A chacun son petit vice [PV Victor de Rougelac]

C’est une sobre missive au style totalement épuré et discret qui parvient au Manoir Rougelac le lendemain de tout ce qui précède. Une missive soigneusement pliée et cachetée d’un sceau aux motifs compliqués et aux entrelacs nombreux, le sceau de la baronne de Sibran. Etienne l’a transmis aux petites heures à la gouvernante qui le fera parvenir au Comte pour qu’il puisse lire ce qui suit à son lever.

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A Victor de Rougelac
D’Esméra de Sibran

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Cher Victor,

Voudriez-vous vous joindre à moi pour un repas informel en ma résidence, ce soir, vers les vingt heures ?

Ma table n’est certes pas aussi fournie ni aussi luxueuse que la vôtre mais je gage que vous ne vous arrêterez point à ce genre de détails.

Il me tarde de vous revoir mon ami.

Vôtre,

Esméra de Sibran

A chacun son petit vice [PV Victor de Rougelac] Szopar10

La veille, après avoir quitté la résidence Rougelac dans une discrétion toute relative – parce que rien n’échappe aux ragots et aux rumeurs sur l’Esplanade – la baronne a regagné son logis avec un sourire heureux et rêveur. A son arrivée en sa petite résidence, Esméra a, comme elle le pressentait, été interrogée avec une certaine angoisse par Sophie, tandis qu’Etienne écoutait, les bras croisés, appuyé sur un mur, la mine sombre.

La baronne ne leur a rien caché…parce qu’il n’y a précisément rien à cacher. Elle a été reçue comme une reine, par un homme aux multiples visages et à la réputation sulfureuse. Un homme qui lui a cédé la chambre de feu son épouse et qui a eu la courtoisie de lui apporter son petit déjeuner au lit, ce qui lui avait semblé d’ailleurs totalement exotique bien que terriblement plaisant.

A la réflexion…si. Il y a quelque chose à cacher. Un baiser. Un seul et unique baiser donné à la lueur d’une torche et rendu à l’aune d’un désir mal contenu. Elle ne leur en parle pas mais Sophie a une moue inquiète, tout en regardant Etienne qui, lui, est totalement assombri. Il ne dira d’ailleurs pas un mot suite à ce qu’elle a raconté.

Après une rapide toilette, elle a enfilé une robe toute simple pour se rendre ensuite au Temple, afin d’accomplir les tâches qu’elle effectue de manière régulière, sans se départir de sa bonne humeur et de son sourire.

Le lendemain matin, très tôt, elle envoie donc une petite invitation à Victor, avant de mettre toute la maison en route. Sophie mettra de l’ordre dans les petites pièces, avant d’aviser le petit cellier qui contient cette fois, grâce à Etienne, de quoi faire un repas digne de ce nom : un peu de poisson, quelques légumes frais, des œufs, un peu de pain et des fruits secs. Il n’y aura pas de vin par contre, hormis ce petit vin aux épices qu’affectionne tant Esméra et qui sera servi avant le repas.

Le repas sera informel et simple, c’est ainsi que le veut la baronne.

Evidemment, tout est prêt bien avant vingt heures. La résidence de la jeune femme est dix fois, vingt fois plus petite que le manoir Rougelac, ce qui lui laisse donc le temps de s’entraîner à quelques passes d’armes avec Etienne dans le petit jardin situé derrière la maison, à l’abri des regards. Il fait sombre, mais peu importe. Quelques torches éclairent la scène.

- Vous devriez aller vous préparer, Madame. Il est presque dix-neuf heures.
- Encore un peu. Il ne fait pas froid et j’en ai besoin. Allons Etienne ! Déridez-vous un peu, bon sang ! Puis j’irai me changer, vous avez ma parole.

Elle ne porte ni robe ni bas, ni diadème, ni bijou, rien de féminin si ce n’est une longue tresse qui oscille sur son dos à chacun de ses mouvements fluides. Elle porte un pantalon de chanvre marron et des chaussures souples, une chemise de lin beige et un surcot sans manches, serré à la taille par une ceinture de cuir. Le garde a admis qu’elle avait fait des progrès. Par deux fois, elle a failli le surprendre, changeant ses mouvements, ses tactiques comme si elle avait appris des trucs et astuces. Mais…où ?

- Vous êtes distrait.

La baronne se tient en face de lui, le stylet à la main, l’œil brillant, les joues roses et le sourire étincelant de joie. Être imprévisible est une de ses actions favorites. La lame levée, l’autre main servant de balancier, elle avance rapidement sur son garde qui lève son arme à son tour, l’entrechoquant à celle de la baronne dans un bruit de métal tout à fait caractéristique et reconnaissable entre mille autres, alors qu’une vive passe d’armes a lieu entre eux, sans qu’ils ne se soucient de ce qu’il se passe en dehors du duo d’équilibristes dansants qu’ils forment à la lueur des torches.

La silhouette de Sophie se dessine, elle-même habillée d'une ravissante robe bleue, cadeau de la baronne qui l'a elle-même reçue de Dorian.

- Madame, le Comte ne devrai plus tarder. Je vous en prie, venez donc vous habiller et laissez cela pour ce soir. Il sera toujours temps de reprendre demain, si vous le désirez.
- J'arriiiive!

Et c'est à ce moment précis qu'on heurte la porte principale. Esméra a un rire léger, avant de s'enfuir dans les escaliers en courant, jusqu'à sa chambre, tandis que Sophie se pince l'arrête du nez en secouant la tête. C'est donc une silhouette bleue au sourire poli qui ouvre délicatement la porte et accueille Victor, l'invitant à patienter dans le petit salon qu'il connait bien.

- Madame la baronne vous rejoindra sous peu, Monseigneur. Prenez place, je vous en prie.

Les souvenirs de cette soirée en compagnie de la Veuve Sibran semblaient rester indélébiles dans l'esprit du Comte qui pourtant continuait depuis à honorer ses nombreuses obligations. Un prochain voyage pour le fief de Sombrebois accaparait son temps. Il fallait organiser le cheminement de matériel, s'assurer que ses sous-traitants honorent leurs contrats. Tout ceci n'était pas une mince affaire et d'ailleurs lorsque le pli de la Baronne parvint au Manoir ce jour là, Victor était au abonné absent. Occupé qu'il était dans un sombre entrepôt au quartier du port, le mondain devisait avec un artisan qui lui causait quelques tracas.

En compagnie de deux hommes de main fidèles, Rougelac passait à tabac l'individu qui s'était osé à le duper sur la qualité de marchandise. Attaché à une chaise, l'homme essuyait les coups des deux sbirs pendant que Victor l'interrogeait sur ses manquements. Il avait commandé à l'homme des ressources indispensable pour le second oeuvre du mur d'enceinte du Bourg de Sombrebois, seulement les quantités semblaient bien loin du compte espéré et payé par le sang-bleu qui dans ce genre de situation, se montrait intraitablement.

L'artisan semblait manquer d'argument et bientôt son visage s'en retrouvait méconnaissable lorsqu'enfin il fini par avouer son larcin.

- P'tié vot'Grandeur... j'vous rembourserais, j'vous l'jure...

C'est à cet instant qu'une imposante silhouette se dessina dans le dos du Comte avant d'apparaître à la lueur du jour. Il s'agissait de Ser Desmond de Rochemont tenant une missive dans sa main droite. Victor stoppa alors ses exactions, consultant le contenu du pli avant d'esquisser un sourire à la commissure de ses lèvres, rangeant le bout de papier dans le revers de sa tunique. Reniflant ses gants de velours, il avisa d'un regard méprisant l'individu qu'il avait dupé avant de s'approcher de lui et le saisir par la gorge.

- Je paie toujours mes dettes... et la tienne est la mort. Qui me trompe une fois ne le peut jamais une seconde fois. J'ai des choses plus importantes à faire. Je trouverais un bien plus loyal collaborateur.

Se retournant, il pose en toute sérénité une main sur l'avant bras de l'homme que l'on surnommait "la muraille".

- Faite cela proprement Ser Rochemont.

L'homme acquiesça tandis que Victor quittait les lieux escorté par ses deux autres sbirs laissant le pauvre malheureux aux griffes du colosse. Malgré ses protestations, Rougelac pu alors, avant de refermer la porte de l'entrepôt, entendre un craquement d'os derrière lui, ce qui provoqua un mince sourire satisfait, son regard porté en direction des beaux quartiers. Ce qu'il advient du corps de l'artisan ? Empaqueté et lesté de pierres avant d'être balancé en toute discrétion dans la Mer, dans un endroit peu fréquenté des docks.

Ce fut donc les mains tachées du sang d'un marbrumien que le mondain regagna son Manoir pour se préparer à l'invitation de ce personnage haut en couleurs qui avait gagné plus que sa sympathie. Se drapant d'une tunique bordeau et d'un brocard obsidienne, il se rendit en début de soirée sous bonne escorte à la résidence de la Dame d'Hagerth. Il laissa une sentinelle en stationnement dans la rue. Le pauvre allait peut-être y rester toute la nuit ? Personne n'aurait su dire mais les ordres étaient les ordres.

Le Comte fit naturellement accueillie par Sophie qui faisait office de femme à tout faire en ce lieu, l'invitant a patienter dans le petit salon. Y prenant ses aises, Victor verifia en passant une main dans le revers de sa tunique que la boite qu'il y avait dissimulée était belle et bien encore présente. Se faisant, il tua le temps en imaginant tous les scenarios possible et imaginable que pouvait réserver ce second rendez vous en terre déjà apprivoisée. Toute pensée à l'endroit de son larcin de la mi journée lui était complément sorti de son esprit, ses pensées uniquement focalisé sur cette créature aussi délicieuse qu'insoupconnément pleine de mystère.

- Madame…Le comte..
- Oui je sais Etienne. Pour l’amour des Trois, que se passe-t-il encore ?
- Il a laissé un garde dans la rue.
- Et alors ? Il a encore le droit de faire ce qu’il veut il me semble.
- Non, vous ne comprenez pas…

Etienne a un regard attristé pour Esméra. La baronne vient de sortir du minuscule boudoir qui tient à sa chambre et ajuste une robe de velours noir aux larges galons d’argent. Le corsage, les manches et la jupe ne forment qu’un seul et unique fond de Ténèbres qui peut paraître d’une austérité sans commune mesure. Cependant il n’en est rien. De plus près, cette tenue comporte des dessins en filigranes, comme si le velours avait été spécialement travaillé de manière à former des entrelacs et des fleurs, subtilement révélées par la lumière. Il adore cette tenue.

- Je pense que le Comte a sur vous des vues qui dépassent la simple entente cordiale, Madame.
- Etienne, mon ami…De grâce…Vous enfoncez des portes ouvertes, je sais tout ceci. Je n’ai plus 15 ans.
- …

Le garde grommelle quelque chose entre ses dents. Le Comte de Rougelac lui déplaît. Il connait sa réputation, il parcourt suffisamment la ville pour entendre tout ce qu’il est possible d’entendre à son sujet. Et ce qu’il entend…

- Il est dangereux.
- …

Esméra est en train d’ajuster ses longs cheveux en un chignon très élégant rehaussé d’une petite épingle à l’unique perle, petite tache blanche perdue au milieu des boucles noires, le seul et unique bijou qu’elle portera ce soir.

- Vous êtes bien trop méfiant, Etienne. Victor a eu cent occasions de me faire du mal. Et ce n’est pas le cas.
- Il suffira d’une seule fois, Esméra.

La baronne vient de poser le peigne sur la coiffeuse, les yeux grands ouverts. Il vient de l’appeler par son prénom. Elle se retourne et l’observe, les yeux plissés. Le garde détourne le regard et son visage se teint en rouge. La baronne pâlit. Alors…tout s’éclaire. Elle se lève, prête pour la soirée, somptueuse silhouette pâle nimbée d’ombre et d’argent, pour s’arrêter à hauteur de son garde, avant de murmurer, d’une voix douce :

- Vous devriez garder ceci pour vous. Etienne, mon ami, je vous considère comme un membre de ma famille. Peut-être pas celui que vous vous imaginiez en effet…Alors ne restez pas ici. Allez vous détendre dans la ville, si vous le pouvez.

Ce fut tout. Après tout ce temps passé ensemble, jamais elle n’aurait cru Etienne capable de cela.

Descendant les petites marches menant au hall d’entrée, elle se recompose un visage avenant et souriant, pénétrant enfin dans le petit salon dans lequel attend patiemment le Comte de Rougelac. Elle avance avec grâce, le visage éclairé par la vue de l’élégant mondain assis là et esquisse une petite révérence avant de lui tendre la main, visiblement très heureuse de le revoir.

- J’espère que je ne vous ai point fait trop attendre mon ami…

Elle est sincèrement heureuse de le recevoir, cela ne fait aucun doute. Victor, lui, pourra voir passer derrière la baronne la silhouette haute d’Etienne qui sort de la maison. La porte n’a pas claqué, il est d’une totale et absolue discrétion.

- Pardonnez ce léger retard, j’étais occupée à régler quelques points d’intendance avec Monsieur Beauchêne.

Sophie entre alors à son tour et dépose sur la petite table basse ce vin épicé dont raffole la baronne ainsi que deux coupes, avant de s’éclipser en silence. C’est qu’il y a beaucoup à faire en cuisine et elle est seule à tout préparer ce soir…

- Comment vous portez-vous aujourd’hui, Victor ?

L'attente fut de courte durée, mais suffisante pour que le Comte s'imagine déjà l'artisan gisant au fond de la mère pour l'éternité. D'ici à peine quelques semaines, son corps sera tant décomposé qu'il ne sera plus identifiable et que personne ne pourra remonter jusqu'à lui tant et qu'on puisse retrouver un indice sur cet assassinat car Victor était méticuleux et s’efforçait de ne laisser aucun emprunte ni effet qui pourrait l'amener sur le banc des accusés et de facto au bout d'une corde.

Son sourire machiavélique se mua en sourire ravis lorsqu'il tourna la tête en direction de l'entrée du salon où venait d'apparaître la baronne de Sibran. Esméra apparaissez dans une tenue délicieusement ténébreuse qui n'avait rien pour choquer un mondain avar de dévorer du regard les tissus de ces dames. Il affectionnait les toilettes et trouvait qu'une femme révélait plus encore ces charmes en se distinguant dans des tissus fin et élégants. Alors qu'elle rompait la distance, Victor en faisait de même jusqu'à se saisir de la main tendu de la Dame d'Hagerth. Se pliant volontiers à un baise main, il en savoura l'instant, ce contact de ses lèvres avec la peau de la donzelle avant de se redresser et lui servir un sourire aussi ravissant que possible, satisfait de voir la jeune femme comblé par sa simple et élégante présence.

- Mais non mais non, ne dites point de sottise, vous ne m'avez nullement fait attendre voyons!

Il regarda par dessus l'épaule de la baronne, apercevant l'homme d'arme filer vers la sortie de la résidence sans demander son reste. Si cela se réalisa plutôt discrètement, il y avait fort à parier qu'Etienne n'avait pas quitter les lieux de gaieté de cœur, sinon, aurait il au moins présenter ses salutations au Comte. Victor se plaisait à imaginer qu'il y avait bien eu un échange entre l'homme d'arme et la baronne et que potentiellement, quelque chose les avait mit en désaccord. Mais Victor ne souleva pas ce point car après tout, cela faisait ses affaires ? Il n'aurait pas à subir la présent du protecteur de la Veuve Sibran et ainsi, il pourrait œuvrer sans qu'aucune menace ne pèse sur lui, enfin c'est ce qu'il en pensait sur l'instant.

Quittant ses songes, il adressa un regard entendu à Esméra qui cherchait alors à justifier de son retard et ces mots corroborait avec ce que Victor en déduisait de prime abord. Jouant d'un faux semblant irréprochable, Rougelac laissa alors Sophie s'introduire dans le salon avant de reprendre la parole lorsque cette dernière disparut derrière la porte.

- Vous êtes tout en beauté ce soir. Mes azurs se régales d'un tel joyau qui s'offre à eux. Et ne vous justifiez point, vos affaires sont vos affaires. Pour le reste, je me porte à merveille ! Une journée bien rempli, alors lorsque j'ai pu consulter votre lettre, cela m'a mit du baume au coeur. Vous n'auriez pas pu trouver meilleur occasion pour m'inviter.

Il lui saisit délicatement l'un de ces poignet et lui offrit un second baise main avec quelques notes sensuelles non sans la fixer du coin des yeux.

- Comme vous l'avez évoquer, je vous rejoint sur un point. Il me tardait de vous revoir ma très chère amie. Je puis espérer que ces derniers jours se sont bien passé pour vous et que vous avez continuer d’œuvrer avec générosité auprès des plus défavorisés ? A moins que des affaires de la haute ne vous ont contraint à reporter vos prochaines promenades dans les bas quartiers ? En tout cas, en cette soirée, si nous pouvons nous être d'un réconfort, cela sera un honneur pour moi.

Ah quel flatteur, Victor cherchait évidemment à troubler et faire rougir la donzelle. Il fallait préparer un tout autre terrain informelle et il était déjà en train de concocter un plan pour arriver à ses fins... La tournure des événements, il le savait, serait totalement incertaine, seulement, face à Esméra, l'incertitude tandait à l'exciter, de bien des façons.

- Vous me flattez, Victor. Mais je vous pardonne pour le plaisir que m’apporte ces quelques paroles.

Lui abandonnant volontiers sa main, Esméra a un radieux sourire. Le Comte a de nouveau au coin de l’œil cet éclat malicieux qu’elle commence à bien connaître, ce qui augure à nouveau une très belle soirée.

- Je suis navrée d’apprendre que votre journée n’a pas été à la hauteur de vos espérances mais si ma petite invitation vous a apporté un peu de joie, alors j’en suis ravie.

Lui reprenant à regret sa main, elle s’éloigne un peu de lui pour verser du vin épicé dans les verres, en toute familiarité, avant de lui en tendre un, le sourire aux lèvres. Elle a parfaitement entendu Etienne s’en aller. Et la baronne cache bien son trouble, il est impossible de voir qu’elle est inquiète pour son garde personnel. Même s’il est d’une sagesse et d’une droiture à toute épreuve, il n’est pas interdit de croire qu’il ira potentiellement apaiser sa peine dans un des troquets bons marchés de la ville. Et là, les Trois seuls savent ce qui pourrait advenir de lui. Etienne ne boit jamais une goutte d’alcool…

- Malheureusement, je n’ai pu apporter l’aide que j’aurais voulu apporter. Les temps sont difficiles pour tout le monde et disposer de matières premières devient de plus en plus compliqué.

Elle lève son verre et le heurte avec un aimable sourire à celui de son invité.

- A des temps meilleurs. Pour tous.

La baronne boit une toute petite gorgée tout en ne le quittant pas des yeux et reprend, toujours debout :

- Vous savez bien qu’aucune affaire de la Haute, comme vous dites, ne me retient jamais. Pour la simple et bonne raison que je n’en ai pas. Par contre, ce manque de matière à distribuer ne m’a pas empêchée de me rendre au Temple. Si vous saviez, mon ami, à quel point j’aime me rendre là bas…J’ai la réelle sensation d’être utile au quotidien. Avec rien. Juste ma voix et un peu de mon temps.

Elle reste là, face à lui, observant sa tenue avec attention. Le comte semble aimer les tenues sombres. Des tenues qui avantagent nettement son regard d’azur présentement posé sur elle, ce qu’elle ne manque pas de souligner en son for intérieur. Une idée lui parvient alors. Une idée peut-être un peu incongrue mais qui pourrait agrémenter cette soirée déjà toute en agréments divers et variés.

- Voulez-vous que je vous fasse entendre ce que je chante à ces infortunés malades qui se rendent au Temple, mon ami ? Peut-être que cela vous apportera un peu de ce réconfort dont vous semblez manquer, qu’en dites-vous ?

Il n’a qu’un mot à dire et elle ira elle-même quérir le petit luth qui trône dans sa chambre

- J’aime la musique. Je ne joue pas aussi bien que Bathilde mais je peux au moins tenter d’apaiser vos tourments de cette façon.

Les pauvres du Temple ne s’en plaignent pas, eux qui n’ont pas souvent l’occasion d’entendre de la musique. D’ordinaire, elle se contente de chanter, des chants de son pays natal, de sa région d’enfance, des histoires dont ils ne comprennent pas le moindre mot mais qui semblent les apaiser assez en tout cas pour qu’ils puissent prendre leurs remèdes sans rechigner. Dans certains cas extrêmes, elle s’accompagne de son petit luth. Les malades lui en savent gré. Les soigneurs également.

- A moins que vous ne préfériez discuter de choses et d’autres mon ami ? Vous êtes l’invité, je vous laisse le soin de choisir ce qui pourra apaiser vos tourments.

Un autre sourire entendu. Un petit silence s’installe, le temps que Victor prenne une décision.

De prime abord, les manières et le faciès de la Baronne de Sibran en réaction à la prestation l'intronisation dans le salon de son invité de marque, semblaient tout indiqué qu'elle était acquise à sa cause. Mais avec Esmera il ne fallait pas vendre la peau de l'Ours avant de l'avoir tué, Victor en savait quelque chose pour avoir côtoyé à plusieurs reprises la veuve. Seulement, il fallait bien avouer qu'elle était ravi de revoir le mondain et lorsqu'elle reprit sa main pour la seconde fois, le Comte ne manqua pas de répliquer.

- Disons qu'elle m'a surtout permis de faire une sorte de tri, quelque fois bien nécessaire. Un mal pour un bien si je puis dire sans vous lasser avec des détails futiles.

Il considérait un instant son hôtesse avant d'également lever la coupe qu'elle lui confia puis tranqua à des jours meilleurs laissant le mystère entouré son début de journée. Si la Dame d'Hagerth ne le quitta pas des yeux, Rougelac en profita pour l'imiter, conscient d'ainsi entretenir la flamme d'un désir qu'il espérait prochainement charnel. Les mots de la Baronne qui suivirent ne semblaient nullement intéresser le Gouverneur de Sombrebois qui pourtant en faisait paraître le contraire avant qu'Esmera, force de proposition pour divertir le sang-bleu, lui propose de s'essayer à la luth et au chant.

Il esquissa un petit rictus après la proposition qui le mettait en position de maître d'orchestre car à la vérité, ce qui aurait pu l'apaiser ses faux tourments auraient été de s'installer entre ses cuisses, lui levant les gambettes pour ensuite s'adonner aux plaisirs de la chair. Mais biensure nul expression de cela ne quitta ses lèvres, chaque chose viendrait en son temps. Reprenant une gorgée de ce vin épicé qui n'était ps si mauvais que ça, Victor fini par assumer son rôle de juge de circonstances.

- Il me serait bien agréable de vous entendre chanter ma très chère amie. Vous ne cessez de me surprendre depuis ce premier jour où nous nous sommes rencontrés et je gage que je suis encore loin de mes peines.

Fini t il un sourire complice aux lèvres avant d'oser s'installer dans un fauteuil sans y être invité pour ainsi mesurer son pouvoir d'attraction sur la jeune veuve qui allait sans doute ensuite prendre brièvement congé pour rapporter son instrument de musique. Victor cherchait à prendre ses aises en toute subtiliser sur ce terrain qu'il cherchait à présent farouchement à conquérir. Le chemin sera peut-être semé d'embûches mais il était nécessaire de se montrer opportuniste pour ainsi avancer après tout ?

Esméra n’a pas manqué de noter que le Comte se sent désormais assez à l’aise en cette maison pour prendre place dans un des fauteuils sans y avoir été au préalable invité. La baronne en esquisse un sourire avant de s’incliner avec une révérence gracieuse.

- Je reviens sous peu.

La disparition de la jeune femme ne sera que de très courte durée. L’avantage de résider dans une demeure aux dimensions modestes est qu’on peut obtenir tout ce qu’on veut de manière assez rapide. L’attente ne sera donc pas très longue pour le Comte qui verra Esméra revenir, les bras encombrés d’un petit luth de bois clair. L’instrument tranche curieusement contre cette robe sombre, presqu’autant que cette petite perle perdue dans ses cheveux de jais.

Elle prend place dans son fauteuil et s’installe face à son invité, un large sourire sur ses lèvres corail, le temps d’ajuster les cordes et d’en tirer quelques notes afin d’en vérifier la justesse. Ce n’est qu’après quelques secondes de silence qu’elle pose ses mains sur les cordes, jouant de la main droite, tandis que la main gauche court sur le manche, ses longs doigts se posant ici et là pour en tirer une douce mélodie.

La voix de la baronne s’élève alors, pure et douce, dans un silence seulement troublé par les bûches craquant dans l’âtre.

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée,
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las, las ses beautés laissé choir
Ô vraiment marâtre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.*

L’histoire d’une Rose, allégorie de la jeunesse, de l'amour, du temps qui passe, de la mort et de la vieillesse…Rien ne lui semble plus approprié que cette chanson, dans lequel son accent roulant se fait entendre.

Esméra joue et chante sans la moindre fausse note, tout en regardant Victor. Il pourra voir toute l’émotion dans son regard de tempête, une émotion due à cette mélodie et à la justesse des paroles qui font briller ses yeux de quelques larmes qui ne s’échapperont pas.

Quand la mélodie s’arrête, elle pose doucement l’instrument sur ses genoux et inspire profondément avant de demander :

- Désirez-vous une autre chanson, mon ami ?

Le sourire n’a pas disparu. Esméra est tout simplement…émue. Elle aime cette chanson depuis toujours et ne l’avait jamais chantée pour…pour une personne qui lui est chère. Elle dissimule son embarras sous une petite boutade, prête à entamer une autre mélodie :

- Quelque chose de plus entraînant peut-être ?

*:

Pour seule réaction à son manque d'étiquette alors qu'il s'était donc permit de prendre place dans un fauteuil sans y être invité, la baronne de Sibran osa seulement esquisser un sourire. Etait-ce un signe révélateur que l’hôtesse des lieux considérait le Comte de Rougelac comme plus qu'un invité de marque ? Pour Victor il n'en faisait aucun doute alors qu'elle disparut brièvement de son champ de vision. Se frottant les mains, il balaya le salon du regard la mine confiance et l'on pouvait même apercevoir un fin sourire à la commissure de ses lèvres. Ce début de soirée était prometteur d'une part car l'homme de main de la Dame d'Hagerth n'allait pas pouvoir se révéler être un élément perturbateur et que d'autre part, la baronne semblait assurément éprise de lui.

Ce sentiment se confirma lorsque la Veuve Sibran regagna le salon armée d'une luth pour déployer son art du chant. Sa voix était somptueuse, pleine d'émotion à chaque mot qui sortait d'entre ses lèvres. L’histoire d’une Rose, allégorie de la jeunesse, de l'amour, du temps qui passe, de la mort et de la vieillesse… Victor en captait toute l’essence au point que malgré s'être pavaner dans le fauteuil en terrain conquis, ses mains se crispèrent sur les accoudoirs, gage qu'il ne restait pas insensible face à la prestation de la sang bleu qui à aucun moment ne lâchait son regard. Esméra était attendrissante, sensible mais non moins fort comme l'attestait cette bataille pour ne pas laisser échapper quelques larmes.

Si plus tôt, le Comte aurait désiré ardemment prendre cette délicieuse jument de manière fougueuse et sauvage, en cet instant, il s'interdit de se relever pour la faire sienne avec cette fois tendresse, douceur et passion. Il constate sans détour qu'elle est émue et cela le touche, peut être moins qu'on pouvait le penser car Victor était homme à profiter des sentiments des autres qui pouvaient servir sa cause.

- Vous chantez divinement bien. Ce récit est, je dois vous l'accorder, des plus poignant. Comment pourrais-je vous refuser de m'offrir une seconde, voir une troisième chanson? Si ces dernières n'exprime aucune mélancolies car nous sommes réuni aujourd'hui pour profiter l'un de l'autre n'est-ce pas ?

Il l'invita alors d'un geste de la main à reprendre l'exercice de son oeuvre artistique et ce n'est que lorsqu'elle reprit la mélodie qu'il se releva pour se diriger vers elle, glissant dans son dos pour lui murmurer sans chercher à la déstabiliser.

- Ne soyez jamais embarrassée devant moi. Restez audacieuse, pleine de surprise et passionnée. Si vous souhaitez me révéler quelques aveux au travers de votre douce voix cristalline, je vous y encourage.

Fini-t-il par murmurer en venant poser ses lèvres dans la nuque de la baronne de Sibran avant que ses doigts ne viennent parcourir les épaules de la jeune femme avant qu'il se recul de quelque pas amorçant son retour vers son propre fauteuil.

Elle est déjà en train de glisser ses doigts sur les cordes, réfléchissant à la mélodie suivante, faisant patienter son invité du soir par quelque petit air plus enjoué de sa composition. La baronne le suit du regard alors qu’il se lève, avec un doux sourire complice. Toute occupée à extirper des sons mélodieux de son instrument, elle ressent pourtant la présence du Comte derrière elle. Une présence qui se fait plus pressante alors qu’il lui parle à l’oreille, sans qu’elle n’interrompe aucunement son jeu, un fin sourire sur les lèvres, le regard posé sur les cordes vibrant sous ses mains.

Des aveux…Certes elle en a à confesser, que cela soit à Victor ou à un membre du clergé. Il s’agit d’une invitation, il est impossible de s’y tromper. Et cet audacieux baiser donné sur sa nuque…n’est rien de plus qu’une douce façon d’appuyer cette invitation. Devrait-elle être pleine de surprises et passionnée ? Devrait-elle ? D’ordinaire, elle n’a aucun scrupule à oser, justement, dans tous les domaines, sauf en amour. Elle s’est autorisé un geste familier envers Victor dans sa cave à vin, il y a répondu à sa manière. Cela ne lui avait pas déplu, bien au contraire…

Mais comment savoir si ce que ressent le comte est bien un sentiment sincère et non un simple désir qu’il lui tarde d’assouvir ? Lui aurait-il laissé la chambre d’Adélaïde s’il en était ainsi ? Aurait-il poussé le vice jusqu’à la suivre dans des déambulations en plein milieu des quartiers pauvres s’il n’avait à son endroit quelque tendre inclinaison ? Et comment reconnaître un sentiment sincère ? Esméra en est là dans ses réflexions quand déjà il s’éloigne. La musique s’interrompt alors.

- Victor, attendez.

Elle se lève et dépose le luth dans son fauteuil, avant de le rejoindre, se déplaçant avec douceur jusqu’à lui. Quelque peu intimidée par l’inédit de cette situation, elle ne sait pas très bien comment s’y pendre. On ne l’a pas formée à cela. Il n’y a aucun manuel à ce sujet. Aucun, nulle part. Aussi, lorsque son regard de tempête croisera l’azur du sien, une rougeur s’affichera sur son visage, au niveau de ses pommettes.

- …

L’étiquette ? Aux orties.

La bienséance ? Qu’est-ce donc cela ?

Ces concepts qui régissent leur vie à tous les deux sont complètement abandonnés lorsqu’elle franchit l’espace qui les sépare pour poser ses deux mains sur son torse avec une tendresse infinie, se hissant quelque peu sur le bout de ses petits souliers pour venir lui donner un baiser, un seul et unique baiser d’une douceur pure, avant de le rompre et de reprendre sa place, face à lui.

- Je n’avais pas de chanson pour cet aveu là.

Semant le trouble, le paradoxe, l’émoi par ses manières d'une infinie inconvenance, le Comte de Rougelac se pensait être le prédateur et Esmera la proie. Signant de ses lèvres puis du bout de ses doigts sa signature successivement sur la nuque et les épaules de la Dame d'Hagerth, Victor cherchait à s'arroger le premier rôle d'une pièce de théâtre qui pourtant n'avait rien d'une fiction. Ses intentions étaient loin d'être noble ni louables alors qu'il avait réclamé la poursuite de l'oeuvre artistique de son hôte du soir.

Ainsi, fort de sa petite roublardise, il avait reprit la direction de son fauteuil, un large sourire aux lèvres bien dissimulé à la vue de la baronne. Mais voilà que contre toute attente, le sang bleu fût interdit de regagner sa place par l'objet même de sa convoitise et de son jeu. Sur l'ordre de la jeune veuve, il se figea, les yeux écarquillés, l'air soudainement surprit. Loin de s'être attendue à une si prompte réaction, le Gouverneur de Sombrebois se retourna pour toiser la noble qui venait alors de se séparer de son instrument.

Se déplaçant avec douceur jusqu'à se retrouver face à lui, Esmera pu certainement contempler la mine perplexe et déroutée du Comte qui semblait à milles lieux d'avoir prévu ce coup sur l'échiquier. Irradié par ce regard tempête dont il ne pouvait se défaire, Victor resta bras ballant sur place, ne sachant quelle estoc allait lui porter la Veuve Sibran dont les pommettes semblaient se pigmenter de rouge. La tension s'en retrouvait dès lors palpable... et lorsqu'Esmera se hissa sur la pointe de ses ravissants petits pieds, le calculateur personnage ne pu s'empêcher de déglutir difficilement et bruyamment.

Alors que dire lorsque les deux paumes de la Baronne se plaquèrent contre son torse ? Seule Esmera aurait pu vous le décrire tant les mots manquaient pour décrire l'accélération du rythme cardiaque de son invité de marque. Son cœur battait-il en cet instant la chamade ? Il y avait fort à parier que cela en avait le parfum. Ce n'était certes pas une certitude mais les indices physiques s'accumulaient. La Dame se décida alors à frapper fort et mettre le roi adverse en échec en venant cueillir ses lèvres... un baisé d'une douce pureté... sans la moindre félonie à moins que la jeune artiste était capable de chercher à jouer avec les sentiments d'autrui en toute impunité ? Victor n'en avait cure et Victor, de surcroît, semblé incapable de donner la réplique face à cet aveux gravé par l'emprunte des lèvres de la jeune femme. C'était la seconde fois qu'elle s'osait à une telle entreprise. Lorsque la Dame Blanche recula d'une case sur l'échiquier, le Roi Noir resta sans voix, bouche entre-ouverte, rien ne semblait vouloir quitter sa gorge.

- ...

Esméra l'avait une fois encore prit à son propre jeu et intérieurement il la chérissait comme il l'a maudissait pour son audace. Gonflant ses poumons, il dégluti une fois encore très difficilement et serra ses poings encore jusque là gantés. La passion lui hurlait de se saisir de la Veuve Sibran et de la trousser séance tenante mais sa raison l'en dissuada, non... tout ceci aurait été bien trop facile et... sans saveur, bien qu'à la réflexion. Son esprit était en tout cas tiraillé au point qu'une bonne quinzaine, peut être même trentaine de seconde s'écoulèrent s'en qu'il ne put exprimer la moindre réaction.

Baissant finalement le regard afin de s'extraire du pouvoir attractif que lui portait son hôte du soir, Rougelac retira alors lentement ses gants, les glissants dans le revers de sa tunique, ceci à des fins de gagner de précieuses secondes pour ainsi aborder la riposte. Mais foutre Trois ! LAQUELLE!!!??? La Dame d'Hagerth aurait normalement dû exécuter une telle preuve d'amour ou tout du moins de sentiment plus tard dans la soirée ? Cela chamboulait ses propres plans... l’acculant dans une position plutôt inconfortable. Mais... Victor ne devait absolument pas perdre la face, non, cela aurait été un aveux de faiblesse, qui puis est pour un homme de sa stature !! C'était impensable !!!

- Chercheriez-vous à me désarçonner ma très chère amie ? Croyez-bien qu'en retour, je risquerais de vous faire du tord ? Non pas que je serais enclin à vous nuire, seulement... vous mettre dans une situation plus embarrassante et... je ne voudrais point gâcher ou précipiter une soirée qui semble tout deux nous tenir à coeur.

Menti-il sur certain aspect de son discours. Il cherchait à garder la face et cela devenait déjà des plus compliqué et la soirée venait tout juste de débuter. Il l'a mit alors en garde, s'approchant d'elle pour la saisir par la taille et laisser son souffle chaud glisser sur sa nuque alors qu'il lui murmure.

- Si toutefois l'étiquette et la bienséance n'ont nulles place en vos murs ce soir... alors nous pouvons envisager la soirée d'une toute autre façon...

Il lui donna alors un aperçu de ses sous entendus en venant savourer de ses incisives la lippe inférieure de la Veuve Sibran. Un avertissement à ce qui l'attendait si elle désirait derechef s'oser sur un telle sentier.

Ne l’a-t-il pas encouragée à exprimer un aveu ? Avec de la musique, certes, elle n’en disconvient pas mais, tout à fait honnêtement, aucune ne correspondait tout à fait à ce qu’elle voulait faire passer. L’époque n’est pas à l’amour libre que l’on chante sur tous les toits, les temps sont plutôt à la réserve et à la timide passion, aux fleurs chantées et aux amours psalmodiés, pas aux déclarations tonitruantes et directes. Rien ne correspondait donc à ce que désirait transmettre Esméra. Donc elle a agi et visiblement…cela a rendu muet le Comte.

Il se passe de longues, de très très longues secondes avant qu’il ne se décide à parler. La baronne ne sent d’ailleurs pas très bien durant ces longs instants de solitude où tout ce que fait le Comte, c’est la regarder comme si elle venait de lui jeter de l’eau au visage. Se serait-elle trompé sur ce qu’il pouvait ressentir ? Aurait-elle été trop directe ? Il a l’air complètement ahuri, comme s’il hésitait entre deux attitudes à tenir là de suite.

Le plus tranquillement du monde, le voila qui ôte ses doigts de ses gants, des gants qu’il range dans les plis de sa tunique. Esméra l’observe, un peu pâle désormais, jusqu’à ce qu’il prononce les premières phrases qui suivent cet instant gênant. La jeune femme s’empourpre tout de suite. Et tout de suite sa fierté lui remonte à la gorge.

- Si pour vous « tenter de faire part d’un sentiment » est une tentative de vous désarçonner, alors oui. Je le confesse volontiers. Il se trouve mon ami, que je n’ai pas la même expérience que vous en ce domaine. Je n’ai eu qu’un époux. Que je n’ai jamais aimé. Vous êtes la première personne en 26 années à qui j’essaye de dire quelque chose qui ne vienne que de moi et pour vous cela s’apparente à une manœuvre qui viserait à vous décontenancer ? Alors que vous m’y avez-vous-même encouragé ?

Esméra est honteuse maintenant. Honteuse d’avoir osé et elle a du mal à le cacher aussi fait un pas pour s’éloigner de lui afin de regagner son fauteuil mais le Comte est plus rapide. Il la saisit par la taille. Et là, une fois de plus, toute son attitude quelque peu froissée s’apaise instantanément. Au plus près du Comte, la baronne a tout le loisir de sentir le souffle chaud de son invité parcourir sa nuque en quête d’un autre aveu, bien plus pragmatique celui-là.

- La bienséance et l’étiquette auront toujours leur place dans cette maison. C’est juste que…vous êtes l’un de ces hommes, Victor, qui savent parfaitement les plier et les ranger dans un placard le temps de vous adonner à des activités qu’elles réprouvaient sans le moindre doute, me trompe-je ?

Non, elle ne se trompe pas. Déjà il s’empare d’une de ses lèvres. La main de la baronne vient fermement se poser sur la nuque du Comte, pour qu’il cesse le mouvement, tout de suite, tandis que le gris de tempête intercepte tout l’azur de son invité. Un vaste sourire s’affiche sur ses lèvres tandis qu’elle murmure :

- Cette maison ne manque pas de placards…Voilà qui tombe à pic, ne trouvez-vous pas mon ami ?

La main fine et fermement posée sur sa nuque l’attire alors dans un geste impatient vers elle. Le baiser pur et tendre a laissé sa place à un autre baiser bien plus profond et plus osé celui-ci, la baronne relâchant la pression pour nouer ses bras autour de son corps à lui et le garder au plus près. Rompant le baiser, le cœur battant à un rythme effrayant, elle dit, dans une caresse de son nez sur celui de Victor, tendrement :

- J’avais envie de faire celui depuis mon départ de votre demeure mon ami. Et je suis loin d’en être désolée. M’en voulez-vous ?

La Veuve Sibran confessait ses sentiments, des sentiments qu'elle éprouvaient pour la première fois dans sa vie. Si le Comte pouvait y voir quelques manœuvres pour le désarçonner, en réalité, il n'en était rien car après tout ne l'y avait il pas encourager ? Elle avait mille fois raison alors que son invité cherchait encore à se montrer craintif face à l'expression de ce lien qui prenait une teneur bien plus sincère, profonde et entretenu. C'est pour cette raison d'ailleurs que le quadragénaire n'émit alors plus aucune réserve, rompant la distance qui s'était brièvement réinstallée entre eux.

Croire qu'il pouvait alors dicter son propre scenari était bien présomptueux et Esmera ne se gêna pas de lui faire comprendre qu'elle serait la maitre d'orchestre d'une soirée qui ne semblait plus laisser aucun doute sur son dénouement. Si Victor en voulait une preuve ? Il n'avait qu'à sentir cette main qui vint soudainement le saisir par la nuque afin de l'obliger à cesser l'expérience gustative de sa lippe inférieure. Se prêtant volontiers aux désidératas de la Dame d'Hagerth, le mondain, prit acte des sous entendus de la jeune femme qui alors, le foudroya de son regard tempête avant d'afficher un sourire laissant place à un murmure qui venait sceller quelques intentions de ranger toutes bienséance aux oubliettes. Esmera n'avait que trop raison, une fois encore et une fois encore, elle prit de cours le célèbre personnage qui se targuait d'être l'un des hommes les plus titré du royaume.

L'impatience de la Baronne se fit alors très nettement sentir, privant le Comte de Rougelac de toute réaction et réplique, dont il était pourtant frillant. Telle une chimère, elle l'envoute, le sommant de ne plus laisser la moindre distanciation sociale entre eux. Elle l'embrasse alors passionnément, provoquant chez Victor une sensation agréable de stupeur, ses yeux s'ecarquillants avant de sentir ses paupières se fermer pour savourer l'instant présent. Cette étreinte était irrésistible et le Comte n'était alors plus doté d'aucune défense, seulement la jeune femme rompit soudainement ce profond baisé en exprimant alors avec toute la tendresse du monde, nez contre nez, la satisfaction d'avoir enfin pu réaliser son souhait qui été né depuis leur dernière soirée au Manoir.

Posant sans réfléchir son index sur le pulpe des lèvres de la sang-bleu, Rougelac lui intimait en quelque sorte l'ordre de se taire, noyant son azur dans ce gris tempête.

- Je suis coupable ma très chère amie, oui, coupable de vous avoir précipité à m'exprimer vos sentiments. Je vous en veux oui, je vous en veux de ne pas avoir fait cela plus tôt.

Ses mains virent alors se plaquer sur le visage fin et gracieux de la baronne, la toisant quelques secondes de son regard inquisiteur avant qu'un léger sourire ne se dessine sur ses lèvres.

- Souhaiteriez-vous me voir l'homme le plus titré de ce royaume ? Non... vous n'en avait que faire !

Il rapprocha son visage du sien, se cramponnant fermement à ses joue avant de l'embrasser a niveau, sa langue cherchant avec détermination sa semblable avant d'exécuter une langoureuse danse de longues secondes durant.

- J'ai envie de faire bien plus que cela ce soir, mais certainement pas à la vue de l'Esplanade car ce serait vous faire offense de vous afficher dans votre plus simple apparat a la vue des passants.

Il savait que le salon donnait sur la rue et qu'on pouvait sans mal les observer et d'ailleurs son sbir posté dans la rue ne manqua pas la scène.

- De surcroît, vous avez organisé cette soirée et je ne voudrais mettre à mal les efforts que vous avez insufflé en coulisses.

Il l'imite comme précédemment, caressant le bout de son nez avant de retrouver ses lèvres avec force, détermination et passion. Ses bras vinrent eux aussi cercle la taille de la jeune femme, la pressant plus encore contre son bas ventre.

- Faite de cette soirée, un moment inoubliable... le commencement d'une nouvelle aventure car... il attrapa soudainement le globe de l'oreille droite de la jeune femme, le mordillant avant de lui susurrer. ... je veux que vous soyez ma femme, je ne peux pas être plus clair et... que vous soyez la mère de mes héritiers...

C'était dit, enfin ! Après tout, Esmera c'était confessé ne laissant aucun doute quand à ces sentiments pour le Comte et en cela il lui était redevable. Qu'importe s'il faisait à nouveau une erreur, ces déceptions amoureusesavaient été légions, maisquelque chose lui disaitqu'il en serait autrement avec la Baronne de Sibran.

Coupable, oui, très certainement. Mais…est-il plus délicieuse culpabilité que celle-ci ? Le Comte est entré dans le jeu, les mains posées sur son visage, dominatrices et protectrices à la fois, confirmant, dans un baiser bien plus intime et plus profond que tout ce qu’il lui a cédé jusqu’alors, tout le plaisir qu’il a ressenti à son geste audacieux.

Est-ce donc cela que l’on ressent, quand on rencontre une personne qui vous est chère, ces bulles à l’estomac ? Cet intense scintillement du cœur qui se propage jusqu’aux lèvres, tant et si bien qu’on cherche encore, et encore, et encore, le contact, l’aventure, le plaisir d’être en phase avec l’objet de ses pensées ? Si c’est le cas, alors…Victor est devenu bien plus qu’un être cher. Il est devenu unique.

L’aveu du Comte quant à la suite de cette soirée amena un sourire espiègle sur les lèvres d’Esméra, encore chaudes de ce baiser qu’ils venaient d’échanger à la vue de tous. La baronne a un regard pour la haute fenêtre du salon qui donne sur la rue et capte le visage curieux d’un homme posté là par Victor, un homme qui tendait le cou pour mieux voir et qui, se sachant découvert, a repris sa place sans plus regarder quoi que ce soit d’autre que les quelques rares passants.

- C’est une soirée informelle entre nous, Victor. Pas une réception mondaine. Cela étant…Il est vrai que Sophie a déployé tous ses efforts pour faire de ce petit repas une merveille. Notre cellier est certes moins étoffé que le vôtre mais nous avons appris à tirer le meilleur parti de ce que nous avons pour élaborer des mets qui nous rappellent les temps joyeux de nos contrées lointaines. Il serait dommage de ne pas y faire honneur. Puis…

Passant les mains sur sa taille pour se hisser jusqu’à son oreille, elle murmure alors, dans un souffle :

- …J’ai encore assez d’estime de moi-même pour ne pas montrer au monde ce que vous avez déjà vu contre mon gré, mon ami…C’est regrettable. Très regrettable.

Enlacée à son tour, de manière à ce qu’elle soit au plus près de lui, la baronne savoure l’instant, ce petit moment de complicité. Ils semblent visiblement sur la même longueur d’onde sur ce point. Le désir est un sentiment qui pousse à tous les excès. Et la prudence en est le meilleur garde-fou. Fort heureusement, ils ne semblent pas en être dépourvus, ni l’un ni l’autre.

Elle a sur le bout de la langue une phrase plus piquante, mais elle se retient, se contentant de sourire malicieusement à son compagnon qui lui mordille l’oreille, jusqu’à ce qu’il prononce des paroles qui lui font ouvrir tous grands les yeux, s’écartant un peu de lui de manière à ce qu’il lui fasse face, tout en restant dans ses bras. Elle le regarde avec un sourire timide, soudain. A-t-il réellement dit ce qu’elle vient d’entendre ?

- Victor…

Son premier mariage a été un désastre. Un long, pénible et éprouvant désastre quotidien. Philippe de Sibran était un homme brutal et d’une violence incommensurable, en ses gestes comme en ses mots, sous des abords séduisants et charmants. Esméra a failli le tuer de sa propre main, la Fange lui a évité de se souiller, juste à temps.

En arrivant à Marbrume, la dernière cité libre, elle s’était promis de rester elle-même, de faire désormais tout ce qu’elle a envie de faire, sans que personne ne vienne plus jamais y mettre son veto, sans plus jamais devoir rendre de compte à qui que ce soit. Elle a vécu des mois à faire exactement ce qu’elle voulait, avec qui elle le voulait et quand elle le voulait. Pourra-t-elle continuer toutes les activités qui lui sont chères, si elle épouse le Comte ? Il lui a demandé de toujours rester elle-même mais...le pourra-t-elle encore quand elle aura changé de nom ? De statut ? De rang social ? Si elle n’a aucun doute sur les sentiments qu’elle éprouve pour lui, elle craint de devoir vivre enfermée à nouveau.

Une lueur scintille alors dans son regard considérablement adouci. Un regard ému. Elle se rappelle toutes leurs conversations et le timide sourire fait place à un soupire infiniment plus espiègle soudain. Victor la laissera agir selon sa guise, dans les limites qui seront définies par ce nouveau nom et ce nouveau rang qu’elle portera, évidemment. Elle peut rester Esméra en devenant Comtesse de Rougelac, elle le sait. Alors…elle reste elle-même, en entendant ces paroles susurrées à son oreille et en y apportant une réponse de son cru.

- Est-ce une demande officielle, Monseigneur ? Parce que…, grand sourire ravi, il me semble que vous n’y mettez point les formes. L’usage ne voudrait-il pas que vous posiez un genou à terre ?

Le couple informel du soir semblait bel et bien avoir rompu la glace. Meme si il persistait une certaine retenue, celle de laisser entièrement parler leur désir physique l'un envers l'autre, force est de constater que leur relation venait de prendre un tout autre virage. L'on ne parlait plus d'ami(e) cher(e) et pire, on éludait celui "d'amant" pour finalement s'en retrouver à évoquer dans des sous entendus devenus inexorablement plus précis l'hypothèse de les voir devenir mari et femme.

L'émotion avait très certainement gagné la Veuve Sibran, qui au préalable avait naturellement consentit à ne pas offrir aux passants des scènes que l'on pouvait observer en tant que spectateur uniquement dans quelques bordels qui organisait de temps en temps des pièces de théâtre pour public averti. Victor avait naturellement esquissé un sourire à l'évocation de cette croupe fièrement tendue qu'il avait tenue entre ses paumes contre le gré de la donzelle durant un événement qui avait été si malencontreux mais qui pourtant avait permit de nouer le contact entre nos deux sang-bleu.

Enlacés, Esmera comme Victor ne semblaient peu désireux de rompre ce contact intime bien qu'encore dénuée d'aucune forme de luxure. Et finalement l'aveu en forme de demande, du Comte, tomba à la suite des nombreux efforts de la Dame d'Hagerth pour exprimer ses sentiments à son endroit. Rougelac avait décidé qu'il n'était plus temps de tourmenter cette jeune femme qui lui avait tout de même tant donner en affection et confessions.

Oui, il avait réellement de cela et si Esmera fût surprise, il en attestait de cela à la vue de sa réaction verbal et physique, elle s'en retrouva ému à un point que n'aurait pu imaginer son invité de marque. Certes elle avait évoqué son passé, certe elle avait attendu un tel instant depuis plus de vingt an maintenant, mais le mondain n'aurait pu mesurer l'impact de la situation au plus profond du cœur et de l'âme de ce petit bout de femme.

Si elle acceptait, ce serait un bouleversement pour elle mais avec la promesse d'être une femme libre, s'offrant de nombreux gages en ce sens de la part de son prétendant qui venait de s'officialiser comme tel. Évidemment, l'intérêt de la Maison prévalait mais Victor n'avait nul besoin de rappeler ce genre d'obligation de naissance car il avait devant lui une femme qui souhaitait réellement reconstruire une vie à deux et peut-être même plus, bien qu'elle n'ai rebondi sur la symbolique du mot héritier, au pluriels d'ailleurs, qu'avait murmurer le Comte à son oreille.

Esmera avait ce vent de fraîcheur continuel en elle. Le caractère tempétueux de son regard pouvait lui être attribuer à d'autres aspects de sa personne et cette petite pique lancé à l'endroit de son invité ne pouvait que rendre cet instant plus électrisant encore.

- N'avez-vous pas rappelé le caractère... informel de cette soirée ma très... chère... amie ? Et d'ailleurs si je ploierais le genou sans vous offrir quelque bague de fiançailles, je serais certainement le pire des amants et prétendants à votre délicieus et raffinée main.

Si elle s'était montrée taquine, Victor avait alors l'ardent désir de la suivre sur ce sentier, glissant une main dans le dos de la jeune femme, jouant sensuellement avec ses lacets sans jamais les défaire avant de plaquer sa main sur sa croupe se tournant de telle façon que le geste ne pouvait être vu de la fenêtre... au mieux Sophie aurait pu le voir si elle s'hazardait dans le salon en cet instant.

- Et comme vous le savez, je ne fait rien comme les autres. Mais en cet art, j'ai trouvé mon mentor, et c'est bien vous.

Il la saisi soudainement par la nuque, la forçant à incliner sa tête en arrière avant de venir l'embrasser et fini par lui laisser sur son cou un suçon qui risquait de rester plusieurs jours durant présent.

- Laissez moi au moins vous faire cette demande officielle en vous offrant le bijou que vous méritez. Pour l'heure, la seule raison que me fera plier ce soir les genoux, s'en trouvera dans quelques expressions de nos désirs... charnels.

Allusion à une pratique préliminaire à des actes peu chaste. La Dame d'Hagerth saurait elle comprendre cela ? Elle qui malheureusement avait vécu avec un époux qui ne la chérissait nullement ? Si en tout cas la donzelle pouvait comprendre le sens de sa réplique, nul doute qu'elle serait ravie de retrouver le caractère insolent, grivois et altruiste de son compagnon d'un soir... pouvant se clore sur un compagnon d'une vie.

- C’est une demande informelle effectuée au cours d’une soirée informelle alors…vous me permettrez d’entourer ma réponse d’informels mystères, mon ami.

Malicieuse petite baronne. Même si celle-ci ne fait aucun doute, elle se plaît à jouer sur ce terrain sensible et pourtant si excitant de la joute verbale. Et quel meilleur adversaire que cet homme qui se trouve entre ses bras ? Il n’y a pas plus retors que Victor de Rougelac, c’est de notoriété publique. Et pourtant, le plaisir de la joute est décuplé quand on sait que face à soi il y a la personne qui peut tout vous apprendre à ce sujet. Dans une autre mesure, elle avait ressenti la même chose dans les bras de Dorian, cette immense canaille au regard de velours et au sourire moqueur, un contrebandier qui, en plus de lui avoir appris à se servir de son stylet de manière moins conventionnelle que ne le toléraient les notions élémentaires de chevalerie, lui a également ouvert les yeux sur le plaisir physique et tout ce qui en découle. Nul doute que ce petit gredin va royalement se taper sur les cuisses de rire en apprenant la nouvelle…

Le Comte n’en est déjà plus aux tendresses. Les mains du sang bleu se font bien plus impatientes, plus précises, alors que déjà elles s’aventurent sur son dos, malmenant les lacets qui maintiennent sa robe en place, ainsi que sur ses fesses, sans la moindre honte.

La tête renversée, embrassée avec fougue, Victor laisse ensuite son empreinte sur la peau fragile et pâle de sa gorge. Esméra grimace.

- Il y a d’autres façons de laisser son empreinte sur une dame…

Cela étant, elle sourit, et allait répliquer quelque chose de particulièrement grivois aux derniers propos du Comte quand soudain, la porte s’ouvre. Sophie avait frappé mais ils n’avaient visiblement pas entendu. Elle reste donc là, les yeux totalement écarquillés par le spectacle qui se déroule sous son regard et son visage pâlit, si fort, qu’il semble qu’elle va se trouver mal.

Esméra se dégage de l’emprise du Comte et remet de l’ordre, tout à fait tranquillement, dans sa tenue quelque peu froissée quand la voix de Sophie se fait entendre :

- No, nakonets, Madam ... Pered oknom! Lyuboy mozhet uvidet' tebya!
- Sofi, seychas ne vremya!
- Yeda podayetsya…*

L’échange est dit sur un ton formel, dans la langue maternelle de la baronne. Celle-ci affiche un visage serein, bien loin de celui de Sophie qui s’incline devant les deux sangs bleus et disparaît, laissant la porte ouverte. Esméra reporte alors son attention sur Victor, tout sourire.

- Pardonnez-la mon ami. Quand elle est surprise, elle a du mal à le cacher et elle s’exprime toujours en notre langue natale…Elle vient de me signaler que le repas est servi. Avez-vous faim ?

Ce qu’elle tait par contre, c’est toute la désapprobation de la demoiselle. Sophie est si rigide sur certains points qu’elle se demande comment elle parvient encore à supporter tous les débordements de sa maîtresse. La réponse est pourtant simple : un amour inconditionnel et un indéfectible sentiment de reconnaissance de lui avoir permis de sauver sa vie en l’accompagnant à Marbrume. Sophie est aussi fidèle qu’Etienne.

Esméra lui tend la main, amusée.

- A moins que vous ne préfèreriez vaquer à de moins nobles et vertueuses occupations mon ami ? Il me semble que vous étiez sur le point de me faire part de vos intentions quand vous discouriez sur l’état de vos genoux…

Une lueur pétille dans son regard de tempête.

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