une étape obligatoire, pourtant… Je me suis frotté les bras, avant de m’approcher de l’eau, observant le lointain. Le large avait toujours eu don de m’attirer, mais quand je voyais le nombre de caisse, de corps qui revenaient même encore aujourd’hui par la mer, j’avais fini par me dire qu’ailleurs devait être identique à ici. Retirant mes bottes, je laissais mes pieds rentrer en contact avec la fraîcheur de l’eau. Il fallait être inconscient pour imaginer se laver là, pourtant c’était plus sûr que les marais. L’eau se retirait un peu par endroit, créer des flaques, flaque qui était propice à la découverte de coquillage, de crabe, de petits poissons-prisonnier. On allait pouvoir manger et dans le fond je crois que je me raccrochais à cette idée.

- « Ici tu as des trous, regardes, quand ça fait des petites bulles, il faut creuser, c’est sans doute des coquillages ou des petits vers. Il y a même des huîtres ! » est-ce qu’il en avait déjà mangé ? Sûrement et comme si ce don pouvait tout pardonner, je me suis surprise à en décrocher des rochers pour venir le lui apporter « Tiens, mange ! »

Ridicule Isaure. J’en avais gardé une pour moi, une seule sur les quatre. Je la savourais, sans trop savoir quoi faire de plus, quoi dire de plus. Ni même ce que je devais faire avec lui. C’était difficile de passer de seule à deux. J’aurais voulu que Mathie soit là, ça avait toujours été elle la plus sociable de nous deux… Après je n’avais fait que m’enfoncer encore et encore. M’installant sur le sol, dos à lui, la tête sur le haut de mes genoux, j’avisais le lointain. Je devais arrêter. C’était une évidence que je n’étais pas Cécilia, pas faite pour apprendre la survie, pas faite pour tenir compagnie. Je n’étais qu’une bannie, qui pouvait tuer sans scrupule, sans le regretter. Dans le fond, c’était plutôt vrai. J’avais fini par accepter que c’était soit les autres, soit moi et même si je rêve du jour où ça sera moi, je ne suis pas courageuse pour en faire une réalité.

- « On ne pouvait pas la sauver » soufflais-je finalement « Et je ne pouvais pas te laisser y aller » est-ce qu’il y pensait encore « La vie de dehors… »

Ce n’était pas aussi simple que l’envie d’aider et le faire, on n’avait pas d’épée remplaçable ni de dague qui poussait à droite à gauche, on ne pouvait pas changer de tenue ni même se faire soigner convenablement, si la fange ne nous tuait pas le froid le faisait, les blessures, les sectaires, les pirates, la milice… Putain… On vivait d’échange et de troc bordel, peut-être que lui aussi un jour il devra offrir son cul contre un morceau de pain pourri, mais qu’il aura tellement faim qu’il acceptera. Ça me révoltait et en même temps, j’avais fini par m’y accommoder. Je me laissais tomber sur le dos, le sol venant s’entremêler dans ma chevelure et mes doigts s’enfonçant dans les grains pour relâcher le tout dans des mouvements réguliers.

- « Au village, on avait un cochon, l'animal hein » c’était ridicule dis comme ça, mais je m’accrochais à ça parfois « Il se nommait Groin, je pensais ‘fin… on avait voulu avoir des animaux pour tenter l’élevage, mais dans les marais c’est compliqué. Il a fini par se barrer… En fait non, il ne s’est pas barré, il s’est fait bouffer par l’un des membres » le coupable avait été exécuté « Si une femme tombe enceinte… On doit lui retirer l’enfant, parce qu’un enfant, ça fait du bruit. » Je pensais à Mathie, je sentais encore son corps froid contre le mien « Les Trois… ils doivent nous prendre pour des monstres… Parfois, je me demande si ce n’est pas ce qu’on est tous… des monstres. »

Pourquoi je lui racontais ça, je n’en savais trop rien. Je voulais étouffer le silence, lui expliquer le fonctionnement, qu’on ne pouvait pas être d’accord, pas toujours, mais qu’on n’avait pas le choix. J’étais si maigre que cela faisait des lunes que je n’avais pas saigné et je n’étais pas enceinte. Sans doute les Trois me punissaient-ils, sans doute oui, qu’ils devaient me voir comme lui, un monstre sans cœur, sans âme. Ou alors était-ce un cadeau, celui de ne pas devoir sentir une lame chaude entre mes cuisses. J’ai fermé les yeux, bêtement, j’aurais voulu qu’ils disparaissent à ce moment. Que sa manière d’agir ne me rappelle pas Lance, pas mocheté, pas Gondemar et pas leur espoir. J’aurais voulu qu’il me hurle ce qu’il pense, puis qu’il s’éloigne, ça m’aurait soulagée, je crois. Il n’avait pas de marque lui, je n’en avais pas vu. Ni ancienne ni nouvelle. Il m’avait parlé de prime, il n’avait pas tué, je le voyais à sa manière d’être horrifié, je le sentais à sa manière de me regarder à chaque fois que je le faisais. Il n’était pas… Ce qu’il prétendait être. Même si je ne savais pas encore ce qu’il prétendait être. Je lui en voulais pour ça, je le détestais pour ça aussi… De choisir cette vie, ma vie, plutôt que de s’installer n’importe où ailleurs, dans un village isolé où la milice ne passerait pas souvent, de monter sa cabane, de faire son potager.

- « Un jour, tu devras choisir » soufflais-je finalement sans trop savoir moi-même où j’allais « Pas suivre, mais choisir. Peut-être que ça sera entre ta vie et celle d’un autre, peut-être que ça sera entre dénoncer ou mourir, peut-être que ça sera entre oublier ou autre chose. Mais il n’y aura pas toujours quelqu’un pour choisir pour toi. »

Je m’étais redressée avec lenteur, passant mes doigts sur mon haut pour le faire basculer au-dessus de ma tête. L’abandonner à côté de moi, avec ma dague, mes bottes et mon pantalon qui n’avait pas tardé à rejoindre l’ensemble. Mes doigts faisaient le contour de la morsure de la fange sur ma cuisse, alors que pensive, je me demandais sur la réaction du village si cette dernière venait à se savoir. En réalité, j’avais déjà la réponse.

- « Un mordu se relèvera en fangeux » soufflais-je finalement «C’est comme ça. Je suis déjà un monstre Alphonse. » Peut-être qu’un jour sous la colère je me transformerais, peut-être dans mon sommeil, peut-être, j’en savais rien dans le fond « Ceux qui t’aideront, au Labret, en ville, ils risqueront gros… Et certains te feront croire qu’ils vont t’aider pour mieux te revendre. » je m’étais redressée debout, dos à lui, je regardais la mer et les vagues qui avaient toujours eu don de m’attirer « On fait des expériences sur les mordus, ou sur les non-mordus, y a pas que le clergé qui fait ça » j’avais claqué pour la première fois la langue en contrariété « Pour comprendre une transformation. Y en a même qui enferment des fangeux moitiés morts, ils pensent pouvoir contourner les dieux… Et y a ceux qui pensent que notre fin doit être proclamée au nom d’Etiol, que la fange purifie les indigne. » j’ai fait un pas vers l’eau, lui lançant un bref regard « Si ce que tu veux, c’est une maison et un élan de normalité, dis-moi simplement pourquoi tu ne le prends pas ? Des villages en ruine, il y en a plein, des domaines aussi. Et si je suis si négative que ça, pourquoi est-ce que tu restes ? On doit toujours faire un choix et un choix entraîne toujours un sacrifice. »

Bravo Isaure. C’est la voix de Mathie qui est pleine de reproches, elle m’offre ce regard que je connais très bien, me demande si je pense sincèrement qu’il va partir après tout ça ? Peut-être. La voir, ça me fait afficher un sourire, j’avais fait le choix de l’accompagner chez cette sorcière, j’avais fait le choix de rester derrière la porte alors qu’elle hurlait, de ne pas l’empêcher de perdre ce bébé… Peut-être que si mon choix avait tout autre, elle serait encore là.

- « J’ai pas envie » elle a relevé les yeux vers moi « ‘fin.. Je ne voulais pas.. » elle a disparue « Je ne voulais pas que mon choix entraîne ta mort » j’ai déglutis « je ne voulais pas te voir hurler de douleur et supplier que ça s’arrête, je ne voulais pas être impuissante… Et je ne faisais pas le poids contre les deux sectaires. Tu n’aurais pas fui » soufflais-je loin d’être idiote « Tu n’aurais pas fui je le sais, même si je t’avais supplié, tu n’aurais pas pu regarder la scène de loin, tu aurais même sans doute tenté de dialoguer avec tes beaux mots, offrir des choses que tu n’as pas pour trouver une solution… mais ça n’aurait pas marché… Et je n’aurais pas pu te sauver. Mon choix ça a été toi.»

Alors Isaure, qu’est-ce que ça fait de ne pas se cacher derrière sa monstruosité ? Demanda-t-elle à mon oreille.
Ça fait mal.


Dans le fond, je ne voulais pas attendre sa réponse, je ne voulais pas sentir son regard ni ses questions, alors j’ai été m’installée un peu plus loin, dans l’eau, frissonnant dû à la température, m’allongeant en laissant les vagues venir parfois submerger mon visage. Anûr, elle était là quelque part et je me demandais souvent pourquoi elle ne se montrait pas ? Pourquoi elle ne venait pas sauver l’humanité ? Peut-être que dans le fond nous n’avions plus grand-chose à sauver ?

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Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyLun 14 Sep 2020 - 6:20
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-"Oui, on pouvait. On pouvait et..." Et on n'avait rien fait. Les mots, qui auraient été une forme de condamnation refusaient de franchir la barrière de mes lèvres. Mon regard était sombre, noir de mon malheur. Pourquoi était-ce maintenant que je parlais, tandis que nous étions enfin en sécurité sur la plage ? Je ne le savais guère, mais tel un torrent se déversant, je brisais le silence dans lequel je m'étais enfermé depuis que nous avions choisi notre chemin. Le mauvais chemin. Celui de notre sécurité et de l'abandon d'autrui. "On pouvait..." Je ne trouvais et je n'avais rien d'autre à dire. Le choix nous avait été offert et nous nous étions détournés de notre humanité. Ce faisant, pouvions-nous nous dire que nous valions mieux que les sectaires que nous avions croisé ? Oui, certes, nous n'étions point cannibales ou animés d'un désir de torturer et de faire mal à notre prochain. Mais n'étions-nous pas complices de cette engeance infernale en n'ayant pas acté le moindre mouvement pour voler à leur secours ?

J'étais en colère. Contre nous, contre ces monstres qui ne seraient pas inquiétés outre mesure par leurs agissements barbares. Était-ce les Trois qui étaient encore aveugles aux malheurs de l'humanité, ou était-ce Etiol qui protégeait ses ouailles ? Je ne le savais aucunement, mais cela n'amenuisait pas le sentiment ambivalent qui m'habitait vis-à-vis des déités. J'étais en furie contre le beau temps, contre ce ciel clément et ce soleil rayonnant. Comment pouvait-il faire aussi beau, alors que plus ou moins loin, une engeance sans foi ni loi perpétrait un massacre ? J'étais hargneux contre le spectacle idyllique de la plage, de son sable fin et de la mer s'étalant jusqu'à l'horizon, alors que des innocents étaient embourbés dans un cloaque de chaire, de mort et de sang.

Par l'impie Trinité, où était la justice dans tout ça ?

Me mordant la lèvre pour retenir le trop-plein d'émotion, j'écoutais Isaure sans réellement l'entendre. Je ne la regardais pas. Je sentais encore l'odeur de la chair en décomposition autour de moi. J'entendais encore les hurlements de douleurs, les vociférations des tortionnaires, les supplications des victimes et les râles des agonisants. J'avais encore le goût du sang dans ma bouche, là où j'avais mordu ma langue pour ne pas crier. Je ne percevais plus vraiment ce qui m'entourait, encore enfermé dans les souvenirs de cruauté que nous avions contemplé. Je ne savais pas. Je ne savais plus. Que devais-je faire ? Oublier ce qui venait de se passer ? Enterrer dans un coin de ma conscience les réminiscences de la malveillance des hommes dont j'avais été témoin ? N'était-ce pas lâche de continuer, de faire comme si rien de tout cela ne s'était passé ? J'avais envie de hurler. J'avais envie de me battre et de me débattre contre la lourdeur qui m'enserrait le corps, le cœur, et qui remontait dans ma gorge. Était-ce lâche d'oublier ce charnier duquel nous nous étions échappé en parlant de foutu mollusque, d'insipide coquillage et d'insignifiant vers ? J'avais envie de dire que oui, de hurler mon désarroi devant pareille fuite en avant. Mais...

Mais la réelle lâcheté n'avait-elle pas été d'abandonner une énième personne à son triste sort, là, au milieu des croyants déviants du culte d'Etiol ?

Lorsqu'elle me proposa des huîtres, je secouais la tête lentement, comme si je n'avais pas assez de force pour en faire plus. "Je n'ai pas faim..." J'avais plutôt envie de vomir. Devant son empressement à m'en donner trois, je recommençais à agiter la tête en signe de négation. "Je... non, garde-les." Rien à faire. Isaure me les mettait dans les mains sans écouter mes supplications et implorations. "Garde... Garde-les !" Criais-je plus fort, n'y tenant plus. Je m'éloignais de quelques pas, laissant tomber cette nourriture au sol et fixant l'horizon avec amertume. La mer était tout aussi tourmentée que mes émotions. Je ne voulais pas de ses huîtres. J'avais voulu de son aide. J'aurais voulu la voir être d'accord avec moi à l'instant fatidique.

Lorsqu'Isaure me mentionna que nous n'aurions pas pu la sauver, mes jointures, qui enserraient le casse-tête, blanchir. L'arme que j'avais dérobée à la sectaire, maintenant cadavre, me semblait excessivement lourde. Tout comme ma conscience, submergée par la honte et écrasée sous le poids des remords. En fureur, sortant de mon immobilisme, j'avançais à grands pas vers la mer. Je voulais me battre. Je voulais expulser ce trop-plein de haine et de chagrin par la violence. Soulevant mon bras, je lançais du plus fort que je le pouvais la masse d'arme en direction des flots. Tournoyant en l'air durant plusieurs secondes, comme suspendue entre ciel et terre, l'arme finit par s'abîmer dans la crête des vagues et disparaître pour de bon. À cause de la force que j'avais imprimée dans le mouvement, je tombais à genoux. Misérable, non pas à cause de ma condition d'indigent, mais plutôt à cause des remords qui m'étreignaient, j'avais la tête basse et le dos voûté. Redevenant immobile, les yeux fixés sur le sable fin de la grève, je ne versais aucune larme. Je n'en avais pas le droit.

Le ressac incessant des vagues et de son écume sur la plage finit par m'atteindre, trempant mes frustes frusques sans que je n'aie de réaction. De plus en plus ballotté par les flots alors que la marée montait, je ne bougeais pas. J'endurais l'eau froide sans broncher, comme si cela suffirait à expier mon inaction et à assouvir une pénitence que je ne méritais aucunement. L'esprit atone, mais la conscience balayée par une tempête, je finis par fermer les yeux avant de les ouvrir vivement. Non. Dans l'obscurité de mes paupières fermées, je revoyais les scènes macabres se jouer devant moi. Les victimes que nous avions abandonnées, les tortionnaires que nous avions laissé agir. J'eus envie de vomir, mais comme pour les larmes, rien ne vint. Je n'avais pas le droit d'être faible. Pas après n'avoir point agi.

Le ressac de mon ressentiment était trop fort. Sans me retourner, n'y me détourner, je repris la parole, la voix chargée de doutes et d'indécisions. "On avait le choix ! Nous aurions pu faire diversion ! Nous aurions pu profiter de la surprise pour leur tombée dessus. Nous aurions pu leur tendre un piège alors qu'il était occupé à torturer une autre innocente. Nous aurions pu au moyen essayer ! Nous aurions pu...". Finalement, aussi vide que mes émotions avaient cédé, j'arrêtais de parler, conscient que ce qui me déchirait réellement n'était pas qu'Isaure ait décidé de prioriser notre propre sécurité et notre survie, mais bien mon immobilisme au moment fatidique.

Je devais arrêter de me mentir, de rejeter la faute sur Isaure. La décision de ne rien faire'incombait. J'aurais dû agir par moi-même et non attendre le support de ma vis-à-vis. Au lieu d'être inutile, silencieux et d'attendre bêtement, j'aurais dû avancer et tenter d'aider. Mais faible et effacé, j'avais laissé le choix à ma partenaire, attendant sa décision sans rechigner, sans me révulser ou me révolter. J'étais un mouton, un suiveur, un spectateur et non un acteur. J'étais raisonné, mais déraisonnable dans mon habitude à ne jamais agir. Effacé, silencieux, je ne faisais rien. Je n'avais rien fait. "...Je pouvais choisir..." Murmurais-je enfin, me libérant en quelque sorte en proférant ces mots et en avouant enfin ce qui me torturait. "Je pouvais choisir. Moi ! Moi-même ! Moi seul !" Hurlais-je en tirant sur mes cheveux de mes deux mains.

Puis, las, épuisé, déchiré par les sentiments ambivalents et contradictoires qu'étaient le chagrin et la haine, je me mis à murmurer faiblement. "Je devais choisir..." Au milieu de cette tempête qui me malmenait et m'écartelait, je perdais de nouveau mon souffle. Je n'avais rien choisi et j'avais laissé Isaure prendre à la fois la meilleure et la pire des décisions pour nous deux. Minable et incapable, je m'étais laissé guidé comme un avorton, tournant à la fois le dos à la victime et à Isaure qui nous avait sans l'ombre d'un doute sauvé la vie. Qui plus est, je lui avais été nuisible en voulant la diriger sur le mauvais chemin. Je lui avais obligé à endosser toute seule la responsabilité de l'abandon, alors que j'avais parlé avec bravoure, mais avait agi avec couardise en restant inerte.

Ainsi, j'avais conscience que tout le poids était retombé sur ses maigres épaules. Elle avait probablement dû porter et traîner ses remords en plus des miens pour me mener jusqu'ici. Car peu importe ce qu'elle pouvait dire, je savais qu'elle n'était pas fière d'avoir fait le choix difficile d'assurer notre survie. Je la revoyais vouloir se jeter vers l'avant pour secourir la femme au milieu de la clairière. Je la revoyais vouloir chercher vengeance en me jetant sur celle qui allait nous assommer. J'avais perçu qu'elle était habitée par le désir de secourir son prochain. Or, elle avait été plus lucide sur l'impossibilité de la chose. Lâchant ma tignasse, je me retournais pour faire face à la principale concernée. "Je suis désolé." À qui parlais-je ? à qui m'excusais-je ? À Isaure ? À l'inconnue qui devait être en train de mourir ? Au fantôme de celle déjà trépassée que nous n'avions pas aidée ? Probablement à toutes ces personnes à la fois.

-"Là-bas, je t'ai laissé seul." Oui, je m'étais déplacé avec elle, mais ma participation avait été minime. Isaure nous avait sauvés quasiment à elle seule. "Je ne t'ai pas aidé, je t'ai laissé endosser le pire rôle, prendre les décisions les plus difficiles et j'ai failli..." Failli nous guider vers la mort. Failli la mettre en danger pour un futile espoir de sauveur quelqu'un ne pouvant l'être. "C'est ma faute." Je ne savais pas si j'agissais consciemment, mais sachant que la bannie nous avaient sortie grâce à ses propres forces de ce traquenard qui aurait pu être le lieu de notre mort, je voulais pouvoir me montrer utile, là, maintenant, en prenant la grande partie du blâme. Je le méritais amplement et si cela pouvait soulager sa conscience, j'étais prêt à le faire. Qu'elle m'insulte, qu'elle me frappe si cela était nécessaire. Sans broncher, je serais son exutoire et sa furie serait ma pénitence. "Je suis navré, Isaure. Pardonne-moi." Mon ton implorant me faisait me sentir misérable.

Me relevant enfin, je fis marche arrière. Récupérant une huître que j'avais laissé tomber, je l'avalais d'un coup. "C'est salé." J'en avais déjà mangé, mais cette dernière avait un goût plus prononcé que d'habitude. "Trop salé." Murmurais-je en touchant ma joue, sentant les larmes silencieuses qui s'écoulaient de mes yeux et qui glissaient sur mon visage. M'essuyant d'un revers de la manche les yeux, je m'efforçais d'en avaler une seconde avant d'amener la dernière à ma partenaire. Je n'avais pas faim, mais je ne pouvais pas faire le difficile.

-" Je ne sais pas pour les autres" commençais-je en haussant les épaules lorsqu'elle parla que nous étions peut-être tous des monstres. " Mais toi, tu n'es pas un monstre, Isaure. Tu es ma sauveuse. Au convoi, dans la chaumière, chez les déviants d'Etiol, face à la sectaire voulant nous assommer et lors de ma crise; tu m'as sauvé." Attrapant ses doigts, passant un pouce sur sa paume, je ne pus m'empêcher de secouer la tête. "Ce n'est pas une main de monstre. Elle n'est pas horrible, difforme, couverte de sang ou munie de griffe effilée et tranchante comme des rasoirs." Elle était même plutôt agréable à tenir, chaude et humaine. Puis, d'une voix moins forte; "Ce sont eux les monstres, pas toi." Qui étaient-ce "eux" dont je parlais ? Les sectaires ? Les bannis ? Les gens peuplant sa vie d'avant et ses cauchemars ? J'avais envie de répondre que c'était l'ensemble de ceux-ci. Mon mot était suffisamment chargé de colère pour les englober tout un chacun. C'était peut-être une tentative bien vaine de la libérer de ses chaînes et de rejeter la faute sur ces perfides et vénaux énergumènes qui la malmenait, mais qu'importe. Finalement, je déposais la dernière huître dans sa paume, relâchant mon emprise sur sa main. Ce faisant, je me fis aussi une promesse. Il n'était plus question de parler d'une quelconque sauveuse-tueuse, mais tout simplement de la femme qui se trouvait devant moi; Isaure.

Prenant assise sur le sable, je l'écoutai lorsqu'elle dit qu'on devait toujours faire un choix et que cela entraînait inévitablement un sacrifice, je ne pus m'empêcher de grimacer. Ça faisait mal de l'entendre, mais elle avait raison. Je n'avais pris aucune décision et je ne pouvais que me l'incomber qu'à moi-même. Certes, je l'avais déjà compris, mais l'entendre de sa bouche n'était pas facile pour autant. "Je ne le referais plus. Je changerais." Répondis-je, blessé et le regard ardent. Réalisa-t-elle que je ne parlais pas d'abandonner, mais plutôt d'agir ? Comprenait-elle que si pareille situation se représentait, je désirais tenter de sauver l'inconnue plutôt que d'attendre l'accord d'une tierce personne ? Entendrait-elle dans mes mots que je voulais, à partir de ce moment, faire le bon choix, même si celui-ci signifiait le pire dénouement possible ? "J'agirais". Terminais-je avec lenteur, la regardant directement dans les yeux pour ne pas faire l'erreur de perdre mon regard sur son corps désormais dénudé ?

L'écoutant déblatérer sur la suite, me présenter le fait qu'elle restait un monstre à cause de la morsure de la fange, que je ne pouvais avoir confiance en personne, que les gens du Labret pouvaient être une menace aussi pugnace et terrible que la milice, je secouais la tête à chacune de ses prises de paroles. Lorsqu'elle me parla d'une envie de normalité, ma bouche s'assécha et ma mâchoire se contracta. Elle ne pouvait pas comprendre sans savoir. Elle ne pouvait pas parler sans me connaître. "Je ne peux pas." Elle me demanda pourquoi je restais avec elle si elle était aussi négative Je soupirais en secouant la tête. "Oui tu peux l'être. Mais tu n'as pas forcément tort pour autant." Pouvais-je réellement lui demander de faire preuve de positivité, elle qui semblait baigner dans ce genre d'événement avec les sectaires plus souvent que de raison ? " Veux-tu que je parte ? Est-ce ça, ton choix ?" C'était honnête. J'avais l'impression qu'elle cherchait à se départir de ma personne. Avais j’été trop loin en ne faisant rien ? Soupirant, levant les yeux vers le ciel, j'attendis la suite des choses, n'ayant aucun contrôle sur ce qu'Isaure dirait ou désirerait.

Ce qui survint ne fut pas ce à quoi je m'étais attendu. De fait, elle ne m'offrit aucune insulte ou propos acrimonieux, mais fit plutôt preuve d'une franchise à laquelle je ne m'attendais guère. Ouvrant la bouche sous la stupeur, restant silencieux jusqu'à la toute fin, puis la laissant "s'enfuir" en direction des flots, je la regardais s'éclipser sans proférer le moindre son. Elle avait raison sur toute la ligne. Je ne l'aurais pas abandonné, je ne serais pas parti sans me retourner. Or, ce qui m'interpellait réellement, c'était sa dernière prise de parole. "Mon choix ça été toi." Prenant le temps de mûrir et réfléchir ses propos, le regard toujours focalisé sur elle, je laissais les secondes s'égrener jusqu'à devenir des minutes. Enfin, me relevant, je pris le temps de me dévêtir à mon tour avant de rentrer dans l'eau. M'approchant d'Isaure, je venais m'asseoir à sa droite, ni trop proche ni trop loin d'elle. "J'ai été idiot." Ça, c'était un fait. "En effet, je ne serais pas parti. Je ne t'aurais pas abandonné." Parce que je l'avais déjà choisit, elle, bien avant notre rencontre avec les sectaires. Parce que je lui avais déjà offert une grande part de ma confiance. "Je t'ai mise en danger avec mon indécision, avec ma volonté d'aider. Je..." je ne la méritais pas. Or, comment lui dire que je me sentais immensément coupable ? Devais-je encore me répandre en excuse ? Serait-ce vraiment utile ? Comment pouvait-elle encore accepter ma présence, moi qui avais été un risque pour sa vie de par mon côté chevaleresque ? Certes, je m'en voulais toujours de ne pas avoir aidé la victime, mais désormais, j'étais aussi effrayé par la demande que j'avais faite à Isaure d'aller à son secours. Si par ma faute la bannie avait été capturée, qu'aurais-je pu faire ? Rien. Je l'aurais simplement voué à connaître de nouveau les vices et sévices de la torture. Remontant les genoux le long de mon corps, j'enserrais ses derniers de mes bras, déposant mon menton sur le haut de ceux-ci et perdant mon regard à l'horizon. ".Je n'ai fait aucun choix, je t'ai laissé prendre la plus difficile des décisions et je t'ai mise en danger." Reniflant avec amertume je secouais ma tête. Pour un homme qui avait dit lui offrir sa confiance, je l'avais bien abandonné durant cette épreuve....

C'est à cet instant que je pris une décision. S'en était terminé de mon ambivalence et de mon indécision envers Isaure. C'était l'heure de faire un choix.

-"Depuis que je suis jeune, je suis malade." Commençais-je à avouer. Levant une main vers le soleil, je laissais mes doigts faire une barrière contre l'astre et projeter leur ombre sur mon visage qui était blême et blanc, malgré ma vie d'errance. " À chaque effort physique trop intense, je n'arrive plus à respirer. Je me recroqueville, je perds mes moyens et je tente vainement de retrouver cet air qui a abandonné mes poumons." Refermant mon poing comme si j'étais en mesure d'écraser le soleil, je finis pas laisser retomber ma main dans les flots, vaincu. Crevant la surface, cette dernière alla s'abattre dans le sable, soulevant un nuage de poussière qui se mouvait en rythme avec la houle et le ressac. "C'est ce qui m'est arrivé en te retenant là-bas. Faute de nom à lui donner, j'appelle ça des "crises". On m'a dit que c'était mental, que je n'avais rien, mais..." Mes doigts traversèrent les volutes de sables et l'eau pour venir se déposer sur ma poitrine, là où se situait mon cœur. Là d'où j'avais l'impression que partaient mes crises. Puis je haussais les épaules. " C'est de pire en pire et plus fréquent quand je suis faible." De fait, cela m'arrivait nettement plus fréquemment depuis que j'étais un vagabond souffrant de la faim et du manque de sommeil. "C'est pitoyable, hein ?" Ce fléau m'avait écrasé toute ma vie durant et il continuait de le faire. " Je ne t'en avais pas parlé, parce que je ne voulais pas que tu m'abandonnes en réalisant que j'étais à la fois incapable de survivre seul et incapable du moindre effort. J'en suis désolé." Restant silencieux durant quelques instants, n'osant pas la regarder, je poursuivis, loin d'en avoir finit.

-",Mais ça, c'est terminé. Parce que j'ai aussi fait un choix. Ce n'est peut-être pas le meilleur et peut-être que j'ai plus à perdre qu'à gagner avec celui-ci. Peut-être que je m'en mordrais les doigts, mais au moins, ce dernier vient de moi et de moi seul, non ?" Désormais, je la regardais. Pour tout vous dire, je ne savais pas si on pouvait dire que j'apprenais correctement de ce qu'elle me montrait. Or, je mettais excessivement rapidement en pratique ses préceptes. Pourquoi ? Parce que j'avais confiance en elle. Pour le meilleur ou pour le pire. "Je t'a dit que je t'avais offert ma confiance. La voilà; je m'appelle Alphonse de Sarosse et je suis traqué pour tentative d'assassinat sur le roi."

Voilà pourquoi je ne pouvais prendre pied à terre au Labret, pourquoi je devais continuer de me mouvoir et que je devais trouver refuge au village des bannis, là où la milice ne me trouverait pas, ne connaissant pas la localisation du lieu. Mon nom en lui-même n'était potentiellement pas un problème pour Silvrur. Après tout, le minable que j'étais ne pouvait pas grand-chose contre celui qui avait assis son hégémonie sur le Morguestanc. Toutefois, maintenant que le nom de Sarosse était associé à la tentative de régicide qu'il y avait eu contre lui à la suite de la reconquête du Labret, j'étais poursuivi pour le crime le plus important d'une société. Félon, pariât et vagabond, le bienvenue nulle part, j'avais été chassé, traqué, poursuivi, raillé, conspué, maudit et proscrit. Je devais passer pour mort suffisamment longtemps pour être oublié. Mais, mon physique maladif, mon teint hâve et mes yeux trop clairs étaient des éléments difficiles à cacher à un observateur avisé. Ainsi, tôt ou tard, je serais possiblement démasqué de nouveau. Dès lors, la moindre rumeur ferait potentiellement revenir à la charge la milice. Tels les limiers de leur despotique maître, ils me traqueraient encore et encore pour assouvir sa vengeance sur le dernier rejeton de son ancien opposant.

Me relevant et me retournant pour regarder la plage, je changeais de sujet, espérant ne pas la voir réagir différent qu'auparavant. "Et si nous continuions ? Nous sommes dans un bon lieu pour trouver de la nourriture, non ?" Je ne la regardais plus, balayant la plage des yeux et tentant d'afficher une mine nettement plus confiante que j'en avais l'air. "Il nous faudrait aussi un abri pour la nuit. Peut-être une grotte le long du littoral ? La marée serait une protection idéale, je crois." Je ne désirais guère retourner vers la forêt et les sectaires. Puis, mettant une main en visière, je poursuivis en plissant les yeux et en pointant un récif rocheux qui sortait des flots et qui était attaqué par les vagues. "Si nous marchons par là-bas, nous pourrions récupérer tout ce que nous trouvons sur la plage en chemin et voir s'il y a un endroit ou nous abriter. Qu'en penses-tu ?" Je tentais d'être proactif, de prendre des décisions, ou a tout le moins de proposer des choix censés. Or, le cœur n'y était pas vraiment. J'en faisais trop, essayant d'éviter de voir ce que l'aveu de mon identité avait créé chez elle. Ma conscience était en ébullition.

Me vendrait-elle au plus offrant ? M'abandonnerait-elle à cause de ma faiblesse ou de mon soi-disant crime qui avait échoué contre l'omnipotent et ignoble roi ? M'insulterait-elle ? Deviendrait-elle agressive ? Je ne le savais guère, car c'était son choix, sa décision. Tout ce que je pouvais faire, c'était d'attendre la condamnation ou le pardon. "On y va, Isaure ?" Lui faisant face, je lui tendais ma main pour l'aider à se relever. La prendrait-elle ou s'en détournerait-elle ?
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Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyLun 14 Sep 2020 - 19:14


Il y a des situations que je n’apprécie pas particulièrement, des situations que je ne comprends peut-être même pas. Je l’ai regardé là, se consumant d’une émotion de révolte. Je pouvais lire dans chacune parcelle de la peau de son visage son dégoût, son amertume, voire peut-être même de la froide. J’étais là immobile à lui tendre des huîtres en ayant eu l’espoir naïf que cela aurait pu tout arranger. J’ai été naïve. Il avait crié et je n’avais pas bougé, il avait abandonné l’unique alimentation qu’on avait sous la main et je n’avais pas bougée. Mes yeux avaient avisé un instant les huîtres dans le sable, sans que je n’aie dans l’idée d’en récupérer une seule, pensant sans doute que la faim rattraperait sa conscience. Je me trompais. Encore. Il s’était éloigné fixant l’horizon et je le regardais là se consumer sur place. Impuissante. Peut-être aurais-je dû le laisser y aller, où peut-être que j’aurais dû y aller moi ? peut-être aurait-il compris en souffrant, ou en me voyant subir ? Je restais là un instant, immobile. Mathie à côté de moi, elle me souriait comme elle savait le faire pour me rassurer. Se trompait-elle possiblement, m’étais-je trompé possiblement.

Il jetait son arme, s’écroulant par la suite et je ne bougeais toujours pas. Dans le fond, je crois même que j’étais en colère contre lui. De ne pas comprendre, de ne pas réaliser, de ne pas voir la chance qu’il avait d’être encore vivant, de ne pas avoir été cet homme ou cette femme. Lui ne voyait que son propre sentiment, celui de ne pas trouver sa place dans un royaume devenu à la fois trop étroit, mais si grand à la fois. T’étais pareil. C’est ce qu’elle a dit et j’admets que j’ai dû sourire en détournant enfin les yeux de la silhouette d’Alphonse. Apeurée. Brisée. Consternée. C’était vrai. Je n’étais cependant pas bien certaine qu’aujourd’hui les choses avaient changé. Peut-être était-ce même pire. J’ai essayé de lui expliquer à Alphonse, qu’on aurait rien pu faire, que cela n’aurait rien changé. Dans le fond cela ne m’aurait même étonnée qu’elle soit condamnée cette femme, sans même le savoir.


- « Nous aurions pu quoi ?! » protestais-je «Nous aurions pu mourir, oui, c’est ça, c’est même certain que c’est ce qui serait arrivé. »

Ma voix ne s’était pas emportée, dans le fond peut-être que je le délaissais, le laissant affronter ses remords. Cela ne serait ni la première ni la dernière fois qu’il se révolterait, qu’il abandonnerait, qu’il regarderait la mort de loin sans rien pouvoir faire. Il était dans une prise de colère et j’étais impuissante face à ça… Il était là à quelque pas et j’étais incapable de me déplacer, de le prendre dans mes bras, de lui murmurer que tout allait bien se passer. Humaine, je ne l’étais peut-être finalement plus. J’avais donc abandonné son observation, le laissant seul avec sa réalité, le choix qu’il n’avait pas fait –heureusement parce qu’il n’aurait pas fait le bon-. J’ai failli lui dire qu’il n’avait cas y retourner, mais rien ne s’est échappé de ma bouche, juste un couinement étouffé de raison. Il aurait encore été capable d’y retourner… L’idiot.

Assise au bord de l’eau, je regardais les mouvements de l’ensemble, m’enfermant petit à petit dans cette bulle que j’avais appris à me construire. J’aurais voulu qu’il ne soit plus là, qu’il disparaisse, décampe je ne sais où, mais que je ne me sente plus responsable de sa souffrance. Il avait fini par se relever pour ramasser les huîtres, manger, prétendre que c’était salé, puis s’excuser encore et encore et encore. Je me renfermais presque inévitablement, enfouissant davantage ma tête dans le haut de mes genoux. J’avais juste besoin qu’il se taise, qu’il arrête de me prendre pour cette femme qui prend les décisions, qui est forte, qui sait faire. Qu’il se taise, simplement. Il recommençait, encore, avec des belles paroles, encore et toujours des paroles. Il avait dû être compteur dans une autre vie, ou p’tretre même dans celle-là fallait-il être un sacré baratineur pour être noble ou bourgeois.

Est-ce que je l’avais sauvé lors du convoi ? Pas le moins du monde, j’avais pris la fuite et ma main avait attrapé la sienne dans un mouvement d’erreur, c’était ça une erreur. Est-ce que je l’avais aidé lors de sa crise ? Non, je voulais juste éviter qu’il fasse du bruit et qu’il attire les regards sur nous. Cela nous.. m’aurait coûté la vie… Et là il me parlait de quoi déjà, ah oui la sectaire, eh bien là non plus, je l’ai juste poussé pour pouvoir récupérer l’effet de surprise… Je ronchonnais avant de grogner contre Mathie à voix haute :


- « Non je ne suis pas de mauvaise…» il avait sa main dans la mienne et je faisais silence, prétendant que je n’avais pas de griffe « Il n’y pas besoin d’avoir des griffes ou des dents tranchantes pour être un monstre » je l’avais avisé un instant, avant de retirer ma main de ses doigts, roulant des épaules, ronchonne « On est tous le monstre de quelqu’un »

Je ne me souvenais plus de mes crimes, mon crime, ou je m’en souvenais trop bien. Je ne me souvenais plus de tout ça, c’était dans une autre vie. Je me souviens des paroles, des cris, des cailloux et des fruits, je me souviens de mon jugement, du goût de l’eau et des soubresauts. J’étais vivante encore. Je me souviens de ce prêtre, je me souviens de tout sauf du plus important. Après ça, j’étais devenue quoi. Une survivante. Je roulais des épaules pour moi-même, avisant l’apprenti survivant du coin de l’œil. Je ne sais pas ce qui était pire, le fait qu’il m’explique qu’il allait changer, ou le fait qu’il croyait lui-même à son mensonge. Non Mathie ne me dit pas que j’étais… Non. Moi c’était différent, j’étais déjà un monstre.. Lui… Lui il est juste bon à sauter la nobliote dans une meule de foin putain. Alors je lui avais expliqué, je lui avais expliqué qu’on ne pouvait faire confiance à personne, je l’avais détesté de ses mouvements négatifs de la tête, je l’avais condamné lorsqu’il m’expliquait ne pas pouvoir et j’avais fait silence lorsqu’il me demandait si mon choix était son départ.

J’avais fini par fuir, par abandonner mes vêtements pour m’immerger un peu plus loin, en partie du moins. Oh, il pouvait dire ce qu’il voulait, je regrettais déjà d’avoir fait preuve d’honnêteté, d’avoir prétendu que mon choix c’était lui. Ce n’était pas lui. Non ce n’était pas… Peut-être un peu, je me renfrognais encore, davantage, toujours, alors que je ruminais mon propre comportement. Comme quoi, même quand il y avait un trou, j’avais besoin de sauter dedans. Physiquement ou… Peu importe. Un soupir avait fui mes lèvres, je ne lui avais pas jeté un regard alors qu’il prenait place à ma droite.


- « "J'ai été idiot." Bien plus que ça en effet je ne serais pas parti. Je ne t'aurais pas abandonné." Tu fais chier putain » je ne sais pas si le pire était qu’il ne s’arrête pas, allant jusqu’à prétendre m’avoir laissé prendre la décision la plus difficile « Ce n’était pas une décision difficile » soufflais-je en massant l’arrière de ma nuque « Je m’en fou Alphonse de sa mort, je m’en fou… »

Mathie s’était mise à rire, disparaissant comme elle savait le faire. J’aurais voulu la suivre, sa présence avait toujours eu le don d’être rassurante. Sans elle… J’avais avisé celui qui reprenait la parole, m’expliquer qu’il était malade. Il m’expliquait encore et encore et encore et encore et je ne comprenais pas, il semblait en colère contre lui-même, levait le poing pour l’abandonner dans l’eau, empoigné le sable pour mieux le libérer. Il me demandait si c’était pitoyable et je roulais des épaules, j’ouvrais les lèvres, prête à lui dire que non, mais rien n’était sorti ou plutôt avait-il repris. Puis ce fut… la phrase de trop. Non pas qu’il soit un de Sarosse ayant tenté de tuer le Roi, ça je m’en fichais comme de l’absence de dessous sur mon cul nu qui se faisait masser au gré des vagues. Mais sa notion de confiance…. Ca non. NON.

- « Tu fais chier Alphonse » grognais-je avec plus de violence que ce que je n’aurais cru

Je n’avais pas bougé, pas d’un centimètre, hormis peut-être pour me rattraper dû à une monté d’eau plus forte qu’une autre. J’étendais mes jambes, avisant mes orteils qui se laissaient entrevoir de temps en temps, penchait la tête en arrière pour observer le ciel et le soleil. Si Rikni aimait me confronter à des épreuves, celle-ci ne m’amusait absolument pas. Il s’était relevé m’offrant son postérieur blanc comme un mort en guise de paysage… Ça m’a fait rire. Je me suis mordue avec force la lèvre pour retenir un pouffement, puis je l’ai écouté m’expliquer les éléments à faire : la nourriture, l’abri, avancé… Et je ne pouvais que me retenir de rire, je gonflais légèrement les joues, détournais finalement les yeux pour suivre le mouvement de mes mains. Il concluait et je relevais les yeux une nouvelle fois vers son postérieur –un peu musclé soit dit en passant-. C’est le moment où monsieur a décidé de se retourner. J’étais donc assise, dans l’eau face à … Alphonse, mais pas vraiment Alphonse, plutôt le côté opposé à son fessier, l’ensemble gesticulant au vent, juste là…

Je crois que je n’ai pas pu empêcher mes yeux de s’étirer en amande et de partir dans un fou rire, un fou rire qui m’a prise au ventre, je m’entendais rire, mais si fort que la discrétion n’était plus de mise, je me suis laissé tomber sur le dos et je dois bien avouer que c’était encore pire. Où était donc passé le Alphonse si gêné de sa nudité ou de la mienne ? Bourse au vent, il avait l’air si déterminé… Que vraiment, non, je n’arrivais plus à m’arrêter, j’avais glissé une main sur mes yeux, les doigts écartés et l’autre sur ma bouche pour essayer d’étouffer mon amusement. Ça a dû mettre un sacré moment avant que je ne parvienne à me calmer, tentant de lui expliquer.

- « Dis donc… Alphonse, j’crois bien que de passer du temps avec moi, ça ne te réussit pas du tout ! » ma phrase était entrecoupée par mon souffle qui s’échappe de mes lèvres, souffle que je tente de retenir et qui provoque un nouveau rire, je crois même avoir sentie une larme de mon œil.

Je m’étais redressée finalement, un peu humide sans que cela ne me dérange, pour venir le pousser de l’épaule. Lui montrer que je le taquinais, que je plaisantais, puisqu’en toute franchise il n’y avait absolument aucune raison de se moquer. Mon rire s’est transformé en un fin sourire en coin, ainsi qu’un regard espiègle que je ne parvenais pas vraiment à retenir. Mon impassibilité était plutôt complexe à retrouver. J’avais remis mes vêtements, plutôt difficile le corps mouillé, mais, peu importe, ramassé les siens pour m’approcher et le lui tendre, avant de tenter de l’empêcher de l’attraper. Peine perdue, il était beaucoup plus grand que moi et avait dû le récupérer. J’avais roulé des yeux, le laissant se changer lui aussi – si il le souhaitait-

- « ‘fin tu peux rester tout nu hein s’tu veux, ça me gêne pas moi… » soufflais-je avec lenteur un p’tit sourire prêt à rire de nouveau « On y va ? »

J’avais commencé à avancer, avec lenteur cette fois. Le long de la plage, avisant le sable fin et les trous dans le sable, il avait supposé qu’on était bien pour trouver de la nourriture, c’était vrai. Un peu plus loin, il y avait une zone avec pas mal de rocher, de quoi retrouver des huîtres et des coquillages sans doute, même l’algue n’était pas mauvaise dans de l’eau… J’avisais le ciel, l’interrogeant du regard, comme si il allait m’offrir une réponse avant de secouer la tête et d’avancer. Je n’avais pas trouvé quoi lui répondre vis-à-vis de ses aveux, peut-être sans doute, sûrement parce que je ne me sentais pas concerner ? Est-ce que j’étais quelqu’un pour le juger ?

- « Dis Alphonse tu… » je m’étais légèrement retournée, avant de me réviser, finalement, je me suis penchée pour ramasser un coquillage, ouvert, donc vide et le rejeter dans la mer un peu plus loin « Vide » fis-je doucement « Il y a les moules, les huîtres, les crabes, on va pouvoir se faire un plat digne des plus grands ! » m’enthousiasmais-je peut-être un peu trop.

Je savais. Oui, je savais qu’il aurait besoin d’une réponse, que je n’allais pas pouvoir rester sans réaction vis-à-vis de ce qui devait être son plus lourd secret, mais je n’y arrivais pas, dès que mes lèvres s’ouvraient, elles se refermaient. Je ne savais tout simplement pas quoi lui dire, ni même si c’était vrai dans le fond. N’étais-je pas dans les geôles au moment du scandale de cette affaire, le clergé en avait parlé durant des jours, même sans doute juste après mon… Comment avait-il pu survivre à ça ? Comment ? Lui. Je m’étais retournée une nouvelle fois, prête à parler, prête à lui demander, mais je me sentais encore ridicule, alors que rien absolument rien ne s’échappait de mes lèvres.

- « Tu fais chier Alphonse » soufflais-je comme si il était responsable de mon blocage « Enfin. Bon. » repris-je « Tiens regarde nous y sommes… Alors… » je me retourne une nouvelle fois, lui montre quelques doigts sur ma main -4- « Le premier à cinq comme ça, gagne le droit… Mh… De regarder l’autre faire le feu ! Et de pas ramasser les branches, évidemment !!»

Est-ce que je fuyais la conversation sérieuse ? Oui. Est-ce que cela me permettait d’oublier les souvenirs qui remontaient à la surface ? Oui. Je m’étais mise à faire une poche avec ma cheville, en la relevant en tirant du bout des doigts juste au-dessus de mon nombril, pour en faire un petit sac. Je farfouillais, penchée en avant pour ramasser coquillages, huîtres et crabes… Je prenais quelques algues ici et là, jusqu’à m’immobiliser pour regarder plus loin. Plissant les yeux, j’avais du mal à réaliser qu’il y avait juste là dans le renfoncement des rochers une grotte. Je lui lançais un regard, lui faisant signe de s’approcher :

- « Eh regarde, je crois que les Trois t’ont entendus, j’te présente ta maison pour cette nuit, enfin bon… On termine ici et on va voir, comme ça on aura juste à ramasser pour le feu… »

Je lui offre un sourire, referme l’ensemble pour être certaine que mes provisions trouvées ne vont pas s’envoler… Je vois l’impensable –un oursin- ce que j’adore… C’est tellement rare. J’ai filé vers mon objectif, plongeant la main dans le liquide salé avant de ressortir ma petite proie, je déploie ma dague pour l’ouvrir – en me coupant, comme souvent- sans que cela ne semble me déranger.

- « Alphonse ! » fis-je en m’approchant avec une moitié « Goûte » fis-je en lui tendant « Tu verras, c’est délicieux. » j’ai pincé mes lèvres avant de me retourner et de ranger ma petite dague « Je suis désolée pour ta famille… » je partais du principe que je le croyais « Mais au village, c’est plus prudent de t’inventer une autre vie, les nobles ce n’est pas vraiment… ‘fin tu vois. »

Voilà. C’est tout ce que j’étais en mesure vis-à-vis de ses révélations. Ça aurait dû en révolter plus d’un je suppose, mais moi ? J’étais qui finalement pour le juger, le condamner, le revendre ou qu’est-ce que je pouvais bien en savoir ? Et puis j’avais décidé de m’éloigner pour m’approcher de ce que j’espérais être notre coin pour la nuit à venir. C’était important de trouver un abri rapidement au moins pour le sécuriser, à défaut, au moins ramener de quoi nous réchauffer et faire à manger. Il n’y avait pas un seul bruit, jusqu’à ce que je perçoive une quinte de toux à quelques pas de l’ensemble. Immobile, je coulais un regard vers Alphonse, alors que deux hommes, plus large que nous deux réunis s’extirper en bâillant à s’en décrocher la mâchoire. J’avais senti les regards effleurer ma silhouette, puis celle d’Alphonse, j’avais vu les deux lames accrochées à chaque ceinture, une dague chacun, y compris le regard qu’il s’était échangé l’un et l’autre.

Un bref geste de la main en notre direction et ils s’approchent ne s’adressant qu’à Alphonse, dans lequel j’avais dû rentrer en reculant légèrement.


- « Mais qu’est-ce qu’on a là… Des pêcheurs ? Vous v’nez de où ? » questionna le premier alors que le second venait de le rejoindre « Elle est charmante ta copine, tu lui as promis une petite promenade au bord de la mer ? »
- « C’est dangereux la plage… Hein qu’c’est dangereux Phil’ »
- « Ne les embête pas, t’vois bien qu’ils n’ont rien »
- « On n’avait pas vu que vous étiez là » fis-je provoquant la surprise générale, comme si une femme ne pouvait pas parler « On va repartir… »
- « Oooooooh ils cherchaient un p’tit coin Phil, le pauvre va pouvoir la sauter ! »
- « Merde Jean. On t’laisse la place p’tit s’tu veux… On peut même regarder si ça te va, ou tu partages p’tetre ! Franchement… Plus loin on a une caisse de bon vin et des fringues, p’tetre même que si tu veux bien nous la prêter à tous les deux, on peut t’rajouter des légumes tout droit du labret… F’ranchement, ça s’refuse pas non ? » comme j’étais muette, leur regard restait sur ma silhouette « Prend pas peur mam’zelle on sera tout doux, ce n’est pas la première fois que tu dois faire ça, non ? Il t’avait promis quoi … Allez t’peux pas lui en vouloir, vous allez pouvoir vous gaver après ça ! Alors, tu marches p’tit ? »

Ça ne se refuse pas non… Si Alphonse n’en avait pas conscience moi oui. L’un était plus gros que l’autre, pas musclé, plutôt très enveloppé même. Donc plus lent. Le deuxième il s’appuyait plus sur un pied que sur l’autre, il devait donc possiblement être blessé. Alphonse ne savait pas se battre, ou p’tetre bien que si, c’était un noble… Je n’en savais rien et je n’arrivais pas à trouver une solution, je n’étais pas certaine qu’un simple non d’Alphonse suffirait, comme je n’étais pas certaine de vouloir passer à côté de ce type d’échange. J’en avais déjà la nausée. Je l'avais regardé du coin de l'oeil :

- « C’est pas si grave Alphonse, tu sais....» murmurais en remuant à peine les lèvres, tentant de profiter de la distance entre eux et nous. Etait-ce réellement pas si grave, ou tentais-je simplement de me convaincre dans la possibilité ou ni lui, ni moi ne pourrions rien faire, ou même que lui décide finalement de réaliser le troc. Je lui avais bien appris que c'était comme ça que cela fonctionnait, non ?



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyMar 15 Sep 2020 - 17:47
-« Tu fais chier Alphonse ».

-"Pour une fois, je suis plutôt d'accord avec toi, Isaure."
Soupirais-je. Il n'y avait plus la place au moindre doute; ces quatre mots étaient devenus une habitude. Proféré plus que de raison, je ne m'en offusquais plus, eux qui revenaient aussi assidûment et sûrement que les vagues s'écrasant sur la berge. Par ailleurs, j'étais plus qu’heureux de les entendre. Aussi incongru que cela puisse paraître, j'étais heureux de faire chier. De vous à moi, c'était la première fois que cela arrivait. Or, en cet instant où j'avais dévoilé mes faiblesses et mon identité, les mots de la bannie étaient pour moi une délivrance plutôt qu'une condamnation. Comme avant mes révélations, je faisais chier. En quelque sorte, c'était pour moi le signe que rien n'avait réellement changé dans la façon dont elle me traitait et me percevait. Du moins, pour le moment.

M'agrippant à cette continuité qui semblait en tout point normale dans notre relation, malgré mes aveux qui étaient tout sauf normaux et qui auraient dû changer sa façon de me percevoir ou de me parler, je m'évertuais à changer drastiquement et rapidement de sujet pour ne pas perdre ce qui avait déjà été conquis. Non pas sa confiance, mais à tout le moins sa présence. Ainsi, je proférai la suite des choses que nous devrions faire en me relevant. En l'occurrence, trouver de la nourriture et un abri. Sur le coup, mes mots semblaient affreusement creux après avoir avoué qui j'étais, après avoir fait part de mon plus grand secret. Or, ils étaient aussi émancipateurs, éloignant les souvenirs de l'affaire de Sarosse et les péripéties en découlant.

Finalement, sortie de mon monologue par un rire que je n'avais pas assez souvent entendu, je me retournais tout d'abord interloqué. Pourquoi s'amusait-elle ? Se moquait-elle de moi ? Fronçant des sourcils, ne doutant pas le moins du monde que la source de son amusement était ma personne, tandis qu'Isaure était le genre de personne à s'amuser aux dépens des autres, j'attendis de plus amples informations avant de réagir. Avais-je dit quelque chose qui me valait ces moqueries ? Je ne le savais aucunement, mais soudain le bref éclat de son amusement se transforma en fou rire aussi intraitable qu'inarrêtable. "Que ce passe-t-il ?" Demandais-je, boudeur, sachant pertinemment que j'étais la cause de cet émoi, bien que je ne comprenais aucunement pourquoi. "Tant que je n'ai pas d'explication, on ne partira pas. Voilà !" Arguais-je en retirant la main que je lui avais offerte pour se relever.

Lorsqu'elle tenta une explication en se cachant les yeux, je secouais tout d'abord de la tête. "Je ne comprends...". Puis, après quelques instants, baisant la tête, je m'empourprais. "Ah." Désormais offusqué par ses moqueries, je croisais les bras, reculant de quelques pas et hésitant entre l'envie de rester droit et fier pour lui montrer que ses quolibets ne me touchaient guère et de retourner me cacher sous les flots. Dansant d'un pied sur l'autre, je levais un doigt accusateur pour la pointer. "Très juste ! Ça ne me réussit pas de passer du temps avec toi. Pas du tout !" Hésitant entre l'idée de me renfermer à cause de ma fierté blessée -qui aimerait entendre rire à cause de sa nudité ?- et de me dérider, je choisis la seconde option. Non pas à cause que je n'avais aucun amour propre, mais simplement parce que les marques d'amusements de la bannie étaient trop rares. Par ailleurs, la voir en mesure de rire après tout ce que j'avais dit était aussi une forme de douceur. D'autant plus après la folie que nous avions traversé chez les sectaires du culte profane et déviant d'Etiol.

L'éclaboussant de gerbes d'eaux avec mes pieds, je décroisais les bras et me permettait de sourire à mon tour. "Règle numéro 286." Disais-je en levant deux doigts et en imitant -plus que mal- sa voix plus haut perchée que la mienne : "On ne rit pas d'un homme dénudé. Voilà !" Poussé de l'épaule par la bannie, secouant la tête et me passant une main sur la nuque je sortis des flots, la suivant, cette fois-ci, dans son angle mort pour éviter qu'elle ne puisse de nouveau se rincer l'œil tout en se moquant. Respectant le proverbe "œil pour œil et dent pour dent", je me permettais de la regarder à mon tour sans vergogne. Pour autant, je ne trouvais personnellement rien à en rire...

Puis, lorsqu'elle me fit face en me tendant mes vêtements, arrêtant de vagabonder ici et là avec mes yeux, je pus apprécier un sourire espiègle que je n'avais encore jamais vu. Étonné de son apparition, de le voir supplanter la moue taciturne, amère et renfermée que j'étais habitué de percevoir chez ma sauveuse, je restais silencieux, répondant sans réellement m'en rendre compte à cet élan de raillerie. Tentant de récupérer mes frustes frusques, échouant dans ma première tentative à cause d'un mouvement de recul et joueur d'Isaure, je grognais, faussement irrité. " Rester tout nu avec toi ? Plus jamais !" Arguais-je en tendant plus rapidement ma main et en réussissant à attraper mes vêtements grâce à ma taille. Puis un peu plus sérieusement, tandis que même si je m'en amusais une part de ma fierté avait été malmenée; " C'est ça, c'est ça." Répondis-je lorsqu'elle proféra le fait que cela ne la gênait aucunement. "Ne me fais pas marcher. Je n'oublierais pas tes moqueries de sitôt !" En quelque sorte, je ne mentais aucunement. Puis, retrouvant à mon tour un sourire, je répondis par l'affirmative à la suite de ses dires. "On y va."

C'est ainsi que nous avions commencé a avancer sur la plage. Plus calme et serein que je ne l'avais jamais été le long de ce littoral, j'étais soulagé de la réaction d'Isaure. Oui, bon. J'aurais potentiellement préféré ne pas l'entendre se moquer de mon corps. Or, cela valait mieux que la voir partir sans demander son reste, non ? Par ailleurs, de par mes aveux, je me sentais aussi libéré d'un poids. Dès lors, pour le moment, cet interlude entre mes dires et une réponse de ma partenaire était pour moi tel un accord tacite qui faisait mon affaire. C'était pour l'heure mieux ainsi, comme si la place du passé était désuète et guère importante dans l'instant présent. Isaure elle-même semblait libérée des chaînes de son amertume, elle qui se laissait aller au rire, à la moquerie et aux plaisanteries. Ainsi, il en allait de même pour les sectaires. Le passage dans les bois était pour le moment derrière moi. Évidemment, cette macabre expérience avait creusé des sillons plus que profonds dans mon âme, alors que je restais amère de mes erreurs et échecs. Or, pour l'heure, ce n'était plus là. Je n'avais pas besoin de penser ou de panser mon passé, vivant simplement l'instant présent, profitant de l'accalmie après la tempête et avant les prochains tourments.

-"Il y en aura d'autres."
Disais-je lorsqu'elle me présenta le premier coquillage vide. Lorsqu'elle parla avec enthousiasme de ce que nous pourrions manger, je ne pus m'empêcher de sourire à pleine dent à mon tour, l'eau à la bouche. Cela faisait combien de temps que je n'avais pas eu un vrai repas ? Que je ne m'étais pas senti rempli après m'être alimenté ? Je ne m'en rappelais aucunement, mais en ce jour, cela serait peut-être -enfin- le cas. Regardant la mer, voyant ses vagues venir se fracasser sur le brisant des récifs, je soupirais, mélancoliques. "Du poisson, ça serait incroyable..." Or, faute des instruments nécessaires pour pouvoir en attraper, il me faudrait faire mon deuil, évidemment.

-« Tu fais... »
-"Tu fais chier Alphonse, c'est ça ?"

Secouant la tête en souriant, alors que j'avais deviné ses mots avant de les entendre de sa bouche, je me focalisais vers là où nous marchions. Je comprenais très bien ce qu'elle tentait de faire sans y arriver. Bien qu'elle n'avait encore rien dit, ses vaines tentatives pour m'offrir des mots en lien avec mon passé étaient déjà plus que ce à quoi je m'étais attendu. De fait, je croyais qu'elle serait partie sans se retourner. Avais-je une mauvaise perception d'elle ? Possible. Toutefois, il fallait dire qu'Isaure ne m'aidait aucunement sur la chose en ayant l'habitude s'enfermant dans une fausse carapace de morosité et d'animosité. "Toi aussi tu peux faire chier, Isaure." Arguais-je finalement, ayant toujours autant de mal à la suivre sur certains aspects de sa personnalité. Satisfait d'avoir proféré cette insulte sans bégayer, moi qui n'étais guère habitué à proférer une quelconque insanité, je souris, satisfait de mon exubérance.

Lorsqu'Isaure me mit au défi de récupérer plus de nourriture quelle, j'acceptais de participer à la compétition. À dire vrai, je n'étais pas très joueur. Or, si cela lui faisait plaisir, je ne me voyais guère refuser. Et puis, si cela pouvait aussi lui faire plaisir de gagner, je pouvais bien aussi lui offrir la victoire. Hochant la tête pour moi-même, prêt à recherche avec assiduité, mais sans me presser, mollusques et coquillages, je me mis à froncer des sourcils. Une image que je n'appréciais guère venait d'apparaître dans mon esprit. Celle d'une Isaure en train de se réchauffer les pieds en se moquant de moi, alors que je trime pour ramener du bois et m'assurer que la flambée reste suffisamment importante. Entendant quasiment ses railleries par avance si je perdais, je me mis à hésiter. Dans les faits, non. Je ne voulais pas perdre.

Accélérant pour me diriger vers un point d'eau abandonné là par la marrée, je me mis à farfouillé dans le sable mouillé qui avait la consistance de la boue. Au bout d'un certain moment, tandis que j'étais dépité de ne rien trouver, je sortais un mollusque de la gangue. Fièrement, le dressant comme si c'était un trésor je me retournais pour le montrer à Isaure. "J'en ai un !" Heureux, pensant avoir l'avantage dans la course, je laissais retomber mon bras sous la stupeur. La bannie avait déjà les bras chargés d'algues. "C'est... c'est de la triche ! On n’avait pas mentionné les algues !" Je savais pertinemment que cela n'était aucunement un forfait ou un quelconque méfait. J'avais simplement sous-estimé la possibilité d'en faire un aliment, tandis que je prenais ça pour les déchets de la mer, en quelque sorte.

Prêt à repartir en quête de nourriture, je suspendis mon geste lorsqu'elle me présenta notre abri pour la nuit. Hochant la tête et m'approchant à la fois de la grotte et d'elle pour voir. Puis, mauvais joueur, je rechignais lorsqu'elle me parla de ce qu'elle venait de trouver; "On n’avait pas parlé d'oursin non plus..." Toutefois, devant sa joie d'avoir trouvé pareilles denrées, je ne restais pas longtemps enfermé dans ma puérilité, m'approchant d'elle. Goûtant, ne mentionnant pas que j'en avais déjà mangé, faisant comme si c'était la première fois je souris et hocha la tête avec emphase. "En effet, c'est délicieux." Puis, je fus surpris par la suite. Une Isaure s'excusant pour ma famille.

Tout d'abord silencieux, rattrapé par ce que j'avais avoué, je la regardais, ne sachant plus trop comment réagir à mon tour. "Ce n’est rien, c'est du passé." Non ce n'était pas vrai. C'était toujours douloureux. C'était toujours déchirant. Préférant rebondir sur la suite pour ne pas m'enfermer dans les pensées tournées vers le passé, je souris en me passant une main sur le menton. "Quelle vie tu inventerais pour moi Isaure, mmh ? Un chevalier errant ? Un pirate sans foi ni loi ? Non, je sais ! Un mercenaire de la pire espèce, plutôt non ?" Je plaisantais, évidemment. "Je te laisse choisir pour moi. Si tu fais ça bien, tu peux aussi me choisir un nom. Après tout, ça ne me semble pas une si mauvaise idée, toi qui m'a débaptisé de longues heures durant hier." Oui, bon. La laisser choisir mon nom était dans les faits plutôt une mauvaise idée. J'étais convaincu de me retrouver affublé d'un sobriquet stupide. Toutefois, j'étais tout de même curieux de l'entendre.

Or, l'amusement et le plaisir étaient terminés. De fait, la déliquescence de notre réalité de miséreux revint nous happer avec fracas avec l'arrivée de deux mutins à la mine patibulaire. Loin d'être avenants, les mécréants n'avaient d’yeux que pour le corps d'Isaure. De fait n'ayant rien à se faire détrousser, les truands désiraient mettre la main sur la seule chose qui semblait avoir un peu de valeur sur ce littoral. La bannie elle-même. Flairant le danger, je restais tout d'abord silencieux regardant l'un et l'autre de ces énergumènes approcher. Ne reculant pas, désirant ne pas montrer mon inquiétude ainsi qu'à quel point j'étais démuni, je restais le plus droit et fier. Certes, je n'étais pas un couard. Or, je n'étais pas non plus idiot. Je n'avais pas d'arme et je ne pouvais pas me battre bien longtemps avant de faire une crise. Je ne savais pas quoi faire, ne voyant aucune solution. Mes sens voltigeaient d'alerte en alarme, alors que l'indolence des pitreries avait laissé place à l'urgence de la situation. Je sentais que nous perdions le contrôle de l'échange, alors que les forbans proposaient des contreparties pour profiter des charmes de ma sauveuse. C'était inconcevable, je ne l'accepterais pas. Mais avais-je réellement le choix ? Bon sang ! Que pouvais-je ? Ballotté par mon désir d'agir et mon incapacité à trouver une solution, je tentais d'être de marbre pour ne pas dévoiler mes velléités de violence qui m'habitait, alors qu'une hargne que je ne connaissais pas bouillonnait en moi.

-"Alors, gamin ?" proféra le gros et gras personnage.

-"C't'un bon marché, hein Phil ?" Argua celui qui semblait avoir été le genre de gamin qui arrachait les ailes aux mouches. À voir son air revêche et revanchard, ainsi que son regard idiot, il semblait être le genre d'incapable à avoir continué cette habitude malsaine. Quoique les mouches avaient peut-être été remplacées par des animaux, ou pires; des femmes...

Le temps me manquait. Je devais me hâter et me décider. Lorsqu'Isaure mentionna dans un murmure que ce n'était pas très grave, je me rebella intérieurement. Me détournant de mon inspection des quidams en face de nous pour, je me mis à la regarder. Était-elle sérieuse ?! Voyant son regard, je compris. Bien qu'elle restait muette, ses yeux criaient le dégoût qui l'habitait de simplement penser à cette éventualité. Je connaissais ce regard. Je le croisais parfois lorsque je contemplais mon propre reflet. Soupirant et secouant la tête, je pris ma décision. Tout à l'heure, j'avais dit que je choisirais, que je ne serais plus simple spectateur. Il était venu le temps de décider et d'agir.

-" Ça va, ça va." Dis-je en levant les mains en abandonnant. "Je ne peux pas dire que je sois bien heureux de partager, mais pour du de la nourriture... difficile de dire non !" Proférais-je. Et aussi, difficile de refuser, alors que nous étions sous le coup de leur menace muette, il va s'en dire.

-"T'es raisonnable, p'tit. C'est bien !"

Souriant à la mesure de ses paroles, je me positionnais derrière Isaure, reprenant la parole. "Il va falloir qu'on se mette d'accord par contre." L'attrapant par la taille, je plaçais ma tête au niveau de son épaule, proche de son oreille. "C'est qu'elle est affreusement belle, hein ?" Humant son odeur, je décochai un clin d'œil aux pirates. "Vous savez, c'est qu'elle sent bon. Elle est propre celle-là." En proférant ces mots, mes mains commencèrent à remonter le long de son corps, remontant un peu sa chemise. "En plus, elle a la peau douce." L'une de mes mains partit dans son dos et l'autre s'échoua sur sa poitrine. "Et puis, je sais que vous avez déjà perçu ses formes. Sa croupe est tout aussi charmante." Dis-je avec lubricité, comme si mes doigts qui se trouvaient dans son dos descendaient pour venir caresser son fessier. Or, ces derniers se glissèrent plutôt en dessous de ses vêtements pour récupérer la dague qui était dans son dos.

J'avais choisi. Je n'abandonnerais pas une énième personne. Je ne ferais pas d'Isaure une victime. Positionnant la dague le long de mon avant-bras pour ne pas qu'il puisse l'apercevoir, je frappai le derrière de ma sauveuse pour attirer leur regard ailleurs. J'avais vu à quel point il la regardait de façon lubrique. Ainsi, j'en avais joué avec mes gestes et mes mots pour pouvoir récupérer l'arme sans qu'ils ne le voient, trop concentré à m'écouter et à regarder mes mains se mouvoir le long du corps de celle qui était devenue, dans leur esprit, une monnaie d'échange. " J'vous laisse vous amuser avec elle, mais je veux des fringues et votre vin. C'est rare de nos jours du bon vin."

-"Rare comme une belle catin !"
-"On est donc tous chanceux et gagnant aujourd'hui !" Proférais-je en riant. "Moi j'ai du vin, et vous, une gueuse à trousser. C'est donc un marché conclu ?" Dis-je en crachant dans ma main et en la tendant pour qu'il la serre, espérant le voir sceller un accord qui lui coûterait plus cher qu'il ne pensait.

Or, bien que gros et gras, le salopard était un peu plus vif d'esprit que son compère. Je vis une lueur de doute et d'indécision marquer son regard. Avais-je fait une bourde ? Était-ce encore mon élocution trop soignée qui créait cette méfiance chez lui ? Je ne savais pas, mais je me doutais qu'à ne rien faire, je passerais à côté de la petite fenêtre d'opportunité que j'avais crée. Je devais me lancer et m'élancer. Qu'importe les risques. Poussant Isaure, passant devant elle, je me jetais vers celui qui se faisait appeler Jean, ne cachant plus ma lame. Je savais me battre. Enfin, je connaissais les bases. J'avais ardemment voulu devenir chevalier avant que ma condition ne me restreigne à n'être bon qu'à faire qu'un mariage d'intérêt. Je pouvais en finir en un coup. Enfin, je le pensais...

Le temps sembla se figer un instant. Je voyais sa face porcine se convulser sous la stupeur, puis la peur. Je vis une mouche se promener sur son front dégarni, comme si elle était en territoire conquis. Je sentis les relents de sa sueur, percevant sa transpiration abondante qui marquait sa chemise. Je perçus sa main se dirigeant vers la lame qu'il avait à sa ceinture. Puis, le temps accéléra. De ma main libre, je venais rejoindre ses doigts sur le pommeau de la garde de son arme, écrasant ses derniers et l'empêchant de dégainer. Passant dans son dos, j'appliquais l'arme d'Isaure sur sa gorge. "On ne bouge plus, sale porc !" Hurlais-je comme un possédé, le cœur battant à mes tempes. Ne sachant pas si c'était l'adrénaline qui affluait dans mon corps, me rendant tremblant, ou une crise à venir, je me dépêchais. "Lâche ton arme. Toi aussi !" Criais-je en direction de celui qui semblait plus fort, mais plus que débile. Lorsque les doigts de celui que je tenais sous la menace de mon acier relâchèrent le manche de sa dague, je la dégainais et la lançais à ma partenaire. "Isaure !" L'interpellais-je. Voilà, nous étions tous deux armés et eux avaient un homme hors d'état de nuire.

-"Ne fais pas de connerie, sinon je m'occupe de ton copain. Compris, Phil ?" Crachais-je avec animosité. "Allez, dis-lui, Jean. Dis-lui !"

Le principal intéressé, craignant pour sa vie et prêt à faire tout ce que je disais, hocha la tête à plusieurs reprises avant de déglutir. "Ph...Phil. Bou...bou....bouge pas !"

-"Maintenant, tu vas être sage et tu vas déposer ton arme au sol et l'envoyer vers nous. Allez !" Je vis l'hésitation dans son regard, sachant pertinemment que la violence pouvait tout de même exploser chez celui qui semblait être prompt à s'emporter. Son comparse semblait penser la même chose. "Fais pas l'fou, Phil !" Je ne sais guère trop si c'était à cause des supplications de son compagnon ou de ma menace, mais le dernier mutin grogna avant d'enlever sa dague de sa ceinture et de la faire glisser vers nous.

-"Bien. Maintenant, tourne-toi et mets-toi à genoux. Les mains sur la tête !" Me lançant un regard assassin il hésita avant d'obtempérer et de se retrouver non plus devant nous, mais face à l'entrée de la grotte. Fermant les yeux un bref instant, je les ouvris. Les émotions déchirées par la nervosité et la pression, j'envoyais valser le visage de Jean contre la pierre. Entendant son nez se briser, avant de le laisser tomber au sol. Criant et attrapant sa cavité nasale déchirée par la paroi du récif, je lui ordonnai de faire comme son compère d'infortune. "On ne bouge pas !" Sans les lâcher du regard, je reculais pour m'approcher d'Isaure. "Tu étais sérieuse ?!" J'étais en colère. La violence de ce que j'avais fait m'électrisait et me faisait en quelque sorte perdre une part de mon contrôle habituel. "Ce n'est pas si grave ? Tu acceptais ça ?!" Tentant d'en formuler plus, tandis que ma bouche s'ouvrait sans pour autant laisser sortir le moindre son, je grognais avant de lâcher acrimonieusement; "Tu fais chier, Isaure !" Tremblant, en nage comme en rage, je soufflais pour me rasséréner. Nous avions évité le pire.

-"Soyez sympa, on n’était pas violent !" Je riais, amer. Si nous avions refusé, ils le seraient devenus. "Je ne veux pas t'entendre !"

Soufflant, retrouvant une certaine forme de maîtrise sur mes états d'âme, je glissais un regard vers Isaure. "Je suis désolé d'avoir..." d'avoir laissé mes mains vagabonder, palper et caresser ce qu'elles n'auraient pas du. "Enfin. D'avoir joué leur jeu." Préférais-je formuler. Puis, plus blême que d'habitude tandis que l'adrénaline m'abandonnait, je laissais la suite des choses entre les mains de ma partenaire. "Que fait-on d'eux ?" Je ne savais guère comment agir. Avaient-ils des complices non loin ? Devions-nous les attacher et ne les libérer que le lendemain après notre départ ? Voudrait-elle les tu...tuer ? Je ne pouvais le dire, mais je savais une chose; nous l'avions échappé belle...

Et nous avions une grotte remplie de nourriture qui nous attendait. Du moins, si les mécréants n'avaient pas menti pour attraper Isaure...
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Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyMar 15 Sep 2020 - 21:48


- « Ce n’était pas des moqueries » rétorquais-je presque au tac au tac un brin amusé.

Mon regard n’avait pas pu s’empêcher de longer sa silhouette, de l’observer remettre ses vêtements. J’avais bien vu l’empouprement de ses joues en réalisant sa nudité, j’avais bien compris qu’il n’avait apprécié mon amusement. Mon sourire m’avait échappée lorsqu’il s’était lancé dans une imitation de ma personne ou encore quand il avait prétendu ne jamais plus jamais vouloir être nu en ma compagnie. J’avais senti mon visage se parer d’un voile de bougonnerie et même mes joues se gonfler alors qu’il récupérait –bien trop vite à mon goût – ses vêtements. Un instant, cette prise de confiance m’offrit la sensation d’avoir fait tomber mes barrières et ça me révoltait. Je me l’étais interdit. Plus jamais. Comment pouvais-je être aussi… J’avais fini par avancer, longer la mer, savourant l’odeur de cette dernière, le bruit du sable sous mes bottes. Prise dans cette étrange dynamique, qui contrastait particulièrement avec notre fuite précédente. J’aurais aimé voir un Alphonse plus joueur, plus déterminé, plus vivant peut-être. Je l’avais sentie se libérer durant notre conversation, ou plutôt ses révélations. L’ancien noble était intrigant à sa manière, il avait beau être maladroit dans sa survie, dans sa manière de parler… Il était sincère dans sa démarche. C’est pour cette raison qu’on devait rentrer au village, qu’il retrouve son indépendance et moi la mienne. Je ramassais déjà des coquillages, vides, que je rejetais dans l’eau avant de m’immobiliser pour lui lancer un regard.

- « Oui, c’est ça » fis-je en l’avisant du coin de l’œil, retenant un sourire de m’échapper encore. Il faisait vraiment VRAIMENT chier. « Et je sais… Que moi aussi. Mais tu m’expliqueras pourquoi, mh. » rétorquais-je lorsqu’il m’avait retourné le ‘compliment’

Alphonse allait néanmoins de surprise en surprise, partant à la recherche de coquillages, de crustacés pouvant nous satisfaire et remplir notre ventre. Il soulevait fièrement un je ne sais quoi qu’il avait trouvé dans le sable, son premier et rien ne semblait pouvoir lui retirer cette satisfaction. Hormis peut-être, ma chemise humide qui contenait quelques algues et autres trouvailles. Victorieuse, je n’étais cependant pas capable de lui donner le bon chiffre et cela ne me dérangeait plus. Le feu, la recherche des branches, ça serait pour lui, n’était-ce pas parfait ? Bougon, il me semblait découvrir un Alphonse qui s’était pris au jeu, prétendant que les algues n’avaient pas été évoqué. Peut-être. De même pour l’oursin que j’avais été si fière de lui faire goûter. Étais-je naïve de croire que je lui permettais de découvrir une nouvelle saveur, sans doute. Un véritable noble ne se serait-il pas offusqué, ou n’aurait-il pas prétendu en avoir déjà mangé si cela avait déjà été le cas ?

Puis je m’étais aventurée sur un terrain glissant et cette fois, mon apprenti survivant me démontra être tout à fait en mesure de mentir. Ce n’était rien ? Ce n’était rien de savoir sa famille avoir été assassiné par un Duc qui s’était désormais auto proclamée Roi ? Cela avait été terriblement douloureux et je commençais à croire que c’est bien pour ça qu’il avait tenté de le tuer. Quelque chose clochait cependant… Alphonse, je ne l’avais pas vu se battre, mais il ne semblait pas être… Enfin… Et ses crises, pouvait-il vraiment parvenir à faire une telle chose. Le passé ne nous regarde pas. Voilà, je me suis répété notre règle. Je ne devais pas commencer à m’intéresser davantage à lui.

- « Un homme… m’a dit un jour… Qu’il se nommait Alphonse, alors je trouve ça bien, comme prénom. » Soufflais-je en le détaillant « Alphonse je l’imagine… intendant d’une demeure de la noblesse, perfectionniste, il aime faire tout ce qu’il faut pour satisfaire ses maîtres, il gère même les petites mains avec sévérité… Surtout quand les petites mains chantonnent un peu trop fort sous les fenêtres des maîtres de la demeure et… »

Je me suis renfermée. Bordel, mais à quoi je jouais ?! Mathie riait bien elle, pas moi. Je prenais un risque, je ne voulais pas… J’avais fini par détourner les yeux, préférant me concentrer pleinement sur la recherche de mes coquilles idéalement pleines.

- « Et puis, ils t’ont accusés de vols, tu as dû fuir, la faim… Tu t’es retrouvé embarqué dans un groupe de brigand et te voilà recherché par la milice. »

Sans doute était-ce pour fuir toute forme de conversation que je m’étais rapprochée de notre futur abri, un peu trop rapidement, un peu trop vite, j’en avais oublié la base de la survie. La méfiance. Toujours. Déteignait-il sur moi ? Je commençais à le croire, d’autant plus quand je me retrouvais au centre des observations. J’ignorais les capacités de l’ancien noble, j’ignorais s’il était en mesure de s’occuper d’un homme, peut-être même pas de tuer ? Et puis je redoutais une nouvelle crise. Intérieurement, je tentais de me convaincre, je ne pouvais pas renoncer à autant de nourriture… Peut-être pourrais-je avoir le dessus durant l’instant, peut-être que… Comme si je m’étais habituée à l’incapacité d’Alphonse à gérer une problématique, ou à prendre des décisions, j’essayais de le rassurer, de prétendre que ce n’était pas grave. Je n’en pensais rien, j’étais terrifiée à l’idée de sentir leur main sur mon corps, pourtant je devais me faire une raison, c’était comme ça maintenant. Comme ça que cela devait fonctionner.

Je m’étais enfermée dans un profond silence, cherchant encore et encore et encore à me préparer mentalement. Pouvais-je seulement me préparer à ça. Je n’avais pas mon mot à dire, aucun, c’était à Alphonse d’accepter et il devait le faire. Je regardais tour à tour les deux hommes, je sentais le noble dans mon dos. Et puis la sentence est tombée, j’ai eu l’impression de me faire trahir encore, pourtant c’est ce que je lui avais demandé non ? J’ai senti mon cœur battre plus fort, m’abrutissant au passage, ma tête me faisait mal et mon ventre se tordait si fortement que je me sentais capable de vomir sur place. Il l’avait fait… Comme Lance m’avait vendu, Alphonse… Je me suis sentie soudainement vide, incapable de lutter, de bouger, de me révolter, il n’y avait que le vide, simplement lourdement. Je n’ai pas cherché à le regarder ni à crier. Il avait raison de toute façon, on ne faisait pas le poids, je pouvais bien résister à quelques… J’ai senti ma mâchoire se crisper, se contracter à tel point que je crois que mes dents se sont mises à grincer.

Il était venu se placer dans mon dos, je sentais sa silhouette masculine juste là, puis ses mains sur ma taille, son menton sur mon épaule. Son souffle, je me consumais sur place, luttant contre moi-même pour ne pas réagir, incapable de toute manière de faire quoi que ce soit, comme sous le choc… Il ne pouvait, il… parlait comme si… Que j’étais belle, propre… Je sentais ses doigts passer presque sous ma chemise et remonter, remonter trop haut. Mon souffle avait dû s’arrêter, je ne le percevais plus. Une main s’était retrouvée sur ma poitrine, l’autre dans le bas de mon dos, se glissant sous le tissu, jusqu’à venir récupérer MA dague. Ah par ce que ça ne lui suffisait pas de me refiler au deux porcs, en plus de ça, il me volait ? Je regrettais, je regrettais de m’être excusée pour sa famille, de l’avoir sauvé du convoi, des sectaires, de lui avoir donné MON oursin. Je regrettais tout ça.

Tiens… Tu l’as sauvé et aidé finalement, je croyais que..

J’ai soupiré, bruyamment, comme si mon propre souffle me permettait enfin de réagir, de bouger, de retrouver un semblant de vie. Une gueuse. C’est ce qui m’a achevée, je pense… Une gueuse à trousser. C’était ça que j’étais pour lui ? Putain, mais que j’étais idiote, conne.. Comment pouvais-je me faire toujours avoir… Comment ?! J’étais une marionnette une putain de marionnette. Restons avec la bannie pour survivre, amadouons la bannie pour mieux la niquer… Donnons là au pirate contre du vin… Du putain de vin… Je le détestais et je me détestais d’être tombée dedans, d’avoir sauté les pieds dans la merde. Quelle merde. Le marché était conclu ? Un instant, j’ai hésité à hurler, je crois que j’aurais même pu me réjouir de voir un fangeux.

Il me pousse, j’avance convaincue de savoir ce qui m’attend… Et là… Je ne comprends pas. Je me retrouve immobile dans cette incapacité de bouger alors qu’Alphonse vient de passer devant moi, pour maîtriser le type qui avait peut-être même déjà une main dans son pantalon. Il l’avait maîtrisé et avait glissé une dague… Ma dague sous la gorge de Phil. Je n’avais rien eu le temps de faire, dire ou même penser qu’il s’occupait du second tout en me confiant une nouvelle lame que je rattrapais au vol avant de reculer.

À ce moment-là, je dois bien l’avouer, j’ai jeté un regard en arrière, j’étais prête à fuir, à le laisser là. Il avait voulu, il avait, sa main et… ma dague. Je.. Immobile, j’observais la scène, non pas sans faire un pas en arrière tout en me montrant agressive la main tendue avec la lame, alternant entre Phil, son ami… Et même Alphonse. Je ne comprenais pas ce qu’il venait de se passer, je ne savais plus si il… Merde. Putain. Je laissais mes doigts effleurer ma poitrine, puis mes côtés là où ses doigts à lui s’étaient infiltrés. Je n’en reviens pas, je crois que j’ai dû ouvrir puis fermer les yeux, plusieurs fois, de nombreuses fois. L’un a le nez en sang, il regarde l’intérieur de la grotte, le deuxième attend, grogne, mais se fait remettre à sa place et moi je suis là… Silencieuse, inerte, je ne parviens à sortir de mon état d’incompréhension.

C’est la voix d’Alphonse qui me fait me sortir de mes pensées. Il me dispute ? Il est en colère, je crois, me demande si je suis sérieuse… M’interroge si j’allais vraiment accepter ça alors que c’était lui… Et je faisais chier ?!

- « Moi je fais chier ?! MOI je fais chier, mais tu t’es vu ?! » rétorquais-je en colère « Et toi, toi tu acceptais ça ?! » fis-je en moulinant dans le vent de ma dague « Tu m’as.. ET TU AS… MAIS MERDE ! »

Je l’ai dévisagé, les lèvres pincées, j’aurais voulu lui crier à quel point je le détestais, à quel point il avait été con, à quel point. Putain de bordel de merde. Il riait à la réflexion d’un type dont je ne me souvenais plus même du nom… Puis me regardais en s’excusant… Vraiment ?! Vraiment Alphonse, comme si ça allait suffire, comme si je pouvais lui pard-. . .

- « Elle est en colère ta donzelle la vache, elle est toute rouge ! »
- « TA GUEULE toi ! »

Je lui avais mis un coup de pied dans le dos, l’écrasant face contre le sol, l’autre gémissait encore vis-à-vis de son nez, qu’est-ce que je pouvais en avoir à faire de son nez moi. Qu’est-ce qu’on faisait d’eux ? J’en sais rien. Ils n’existaient pas à ce moment-là, pas le moins du monde, il n’y avait qu’Alphonse et son.. Son idée à la con.

- « Tu fais chier voilà, c’est toi qui fait chier, toi et tes… TES MOTS. Une gueuse ?! Une gueuse, vraiment ?!" soufflais-je en respirant plusieurs fois par le nez pour souffler « J’veux plus te parler ! » rétorquais-je

C’est petit Isaure… Très petit, tu ne peux pas lui en vouloir.. de t'avoir...

- « Je m’en fou que ce soit petit ! » rétorquais-je en avisant Mathie « JE M’EN FOU. »

Je sentais mon cœur tambouriner dans ma poitrine, si fort, tellement fort, et l’autre qui tentait de se mouvoir sous mes pieds si bien que je devais faire preuve de plus de force et de lui ramener ma lame sous le nez. Je sentais mon souffle se saccader, je ne parvenais pas à arrêter de penser à Lance, Gondemar, le comportement… J’étais vraiment trop conne… Détournant les yeux, je finissais par donner un coup sur le corps du premier.

- « Lève-toi...Toi aussi.. » je déglutissais « Retirez vos… vêtements, allez. » devant l’air débile des deux, j’ai cru bon de regarder ma lame et de le secouer encore « Quoi ?! C’pas ça que vous vouliez vous foutre à poil, allez la queue à l’air, on se dépêche, la gueuse n’a pas que ça à faire. »

Je jetais un regard à Alphonse, les yeux sans doute trop sévères. Même face à lui, je n’arrivais pas à redescendre ma lame, enfin pas ma dague.. La mienne était entre les mains… Putain il fait chier. J’observe même pas les deux idiots retirer leur vêtement. Ils ont l’air aussi con l’un que l’autre. Ils regardent Alphonse, l’un après l’autre, comme si il allait pouvoir les sauver. Y a rien à sauver putain.

- « Donne-moi ta main. »
- « Quoi ?! »
- « Donne-moi ta main. » répétais-je en attrapant celle qu'il tendait enfin.

Je venais l’entailler, sans trop de profondeur, suffisamment pour que ça saigne et que cela ne s’arrête pas. Je faisais de la même au deuxième.

- « Maintenant vous courrez… Vous, vous barrez dans la forêt, j’veux plus vous voir… »
- « Mais t’es dingue, elle est dingue »
- « Ferme là et va, casse-toi, sinon j’te saigne comme le porc que tu es. »

Il y a eu un moment d’hésitation, mais je devais avoir l’air suffisamment folle pour que le plus costaud des deux ne teste pas davantage la possibilité que je mente ou non. Ils ont regardé Alphonse, ont craché à nos pieds avant de se mettre à courir. Sans arme, sans vêtement, avec l’odeur du sang… Ils avaient peu de chance de survie et surtout beaucoup moins de chance d’oser revenir vers nous durant la nuit. Nous, comme si j’allais rester là. J’ai dévisagé Alphonse, je suis restée sans réaction, là, juste là, face à lui, le moment me semblait avoir duré une éternité. Et puis, je ne sais pas trop ce qui m’a prise, j’ai retiré mes bottes pour lui balancer dessus, j’ai lâché la lame dans le sable et je lui ai jeté mes deux bottes aussi fort que possible, comme ça PAF.

- « Coquebert! Grippeminaud ! Boursemolle ! Chiabrena …. Gourgandin…. Houlier…. »plus j’avancé dans les insultes, plus je m’approchais, plus je m’essoufflais et plus mon visage devait rougir encore et encore.

Je me suis même vue un instant sur le sol, tentant de lui balancer du sable avant de le reprendre dans la tête. Idiot… Je restais là, assise sur le sol, sans pouvoir me détacher de ses mains sur mon corps, sans pouvoir me détacher de ses mots, sans parvenir à percevoir autre chose, sans…

- « Idiot… » soufflais-je en avisant le sol et laissant mes mains s’enfoncer dans le sable « Ils auraient pu te tuer et tu aurais pu faire une crise ET merde a quoi est-ce que tu as pensé ?! Ça aurait été tellement plus simple de … de… de… DE… »

J’ai fait silence. Je soupirais, je respirais fort et… Je n’arrivais pas à me pardonner de lui en vouloir, pour… Il avait… Merde. Il faisait vraiment chier.

- « Merci. »

J’ai relevé les yeux vers lui. Sans nécessairement sourire, sans nécessairement avoir envie de bouger, je me laissais tomber sur le dos, observant le ciel, fermant un instant les yeux, laissant mes doigts rouler sur mon ventre et bouger au rythme de ma respiration.

- « Tu aurais dû me dire que tu savais te battre » marmonnais-je en détournant les yeux, boudeuse plus que jamais. Mais pas que seulement vis-à-vis de lui, mais également de Mathie.

Je l'aime bien moi, Alphonse...

- « Moi aussi... C'est bien ça le problème » je l'ai murmuré en fermant les yeux, je sentais cette boule dans ma gorge « J'ai cru que tu allais... Que tu allais... Je.. Tu aurais dû... Mais... Tu n'écoutes vraiment rien... Je pensais vraiment que tu allais... J'avais oublié à quel point les nobles savaient manipuler. » avait-il hésité, avait-il changé d'avis je n'en savais rien... « J'veux bien essayer... de te faire con-con-confiance»

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Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyMer 16 Sep 2020 - 0:58
Et voilà, nous avions gagné. Nos opposants étaient de dos à nous, mains sur la tête et prostré sur le sol. L'un ployait sous la douleur de son nez cassé et l'autre sous la menace de nos armes. Ils devaient se sentir complètement idiots d'avoir perdu l'ascendant sur l'étrange duo que nous formions. Après tout, dans leur esprit aussi insipide que stupide, nous ne représentions aucun danger. Une femme tout juste bonne à être une monnaie d'échange pour assouvir leur lubricité et un homme désarmé qui semblait inapte à entreprendre la moindre action violente. Qu'auraient-ils pu leur arriver, eux qui avaient l'avantage de leur force et de leurs lames ? Raisonnablement rien, non ? Du moins, s'ils ne nous avaient pas sous-estimés.

Dans notre victoire, l'effet de surprise avait été un élément prédominant. Logiquement, cela devait venir du fait qu'aucun survivant ne refuserait ce genre d'échange. Après tout, même Isaure l'avait accepté du bout des lèvres, comprenant que l'occasion était trop belle pour être écarté. Or, je n'étais pas comme tout le monde. Je n'étais pas un membre de cette masse de misérable miséreux prêt à vendre leur partenaire pour un quignon de pain rassis. Même pour une bouteille de vin, je ne pouvais l'accepter. Peut-être que cet état de fait changerait avec le temps, alors que je deviendrais taciturne et morose ? Peut-être que je m'habituerais tellement à l'horreur de notre vie de paria que je serais prêt à vendre tout et n'importe quoi pour m'assurer un confort passager et ô combien futile ? Peut-être. Mais je n'en étais pas encore rendu à cette déchéance des plus extrême. Je n'étais pas encore prêt à embrasser cette vile bassesse.

Et pour tout vous dire, j'espérais ne jamais en arriver là.

Dès lors, ma décision fut prise. J'avais décidé de jouer le tout pour le tout et de miser ce que j'avais de plus cher en ce bas monde; ma vie. Certes, cela peut vous paraître bien peu. Or, n'ayant plus rien, mon existence était la dernière chose que je possédais encore, et j'étais prêt à en disposer pour tenter de secourir Isaure. Ainsi, c'est ma vie que je jouais. En quelque sorte, tel un joueur compulsif, je la déposais sur la table, au milieu des trèfles et des piques. Ma chance de succès était dérisoire. Infime, même. Pourtant, je misais tout ce qu'il me restait, prêt à triompher dans la victoire ou à périr dans la défaite. Bref, je pariais ma vie sur un coup de dés, tandis que tout reposait sur le hasard et sur la chance. Aviez-vous déjà vu quelque chose de plus stupide ? Moi non. Pourtant, je ne le regrettais aucunement.

Pourquoi avais-je pris ce risque ? Je ne sais pas. Avais-je réellement besoin d'une raison ? Avais-je réellement besoin de prétendre que j'agissais parce que je le lui devais, elle qui m'avait sauvé ? Devais-je réellement définir une cause expliquant pourquoi je ne voulais pas la voir meurtrie par la truculence et la malveillance de ces salopards ? Je ne pense pas. Par ailleurs, je détestais les mots d'Isaure. Ceux qui avaient véhiculé l'idée que tout était une question d'échange équivalent et d'intérêts. Je ne pouvais m'y résoudre. Étais-je idiot de les refuser ? Peut-être. Or, c'était ce qui m'avait embrasé et forcé à agir. Peut-être qu'inconsciemment, je venais de décider que je vivrais selon mes propres conditions ? Qu'Isaure m'apprendrait à survivre, mais que je déciderais moi-même comment vivre, qui sait ?

Ainsi donc, le pari fut victorieux. J'étais encore vivant, sans une égratignure et ma partenaire avait été préservé de ces mécréants qui lui auraient fait vivre mille et un sévices. Soulagé et heureux, je laissais pourtant exploser une forme de colère qui prenait racine dans mon inquiétude et mes peurs de ce qui avait failli arriver. Au milieu de l'échauffourée qui avait été brève et à mes yeux intenses, je n'avais pas remarqué l'indécision et les doutes s'emparer d'Isaure à mon égard. Quoi de plus normal après tout, tandis que j'étais occupé à essayer de nous sauver ? Toujours est-il qu'en l'admonestant et en la sermonnant, je la fis réagir... et sortir de ses gonds. "En plus de faire des choix stupides, tu serais sourde à répéter comme ça ?!" Puis en grognant; "Oui, tu fais chier !" Répétais-je.

Soufflé par l'incompréhension, n'arrivant pas à concevoir qu'elle pensait que j'avais "accepté" le marché avant de changer d'idée à la dernière minute, je fronçais les sourcils en secouant la tête. Toujours impacté par des sentiments ambivalents, je ne pus m'empêcher de renifler avec amertume. "Tu peux bien dire que je suis trop compliqué à comprendre quand je parle..." commençais-je bougon, un peu plus bas. Puis, plus fort en la pointant du menton; "...mais toi ! Tu pourrais au moins faire l'effort de terminer tes phrases pour que j'ai au moins une infime chance de déchiffrer ce que tu me dis !" Oui, bon. J'avais peut-être été un peu agressif pour le coup. Mais il fallait me comprendre ! Ses "tu as" et ses "tu m'as" ne m'aidaient aucunement à définir pourquoi elle était autant en colère. Sans parler de ses insultes et quolibets qui pleuvaient sans discontinuer sur ma personne.

- « Elle est en colère ta donzelle la vache, elle est toute rouge ! »
- « TA GUEULE toi ! »
-"Ta Gueule !" formulais-je en même temps qu'Isaure. Puis la fusillant du regard, comme si elle avait volé ma réplique, je grognais et détournais les yeux. Comment pouvait-on être aussi synchrone et ne pas réussir à se comprendre un moindrement ? Ça n'avait pas le moindre sens !

La voyant passer ses nerfs sur le mécréant qui avait en quelque sorte "dérangé" notre règlement de compte, je restais statique sans chercher à l'arrêter. Je n'avais aucune compassion pour ces scélérats. Certes, je ne voulais pas me transformer -ou transformer ma partenaire- en assassin. Toutefois, leur sort ne m'importait guère. Si cela permettait à la bannie de s'émanciper des tourments qu'ils avaient fait naître dans sa conscience, je n'étais pas contre cette violence dite gratuite. Lorsqu'Isaure revint à la charge contre ma personne, je ne pus m'empêcher de rétorquer sur le même ton; " C'est toi qui fais chier !" Certes, je le reconnais, cette répartie n'était pas ma meilleure. Ni ma moins pire pour tout vous dire. Or, au milieu de l'action, je n'avais plus l'esprit très clair et réagissait d'instinct plutôt que de réflexion. "C'est parce que je t'ai traité de gueuse ? Bordel, Isaure ta la mémoire courte ! J'ai aussi dit que tu était belle !" Oui bon, ce n'était clairement pas mon meilleur argument là non plus. Fermant la bouche avant de continuer à proférer des insanités, je me drapais dans ce qui me restait de ma fierté, elle qui était battue en brèche par l'aigreur de ma sauveuse.

Bien que complètement idiot, Jean crut percevoir une échappatoire à sa condition de prisonnier. Hochant la tête à plusieurs reprises, tentant de retourner sa trogne tout en restant prostré au sol, alors que les coups de pieds d'Isaure l'avaient meurtri, il tenta de... "m'épauler" comme il pouvait. "Il a aussi dit que vous sentiez bon !" Tentant de voir s'il réussissait à acheter ma sympathie en prenant ma défense, il ne récolta qu'un regard noir de ma part. Ce qui le cloua au silence. C'était mieux pour lui et pour moi.

Ne comprenant pas à qui elle s'adressait en disant que c'était petit, encore une fois perdu dans l'incongru de son discours, je soupirais en secouant la tête. Comment en était-on arrivé là, bon sang ? D'accord, je n'avais pas agi pour être perçu en héros, mais quand même ! Un peu de reconnaissance l'étoufferait un moindrement ? N'y avait-il de la place dans sa bouche que pour des insultes et injures ? Ne pourrait-elle pas dire "merci" ? Finissant par respecter son choix de ne plus me parler, m'enfermant dans le silence en croisant les bras, je la regardais faire, boudeur. Rapidement, je compris son idée. Étais-je contre ? Pas vraiment. Au moins avaient-ils une chance -infime- de s'en sortir, eux... Voyant le regard sévère d'Isaure, puis sa lame encore dressée qui semblait me menacer à mon tour, je me demandais si les ordres qu'elle donnait à Phil et son comparse m'étaient aussi adressés. Voulait-elle que je me dénude et que je parte à mon tour ? Malheureusement pour elle, je ne le ferais pas ! Et puis, j'avais promis de ne plus me retrouver dénudé devant son regard acéré et ses moqueries. Dès lors, elle devrait se satisfaire du châtiment sur les pirates plutôt que sur moi. Voilà !

-"Arrêtez de me regarder comme ça. Je peux rien pour vous, elle ne veut plus me parler." Oui, c'était un peu idiot de présenter cela ainsi. Les mécréants qui jouaient leur vie à cet instant ne comprenaient aucunement la rixe qui s'était créée entre Isaure et moi. Pour tout vous dire, je nageais moi aussi dans l'incompréhension la plus totale, alors...

-",Mais vous êtes sérieux ?!" Mon silence devait sonner pour un oui chez celui qui n'arrivait pas à s'attacher à une quelconque forme de sympathie de l'un ou de l'autre, tandis que nous étions trop occupé à nous insulter à tort et à travers.

- « Maintenant vous courrez… Vous, vous barrez dans la forêt, j’veux plus vous voir… »
- « Mais t’es dingue, elle est dingue »
-"Eh, oh. Je te permets pas de me traiter de dingue ! Par contre, je ne peux pas te dire que je ne suis pas d'accord avec toi pour elle..."
- « Ferme là et va, casse-toi, sinon j’te saigne comme le porc que tu es. » Je n'étais pas certain que son "ferme là" était adressé à Phil plutôt qu'à moi, mais qu'importe...

C'est ainsi que les pirates s'éclipser pour de bon. Certes, j'étais heureux de les voir disparaître, mais je réalisais que l'affrontement contre Isaure n'était pas encore terminé. Même, celui-ci risquait d'être plus difficile que celui qui m'avait opposé au gros et gras mutin. La dévisageant tout autant qu'elle le faisait, attendant la suite des choses, je fus pris de court. "Qu'est-ce que tu fais ?" Pourquoi enlevait-elle ses bottes ? Puis, un éclair de sagacité traversa ma conscience. Elle ne voulait quand même pas me les lancer ?! Levant une main, comme pour la mettre en garde, je repris la parole; "Isaure..." Trop tard. Les projectiles étaient partis. Attrapant la première, puis tentant d'esquiver la seconde, je la reçus en plein visage. Je grognai. Mon amour propre était plus blessé que mon faciès. "Tu es sérieuse ?" Il semblerait que oui, maintenant qu'elle me noyait littéralement sous un flot d'insultes toute plus coloré les unes que les autres. Se faisant, la bannie avançait pas après pas, tandis que je reculais et cédais du terrain face à son avancé aussi vilipendant qu'inexorable. Tels deux danseurs, nous nous faisions face, orchestrant une chorégraphie avec un synchronisme qui semblait venir d'une habitude acquise après des mois de répétitions. Or, il n'en était rien. N'arrivant pas a en placer une face aux torrents de propos injurieux qu'elle déclamait avec un débit bien trop rapide, je décidais de lâcher sa botte, celle que je tenais toujours dans mes mains, dans une marre d'eau qui s'était formée entre les roches. Mon méfait accompli, je dressais un sourire satisfait, croyant avoir remporté quelques points, avant de voir que cela n'avait rien changé à son monologue offensant.

Voyant la fin de la tempête se profiler à l'horizon, tandis qu'elle s'essoufflait et que son visage virait au cramoisi, je ne pus m'enfuir plus longtemps, rattrapé et bloqué par la paroi rocheuse du littoral. Enfermé entre la pierre et les mots irrévérencieux d'Isaure, je du faire face et l'écouter jusqu'à ce qu'elle cesse. Or, ce n'était pas la finalité, tandis qu'elle récupérait du sable pour me le jeter à la figure. Comme elle l'avait fait avec ses bottes. Toutefois, cet élan fut un retentissant échec, alors que la matière en question voltigeait avec difficulté et qu'une partie de cette dernière retomba sur son visage. Je ne pus m'empêcher de pouffer, mi-moqueur et mi-amusé. J'étais à la fois déchiré entre les derniers relents de colère qui s'agrippait encore à moi et la dérision de notre prise de bec qui n'avait aucun sens.

- « Idiot… »

-"...Peut-être...". C'était le premier pas que je faisais vers elle. Au lieu de dresser les mots pour me protéger des siens, je calmais le jeu et acceptait une part d'erreur dans ce que nous venions de vivre. J'avais déjà compris qu'elle n'avait guère apprécié ma façon de faire. Mais ne disait-on pas; "aux grands maux les grands moyens" ? N'était-ce pas le résultat qui comptait ? Je ne savais pas. Je ne savais plus. Au final, à l'heure actuelle, je ne voulais qu'enterrer la hache de guerre entre moi et ma sauveuse. Enfin, je compris avec son début d'explication. Trouvant assise sur une pierre, la regardant en déposant mon menton dans ma paume, je soupirais et haussais les épaules. C'était pour ça ? Pour ça que j'avais eu le droit à son ire ? Parce que j'avais pris des risques ? Était-ce bien ce que je comprenais ?

-"C'était mon choix." Ça avait le mérite d'être sensé et honnête. " J'étais prêt à prendre le risque, oui." Je n'étais pas idiot et je l'avais accepté de bon cœur. Me relevant et époussetant une poussière invisible sur mes pantalons, je poursuivis. " Si je n'avais rien fait, tu en aurais souffert et je n'acceptais pas ça." Enfin, réalisant que mon discours était beaucoup trop mièvre, je reniflais, détournant le regard vers la grotte. "J'ai fait ça pour moi, évidemment ! Je ne suis pas d'accord avec ton idée que tout s'échange, que tous les choix amènent un sacrifice. Je...je voilà." Oui, bon. Le contre argument était plus que facile. Après tout, pour agir, j'avais choisi de mettre en danger ma vie. Puis, plus doucement, comme pour entériner la paix; "Soyons heureux que je ne sois pas mort et que rien ne te soit arrivé, plutôt que de se déchirer sur ce que j'aurais du ou ne pas du faire, Isaure." C'était une façon de dire que ce qui était fait était fait. Devant ses remerciements, je levais une main pour les repousser d'un geste. "Ce n'est rien." Elle avait déjà fait ce genre de chose pour moi, me sauvant la vie plus que de raison.

Retrouvant assis un peu plus proche d'elle, je souris en secouant la tête. "Je ne te le cachais pas, Isaure." Disais-je tout d'abord à propos du fait que je savais me battre. "Il fallait simplement me le demander. Je ne t'empêche pas de t'intéresser à moi, tu sais ?" puis, après quelques secondes de silence; "Enfaîte, je pense que tu te l'empêches toi-même." Oui, ça ressemblait bien à elle. Tout faire pour éviter de tisser des liens et pour s'attacher. L'avais-je bien compris sur ça ? Levant une main pour hypothétiquement la couper je pris les devants; "Avant que tu le dises, je sais. Je fais chier, j'imagine."

Lorsque son discours redevint quelque peu incohérent, je l'écoutais avec la plus grande attention. Plus calme et serein que précédemment, je me doutais que ses doutes et ses indécisions provenaient aussi bien de mes agissements dangereux que de son passé. Logiquement, elle avait dû être trahie à quelques reprises pour se refermer sur elle-même et ne faire confiance à personne. Ainsi, peut-être était-ce la raison pourquoi elle ne comprenait pas mes actes ? Lorsqu'elle dit que les nobles savaient manipuler, je hochais la tête. "Je suis tout à fait d'accord avec toi." Commençais-je tout d'abord, sans pouvoir cacher mon amertume en pensant au plus grand manipulateur de notre époque; le despotique et infâme duc devenu roi. Puis, abandonnant cette rage qui me consumait pour me focaliser sur ma partenaire, je tentais de la dérider. "Par chance, je ne suis pas un mondain tu te souviens ? Je suis Alphonse, l'intendant d'une maison noble qui est un peu trop sévère avec les petites mains, mais qui est particulièrement apprécié par tout le monde et notamment de la gent féminine." Oui, bon. Je remaniais un peu l'histoire fabulée par Isaure. Mais qu'importe, car pour tout vous dire, je préférais cette version. Puis, un peu plus sérieusement pour rebondir sur ses derniers mots, j'enchaînais; "Je ne sais pas ce que tu as vécu et ça ne me regarde pas, Isaure. Mais, je suis dans ton camp, moi." Poursuivis-je en la poussant de mon épaule, comme elle l'avait fait précédemment lorsqu'elle s'était moquée de moi. Relevant la tête vers le ciel, j'attendis un peu avant de vider le fond de ma pensée. " J'ai fait ce que j'avais à faire." Voilà. C'était peut-être un peu faible dit ainsi, mais je ne regrettais aucunement les risques que j'avais pris.

Lorsqu'elle mentionna qu'elle était prête à me faire confiance, je me retournais excessivement rapidement, surpris. Ma bouche ouverte un peu stupidement, interdit et indécis, je n'y croyais pas mes oreilles. Avais-je bien entendu ? Or, au bout de quelque temps, mon silence surpris se transforma en éclat de rire. "Tu m'insultais, là, où tu m'offrais ta confiance ?" Évidemment, je faisais référence au "con-con " qu'elle avait proféré en tentant d'articuler d'une traite le mot confiance. "Désolé..." Disais-je, réellement contrit de m'amuser en cet instant alors que la bannie faisait visiblement un effort. "Je suis plus qu'heureux de l'entendre et je ferais tout pour que tu ne le regrettes pas !" Me relevant, lui offrant d'un côté ma main et de l'autre lui rendant sa dague, je lui souris. "On va voir ce qu'ils nous ont laissé ?"

Qu'elle me suive ou non, je m'engouffrais dans la grotte pour voir quel était notre butin. "Crois-tu que nous sommes suffisamment en sécurité pour rester ici, ou devrions-nous chercher une autre grotte pour la nuit ?" J'étais hésitant quant à cela. Oui, bon. Je me doutais qu'ils ne reviendraient potentiellement pas. Mais est-ce que le risque zéro existait ? "C'est un peu moins impressionnant que ce qu'il promettait." Oui, c'était un fait. Les légumes du Labret n'étaient guère frais et le vin n'était dans les faits que deux bouteilles, dont l'une, à moitié consommée. Pire, ce n'était aucunement du "bon" vin. Certes, je ne m'étais pas attendu à un grand cru, mais quand même. En outre, les vêtements dont ils avaient parlé étaient à peine plus propres que les nôtres. Bref, la récolte me semblait maigre. Mais avais-je manqué un élément ? C'était tout à fait possible, n'ayant que survolé du regard les trouvailles que les pirates avaient faites ou avaient escamotées.

Pour autant, bien que ce n'était pas ce qu'ils nous avaient promis, mon regard pétillait de joie. Oui, c'était médiocre. Mais à force de ne rien a voir, pour moi, cela était véritablement une salle au trésor. Me dirigeant vers les légumes, en attrapant cinq, je me retournais vers la bannie, tout sourire. "Je crois que j'ai gagné ! Ici, j'ai cinq légumes." Disais-je en les lui montrant un à un. "Alors que toi..." Poursuivis-je en plissant les yeux. "Il me semble que tu n'as rien, non ?" C'était un peu fourbe, elle qui avait dû lâcher ses algues durant la rixe. "Donc, je vais te regarder faire le feu, ramasser les branches et me faire un massage de pieds." Avais-je ajouté un élément à la liste des conséquences ? Peut-être bien. Pensais-je avoir gain de cause ? Difficilement.

Relâchant la nourriture, j'attrapais une bouteille de vin. Ma joie de trouver pareilles ressources en ces temps de misère m'animaient au point d'être rendus à enchaîner des plaisanteries par moi-même plutôt que de ne répondre à ce genre de facétie. Chose plutôt rare, je le reconnais. Prenant une rasade du liquide, m'étouffant à moitié sur son passage à cause du goût vinaigré de la liqueur carmine, je m'essuyais la bouche avant de recommencer ma manœuvre avec un peu plus de réussite cette fois-ci. "Ça faisait longtemps." Formulais-je en tendant le contenant et son contenu vers ma sauveuse. Déjà, je pouvais sentir que le vin m'impactait. N'étant plus habitué à en consommer, étant en manque de sommeil et ayant l'estomac plus que vide, l'alcool m'alanguissait.

Attrapant une cape qui faisait partie de l'amoncellement de vêtements, je lançais un coup d'œil à ma partenaire. "Tu peux garder ma cape, je te la donne." Oui, ce qui lui avait servi de pansement et de couverture hier au soir était toujours avec elle. Pour autant, j'avais continué de l'estimer comme mienne jusqu'alors. Fronçant les sourcils, la pointant du menton, j'enchaînai; "D'ailleurs, comment te sens-tu ? Ta blessure te fait-elle mal ?" Avec l'ensemble des péripéties de la journée, j'en étais venu à oublier son état. Décidément, Isaure avait une sacrée force de caractère pour se mouvoir ainsi et lutter de la sorte contre les défis et malheurs que nous avions rencontrés sans trop broncher... "Veux-tu que je regarde ?" Ce matin, elle avait refusé, prétextant que ce n'était pas nécessaire. Sur le coup, j'étais silencieux, mais j'avais ressenti son amertume et son aversion à mon égard. Serait-ce la même chose ce soir ? Est-ce que les propos qu'elle venait de déclamer, ceux où elle disait essayer de me faire confiance étaient vides de sens ? Je risquais de l'apprendre incessamment sous peu.

Récupérant la bouteille -de grés ou de force, la soulevant hors de son atteinte et de sa petite allonge si nécessaire- je pris une nouvelle gorgée de la mixture couleur rubis. Loin d'être un ivrogne, je ne m'accrochais pas à celle-ci comme à un biberon. Toutefois, j'étais heureux de pouvoir renouer avec ce luxe qui était la consommation d'alcool. " C'est quoi la suite des choses ?" J'étais on ne peut plus sérieux. Secouant la tête, je me corrigeais. "Je ne parle pas simplement de ce soir. Après tout, le plan me semble déjà tout tracé pour les heures à venir." Disais-je en pointant les légumes, les cendres d'un ancien feu et soulevant la bouteille de vin. "Mais demain ?" Me rongeant la lèvre, attendant, je finis par hausser les épaules. "Chaque chose en son temps, j'imagine...". Murmurais-je, aussi bien pour moi que pour elle.. "Allez ! Vu que je suis gentil, je vais t'aider à ramasser le bois pour le feu !" Complétais-je avec bonhomie.

Certes, je ne savais pas de quoi demain serait fait ni ce qui nous attendait. Or, pour le moment, j'étais plus qu'heureux d'avoir terminé cette macabre journée en trouvant cette grotte et en ne perdant pas la rixe contre ses précédents occupants. En outre, les propos d'Isaure sur la confiance m'avaient fait plaisir, bien que je ne me l'avouais aucunement. J'étais seul depuis si longtemps, que sentir faire partie d'un duo me faisait le plus grand bien. Oui, peut-être que demain celui-ci volerait en éclat, tandis que nous ne nous comprenions pas souvent et que nous voguions de problème en problème sur une mer de tourment. Toutefois, pour ce soir, il semblait que c'était une accalmie qui nous attendait. Est-ce que cet apaisement durerait et perdureraient, ou est-ce que la tourmente reviendrait nous happer ? Je ne le savais guère..." Après vous, mademoiselle." Disais-je en effectuant une courbette savamment maîtrisée, malgré l'impact toujours plus fort de l'alcool sur mes sens.
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Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyJeu 17 Sep 2020 - 17:23


Notre ‘ta gueule’ avait raisonné dans une étrange harmonie, harmonie que nous n’avions aucunement dans notre quotidien visiblement. Ma voix c’était élevé, j’avais grondé, grossit les yeux, voir même gonflé les joues en soupirant à de nombreuses reprises. Lui n’en démordait aucunement non plus, comme si –pour une fois- il avait décidé de mener et non de suivre. Au fur et à mesure que je m’emportais dans cette colère que je ne maîtrisais, je retrouvais mon ancienne habitude, gesticulant, utilisant mes mains dans des mouvements qui avaient que pour unique but, d’acter, d’attester mes dires –et sans doute de le provoquer davantage-. Les deux autres n’existaient plus et quand ils avaient le malheur de nous rappeler leurs présences, c’est ensemble que nous recadrions sans même nécessairement sans apercevoir. Comment pouvait-il être aussi stupide ?! Il avait laissé ses mains courir sur ma peau, sans mon accord et qu’espérait-il ? Que je ne dise rien. Il aurait pu mourir et il était là à me dire que MOI je faisais chier. Laissant mes bras se croiser sous ma poitrine, je ne pouvais que tu lui rétorquais comme une enfant que je n’étais plus depuis longtemps que non, c’était lui. Ça ne pouvait être que lui, n’est-ce pas ?!

- « Tu as dit aussi que j’avais une belle croupe. Olalala, mais quel compliment !!! » fulminais-je davantage « Non, mais la prochaine fois, je te complimenterais comme ça aussi, en triturant ta queue, t’verras comme c’n’est PAS agréable du tout ! »

Il y a eu ce silence dans ma tête, comme celui de Mathie qui me dévisageait en se demandant sans doute si c’était vraiment ce que je voulais dire. Sur l’instant pourtant l’exemple me paraissait très parlant, sur le fait que ce n’était pas une fois que c’était fait qu’on pouvait… Mais une fois la phrase sortie de ma bouche, j’avais eu quelques doutes. Le regard des deux autres abrutis n’aidait en rien, alors que l’un et l’autre tentaient de secourir Alphonse – en ayant l’espoir qu’entre hommes il pouvait se comprendre sans doute-, en se prenant tour à tour des regards aussi noir qu’une tempête à venir.

- « MERDE tu fais chier ! VOI-L-A » hurlais-je finalement avant d’abandonner mon intérêt de lui. « Et vous vos gueules ou je coupe tout. »

Je me sentais rouge de colère sans pouvoir me voir, je sentais mon cœur taper dans ma poitrine. Je ne parvenais pas à me résoudre à cesser cette stupide dispute. Pour changer de sujet, revenir au plus tard, je m’occupais des deux êtres dérangeants, ordonnant la mise à nue et la promenade dans la forêt. Sans doute que mon regard et mes mouvements de ma dague appuyés vers Alphonse laissaient entendre que lui aussi devait le faire. Sans doute même que sur l’instant, je le pensais, j’aurais voulu le voir disparaître, déguerpir… Sans doute même imaginais-je qu’il ne valait pas mieux que les deux pervers. Alphonse m’avait tellement… Que j’avais décrété que je ne voulais lui parler, les deux autres tentaient une dernière fois de s’accrocher à l’espoir masculin… Avant d’être remis en touche par l’ex-noble, qui confirmait les dires de dingueries me concernant…

- « Quoi ?! Tu es ridicule mon pauvre ! RIDICULE ! Tu ne disais pas que j’étais dingue tout à l’heure hein ! ABRUTIS » je repartais de plus belle sous le regard incrédule de Mathie qui avisait tour à tour moi, puis Alphonse.

Finalement, nous étions de nouveau seuls. La colère n’était pas descendue d’un cran, pire, je crois que j’aurais pu lui sauter à la gorge pour rouler dans le sable jusqu’à avoir déversé la totalité de mes grognements. Comme si elle avait anticipé, Mathie s’était assise, secouant doucement la tête de droite à gauche alors que je retirais mes bottes. Alphonse me demandait ce que je faisais. Ooooh il n’allait pas tarder à le savoir alors que je venais propulser la première chaussure vers lui, non sans faire entendre ma voix d’une insulte dont je n’étais même pas certaine d’en connaître le sens. La première fut attrapée, mais la deuxième toucha son visage et je ne pus retenir un fier sourire et une étincelle dans le fond de mes yeux. Alors hein, c’est qui la dingue maintenant ?! Est-ce que j’étais sérieuse OUI et lui avait-il était sérieux en me tripotant comme si j’étais sa chose, en envisageant réellement de vendre mon cul, contre du vin, du putain de vin. Mes yeux c’étaient écarquillés alors qu’il menaçait d’inonder mes bottes :

- « Tu es sérieux ?! » fis-je plus outrée que jamais « Alphonse…. » soufflais-je

Je sentais que j’arrivais au bout de mes forces, m’emportant, gesticuler c’était épuisant. J’avais tenté de lui envoyer du sable avant de tousser, emporté par le contre coup. Mathie s’était mise à rire en nous avisant encore, comme si elle était en mesure de voir quelque chose que nous ne voyons pas nous même. Il n’avait rien de drôle. N’ayant plus d’insultes dans mon vocabulaire, j’abandonnais, je me résignais à conclure en le traitant d’idiot, m’attendant sans doute à une poursuite tout aussi étrange que notre dispute. Cependant ce fut tout autre chose qui s’échappa de ses lèvres, un peut-être qui me fit frissonner. Il recommençait. Il recommençait à faire son charmant et j’étais épuisée de lutter. J’avais fini par avancer l’argumentaire de l’inquiétude, sous le regard incrédule de Mathie.

Tu penses vraiment qu’il va te croire.

L’écoutant, elle avait secoué la tête visiblement dépitée… Alphonse avait repris la parole et je l’écoutais sans l’interrompre, le souffle court, le cœur tambourinant à m’en donnant presque la nausée. Je ne comprenais pas ce qu’il disait, je ne pouvais croire qu’il avait fait ce choix pour moi. Mes lèvres s’étaient pincées, jusqu’à ce qu’il ne réajuste.

Ne me dis pas que tu vas le croire…

Puis je compris, je compris que son choix était égoïste et que cela n’avait été qu’une manière de me provoquer. Voilà. Je n’en revenais pas qu’il avait choisi ce moment aussi délicat qu’une confrontation avec deux brigands pour me démontrer qu’il n’était pas en accord avec moi. Mais la survie, c’était ça. Je le dévisageais, immobile, avant de me laisser sur le dos, d’aviser le ciel, dubitative, un peu perdue sans doute. Mon ventre se gonflait et se dégonflait encore dans un rythme irrégulier, alors que je préférais ne pas écouter trop longtemps ni Mathie, ni même Alphonse.

- « Tu aurais pu choisir un autre moment pour me dire que tu n’étais pas d’accord hein… » grognais-je…

Il avait fini par s’installer proche de moi, je ne le regardais pas, mais je l’écoutais. Fixant le ciel qui commençait à s’assombrir. Alphonse avait un don pour me mettre mal à l’aise, pour me faire mal. L’ex-noble avait fini par admettre qu’il ne me cachait rien, que c’était moi qui ne m’intéressais pas. La suite me fit me mordre l’intérieur de la joue, créant une nouvelle fois cette révolte. J’avais ouvert la bouche, mais il m’avait devancée sans que je ne puisse rien y faire.

"Avant que tu le dises, je sais. Je fais chier, j'imagine."
- « Mh, oui c’est ça »

Réduite au silence, je finissais par lui reprocher sa manipulation, m’embrouillant en l’écoutant confirmer, réagir, expliquer. Encore une fois, il me tira un sourire alors qu’il évoquait l’intendant soi-disant en bonne entente avec les dames. J’ai dû me redresser sur les coudes un infime instant pour le dévisager, j’avais hésité à lui rétorquer que cela restait encore prouver, mais j’étais trop contrariée pour le faire. Me laissant de nouveau retomber sur le dos, reprenant mon observation du ciel, je l’écoutais encore, rendant les armes. Mathie était venue s’installer juste à côté de moi, glissant sa main dans la mienne. Qu’attendait-elle et pourquoi tenait-elle tant à ce que je laisse une chance à ce type ? Lâchant un soupir, j’acceptais finalement d’essayer de lui faire confiance, pouvais-je prendre ce risque, est-ce que j’avais encore grand-chose à perdre. Il s’est mis à rire et je me suis encore redressée tout en le dévisageant, la bouche ouverte. Alphonse était… agaçant. Il s’était relevé, s’excusant avant de détailler ce qu’il y avait à l’intérieur. Je ne bougeais toujours pas, fermant les yeux, bêtement. Putain, mais à quoi je jouais.

- « Ici ou ailleurs le risque sera le même » bougonnais-je pour lui répondre en penchant ma tête en arrière pour l’aviser à l’envers à l’intérieur de la grotte. Il était déçu « Tu t’attendais vraiment à quelque chose d’énorme ? On parlait de trousser une gueuse en échange, cela ne vaut pas grand-chose. » fis-je en me redressant, dos à lui.

J’étais venue capture mes jambes de mes bras, laissant mon menton reposer sur le haut de mes genoux. J’étais tiraillée par tout ça, tiraillé par sa personne, je ne sais de me répéter que cela serait plus prudent de le laisser là, de l’abandonner là, pourtant…. Je n’y parvenais pas. Pinçant mes lèvres, je ne savais plus trop, je ne savais plus grand-chose de toute façon. C’est à la fois à contrecœur et à la fois par curiosité que je m’étais redressée. Je m’étais même redressée beaucoup plus vite alors qu’il évoquait que j’avais perdu, qu’il avait cinq légumes.

- « Que…Quoi… » fis-je en glissant mes mains sur mes hanches, perplexe « C’est de la triche… On n’avait pas parlé de légumes »ronchonnais-je « Et puis, je ne sais pas trop ce qui s’est passé, un abruti a mis ses mains sur moi et provoqué la chute de l’ensemble, dingue, non ?! » il me parlait de massage des pieds, des branches, du feu et je roulais des épaules.

Je m’étais approchée de lui, récupérant la bouteille de vin pour en avaler une gorgée avant de grimacer. L’alcool était rare, si bien que je ne tenais pas. Mathie me mettait déjà en garde, pour autant, je n’en avais rien à faire. Si je pouvais être complètement ivre et m’éloigner pour nager, nager, jusqu’à rencontrer Anûr, ça m’arrangeait. Qui sait, peut-être que Alphonse ne serait plus là à mon retour ? Une autre gorgée plus loin, je sens déjà un frisson de chaleur remonter le long de mon dos.

- « Tu veux parler de MA cape n’est-ce pas ? » fis-je en lui offrant un sourire involontaire « Monsieur est trop bon, il m’offre celle qui est foutue, votre gentillesse vous honneur, très cher intendant ! » fis-je en secouant doucement la tête et glissant une main derrière ma nuque « C’est comme ça que vous payez les petites mains que vous gérez a à coup de….cape. »

Rentrant dans la grotte, je ne m’étais pas rendue immédiatement compte de ma manière de faire, si bien que quand ce fut fait je ne pus que lui refiler la bouteille, comme si elle était devenue soudainement dangereuse. Ma tête me tournait un peu, et pour éviter de le montrer je me laissais glisser le long de la paroi, tout en farfouillant pour regarder les légumes, les vêtements… on avait quand même de la chance. Pliant une jambe, tendant l’autre, je massais légèrement mon ventre. Je le dévisageais, lui, une nouvelle fois alors qu’il m’interrogeait sur ma blessure.

- « Qu’est-ce que tu ne ferais pas pour me toucher… Tu as dû y prendre goût… »

En réalité, je ne me sentais pas capable de lui montrer ni d’être capable de supporter sa main sur ma peau. J’ai grimacé avant de le détailler, j’hésitais alors que mon regard avait dû se teinter de cette crainte. Après les derniers gestes, après cette crainte de le voir me vendre, voir me prendre de force peut-être avec les deux autres…

Il ne ferait pas ça.

Qu’est-ce que je pouvais en savoir ? Rien, personne ne pouvait l’affirmer, tous m’avait toujours prouvé que tout n’était qu’une question d’intérêt. Une fois qu’il n’aurait plus besoin de moi, lui aussi me revendrait, me trahirait. Suffirait-il qu’il puisse avoir vent des rumeurs, qu’il décampe déjà. Immobile, je ne répondais pas, préférant le laisser au bout de sa pensée. Alphonse, je ne le comprenais pas, lui non plus je crois. Il avalait encore une gorgée et j’étais convaincue que par habitude, l’alcool ne lui faisait absolument aucun effet. La suite ? Je n’en savais rien. Absolument rien. Alors, je n’avais rien dit, encore. Je m’étais relevée, non sans manquer de retomber. Je m’étais approchée de lui à quelque pas, tendant ma main pour récupérer la sienne. Je me mordillais la lèvre avec violence, j’étais hésitante et ça devait se voir. Peu importe mes agissements, peu importe ce que je montrais, j’étais terrorisée par l’idée qu’on me touche. Il y avait une différence entre s’amuser et provoquer et être dans un vrai échange… Ce n’est pas parce que certains me troussaient avec mon accord – ou non, souvent non- que j’étais libre et que je supportais tout.

- « Je ne supporte pas qu’on me touche » avouais-je en détournant les yeux « Tu fais chier… » murmurais-je consciente que l’inspection de ma blessure était sans doute une étape « Tu peux regarder… »

La réalité, c’est que l’ensemble était très douloureux, que je n’avais pas reposé ma peau, que je m’étais déplacée en tous sens et que je savais… Je savais pertinemment dans quel état devait se trouver l’ensemble. J’ai accompagné sa main jusqu’au bandage, soulevant légèrement mon haut de mon autre main, je déposais la sienne pour qu’il puisse défaire l’ensemble. Je le laissais faire, en restant immobile, retenant parfois de cette manière involontaire certains de ses mouvements. Je me crispais je le sentais, pour autant le morceau de MA cape avait fini par disparaître, laissant la plaie brûlée visible. Elle était rouge, le contour dur, un liquide transparent s’échappait légèrement. Dès qu’il touchait, je me crispais inévitablement sans couiner, sans gémir. Avais-je sans doute dû retenir son poignet, avant de chercher son regard.

- « C’est bon tu as vu… On devrait chercher du bois » je redescendais mon haut, m’éloignant « On va laisser comme ça, ne t’inquiète pas pour la douleur je suis… » habituée, insensible « Il en faut un peu plus pour me faire réagir » admis-je sans pour autant lui admette que l’ensemble restait très désagréable

Juste avant de m’éloigner, je lui avais piqué la bouteille pour avaler une longue gorgée, avant de lui rendre. Je m’étais appliquée à faire une courbette plus maîtrisée que ce que je n’avais voulu, trahissant sans doute le fait que je n’étais pas sans maîtriser certaines habitudes de vies des nobles. J’avançais lentement et en m’appliquant davantage pour ne pas tomber. Une main venait se glisser sur ma plaie, tapotant le pourtour, qui me semblait vraiment dur et chaud. Dehors, je m’immobilisais, j’observais autour de nous, l’eau continuait à bouger, si bien qu’elle me donnait la nausée. J’avais attendu qu’il arrive à mon niveau, je me souvenais de ses paroles, de sa manière de se comporter. J’avais hésité à lui parler de Mathie, mais les gros yeux de mon amie avaient fini par me faire renoncer. Lâchant un long soupir, je préférais une nouvelle fois le faire se concentrer, sur lui.

- « Est-ce qu’il y a d’autres choses sur toi que je dois savoir… » l’interrogeais-je avec maladresse « Bravo pour ma botte » fis-je rapidement comme pour détourner ma presque question.

Je m’étais approchée pour la récupérer, vider l’eau à l’intérieur avant de lui envoyer un regard qui se voulait plein de reproches. Au lieu de ça, je n’ai pas pu m’empêcher de l’éclabousser, après tout, n’était-il pas responsable de l’état de ma pauvre chaussure. La déposant au bord de notre grotte, pour la faire sécher, je m’éloignais finalement vers la forêt, il nous fallait du bois, pas grand-chose. Elle n’était pas si loin et je me faisais silencieuse. J’aurais voulu le détester, j’aurais tellement voulu parvenir à le faire fuir, si bien que j’hésitais encore à lui inventer toute une histoire sur moi pour lui prouver à quel point il devrait s’échapper, s’éloigner, me détester, lui aussi. Mais je n’y parvenais pas.

La solitude est parfois un poids trop lourd, pas vrai ?

J’ai roulé des épaules en avançant. Il me reprochait mon manque de curiosité et je l’empêchais sans doute de l’être vis-à-vis de ma personne. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, j’avais bien souvent envie de lui jeter tout ce qui me passait par la main, pour autant… Il ne m’avait pas vendu. Et puis j’avais chaud, terriblement chaud. Ma naïveté m’a poussée à m’approcher pour lui piquer la bouteille, avalée encore plusieurs gorgées avant de lui rendre naturellement.

- « Tu marches plus très droit » fis-je en marchant à reculant à moitié de travers « J’crois que tu devrais me confier définitivement cette bouteille » tentais-je dans un demi-sourire « Tu sais, nous les bannis on a des rites » ce n’était pas vrai « On aime bien danser toute la nuit autour du feu en avisant les humains griller, parfois même quand on a très faim, on vient en piquer un p’tit morceau… » c’était vraiment n’importe quoi … « Je plaisante… » fis-je avec un doute sur le fait qu’il me croit

Avais-je essayé de lui chiper l’alcool, avait-il lutté ou mise trop haut pour moi ? Je ne sais plus très bien, je sais juste que j’avais fini par renoncer à l’idée pour lui faire dos et me concentrer sur la recherche de branche. Je ne lui proposer pas de m’aider, ou d’être le premier à remporter la victoire au bout de x bois trouvés. J’aurais pu, mais j’avais déjà du mal à ne pas tomber, alors me souvenir de son explication au sujet des chiffres. Impossible. Me penchant, je ramassais un morceau de bois, sec, petit et fin. Me relevant, j’entends un bruit qui attire mon regard, ne pouvant m’empêcher j’avance d’un pas avant de faire « chuuuuuut » du bout des lèvres, beaucoup plus fort que ce que j’avais imaginé.

Juste devant nous, un renard magnifique à la fourrure rousse relevait le nez, nous détaillant visiblement contrarié, dans sa gueule se tenait un lapin à ses pieds un autre. Devait-il être de manger et notre arrivée semble l’avoir dérangé. Penchant la tête sur le côté, j’ai cette étrange illumination au fond des yeux, sans réellement le réaliser j’ai attrapé la main d’Alphonse pour le tirer, alors que e l’autre je pointe ma main vers l’animal :

- « Regarde, regarde, regarde !!!!! Mais regarde comme il est beau » fis-je comme émerveillée

Bien évidemment, mon mouvement provoque sa fuite et la bête s’échappe vers le bois sans demander son reste. Il a récupéré qu’un lapin, l’autre est encore au sol moitié éventrée. Mes yeux s’écarquillent alors que je tente de me précipiter pour le récupérer, mais que je n’ai pas su agir suffisamment avec intelligence pour réaliser que je serais véritablement mon autre main dans celle d’Alphonse. Résultat ça bloque, je me retourne et je le dévisage.

- « Ca c’est à moi » fis-je en retirant ma main comme s’il était coupable alors que c’était bien moi qui lui avait prise « On va avoir mal au ventre tellement qu’il y a de quoi manger !! » ma voix est légèrement montée dans les aigus sous le plaisir avant de réaliser « Mh, enfin.. C’est pas mal voilà, c’est ça que je veux dire pas mal… »

Récupérant la bête, je la dépose autour de mon cou, afin d’avoir les mains libres pour récupérer du bois, de la mousse, des feuilles sèches, bref tout ce qui pourra me permettre de faire un feu convenablement.

- « Je n’ai pas envie que tu partes » fis-je finalement en me redressant et réalisant « Du village j’veux dire… Une fois au village, il ne faudra pas trop t’éloigner au début, tu sais… Ils vont vouloir te tester niveau résistance et chasse, alors… Le piège c’est de t’éloigner trop loin, si bien que tu retrouves plus le village. J’te montrerais y a coin à piège pas loin de toute façon. Bon on a tout ce qu’il feu, j’te laisse le lapin et je fais le feu ! »

Ridicule. Vous êtes ridicules...

Je me suis approchée de lui, lui confiant le lapin au passage –enfin plutôt en lui mettant un coup de lapin pour lui jeter dessus-. Je suis rentrée vers la grotte en pensant marcher droit, alors que cela ne devait clairement pas être le cas. Je me suis mise sur le sol de la grotte, préparant la base de mousse et de feuilles sèches avant de positionner les plus petites branches. J’avais récupéré les pierres avant de démarrer le feu, mes gestes devaient trahir mon expérience, j’avais réussi rapidement et les premières fumées s’étaient fait sentir, donnant naissance à notre première braise, puis première flamme.

- « Victoire ! » fis-je joyeuse « Il fait atrocement chaud non ? » demandais-je… « Est-ce qu’il y a des personnes qui sont au courant que tu es vivant ? » l’interrogeais-je finalement sérieuse « Je t’accompagnerais au village et je me rendrai garante, mais… Tu es certain que c’est ton choix ? Tu n’as pas ça… » fis-je en dévoilant mon bras et la marque horrible sur mon bras « Peut-être qu’en t’appliquant à devenir cet intendant, tu aurais ta place dans un village survivant, non ? Enfin, parlons d’autres choses… Pardon ! Aide-moi à nous préparer à manger, passe-moi les légumes et ton lapin, mais sans rien massacrer hein, parce que je commence à te connaître. » j’ai relevé le nez vers lui avant de me souvenir d’un point « D’ailleurs, je retiens que je sens bon, donc mes pieds aussi ! C’est trop tard Alphonse, tu l’as avoué toi-même… »

Il avait les yeux brillants, sans doute dû à l’alcool, les cheveux bruns sans dessous dessus, une étincelle dans le regard, comme une part de la nuit. J’avais l’impression d’avoir trébuché sur ma promesse à moi-même et de plus savoir quoi en faire… Détournant les yeux, je préférais éviter de l’aviser, je préférais ne pas réfléchir, il avait toujours ce don de cette honnêteté, de cette séduisante et attrayante humanité… Mais l’humain n’était que néfaste, j’en avais eu la preuve encore et encore, et encore… Pourtant il lui avait cette nuit dans son regard, cette peine que je pouvais apercevoir, lui aussi devait avoir sa part d’ombre… Je ne devais pas m’y intéresser, ni accepter sa demande… Je ne parviendrais pas à lui faire confiance, alors je me reconcentrais sur mon début de feu d’une main, l’autre sur ma blessure qui me donnait la sensation de brûler sur place. Je sentais la rougeur sur mes joues et mes pensées se bousculaient.

- « On t’avait déjà dit que tu avais une part de nuit dans tes yeux ? » fis-je même sans m’en rendre compte avant de rester comme suspendu, Mathie avait ris soudainement « C’est à cause du bleu et de ta peau pâle… je crois » tentais-je de me rattraper « Enfin, je… » tu quoi hein Isaure « Ça t’va bien quoi, va pas croire que j’ana… je réfléchis à tes yeux. BREF » terminais-je brusquement « Donne-moi ce lapin »

L'alcool ça t'a toujours fait parler comme ça...

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Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyVen 18 Sep 2020 - 8:53
Lorsque je rentrais seul dans la grotte, laissant Isaure sur le dos et partant en quête des trésors laissés là par nos précédents opposants, je suspendis mon avancée pour écouter ses mots. L'entendant ramener au détour de la conversation le fait que je l'avais traité de "gueuse", je soupirais. Évidemment, commençant quelque peu à la connaître, je me doutais pertinemment qu'elle oublierait tout ce que je lui avais dit jusqu'alors, se rappelant simplement et seulement de cette anodine et fausse insulte qui avait été dressée pour couvrir mon attaque. Secouant la tête, restant de dos pour cacher mon désarroi, je pris tout de même la parole en retour. Non pas pour me dédouaner d'une quelconque culpabilité, ou pour lui faire comprendre qu'elle était dans le tort de continuer à revenir sur le sujet, mais simplement parce que j'avais l'impression que le silence serait en cet instant notre pire ennemi.

De fait, nous venions de sortir d'une confrontation verbale qui avait été plus qu'acharnée. Faisant voltiger les mots comme des armes, nous nous étions obstinés à combattre sans réaliser les blessures infligées ou subites. Or, maintenant que le pire de la tempête et des tourments était passé, je ne voulais aucunement replonger dans ces travers et vices. Il y avait eu assez de lutte et de conflit pour la journée. "J'imagine que je vais t'entendre en parler encore longtemps." Disais-je avec à la fois une trace d'amusement et un semblant de morosité.

Pour tout vous dire, je ne sais pas si j'avais raison, ou si c'est à cause de cette prise de parole qu'elle continue parfois à mentionner cet épisode, mais le fait est que je l'entends encore occasionnellement aujourd'hui...

Continuant à regarder et analyser les trouvailles, je dressais des mots pour empêcher le silence de s'éterniser. N'arrivant guère à la dérider et la faire sortir de son mutisme, j'avais l'impression que nos rôles étaient inversés. Alors qu'elle me tournait encore le dos, je la fixais, poing sur les hanches et pinçant des lèvres, passablement irritées par tant d'entêtement. Puis, avisant les légumes, je les utilisais pour présenter l'idée que j'avais gagné, ramenant le jeu et l'amusement au-devant de la scène pour la faire réagir. La voyant se relever excessivement rapidement, quittant sa position prostrée et avachie par des sentiments qui ressemblait à des ressentiments, j'avais les yeux qui pétillaient. Peut-être prendrait-elle cela pour de la malice, tandis que je m'amusais à ses dépens. Or, c'était plutôt le plaisir de la victoire qui animait mes iris. Celle d'avoir réussi à arriver à cinq aliments avant elle ? Pas le moins du monde.

Celle de l'avoir fait sortir de sa gangue d'amertume et de morosité. Celle de la voir revenir à la charge et en quelque sorte; de la voir revivre.

-"Tiens, tiens. J'ai déjà entendu cette tirade." Commençais-je en me passant une main sur le menton, alors qu'elle reprenait consciemment ou non les mots que j'avais proférés vis-à-vis des algues puis de l'oursin concernant une certaine triche. "Si je ne m'abuse ça venait d'un grand sage. Non, ce n'était pas ça..." Puis, claquant des doigts, comme si j'avais trouvé la réponse dans une illumination aussi inattendue que fugace; "...Non, c'est vrai ! C'est les paroles d'un être en tout point parfait !" Évidemment, je n'y croyais pas le moins du monde. Affamé, épuisé, malade, blême et inutile, je n'avais pas une très grande estime de ma personne. Or, ça, Isaure n'avait pas besoin de le savoir. Et de vous à moi, je cachais très bien ce fait. Comment ? Et bien, elle n'avait pas réellement tort en disant que la noblesse savait manipuler. Mais pour être plus exacts, ceux-ci savaient en particulier manipuler les apparences...

-"Un abruti ?!" Répétais-je en jouant la surprise et l'effroi. "Eh oh, je viens de dire que c'était un grand sage !" Ma langue se déliait à mesure que la bouteille de vin diminuait. Puis, riant à gorge déployée devant ses mots, ses mimiques et grimaces, j'arrêtais rapidement mon hilarité en posant une main sur ma bouche. Ce faisant, je réalisais que cela faisait excessivement longtemps que je n’avais pas entendu ma propre hilarité. Oui, j'avais quelques fois ri par amertume pour chasser les larmes la plupart du temps. Mais quelque chose d'aussi franc ? Je ne m'en souvenais aucunement. Secouant la tête je donnais la bouteille à Isaure, comme si cette dernière était un cadeau pour m'avoir amusé. "Tu es rafraîchissante, Isaure." Était-ce trop honnête ? Je fronçais les sourcils hésitant avant de hausser les épaules. À quoi bon réfléchir sur ce sujet, hein ? C'était même plutôt difficile de se pencher sur la question maintenant que mon esprit s'embrumait peu à peu du spiritueux que nous ingurgitions.

Trouvant une cape et lui léguant gentiment MA cape, je me retournais lorsqu'elle mentionna que le vêtement lui appartenait. "Pardon ? Ta cape ?" Puis, mettant l'accent sur le premier mot; "TA cape ?" Rien n'y faisait. Cela ne semblait aucunement éveiller un éclair de sagacité et de compréhension dans son regard. Elle était sérieuse ?! " Si je ne m'abuse, elle était à moi, non ?" Je secouais la tête, dépité par tant de duplicité. "Quand serait-elle devenue tienne, mmh ?" J'étais réellement intrigué de savoir quel était l'élément déclencheur qui expliquait pourquoi le vêtement était devenu sien. Puis, soulevant ma nouvelle trouvaille, je la questionnais; "Tu es sérieuse ? Tu voudrais avoir celle-là ? Tu marcherais dessus ! Ça ressemblerait plus à une traîne qu'à une cape sur tes épaules." M'esclaffais-je, alors que le vêtement était pour homme et nettement trop long pour sa petite taille.

Lorsqu'Isaure commença à me donner du "vous" pour s'amuser, je plissais des yeux, intrigués par cette politesse que j'avais déjà aperçue. Que se cachait-il dans son passé et sous les traits burinés de la bannie qui expliquait qu'elle soit en mesure de faire preuve de tant de bienséance ? À chaque fois qu'elle commençait à se jouer de moi de la sorte, je n'avais plus l'impression d'être devant la même personne. Restant silencieux, mais l'analysant plus de coutume, je ne cherchais pas plus loin lorsqu'elle changea de sujet, gardant tout de même dans un coin de ma tête cette aptitude qu'elle cachait au regard de tous.

Récupérant la bouteille sans rechigner, m'abreuvant du liquide sans demander mon reste, je suspendis ma consommation tandis que l'état de sa blessure devint pour moi un sujet de préoccupation. Avec toutes les péripéties de la journée, j'avais oublié qu'elle était blessée. L'interpellant sur le sujet, faisant entendre mon inquiétude que je ne cherchais aucunement a cacher, j'attendis sa réponse à ma question, jugeant aussi cette dernière comme une hypothétique preuve de cette confiance qu'elle avait promis d'essayer de m'offrir. Tout d'abord, elle commença par me repousser par l'humour. Or, je percevais que ce stratagème n'était qu'un rempart pour se protéger. Inflexible, mais silencieux, je la regardais et attendais. Mon regard était probablement intransigeant, tandis que j'estimais qu'il était important de voir à quoi ressemblait la balafre qui deviendrait cicatrice.

Puis, Isaure fit quelque chose que je n'attendais aucunement venant d'elle. Se levant, approchant de ma position puis attrapant mes doigts, elle prit la parole d'une voix hésitante. L'ensemble de sa posture renvoyait à ce sentiment ambivalent, alors qu'en son âme et conscience elle doutait de faire le bon choix. Tel un animal blessé, elle redoutait la récidive d'une violence de la part d'un autre individu, comme si elle avait perdu confiance en l'humanité de l'être humain. Lorsqu'elle mentionna qu'elle n'aimait pas être touchée, je pense que je compris. Après tout, il fallait être idiot ou sot pour ne pas comprendre le lien entre ses balafres et son exécration du contact. Retirant vivement mes mains de ses doigts, je levais vers elle mes paumes. "Désolé !" C'était un peu futile et stupide tandis qu'elle avait fait les premiers pas et attrapé d'elle-même mes doigts. Toutefois, mon excuse allait plus loin que ce simple contact, s'inscrivant dans toutes les erreurs que j'avais commises sans connaître cette réalité. De fait, je repensais à notre première nuit et soirée commune, alors que nous avions échangé notre chaleur dans une proximité quelque peu scabreuse. Mais surtout, je repensais à mes agissements face aux pirates. Pour moi, cela avait été le meilleur moyen pour détourner leur attention et nous permettre d'arracher la victoire. Pour elle, cela avait dû être un calvaire. "Je ne savais aucunement. Je ne pensais pas que c'était un problème." Puis me rendant compte que mon discours était un peu décousu, peu clair, je tentais de rectifier le tir. "Enfin, je peux comprendre que ce n'est guère agréable de se faire toucher de la sorte, mais je ne pensais pas que ça pouvait être pire pour toi." Était-ce plus clair ? Je ne sais pas, mais je voulais le croire. Le "fait chier" qu'elle m'offrit ne me fit même pas sourire.

Puis convaincu qu'on s'était compris, je lui offris un sourire et j'hochais la tête. Au moins, sur ça, nous serions d'accord ! "Je ne regarderais pas..."
« Tu peux regarder… » Dit-elle en même temps.
-"...Hein ?"

Je ne sais pas si c'est la faute de l'alcool, mais j'étais particulièrement surpris par cette acceptation de la chose tandis qu'elle m'avait soufflé ne pas apprécier le contact d'un autre sur son corps. Puis, réalisant que c'était la preuve qu'elle m'offrait une part de sa confiance, je déglutissais et hochais la tête. "D'accord." La laissant me guider jusqu'au bandage, j'attendais patiemment et calmement lorsqu'elle m'arrêtait parce qu'elle doutait. Soulevant le bandage du bout des doigts, évitant le plus possible le moindre contact, plissant les yeux sans même le remarquer à cause de la concentration, je finis par réussir à avoir un aperçu de la blessure. Ce que je vu ne me plus guère. Fronçant des sourcils, j'allai toucher les pourtours de la coupure, sentant qu'elle était dure sous le touché. Je soupirais. Ce n'était guère beau à voir.

Lorsqu'Isaure tenta de se défiler, alors que je n'avais même pas refait le bandage, je l'interpellais. "Isaure !" Tendant la main, j'attrapais inconsciemment ses doigts pour la retenir. Puis réalisant mon geste, je la relâchais. "Désolé !" Penaud, je lui offris un sourire d'excuse qui tirait sur la grimace. Me relevant, je me plaçais entre elle et la sortie, refusant de la voir déguerpir en quête de bois avant que je n'aie pu apposer une nouvelle bande de tissu sur la blessure. "Assis-toi, je vais au moins refaire un bandage." Lui lançant un regard inflexible, je relevais le menton en affichant une moue impérieuse et qui ne souffrait d'aucune contestation possible. Bien que je n'utilisais quasiment jamais ce genre de mimique, je savais comment la singer, alors que mon paternel l'usait continuellement jadis. Déchirant un morceau de MON ancienne cape et de sa nouvelle cape, sans le lui demander évidemment, je pris la parole en lui jetant un regard. "Ta blessure semble s'être aggravée depuis hier, Isaure." Agenouillé devant elle, me rapprochant pour enrouler le pansement de fortune, je continuais à parler. "Il doit y avoir quelqu'un en mesure de te soigner convenablement au village des bannis, non ?" Pinçant des lèvres et finissant le travail je terminai en même temps ma prise de parole. "Je pense que ça serait une bonne idée d'aller la consulter le plus rapidement possible avant que ton état ne s'aggrave."

Me relevant, époussetant la poussière sur mes pantalons, j'attendis une potentielle réponse avant de finalement accepter l'idée d'aller chercher du bois. "Allons-y." Je retins in extremis de lui offrir ma main pour l'aider à se relever. C'était une mauvaise habitude que je devrais soigner avec elle. De fait, j'avais tendance à la lui proposer à chaque fois qu'elle devait se relever, tandis que dans mon éducation, cette façon de procéder était un geste de galanterie tout à fait adéquat envers une dame. La laissant me prendre la bouteille, je la suivais en la couvant du regard. Aussi stupide que cela pût être, j'avais la frayeur de la voir tomber inerte, là sur le sol. De fait, ayant vu l'état de la plaie, je me faisais du souci pour elle. Me l'avouais-je ? Pas vraiment, non...

Masquant cette inquiétude avec une courbette, je fus surpris de la voir répondre avec une salutation tout aussi bien maîtrisée. Mes lèvres s'étirèrent sur un sourire intrigué et intéressé. Je ne pouvais m'empêcher de me demander qui elle était, qui se cachait sous son attitude nonchalante. L'entendant s'intéresser à moi, mais dévier cela vers ce que j'avais fait subir à sa botte, je soupirais en souriant timidement. Je ne sais pas si j'étais faible ou couard, mais je ne me sentais pas du lui forcer un énième effort. Isaure avait lutté contre elle-même pour me permettre de changer son pansement. Je ne voulais pas la forcer à connaître un énième tourment en la voyant me questionner avec autant d'indécision et d'hésitation. " C'était mérité !" Arguais-je en lui offrant un clin d'œil aussi moqueur que joueur. Pour toute réponse, j'eus le droit de me faire éclabousser. M'ébrouant comme un chien mouillé, renvoyant les fines gouttelettes en direction de mon attaquante, je tentais d'afficher une moue innocente.

Entre temps, tandis que nous marchions vers la forêt et son bois, j'avais récupéré la bouteille, m'abreuvant à nouveau directement au goulot. Or, bien que cela ne faisait guère de temps que j'avais remis la main dessus, Isaure tentait de nouveau de me la ravir. "Eh oh, pas si vite !" M'arrêtant, soulevant la bouteille hors de sa portée, je secouais la tête. "Il faut apprendre à partager, Isaure." Continuais-je en tentant d'offrir un air sérieux qui s'effritait sous mon amusement tout aviné. "Non, attends. Je sais !" Fronçant les sourcils, je me mis à l'imiter avec dérision. "Tout est une question d'échanges, de trocs et blablabla. Que me proposes-tu donc pour ce vin ?" J'imaginais qu'elle m'offrirait une insulte contre la bouteille, évidemment. "Je marche plus droit que toi, et moi au moins, je marche dans le bon sens !" Répondis-je, alors qu'elle s'en allait à reculons tout en me regardant. L'écoutant déblatérer sur les rites des bannis, je secouais la tête sans véritablement la croire. "Je sais que c'était une plaisanterie. Après tout, bien que je fasse chier, je ne suis pas stupide !"

Puis, retrouvant chacun le silence en nous absorbant à récupérer du bois, je me focalisai sur la tâche avec l'esprit agréablement vide. L'alcool aidant, j'avais l'impression de flotter plus que de marcher. Soudain, sortit de ma rêverie tout éthylique par un "chut" retentissant d'Isaure, je m'approchais d'elle, appâté par ses appels puis tiré par ses doigts. Regardant sa main dans la mienne, n'arrivant plus à comprendre si elle désirait éviter le contact ou le forcer, je restais muet et concentré sur cette question dont je ne trouvais aucunement la réponse, jusqu'à ce qu'elle me montre l'animal qui avait éveillé son intérêt. "Il est magnifique." En effet, je ne mentais pas et je le pensais sciemment. Or, je ne regardais guère l'animal, mais plutôt ma partenaire.

Non, attendez une minute ! Ce n'est pas ce que vous pensez. Je parlais véritablement du renard. Cependant, oui, il est vrai que mon intérêt était tout autre. Je ne m'en rendais compte que sur l'instant, mais j'appréciais découvrir cette Isaure qui était loin de l'image qu'elle s'évertuait à renvoyer de prime abord. En quelque sorte, la voir s'émerveiller sans s'enfermer derrière une moue taciturne ou un commentaire amère m'émerveillait à mon tour. Tout comme ses manières polies et sa bienséance éveillaient ma curiosité, elle qui pouvait proférer des insanités plus vite que son ombre puis effectuer une révérence parfaite. " Je vois bien..." Continuais-je sans regarder l'animal et poursuivant mon inspection. Lorsque le renard disparut et qu'Isaure récupéra sa main, je ne pus m'empêcher de grogner d'amusement. "Pardon d'avoir attrapé ta main, évidemment !" Répondis-je avec ironie, alors que nous savons tous deux qui avait été l'instigatrice de ce mouvement. Puis, en me tapotant le menton; "C'est comme tu l'as dis, non ? Je cherche à te toucher parce que j'y est pris goût, hein ?" Continuais-je en secouant la tête de dérision.

Je redécouvris la bannie que j'apprenais à connaître alors qu'elle s'égaillait devant la quantité de nourriture que nous allions avoir. De fait, le renard avait laissé l'une de ses proies devant nous. Toutefois, aussi vite qu'elle était apparue, l'enjoué Isaure laissa place à la morose partenaire que je connaissais. Penchant ma tête sur le côté je l'observai avec un regard intrigué. Décidément, cette analyse était devenue une habitude... Je lui tendais finalement la bouteille. "Tiens, bois." Pourquoi désirais-je l'enivrer ? Simplement pour la voir laisser tomber ses barrières et défenses qui faisaient d'elle une personne excessivement difficile d'approche. Je voulais impérativement savoir; qui se cachait derrière son air revêche ? "Oui ce n'est que pas mal, hein ? J'imagine qu'une survivante aussi incroyable que toi à l'habitude de ce genre de repas frugal !" Me moquais-je, alors que nous avions des légumes, des crustacés, du lapin et surtout du vin.

Puis retournant, vaquer à mes occupations, empilant le bois sur mes bras joints l'un à l'autre pour en récupérer le plus possible, je suis de nouveau détourné de ma tâche par des propos d'Isaure. Ses premiers mots me surprennent tellement que je laisse tomber la moitié de mon chargement au sol. Elle ne veut pas que je parte. Dos à elle, j'hésite à me retourner. Puis, enserré par une envie impérieuse de la voir, je me retourne rapidement. Or, durant ma manœuvre elle m'explique ce qu'elle voulait véritablement dire. Lui offrant un sourire crispé, j'hochais la tête. J'avais été idiot de prendre ses paroles pour autre chose. L'alcool émoussait son discours et ma compréhension. Oui, voilà tout ! C'était complètement clair. Limpide même. Complètement limpide ! "Oui, non je comprends ! Le village, oui. Ne pas me perdre, tout ça...Ce genre de chose. Tu me montreras, voilà !" Emprunté et gauche, je fronçais les sourcils. Ce n'était pas mon genre d'être maladroit avec un quelconque discours. Bon sang, l'alcool me rendait bien misérable !

Décidément, ce soir, le vin avait le dos large.

Attrapant le lapin, ou plutôt subissant son apparition sur mon épaule par une attaque de la bannie, comme si elle libérait une quelconque colère contre moi en posant ce geste, je continuais à la suivre tandis que nous faisions le chemin inverse pour rentrer. Voyant que sa démarche se faisait plus chaloupée, je souriais crânement, avant de passer proche de tomber au sol. Regardant mes pieds qui s'étaient emmêlés, les foudroyants du regard, comme s'ils étaient coupables de m'avoir abandonné, je secouais la tête et me focalisais à marcher droit. Mal m'en prit, tandis que ma déambulation se fit aussi vacillante -sinon plus- que celle de ma partenaire d'infortune...

Regagnant l'abri, la laissant travailler à l'allumage du feu, je l'applaudis lorsqu'elle cria victoire. "Hier il faisait trop froid et aujourd'hui trop chaud, hein ?" Commentais-je avec humour bien que je ressentais le même genre de chaleur, tandis que l'ivresse nous consumait. Toujours est-il que cet amusement laissa rapidement place à l'ambivalence avec la suite de son discours. "Personne à même d'être une menace... je crois." Commençais-je en réfléchissant en fronçant les sourcils. Jacob de Rivefière savait que j'étais vivant, mais il avait été d'un précieux secours face à la milice. Quentin de Flotnoir et Nellian était porté disparu suite à l'agression contre Silvrur au Labret. Il était raisonnable de croire qu'ils étaient morts. Charles devait aussi avoir trépassé, tandis qu'il était resté seul dans les Faubourgs et n'avait pas participé à la reconquête du Labret avec nous, ses compagnons d'infortune qui avaient survécu à l'affaire de Sarosse. Aigre de ces réflexions, j'hochais finalement la tête avec conviction. "Personne qui ne peut être un danger ou que je risque de croiser chez les bannis !" Complétais-je.

Préférant ne pas répondre aux autres questions, acceptant ses excuses dans un maigre sourire, j'attrapais la seconde bouteille de vin, lui passant les légumes -et oubliant le lapin- comme elle me l'avait ordonné. Riant alors qu'elle ramenait sur les devants de la scène le fait qu'elle sentait bon, je fermais les yeux un instant. "Bon, d'accord. Je peux accepter le fait d'avoir dit que tu sentais bon." Avouais-je; "Non. Plutôt que ton odeur est convenable une fois que tu es propre."Corrigeais-je. "Mais tes pieds, ça jamais ! C'est le pire fumet que j'ai eu la chance de sentir !" Évidemment, ce n'était aucunement véridique, alors que l'odeur de putréfaction et de chair en décomposition chez les déviants priants Etiol état cent fois pire que celle de ses pieds.

Enfin, je laissais le silence s'égrener et s'éterniser.

Le feu crépitait et le bois craquait. La chaleur montait et la fumée s'échappait. Alangui par l'ivresse et indolent par la promesse d'un estomac plein, je sombrais peu à peu dans une torpeur comateuse, mais ô combien doucereuse. Dans mon esprit, les sectaires et pirates n'existaient plus. Tout ce qui constituait mon univers était ce que je voyais, entendait et sentait. La flambée de l'âtre qui réverbérait nos ombres grandiloquentes sur les parois de notre grotte. L'odeur de fumée de notre foyer qui embaumait l'espace restreint que nous partagions. Le bruit constant de la mer et de ses vagues se brisant sur la grève non loin de nous. le sifflement du vent qui s'engouffrait doucement dans notre repère. La fragrance entêtante des embruns marins portés jusqu'à nos narines par la brise.

Était-ce tout ? Non. Il y avait aussi la présence d'une autre personne.

Une bannie balafré aussi bien par son passé que par ses pensées qui siégeait de l'autre côté du feu. Une partenaire d'infortune qui avait travaillé à démarrer la flambée. Une sauveuse qui me faisait entendre sa voix, partageant des bribes de parole trop confuse à cause de son enivrement et du mien. Puis, soudain, une femme qui parlait de mes yeux, plongeant son propre regard dans le mien. Telle une douce caresse, le vent jouait paresseusement dans sa chevelure. Ses pommettes avaient rougi et ses yeux bruns étaient aussi lumineux que le feu, et ce, probablement à cause de l'ivresse. Était-ce la première fois que nous nous regardions ainsi ? Sans animosité, sans doute ou colère envers l'autre ? J'avais l'impression et quasiment l'intime conviction que oui. Car l'espace d'un instant je crus être face à une autre personne.

-"Une part de nuit ?" Répétais-je la voix enrouée. Me raclant la gorge, mettant la cause de cette altération de mon ton sur le vin et sur rien d'autre, je me permis de rester silencieux encore un peu. Puis, lorsqu'elle détacha son regard du mien et me demanda le lapin, je m'ébrouais et sortais de ma langueur. "Je ne sais pas". Commençais-je en me levant pour contourner le feu et me diriger vers elle après avoir attrapé l'animal qui serait une source de repas. "Mais j'ai peut-être une explication." Continuais-je tentant de capter son attention de nouveau et ce, que ce soit par mes mots ou mon observation. Trouvant assise ni trop loin ni trop proche, sachant dorénavant qu'elle n'aimait guère être touchée et potentiellement d'être approché, je lui tendis l'animal qui deviendrait notre pitance. " Ce que tu as vu à l'intérieur de mon regard, ne serait-il pas simplement le reflet du tien ?" Déposant mon coude sur mon genou et mon menton dans paume, je penchais la tête sur le côté, l'observant encore, en quête d'informations que dégageait son non verbal. "Je pense que tes yeux sont à tout le moins aussi sombres." Je ne sais pas si nous parlions de la même chose. Mais les prunelles de la bannie réverbéraient parfois la douleur et le doute qui semblait la déchirer et qui prenait racine dans son passé. L'observant toujours, sans la moindre gêne ou honte, je cherchais à voir ses réactions. Se refermerait-elle ? M'approchais-je trop près de ce qu'elle défendait à grand coup d'acrimonie et d'amertume ?"Qu'elle est cette noirceur, hein ?" M'entendis-je murmurer ?

-"Toi aussi tu es belle Isaure." L'alcool émoussait mes sens et éméchait ma conscience, me faisant fabuler et discourir sans réfléchir. "Tes yeux !" Me repris-je rapidement. "Toi aussi tu as des beaux yeux !" Puis, comme pris en flagrant délit, je me relevais et fuyais comme une armée en déroute en direction de ma position initiale. Puis, enfin retranché derrière le feu nous séparant, soufflant par le nez et fermant les yeux durant un infime instant, je les ouvrais alors que mon visage devait s'être paré d'une rougeur qui n'avait rien à voir avec la chaleur ou l'ivresse. Me sentant enfin un peu plus en sécurité, je tentais de réajuster l'énorme erreur que je venais de faire. "Enfin, je voulais plutôt parler de ta personnalité, oui !" Puis, l'imaginant me répondre que je faisais chier, ou me critiquer vertement, je pouffais. Oui, bon. Ce n'était pas mon meilleur mensonge.

Cette femme était ma sauveuse, ma partenaire d'infortune, une paria de la société -tout comme moi-. Bon sang, c'était Isaure ! Celle qui m'insultait, celle avec qui je n'arrêtais de me disputer, celle avec que je n'arrivais pas à comprendre, celle qui était trop différente de moi. Oui, voilà ! Cette Isaure ! "Je crois que je n'ai plus l'esprit clair à cause de l'alcool." Et comme pour me conforter dans cette idée, je reprenais une énième lampée de l'exécrable breuvage devenu exquis à la force.

Comme pour détourner la conversation de cette erreur que je venais de faire, je décidais de répondre à une question précédemment formulée. Il était peut-être un peu tard pour reprendre ces propos, mais mieux valait le faire plutôt que s'arrimer autour de l'idiotie que je venais de faire à parler sans réfléchir. Ainsi, je me penchais sur l'intérêt qu'elle avait sous-entendu avoir pour ma personne" je ne pense pas qu'il y ait grand-chose d'autre à savoir sur moi. Je t'ai livré mes plus grands secrets." Disais-je en retenant difficilement un "moi" qui aurait été discriminateur vis-à-vis du silence qu'elle faisait sur sa passée. "Malade, faible et inutile. Puis vagabonds, traqué et puis sauvé par une certaine bannie." Poursuivis-je en levant mes doigts au fur et à mesure de mes énumérations. Pour me critiquer de la sorte, j'avais appuyé mon dos contre la paroi rocheuse de notre tanière. " Je n'ai plus de secret pour toi !"

Puis, me redressant, je la regardais par-dessus le feu. "Mais moi, je ne sais rien de toi..." Avouais-je, sachant pertinemment que nous le savions tous les deux. Me mordant la lèvre, prenant quelques secondes pour me demander si c'était une bonne idée, je poursuivais, réellement avide de savoir et de connaissance. N'avait-elle pas mentionné qu'elle tenterait de me faire confiance ? " Est-ce qu'il y a quelque chose que je dois savoir sur toi ?" Laissant planer mes mots, lui laissant la chance de les entendre et de les réfléchir, je décidais de les spécifier et de les atténuer pour éviter de la voir se renfermer. "Je ne m'attends pas forcément à ce que tu parles de tes doutes, ton histoire ou tes espoirs. Mais n'y a-t-il pas un élément quelconque qui me permettrait de mieux cerner la personne que j'ai en face de moi ?" Fronçant les sourcils, levant un doigt récriminateur contre elle, je l'avertis d'avance. "Ne viens pas me parler d'une règle quelconque, de la vie dehors, de l'importance d'écouter les bruits, de faire des choix ou de sacrifier des choses !" Je secouais la tête pour montrer à quel point cela ne m'importait guère à l'heure actuelle. "Non. Je voudrais plutôt savoir ce qui te fait autant sourire que devant un renard et ce qui te rend aussi joyeuse que lorsque tu trouves un oursin." Après m'être intéressé à elle, je ne pus m'empêcher de me questionner sur la cause de cet "interrogatoire". J'étais curieux, certes. Mais pourquoi ? Dur à dire. Ce devait être parce qu'Isaure était celle qui m'avait arraché à la solitude de ma déambulation. Et puis, elle m'avait aussi sauvé ! Oui, voilà !

Décidément, reprendre les anciens sujets que je n'avais pas relevés pour me sortir du pétrin et du tracas de mes interrogations ou de mes propos était devenue une nouvelle habitue pour ma personne en cette nuit. De fait, je la relançais vis-à-vis de ma certitude pour rejoindre les bannis. "Oui, j'en suis certain. Je n'ai pas de marque, mais je finirais par être découvert tôt ou tard. Je ne suis pas très... passe-partout. Des yeux trop bleus et un teint trop blême comme tu l'as relevé." Je haussais les épaules. "Si les autres bannis sont à ton image, ça sera un endroit encore plus charmant que l'Esplanade !" Suite à mes propos, je me mis à douter de ce que je venais de dire.

Je ne savais pas, je ne savais plus. Est-ce que mes propos étaient irrévérencieux ? Non, c'était même plutôt le contraire. Ceux-ci étaient empreints de déférence. Trop ? Oui, peut-être. Grognant devant mon indécision entre compliments et médisance, je jetais un coup d'œil à Isaure tentant de percevoir les erreurs que j'avais potentiellement commises. Il pouvait y en avoir plusieurs, alors que j'avais parlé à tort et à travers à plusieurs reprises. La regardant, analysant le moindre de ses faits et gestes, je secouais finalement la tête, tentant de ne plus y réfléchir. Décidément, il y avait trop d'Isaure par ci et par là. Trop d'Isaure dans cette grotte !

Me relevant en vacillant, me retenant à la pierre, ne sachant guère trop ce qui avait dicté pareil élan, je restais debout interdit et indécis durant quelques instants. Me sentant stupide, ouvrant la bouche puis la refermant, je finis par récupérer ma cape. "Je vais chercher du bois !" Ledit combustible était resté tout juste à côté de la grotte, à quelques pas à peine de son ouverture. Ce faisant, j'espérais que les embruns et le vent de la mer réveilleraient mon esprit comateux d'ivresse. Évidemment, mon excuse était plus que stupide, tandis que le foyer ne manquait aucunement de bois et que le feu trônait bien haut.

Sortant à grande enjambée, les rafales du vent me frappèrent rapidement et je m'appuyais à la paroi rocheuse. Fermant les yeux, je respirais fortement. C'était dangereux, j'étais enivré. "Une bien violente ivresse..." promulguais-je pour moi-même, en fronçant les sourcils et en secouant la tête. Puis, levant les yeux vers la voûte céleste, je me posais une question qui ne trouverais pas réponse. "Est-ce que mes sens sont inhibés ou exacerbés, hein ?"

Toujours est-il que cette brève accalmie était salvatrice. Je rentrerais calmement, profitant d'un bon repas et d'une honnête conversation avec ma partenaire d'infortune avant d'aller me coucher. Demain, la journée s'annonçait probablement longue, tandis que je voulais rallier le village des bannis pour la voir être guérie pas meilleur soigneur que moi. Dès lors, mieux valait arrêter avec le vin pour ne pas être entraîné vers les méandres tortueux de ma conscience. C'est bien Isaure qui serait contente de finir la seconde bouteille seule, estimais-je. Me claquant les joues des deux mains, je m'apprêtais à rentrer en ne ramenant bien évidemment pas le moindre morceau de bois avec moi.
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Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyVen 18 Sep 2020 - 16:19


- "Tu es rafraîchissante, Isaure."
- « Pourtant je ne suis pas fraîche là, si tu as chaud il y a la mer juste là-bas »

J’avais répondu comme souvent, rapidement, brusquement pour parer la gêne et ce trouble qu’il créait à chaque fois qu’il avait ce type de parole. Je me suis surprise à le dévisager, le détailler juste là avec cette idée étrange au fond des yeux. Je regrettais déjà de l’avoir fait cesser de rire, j’aurais voulu l’entendre encore un peu, mais je n’en disais rien. Notre conversation avait dérivé vers ma cape qui était sienne fut un temps –très lointain-. Je m’étais mise à rire devant sa réaction, faisant mine de réfléchir en effleurant mon menton du bout des doigts, depuis combien de temps avais-je décrété que c’était ma cape ? Depuis le début ? Mhhhh, dans un demi-sourire que j’avais du mal à maîtriser, je me suis surprise simplement à lui répondre encore, sans l’ignorer, sans abandonner.

- « Peut-être que ça m’irait bien une traîne non, mieux qu’à toi en tout cas, j’en suis certaine »

Il s’était plus ou moins remis à rire et je m’étais surprise à l’aviser un temps, savourant ce moment de pause dans ce royaume que je m’étais mise à détester plus que raison. Avais-je dans l’idée de lui piquer sa cape, plus la nouvelle, complètement, néanmoins la source de cette envie n’était pas nécessairement celle de refaire ma garde-robe. L’avisant du coin de l’œil, je regrettais déjà ce moment de calme, alors que je me surprenais à rentrer dans son jeu, le vouvoyant, m’amusant à ma grande surprise. Après les disputes, après l'incompréhension nous étions passées à ce moment presque surréaliste. Dans un coin, le goût du vin dans la bouche, j’avais fini par me renfermer alors qu’il évoquait ma blessure. La douleur allait grandissante et je savais par expérience ce que cela signifiait. Cela ne m’inquiétait pas plus que ça, peut-être à tort. Me protégeant derrière la barrière de l’humour, j’avais eu l’espoir naïf que cela suffirait. Immobile devant lui, expliquant les choses avec une sincérité que je ne me connaissais plus. J’aurais pu m’arrêter là, je l’avais ressentie au travers ses excuses, alors que mes sourcils s’étaient froncés, la fuite de sa main sur la mienne. Immobile un temps, encore, le temps d’accepter son recul alors que je m’approchais, le temps d’apprivoiser une proximité qui me terrifiait.

Je ne savais plus trop si l’idée était bonne ou mauvaise, mon mouvement était resté suspendu alors que je venais récupérer en lenteur sa main, suivant ses mouvements des yeux, par crainte d’être soudainement ramenée dans la réalité. Alphonse ne faisait rien néanmoins, il suivait mes gestes, acceptait mes hésitations, mes besoins ce qui me surprenait. L’ancien noble était déstabilisant. Le bandage fut finalement retiré, et la chaleur de ses doigts sur ma peau fit frissonner, avant de grimacer. La rongeur se répandait tout autour de la brûlure, le pourtour proche était dur, un petit liquide transparent s’en échappait. Je préférais ne rien montrer, ne rien dévoiler de la douleur, de la gêne, du tiraillement et je relâchais finalement ses doigts pour m’échapper. Il voulait voir, il avait vu, s’était suffisant pour moi. À moins que je ne fuyais sa conclusion, celle où il admettait ne pas avoir eu conscience que ce soit complexe pour moi. Pour moi ? Une gueuse ? Une catin ? Une bannie. Il avait été surpris que je le laisse explorer, sans que je ne le relève, il avait pu sentir, pu voir, et maintenant ?

Plus loin, j’avais senti ses mains sur mes doigts, je m’étais retournée avant de le voir revenir sur son acte. Je ne souriais pas, je le regardais simplement, sans trop savoir quoi lui dire, comment réagir. Il s’excusait et je secouais la tête, étais-je à ce point-là, ou juste avec lui que mon degré de tolérance avait augmenté ? Cela ne devait pas être le cas. L’excusant sans l’excuser, je m’étais mise à rire devant cette mine qu’il devait penser impérieuse. Une nouvelle fois, je me sentais perdue, démunie, incapable de réagir ou de savoir comment réagir. Sa manière de prononcer son nom, sa voix. Je le détestais. Voilà. « Ce n’est pas nécessaire » tentais-je en grognant plus ou moins avant de lui céder. Dans un soupir bruyant, j’avais fini par m’installer.

- « Alphonse ce n’est rien… » tentais-je en m’appliquant à ne pas le regarder « Parfois ça met un peu de temps à s’améliorer… » rajoutais-je en me pinçant les lèvres « Je n’ai même pas trop mal » complétais-je le visage sans doute trop pâle « Je ne vais consulter personne. On rentrera quand on rentrera. »

J’étais beaucoup plus catégorique sur cette idée, montrer une blessure, possiblement une faiblesse n’était pas une bonne chose. Il pourrait facilement s’en rendre compte, mais je préférais ne rien dire pour l’instant à ce sujet. Son inquiétude me dérangeait, ou plutôt me ramenait encore dans ce que je détestais, cette capacité à me déstabiliser. Les lèvres pincées le regard ailleurs et l’alcool faisant son effet, j’essayais de m’échapper de notre réalité. Heureusement, Alphonse m’avait suivie pour sortir et nous étions désormais à l’extérieur de notre grotte. J’en avais profité pour récupérer ma botte, l’éclabousser et me faire éclabousser avant de faire sécher l’ensemble. Je devais bien avouer que ma vision était trouble par moment, ma respiration hésitante et mon équilibre non maîtrisés. Il prétendait que la sanction était méritée et je m’étais surprise à opiner.

- « Peut-être un peu » je ne faisais aucun pas vers lui, absolument pas, c’était juste pour éviter une nouvelle dispute. Mh.

Nous avancions finalement vers la forêt, alors que je tentais de lui reprendre notre –ma- bouteille. Ne pouvant sautiller, je me contentais de sourire, oubliant l’espace d’un instant, que j’étais bannie, qu’il avait été noble, que j’étais blessée. Oui, je crois que j’en avais oublié tout le reste. Sur la pointe des pieds, une main sur son torse, je me hissais pour tenter de la récupérer, sans grand succès. Je m’étais mise à rire alors qu’il évoquait le fait qu’il devait négocier, ou plutôt que je devais négocier. Joueuse, sans doute beaucoup trop –et bien trop alcoolisé pour mon état-. Un regard pétillant de cette provocation, de ce personnage que je m’étais inventé pour survivre, je papillonnais des yeux.

- « Mhhhhhhhhh, je pourrais réaliser un de tes désirs » susurrais-je avant de rire, laissant tomber une barrière finalement « Je pourrais peut-être faire un effort sur les ‘tu fais chier’ » murmurais-je en me détachant pour réguler « M’enfin, je n’en veux plus de toute façon, il en faut bien un de nous deux qui s’occupe de notre survie, n’est-ce pas ? »

Je crois que je m’étais prise à ce jeu, celui où je le tolérais exceptionnellement le temps du village. Mathie restait silencieuse, observant de loin, disparaissant petit à petit comme si elle était satisfaite, comme si je n’avais plus besoin d’elle. Je mettais l’ensemble sur le dos du vin, dont le goût était encore dans ma bouche, je me promettais de ne plus boire, c’était dangereux. Déjà avec Gondemar cela m’avait amenée à une situation… délicate. J’étais devenue silencieuse, regrettant mes gestes, mes paroles, je ne pouvais pas, je ne devais pas faire confiance. C’était terminé. Reculant, sans parvenir nécessairement à me défaire d’un sourire taquin sur mes lèvres, je roulais des épaules alors qu’il évoquait le fait de ne pas être idiot.

- « Ah bon ? » fis-je plus taquine que je ne l’aurais souhaité « Pourtant il me semblait que parfois… Quand tu faisais vraiment chier, c’était un peu… idiot »

Je le laissais avec mes paroles, avançant à droite et à gauche en prenant un chemin invisible et particulièrement tournant pour ramasser quelques branches. La forêt, son odeur, elle avait toujours eu le don de m’émerveiller, si elle avait été une ennemie redoutable, j’avais appris à l’aimer, l’apprécier, la savourer… et la détester parfois.

Un peu comme lui ?
Tu dis n’importe quoi.


Mathie m’avait souri avant de disparaître, me laissant seule face à ma conscience et un magnifique Renard. Alphonse était un peu plus loin et j’étais venue le chercher, comme si je n’avais pas pu savourer pleinement cet instant seul. La main dans la sienne n’avait été qu’une manière de l’attirer à ma source d’intérêt, puis la beauté du moment me l’avait fait oublier. La présence de l’apprenti survivant ne me dérangeait plus, je ne voyais que l’animal à la rousseur envoûtante, avec des yeux d’enfants que je n’avais pas été très longtemps. Mes mouvements avaient provoqué la fuite de la source d’observation et ce ne fut que lorsque j’avais voulu m’éloigner que je m’étais aperçue que je n’avais à aucun moment lâché la main d’Alphonse. Piétinant sur ma place, le relâchant autant qu’il me relâchait, mes yeux s’étaient écarquillés sous sa malice : oui, c’était ça, il avait pris à goût à me toucher, c’était lui. Il secouait la tête et j’articulais un ‘tu fais chier’ sans même le prononcer.

Réalisant que j’étais un peu trop… Trop. Je me renfermais tout en récupérant la proie, alors que notre très cher noble semblait enfin accepter de partager l’alcool. Je n’y avais vu aucune invitation aucun ordre, juste un partage équitable. Non méfiante, et attirée par ce besoin de boire plus que de raison pour oublier, j’attrapais la bouteille pour en avaler une longue gorgée. Ne pouvant retenir une grimace suite à l’arrière-goût du liquide, je conservais néanmoins la bouteille pour moi. Il me parlait de ma capacité à avoir ce type de repas et je n’osais pas prétendre le contraire. Je ne mangeais pas si souvent, parce que la faim n’était plus sensation que je connaissais véritablement, à force de la côtoyer on finissait par s’y habituer, par ne plus percevoir les signaux devenus bien trop régulier. Avalant une autre gorgée, j’opinais simplement.

C’est durant ce bref instant de recherche que je laisse échapper cette… cette phrase que je ne comprends pas. Le fait que je ne voulais pas qu’il disparaisse. Je ne pouvais accepter, le laisser, non. Je l’avais avisé lui et les branches, j’avais entendu Mathie rire à ma manœuvre pour récupérer ma maladresse… Et je crois qu’il m’avait cru, à la surprise de Mathie qui n’en revenait pas. Pivotant vers moi, mon regard effleurait sa silhouette alors que je récupérais les branches sans regarder les mouvements que je réalisais.

- « Oui le village » répétais-je
Le village oui. Vous êtes… j’y crois pas. Aussi.... l’un que l’autre.

Je roulais des épaules à la remarque de mon amie avant de reprendre ma marche, une bouteille en main, les branches de l’autre, avec de la mousse, des feuilles, bref de quoi réaliser un feu. Notre conversation m’avait déstabilisée et sans doute m’étais-je un peu plus renfermée à ma manière. Du coup de l’œil, je surveillais sa silhouette vagabondant en tout, sauf une ligne droite, ce qui m’amusait alors que je ne devais pas être beaucoup plus douée sur la question. Durant ce bref instant, je ne pouvais m’empêcher de retrouver mes mauvaises habitudes, le questionnant sur le nombre de personnes ayant connaissance de sa situation. Il en suffisait d’une pour le faire tomber, j’en savais quelque chose. Retenant une grimace vis-à-vis de son hésitation, je ne disais rien de plus. Oserais-je une nouvelle fois être l’oiseau de mauvais augure ?

- « Il suffit d’une personne tu sais » fis-je finalement dans un soupir « Il ne faut jamais sous-estimer personne, surtout pas tes proches. »

Je l’avais dit et je ne culpabilisais plus, pire je m’étais replongée dans ma propre expérience. Lance, Gondemar, j’en sentais la nausée arriver. Silencieuse, j’avais fini par rejoindre notre abri pour la nuit. J’avais du mal à comprendre, à réaliser, à accepter sa présence et ce que j’étais en sa compagnie. Je retombais dans le même piège pour la troisième fois. Comme pour me convaincre de la gravité de cet état de fait, je regardais mes doigts, en ouvrant trois dans la paume de ma main. Glissant l’autre main le long de ma dague, j’aurais voulu me faire mal pour me ramener dans le droit chemin. Au lieu de ne plus parler, au lieu d’évoquer cette étrange situation, je remettais de l’humour, parlant de mes pieds et secouant la tête de droite à gauche devant sa réponse tout en m’appliquant à démarrer le feu.

- « Attention, Alphonse, je risque de venir tout tortiller sous ton nez si tu continues comme ça et tu ne voudrais pas voir ça ou plutôt sentir ça !!!!! »

La suite ce fut le silence et cette façon dont il avait de s’endormir d’épuisement, ou d’ivresse, j’avais essayé d’être discrète pour ne pas le réveiller. Ce silence que j’appréciais temps, devenait soudainement étouffant. Sa présence était appréciable et dérangeante, inquiétude et rassurante. Je ne pouvais m’empêcher de lui jeter de bref coup d’œil tout en réalisant l’ensemble. Avalant le fond de la bouteille, percevant la chaleur de l’ensemble, c’est en buvant la dernière goutte que je réalisais que j’étais ivre ou plutôt que j’avais la sensation d’être intouchable. Il faisait trop chaud pour moi, à cause de ce feu que je réalisais évidemment, je n’avais pas faim aucunement et ma vision se faisait encore plus trouble, mes doigts venaient se hisser dans ma chevelure pour la masser. Même sans l’aviser, je le voyais, j’y pensais. Sa présence était oppressante, je sombrais, je le savais… Je le savais en surveillant l’extérieur, en craignant que tout s’écroule encore une fois, en repensant à Lance à Gondemar, en repensant à trop de choses à la fois.

Patiente, tout en avisant les légumes cuir, mon regard avait fini par se figer sur sa silhouette, jusqu’à percevoir ses yeux, pour la première fois. Oui était-ce vraiment cette première fois où je l’ai regardé sans fuir, où j’ai senti son regard à lui faire de même. Où j’ai perçu cette part d’ombre de nuit qui m’intriguait, j’aurais voulu en voir plus à cet instant… Le connaître plus et pourtant, c’est ma propre voix lui faisant remarquer, puis bafouillant pour me rattraper qui me déstabilisa le plus. Comme une huître je me refermais presque aussitôt, alors qu’il s’approchait et je ramenais mes jambes contre moi, la tête entre mes deux genoux. Je fuyais son regard et sa présence, écoutant sa réponse, répétant ma phrase, je récupérais le lapin sans l’aviser, attaquant le dépeçage –qu’il n’avait pas fait-. Il ne savait plus avait peut-être une explication, ce qui me fit relever les yeux vers celui qui avait une posture un peu comme la mienne. La suite me fit m’enfoncer davantage sur moi-même, comme si j’avais eu envie de disparaître alors qu’Alphonse évoquait désormais mes yeux sombres. Avais-je les yeux sombres, depuis combien de temps n’avais-je pas vu mes yeux… Trop longtemps que je me souvienne encore même de leur couleur, leur expression.

Je fis mine de ne pas percevoir son interrogation, alors que Mathie curieuse venait de refaire son apparition juste à côté de lui. Elle était toujours de son côté, comme si elle m’invitait à m’approcher, à lui parler. J’en étais incapable. Ma bouche s’était ouverte sous son compliment, mes yeux avaient dû s’arrondir avant de fuir se captant sur les braises du feu. Plus il agissait ainsi, plus je me fermais, plus j’essayais de me faire petite… plus je voulais le fuir pour ne pas moi-même me brûler. Il s’était relevé brusquement pour revenir derrière le feu. Les flammes nous séparaient désormais et je me sentais plus libre de l’observer. Me redressant légèrement pour effleurer sa silhouette des yeux, j’observais les ombres et le rougeoyant des flammes sur les traits de sa peau, sans pouvoir m’en détacher un seul instant. Alphonse avait brisé le silence, parlant de ma personnalité….

Il est pire que toi, en fait, non ? De ta personnalité….

- « Celle d’une meurtrière, évidemment. »

Moi je préférais m’accrocher à cette possibilité, je me devais de le repousser, mais aucun mot, aucun pique, aucune phrase désagréable ne me venait sur l’instant hormis cette réalité. Avais-je encore l’espoir de le voir croire en ce moment, paniquer, en prendre peur, lui remémorer mes actes, le sang la mort, peut-être… À son tour Alphonse me dépeignait –sous le couvert de l’alcool- un portrait de lui négatif : malade, chétif, vagabond, inutile… J’aurais pu lui lister des contres argumentations à chacune de ses défauts, sans le faire pour autant, me mordant avec force l’intérieur de la bouche, jusqu’à ressentir le goût du sang.

"Mais moi, je ne sais rien de toi..."

J’ai relevé les yeux vers lui encore, la bouche ouverte et un souffle chaud s’y échappant, j’ai senti mon cœur battre une nouvelle fois si fort, mes yeux le fuir, mes épaules rentrer au niveau de mon cou et mon visage tenter de disparaître dans le haut de mes genoux. Je n’écoutais plus, plus vraiment, m’enfermant dans un mutisme ravageur. Il me parlait de mon passage qu’il ne voulait pas savoir, mais évoquer mon sourire devant le renard, ma joie devant l’oursin… Et je réalisais qu’il m’avait regardée, qu’il m’avait analysée, qu’il avait cherché à…

T’apprécier ? Te comprendre ? T’aider ?

J’ai dégluti, comme sous le choc des révélations, je me sentais en difficulté pour respirer, si bien que j’abandonnais le feu et son odeur, pour enfouir mon visage dans mes mains, frotter avec l’espoir que ce ne soit qu’un mauvais rêve. Enfermée dans une incapacité à parler, le regarder, ou faire autre chose que remuer les braises du feu pour y sorti les légumes avec un bout de bois. J’ai l’impression que ma tête va exploser alors que Mathie attend religieusement ma réaction, sans pouvoir déterminer si j’allais exploser, ou fuir. Puis Alphonse me reparle du village, de son envie d’y aller, je crois, et du fait charmant qu’il doit représenter.

- « Il est à mon image » soufflais-je lentement « Il n’a rien de charmant. »

J’avais besoin de lui rappeler que je n’étais pas ça, pas cette fille au regard qui s’illimune devant un regard ou un oursin. Non j’étais une femme pouvant tuer sans le regretter, une femme qui traquait la milice, qui se faisait culbuter pour manger en priant pour que ça s’arrête, qui se faisait battre par moment, qui acceptait des missions suicidaires, qui ne s’attachait plus, qui était égoïste, qui… j’étais un monstre, c’était tout et c’est tout ce que je voulais être. Alphonse avait fini par me fuir, pour chercher du bois et j’avais été incapable de le retenir. Toujours sans mouvement recroquevillé en partie, le souffle court et le cœur tambourinant, je ne me sentais pas en mesure de bouger, de le rejoindre. Je sentais ma gorge se nouer, m’étouffer, je sentais le dégoût poindre, celui que je ressentirais sans doute si je me regardais.
Alors tu vas le laisser partir ? m’interrogea Mathie

C’est cette simple phrase qui me fit me redresser, comme si je craignais qu’il n’ait pas juste choisi de s’éloigner pour du bois, mais pour me fuir. Arrivant dehors de cette manière incertaine, je m’immobilisais en découvrant sa silhouette, en percevant à peine ses murmures. Je m’étais approchée avec lenteur, non sans tousser pour lui signifier ma présence. À sa hauteur, je me surprenais à m’immobiliser, observer le lointain sans trop savoir par où commencer, quoi dire.

- « Qu’est-ce que veut dire… Inhibés et exacerbés ? » l’interrogeais-je sans le regarder

J’avais fini par me glisser devant lui, sans trouver mes mots, je le regardais, puis fuyait son regard, cherchait du courage puis n’en souhaitait plus. Alors, j’ai glissé une main dans la sienne encore, je l’ai tiré vers moi tout en reculant jusqu’à sentir sous mes pieds la froideur de l’eau, jusqu’à sentir le liquide au niveau de mes chevilles. Je prenais une inspiration, puis une autre, observant ma main dans la sienne, écartant doucement ses doigts pour aplatir la paume de sa main est venir déposer la mienne en son centre. La différence de taille était flagrante, la couleur de nos peaux un peu moins, je laissais mes doigts fuir jusqu’à l’extrémité des siens, avant de passer ma main sous la sienne, refermant un doigt après l’autre au fur à mesure de mes arguments.

- « Tu n’es pas malade, tu es fort. Parce qu’il faut être fort pour survivre à ce type de crise. » je repliais d’abord son pouce « Tu n’es pas inutile, personne ne peut être inutile, on a tous une place quelque part. » un autre doigt « Tu n’es pas faible, tu as fait fuir deux pirates » encore un autre « Tu n’es plus un vagabond… tu es un banni, un survivant » puis repliant son petit doigt avant de déposer une main au-dessus de la sienne et l’autre en dessous « Je ne t’ai pas sauvé, on s’est sauvé mutuellement »

J’ai laissé mon regard remonter lentement de ses mains à ses yeux, laissant un instant mes prunelles avisaient les siennes. J’avais encore le goût du sang dans la bouche, tant je contractais ma mâchoire. Je dégageais mes mains des siennes, avant de pivoter pour lui tourner le dos, avisant simplement la lune ronde qui apportait de la lumière sur la mer et qui éclairait le lieu.

- « J’aime regarder la mer durant des heures » soufflais-je « Ça me fait sourire et ça me donne l’impression d’être moins seule… » je tournais très légèrement la tête « C’est trop dur… » fis-je en triturant mes doigts « De parler de moi » ajoutais-je « Tu risques de l’utiliser Alphonse, tu risques de… » pouvais-je avoir encore aussi mal qu’avant ? « Tu… Et…. » je repartais dans mes dérives « Il n’y a rien de plus à voir que la bannie. » Concluais-je comme si ce simple mot pouvait établir un mur invisible entre lui et moi « Je suis une meurtrière quand il le faut, une catin par choix ou par obligation… Une insensible part nécessitée. Une solitaire pour survivre un peu plus longtemps »

Et je me détestais pour tout ça… Et puis, je sentais mes joues rougir. Je sentais mon cœur battre, alors, je me retournais une nouvelle fois vers lui.

- « Je ne tiens pas l’alcool et je te déteste » rajoutais-je comme si les deux allaient de pair « Je te déteste quand tu me regardes comme ça » fis-je en relevant brièvement le menton vers lui « Quand tu veux passer ce que je montre, quand tu ne regardes pas le renard pour complimenter, quand tu me dis que… » j’ai de beaux yeux, que je sens bon ou qu’est-ce que j’en sais… « ça me terrifie, ça me terrifie que tu puisses y arriver, que je sois faible encore une fois. Et puis tu fais chier voilà, tu fais chier tout le temps ! »

J’aurais voulu fuir, d’ailleurs j’ai reculé d’un pas, si bien que j’ai senti l’eau passer le bas de mon pantalon, me faisant frissonner, me ramenant dans une réalité ou je n’aurais jamais évoqué la moitié de tout ça sans la bouteille de vin qu’il m’avait incitée à boire –plus ou moins-. Et puis, j’abandonnais, juste pour un temps, comme si cela était inutile, comme si, j’en sais rien.

- « J’aime danser et chanter, ou j’aimais je ne sais plus trop » avouais-je en le fuyant définitivement des yeux « J’aime crier une fois que je suis sous l’eau... Je.. »

C’était tellement facile de laisser les rumeurs courir à mon sujet, tellement facile de confirmer aux yeux du monde que j’étais un monstre, une meurtrière une sans cœur. Mais lui, me quitterait-il si je lui disais, me laisserait-il en arrière si j’évoquais ce que j’avais subi, pour qu’il ne reste que cette femme que je suis aujourd’hui.

- « Et j’ai envie de te faire tomber dans l’eau » fis-je brusquement, avant de le réaliser.

Comme pour échapper aux restes, comme par crainte de le voir s’envoler, comme par besoin d’évacuer, j’avais attrapé sa main pour essayer de le faire tomber dans l’eau, pour l’éclabousser, pour sentir la fraîcheur de la mer sur ma peau, pour me remettre les idées en place, pour essayer de le noyer sans vraiment le faire, pour m’éloigner en nageant un peu, pour agripper les algues que je sentais sous mes pieds et pour lui lancer, comme pour oublier que j’étais ce monstre que tout le monde pensait et non plus juste Isaure… Parce que demain serait sans doute complètement différent, que le village serait là. Reprenant mon souffle dû à nos mouvements, dû aux siens, dû à cette proximité que ce type de jeu entraîne alors que là où je me trouve je n’ai plus vraiment pied, alors que nos vêtements sont de nouveau trempés, que mes cheveux collent à mon visage, que la lune vient se refléter dans ses yeux et que plus que jamais je vois ce reflet de la nuit. Puis des hurlements ce font entendre au loin, sans doute nos deux marins entièrement nus qui s’amusent à chat avec des créatures qui eux ne pensent qu’à une chose : les transformer. Je m’en fichais, jusqu’à me moquer des ombres au niveau de la grotte, sans doute des fangeux attirés par nos bruits, mais qui ne viendraient pas jusqu’ici, ou peut-être juste l’ombre des arbres.

- « Ils ne viendront pas » soufflais-je finalement en lui montrant plus loin, les silhouettes des créatures qui s’éloignaient « L’eau, de mer, j’entends… Anür nous protège ici. Mais il va falloir attendre un peu avant de regagner notre abri. » puis je mordillais la lèvre avant d’ajouter en me rapprochant « Je retiens Alphonse, que tu m’as incité à boire » murmurais-je comme une conclusion qui ne sonnait pas comme un reproche « Demain on rentrera au village et tu auras mieux à faire que chercher à me connaître. »

Allais-je garder un œil sur lui ? Sans doute. L’eau était froide, ma peau était brûlante, n’avais-je sans doute pas communiqué sur ce qu’il souhaitait, non, mais cela ne m’importait peu.

- « Tu parlais de noirceur Alphonse… Tu n’as pas la même que moi et je te souhaite de ne jamais l’avoir. Ta nuit à toi est belle… Ne deviens pas vengeur, n’attaque pas plus gros que toi… Parce que ce qui m’émerveille le plus » c’est toi ? Ton humanité « C’est tout ce qu’on est capable de faire pour survivre et comme les créations des Trois s’adaptent… On peut voir un cerf, un renard, un écureuil, des petits… On peut… » je ferme les yeux « N’arrête jamais de t’émerveiller et de me faire chier et ne cherche pas à avoir ma noirceur…. Je ne suis plus capable de grand-chose vis-à-vis de l’humain, je ne veux plus… Plus jamais. Peu importe. »

Je l’éclaboussais une nouvelle fois, comme pour détourner l’attention, comme pour achever une conversation que je ne finirais pas. Je commençais à avoir froid et je sentais parfois mes pieds effleurer les siens dans les mouvements qui nous maintenaient à la surface. Signe que nous étions trop proches, ou pas, ou je ne sais pas… Alors je m’approchais de la plage de nouveau, secouant mes cheveux une fois sur celle-ci pour tenter de l’éclabousser encore, glissant une main sur le nouveau bandage et grimaçant avec force.

- « Allons manger et dormir un peu… Demain c’est la plus grande aventure de ta vie qui t’attend »

Tu t’es attaché n’est-ce pas ?
Ta gueule Mathie, ta gueule.

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Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptySam 19 Sep 2020 - 8:12
- « Celle d’une meurtrière, évidemment. » Évidemment que non. Sa personnalité n'était pas aussi horrible et terrible que ce qu'elle laissait entendre ou prétendait. Isaure croyait-elle réellement être ce genre de monstre ? Se percevait-elle vraiment comme une meurtrière ? J'avais l'intime conviction que oui. De fait, je pouvais sentir qu'elle se blessait en proférant ces genres de mots violents à son égard. Même si elle faisait occasionnellement preuve de dérision, le sujet était trop impactant et important pour que ça ne soit que des propos creux et vide de sens. Dès lors, c'était la preuve qu'elle avait une bien piètre vision de sa personne...

-"Je ne suis pas d'accord." Formulais-je lentement, comme si je marchais sur des charbons ardents. Non, je ne l'étais pas. Je ne la percevais pas comme une assassine et je n'avais aucune preuve qu'elle l'avait déjà été. Oui, lors de notre rencontre, j'avais été dupé et mystifié, ne voyant que ce qu'elle me montrait. En l'occurrence, sa marque, ses scarifications et son corps. Je n'avais pas vu plus loin que ça, ne percevant aucunement la personne qu'elle était derrière l'image de la bannie qu'elle personnifiait telle une actrice. J'avais été dupé par ce rôle qu'elle dressait entre elle et les autres pour se soustraire à tout regard et inspection. Ainsi, oui, j'avais hésité entre le titre de sauveuse et de tueuse. Mais cette ambivalence et indécision était révolue. Comme ma partenaire d'infortune me l'avait signalé, j'avais été aveugle à la réalité et j'avais fini par l'admettre. Désormais, je ne m'aveuglais plus. Du moins, pas sur sa personne. " Tu peux penser ce que tu veux, mon opinion sur toi n'est aucunement négative." Disais-je en penchant la tête sur le côté et en parlant avec conviction ?

Oui, elle avait tué. Mais à chaque fois, cela avait été de la légitime défense. Jamais elle n'avait laissé une quelconque pulsion la guider. Jamais elle n'avait attaqué un innocent, le tuant de sang-froid. Pour moi, là était toute la différence. Pour moi, elle était une survivante et non une meurtrière. Pour moi, elle était Isaure. "J'ai encore la liberté de pouvoir choisir comment je te vois." Murmurais-je. Toutefois, étais-je en mesure de lui dire spécifiquement comment je la percevais ? Pas le moins du monde, tandis que j'étais indécis, interdit et que j'avais l'esprit embrumé. Or, une chose était certaine; " Tu n'es pas ce que tu crois être, Isaure." Elle était bien mieux...

Une question en amenant une autre, je commençais à faire entendre ma curiosité à son égard. Par le passé, mon intérêt pour elle avait été jusqu'alors silencieux, tandis que je la regardais et l'observais régulièrement sans proférer la moindre interrogation. Toutefois, l'alcool aidant, je ne pus plus longtemps m'empêcher de l'interroger. Je voulais voir plus loin que ce que j'avais déjà aperçu. Je voulais en connaître plus que le peu qu'elle montrait bien souvent par inadvertance. Ainsi je la questionnais sur elle. Non pas sur la bannie ou la survivante, ni sur son passé ou sur son avenir, mais simplement sur la jeune femme qui se trouvait devant moi. Possiblement que ma façon de procéder était idiote et maladroite. De fait, en s'ouvrant un peu à moi, Isaure avait créé une brèche dans sa carapace. Brèche dans laquelle je m'engouffrais sans réfléchir dans ma quête de réponse. Ce faisant, je n'avais pas réfléchi au fait qu'elle pouvait se refermer excessivement rapidement si je me faisais trop insistant et que je la déstabilisais avec trop de force.

Ce qui allait arriver incessamment sous peu.

À ma défense, j'étais encore victime d'un grand désarroi après l'avoir complimenté sans réfléchir. Dès lors, je ne pensais plus clair, obnubilé par ma précédente erreur qui me couvrait d'embarras. De fait, cela avait bel et bien une erreur de la complimenter. En la fuyant, j'avais vu ses yeux s'agrandirent, puis me fuir. J'avais aperçu sa bouche s'ouvrir sans pourtant proférer le moindre murmure. J'avais senti qu'elle se refermait et se recroquevillait sur elle-même. Ainsi, la fuite était la seule solution qu'il m'était resté. Gêné, j'avais aussi le goût amer de la défaite qui m'étreignait, lui qui prenait racine dans ce silence d'outre-tombe qu'elle m'avait offert en guise de réponse.

Toujours est-il qu'Isaure me réserva le même silence suite à l'interrogatoire en règle que je proférais. Elle ne répondait pas à mes questions et ne semblait aucunement pressée de le faire. Je l'avais complimenté et elle était restée silencieuse, preuve à la fois de mon échec et de mon erreur. Je venais de la questionner et je me retrouvais de nouveau face à son mutisme. C'était encore une fois l'attestation de ma bévue. "Désolé. Je ne voulais pas..." je ne voulais pas quoi ? La brusquer ou démontrer mon intérêt ? La voyant déglutir, réfugier son visage derrière ses mains, je serrais mes doigts pour former des poings. J'étais amère. Pourquoi ? Pourquoi cela m'impactait ?

C'est à ce moment que je réalisais que ses silences étaient pour moi plus terribles que ses insultes.

Secouant la tête de gauche à droite excessivement rapidement pour tenter de sortir de ma torpeur qui semblait me mener d'erreur en erreur, je cherchais un nouveau sujet sur lequel rebondir pour éloigner les affres du silence. Pour le coup, j'aurais donné cher pour entendre de nouveau sa voix plutôt que de la voir s'enfermer dans sa morosité. C'est ainsi que je me mis à parler du village des bannis et de ma future venue en ce lieu. Oui, voilà. Parler de mon avenir plutôt que de parler d'elle. Continuer à proférer des propos creux et vides d'intérêts pour combler et meubler ces temps d'arrêt dans la conversation. Discourir sans discontinuer plutôt que de pouvoir l'écouter, elle qui restait résolument fermée à toute approche.

Or, même sur ce sujet qui me semblait anodin, Isaure me surprit. Le village n'aurait rien de charmant. Il serait à son image ? Je secouais la tête devant cette idée déraisonnable. "Si le village est à ton image, il est par..." Je m'arrêtais. Qu'étais-je en train de proférer encore ? Un énième compliment ? Un autre commentaire doucereux ? Bon sang, j'étais stupide ! Que se passait-il ? Ne réalisais-je pas que ce genre de mots ne créaient que le désarroi chez ma partenaire ? N'avais-je pas encore compris à quel point ceux-ci étaient mal reçus et mal perçus, tandis qu'elle faisait continuellement silence après ces derniers ? Me relevant rapidement, je vacillais, autant dans mes convictions que sur mes jambes. Je pris la fuite, encore. Or, cette fois-ci, je devais m'éclipser plus loin que de l'autre côté du feu. L'extérieur de la grotte fut l'endroit tout trouvé pour ça.

Seul et dehors, respirant et gorgeant mes poumons d'air, je me calmais en regardant la mer devant moi. La lumière de l'astre solaire avait décliné pour ne devenir plus qu'une faible lueur à l'horizon. Ses derniers rayons mordorés et rougeoyants transformaient les flots en une mer de feu. Or, aussi envoûtant que pût être le spectacle, celui-ci finit par se terminer, périclitant et laissant place au crépuscule. Fermant les yeux, je me laissais réchauffer par les derniers rayons de ce soleil qui disparaissait pour de bon. Ainsi, silencieux, j'attendis patiemment qu'il laisse sa place à la lune et à la noirceur de la nuit, elle qui était plus conciliable avec mes doutes et incompréhensions de l'heure. Dès lors, je ne rouvris les yeux qu'à partir du moment que l'astre solaire ait disparu.

Dans la noirceur des instants précédents le jour, je commençai, bien stupidement, à me parler. Amère, je ne pus m'empêcher de soupirer. À l'heure actuelle, parler à Isaure ou me parler à moi-même revenait sensiblement au même. Ni l'un ni l'autre ne me répondait. Mais surtout; ni l'un ni l'autre ne semblait être en mesure de me comprendre. Décidément, en cette nuit, l'ivresse ne me réussissait guère...

Je fus sorti de ma morne contemplation par nul autre que la bannie qui avait suivi ma fuite. Sursautant, lui glissant un regard, un sourire déraisonnable étirant mes lèvres, je ne pus m'empêcher de me demander si elle venait m'achever d'une quelconque répartie virulente. En quelque sorte, ce fut le cas. De fait, sa question me porta a la réflexion et me posa problème. Comment répondre à ça, hein ?

Relevant les yeux vers la voûte céleste, me drapant à mon tour dans les non-dits et dans un faux apparat de réflexion, j'attendais. Quoi ? Je ne savais guère. Qu'elle passe à autre chose ? Que je trouve un autre sujet de conversation ? Que la réponse tombe du ciel ? Toujours est-il que rien ne vint. Ainsi, j'ouvris la bouche, lui donnant une réponse. J'avais détesté ce morne mutisme qui s'était allongé dans la grotte. J'avais exécré ce silence qu'elle m'avait offert et qui m'avait fait renouer avec cette forme de solitude l'espace d'un instant. Dès lors, je serais faible de réactualiser pareil stratagème pour éviter une question et m'évader de sa curiosité. " Je me parlais à moi-même." Commençais-je, quelque peu obstiné et buté, comme pour me dédouaner de mes pensées. Mais, ayant déjà accepter de perdre, je lui révélais la teneur des mots, les tenants et aboutissants de mes dires. De là, elle comprendrait bien ce qu'elle voudrait...

-" Inhibés peut vouloir dire qu'un certain comportement à tendance à disparaître à cause de quelque chose." Levant un doigt, je lui donnais un exemple, la regardant du coin de l'œil en la prenant directement pour cible. " Par exemple, l'alcool inhibe les sens. Les émousses, fait baisser la garde et entrevoir la réelle personne cachée derrière le masque de paraître." Laissant planer entre nous durant quelques instants mes paroles, écoutant d'une oreille distraite le bruit intempestif et répétitif des vagues sur la grève, je continuais. "Exacerber serait le contraire. Cela voudrait dire que ça renforce un comportement, un sentiment ou une pensée. Ça rend quelque chose plus intense." Voilà. Je n'en dirais pas plus. Je ne la regardais plus. Comme Isaure, je fixais le large et attendait sa sentence, la suite. Je me sentais perdu et hésitant sans comprendre d'où ce sentiment venait. C'était déchirant et enrageant. C'était stupide, mais incompréhensible.

Puis, la bannie bougea, se plaçant devant moi. La regardant -enfin-, l'observant sous l'éclat blafard de la lune, j'ouvris la bouche avant de la refermer. La lumière de l'astre se réverbérait dans les iris de ma vis-à-vis, noyant pour un temps cette part de noirceur qui agitait ses prunelles. Je me laissais prendre la main. Je me laissais guider et tirer vers elle, alors que le temps s'étirait. Bien que muet, mes yeux virevoltaient ici et là, descendant finalement le long de sa silhouette pour se focaliser sur ses doigts. Alors qu'elle n'aimait pas les contacts avec autrui, voilà qu'elle s'agrippait à moi. Que devais-je comprendre ? Était-ce un effort ? Était-ce une preuve de confiance ? Je ne pus réfléchir plus longtemps à la question, concentré sur la suite de ses agissements.

Alors que nous rentrions dans l'eau, je ne disais rien et ne cherchais pas à m'enfuir. Suspendant notre avance lorsque le liquide arriva à nos chevilles, je la laissais guider, ne sachant pas trop ce qu'elle faisait et jusqu'où elle nous menait. Finalement, Isaure écarta mes doigts, plaçant les siens au centre de ma paume. Ses mains étaient petites, quasiment frêles, bien que marquées par une vie d'errance. "Ce n'est pas des mains de tueuse." Arguais-je sans même m'en rendre compte. Puis elle se mit à parler et moi je l'écoutais. Je fus frappé par ses mots, elle qui réagissait à la façon dont je m'étais décrit. L'air quitta mes poumons. J'ouvris ma bouche de stupeur, ne m'attendant aucunement à ce genre de propos, voyant mes doigts s'affaisser et tomber un à un tandis qu'elle détruisait les critiques que je m'étais infligées. Avant que je n'aie eu la chance de parler, ou de ne placer ne serait-ce qu'un traître mot, Isaure poursuivi, continuant de me surprendre encore et encore. Nos regards se croisèrent, avant qu'elle ne me lâche et se détourne. Or, même sans son contact, j'étais encore sous son emprise tandis que ses mots me touchaient plus que de raison.

Puis, Isaure se livra, parlant de ce qu'elle aimait. Le silence qu'elle avait laissé planer dans la grotte n'existait plus, remplacé par le doux murmure de sa voix, là, au milieu des flots. Mon amertume venait de disparaître, remplacée par une envie d'en apprendre plus. Or, aussi vite qu'elle s'était ouverte, la bannie se referma, mentionnant que c'était trop difficile, que je finirais par l'utiliser contre elle. Secouant la tête, je fis un pas vers elle, m'enfonçant un peu plus profondément dans les vagues. Hésitant, je finis tout de même par poser la main sur son épaule pour la retourner. Doucement et lentement, sans le moindre geste brusque, j'attrapais à mon tour ses mains. Je pris la parole d'une voix enrouée, sachant pertinemment que cela n'était pas à cause de l'alcool. "Lorsque tu te regardes, tu sembles aveugle, Isaure."

Ses mains entre les miennes, je pris la décision de faire comme elle. Toutefois, au lieu de descendre un à un ses doigts à chaque énoncé, je les relevais. "Tu n'es pas une meurtrière. Tu es ma sauveuse." Le pouce fut le premier à s'ériger, droit et fier. " Tu n'es pas une bannie. Tu es une survivante." L'index le suivit dans sa course ascendante. "Tu n'es pas un monstre. Tu n'es pas non plus une catin" le majeur fut ainsi le suivant. "Tu n'es pas une gueuse. Tu es une femme." L'annulaire fut dès lors l'avant-dernier. Puis, enfin, hésitant, je relevais son auriculaire et proférais la dernière réalité. "Tu n'es pas seule. Tu n'es plus seule..." Relâchant ainsi ses doigts, mes bras tombèrent, redevenant inertes le long de mon corps. Le reflet de la lune dans l'eau nous éclairait, faisant scintiller les flots de mille lueurs d'argent. "C'est comme ça que moi je te vois, Isaure." J'espérais ne pas être allé trop loin tout comme je désirais la voir avoir une meilleure opinion d'elle-même.

M'approchant d'elle, me plaçant à ses côtés, tout en fixant son visage plutôt que le rivage, je poursuivis. "Je n'utiliserais rien contre toi, Isaure. Je ne te trahirais pas." J'y croyais dur comme fer. Puis, plus doucement. "Je ne sais pas ce que tu as traversé, mais ça a semblé difficile. Horrible même." J'avais pertinemment compris que ses doutes et indécisions envers ma personne provenaient de son passé. Embarrassé, je me passais une main sur la nuque et répondis plus rapidement, alors qu'une décision venait de germer dans mon esprit. " J'attendrais." Soufflant, fermant les yeux durant un instant, je repris en hochant la tête avec force. " Prends le temps qu'il te faudra pour me faire confiance. Après tout, ce n'est pas une course, non ?" Continuais-je. "Si aujourd'hui c'est trop dur, peut-être que demain cela le sera moins ? Et si ce n'est pas le cas, et bien j'attendais encore ! Un jour ou l'autre, finalement, j'aurais enfin la chance de découvrir qui se cache derrière la bannie." Arguais-je avec conviction et n'affichant pas le moindre doute. Puis; "Parce que si je suis bien convaincu d'une chose, Isaure, c'est qu'il y a beaucoup plus à voir de toi que ce que tu montres réellement." Finissant par relever les yeux vers la voûte céleste, souriant à la mesure de mes paroles, je me fis la promesse d'arriver un jour ou l'autre à percer les mystères dans lesquelles ma vis-à-vis se camouflait.

Conservant mon sourire et m'éloignant quelque peu du sérieux de la conversation, je me permis de répéter approximativement la même chose qu'elle. "Je tenais l'alcool et je ne te déteste pas." Puis, m'esclaffant, tandis que je lui jetais un coup d'œil. "Quand je te regarde comment ? Je ne comprends pas !" je cachais mes yeux derrière ma main gauche. "Est-ce mieux comme ça ?" Demandais-je en ouvrant mes doigts pour pouvoir l'observer et voir sa réaction. Laissant retomber ma main, j'haussais les épaules. "À mes yeux, cette honnêteté est une force plutôt qu'une faiblesse. J'aime bien la voir chez toi." Puis, réalisant mes propos, rougissant -encore-, je levais les mains pour me préserver. "Mais j'ai compris, hein ! Plus de compliment !" C'était ce qu'elle voulait, non ? Ses silences dans la caverne m'avaient laissé ce sentiment. En outre, les paroles qu'elle venait de proférer allaient dans ce sens. Lorsqu'Isaure me mentionna que je faisais chier, je secouais la tête en riant. "Je fais maintenant chier tout le temps, hein ? Décidément, j'ai bien évolué depuis hier !" Ne le prenant aucunement comme une critique, mais plutôt comme une sorte d'éloge et une preuve d'affection minime, je souriais à pleine dent.

Puis, comme depuis le début de la soirée, ma sauveuse me surprit de nouveau, s'ouvrant enfin, me parlant de ce qu'elle aimait, de ce qui la faisait vibrer. En l'occurrence, la mer, la danse et le chant. Je fus attendri par ces éléments qui étaient si loin de l'image bornés et butés de la bannie qu'elle dressait à tort et à travers. Or, je fus aussi peiné, lorsqu'Isaure mentionna qu'elle ne savait plus. Comme si ces éléments de son passé étaient révolus, n'ayant plus leur place dans sa vie de douleur et d'effroi. "Pourquoi ne te donnes-tu plus le droit d'apprécier ces choses ?" Murmurais-je excessivement bas, me questionnant moi-même plutôt qu'elle directement. Enfin, avant que je n'aie la chance de dire plus quoi que ce soit, je fus vilement attaqué.

Me laissant tomber en crevant les flots, riant de la perfidie de mon "opposante", je restais à moiti immergé en la foudroyant d'un regard non pas colérique mas plutôt égayé par le plaisir. Se rendait-elle compte que cet élan d'amusement n'était pas une faiblesse ? Que de parfois quitter sa carapace n'était pas néfaste ? " Quel affront ! Je n'ai malheureusement pas le choix... je vais devoir me venger !" Me relevant rapidement, je partais à l'attaque pour la faire tomber à mon tour. Profitant de ma taille et de mon élan pour la faire chuter, je la surplombais le sourire aux lèvres. "Échec et mat, Isaure." Puis, fronçant les sourcils, n'étant pas convaincu qu'elle connaissait les échecs, notamment leur règle je corrigeais. "Ça veut dire que j'ai gagné. Encore. Comme notre dernier jeu avec la recherche de nourriture !"

Évidemment, la bannie ne l'entendit pas de cette oreille, revenant m'affronter sans plus attendre. Que ce soit à la lutte, ou bien en s'envoyant aussi bien de l'eau que des algues, le combat perdura durant de longues minutes. Tels deux maîtres d'armes, nous nous tournions autour avant de nous rapprocher et de créer une drôle de proximité lorsque nous essayions de faire tomber l'autre dans les flots. Bien que j'étais concentré à triompher, je ne pouvais m'empêcher de ressentir cette promiscuité découlant de notre échauffourée. Or, je repoussais cet élément au plus profond de ma conscience, tentant de ne pas trop y penser pour ne pas être submergé par ce dernier ou par Isaure. La regardant directement dans les yeux, je voyais les perles salines dans ses cils qui scintillaient sous la lueur de la lune. Je sentais son souffle haché à cause de l'effort. Je percevais la lourdeur de mes vêtements et sa silhouette en dessous des siens, eux qui étaient plaqués contrent son corps. J'entendais le bruit des vagues, de notre affrontement et l'éclat de nos rires à cause de l'amusement. Je n'avais plus conscience de rien d'autre si ce n'est de mon opposante. Puis, soudain, la réalité me rattrapa, se rappelant à moi par l'écho d'un cri de peur et d'effroi.

Alors que notre lutte nous avait amenés à nous enfoncer toujours plus profondément dans la mer, je me retrouvais sur la pointe des pieds pour toucher le fond sablonneux. Par réflexe, j'avais tendu ma main vers Isaure pour la tirer vers le large qui se trouvait derrière moi. Pendant un instant, l'inquiétude avait percé mon regard, remplaçant mon amusement par la crainte. Mon désarroi fut battu en brèche par la confiance d'Isaure. Les monstres ne viendraient pas jusqu'à nous. "Je ne suis pas pressé de rentrer à notre abri." Avouais-je. De fait, j'avais confiance de la magie de l'instant. Généralement, ce genre de sentiment vous étreint par après, alors qu'on se rend compte que ce que l'on vient de vire est hors-norme, voir incroyable. Or, j'étais déjà habité par ce sentiment, tandis que je percevais que la Isaure de demain ne serait plus la jeune femme de ce soir. En un sens, j'aspirais à côtoyer celle dont je venais de faire la rencontre, là, en cette nuit où le calme avait précédé la tempête et où le vin avait délié les langues. Ivre et fatigué, je ne réfléchissais plus et ne réalisa pas ce que je disais. "Vous révérais-je ?" murmurais-je, véritablement inquiet de voir disparaître la personne qui me faisait face. Demain, est-ce que la bannie irascible serait de retour ?

Enfin, lui faisant confiance sans hésiter, continuant à l'écouter et en la regardant, je pris mon temps pour répondre à ses propos, sentant le dénouement de cet instant arriver. "Je retiens que tu t'es laissé faire, Isaure." Répondis-je à propos de l'idée que je l'avais "forcé" à boire. "Ne sois pas surprise si je reviens vers toi dès que j'aurais mis la main sur une bouteille d'alcool. Spiritueux ou tord-boyaux, ça n'aura aucune importance." Je présentais cela comme une promesse et j'avais l'intime conviction que je le ferais. Lorsqu'elle parla du village, que demain on serait arrivé, je me mis à secouer la tête, avant de plonger mes yeux dans les siens en souriant. "J'aurais mieux à faire ? penses-tu ?" Là, à l'instant, je ne pouvais imaginer tâche plus importante qu'apprendre à la connaître. Or, préférant minimiser cette conviction, je détournai cela sur un autre élément qui me semblait tout aussi prépondérant. "Maintenant que j'y pense, oui j'aurais mieux à faire." Pianotant mon menton, je laissais le silence s'éterniser durant quelques secondes avant de lui offrir un clin d'œil. "Une seule et unique chose; m'assurer que tu vois un guérisseur pour ta blessure." Sur ce point, je n'en démoderais pas.

Puis, la conversation revint s'arrimer autour de mes yeux. Du moins, c'est ce que je pensais avant que cette dernière ne vienne plutôt se focaliser sur la noirceur de l'âme et des affres de la vie. J'avais l'esprit embrouillé par Isaure et par le vin. Je n'étais pas certain de comprendre parfaitement et adéquatement ce qu'elle me disait. Toutefois, je tentais de lui répondre. "Je ne chercherais pas à être habité par la même rancœur que toi. Mais, qui a dit que c'était un chemin sans retour ?" Me passant une main dans ma chevelure humide, je poursuivis. "Qui te dit que tu ne pourrais pas retrouver confiance envers ton prochain ? Qui te dit que ton regard ne pourrait pas s'illuminer de nouveau, comme ce soir ?" Relevant les yeux vers le ciel, les fermant, je poursuivis. "Donc, non, Isaure. Je ne cesserais pas de m'émerveiller. Je ne cesserais pas non plus de te faire chier pour que tu t'émerveilles à ton tour." Je gagnerais ta confiance et je triompherais de tes souffrances, pensais-je sans réussir à le formuler.

Éclaboussé, comme pour me forcer au silence, je grognais sans réellement être aigre vis-à-vis du traitement que je venais de subir. Lorsqu'Isaure mentionna qu'il était l'heure d'aller manger et dormir, j'ouvris la bouche plus rapidement que je ne réfléchis. "Attends !" Disais-je en lui attrapant la main pour la retenir. Il faisait froid. La mer en ce mois d'octobre n'avait plus rien de chaleureux. Encore moins la nuit. Par ailleurs, le vent nous attaquait à son tour et nous étions mouillés. Pourtant, je lui demandais d'attendre. D'attendre quoi ? Me mordant la lèvre, réalisant que j'avais agis inconsciemment pour ne pas la voir disparaître, pour ne pas retrouver le silence de la grotte ou la Isaure de d'habitude, je la regardais du coin de l'œil et je lui offris un sourire penaud. "Je suis désolé, j'avais cru voir un mouvement sur la plage. " Mentis-je. La relâchant doucement, la laissant avancer, je regardais ma main, comme si elle était la fautive du geste que je venais de poser. "Ressaisis-toi, Alphonse." Grognais-je, m'admonestant pour ma stupidité et cette forme de mélancolie qui s'agrippait à mes tripes.

Toutefois, j'avais conscience de la réalité. La bannie avait mentionné que demain serais la plus grande aventure qui m'attendrait pour arriver au village des bannis. Je n'étais pas en désaccord avec elle. Toutefois, ce ne serait aucunement la plus belle aventure, tandis que j'avais l'impression d'avoir vécu cette dernière, là, à l'instant.

Regagnant le rivage et la terre ferme, je focalisais mon attention sur l'entrée de notre refuge plutôt que sur les agissements d'Isaure. Il était l'heure d'arrêter de la contempler et de me focaliser sur ce qui arrivait. En l'occurrence le repas, la nuit et le danger de nos déambulations et pérégrinations durant la journée de demain. Me retournant un instant vers elle, je la questionnais. "Somme-nous loin du..." du village des bannis. Or, je ne trouvais pas le courage de parler tout de suite et expressément de mes doutes et de mes indécisions concernant la journée à venir. Après tout, la nuit n'était pas encore terminée, non ? Dès lors, pourquoi s'inquiéter ou ce questionner pour des choses sur lesquelles je n'avais aucun contrôle ? "Rien, oublis mon interrogation. Allons plutôt manger. Je meurs de faim !" Hochant la tête, satisfait de me focaliser sur le présent plutôt que sur l'avenir, je lui offrit un sourire, tendant ma main vers la grotte. "Après vous, mademoiselle !"

La suivant ou ouvrant la marche si elle avait refusé de passer devant moi, je rentrais rapidement dans la caverne. Ici, la chaleur était doucereuse et ô combien apaisante. Je n'en avais pas eux conscience, mais je commençais à grelotter et claquer des dents. Je devais faire sécher mes vêtements. Commençant à déboutonner le devant de ma chemise, je suspendis mon geste, rivant mon regard sur Isaure. "Aaaah ! Je comprends maintenant pourquoi tu m'as amené dans l'eau." Commençais-je en faisant référence à la nécessité que j'avais désormais de me dévêtir. "Tu n'arrivais pas à accepter le fait que j'avais promis de ne plus jamais être complètement dénudé devant toi, hein ?" Évidemment, je plaisantais, hochant la tête avec un peu trop de force pour avoir l'air sérieux. "Mais je n'ai pas oublié tes moqueries, Isaure !" Me retournant, je me mis à enlever mes bottes, ma chemise puis mon pantalon avant de récupérer ma nouvelle cape et de l'enrouler autour de ma taille, comme un pagne. Fier de ma manœuvre, je me retournais. "Voilà !" En cette nuit et avec un feu, il faisait assez chaud pour ne pas avoir besoin de se coller pour partager une quelconque chaleur comme hier. C'était pour le mieux, non ?

Réalisant qu'elle devrait potentiellement et probablement faire de même, je perdis un peu de ma superbe, fronçant des sourcils et devenant ambivalent devant cet état de fait. M'ébrouant pour me secouer, j'haussais les épaules pour moi-même. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait, non ? Alors, pourquoi n'y pensais-je que maintenant ? Pour réfléchir à autre chose, je décidais de lui parler. Or, il fallait le reconnaître, c'était plus facile à dire qu'à faire. En effet, je devais faire attention à mes propos pour ne pas la voir se renfermer. Après tout, tout ce qui était trop personnel ou tourné vers le passé était à prohiber. Je devais donc réfléchir un peu pour ne pas faire d'erreur. Avisant un objet pouvant mettre utile, je souriais, attrapa la seconde bouteille de vin et prenant une rasade de ladite mixture. Oui, bon. J'avais dit que j'arrêterais avec l'alcool. Or, j'avais eu le temps d'oublier cette promesse que je m'étais faite en sortant de la grotte.

Proposant la bouteille à Isaure, je lui souris. "Tu en veux ?" Faisant tourner le liquide dans le contenant, je tentais de l'amadouer. "Allez, tu ne risques pas d'avoir la chance d'en déguster de nouveau de sitôt !" Je ne pensais pas me tromper en disant que cela devait être rare dans la vie d'une bannie. En outre, je me doutais pertinemment que même pour un habitant de Marbrume cela était compliqué à dégoter. Après tout, le Morguestanc et ses marais n'étaient guère propices à la culture des vignes. Du moins, si ce n'était au Labret. Toutefois, en ces temps plus que difficiles, le plateau et ses producteurs se concentraient logiquement sur les céréales plutôt qu'à l'élaboration de vin. Dès lors, c'était une chance à ne pas manquer, non ? Prenant une énième rasade, je repris la parole. "Mmh. C'est un excellent cru ! Encore meilleur que le premier !" Pour tout vous dire, ça pouvait être la même bouteille sans que je n'en est conscience. En outre, je ne goûtais plus rien, déjà trop impacté par l'enivrement. "Alors, Isaure. Tu te défiles ?" Peut-être que je me trompais, mais j'avais bon espoir de la voir réagir si je commençais à me moquer gentiment d'elle. Ainsi, Il ne me restait plus qu'à voir si elle tomberait dans mon piège.

Finalement, il fut l'heure de manger. Attrapant ma nouvelle dague, celle qui avait appartenu au pirate, je vins m'asseoir au plus près du feu pour récupérer de sa pointe un morceau de lapin. À cette distance, l'odeur de viande était tout simplement entêtante. Pour un vagabond plus habitué à manger des racines ou crever de faim, le banquet qui nous attendait était tout bonnement délectable. Fermant les yeux alors que j'avalais un morceau de viande, je soupirais de contentement. "Je pourrais rester ma vie durant dans cette grotte." Proférais-je. "La chaleur d'un foyer, la mer pour se prémunir de la fange et de la nourriture en quantité. Que faut-il de plus pour être heureux ?" En proférant ces dires, je me mentais à moi-même. Ce n'était pas le refuge en lui-même qui faisait la particularité de l'endroit. Ce n'était pas ce lieu que je voudrais voir survivre ou revivre, mais bien cette soirée spécifiquement. "N'es-tu pas d'accord ?" Insistais-je ?

Récupérant par la suite un légume, je le regardais en secouant la tête maintenant qu'un souvenir remontait à ma mémoire. Hier au soir, tandis que nous parlions de nos rêves et de nos aspirations, Isaure m'avait mentionné que l'une de ses envies avait été de faire un potager dans une cabane dans les arbres au milieu des marais. Or, cela avait été un échec à cause de la présence d'un autre vagabond. "Penses-tu un jour réessayer de faire pousser des légumes dans le marais ?" Lui demandais-je en lui montrant ledit aliment planté sur ma dague. "Je t'aiderais." Continuais-je, obstiné. Puis, m'enfermant dans ma réflexion, je fronçais des sourcils, quelque peu désenchanté. Hier au soir, nous parlions de nos désirs pour l'avenir. Pour ma part, j'avais mentionné l'impératif de trouver un foyer et Isaure m'avait parlé de légumes. La regardant, plissant les yeux pour la juger, je me fis hésitant. Était-ce réellement sa plus grande aspiration ? Maintenant qu'une journée complète s'était écoulée, que j'avais appris à connaître plus de facettes de sa personne et que l'ivresse m'assommait, j'avais beaucoup de mal à croire que ses envies se résumaient à quelques carottes. " N'as-tu réellement aucune autre aspiration, Isaure ? Aujourd'hui, en te connaissant un peu mieux, j'ai du mal à croire que tes rêves se résument à un potager." Avais-je tort de penser ainsi ? Puis soupirant, regardant les flammes consumer le bois et danser, je poursuivis plus faiblement. "J'ai l'impression qu'une éternité sépare cette nuit et la soirée d'hier." C'était loin d'être un mensonge. Il y avait eu tellement de péripéties, de problèmes, de prise de bec et de découverte que j'avais quasiment l'impression de connaître ma partenaire d'infortune depuis plusieurs mois. "Je ne sais pas si c'est bien ou mal, mais je suis content que notre rencontre ait évolué jusqu'à cet instant."

Puis, réalisant encore vers quoi je me dirigeais, je grognais et me relevais. "Je passe trop de temps à réfléchir. C'est à cause de l'alcool !" Retrouvant mon sourire, je poursuivis. "À quoi trinquons-nous ?" Je ne me souvenais plus si elle avait accepté de partager la seconde bouteille. Toujours est-il que j'estimais -peut-être à tort- que oui. "À notre chance ? À notre survie ? Au repas ? À notre soirée ? À notre rencontre ? À cette nuit ? À notre avenir ? " Riant et secouant la tête, éméché plus que de raison, je la laissais décider de la cause de cet émoi. Puis, ingurgitant une grande quantité de vin, je lui tendais à son tour la bouteille en essuyant du revers de mon bras mes lèvres. "À ton tour. Santé !"

Qu'elle ne la prenne ou non, qu'elle accepte ou refuse, je finis par déposer la bouteille dans ses mains. Croisant les bras, regardant de nouveau la flambée, alors que mes yeux étaient aspirés par cette dernière, je me mis à pouffer. " Je n'aurais jamais cru que tu aimais danser." Puis réalisant que mes propos pouvaient la mettre sur la défensive, je tentais de me corriger, levant une main en signe d'excuse. " Je ne me moque aucunement de toi. Je suis simplement surpris." Tentais-je. Puis, claquant des doigts. "Je sais !" Je lui tendis une main après l'avoir salué d'une révérence en tout point parfaite, malgré mon état d'ébriété. "Mademoiselle, m'accorderiez-vous cette danse ?" Le jeu du noble mondain m'amusait particulièrement en cet instant. Nous étions des miséreux. Nous étions dans une grotte. Nous étions devant un feu plutôt que face à l'âtre d'un foyer et je portais une cape de piètre qualité autour de la taille. Par ailleurs, nous étions des gens survivant au jour le jour et pourtant, l'espace d'un instant, j'avais l'impression d'être de retour dans une salle de bal.

Sachant pertinemment que cela ne serait guère de son goût, tandis qu'Isaure m'avait avoué ne pas aimer être touché et qu'elle ne savait plus trop si ce genre de passe-temps de lui plaisait toujours, je me redressais. "Tu peux respirer librement, je plaisantais." Disais-je. "De toute façon, je suis un piètre danseur." C'était complètement faux. Enfin, certes, je n'en avais plus l'habitude. Or, noble de robe et de cours, j'avais passé le plus clair de mon temps dans des soirées mondaines et des festivités nocturne. Après tout, je ne pouvais rien faire d'autre de ma peau, moi qui étais incapable de brandir une arme plus que quelques instants. Oui, bon. Mes partenaires étaient plus attirés par mon nom que par ma personne, mais j'avais eu la chance de développer une certaine qualité à titre de danseur. Toutefois, ça, Isaure n'avait pas besoin de le savoir, non ? Sur une autre note, je me doutais que cela pouvait devenir un sujet de moquerie plus que rapidement dans sa bouche.

-" Est-il l'heure de dormir ?" La questionnais-je en soupirant, une main sur le front et l'autre sur la hanche. Je ne voulais pas que la soirée se termine. Or, je n'étais pas stupide au point de ne pas voir son dénouement et sa fin arriver. " Comme on dit, demain sera un autre jour, non ?" Je n'avais pas proféré ces paroles sur un ton égal. Ma voix s'était faite hésitante, vacillante et tourmentée. Je ne voulais pas oublier cette soirée. Je ne voulais pas la laisser filer. Or, le temps s'égrenait lentement et sûrement et j'avais conscience que nous en arrivions à la fin sans pouvoir la retenir. De fait, je comprenais pertinemment que cette soirée n'était qu'un interlude dans une vie de fracas et de désarrois. Je savais que demain, plus rien ne serait pareil, identique ou égal. Le tumulte et le fracas de nos existences, de nos peurs et de nos doutes reviendraient nous happer sans discontinuer.

Ainsi, cette nuit était comme un rêve éveillé qui se transformerait en mirage, qui deviendrait chimère et qui finirait oublié.

...non ?
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Isaure HildegardeBannie
Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptySam 19 Sep 2020 - 13:35


- " Je me parlais à moi-même."
- « Je le fais souvent aussi » j’avisais Mathie « Enfin presque. »

Je n’étais pas faite pour ça. C’est ce que je me répétais longuement en m’approchant, en l’observant du coin de l’œil, en pinçant les lèvres. Pourtant, je n’avais pas pu me résoudre à le laisser seul dehors, à prendre le risque de le voir se volatiliser ainsi. Il me ramenait bien des années en arrière, même des mois en arrière, lorsque pour la première fois j’ai abandonné ma garde. Lance aussi avait cette manière de faire, de penser, d’analyser. J’ai fini par croiser les bras un instant, écoutant son explication vis-à-vis des mots que je ne comprenais pas avec cette envie de disparaître, de m’enfoncer dans le sable, de me faire ridiculement petite. J’étais sa cible préférée, sans savoir si cela été volontaire ou non. J’avais détourné les yeux lorsqu’il parlait d’un masque, comprenant bien en peine que le mien avait fini par être ‘’’’inhibé’’’’ par la manière dont Alphonse communiquait avec moi. Comprenais-je bien ? Je ne le regardais plus vraiment, sans oser l’interroger sur ma compréhension. Néanmoins, le deuxième mot me laissa plus perplexe, sans exemple complet, je ne parvenais pas bien à le comprendre.

- « Alors toi, tu ‘exacerber’ mon agacement, quand je te dis que tu fais chier, c’est ça ? »
Je préférais quand tu disais qu’il inhibait ta carapace.

J’ai fixé le large, sans vouloir m’avouer que moi aussi… J’appréciais ça autant que je détestais ça. La vérité c’est que j’étais terrifiée de lui offrir des armes et terriblement attirée par l’idée de le faire. Fixant le large, j’aurais voulu voir un signe ou un contre signe, pensant encore naïvement que les Dieux n’agissaient jamais sans raison. Ma peau était brûlante, ma blessure douloureuse et pourtant, j’avais froid. Je m’étais déplacée avec lenteur devant lui, longeant sa silhouette, attrapant ses mains pour nouer ce contact –ou le renouer, le vérifier-. Je m’étais mise à reculer, pour rejoindre la mer, jusqu’à m’immobiliser quand le liquide particulièrement froid était rencontré en contact avec ma cheville. Utilisant mes mains avec les siennes, j’assemblais les paumes, j’observais sans vraiment savoir ce que je recherchais. Encore cette idée de signe sans doute, j’avais senti mes yeux s’écarquiller lorsqu’il évoquait que mes mains n’étaient pas celles d’une tueuse.

- « Si tu savais, tu ne dirais pas ça… »

La phrase m’avait échappé, comme une réalité, une vérité douloureuse. Mes yeux avaient dû se détourner un instant, alors que mon souffle s’était fait plus complexe. Mathie elle-même s’était redressée sur la surprise, pensant sans doute que pour la première fois, j’irais plus loin dans les révélations. Fallait-il sans doute beaucoup plus de vin –et de bouteilles- pour que j’en vienne à oublier l’importance de taire certaines choses. Je m’étais concentrée sur cette idée première –qui n’était possible qu’à cause de ce même alcool-, j’expliquais alors l’ensemble des faits concrets que moi j’avais pu observer. Il était évidemment que je n’étais pas dans mon état normal, sans quoi, jamais je ne me serais aventurée dans ce terrain glissant, jamais je n’aurais cherché son regard, jamais je n’aurais pu supporter cette proximité et le réconfort de sa main sous la mienne. Je pensais pourtant chacune des paroles et c’est cette réalité qui m’avait fait me détourner pour observer le lointain. À quoi est-ce que je jouais ? À quoi est-ce qu’il jouait lui aussi ?

Là, en fixant le large, je réalisais à quel point j’appréciais regarder la mer et les vagues, à quel point cela me rappelait que j’étais seule et pas seule à fois, je l’évoquais afin de me rétracter, me dévoiler, c’était bien trop difficile pour moi. J’avais senti son approche et sa main sur mon épaule qui avait provoqué une légère crispation de mon corps, comme à chaque fois que j’étais touchée sans l’avoir prévue, anticipée ou réalisée moi-même. Pivotant vers lui, me retrouvant une nouvelle fois face à face, je ne pouvais que pencher la tête, mémoriser les traits de son visage, puis descendre ma vision jusqu’à ses mains dans les miennes, sur les miennes :

- "Lorsque tu te regardes, tu sembles aveugle, Isaure."
- « Alors ta vue est inhibée par l’alcool ou ta vision de moi-même »

J’étais persuadée qu’Alphonse s’accrochait au fait que j’étais une survivante, un avantage. Ou alors, j’avais besoin de me persuader que c’était ça. Qu’il n’agissait pas sans raison, qu’il n’était pas ainsi sans chercher une contrepartie. J’avais un peu mal à la tête, je ne parvenais plus à réfléchir convenablement, davantage encore lorsqu’il imitait mon précédent mouvement. J’observais mes doigts se relever, je percevais l’écho de sa voix et je réalisais pleinement à ce moment précis cette influence qu’il commençait à avoir sur moi. Alcool ou pas, je rentrais petit à petit ma tête dans mon épaule, détournant les yeux pour fixer le lointain, quitte à pivoter une nouvelle fois. Je glissais de nouveau dans le mutisme, étouffée par mes pensées, mais aussi par un nœud dans ma gorge. Pas le même que la peur, pas le même que lorsque j’étais en colère, un tout autre qui avait l’espace d’un instant fait vibrer très légèrement mes lèvres. Alphonse était néanmoins le pire être du monde, puisqu’au lieu de s’arrêter là, il crut bon de formuler à voix haute son besoin d’attendre, de m’attendre. Je l’avais dévisagé une fois de plus, terrifié, une fois de plus.

- « Il n’y a rien de beau à voir Alphonse » murmurais-je comme résignée « S’il te plaît… » murmurais-je si faiblement.

J’aurais pu le supplier, j’aurais pu hurler, mais je n’en faisais rien. Je ne voulais plus revivre ça, je ne voulais plus m’attacher et voir l’autre me poignarder ou devoir poignarder. Je voulais avancer seule, rien de plus, rien de moins. Mon souffle était court, mes yeux trahissant sans doute cette tristesse et ce désespoir si fort, ma gorge se serrait davantage, si bien que je m’étais sentie obligée de la masser du bout des doigts pour essayer de la libérer. En vain. Dans le fond, j’étais persuadée qu’il changerait rapidement d’avis, une fois dans le village, lorsqu’il me verrait m’éloigner, m’énerver, me faire trousser contre je ne sais quoi que je jugerais sur l’instant en me concentrant pour ne pas égorger celui qui se glissera entre mes cuisses. Oui, il suffisait que je lui montre ce que j’étais et il fuirait n’est-ce pas ?
Je ne crois pas. Il a l’air aussi têtu que toi.

Il avait ce don de tourner toute situation en dérision, de l’alléger, de ne rien prendre au sérieux. Si j’étais sincère dans mes propos, sa manière de détourner, de reprendre me fit sourire sans que je ne puisse à aucun moment lutter contre ce fait. Il tenait l’alcool donc et ne me détestait pas. J’allais ouvrir la bouche pour lui dire de se réveiller, de le faire, il devait le faire. Survivre ne permettait pas de s’attacher, mais au lieu de laisser sortir une vague de réalité trop dure, ce fut un simple souffle qui fuit mes lèvres alors qu’il plaçait sa main gauche sur ses yeux. Qu’est-ce que…Mes yeux s’étaient écarquillés et mon sourire s’était élargi trahissant cet amusement que je ne parvenais pas à retenir, ni camouflé.

- « Un peu » fis-je en haussant des épaules

Bien évidemment, comment souvent avec lui, de l’amusement je pensais à l’enfermement alors qu’il soulignait encore un fait qu’il appréciait d’après lui, chez moi. Mon honnêteté. D’une émotion à une autre, je me mettais à rire, contaminé par le sien alors qu’il évoquait avoir drastiquement progressé en ma compagnie, passant du chieur occasionnel à permanent.

- « Idiot… » soufflais-je en secouant la tête, mes yeux s’étirant sous mes sourires et ce regard que je lui laissais. Cela n’avait aucunement l’air d’une insulte, d’un reproche ou de quoi que ce soit de négatif dans ma bouche à cet instant.

Comme bien souvent entre nous, l’instant resta bref, alors que sans porté par cette… par… sa manière de se comporter avec moi, je laissais échapper le fait d’aimer chanter, danser et bien évidemment la mer. Je le regrettais immédiatement, d’autant plus, lorsque dans notre proximité je percevais sa question. Pourquoi est-ce que je ne m’autorisais plus ce type de choses ? Mes yeux s’étaient fermés, repensant aux instants que j’avais partagés avec Mathie. Parce qu’elle n’était plus là ? Parce que dehors on ne dansait pas, on ne chantait pas, parce qu’on m’avait privée de tout ça si longtemps pour ensuite me lâcher dans les marais dans l’objectif de me voir me faire bouffer ?

- « Parce que je n’ai plus personne pour les partager » mon murmure avait été aussi bas que le sien, ma phrase m’avait surprise alors que je bafouillais pour me rattraper « Il meurt tous forcément » m’agrippais-je à cette branche « Si tu chantes dehors la fange, les brigands, les pirates ou je ne sais pas qui arrive, il n’y a pas de musique et puis il n’y a plus le temps pour ce type de chose. »

C’est dans cette idée de fuite de la conversation que j’avais fini par évoquer que j’allais le faire tomber dans l’eau, pour ensuite mettre ma menace à exécution –bien que je sois convaincue qu’il s’était laissé faire volontairement-. Je ne m’attendais cependant pas à ce que Alphonse m’enlace pour me faire tomber, si bien qu’il avait fini par me surplomber, me faisant m’écraser dans l’eau dans un rire que je ne me connaissais plus. Celui que j’avais lorsque Mathie me jetait le linge, lorsqu’elle réfléchissait à voix haute pour donner un sens sur ce qui n’en avait pas. Je m’étais surprise à me débattre, non pas dans cette idée de fuir, mais de m’amuser, de jouer, je me surprenais apprécier cette proximité, à apprécier sa voix, son regard, son… Puis, je réalisais et je prenais peur et devais sans doute diminuer mon entrain vis-à-vis de nos échanges. Lui aussi m’annonçant que j’étais échec et mat, puis m’expliquant la signification, je grimaçais, avant de souffler :

- « Ça veut juste dire que tu es un tricheur, monsieur » tentant de le repousser sans y mettre la moindre force j’ajoutais « Et je sais… enfin.. Les échecs… Je connais. Je ne sais pas jouer hein… Mais je connais.»

Préférant mettre de côté cet état de fait, j’étais revenue à l’attaque. Luttant autant que possible, malgré la fatigue, malgré la douleur, malgré le poids des vêtements. J’aimais, je crois, ce que je voyais, sans l’admettre réellement, j’aimais son rire, son visage, sa pâleur, l’éclairage de la lune sur sa silhouette, son reflet, sa manière d’utiliser des mots compliqués, le regard qu’il… je le détestais. Je le détestais quand il m’avisait, quand il pensait remporter la partie, quand il me complimentait, quand il restait si… si… trop tout alors que la vie ne l’avait pas épargné, qu’un connard avait condamné sa famille que… qu’il était obligé de se retrouver au village sans la moindre marque sur les bras. Je le détestais voilà. Ce n’était que ça, juste ça, rien que ça.. Même quand ses doigts effleuraient ma peau à travers le tissu, même quand je m’approchais pour retirer une algue de sa chevelure même quand…

Un léger sifflement s’était mis en place au fur à mesure de mes respirations, la fatigue avait fini par m’engourdir légèrement. C’est notre rapprochement qui clôtura l’instant, celui où j’ai senti sa main dans la sienne pour m’entraîner au large à cause des cris, celui où il m’expliquait malgré la couleur bleutée de ses lèvres ne pas avoir envie de rentrer dans notre abri. Sans mouvement, le froid reprenait ses droits, sans mouvement la fatigue aussi, sans mouvement, j’étais obligée de réfléchir, de le détailler, de l’observer, de sombrer. Il était proche, trop proche, où était-ce moi ?

- "Vous révérais-je ?"
- « Aucunement… cela ne serait pas prudent » murmurais-je en guise de réponse, cherchant son regard « Peut-être » concluais-je « Ou pas » terminais-je définitivement

Une nouvelle fois, le sérieux avait laissé place à l’amusement alors qu’il évoquait que je m’étais laissé faire, je l’éclaboussais. «Jamais », je riais lorsqu’il prétendait vouloir me ramener d’autre alcool vin, peu importe, « Donc tu veux passer ton temps à me faire boire ? » je l’éclaboussais encore « Si tu arrives à chiper une bouteille, je te promets d’y penser, mais je sais que ça n’arrive pas » piquais-je dans le but d’uniquement le provoquer. La suite, une nouvelle fois… Alphonse. Il insistait pour que je puisse voir un guérisseur et je repoussais l’idée d’un roulement des yeux et d’un soupir bruyant voir enfantin. Même pas dans ses rêves. Je n’étais pas mourante après tout, il s’inquiétait inutilement.

- « Ma parole tu es aussi têtu qu’un âne » ronchonnais-je en faisant des gros yeux « Je n’irais pas, un point c’est tout, et je ne te vois pas m’y accompagner de force, mh, tu ne vas pas m’assommer. Tu n’auras cas surveillé toi-même l’évolution, voilà, content de cette contre-proposition ?! »

La suite.. La suite c’était fait dans mon silence, alors qu’il me forçait au recul en réaffirmant ce besoin de me faire croire aux autres –ou en lui ?-, la noirceur que j’avais été évoquée fut repoussé et je m’étais surprise à froncer les sourcils à plusieurs reprises, me pincer les lèvres, voir détourner les yeux de lui. Plus têtue qu’un âne, je n’avais vraiment pas tort. J’aurais voulu lui hurler de cesser de faire ça, de ne pas faire de moi un objectif imprenable, de ne pas se concentrer sur moi, d’arrêter d’agir ainsi et de laisser tomber, mais rien ne s’était échappé de ma bouche. Finalement, j’étais convaincue qu’une fois au village, il aurait mieux à faire et des personnes plus intéressants et intéressantEs que moi. C’était une obligation, comment pouvait-il en être autrement, j’étais juste Isaure après tout. Beaucoup s’imaginait bien des horreurs vis-à-vis des raisons de mon bannissement, croirait-il sans le moindre doute l’une d’entre elles.
C’est ce que tu voudrais vraiment ?

Je roulais des épaules en guise de réponse avant de m’échapper de l’eau et de sentir presque immédiatement la fraîcheur de l’ensemble. Le petit vent, le sable, le liquide sur ma peau et mes vêtements. Je retenais un frisson alors que la main d’Alphonse avait fini par me retenir. Aucune gêne, aucun dégoût, aucune agressivité, c’était comme si en peu de temps il était parvenu à rendre ce geste banal. Ne comprenant pas, j’avais pivoté vers lui, me rapprochant sans relâcher son emprise sur ma paume ou la mienne sur la sienne. J’attendais une réponse en le détaillant, sans succès. Lorsqu’il évoqua enfin une présence sur la plage, j’opinais, vérifiant bien évidemment, aucun risque n’était à prendre.

- « Non, c’est bon, je ne vois rien, mais on reste prudent, d’accord ? »

De nouveau entièrement sur la plage, le froid en guise de nouvelle compagnie, je m’immobilisais encore alors qu’il se retournait vers moi pour poser une question sans la terminer, avant d’y renoncer. Secouant doucement la tête, je refusais cette fois de faire semblant de ne pas avoir compris. À mon tour, je le retenais de la même manière qu’il avait pu faire dans l’eau, attrapant sa main pour le tirer jusqu’à moi. Dans cette proximité, il y eut ce moment de silence, ou je l’avisais simplement en sentant ce coup de chaleur provoqué par le vin –par quoi d’autre sinon ?-, je m’étais mordillée avec force les lèvres, si bien qu’une perle rouge s’écoula d’un craquement de la peau de ma bouche.

- « Attends… » j’hésitais entre faire semblant pour sa question, y répondre ou prétendre avoir vu moi aussi quelque chose « Le village n’est plus loin, on y sera vite. » je l’avisais un nouvel instant « Là-bas, n’oublie pas… Il y a du bon, du très bon et du bien pire que les sectaires que l’ont à vue, d’accord…. Ils vont te tester Alphonse…mais… »

Mais tu seras là, n’est-ce pas ?

Je détournais les yeux, à la fois pour la remarque de Mathie, à la fois pour le fuir une nouvelle fois. Je ne pouvais pas imaginer ne pas agir pour le proté- pour l’aider à s’intégrer, tout comme j’avais conscience que ma sur présence serait néfaste pour lui. Je devrais le fuir, le laisser se prendre des coups, se faire bousculer sans jamais intervenir… Du moins, sans intervenir devant lui ou le plus grand nombre du village. Rien ne m’empêcherait d’agir par la suite en toute discrétion. Un peu plus ou moins de sang sur mes mains ne changerait plus le sens de ma vie.

- « Tu vas y arriver, allons manger monsieur l’intendant, tombeur de gueuse, de noblesse et de prêtresse…. » tentais-je de plaisanter en relâchant –enfin- sa main.

De retour dans la grotte en première, je savourais la présence du feu, des braises et l’odeur de nourriture qui était présentes. M’installant dans un coin, je commençais à retirer mes vêtements pour faire –encore- sécher l’ensemble. Alphonse semblait faire de même un peu plus loin, sans qu’à aucun moment je ne lui jette le moindre regard, prise par cette gêne étrange, alors que nous avions déjà profité de ce type d’instant –mais cela m’avait semblé si différent-. Glissant une main devant mes yeux amusés par sa réaction, je secouais doucement la tête en écarquillant légèrement les doigts pour l’observer.

- « Mince, je suis démasquée » fis-je avant de tomber sur sa vision, sa silhouette, et cette cape autour de sa taille, les vapeurs du vin me firent une nouvelle fois devenir particulièrement rouge et la fin de ma phrase fut incompréhensible tant je m’étais mise à bafouiller. « Et puis je ne moquais pas, tu n’as rien.. Enfin tu… tu… ta..enfin non pas ta.. ton.. là…rien… »

Par obligation donc, j’avais fini par détourner les yeux, me concentrant sur le fait de retirer mes vêtements un à un. Comme souvent, je laissais mes doigts effleurer la morsure sur l’intérieur de ma cuisse. Je ne la supportais pas, je ne la digérais pas et me rappelait-elle trop Lance et Mocheté pour qu’un jour elle se transforme en quelque chose de supportable. La nudité me dérangeait, sans me déranger, à force d’avoir été vu et revu, touché et retouché, torturé et retorturé… Je ne pouvais pas dire que je m’y étais faite.. Moi non… Mais la Isaure bannie oui, sauf que là, c’était différent, j’avais la sensation qu’il ne voyait plus le monstre, mais Isaure et… ça, ça changeait tout. J’avais du mal à me relever pour faire comme si ça n’avait pas la moindre importance, j’avais dû mal à quitter ma chemise pour récupérer l’autre sèche et masculine qui couvrirait mon corps au moins jusqu’au niveau du dessus de mes genoux. Pourtant, j’avais fini par le faire, effleurant sans trop le voir Alphonse et reboutonnant l’ensemble devant lui, tout en le détaillant alors qu’il me proposait –encore- de boire. Peu à peu les boutons se refermaient et camoufler une nouvelle fois mes seins, mon ventre, le bandage, le bas de mon corps jusqu’un peu au-dessus des genoux. Heureusement que j’étais petite. Néanmoins, lorsque je me déplaçais, le tissu avait tendance à remonter légèrement.

Je refusais en secouant la tête, bien trop consciente que je ne pourrais plus contrôler grand-chose si je buvais encore. Alphonse de son côté était un peu trop… trop… Il faisait tournoyer le liquide, avalait une gorgée et prétendait qu’elle était bonne, jusqu’à même me susurrer que je me défilais. Vraiment ?

Isaure…. Tu vas le regretter….

Elle avait raison, mais regrettais-je déjà tellement de choses que je ne pouvais vraiment réaliser que cela ne pouvait être pire. Alphonse m’avait tendu un piège et je n’avais absolument rien vu –où étais-je déjà trop ivre pour le voir ?-, j’attrapais finalement la bouteille, effleurant ses doigts pour en avaler une gorgée, avant de lui sourire comme pour lui montrer que j’étais victorieuse, alors qu’il était le grand gagnant de cette histoire. L’effet fut presque immédiat, la gorgée de trop, sans le moindre doute, ce qui ne m’empêcha pas d’en prendre une seconde –foutu pour foutu- avant de lui rendre la bouteille. Je n’avais presque rien mangé depuis des jours, presque… Et j’avais quelques difficultés désormais à ne pas voir tout en plusieurs fois, même lui… Il était un peu trop partout. J’étais venue m’étendre comme une larve échouée pas loin du feu, soulevant mes jambes contre le mur en laissant mes pieds petits à petits pour obtenir la hauteur souhaitée. Le dos sur le sol, les pieds contre la paroi et les jambes relevées de ce fait, je tentais de ma dague de récupérer moi aussi mon morceau de lapin. Sauf qu’à chaque fois que je pensais l’obtenir, ce n’était pas lui, mais une de ses ombres. À force de persévérer, j’avais fini par réussir, le portant à mes lèvres pour mâcher. J’écoutais ses paroles tout en me forçant à conserver le silence, en vain évidemment.

- "N'es-tu pas d'accord ?"
- « Si… » avouais-je sans même le réaliser « Bien qu’une petite maison et un jardin ne seraient pas de trop... Tu me fais penser à moi, avant...» fis-je trop enivrée pour constater ce que je disais « Il y aurait une tombe pour Mathie aussi, pour pouvoir libérer son âme »

Isaure…

Sa voix me fit réaliser que je l’avais dit à voix haute, ce qui normalement aurait dû me faire paniquer, me mettre en colère me fit rire, alors que je laissais une main venir frotter mon front et mes yeux. Je faisais silence, me mordant la langue, l’intérieur de la joue la lèvre. Je continuais à dépiauter les aliments que je parvenais à attraper. Légume, ou viande, peu importe, je ne faisais de toute façon plus la différence. Alphonse me parlait ensuite de mes légumes, de ma cabane et encore une fois, je secouais la tête, dans un souffle chaud. Fermant les yeux, je penchais légèrement la tête en arrière pour chercher sa présence, ne la situation plus franchement convenable. Les deux gorgées de vin, après les nombreuses d’avant m’avait réellement ralenti dans ma réflexion et semblait comment avait-il dit déjà ? Inhiber ma carapace, ma méfiance, mes peurs, plus rien ne semblait avoir la moindre importance, sans que je ne le réalise.

- « Tu auras tellement mieux à faire Alphonse, crois-moi. Tu voudras peut-être refaire le royaume, monter une armée, tuer les autres bannis, te trouver une petite femme à sauter qui parlera aussi bien que toi et qui aura ton rang, tu auras peut-être ta maison à toi… Alors, moi et mes légumes, ça sera bien la dernière chose à laquelle tu penseras. On sera beaucoup plus nombreux que juste toi et moi. » Encore une fois, je me frottais le front « Mais ce n’est pas grave, t’inquiète pas, ce n’est pas grave, je te donnerai quelques carottes, promis. »

J’étais amère, certaine de cette réalité, mes lèvres ne quittaient pourtant pas cet étrange sourire, alors que je venais bouger mes orteils pour sentir la fraîcheur de la pierre sous mes pieds. Je m’enfermais dans un silence, portant un instant une main à ma bouche, comme si je réalisais que je parlais plus tôt… Enfin, j’avais la sensation d’observer la scène sans pouvoir agir, sans pouvoir me contrôler, sans pouvoir… Je soupirais, l’écoutait encore, il voulait savoir comment j’imaginais mon avenir et il me semblait lui avoir déjà répondu. J’arrêtais le mouvement de mes pieds, plus hésitante que jamais. Lui continuait à réfléchir à voix haute évoquant le fait d’avoir la sensation que hier n’était pas hier, je crois. Oui dans les marais tous étaient plus poussés, les sentiments, la notion du temps. L’obligation de survivre et la possibilité de mourir d’un instant à l’autre… Cela offrait des rapprochements plus rapides, je le voyais au village, au Labret ou ailleurs… J’en avais fait les frais aussi. Je ne lui avais pas répondu, semi-consciente sur le sol, semi-endormi, semi-présent, semi… Il avait fini par m’interroger sur le fait qu’il réfléchissait trop…

- « Ca ce n’est pas un secret » murmurais-je « Tu me fais un trou dans la tête » rajoutais-je en tapotant ma tête « Tu vas être ivre » tentais-je devant sa proposition « Ou tu es déjà… je ne sais plus trop » rajoutais-je « On trinque à … » notre survie, nous, lui, lui oui… non… « Au marais sans qui nous n’aurions pas pu nous rencontrer » fis-je finalement avant de me redresser pour venir lui piquer la bouteille qu’il était en train d’avaler « Bois pas tout rooooooooooooooooo, poivrot va ! »

Il regardait le feu, j’étais debout la bouteille en main à boire une nouvelle gorgée, alors que je venais de terminer la première. Mathie n’était plus là, il ne restait que moi, juste moi moi moi et lui… Il réfléchissait, me faisait gonfler les yeux en dévoilant sa surprise de savoir que je savais danser. C’était inconscient de boire autant, en cas d’attaque, je ne serais – je n’étais déjà plus- capable de grand-chose, lui non plus, mais n’avait pas d’importance. J’avais fini par déposer la bouteille sur le sol, pivotant alors qu’il me tendait une main pour m’inviter à danser… J’avais suspendu la mienne… Pas par hésitation, mais parce que je me souvenais de cette première fois ou Mathie m’avait entraîné danser, elle m’avait tout appris. Il se défilait et j’attrapais finalement sa main.

- « Ne pense pas que tu vas te défi…défi.. que tu vas y échapper ! » protestais-je immobile.

Devant lui, cette fois-ci j’ai relâché sa main pour m’incliner, un peu trop bas, puisque ça me déséquilibra, néanmoins, dans mes gestes une nouvelle fois on devait bien voir que je n’étais pas si incompétente et que je ne simulais pas la connaissance du milieu. Je ne prenais cependant pas sa main, puisque nos danses à nous, à eux aussi, on ne touchait que très peu de fois réellement la personne. C’était une sorte de promesse silencieuse, de séduction, d’effleurement qui m’avait toujours fascinée.

- « Mathie m’a appris » fis-je avec les yeux brillants « Mais je ne suis pas la meilleure danseuse » ajoutais-je « Tu l’aurais apprécié Mathie, elle était rayonnante, elle riait tout le temps, et elle avait un sourire permanent sur les lèvres » l’alcool…. « Elle me jetait le linge lorsqu’on l’étendait dehors ;.. Elle m’entraînait espionner les maîtres, et la plupart du temps on arrivait à ne pas se faire remarquer… Elle me jetait les pots de chambre et je faisais de même, on dévalait les escaliers en s’insultant de tous les noms si bien que madame passait plus de temps à nous disputer que… On empestait la pisse de noble à plein nez, mais on en avait que faire… Elle était comme toi, elle croyait en tout le monde et ne voyait jamais le mal… Elle… Elle… Enfin, jusqu’à ce que… » j’avais tellement parlé que pour la première fois je manquais d’air, si bien que je faisais une pause pour reprendre ma respiration « Mathie est morte… Parce qu’un noble l’a engrossé et qu’elle a voulu perdre l’enfant » j’avais détourné les yeux « Elle était mon amie… et rêvait de trouver le prince charmant… Elle a fait confiance à la mauvaise personne et j’ai rien pu faire… Tu sais ce qu’elle faisait Mathie ?! » depuis combien de temps n’avais-je pas parlé d’elle, depuis… depuis qu’elle était morte « Elle épluchait des pommes pour jeter l’épluchure sur le sol, ça formait une lettre –parce qu’elle savait lire Mathie- et prétendait que c’était un signe de Serus pour la première lettre du prénom de l’homme de sa vie, mais elle cela ne faisait jamais de lettre tu vois et… »

J’avais senti ma gorge se nouer si fortement, j’avais senti quelque chose dévaler de mon œil, quelque chose dont je ne me souvenais même plus être capable d’avoir. J’avais déposé une main en dessous du responsable, avisant la petite perle salée. Immobile, je reculais d’un pas, comme horrifiée, horrifiée d’avoir autant parlé, horrifiée d’avoir pleuré une larme unique, mais qui en disait bien trop. Terrifiée par mon incapacité à me contrôler, pétrifiée sur place par tout ce que je venais de dévoiler… Je m’étais reculée, comme un animal qui réalisait être pris dans un piège bien trop tard, comme… Et puis, je renonçais, je renonçais, le cœur battant si fort dans ma poitrine. Je m’accrochais à cette idée de danse pour oublier, pour l’empêcher de parler, peut-être par envie, tout semblait si.. Si excessive d’un coup, si complexe à comprendre, si…. J’avais refait une révérence, manquant de chuter et me rattrapant de justesse –peut-être à lui ?-

- « Danse avec moi s’il te plaît… Danse avec moi… juste une fois…. »

J’avais tendu une main vers lui en guise de proposition. Nous n’avions pas beaucoup d’espace, sans doute même que ni l’un ni l’autre n’étions en état, mais cela n’avait pas la moindre importance. J’avais envie de danser avec Alphonse, juste une fois, parce que demain serait différent, tellement différent. Si il acceptait, sans doute aurais-je dévoilé une habitude, sans être exceptionnelle, surtout avec l’alcool, peut-être même avais-je du menacer de tomber à forcer de tourner, ou peut-être lui, je ne sais plus très bien. Je me souviens surtout avoir souri à de trop nombreuses reprises, avoir ri sans doute devant mon incapacité à me maîtriser, ou la sienne, peut-être sans doute aussi à cause de nos tenues, sans doute oui. J’avais senti pleinement sa présence, je l’avais laissé me toucher sans m’en offusquer, j’avais senti que mon regard ne le quittait plus un seul instant, alors que ma garde était complètement abandonnée. Que je ne parvenais plus à réfléchir. Et sans doute au milieu de la danse, ou peut-être à la fin, ou peut-être suite à une chute je me surprenais encore

(Si danse il y a, je me suis inspirée de ça plop )

- « Monsieur Alphonse de Sarosse, vous êtes un piètre menteur.. Vous dansez très bien » une nouvelle fois j’avais ri légèrement, cessant définitivement de réfléchir, demain serait bien plus atroce que je ne l’avais imaginé surtout si je réalisais et me souvenais de tout ce que j’avais pu dire.

Je m’étais éloignée de lui –ou était-ce lui qui s’était éloigné de moi- , j’avais la tête qui tournait si fortement, que j’avais dû me rattraper – à lui, au mur, à la paroi je ne sais plus trop-. Trop enivré pour prendre conscience des conséquences, trop enivrées pour réaliser, je ne parvenais pas à percevoir s’il était plus conscient des choses ou moins que moi. J’étais soudainement épuisée, la douleur se faisait plus vive au niveau de mon ventre. Si bien que je m’étais légèrement penchée, j’avais la nausée, sans doute à cause de nos mouvements brusques –on ne tourne pas, on ne sautille pas dans cet état-, néanmoins, je restais là. J’avais fini par continuer sur ma lancé :

- « Je t’ai menti » soufflais-je « Je ne parlais pas du village quand j’évoquais ton départ » avouais-je en redressant le nez « Je parlais de moi… » concluais-je en détournant les yeux, mais m’approchant « Alphonse, je ne veux pas… je ne peux pas…. M’attacher à toi et toi tu ne dois pas, tu dois arrêter ça…. S’il te plaît… Je ne suis pas… Je ne suis pas une bonne personne t’entends ?! Je ne suis pas une bannie pour rien… Et celle que j’étais avant, elle ne peut plus être là, plus après tout ça……….. »

Pourtant n’étais-je pas celle d’avant encore à cet instant ? Aussi rare puis-je l’être, n’avait-il pas vu une multitude de facettes qui constituaient ce que j’étais aujourd’hui ? La meurtrière, la survivante, la fragile, la sans cœur et là plus humaine que ce que je voulais bien admettre. Plutôt que de le repousser, j’avais fini par me retrouver face à lui, complètement ivre, complètement perdue sous le flot de trop de contradiction, j’avais déposé une main sur son torse pour me hisser sur la pointe des pieds, j’avais glissé l’autre main derrière sa nuque pour l’inciter à se rapprocher –sans le forcer bien évidemment, si il me repoussait, il me repoussait- et j’étais venue déposer mes lèvres contre les siennes. Si au départ, l’idée avait été d’attirer son attention, pour laisser mes mains ensuite lui piquer sa cape, je fus si troublée et déstabilisée que je ne pus que davantage goûter à l’échange, le découvrant, l’appréciant ? Avais-je senti le goût du vin que nous partagions ? Avait-il perçu les tremblements de peur de mon corps alors que je réalisais même ivre que je ne jouais plus.

D’un autre côté, comme pour fuir cet état de fait, j’avais réussi à récupérer sa cape durant la distraction que je lui avais imposée –ou pas s’il m’avait repoussée m’étais-je simplement arrangé pour lui piquer brusquement-. La relevant fièrement au-dessus de ma tête, comme victorieuse alors qu’il était de nouveau nu devant moi, je ne pouvais que rajouter :

- « Perduuuuuuuuuuuu, j’ai gagné, tu es de nouveau complètement nu pour mon plus grand plaisir » fis-je les yeux brillants « Cela devient donc officiellement ma cape ! »

Et maintenant Alphonse, maintenant que demain ne tarderait plus, qu’il était plus que temps de mettre fin à ce petit jeu, que resterait-il de tout ça ? Avais-tu joué encore ? Avais-tu décidé de te reposer ? Si sur l’instant, je ne regrettais rien, ne réfléchissant même pas à cet enfoiré de demain, je n’étais pas certaine de ce que ce fameux jour nous réserverait.

◈ ◈ ◈

C’est la douleur émergeant de ma tête qui m’a fait me réveiller. La nuit avait été complexe, peut-être même pire, j’ignore combien de temps j’avais dormi, j’ignore même la fin de la soirée. Ma bouche est pâteuse, ma tête est lourde, mes yeux semblent refuser de s’ouvrir. Je glisse une main sur mon front, le masse en grimaçant. Je ne sais pas si je porte ma chemise ou pas, je ne sais plus si je la remets ou pas, toujours est-il que je fini par me redresser. Je me souviens avoir rêvé, ou plutôt cauchemardée. Signe que j’ai dû dormir un peu, sans doute bouger et hurler aussi… Très honnêtement j’ai du mal à visualiser la part des choses. Le feu est éteint depuis un moment visiblement, Alphonse est là, contre moi à côté de moi, je ne sais plus trop non plus. J’ai une étrange boule dans le bas ventre, des nausées… Je fixe la bouteille et je viens me maudire. Plus jamais je n’avalerais une goutte d’alcool –jusqu’à la prochaine découverte d’une bouteille au moins-. Je laisse se réveiller, récupère mes vêtements semi-secs pour remettre l’ensemble dehors, mais avant ça, je ne résiste pas à me mouiller le visage au bord de l’eau. J’ai froid, j’ai chaud et ma blessure est toujours aussi douloureuse, je ne préfère pas la regarder. Le tissu vient rapidement de nouveau habiller mon corps, alors que j’ai des difficultés à me souvenir de notre soirée… Je me souviens de la baignade, de l’éclaboussure, je me souviens oui, mais plus vraiment de ce qu’il s’est passé une fois le lapin avalé. On n’a pas le temps de traîner de toute façon. Je ne sais pas si c’est lui qui m’a rejoint, ou si c’est moi qui ai dû le réveiller :

- « Alphonse, on doit se mettre en route, il y a du bruit dans la forêt… Le village n’est plus loin. » fis-je le fixant un instant « Dépêche-to, allez ! »

J’étais inquiète, je n’avais pas rêvé les bruits, ils étaient bien là et semblaient se rapprocher, le village n’était pas loin, en se pressant un peu on pourrait y être rapidement. De là, il pourrait réellement débuter son arrivé chez les bannis et je pourrais m’éloigner et lui aussi.

- « Ne me parle pas trop fort, j’ai la tête qui va exploser » fis-je en levant une main vers lui « On y va. Laisse tout comme ça, ne prend que le nécessaire. » au fait... « Je rêve ou tu m'as fais boire plus que de raison hier ?!»


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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptySam 19 Sep 2020 - 22:25
Nous avions lutté dans l'écume et les vagues d'une mer glacée. Cherchant à nous déstabiliser au milieu des flots, tentant de faire chuter notre opposant, nous nous étions tournés autour avant de repartir à l'assaut de l'un et de l'autre, encore et encore. Cet étrange combat n'était aucunement vécu dans les affres de la misère ou la douleur. C'était même plutôt le contraire. En effet, véritable jeu, cette rixe était une source de plaisir digne d'enfants. Ou à tout le moins, digne d'adultes un brin trop ivres. Mon souffle se faisait rauque et rare, tandis que ce genre d'activité m'épuisait drastiquement. Or, je ne m'arrêtais pas, je n'abandonnais pas. Pourquoi ? Je voulais croire que c'était parce que j'étais mauvais perdant. Après tout, c'était l'excuse toute trouvée, non ? Je ne désirais que la victoire. Si Isaure s'avouait vaincue, j'arrêterais... non ?

Je ne savais plus, mais je préférais ne pas me questionner sur la chose. Après tout, ma conscience était déjà focalisée sur d'autres éléments. Entre autres et surtout, sur une autre personne. Ainsi, cette lutte nous avait rapprochés plus que de raison. En tentant de déséquilibrer Isaure, nos mains se croisaient fugacement et rapidement. Je mettais cela sur le compte du jeu, de l'importance de la faire chavirer, mais mes doigts partaient bien -trop- souvent en direction des siens. Au milieu d'une attaque véritablement intempestive de la belligérante qui me faisait face, je découvris que son rire était une arme ô combien dangereuse. Comme ses silences, l'éclat de sa voix me déchirait de l'intérieur. Toutefois, bien que ce bruit cristallin me désarmait tout aussi sûrement que son mutisme, je ne le vivais avec aucune morosité ou amertume, me laissant doucement porté par ce dernier. Rappelé à la réalité par une bourrade plus virulente, je secouais la tête pour me concentrer non plus sur son égayement, mais sur elle-même tout simplement. Pourquoi ? Et bien, parce que je voulais gagner non ? Ce n'est pas évident ? Après tout, ne vous avais-je pas dit que j'étais mauvais perdant ?

Puis, ce fut la fin de notre acharnement. De notre rixe alors que je m'ouvrais à mon tour, un brin stupidement peut-être, lui demandant si je la révérais. Non pas la bannie amère de la vie, mais bien la Isaure de cet instant. Bien que même elle dégageait une sorte de mélancolie douloureuse, il y avait aussi une part de sérénité doucereuse qui l'accompagnait. Lorsqu'elle annonça que ce ne serait pas le cas, que ça serait trop dangereux, je secouais la tête avec ardeur en l'avisant. " C'est dommage, je me suis entiché." Puis bien qu’ivre, je réalisais l'étendue de ma bévue. "Attaché ! Je me suis attaché !" Corrigeais-je rapidement, espérant que son esprit alangui par le vin ne comprendrait pas la différence entre le premier et le second mot. Rouge d'embarras, fronçant les sourcils pour moi-même, je me passais une main sur la nuque. Par l'impie Trinité, étais-je sérieux ? Non, quand même pas ! Le vin et la nuit m'aveuglaient, voilà tout. "Il y a pire comme activité." Lui répondis-je lorsqu'elle me mentionna que je voulais passer mon existence à la faire boire. " Ça sonne comme un défi, Isaure." Continuais-je lorsqu'elle promit d'y réfléchir si je retrouvais une nouvelle bouteille. Mon regard pétillait en cet instant d'une conviction farouche. "Tôt ou tard, j'en trouverais une." Oui, bon. Cela risquait plus d'êtres tard que tôt...

Finalement, le sérieux nous guettait au détour des aléas de notre discussion tandis que je revenais parler de sa blessure. Évidemment, Isaure minimisa la gravité de cette dernière. Était-ce moi qui était trop inquiet ou elle qui atténuait plus que de raison les maux et les risques de la balafre qui lui striait le ventre ? " Moi, je suis aussi têtu qu'un âne ? Tu es sérieuse ?" Répondis-je en riant et en la pointant du menton. "Si je suis têtu, tu l'es deux fois plus, j'en suis certain !" Sur ça, je n'en démoderais pas. Or, lorsqu'elle me lança sa contre-proposition, je restais silencieux durant quelques instants, pesant le pour et le contre avant d'alentir. "Très bien, j'en surveillerais l'évolution. Tous les jours !" Laissant le silence s'étioler, je me corrigeais -à nouveau-, tentant de définir pourquoi cela devait être le plus régulièrement possible. "J'étais avec toi dans le convoi, et puis c'est aussi moi qui ai commencé à te soigner, alors je veux simplement m'assurer que rien de pire n'arrive. Tout simplement !" Mentais-je, sachant pertinemment au fond de moi que j'étais heureux de déjà avoir une raison pour revenir la voir.

Mais les tracas et les maux physiques de la flèche qu'elle avait reçus furent repoussés. Désormais et dorénavant, la conversation s'inscrivait autour de la noirceur de l'âme et de l'émerveillement. Mes mots sonnaient peut-être creux pour ma vis-à-vis, je ne savais pas. Toutefois, mon assurance et ma conviction transparaissaient dans ma prise de parole. Je ne parlais pas sans réfléchir. Enfin, oui peut-être un peu, mais je croyais ce que je disais ! Encore une fois, j'eus le droit à son silence qui mordit ma conscience. Toutefois, embrasé par mon désir de l'aider, je m'en moquais. Mon message avait été fait. Elle savait à quoi s'en tenir.

L'attrapant par la main tandis qu'elle partait, je me mis à lui mentir pour la voir rester encore un peu, et ce, malgré le froid, le vent et les vagues. Elle sembla me croire et ne pas percer au travers de mon mensonge, moi qui ne voulait simplement pas la voir disparaître ou cet instant s'arrêter. La nuit ayant probablement couvert mon embarras, je la laissais de nouveau passer devant, lui rendant sa liberté en relâchant ses doigts. Isaure avait sondé l'obscurité et n'avait logiquement rien vu. Dès lors, plus rien ne nous retenait ici et ce lieu deviendrait un simple souvenir. Soupirant, secouant la tête en n'arrivant pas à croire que j'avais acté ce genre de geste, je m'ébrouais et prenais la direction de la grotte à grande enjambée, comme si je voulais mettre le plus de distance possible entre mes pensées et cette grève. Ce faisant, j'avais été sur le point de la questionner sur le village des bannis pour penser à autre chose. Cependant, j'avais hésité et changé de sujet à nouveau. De fait, je n'avais guère envie de penser au lendemain, préférant me concentrer sur le présent.

Toutefois, Isaure ne semblait pas l'entendre. M'attrapant comme je l'avais fait, me forçant à reculer et me rapprocher de nouveau, renouant avec cette étrange proximité de notre jeu. La fixant, je tentais de l'écouter, en vain. De fait, mon regard était à chaque fois attiré par un nouvel élément de sa silhouette ou de sa physionomie, et je sentais dangereusement sa promiscuité. Les perles salines qui striait encore ici et la ça peau ou ses cheveux humides étaient tels des éclats argentés, brillant sous la lueur nocturne de la lune. Cela donnait quasiment une allure mystique à ma partenaire. Une allure de laquelle je n'arrivais pas à détacher mon regard. Puis, enfin, me faisant violence, je me secouais pour entendre la fin de sa prise de parole et pour me focaliser sur ses mots plutôt que sur sa personne. " J'ai déjà trouvé quelque chose de très bon en provenance du village." Lui répondis-je doucement, un bref sourire étirant mes lèvres, alors que je parlais bien évidemment d'elle. " Seulement tombeurs des gueuses, des mondaines et des prêtresses ? Qu'en est-il des bannies ?" J'allais trop loin. Même avec l'alcool qui imbibait mon esprit, j'en avais conscience.

Puis, nous finîmes pas regagner l'intérieur de notre refuge. Commençant à me dévêtir, je me retournais pour aviser celle qui avait organisé un stratagème plus que brillant pour me voir dans mon plus simple appareil. " Je savais que c'était réfléchi !" Lui répondis-je en souriant, sachant pertinemment que pareille idée ne l'avait aucunement effleuré lorsqu'Isaure m'avait amené dans la mer. Or, je me retournais drastiquement rapidement, tandis que j'avais vu la bannie déboutonner le devant de sa chemise. Déjà, la vue m'avait semblé affreusement vertigineuse, tandis que je pouvais apercevoir la naissance de son cou et le galbe de sa poitrine. Gêné, le visage rouge, je lui mentais en disant que je lui tournais le dos pour l'empêcher de me voir complètement dénudé, alors que c'était plutôt l'inverse qui se jouait. Bon sang, ce n'était pas la première fois que je la voyais dévêtue, alors pourquoi est-ce que cela me dérangeait, là, maintenant ? Le vin ! Oui, voilà. C'était l'alcool qui émoussait mes sens, éméchant ma conscience. " Tu bafouilles Isaure ? Que se passe-t-il, donc ?" La tançais-je amicalement en me permettant un coup d'œil par-dessus mon épaule.

Mal m'en prit alors que la bannie était cette fois-ci complètement dénudée. Ma bouche s'ouvrit et ma mâchoire s'affaissa. La voyant se déplacer pour récupérer une nouvelle pièce de vêtement, m'effleurant au passage, me vouant à une nouvelle forme de supplice que je n'avais pas prévue, je me retournais excessivement rapidement, tendu. "Ce n'est pas du... enfin tu comprends que... tu...je...tu...enfin." Me morigénant pour pareil discours décousu, réalisant que je venais de faire comme elle et de perdre à la fois mes mots et ma pensée, je me retournais pour lui faire face, fronçant les sourcils avec force. Du nerf, bon sang ! Je la voyais reboutonner la chemise devant moi. Elle ne semblait aucunement gênée de faire cela. Quoi de plus normal après tout, pensais-je avec amertume. Hier soir et en cette journée sur la plage je l'avais vu sans plus aucune barrière pour cacher sa silhouette et son corps. Cela ne changeait rien pour elle et ne signifiait rien. C'était moi l'idiot qui perdait mes moyens pour rien. Je pus respirer un peu plus librement une fois que ses seins, le bandage et son ventre furent soustraits à mon regard. Toutefois, il fallait reconnaître que le vêtement qu'elle portait n'était guère mieux. À partir du haut de ses genoux, je pouvais voir l'ensemble de ses jambes fuselé par une vie de déambulation perpétuelle. Par ailleurs, à chaque fois qu'elle se mouvait, ledit vêtement remontait lascivement, laissant voir la naissance de ses cuisses. Par l'impie Trinité, étais-je sérieusement en train de la dévorer du regard ?

Refermant ma bouche qui était bien stupidement restée ouverte, je pris une rasade de vin pour m'éclairer l'esprit. Évidemment, cela eu l'effet inverse, mais qu'importe. Je devais me concentrer ou m'abrutir loin des réflexions portant sur la physionomie plus qu'avantageuse d'Isaure. Pour penser à autre chose, je l'invitais à boire à son tour, usant des pires stratagèmes pour la faire accepter. En l'occurrence, je tablais sur sa compétitivité que j'avais eu la chance d'apercevoir au détour de nos rivalités et autres confrontations. La voyant flancher et accepter la bouteille, nos doigts s'effleurèrent. Je lâchais rapidement le contenant, comme si j'avais été frappé par la foudre et le tonnerre. Par chance, Isaure réussit à récupérer la bouteille sans la faire tomber. "Dé...désolé !" Pourquoi avais-je réagi ainsi ? Un moment de faiblesse passager à cause de l'ivresse, probablement.

Toujours est-il que je dressais un sourire qui se voulait innocent à son égard. Toutefois, mes yeux brillaient de malice et de contentement. La laissant trouver assise proche du feu, je pris place non loin. Sa façon de s'asseoir agrandit mon sourire, alors qu'elle avait la tête à l'envers et les pieds sur la paroi de la grotte. Secouant la tête avec amusement, j'étais sur le point de proférer une quelconque ineptie avant de remarquer que dans cette position, l'ourlet de sa tunique était redescendu, dévoilant plus de peau et de courbe que précédemment. " Confortable ?" Lui demandais-je, la gorge aussi aride qu'un désert et probablement desséchée par l'alcool, évidemment. Secouant la tête, je tentais de river mon attention sur la nourriture plutôt que sur ma partenaire. Et bien que la seconde mentionnée était un spectacle en tout point charmant, je n'eus pas trop de mal pour me focaliser sur le lapin. Après tout, la faim me dévorait tout aussi fortement que le vin m'impactait et que Isaure m'enivrait... L'Inverse ! Je veux dire l'inverse ! Le vin m'enivrait et Isaure m'impactait. Oui, voilà qui est plus logique.

Meublant le silence de mes palabres, je me mis à mentionner qu'il aurait été agréable de vivre sur cette plage avec la nourriture et la mer. Évidemment, inconsciemment, je me murmurais aussi pour moi-même qu'il aurait été plus que bon de ne jamais voir cette soirée s'achever. Or, en questionnant ma partenaire d'infortune sur le sujet, je fus intrigué de sa réponse. Mais tout d'abord, je réagissais à ses premiers dires. "Je te fais penser à la toi d'avant ? Elle devait être tout à fait charmante et incroyable si elle me ressemblait !" Puis, fronçant les sourcils, je m'apprêtais à poser la question qui me torturait l'esprit; qui était cette Mathie ? Ouvrant la bouche, me préparant à rentrer dans le vif du sujet, j'en fus incapable. Malgré l'alcool abrutissant mes sens et ma conscience, j'avais l'intime conviction que c'était un sujet dangereux. Et comme je l'avais fait vis-à-vis du village des bannis, je préférais me taire et ne pas amener la discussion sur cela. Était-ce par couardise ? Probablement. Je ne voulais pas la voir se refermer. Pas encore, pas tout de suite. Toujours est-il que je gardais dans un coin de mon esprit le nom qu'elle venait de proférer pour pouvoir un jour la questionner sur ce dernier. Enfin, si je réussissais à me rappeler de ce dernier demain...

-" Mieux à faire ? Refaire le royaume et monter une armée ?" Répétais-je goûtant l'accrété et l'apprêté de ces mots. Je secouais la tête, repliant mes genoux vers mon torse et enroulant mes bras autour de ces derniers. Il avait déjà été question de vengeance contre le Roi au Labret. Devais-je me diriger sur ce tortueux sentier ? Devais-je chercher à condamner la barbarie de Sigfroi au nom de ma famille ? Je n'arrivais pas à le décider. Esseulé et isolé face à l'homme le plus puissant du Morguestanc, je me repliais sur moi-même et ne prenait aucune décision. Devais-je quémander justice et vengeance ? Pour autant, les mots d'Isaure venaient de réveiller ce doute qui m'étreignait, alors qu'elle semblait sous-entendre que c'était une des choses que j'avais à faire. Soudain, la caverne me sembla plus froide que l'extérieur. Me passant la langue sur les lèvres, je déglutis. C'était à mon tour de garder le silence, de dresser mon mutisme comme une barrière pour me protéger. Faiblement, je repris tout de même la parole durant un bref instant. "Ce n'est pas tes carottes ou avoir mieux à faire que je veux..." C'était tout. C'était simple. Mais c'était vrai.

Finalement, l'alcool aidant, je retrouvais le sourire sous les plaisanteries et les pitreries de celle qui était toujours drôlement avachit. "Je ne te fais pas un trou dans la tête, Isaure". Commençais-je en me penchant et en tapotant de mon index son front. "Je te la remplis !" J'aimais l'idée d'être un peu comme un professeur. Elle, elle m'apprenait à survivre, moi je lui apprenais à compter et quelques mots. Oui, bon. L'un des deux enseignements était plus important et impactant que l'autre... "Moi ivre ? Pas avant toi !" C'était un coup bas. J'avais réalisé qu'elle mordait excessivement rapidement aux pièges que je lui tendais lorsqu'amenais cela sur le territoire de l'amusement et de la compétition. Voilà que je recommençais. "Je parie que tu seras ivre avant moi, voilà !" C'était un peu idiot comme énoncé, alors que nous étions tous deux déjà dépassés par l'ivresse. Toutefois, nous ne nous l'avouions aucunement. Lorsqu'Isaure décida de trinquer au marais, je souris et secouais la tête. Je trouvais important de corriger un élément qui semblait faux à mes oreilles. "À notre rencontre !" Répétais-je, oblitérant le marais de l'Oubliance de l'équation. Voilà qui sonnait mieux !

-"Eh oh, attends ton tour !" Réagissais-je alors qu'elle tentait de me voler la bouteille, elle qui s'était redressée. Reculant tout en restant assis sur le sol, je tentais de la distancer de ses mains qui se faisaient acharnées. Je finis pas m'avouer vaincu devant pareil empressement à mettre la main sur le butin qu'elle convoitait. "Et c'est moi le poivrot ?" Lui demandais-je, désormais sur le dos et au sol, lésé d'avoir été délesté du liquide carmin. Me redressant sur un coude, la regardant elle qui était désormais debout, je ne pus m'empêcher de sourire. C'est dans cette posture que je lui présentais la surprise qui m'avait habité de savoir qu'elle savait danser. Me relevant, l'invitant à faire quelques pas en ma compagnie, tout en riant, je retirais ma main pensant pertinemment que la bannie refuserait pareille idiotie. Or, j'avais sous-estimé l'apport du vin. "Tu me défis ?" Lançais-je crânement, prenant ses tentatives de prononcer défiler comme le lancement d'une nouvelle compétition. Décidément, le seul vainqueur en cet instant c'était bien l'ivresse... Main sur les hanches, je la regardais en essayant d'avoir l'air confiant. Or, une part de moi était électrisée par l'idée de danser, alors que l'autre était inquiète. Je n'arrivais pas à oublier à quel point la vision de son corps et le contact de ce dernier durant notre rixe dans la mer m'avaient envoûté. Il était évident que je souffrirais de pareil ensorcellement à danser avec elle. Qui plus est, quant au regard de nos tenus. Or, quand bien même j'étais déchiré par cette ambivalence, ma main n'arrivait pas à lâcher la sienne. Je ne pouvais pas accepter l'idée de prendre la fuite de nouveau. Toutefois, nos mouvements durent attendre, alors qu'Isaure répondait finalement à mon interrogation silencieuse concernant Mathie. La regardant s'ouvrir, l'écoutant, sentant presque que je dessoûlais, j'en apprenais plus sur son amie qui l'avait quitté, mais aussi sur elle.

Ainsi, par la bande, j'appris qu'Isaure été au service d'une maison noble quelconque, elle qui parlait de son service et de ses maîtres. Sans avoir lâché cette main qui trônait dans la mienne, elle qui avait accepté de danser, je passais mon pouce sur le revers de sa paume et lui offrit une petite pression. "Je suis désolé, Isaure." Proférais-je doucement, lorsqu'elle m'annonça l'évidence que son amie était décédée. "J'aurais aimé la connaître." Je ne mentais aucunement. J'aurais aussi aimé rencontrer Isaure dans le passé, alors que nous n'étions pas des vagabonds et miséreux en quête d'une hypothétique survie. Or, je ne pouvais m'empêcher de penser que jamais je ne l'aurais remarqué. Les petites mains étaient invisibles aux regards des puissants, non ? Dès lors, une part de moi était heureuse de se retrouver, là, le long du littoral et dans cette grotte.

La laissant parler, je voyais bien qu'elle se vidait le cœur, elle qui avait été trop remplie de douleur. Voyant une perle saline coulée de ses prunelles, je soulevais ma seconde main libre et l'essuyait du revers d'un doigt. Était-ce trop entreprenant ? Peut-être, mais sa détresse me blessait. Je voulais l'aider. Lorsqu'elle tenta de reculer, de s'enfuir, je la retenais. "Attends !" M'approchant de nouveau, refermant le gouffre qui se créait entre nous, je la forçais à me regarder dans les yeux. Était-ce trop insistant ? Peut-être, mais je ne voulais pas perdre cet instant de confiance comme cela nous arrivait trop souvent. Elle continuait à tenter de reculer et je continuais à avancer. Elle voulait se défiler ? Je l'accompagnerais. Elle voulait fuir ? Je la suivrais. Je ne la laisserais pas seule. Enfin, lorsqu'elle me demanda de danser, j'acquiesçais doucement. "Toujours." Lui fis-je la promesse. Relâchant ses doigts, doucement et presque difficilement, je dressais ma paume et plaçai mon autre, mais dans mon dos sans jamais la lâcher du regard, sans jamais siller. La saluant de nouveau d'une énième révérence, la tête droite, mais le corps bas, je perdis durant un instant l'équilibre avant de me stabiliser.

La laissant tout d'abord guider, calquant mes mouvements dans les siens, je ne pus m'empêcher de remarquer que nous étions synchrones. Comment pouvions-nous si peu souvent nous comprendre, mais réussir à déambuler et se suivre de la sorte, sans réfléchir ni proférer le moindre son ? Toujours est-il que le sérieux des prémices devint sujet à l'amusement, alors que nous passions quelques fois à deux doigts de tombée, perdant un équilibre aussi précaire que vacillant. "Je ne suis pas si bon." Avouais-je en secouant la tête. "Pour tout vous dire, c'est vous qui me rendez meilleur..." Puis, après avoir laissé quelques secondes d'interlude avant la suite; "en me guidant admirablement bien, mademoiselle." Puis, soudain, Isaure s'éloigna. "Attends !" Encore et à nouveau, comme si c'était devenu une habitude alors qu'elle semblait s'enfuir de ma présence, je lui agrippai les doigts. Nos corps s'étaient effleurés durant la danse, mais je ne voulais pas qu'elle se termine. Comme durant notre lutte dans la mer, je n'arrivais à concevoir le dénouement. L'ayant tiré vers moi, Isaure perdit quelque peu l'équilibre, à la fois à cause de ce geste brusque que de l'alcool. Inconsciemment, je l'attrapais par la taille pour la stabiliser.

Me rendant compte de l'acte cavalier que je venais d'entreprendre, mes yeux partirent se perdre sur mes doigts, avant de remonter doucement vers son visage, sans que je ne cherche à retirer mes mains. Évidemment, je ne la retiendrais pas contre son gré. " Arrêter quoi ? Je ne fais rien, non ?" Je n'étais pas dupe. Je percevais très bien ce qui se jouait présentement, même si je ne me l'avouais aucunement, préférant m'aveugler et taire mes pensées. " Tu es une bonne personne Isaure. Je le sais, je l'ai vu." Je secouais la tête, incapable d'être d'accord avec elle. " Il est trop tard..." Avouais-je finalement, réalisant peut-être pour la première fois que je m'étais véritablement attaché à elle. Certes, bien que je n'arrivai pas à mesurer la force de ce lien, je ne pouvais pas simplement abandonner et repousser cela. Mes doigts -s'ils étaient encore là- raffermirent leur prise sur sa taille, comme si j'avais peur qu'elle ne s'envole.

La regardant, cherchant à voir, à percevoir la suite et ce qu'elle allait dire et ce que son regard couvait, je fus surpris par la suite des choses. En mal ? Pas le moins du monde. En bien ? Je ne savais guère. Sentant ses doigts sur mon torse, percevant sa présence au plus près de moi, entendant son souffle un peu plus haché que d'habitude, mes yeux partirent se perdre le long de la courbe de ses lèvres, comme si je voulais les graver dans mon esprit. Ses doigts vinrent se glisser derrière ma nuque, m'attirant un peu plus proche encore. Me laissant faire, l'esprit atone et vide, je ne guidais plus rien. Jusqu'à ce que ses lèvres se plaquent contre les miennes. Je ne comprenais pas et pour une des rares fois, je ne cherchais pas à comprendre. Comment expliquer l'inexplicable ? Impossible. Je fermais les yeux, découvrant ce contact tout d'abord hésitant, puis envoûtant puis un peu plus enflammé. Était-ce moi ou elle qui avions transformé cette simple découverte en quelque chose de plus fort, de plus impérieux ? Qu'importe. Complètement aspiré par ses lèvres, plus rien n'avait d'importance. Sauf elle. Sauf sa présence. Sauf son contact.

Puis soudain, je réalisais que tout cela n'était qu'un énième jeu, qu'un énième piège alors que je perdais mon dernier vêtement. Dès lors, la magie disparut, remplacée par une lourde amertume, tandis que le sentiment d'avoir été en quelque sorte trahie s'accaparait de mes sens. "Per...perdu." Bafouais-je, le regard blessé. De fait, oui, j'étais perdu. Je vivais difficilement cette idée qu'elle s'était jouée de moi de la sorte. Ça faisait...mal. "Tout est toujours qu'un jeu avec toi, Isaure !" Lâchais-je comme une pique pleine d'acrimonie. Puis, fermant les yeux et soupirant, plaquant mes deux mains sur le visage en soupirant, je me retournais pour cacher ma complète nudité et reprendre un peu le contrôle sur mes états d'âme. À quoi m'étais-je attendu réellement, hein ? C'était Isaure. C'était celle qui se moquait de moi, qui disait que je faisais chier et qui continuerait encore et encore sans jamais rien changer.

J'avais beau me répéter cela, j'avais tout de même la mort dans l'âme. "Rends-moi ma cape !" Proférais-je, blessé et boudeur en lui lançant un regard par-dessus mon épaule. "Non, ça reste MA cape." Commençant a faire un pas vers elle en faisant fit de ma nudité, je tendais une main pour récupérer le vêtement. Mon mouvement fut vain, tandis que ce dernier était désordonné par l'ivresse et que ma partenaire devait tout faire pour le garder hors de ma portée. Finalement, usant de ma taille pour la repousser jusque dans un coin de la grotte, je me plaçais entre elle et la paroi, la surplombant et plongeant mon regard dans le sien. "Tu vas me le rendre, maintenant ?" Je ne sais pas si elle avait refusé ou si je ne lui avais pas laissé le temps de décider, mais je finissais par agripper cette cape pour laquelle nous nous battions. Enfin, qui donnait plutôt une raison à notre lutte, serait-il plus juste de dire. "Voilà !" Disais-je tout d'abord triomphant, avant de la laisser tomber sur le sol. Le vêtement ne m'intéressait guère à dire vrai. "Je ne m'avoue pas encore vaincu." Relevant son menton d'une main, plongeant mes yeux dans les siens, je me penchais infiniment lentement en direction de ses lèvres, ne suspendant mon mouvement qu'aux derniers instants. "L'heure de la vengeance...". Je pouvais sentir son souffle se mélanger au mien, or je n'allais pas plus loin, lui laissant la chance de s'enfuir de cette "vengeance" que j'opérais. Ce n'était que ça, qu'une vindicte contre Isaure, non ? Après tout, c'était elle qui avait dicté les règles de ce jeu qu'elle avait initié ? Si elle ne s'éclipsait pas, "j'attaquais". Scellant le contact doucement, presque craintivement, je partis à la découverte, flirtant avec la limite de la perte de contrôle. Pendant ce temps, ma main libre était remontée dans l'idée de déboutonner sa chemise. C'était ça le but du jeu, non ? Dévêtir l'autre ? Oui, voilà. Je ne faisais que jouer.

S'attaquant au premier bouton, réussissant sans mal, alors que je continuais à l'embrasser si je n'avais pas été repoussé, mes mouvements se firent plus désordonnés à mesure que je perdais le contrôle. J'étais ensorcelé par la fragrance qui se dégageait d'elle. J'étais envoûté par la douceur de ses lèvres. J'étais enivré par sa présence. J'étais enflammé par sa silhouette. J'étais...j'étais...j'étais idiot. Me décollant excessivement rapidement, alors que je n'avais fait sauter "que" quatre boutons de sa chemise, j'allais me rabattre contre la paroi la plus éloignée de la grotte. "Désolé !" Obnubilé par son corps et sa présence, j'avais oublié son écœurement à être touché et moi qu'est-ce que j'avais été en train de faire ? Je la déshabillais ? "Je ne voulais pas... enfin, oui, mais j'avais oublié que..." Me mordant la lèvre, secouant la tête, n'arrivant plus à penser et sachant pertinemment que ce n'était pas à cause du vin, je laissai mes doigts vagabonder sur mes lèvres. Je sentais encore les siennes. Croisant son regard, sursautant, rougissant et blêmissant, je laissai retomber ma main. "Oui, j'ai perdu ! Tu as gagné, voilà. Prends la cape, elle est à toi !"

Me retournant, attrapant mon pantalon encore humide, tentant de l'enfiler excessivement rapidement, je glissais et tombais. Grognant de douleur, je finis tout de même par l'enfiler, dos à elle. "Bonne nuit, Isaure !" Voilà. Le sommeil, oui, parfait. C'était ce qu'il fallait. Déjà au sol, il ne me resta plus qu'à fermer les yeux et attendre que le sommeil vienne. Ainsi, je laissai le silence s'égrener encore et encore, en quête d'un repos qui ne venait pas même si j'étais épuisé. Mon esprit était en ébullition. Au bout de plusieurs longues minutes, je décidais de reprendre la parole. "Isaure ? Est-ce que tu dors ?" J'attendis, ne percevant aucune réponse. Restait-elle silencieuse, n'avais-je pas entendu, ou est-ce qu'elle était déjà dans les limbes du sommeil ? Me relevant doucement, m'approchant, je m'assis à côté d'elle. Elle devait avoir les yeux fermés, non ? Récupérant ma cape qui était devenue sa cape, je ne parlais pas de la première du nom, mais bien de la seconde qu'elle venait de gagner, je la déposais sur elle pour la recouvrir. Restant silencieux quelques instants, hésitant et tergiversant, je posais finalement la question qui me brûlait les lèvres. " Toi, quand tu épluchais des pommes, ça donnait quelle lettre à la fin ?"

Réalisant mon idiotie, je secouais la tête. "Tu fais chier, Alphonse." Me laissant de nouveau tomber sur le dos et fermant les yeux, je finis par trouver le sommeil un peu plus rapidement. Je vous le promets, ça n'avait aucunement rapport avec le fait que j'étais nettement plus proche d'Isaure que précédemment...

...Peut-être.

◈ ◈ ◈

J'aurais aimé dire que j'avais été un support pour Isaure durant ses cauchemars. Or, tellement abruti par l'ivresse, j'avais dormi sans me réveiller au moindre instant. Du moins, jusqu'à ce qu'elle ne vienne remédier à la situation en me réveillant de ses grognements et de ses mouvements. Gémissant à mon tour, sans ouvrir tout de suite les yeux, j'ai la tête comme dans un étau. La sensation est horrible. Finissant par me redresser en position assise, j'ouvre un œil, mais pas les deux. La clarté du jour me déchire la rétine et renforce la pulsation du sang dans mon crâne. Bon sang, j'ai envie de vomir. "Bon matin." Réussis-je à articuler après deux tentatives. Me relevant enfin en m'appuyant à la pierre derrière moi, je dépose une main sur ma tempe droite, espérant la soulager en la massant. Évidemment, le geste est plus que vain. "Foutu vin..." Grommelais-je. Jetant un coup d'oeil à Isaure, je finis par froncer les sourcils alors que je n'arrive pas à me rappeler tout ce qu'il s'est passé hier. Les événements défilent comme des éclairs dans ma conscience encore alanguie du sommeil.

Je la revois dans l'eau, puis devant le feu alors que ses yeux brillent. "On a dansé...?" M'entendais-je dire, en plissant du regard, alors qu'une image de nos mouvements me revenait à l'esprit. Puis, soudain, telle une tempête, une image vient tout oblitérer. "On s'est..." Ses lèvres. Me redressant vivement, je me cogne la tête contre une pierre du plafond. Grognant, sautillant sur place avec désormais une de mes mains sur la tempe et l'autre sur le haut de ma tête, je finis par me calmer et lui glisser un regard. On s'est... embrassé ? Comment ? Pourquoi ? Inconsciemment, mes doigts de la main droite viennent effleurer ma lèvre. Sans m'en rendre compte, je la dévisage, ne l'entendant guère me parler. "Se mettre en route..." Puis sortant de ma torpeur, je réagis. Les rêves éveillés -car ce n'était aucunement un cauchemar- attendront. Pour l'heure, Isaure a flairé du danger et je lui fais plus que confiance vis-à-vis de la chose.

Me dépêchant, j'enfile ma tunique, remarquant que mon pantalon était à moitié enfilé. Bon sang, on n'aurait... quand même pas ?! Non, impossible. Je m'en souviendrais, non ? Lui coulant un second regard en coin avant de la perdre de vue tandis que le vêtement recouvre mon visage, je décide de repousser cette réflexion à plus tard. Enfilant mes bottes en sautant sur place. "Je fais le plus vite possible !" Me défendis-je, alors que je récupérais ma cape, enfin sa cape, et que j'y fourrais tout ce qui me passait par la main pour en faire un baluchon. Suspendant mes gestes un instant, je la regardais. " Tu parles aussi fort que moi." Je fronçais les sourcils, refusant d'être la cible de ses remontrances et d'être perçu comme la source de ses maux. "Tu étais agréablement consentante !" Continuais-je avec un mince sourire lorsqu'elle me dit que je l'avais fait trop boire. Puis, le mot "consentement" me fit penser à autre chose. Une nouvelle image s'imposa à moi. Je blêmis. "Te...te souviens-tu de ta soirée ?" C'était important. Prépondérant, même. Je voulais savoir si elle me détestait.

Finalement, préférant ne pas entendre sa réponse, je pris peur. "Dépêchons-nous" je prenais la fuite, utilisant les drôle de bruits qu'elle avait entendus pour expliquer cette nécessité de s'éclipser. Tendant la main pour lui attraper les doigts, en ayant la volonté de la tirer derrière moi pour sortir de la grotte, j'effleurais sa main avant de suspendre mon geste et de ramener mes doigts à moi. Par l'impie Trinité, quel était ce réflexe que je venais d'avoir ? Inconsciemment, j'avais eu l'envie de la tirer vers moi et de la guider. C'était farfelu, non ? Depuis quand est-ce que j'agissais ainsi ? Et puis, elle n'aimait pas le contact des autres, abrutis ! "Navré de l'idée." Murmurais-je. "Il doit rester du vin dans mon organisme pour m'empêcher de réfléchir correctement... " Je n'étais pas loin d'avoir raison. J'étais encore enivré, mais aucunement du vin ou à cause de ce dernier...

Qu'importe, bon sang ! Il fallait bouger et fuir ces bruits. Dehors, je la laissais me guider, fermant la marche derrière elle et la suivant. "Ta blessure, est-ce que ça va ?" La questionnais-je. Puis, fronçant les sourcils, me rappelant à moitié qu'elle m'avait fait une contre-proposition sur cette dernière, mon regard s'éclaira lorsque cela me revint en mémoire. Je pouvais la regarder pour m'assurer de son état, et ce, chaque jour. "Comme promis, je vérifierais lorsque nous serons en sécurité." Puis, m'enfermant dans le silence je me concentrais à avancer derrière elle, les sens voguant d'alerte en alarme. Certes, j'étais un débutant en survie dans les marais. Or, je n'étais pas idiot ou stupide. Je savais pertinemment que les bruits n'étaient guère un bon signe, généralement plus synonyme avant-coureur de malheur.

Au bout d'un certain temps, nous arrivâmes à un petit ruisseau qui serpentait à l'orée des bois. Tapant son épaule, je lui pointais l'endroit en l'invitant à me suivre. Nous n'avions pas bu d'eau depuis hier dans la journée, troquant ce liquide contre l'alcool. J'avais la gorge desséchée comme du parchemin. Déposant un genou au sol, je collai mes mains pour former une cuvette à même de transporter l'eau jusqu'à mes lèvres. Puis, utilisant le même procédé, je m'arrosais la nuque et les cheveux soupirant d'aise et de contentement. "Tu devrais essayer, ça fait un bien fou contre le mal de tête." L'eau était claire, transparente et froide. Cette dernière me ragaillardissait. Utilisant le bas de ma chemise, la relevant jusqu'à mon visage pour essuyer les perles qui s'égouttait de ma chevelure, je lançais un coup d'œil à Isaure en tentant de lui sourire. Ou en étions-nous rendus dans notre drôle de... de... relation ? Avait-elle encore un quelconque souvenir d'hier ? Moi, tout ce qu'il me restait, c'était des fragments. Comme si l'histoire avait été tronquée des petits détails, ne laissant place qu'aux événements prépondérant et important. "As-tu plus mal à ta tête ou à ta blessure ?" La questionnais-je mi-amusé, mi-sérieux.

Prenant assise sur une roche l'espace d'un instant, ne sachant pas si les bruits étaient des monstres, des pirates ou un quelconque animal -et s’ils nous avaient suivis-, je me permis de lui jeter un regard en coin. "Nous sommes à combien de temps du village ?" C'était la question que je n'avais pas réussi à proférer hier et qui devenait importante aujourd'hui. Pour notre sécurité ? Entre autres. Mais aussi parce que je n'avais pas hâte de l'atteindre, alors que j'avais le pressentiment que ce nouveau lieu transformerait notre duo en quelque chose de... différent.

Amère et morose, je ne réalisais pas encore que je regrettais déjà la grotte.

Soupirant, m'étirant et faisant craquer mes vertèbres, je poursuivis en me relevant. "On y va ? Il doit bien y avoir quelqu'un qui t'attend au village depuis le temps." En proférant ces mots, je perdis de ma superbe, réalisant que je n'avais jamais pensé à cette possibilité. Y avait-il quelqu'un dans la vie d'Isaure ? Non, je ne pensais pas à cela parce que je voulais occuper une place prépondérante dans sa vie !... Non ? Je voulais simplement être son partenaire, son compagnon. Pas dans le sens de couple, hein ! Dans le sens de... enfin, vous comprenez ! Bref, toujours est-il que j'attendais sa possible réponse comme un couperet tombant en direction du cou d'un supplicié. Est-ce que tout se terminerait avec cette découverte ? Était-ce tout simplement une histoire qui n'avait jamais commencé ?

Puis, un énième éclair de lucidité me frappa, alors qu'un souvenir revenait à ma mémoire. Sans réfléchir, me laissant fléchir, je répétais les mots qui avaient marqué mon esprit; " Vous rêverais-je ?" Par l'impie Trinité. Je n'étais pas attaché, non...

J'étais entiché de la Isaure que j'avais vue hier...
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Isaure Hildegarde



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyDim 20 Sep 2020 - 18:18


- « Tu bafouilles Alphonse ? Que se passe-t-il, mh ? »

Dans le fond, j’ignorais comment j’étais parvenue à articuler et formuler cette phrase, sans hésiter, sans bafouiller une nouvelle fois. J’étais perdue, je nageais dans une zone d’incompréhension presque mystique. Alphonse avait ce don inhumain de me déstabiliser à chaque regard, chaque prise de parole, chaque geste. Je n’avais rien trouvé à redire vis-à-vis de son affirmation ou question vis-à-vis de son impact sur les bannies. Je m’étais retrouvée là comme une idiote à le dévisager, la bouche semi-ouverte, sans être certaine de ce que je devais comprendre, préférant simplement croire que le brave presque nouveau membre du village avait dans l’idée de trousser chaque femme résidant dans notre repère. Pervers. Sans doute que mes yeux avaient dû se durcir à cette idée, alors que je le fixais, révoltée par cette image. Comment pouvait-il…. Peu importe, cela ne me regardait pas après tout, non ? Mh. J’avais terminé lentement de reboutonner ma nouvelle chemise, bouton par bouton, l’épreuve me semblait d’une difficulté insurmontable alors que mes doigts tremblaient et que mon esprit n’avait de cesser de réfléchir aux paroles du nouveau banni non marqué. Avait-il bien dit entiché ? Non. J’avais dû rêver, le bruit des vagues, du vent, l’alcool. L’alcool voilà. Pourquoi n’avais-je rien su répondre sur l’instant, pourquoi n’avais-je pas osé le taquiner, le remettre en place, ou simplement continuer à le déstabiliser comme je semblais apprécier de le faire ?

Il était dos à moi, puis face à moi par instant et je restais là, juste là, à me débattre avec des boutons qui me semblaient fuir le contact de mes doigts, à moins que ce n’était que parce que mes yeux préféraient se fixer sur son dos, puis descendre lentement le long de sa silhouette… Pas du tout. La conversation autour du vin avait finalement eu l’avantage de me distraire. Si dans un premier temps j’avais secoué la tête, sa technique de chantage avait eu raison de ma conscience. Ce n’était pas sérieux, pas sécuritaire sans doute, mais c’était trop tard, j’avais rattrapé la bouteille de justesse, alors que le bout de mes doigts se souvenait encore de la chaleur que dégageait la main d’Alphonse.

M’éloignant, sans trop savoir si j’avais conservé la bouteille ou si je lui avais rendu, j’avais fini par trouver une place non loin du feu. Les pieds repoussés le plus haut possible de la paroi rocailleuse, les jambes tendues, la chemise recouvrant en partie ma peau, me protégeant à la fois du froid, du chaud, de la froideur du sol qui pourtant semblait m’apporter un certain confort. Penchant la tête en arrière, pour aviser mon interlocuteur, je lui offrais un sourire, opinant simplement à son interrogation. Oui c’était confortable, pas autant qu’un lit, que des feuilles, que ma cabane… Mais je crois que je me sentais bien là, installée non loin des braises, avec de quoi manger, les idées plus très claires, un peu embrumée. J’étais bien, c’était tout et tellement malmenée par les remarques, regard de l’ancien noble que je ne remarquais même pas sa gêne, ses regards appuyés ou la possible tendeur de certains de ses muscles.

Alphonse avait la parole facile, dans le fond, ça me convenait parfaitement, je n’étais pas une grande bavarde, je n’aimais pas trop parler de moi et puis la fatigue due à cette bouteille de vin me donnait la sensation d’être lourde et comateuse. Les yeux finalement mi-fermés, je l’écoutais, attentivement, alors que même ainsi, sans le regarder, s’était sa silhouette que je percevais dans mon esprit. J’étais ridicule, naïve, faible et bien trop alcoolisée pour admettre que j’avais beau avoir lutté autant que possible… Alphonse était…Alphonse. J’aurais pu rire en repensant à l’Isaure d’avant, mais je crois que cette idée me rendait plus amère, songeuse et triste que ce que je voulais bien laisser paraître. On ne s’apercevait souvent que bien trop de tard de l’importance de l’instant.

- « Elle faisait particulièrement chier, oui » fis-je dans un soupir, mi-nostalgique, mi-dépitée, mi-triste. Néanmoins n’avais-je pu m’empêchée de le taquiner un peu, n’arrêtais-je pas de lui dire qu’il faisait chier après tout.

Puis la conversation dévia sans que je ne la maîtrise, j’avais la sensation qu’elle me filait entre les doigts, alors que je réalisais avoir parlé de Mathie, de mon envie de maison, de jardin, de tranquillité. Je m’empourprais, je bafouillais, je réfléchissais sans comprendre comment, pourquoi… J’étais tellement concentrée sur mes propres émotions, sur ce besoin de le repousser –autant que de l’attirer-, de le faire partir –autant que d’espérer qu’il ne parte pas-, que je ne réalisais pas sa blessure. Son silence, si rare m’avait néanmoins fait relever les yeux vers sa silhouette, cherchant des réponses, sans trop savoir pourquoi la conversation avait fini par se taire. Le silence était lourd, même pour moi, j’avais ouvert la bouche, avant de la refermer, de la rouvrir et de la refermer de nouveau. Alphonse avait fini par reprendre la parole, évoquant n’avoir pas envie de mes carottes ou avoir mieux qu’il voulait ? La question me brûlait alors les lèvres, sans que je n’aie la capacité de le formuler.

La conversation avait dérivé une nouvelle fois, par sa faute, par la mienne je n’étais pas en mesure de le dire. Il tapotait mon front précisant qu’il ne creusait pas mon esprit, mais qu’il le remplissait, je m’étais mise à rire en grimaçant, secouant négativement la tête. J’étais convaincue que l’ensemble des mots complexes qu’ils utilisaient ne m’aidait pas toujours à le comprendre.

- « Pas toujours de bonne chose » ajoutais-je « Tu seras ivre bien avant moi, monsieur poivrot oui et .. Quoi ?! Je ne serais pas ivre avant toi non, tu rêves !» je l’étais déjà non... « À notre… rencontre » répétais-je dans un presque murmure.

On avait lutté un instant pour obtenir la bouteille, j’étais victorieuse, j’avalais une gorgée avant de manquer de m’étouffer vis-à-vis de sa proposition. Je m'étais redressée et je lui tendais la bouteille. L’avais-je défié, sans doute un peu… beaucoup, mais je ne le réalisais pas pleinement. Il acceptait de danser, je crois… Tout du moins avant que je me mette à parler –trop, beaucoup trop-, je parlais de Mathie, de ma vie d’avant, de nos rires de sa mort. Je ne réalisais qu’une fois l’explication terminée et je reculais, je reculais alors qu’une larme s’échappait de mes yeux, que je comprenais qu’Alphonse m’avait écoutée. Que je m’étais ouverte, à cause de lui, de l’alcool, à cause de sa manière de parler, de me regarder. Cela ne pouvait pas recommencer, je ne devais pas m’attacher, je ne l’aimais pas… Je l’appréciais, un peu, beaucoup…. Beaucoup trop. Non. Alors je tentais de fuir, mais il conservait ma main, ne me permettant pas de me détacher. Il avait essuyé la perle salée, c’était rapproché, me demandait d’attendre, je reculais, il avançait, il me regardait, je détournais les yeux. Je manquais de souffle, mon cœur battait tellement fort et pourtant il restait là, juste là, si proche, trop proche. Mon unique échappatoire à ce moment était d’amener la concentration sur autre chose… Comme la danse.

Grave nouvelle erreur. Sa main avait quitté la mienne pour permettre à nos deux mains de se retrouver face à face, sans nécessairement se toucher. Je n’étais pas très ancrée dans le sol, si bien que devais-je lui donner la sensation de tanguer. Lui, il était digne, habitué, je pouvais le voir, je pouvais sentir son souffle, son regard que je ne parvenais pas à détacher alors que le duo que nous formions semblait avoir réalisé cette danse-là depuis de nombreuses années. Cette fois, même l’alcool ne pouvait pas m’aveugler, je lui succombais tout en le refusant catégoriquement. Je m’étais promis de ne plus être cette femme-là. J’étais une bannie, un monstre, une ordure, certainement pas une femme fragile s’amourachant du premier noble qui passait par là. Merde, Isaure, réveille-toi. La fuite fut mon uniquement option, alors … je m’éloignais. Nouvelle fois prisonnière de ses doigts sur ma main, de sa voix qui me demandait d’attendre, je l’avisais, la peur au fond des yeux, la révolte contre moi-même devait briller de cette étrange manière. J’avais manqué de chuter, ses mains s’étaient retrouvés sur ma taille, mon corps de nouveau proche du sien alors que je relevais les yeux. Je cédais à cet aveu, tout en le repoussant, le mettant en garde, il ne devait pas, ça devait s’arrêter. Aveugle sans doute, il m’interrogeait sur ce qu’il fallait arrêter, refusant de voir la réalité en face et la bannie que j’étais. Une bonne personne, drôle de plaisanterie. Son aveu final m’acheva. Le piège avait fini par entièrement se refermer.

J’étais comme hypnotisé, envoûté par cet aveu, par la sensation de ses doigts sur ma taille, par notre proximité. Enivrée par… le vin évidemment, quoi d’autre ? J’avais fini par me rapprocher, déposer une main sur son torse, me hissant par la pointe des pieds. J’aspirais à lui succomber. Mon esprit confus avait fait silence, alors que j’approchais mon visage du sien, que j’approchais le sien du mien, que mes lèvres goûtaient les siennes avec ce désir ardent d’en profiter tellement plus. D’abord doux, hésitant, maladroit, l’effleurement avait fini par tourner en découverte. Était-ce lui, ou moi, je n’en savais rien, je ne l’avais pas repoussé, lui non plus. Je ne manquais pas de souffle, bercé par les battements de mon cœur, j’aurais voulu que l’instant perdure encore un peu alors que je fermais les yeux à mon tour, que j’abandonnais peu à peu mon emprise derrière sa nuque, que je désirais petit à petit autre chose.

Jusqu’à ce que je réalise, que je réalise et que je prenne peur. Terrifiée par ce qu’il me faisait ressentir, par la crainte de l’abandon futur –et inévitable-, par la trahison, par lui et sa manière de voir le royaume, j’avais fini par rompre l’échange. Attrapant la cape autour de sa taille, je me protégeais derrière cette comédie, ce personnage de la bannie que rien ne pouvait atteindre. Évoquant le fait qu’il avait perdu alors que j’étais bien l’unique personne en échec et mat. Mes yeux devaient trahir cette tendresse, cette douceur, alors que je fuyais son regard pour ne pas succomber une nouvelle fois à ses lèvres. La voix d’Alphonse avait changé, il répétait sa défaite, avant de me lancer comme on aurait lancé une dague sur une cible que tout était un jeu avec moi. Comme piqué à vif, sans assumer, sans pouvoir assumer la réalité de notre rapprochement.

- « C’est toi qui dit ça ?! » fis-je mauvaise « Tu as commencé avec le jeu » rétorquais-je faussement « Et puis quoi, la vie elle-même n’est qu’un jeu, à quoi est-ce que tu t'attends ? Un mariage, un chien, des enfants ? » Cette phrase me blessa autant qu’elle devait le blesser, alors que je sous-entendais que tout n’était que ça : un amusement.

Alphonse exigeait que je lui rende sa cape, je m’y refusais, reculant en la secouant, cherchant inconsciemment à retrouver notre jeu d’avant. Je secouais la tête, réaffirmant que c’était la mienne. Nous avons luttés, moins longtemps qu’avant, je me retrouvais coincée dans un coin de la grotte et sa taille plus imposante que la mienne lui avait permis de récupérer le tissu. Il était proche, trop proche, encore. Je m’attendais à le voir s’éloigner maintenant qu’il avait récupéré son bien, il aurait dû s’éloigner, mais rien n’avait de logique avec Alphonse, rien n’avait jamais aucune logique avec lui… Je ne comprenais sa phrase, le fait qu’il n’allait pas être vaincu, il ne l’était pas, puisqu’il avait récupéré la cape, non ?

- « Tu n’es pas.. » soufflais-je alors que ses doigts relevés mon menton, que mon regard était de nouveau aspiré par le sien « Alphonse… » son prénom avait une autre saveur soudainement, une autre forme de supplication. « S’il te plaît… »

J’avais été tout simplement incapable de me soustraire, de lutter contre lui, contre son souffle sur mes lèvres et le mien sur les siennes. Je ne l’avais pas autorisé, j’avais peut-être même essayé de le repousser, sans y mettre la moindre force, la moindre véritable volonté. Il m’avait embrassée et je lui avais succombé -encore-. Envoûté par son goût, sa manière d’être, sa douceur qui se muait peu à peu en quelque chose qui m’effrayait. Je sentais ses mains remonter, je sentais mon corps se crisper de cette manière si particulière, alors que je frissonnais, peut-être pas de cette peur derrière laquelle je me cachais. Mes mains avaient bien essayé de ralentir les siennes, alors que mes lèvres prolongeaient, appelaient encore à cet échange, que mes yeux s’étaient fermé. Succombant entièrement à lui, jusqu’à ce que mes vieilles craintes se réveillent, jusqu’à ce que ses doigts aillent trop loin et que je me retrouve confrontée à cette envie qu’il continue et qu’il arrête. Peu à peu je me réveillais, peu à peu je paniquais, alors que cet empressement –qui pourtant devait être partagé- m’effrayait, que je ne parvenais plus à visualiser cet homme doux, mais de nouveau un homme simplement. Je tentais de le repousser, tout en refusant de stopper l’échange. Tiraillée, perdue, je ne savais plus vraiment ce que je désirais sur l’instant.

C’est Alphonse qui stoppa réellement notre situation, alors qu’il se reculait brusquement, peut-être à cause de mes gestes, peut-être à cause d’autre chose ? J’étais essoufflée, je me laissais glisser contre la paroi, avant de rester ainsi immobile sur le sol. Mes lèvres avaient encore le goût des siennes, ma peau la chaleur de ses doigts. Dans un état second, je ne parvenais pas à définir si je lui en voulais, si je le désirais. J’avais refermé les boutons sans même regarder, alors que mon regard avait fini par se détacher de la cape sur le sol pour le détailler. Il s’excusait et je percevais ça comme un aveu qu’il n’avait qu’uniquement désiré un corps, l’alcool aidant… Est-ce que je comprenais, possiblement, mais la douleur que provoqua cette supposition me désarçonna profondément. Comme une condamnation finale, je réalisais finalement qu’il n’avait s’agit que d’une vengeance… Notre putain de jeu.

- « Tout est toujours qu'un jeu avec toi Alphonse…. »

Je regardais la cape, j’avais gagné oui.. Alors pourquoi avais-je un goût de défaite dans la bouche ? Je cherchais son regard pour me retrouver devant son dos, lui qui faisait disparaître ses fesses sous le tissu de son pantalon… Je n’avais plus envie de le regarder, alors j’enfouissais ma tête dans le haut de mes genoux, recroquevillé sur moi-même, j’aurais voulu que tout s’efface d’un coup, tout en souhaitant que tout perdure encore. M’enfermant dans un silence, les yeux fermés, la tête dans mes genoux, je ne lui avais pas souhaité bonne nuit ni même répondu lorsqu’il m’avait demandé si je dormais. Est-ce que je dormais ? Pas vraiment. J’avais mal, mais la douleur la plus importante ne venait ni de ma blessure ni de ma tête. Je boudais contre le royaume entier et surtout contre moi-même. Pourtant Alphonse avait fini par me couvrir s’approchant, murmurant une question qui manqua de me faire relever le nez. M’enroulant dans la couverture, souriant de cette manière invisible alors qu’il se targuait d’un ‘tu fais chier’ que j’aurais pu lui lancer, j’avais fini par faire mine de dormir, me laissant glisser contre lui… Si je dormais, cela ne voulait rien dire, non ? Je n’étais pas responsable du glissement durant mon sommeil, si ?

La lettre ? Mh... Un A je crois, mais n'avait pas le moindre sens, n'est-ce pas ?

◈ ◈ ◈

L’eau sur mon visage me faisait du bien, tout comme le confort de mes vêtements secs et des bottes à mes pieds. Ma tête me lançait de cette manière douloureuse, alors que mon esprit tentait de remettre dans l’ordre des choses les événements de notre soirée. Me redressant, mon regard c’était un instant immobilisé sur les mouvements de l’eau, sur notre jeu à nous, les éclaboussures, les rires, ce moment de calme qui nous permet de nous recharger en énergie. Je n’avais pas le temps de vraiment songer à tout ça, pas le temps –ou peut-être pas l’envie-, je craignais certains éléments, tout comme je n’avais de cesse de me convaincre qu’il ne c’était absolument rien passé. Sinon, je m’en souviendrais, non ? Des bruits provenant de la forêt m’avaient finalement fait réagir et c’est sans donc d’un pas un peu trop rapide que j’étais retournée dans notre abri. Alphonse remettait ses vêtements, ne semblait pas réellement m’écouter. Je ne pouvais pas lui en vouloir, alors que mes yeux avaient dû le dévisager un instant, presque autant que ceux qu’il portait sur ma silhouette. Je m’étais attardée sur ses lèvres, effleurant les miennes du bout des doigts. Il ne s’était rien passé. Je le pressais par habitude, inquiète oui, mais peut-être moins à cause des bruits et de la potentielle attaque que de son comportement, ses regards ou même des miens.

- « Que…Quoi… » fis-je en le détaillant alors qu’il prétendait que je parlais fort « Mais c’est toi qui… » je fermais finalement la bouche, consciente que ce n’était pas le moment pour ça.

Mon trouble n’avait pu que s’agrandir, alors qu’il me parlait de consentement, tout en soulignant que c’était agréable. Oubliant l’idée même qu’il parlait de l’alcool, je m’étais immobilisée dans mes mouvements, alors que j’étais sur le point de me pencher pour récupérer ma dague. Mes lèvres avaient dû former des mots que je ne prononçais pas oralement. Déstabilisée, j’essayais de me souvenir, avisant l’intérieur de l’abri avec l’espoir de trouver une preuve, un indice… Ma tête me lançait affreusement, si bien que je ne pouvais m’empêcher de venir la masser, alors qu’au même moment je l’entendais me dire qu’il l’a remplissait et ne creusait pas un trou à l’intérieur. Par les Dieux… Plus jamais je ne touche à un verre de vin.

- « Je… no…. Oui oui allons y » repris-je davantage perturbée par sa question vis-à-vis de notre soirée.

Son interrogation sonnait un peu comme une question piège, LA question piège même. Pourtant, j’ai la sensation qu’il a raison, on ne devrait pas traîner là. J’allais avance quand je le vois tendre sa main vers moi, je le regarde, puis regarder ses doigts avant de me mordiller la lèvre inférieure. Je me souviens de sa chaleur, je me souviens sans me souvenir et ça creuse davantage cet étrange malaise que j’ai la sensation de percevoir entre nous. Secouant la tête de droite à gauche pour lui notifier que ce n’était rien. Est-ce que ce n’était vraiment rien ? Ouvrant la marche, j’avançais sans lui accorder un seul regard, mais écoutant attentivement pour m’assurer qu’il suivait bien. Je m’étais enfermée dans mon silence habituel, alors que je reprenais mon rythme, ma méfiance, la surveillance. Je ne m’étais pas les pieds n’importe où, m’assurais qu’aucun piège comme la veille n’était à l’horizon et surtout aucun fangeux. J’avançais rapidement oui, mais l’esprit toujours aussi parasité par mes questionnements.

Nous avions fini par arriver à un petit ruisseau, juste avant que je ne lui indique, Alphonse m’avait mis une tape sur l’épaule avant de s’y rendre. Immobile, je restais en arrière. Je n’avais pas répondu à son interrogation quelque temps plus tôt, ni même à son affirmation de regarder plus tard, comme nous l’avions convenue…. Sauf que je ne me souvenais pas avoir convenu ce type de choses. Ma bouche était toujours aussi sèche, ma gorge aussi douloureuse, noueuse et pourtant, je ne parvenais pas à me précipiter vers le ruisseau. Je restais là, seule, en arrière à le fixer, à observer les gouttelettes se fixant dans ses cheveux, à suivre le mouvement de sa chemise qu’il remonte en dévoilant son torse pour s’essuyer le village. Il avait fini par me parler, sans que je ne parvienne à comprendre sa phrase, bien trop captivé par mon observation de l’instant.

- « De hein ? » fis-je en a direction et secouant la tête. Isaure reprend toi… « Ah l’eau… oui, oui… je vais, ‘fin. Oui. Tu as vérifié si…» je ne terminais pas ma phrase, lâchant un bref soupir.

Là encore, j’avais mis quelques instants à me déplacer, pour m’agenouiller sur le sol humide proche du ruisseau, par réflexe, j’étais venue tremper un doigt dans le liquide, frottant ce dernier contre ma lèvre, afin de vérifier que je ne risquais rien. J’avais attendu un peu, avant de finalement, plonger mes mains en cuvette dans l’eau, pour en récupérer et le porter à ma bouche, avaler une gorgée. Il avait raison, c’était agréable. Il m’interrogeait sur ma blessure, puis sur ma tête.. Sans trop savoir pourquoi cette question me tira un sentiment d’amertume alors que je venais me frotter la poitrine un bref instant. Je roulais simplement les épaules, avant de m’humidifier le visage, ainsi que les cheveux. Il avait quitté l’ensemble, s’installant sur une grosse pierre.

- « Je ne sais pas trop » fis-je vis-à-vis de la douleur « C ’est égal je crois… et toi, ta tête ? On a vraiment… beaucoup bu ? »

La réponse, je l’avais évidemment, j’avais bien vu les cadavres des bouteilles, mais je voulais encore m’accrocher à l’idée qu’Alphonse avait été le principal consommateur de l’ensemble. Un noble ça boit beaucoup de vin, non ? Oui, évidemment que oui.

- « Plus si loin, je dirais à moins d’une étape du soleil… Tu vois il est là… On devrait y être avant qu’il ne soit le plus haut possible dans le ciel, bientôt donc. Pourquoi tu as hâte d’installer ta… » j’avais arrêté ma phrase en route alors que j’allais évoquer sa nouvelle possession « cape… »

Je ne terminais pas ma phrase alors que je me redressais avec lenteur, que je pivotais vers lui pour le détailler. Je me souvenais de cette dispute, je me souvenais de son accusation du jeu, tout comme de cette même accusation que je lui avais offerte. J’avais la sensation qu’il me manquait néanmoins quelque chose d’important dans ce souvenir… Quelque chose de très important. Le détaillant un long moment, j’avais fini par ouvrir la bouche.

- « Alphonse… » j’avais murmuré son prénom avant d’être surprise par sa question prononcée presque au même moment « Hein ? Mh…Non, je ne crois pas… Jocelyn à l’habitude » fis-je en roulant des épaules « Et puis il a d’autre duo au village ! Je ne suis pas la seule, mais comme je ne parle pas et que lui non plus, je crois qu’on s’entend bien et que je suis sa préférence » soufflais-je dans un demi-sourire « Je te le présenterais si tu veux, il pourra t’apprendre à tirer. »

Je n’avais pas perçu le véritable sens de sa question, ainsi m’étais-je concentrée sur Jocelyn, cet ‘ami’ si je pouvais nommer ça ainsi avec qui je passais la plupart de mon temps. Il ne parlait pas, moi non plus… Et le peu de fois où il ouvrait la bouche, je n’étais pas en accord. Néanmoins, il était efficace, j’avais confiance lors de nos missions et les règles entre nous étaient très claires et parfaitement intégrées. Aucune question sur nos origines, la raison de notre bannissement… Dans le fond cela ne m’avait jamais intéressée dans savoir plus. Néanmoins il était doué.

- « C’est un archer » ajoutais-je fuyant le silence que je percevais entre nous « Tu peux aller en mission les yeux fermés avec lui. » je me pinçais les lèvres avant d’ajouter « Je crois qu’il a un véritable problème avec les relations ! Alors évite de lui parler de tout ce qui s’en rapproche et surtout pas d’une petite fermière du Labret » plaisantais-je avant de glisser ma main devant mes lèvres « Enfin, mh, bon, passons… Mais ne t’inquiète pas, nous ne sommes pas tous des sauvages… »

Naïvement je pensais que sa question tournait autour de son inquiétude, de l’inconnu, de tomber sur des bannis comme moi, qui attaque, tue, peut-être même pire que moi. Alors je lui offrais un sourire rassurant, craignais-je sans aucun doute le fait de le voir changer d’avis, renoncer à cette idée. Soucieuse, je surveillais l’extérieur, notre environnement, mais rien ne semblait m’indiquer une attaque ou toute autre chose, la nature parlait à sa manière, les feuilles dégringolaient. Je lui faisais un signe de tête pour lui indiquer le chemin, nous étions de toute façon plus très loin. Pourquoi ralentissais-je alors le pas ? Ne devrais-je pas être heureuse de rentrer enfin, en sécurité ? Puis ce fut cette phrase, cette simple phrase que j’avais attendu qui me fit m’immobiliser – encore-.

- « Qu’est-ce que tu dis ? » questionnais-je, avant de sentir cette espèce d’amertume, vague de colère, incompréhension « Bon tu viens au lieu de murmurer des âneries… » là encore, je déglutissais « Alphonse tu… » tu quoi Isaure ? Hein… tu quoi… « Tu devrais faire attention, il y a une énorme araignée derrière toi. »

Ce n’était pas du tout ce que j’avais voulu dire… Mais je me refusais de formuler ce type de choses, je me refusais à le voir autrement qu’un futur banni, tout comme je ne pouvais accepter que lui-même envisage toute autre chose. Je reprenais la marche, lui tournant le dos excessivement rapidement alors que mes doigts venaient une nouvelle fois effleurer mes lèvres. À quoi est-ce qu’il jouait encore ?

Et toi à quoi est-ce que tu joues, Isaure ?

Je dévisageais Mathie qui disparaissait juste là, alors que je sentais une nouvelle fois ma gorge se nouer. Je m’étais fait une promesse, je n’y retournerais pas. M’enfermant de nouveau dans un silence et ma froideur habituelle, j’avais fini par accélérer la marche, non sans vérifier qu’Alphonse suivait, puis soudainement, alors que nous n’étions plus qu’à quelque pas du village, je m’immobilisais. Je ne pouvais pas, je ne pouvais tout simplement pas laisser la situation comme ça, je ne voyais pas où il voulait en venir pourquoi il était ainsi... Et cette putain de soirée qui restait trouble.

- « En fait… » je m’étais soudainement empourprée sans comprendre à quoi je jouais, finalement… Mathie avait raison, je faisais n’importe quoi « J’ai un peu mal » tentais-je en bafouillant un peu « Tu sais ma plaie… » argumentais-je au cas où, au cas où quoi hein ? « N’en profite pas hein pervers, j’ai retenu que tu voulais sauter de la gueuse, de la bourgeoise, de la noble, de la domestique ET même de la bannie ! Mais bon… Comme je t’ai promis de te laisser voir… et que j’ai mal…. Vraiment...…Peut-être que ça serat plus prudent que tu regardes ? »

Mathie s’était mise à rire devant le ridicule de la situation. Je crois que j’avais honte moi-même, de cette comédie qui ne devait pas vraiment tenir la route… Bon sang, mais qu’est-ce que je faisais. Je regardais derrière moi, je pouvais presque voir les premières cabanes du village. Un soin, en plein milieu de la forêt c’était de l’inconscience, mais… Je voulais retarder un tout p’tit peu le moment où Alphonse aurait beaucoup mieux à faire que de continuer à passer du temps avec moi et… Je savais au fond que ce n’était pas une bonne idée que je l’accompagne dans cette intégration, à lui de faire sa place… Comme prise de remord d’ainsi l’empêcher d’atteindre son objectif –ou peut-être parce que j’étais effrayée de réaliser que je ne le faisais nullement parce que j’avais mal.

- « Enfin, non, ce n’est pas grave, ça peut attendre, on est presque au village alors…. » je déglutissais en faisant quelque pas jusqu’à lui « Tu es prêt ?.... » à quoi pensais-je en disant ça, à cette envie étrange que j’avais de ressentir ses mains sur les miennes, ou de découvrir –ou redécouvrir- la sensation de sa bouche sur la mienne « Pour le village, ton arrivée… Autant certains vont t’intégrer de-suite autant d’autre… » puis hésitante j'ajoutais « Je me souviens pas vraiment de notre soirée.. »

Et maintenant ? Soit l’instant perdurait un peu, soit je l’entraînais jusqu’au village ou le début de sa nouvelle vie allait pouvoir débuter.

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Alphonse de SarosseVagabond
Alphonse de Sarosse



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MessageSujet: Re: [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse]   [Terminé]Le convoi ou la survie il faut choisir [Alphonse] - Page 2 EmptyJeu 24 Sep 2020 - 8:12
Hier, je n'avais pas l'esprit clair. Aujourd'hui, ce n'était guère mieux. De fait, les bribes de souvenirs des événements de la soirée en compagnie d'Isaure remontaient peu à peu, emplissant telles des vagues successives ma conscience. Je n'avais pas tout oublié, mais l'ensemble de nos agissements, de nos rapprochements et de nos actes me paraissaient flous et troubles. Comme si cela n'avait été que chimère ou rêve plutôt que réalité. Comme si j'avais imaginé danser avec elle, jouer dans la mer et surtout; l'embrasser. Or, je n'étais pas dupe. Ces choses étaient arrivées. Maintenant, il me restait à réfléchir proprement sur les tenants et aboutissants de ces faits. Sur leur cause et surtout, sur les conséquences que cela engendrait inévitablement entre moi et ma partenaire. Du moins, lorsque mon esprit enfiévré et douloureux me le permettrait, tandis que l'alcool me châtiait douloureusement pour l'excès et l'ivresse de cette douce nuit en compagnie de la bannie.

Toujours est-il que même si je l'avais voulu, je n'avais guère eu la chance de m'appesantir sur une quelconque réflexion. Isaure m'avait tiré de mon sommeil en annonçant des bruits en direction de notre caverne. Encore perdus dans les limbes du sommeil, le sang pulsait à mes tempes et mon esprit qui souffrait de mon enivrement cherchait toujours à démêler et définir le vrai du faux. Comateux, je m'étais mis à m'habiller et à me préparer au départ, tout en revoyant certains moments de notre nuit. Ce faisant, je la questionnais à demi-mot, espérant voir plus clair dans le brouillard qui m'emplissait le crâne. Je m'étais attendu à un silence ou une insulte, mais j'eus plutôt le droit qu'à une bribe de réponse. Cette dernière ne m'éclaira aucunement, mais je perçus le même trouble habitant Isaure.

Lorsqu'Isaure avoua du bout des lèvres qu'elle se rappelait de la soirée, je ne pus m'empêcher de lui offrir un sourire idiot. Puis, réalisant mon air béat et probablement benêt, je pestais silencieusement contre ma personne, me rabrouant et me concentrant au départ. Pourquoi étais-je heureux de ne pas la voir dire le contraire ? Pourquoi était-ce si important pour moi de ne pas la laisser oublier ces instants de sérénité sur le littoral. Pas maintenant, me fis-je la réflexion. Il fallait partir et déguerpir pour éviter un quelconque ennui. En outre, je ne désirais aucunement voir cette caverne devenir un endroit ou un énième problème dans notre vie de pérégrination surviendrait. À mon sens, cet endroit devait rester celui d'un souvenir doucereux, ou l'espace d'une nuit, la vie de bannie et de fugitif avait été effacé au profit d'une quiétude certes passagère, mais ô combien délicieuse. Je savais que c'était un peu stupide de penser avec ce type de mélancolie crasse et puéril. D'ailleurs, je ne l'avouerais jamais à Isaure. Pourtant, je me rattacherais longtemps à la réminiscence de cette nuit étoilée en sa compagnie, là, le long du littoral.

Prêt à partir, je lui tendis la main sans réfléchir, avant de la retirer précipitamment suite à une ou deux secondes d'hésitation. J'avais été habité par le besoin impérieux d'entrelacer ses doigts au mien et de la tirer derrière moi. Dans mon esprit, mon réflexe était incompréhensible. Nous n'avions jamais réellement agi avec autant de familiarité, non ? Puis, un éclair sembla frapper ma conscience, tandis que je revoyais nos mains se tenant plusieurs fois durant lors de la nuit d'hier. Rougissant, réalisant d'où provenait mon désir de lui attraper la main, je finis par m'excuser et profiter de notre fuite pour fuir à mon tour mon geste irréfléchi.

La suite nous força au silence. La concentration était de mise, tandis que nous savions un hypothétique danger plus ou moins proche. Cependant, bien qu'alerte, regardant à droite et à gauche, je ne pouvais affirmer que j'étais complètement concentré à la tâche. Ma conscience était encore en ébullition, tentant d'analyser les sentiments qui me tiraillaient. En outre, je tentais de comprendre pourquoi mon regard revenait toujours se river sur Isaure plutôt que sur la forêt nous environnant. J'étais tel un papillon attiré par une flamme. Et bien que sachant l'idiotie de cette observation, alors que tout autour de nous aurait pu être un danger, je continuais à la regarder, encore et encore.

Finalement, nous sommes arrivés à un petit ruisseau que je lui avais désigné. J'avais besoin à la fois de me rafraîchir l'esprit et le gosier. En outre, je pensais que nous nous étions suffisamment éloignés pour pouvoir nous permettre une petite pause. De plus, toujours dans le registre de mes désirs incompréhensible, j'avais envie de crever le silence et d'entendre sa voix. C'était probablement pour m'assurer qu'elle aille, bien évidemment ! Comme un sage et prudent partenaire de survie le ferait ! Après tout, elle était encore blessée ! Dès lors, c'était logique de vouloir la questionner, la sonder et l'entendre parler, non...?

Brisant le silence après m'être aspergé le visage, la questionnant sur sa blessure, je n'eus tout d'abord aucune réponse. Puis, je parlais du bien fou qu'il y avait de s'humidifier la peau après l'ivresse de la soirée. C'est ce qui la fit sortir de sa torpeur et de ce qui semblait l'agiter. Échangeant nos places, la laissant s'approcher du ruisseau alors que je me reculais en direction de la pierre, je la regardais faire tout d'abord avec un sourire amusé en voyant qu'elle vérifiait si l'eau cristalline était potable. Or, lorsque je vis son doigt venir frotter ses lèvres, mon égayement laissa place à un profond dési... désarrois ! Je veux dire désarrois. Je n'arrivais pas à détacher mes yeux de ses lèvres, en quelque sorte appâtés par celles que je savais si douces. Obnubilé par le spectacle, la regardant se mouiller le visage à son tour, voyant des perles se former à la commissure de ses cil et dans sa chevelure, comme de multiple diamant scintillant, je ne pus que la trouver affreusement belle.

Tiré de ma rêverie par sa reprise de parole, ce fut à mon tour de bégayer et d'avoir du mal à trouver mes mots "...Ég...égal ?" Me raclant la gorge en fronçant les sourcils, je réalisais que j'avais la gorge sèche. Pourtant, ne venais-je pas de boire ? "Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle. Il faudra vérifier." Allons, pourquoi est-ce que cela me réjouissait de devoir m'assurer de son état ? Cela devait être pour effacer l'inquiétude qui m'étreignait dangereusement pour ma sauveuse, voilà tout. " J'ai un mal de crâne féroce. Oui on a beaucoup bu." Lui avouais-je, honnête, la regardant dans les yeux sans grimacer le moins du monde. À cet instant, pour moi, je ne regrettais aucunement cette sourde douleur qui battait à mes tempes. Et elle ? "Mais je ne pense pas avoir trop bu. Et toi ?"

La conversation dériva, voguant toujours entre nos incompréhensions croissantes les réminiscences d'une soirée qui soufflait tempête dans nos esprits. Le discours s'était articulé autour de l'approche du village des bannis. Je n'avais aucune envie de rentrer, de la voir disparaître au détour de sa demeure, de me voir de nouveau non pas seul, mais esseulé de sa présence. Puis, Isaure avait commencé à parler de ma cape. Ou de sa cape. Bref, je ne savais guère plus à qui elle appartenait, mais je la lui cédais sans la moindre hésitation. Pour me racheter d'hier ? Pas le moins du monde...

Ma prise de parole sur le temps restant fit naître une question et un doute en moi; est-ce que quelqu'un l'attendait au village ? Est-ce qu'elle avait déjà un partenaire ? Au même moment que je faisais entendre mes peurs sur le sujet, la jeune femme prononça mon nom. L'entendre me fit à la fois le plus grand bien que de me vouer au supplice. "Jo...Jocelyn ?" Ce n'était plus quelques questions qui m'habitaient, mais bien une pléthore plus que conséquente. Qui était ce mécréant qui l'accompagnait et qui l'avait peut-être même fait compagne ? "Un duo, hein ?" Quelle était cette amertume qui m'étreignait à bras le corps et m'enserrait le cœur ? Pourquoi est-ce que je détestais ce Jocelyn sans le connaître ? "Inutile qu'il m'apprenne à tirer. Je ne voudrais pas déranger vos retrouvailles." Murmurais-je, à la fois amer et blessé. "Je suis content de voir que tu peux compter sur quelqu'un." Je ne mentais pas. Mais je souffrais de voir que sa confiance que je ne pensais pas avoir gagnée était déjà toute offerte à quelqu'un d'autre. Par l'impie Trinité, était-ce réellement une bonne idée de rallier le village des bannis ? Remettais-je réellement en doute cela à cause de la présence d'un énergumène ?
Tout à fait.

Soupirant, me secouant, je tentais de faire preuve d'un peu moins d'aigreur. Je devais me contrôler. Perdre mon calme n'était pas mon genre. Le fil de ma pensée fut complètement arrêté par la suite des propos d'Isaure. Stupidement, je les répétais. "Une fermière du Labret ?" Souriant à la mesure de ses paroles, me redressant vivement, j'hochais la tête. " Je serais bien heureux de le rencontrer !" Je changeais drastiquement de perception à son égard. "M'apprendre à tirer ? Pourquoi pas !" Peut-être même beaucoup trop. Mais qu'importe. Je me semblais comblé de félicité et d'apaisement.

Je n'étais pas stupide. Or, j'étais en mesure de m'aveugler. Je ne l'avais pas accepté jusqu'alors, mais ma toute récente jalousie venait de me souffler comme une évidence. Dans le fond, je le savais déjà hier au soir. Je n'avais fait que repousser cela à plus tard, préférant profiter des instants que je vivais sans me questionner sur mes états d'âme qui me faisaient voler d'un extrême à l'autre. J'étais entiché de la bannie que j'avais rencontrée hier soir. C'est en réalisant cela, en me l'avouant -enfin- que je répétais les mots que j'avais prononcés hier et qui définissaient bien mon plus précieux et important vœu; " Vous rêverais-je ?"

Je n'eus pas conscience d'être rabroué par ce qu'elle prétendait être des "âneries". Ce n'en était aucunement, à vrai dire. Toujours est-il que mon esprit s'était vidé, concentré et focalisé sur l'unique chose qui semblait encore revêtir un sens et une importance en cette heure. Ma découverte sur mes sentiments. Superbement, j'ignorais l'araignée sans même la regarder, préférant fixer l'objet de ma confusion. Silencieusement, je lui emboîtais le pas. Suivant le rythme de marche qu'elle imprimait, fronçant le sourcil devant la cavalcade effrénée dont elle nous gratifiait, j'avais quasiment l'impression qu'elle fuyait. De quoi cherchait-elle à s'échapper de la sorte ? Serait-ce de ma présence ? Avait-elle si hâte à notre séparation une fois rendue au village ? Étais-je devenu un poids ? Un fardeau ? Ainsi, la morosité vint reprendre ses droits sur ma personne. Le silence dans lequel nous évoluions me semblait lourd. Bien que nécessaire, pouvant s'expliquer par le besoin de rester à l'affût, je ne le ressentais aucunement ainsi. Pour moi, il cachait quelque chose. Ressentiment ou sentiment ? Allez savoir...

Puis, Isaure me surprit, commençant à parler de la nécessité d'un regard sur sa blessure qui l'élançait. Trouvais-je cette demande normale venant d'elle ? Qui plus est aux abords de son foyer et au milieu des bois ? À dire vrai, je n'y pensais pas le moins du monde, trop obnubilé par l'idée de repousser l'heure de la finalité de notre égarement. " Mieux vaut ne prendre aucun risque. Je peux regarder, vérifier et poser un nouveau pansement sans le moindre problème." Répondis-je rapidement et avec conviction. "Assieds-toi." Formulais-je en me laissant à mon tour tomber sur les genoux, face à elle.

Commençant à découper un nouveau morceau de tissu dans les derniers lambeaux de ce qui avait été ma cape -devenue sienne- à notre rencontre, je souris en secouant la tête. " J'ai changé d'idée." Je n'avais jamais voulu "sauter" autant de personne. Toutefois, je savais qu'elle ne me croirait jamais, s'amusant à mes dépens encore et encore. " Une seule personne qui compte me suffirait." Devant tant de hardiesse, mon visage s'empourpra et je me mis maladroitement à déchirer le tissu. Par la Trinité, j'étais tel un jeune homme se pâmant devant son premier béguin, cela en était affolant ! Pour moi, en ce moment, je m'efforçais toujours de penser que ce n'était que l'éveil d'un petit désir, qu'une lubie qui finirait rapidement, tandis que la routine nous séparerait et qu'Isaure ne serait pas le moins du monde réceptive. Or, bien que je tentais de m'en convaincre, je n'arrivais pas à cacher mon plaisir de pouvoir rester avec elle. Ça me passerait probablement, imaginais-je." Peux-tu soulever ta chemise ?" J'avais de nouveau la gorge affreusement asséchée. Déglutissant, je croisais son regard avant de le détourner excessivement rapidement. Mieux valait qu'elle ne voie pas la fièvre qui brûlait au fond de mes iris.

Enlevant le bandage, j'avisais la blessure, le regard attiré par la peau laiteuse de la bannie. Secouant la tête, je me focalisais sur la plaie. Cette dernière avait meilleure allure que hier. Elle était en bonne voie de guérison. Ce que j'avais appris avant-hier m'était utile en cet instant. L'odeur était saine. La peau autour n'était pas dure, violacée. Rien ne suintait de la balafre. La suite n'annonçait que du bon pour que ce maux ne soit plus qu'un lointain souvenir et ne devienne qu'une cicatrice. "Je suis inquiet. Il va falloir la surveiller chaque jour, je pense. Sachant que ça sera difficile pour toi de changer le pansement, il va falloir que tu viennes me voir, non ?" À quoi jouais-je, bon sang ? Je me dépitais moi-même devant tant d'idiotie. Elle verrait bien que la balafre ne nécessitait plus une surveillance constante, non ?

Pour éviter de la voir réagir, je répondis à ses autres questions, tout en passant le nouveau bandage autour de sa taille. Je faillis échapper le pansement en me remémorant subitement que j'avais déjà posé mes mains à cet endroit, hier. Je me rappelais de sa proximité, de sa présence plus enivrante que le flacon rubis. Je me remémorais sa fragrance, la danse... je devais me ressaisir, bon sang ! "Je... je crois que je suis prêt, oui."

Non, je ne l'étais pas. Mais ça, je ne pouvais pas encore le savoir. "Je réussirais à m'intégrer." Lui fis-je la promesse. Coûte que coûte, je ne voulais plus connaître la solitude.

Finalement, la fin de sa prise de parole tomba comme une sentence de mort. Elle ne se souvenait plus vraiment de sa soirée. Me relevant, croisant enfin son regard, mes yeux s'étaient éteints. "Si tu ne te rappelles plus vraiment de la soirée, c'est qu'il n'y avait rien de bien important à se remémorer, non ?" Échec et mat, Alphonse. Isaure venait de clore cette idylle qui m'abrutissait. Elle ne voulait plus ressasser cette nuit qui ne symbolisait rien pour elle. Oui, ça devait être ça...non ?.

Sur l'instant, je tentais de me faire une raison. Je ne pensais pas avoir mal compris ce qu'elle cherchait à dire. Après tout, la bannie m'avait annoncé qu'elle se rappelait de la soirée au réveil et maintenant, elle prônait l'inverse ? Sans l'ombre d'un doute, c'était sa façon de couper les ponts avec ce qu'elle devait vivre comme un égarement, une faiblesse passagère qu'elle avait vécue. Je n'étais rien. Il y avait un monde entre ce que nous avions vécu dans la nuit et durant le reste de nos déambulations. Il semblerait qu'elle voulait oublier l'un des deux pans de cette histoire. Je tentais de me faire une raison. Or, c'était comme lutter contre une tempête. C'était impossible. Je n'arrivais pas à abandonner. Du moins, pas encore. Avais je tort ?

Avais-je raison d'être déraisonnable ?

-"Allons-y, Isaure" C'est ainsi que ma première aventure avec la bannie se termina. Nous avions survécu au milieu d'une multitude de tempêtes et de tourments. Nous avions connu une brève période d'accalmie et nous venions de rejoindre le village des bannis. C'était beaucoup en si peu de jour. Toutefois, ce n'était rien en comparaison avec ce qui nous attendait.

Mais ça, c'est une autre histoire...
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