[TERMINÉ] Après la pluie, espérons le beau temps [Rosen X Isaure]

Je ne sais pas vraiment comment j’en suis arrivée là, cela devient une habitude, d’être seule. Jocelyn à beaucoup à faire, moi aussi, et puis lorsque je m’approche de Marbrume c’est pour espérer croiser le peu de gens que j’ai côtoyé. J’ai besoin d’indice, j’ai besoin de comprendre comment tourne la ville, comment elle s’organise. Les membres du village murmurent, je sens que tout est en train de changer, je ne sais pas vers quoi, mais les choses changent. Je n’ai jamais été une guerrière redoutable. Meurtrière, catin, folle, peut-être, je crois, je ne sais plus vraiment. Alors j’avance, j’avance et je quitte enfin le territoire insécurité que représentent la proximité de Marbrume, j’ai marché durant de trop longues périodes, je me suis abritée durant les instants de pluie ou de danger. J’ai réfléchi à ce que je voulais faire ou ne pas faire et ça reste sans doute cette même phrase : je ne sais pas. Qu’est-ce qu’on devient quand on est banni de toute façon ? On existe plus, juste bon à torcher des culs, vider la pisse des autres, écarter les cuisses, peut-être, tout juste.

J’ai faim et la chasse devient presque obligatoire, comme toujours, alors j’ai profité que la pluie cesse un peu pour traquer un lapin, je crois. Je l’ai perdu, forcément, à pied, j’ai froid, je me sens faible, je n’ai pas grand-chose pour le rattraper et me rattraper moi-même. J’ai déjà la chance que la fange ne soit pas là, au moins j’pourrais encore courir dans les marais un petit peu. Joie. Enfin, mon lapin je le vois juste moi, j’y suis presque, le piège n’est pas loin, reste plus qu’à trouver un p’tit coin pour faire un feu, le cuir et le manger. Après je rentrerai au village, je pourrais me reposer un peu et retrouver ma routine. Je le pense. Vraiment oui. Sauf que voilà. Panpan –mon lapin-, se barre parce qu’une idiote se trimballe seule à cheval. J’ai cru que ma mâchoire alors se déboîter tant j’ai ouvert la bouche en grand avec l’envie de hurler. Bien évidemment, j’me suis planquée, de nos jours, les femmes peuvent être aussi dangereuses que les hommes. Le temps m’a appris à me méfier de tout le monde, sans distinction. Je l’ai suivi un temps à pied, en pressant le pas bien sûr, jusqu’à la perdre un instant de vue MAIS. Papan était pas loin, je me suis précipitée sur lui, alors qu’il semblait coincé dans un endroit que je n’identifiais pas et là… J’ai senti la terre se défaire sous mon poids, rouler sur place jusqu’à dégringoler la pente. Je n’ai pas pu retenir un couinement alors que j’ai senti ma cheville se tordre dans le mauvais sens. Pas besoin d’être guérisseur ou prêtresse pour comprendre que ça puait.

En bas, pleine de terre et de boue, mais le lapin en main, je dégage les branchages qui me recouvrent. Je gémis un peu en regardant au-dessus. Un trou. Un putain de trou. Je sens mon cœur s’emballer dans ma poitrine, alors que ma respiration se fait plus difficile. Je me redresse, gémis une nouvelle fois en comprenant que ma cheville -qui gonfle déjà- refuse de me supporter, je tends les bras vers les racines qui recouvrent la cavité sans parvenir à me hisser. Hurler ce n’est clairement pas une bonne idée, ça serait comme se présenter mon cul rose, me recouvrir de sang et faire une offrande à la fange… Je n’en suis clairement pas là encore.

J’attends. J’attends au milieu de l’effondrement, avec mon lapin en main. Comme une idiote. Au moins je ne crèverais pas le ventre vide, c’est ce que je me dis, ce que j’essaie de me dire en tout cas, de me répéter encore et encore et encore…. Je ne peux pas rester là, la pensée m’obsède, alors j’attache les pattes de panpan –toujours mon lapin- à ce qui me sert de ceinture –et qui par nécessité retient mes vêtements et évite que je me retrouve à poil dans la nature-. J’agrippe les racines avec une certaine force, je me hisse en utilisant que mon pied sans douleur, je monte jusqu’à arriver presque en haut à la force de mes bras et là… LÀ, je vois la blonde sur son cheval, qui me regarde –ou pas-, j’entends le craquement de la racine qui lâche et je me retrouve –ENCORE- le cul sur le sol, au milieu du trou, à l’entourage visiblement fragile. Ça me fait enrager si bien que j’en balance la racine, que je grogne comme une bête sauvage –que je dois sans doute être au fond-. Puis je lance, naturellement, sans crier, avec un espoir naïf que je ne me retrouve pas face une cinglée de sectaires :

- « Un coup de main peut-être, non ? »

Elle me regarde, je la regarde, sa mauvaise humeur semble déteindre tout autour d’elle. Je reste silencieuse, dans le fond, je n’ai pas une grande marge de négociation. Je m’inquiète de toute façon de trop de choses pour véritablement me soucier de l’humour de celle qui est en plein milieu des marais sur une monture. Deux choses : soit c’est une personne avec des moyens –mais n’aurait-elle pas des gardes ?-, soit une éleveuse du Labret de chevaux soit… une voleuse ? Peu importe, je m’en fou, ce que je veux c’est sortir du trou, pas me faire bouffer et idéalement manger, parce que mon ventre n’a de cesse de hurler. Je n’arrive pas à la distinguer vraiment de là, je sens ma cheville se crisper, se faire douloureuse si bien que juste le fait de me redresser, me mettre debout me semble soudainement compliqué. Peu importe, je ne peux pas rester là, alors je force. Je me retrouve debout, le poids sur le côté opposé de la douleur, tentant de me soutenir à l’aide des racines qui émerge de la terre, entraînant parfois sous mes mains la chute d’une pierre, d’une branche, d’un arbuste ou que sais-je. La blonde elle, semble soudainement réagir, elle évoque qu’elle va voir ce qu’elle peut faire : enfin une bonne nouvelle.

Je me mordille la lèvre, m’oblige à faire silence, ma sortie de mes emmerdes dépend d’une blonde que je ne connais pas. Je ne suis pas en mesure de la voir, mais je l’entends s’éloigner, je dois bien l’admettre ça met une certaine pression. J’entends plus rien, puis des bruits que je ne parviens pas à identifier, jusqu’à la voir se rapprocher et une liane tomber juste devant mon visage. Je sens mes yeux suivre le mouvement de la végétation remonter sans voir la silhouette féminine puis redescendre jusqu’à la terre qui se trouve sous mes pieds. Ça me fait chier. Je sens que l’escalade va être complexe, sans doute même plus que ça, monter à la force des bras, avec une cheville en moins… Quand faut y aller, faut y aller…

- « Je monte » soufflais-je en agrippant à deux mains la fine cordelette végétale « J’devrais bientôt être là » ajoutais-je tout en doutant mois même de cette capacité.

Pourtant je suis bonne en escalade, en survie, sauf que voilà ça fait des jours que je vadrouille, que je ne mange pas, tout est humide, j’ai froid. Une respiration, deux respirations et me voilà agrippant la liane qu’elle m’a envoyée, j’ai peur que l’ensemble lâche sous mon poids, je ne sais même pas ce qui m’attend à l’extrémité. J’enroule autour de ma taille, j’attache, je serre et je monte. Je tire sur les bras, sauf qu’avec cette méthode je n’ai pas le choix d’appuyer sur mes deux pieds, tour à tour ce qui fait que je rechute à de nombreuses reprises. Lorsque j’arrive en haut, j’agrippe sa main pour me hisser, j’ai chaud, j’ai mal et mon front perle de sueur, je suis même presque certaine d’avoir trop chaud pour que ce soit normal. Je tousse, plusieurs fois, avant de reprendre mon souffle et de permettre à mes bras, mes jambes, ma cheville de se remettre de l’effort que je viens de demander.

La distance envolée, je remarque enfin ses vêtements, son chaperon en lin ne trompe personne, vraiment personne, ni même l’état de sa monture. Fais chier, je devais tomber sur une bourgeoise en manque de frisson, je me redresse, rapidement, non sans tortiller la douloureuse pour évaluer à quel point je suis dans la merde, je ne lui ai pas encore adressé la moindre parole, parce que j’appréhende les premières paroles de celle qui vient de me venir en aide, d’ailleurs : pourquoi ?

- « Merci » soufflais-je finalement « Avec les fortes pluies, les marais sont encore plus dangereux qu’habituellement… J’suis Isadora » enchaînais-je « Tiens prend mon lapin… En guise de remerciement, comme ça on est quitte ok… Et… Et tu vas où comme ça ? »

Je lui demande pour évaluer un peu mes suppositions, tout en me dépoussiérant, tout en soulevant très légèrement la cheville qui me fait souffrir et qui a facilement grossi deux à trois fois depuis qu’elle s’est tordue. Soit en très peu de temps.

Je l’avise ranger sa dague, non sans rester dans cette observation discrète, mais efficace. J’ignore ce qui est cette femme, ce qu’elle fait dans les marais si loin de toute ville. À première vue, elle n’est pas bannie –quoique les derniers événements et la nouvelle vague de bannissement je ne sais plus trop qui est banni ou non-, elle n’est pas noble –en tout cas elle n’en a pas la manière de parler, ou de se comporter-, ni paysanne –pour les mêmes raisons-, peut-être bourgeoise, oui. Reste cette interrogation : que fait une bourgeoise seule dans les marais. Elle évoque le fait que j’aurais réalisé la même chose pour elle, je me contente de rouler des épaules. À sa place, je n’en serais pas si sûre, moi-même, j’ai quelques doutes sur la question. Comme par habitude, je laisse mes doigts suivre mes bras, tortiller mes poignets, tapoter mes cuisses, histoire de vérifier que hormis ma cheville, je n’ai rien d’autre de douloureux, de trop douloureux. Une chute comme ça, ça laisse des traces, j’ai des égratignures un peu partout, même au visage, je le sens sous mes doigts. Elle, elle ne bouge pas, ne semble pas très causante. J’en viens à me demander ce que je dois faire, partir sans aucun doute, sauf qu’avec ma cheville, cela me semble bien complexe de parcourir une longue distance.

Il y a pire que ma cheville, son refus pour le lapin. Je crois que ma mâchoire a dû se déboîter sous la surprise, QUI refuse de la nourriture de nos jours ? Même la noblesse ne mange plus en quantité, même les villages survivants – y compris ceux du Labret-, la chasse, on a beau avoir des experts au village, on ne revient pas tous les jours avec de quoi se nourrir... Alors là… J’ai passé mes mains sur mes yeux, puis trituré l’ensemble nerveusement, peut-être qu’elle fait partie du groupe de dérangé qui mange des Hommes. J’vois que ça pour ne pas souffrir de la faim, oui, où bien… Non, je ne vois rien d’autre. Je sens mes doigts de la main gauche, s’agripper à mon avant-bras droit. Franchement, je me dis que je n’ai pas de chance et je me demande sur qui –ou quoi- je suis tombée encore.

- « Moi aussi » c’est tout ce que je trouve à lui répondre dans un premier temps « Pour accumuler » rajoutais-je « j’viens chasser dans le coin pour revendre, mais… » elle m’interroge pas vraiment, alors je me contente de faire un p’tit signe de tête vers le trou « Enfin merci… »

Chez elle, sa réponse me questionner –encore-, il n’y a rien dans le coin, absolument rien, alors je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Plus je réfléchis, plus finalement je réalise : Sombrebois. Oui, c’est l’unique domaine survivant pas si loin –sans être très proche-, je ne sais pas trop qui vit là-bas, il paraît qu’ils sont isolés, je n’en sais rien. Finalement, je revois ma supposition, ce n’est pas une bourgeoise, sans doute une dame de compagnie, peut-être l’intendante des domestiques du domaine, ça doit être ça. Elle n’a pas faim, parce qu’elle mange, elle doit avoir des aliments achetés à Marbr-… Mon regard se déplace vers son cheval, mais rien, pas de nourriture. Je secoue doucement la tête, avant de rouler une nouvelle fois des épaules.

- « Qui est en forme de nos jours ? Ma cheville a mal supporté la descente. » questionnais-je en boitillant lentement dans une direction aléatoire « Je me disais que j’allais proposer mes talents, mais bon arriver à Sombrebois dans cet état, tu parles d’une chasseuse » soufflais-je l’air de rien pour vérifier si mon idée est bonne « A mon rythme, je devrais pouvoir faire demi-tour et trouver un abri » tentais-je « Enfin, merci, t’es certaine pour le lapin, parce que franchement, c’est une belle prise ! J’veux pas être un poids, j’vais pas te déranger depuis longtemps ! D’ailleurs, fais attention » je fais une pause « Par là-bas » je montre une direction vers la droite vers Sombrebois « Faut contourner j’ai vu pas mal de fangeux…. »

- « Je n’allais pas vendre le lapin à Sombrebois » fis-je en fronçant légèrement les sourcils « J’allais proposer mes talents de chanceuses… Ce n’est pas en ville que tu peux chasser et le Labret… J’avais envie de changement un peu » ajoutais-je sans grande conviction « Non, j’me suis abrité dans une cabane abandonnée le temps que ça s’calme, déjà sans la pluie c’est complexe alors avec » ajoutais-je naturellement.

Le mensonge, le prétexte, l’invantage de récit je l’ai tellement fait que c’est devenu naturel. Parfois, je finis même par me demander qui je suis exactement, je crois. J’ai roulé des épaules en la détaillant cette femme que je ne connais pas, qui porte du tissu que je n’ai jamais pu me payer, qui possède une monture. Je ne sais pas où elle va vraiment ni ce qu’elle fait et ça me perturbe un instant, l’idée de Sombrebois ça me parait le plus juste, mais en même temps, je me dis que je devrais disparaître et partir, avec ma cheville, c’est complexe. Je ne peux m’empêcher de glisser un regard sur celle qui a doublé de volume, de la tortiller à droite à gauche, c’est juste douloureux, pas impossible. Dans mes souvenirs par là-bas, il y a un petit chemin avec un petit abri sans doute que c’est ce que je dois viser, c’est même certain.

- « Ma rencontre ? » demandais-je un peu perdue « je ne regarde pas la fange, je la fuis, je l’évite… Si on ne fait pas trop de bruit ça peut passer, si j’avais rencontré un monstre, je ne serais pas en face de toi » je soupire, rapidement, brièvement « je suis chasseuse, je n’ai pas le choix pour vivre. »

D’où je viens cette question, elle me fait sourire, je viens de partout, c’est ça que j’aimerais pouvoir répondre. Mais je ne peux pas… Je me contente de lui indiquer d’un geste de la tête le petit sentier, je boite, mais j’avance, lentement –ça m’agace d’ailleurs-. Je ne prends pas vraiment le temps de réfléchir, je fais mine de surveiller autour de nous, comme si je ne savais pas que plus loin il y avait cet abri, cette vieille demeure qui grince et qui de l’extérieur doit paraître effondré alors que l’intérieur est convenable.

- « Je viens de Conques, mon père était bûcheron, ‘fin avant tout ça quoi… J’suppose que tu as du connaître des pertes… C’est bête comme question, pardon » ajoutais-je « J’veux pas te ralentir, puis mon idée était stupide, j’sais pas trop à quoi je m’attendais… Sombrebois, ils paraient que les habitants sont reclus, comme si ils m’auraient ouvertes la porte… La faim, le manque d’argent, ça nous fait faire n’importe quoi… » je soupir bruyamment cette fois « j’veux pas te barber avec mes histoires… Puis regarde, j’te ralenti, alors que tu m’as déjà sortie de mon trou… Eh regarde là-bas ! »

Je lui montre la bicoque, les pierres qui s’écroulent sur le chemin et le toit ouvert par endroit. Elle n’a pas changé, pas bougé cette maison, c’est fou de s’en souvenir… J’ai le ventre qui grogne, je continue à avancer en penchant d’un côté, ridicule. Je passe une main derrière ma nuque, je frotte un peu, juste un peu avant de m’arrêter devant. Il ne pleut toujours pas –heureusement-, il n’y pas de bruit de fangeux, juste les oiseaux qui piaillent. Devant la baraque, toujours sur le chemin, une main sur la hanche qui décroche le lapin à ma ceinture.

- « Ça te va là ? J’pense pas qu’on va trouver mieux t’façon… T’sens pas obliger de me tenir compagnie, j’peux rester ici après tout. »

- « Je sais, mais j’essaie de vérifier l’intensité de la douleur…» répondis-je en glissant mes bras sous ma poitrine.

La maison est juste là sous notre nez, tout du moins ce qu’il reste de la maison. Extérieurement elle n’offre pas une vision grandiose, on est loin du château ou de la bicoque tout confort. Je l’aime bien pourtant moi, j’trouve qu’elle me ressemble un peu, toute cassée de l’extérieur, un peu confortable à l’intérieur. Ma sauveuse d’un instant observe l’ensemble sans le juger, elle précise que ça fera bien l’affaire et précise qu’elle perd souvent du temps. Cette femme est étrange, je ne parviens pas à savoir ce qu’elle représente exactement. Me frottant les avant-bras, pour me réchauffer, mais aussi pour me soulager un peu niveau mental, tout en prenant le temps de réfléchir.

- « Merci alors » fis-je en roulant des épaules « Allons-y ! »

Elle me laisse passer devant, alors j’avance toujours en boitillant, naturellement j’ai dégainé ma lame, je ne dois pas montrer que je connaissais cette bicoque, alors je tente de rentrer par la porte principale qui est bien évidemment bloquée. Finalement c’est l’autre passage qui est sollicité, alors que j’allais m’y engouffrer, l’inconnue –qui ne m’a toujours pas donné son nom d’ailleurs-, me stoppe. Je m’arrête au moment de pousser le passage en bois, elle regarde dedans par une ouverture et m’indique que c’est bon. Je pousse la porte, avise autour de nous, tout en me penchant pour bien rentrer. C’est vide, pas de bruit, mais l’obscurité vient me surprendre. Forcément pas beaucoup de fenêtres, des débris un peu partout, la lumière à plus de mal à passer à l’intérieur. Je suis déjà dedans quand la blonde vient me rejoindre avec des bois dans les mains, elle me demande un briquet que je n’ai pas. Est-ce qu’elle m’a bien regardée ? J’utilise des silex de mon côté… Je sors l’ensemble de mes poches pour lui tendre, alors que je m’installe dans un coin pour commencer à saigner le lapin et le décortiquer. C’est une question d’habitude, je pense que je serais en mesure de le faire les yeux fermés sans jamais me louper. Quoi qu’il en soit, je suis silencieuse, je me concentre uniquement sur le lapin, juste sur lui. Je la laisse faire le feu, s’appliquer et se débrouiller.

- « Hein ?! » fis-je en sa direction dans une surprise que j’ai du mal à cacher « Tu veux m’emmener là bas ?! Mais j’ai rien pour payer les soins et puis tu vas vu mon apparence » soufflais-je « J’vais pas faire bien dans le milieu noble, il paraît qu’y a beaucoup d’habitants là bas… Tu le dis toi-même j’peux pas chasser, j’ai fais tout ce chemin pour rien… Ça me fait chier. »

Je termine de retirer la peau, que je fais sécher à plat à côté de moi avant de m’approcher douloureuse vers elle et le lapin parfaitement dépecer. Je ne pensais pas qu’elle me proposerait de venir avec elle jusqu’à là-bas, elle a l’air de connaître trop bien l’endroit, elle doit y vivre. L’intendante ouais, c’est sûr ! Je roule des épaules, passe une main derrière ma nuque.

- « Tu penses que ça pourrait passer… Il n’y plus beaucoup de gens ouverts… L’intégration c’est difficile partout, j’veux pas d’histoire… En tant que femme c’est toujours plus compliqué » autant passer pour celle qui s’inquiète pour son corps et le reste, ça justifie plus facilement l’ensemble « Quand tu as plus rien à échanger, tu ne sers plus à grand-chose et mon corps ‘fin… j’veux pas en arriver là » on y croirait presque « Tu connais bien le domaine ? T’en penses quoi, ils sont bien là-bas ? »

- « Ah oui ? Tant mieux…. » tant mieux, l’idée de visiter Sombrebois est tentante SAUF que j’ai aucune idée de comment se trouve Sombrebois vis-à-vis des gens comme moi « Tu habites là-bas alors, tu as l’air de bien connaître. Il y a beaucoup d’habitants ? »

Je prends une inspiration, je reste assise sur le sol. Il ne fait pas chaud, le feu qui flambe apporte un peu de réconfort, mais la fumée risque d’alerter d’autres personnes. Enfin, il pleut cela devrait camoufler un peu l’ensemble. Mon lapin est fait, j’ai l’habitude, trop sans doute que c’est devenu des gestes réflexes. Je la regarde l’embrocher, le mettre au-dessus des flammes. Mon ventre grogne à l’odeur qui se dégage alors que son visage à elle devient pâle. Je ne comprends pas. Je replie mes jambes contre moi, dépose ma tête sur le haut et prends une grande inspiration alors que mes doigts roulent le long de mes cuisses, mes mollets pour s’entrelacer autour de mes chevilles. Je lâche un nouveau soupir, avant de relever le nez vers celle qui m’explique qu’elle ne veut pas avoir ma mort sur la conscience.

- « Ne t’inquiète pas, j’ai la peau dure, je ne meurs pas facilement » soufflais-je simplement en avisant l’extérieur et la pluie, super… « On devrait être discrète, quand la pluie est là les fangeux aussi. »

Elle me demande comment c’est Conques… Vide ? Hormis ça je ne sais pas trop quoi lui dire, j’ai de la chance d’y avoir été il n’y a pas si longtemps au moins, je peux encore être réaliste sur la question et ne pas avoir beaucoup de choses à inventer. J’observe le lapin, j’inspire et j’expire, les trajets ça fatigue, d’autant plus quand la pause est là. C’est d’autant plus complexe de retenir la vague d’épuisement.

- « Eh bien c’est une ville survivante, il n’y a plus grand monde, mais c’est un lieu de passage, souvent une pause pour ceux qui voyagent… On a une bonne taverne. En tout cas, elle est bien placée pour le commerce, les convois y passent de temps à autre. » je me pince les lèvres « Comme toute ville extérieure la sécurité n’est pas complète… Enfin elle est pas complète nulle part depuis la fange »

Je ne sais pas si c’est ce qu’elle voulait savoir, mais c’est tout ce que je peux lui dire. C’est moins surprenant de survivre à Conques qu’à Sombrebois, je crois. Je pense en tout cas. J’ai fini par me redresser pour me déplacer, détailler l’extérieur, rester en place je n’y arrive pas, cheville en moins ou pas. J’ai besoin de surveiller, de savoir ce qui se passe dehors, surtout quand le crépitement du feu m’empêche d’entendre vraiment le bruit de l’environnement.

- « Tu es quoi à Sombrebois ? Intendante un truc comme ça ? » fis-je simplement en croisant les bras sous ma poitrine « j’me suis toujours demandé comment vous arriviez à survivre là-bas ? » peut-être un peu comme au village « Tu es plutôt courageuse toi aussi pour te déplacer toute seule dans les marais, on le fait souvent quand on n’a pas le choix » moi je n’avais pas le choix par exemple « Enfin… J’suppose que pour survivre on doit tous se mettre un peu en danger. Merci en tout cas de me tenir compagnie. »

Le merci, il était moins sincère, la solitude, ça me convenait, mais je ne suis pas certaine que sans elle je sois parvenue à m’échapper du trou. D’ailleurs, j’allais devoir apprendre à être prudente, les trous, ça devenait une habitude. Elle avait de la chance d’avoir une monture, ça facilitait quand même grandement les choses. J’avais fini par me rapprocher, avisant la viande qui semblait être cuite, je l’ai retiré du feu, décortiqué en me brûlant un peu les doigts avant de répartir équitablement l’ensemble et lui tendre son morceau.

- « Tiens… Mange aussi, j’te dois au moins ça. Je vais réfléchir à ta proposition en tout cas… Tu dois t’y plaire pour proposer à des nouveaux de rejoindre le domaine, le noble dirigeant est comment ? »

- « Merde. » fis-je en la détaillant « Eh bah, si on m’avait que je tomberais une noble en plein milieu des marais… »

J’étais sur le cul et même mon cul ne s’en remettait pas. Je la dévisageais là sans même vraiment m’en rendre compte, j’étais tombée sur LA baronne de Sombrebois. Ça me faisait rire, je ne pouvais pas m’empêcher, je n’arrivais même pas à retenir mon souffle qui se muait en un amusement sincère. Je ne sais pas combien de chance j’avais pour tomber sur elle, certainement très peu. Néanmoins, ça ne change pas grand-chose à mes yeux, c’était même étrange de la voir agir ainsi avec moi, sans me prendre de haut, sans me dénigrer. Les paroles, les mots qu’elle utilise, ce n’est pas commun pour une noble, vraiment pas commun. Je lui lance un regard, puis un deuxième avant de me reconcentrer sur le lapin et la viande. Moi j’ai faim, c’est un fait et je ne vais pas me faire prier pour manger. L’alimentation c’est la base de la survie. Je roule des épaules lorsqu’elle évoque le fait de voyager seule et de préférer agir ainsi.

- « Tu es particulière pour une noble… Généralement… Vous voyagez avec des gardes, et vous ne vous enfermez pas avec une femme du peuple dans une bicoque pour partager un lapin… »

Elle renonce au reste du lapin après avoir à peine croqué dedans. Moi je suis moins regardante, beaucoup moins, de toute façon, je me dis que ça doit être parce qu’elle a l’habitude de mieux. Oui ça doit être ça, sans doute. Je roule des épaules, récupère l’ensemble pour venir croquer dedans. Comme ceux qui ne mangent pas souvent, je mange vite, très vite, trop vite. Je n’ai pas les belles manières, mes doigts sont gras, comme le contour de ma bouche et je m’en fiche, je me paye même le luxe d’essuyer l’ensemble sur mon pantalon bien trop grand pour moi. Elle se relève brusquement se précipite pour vomir dans un coin, je n’ai pas bougé, ni même détourné le regard de sa silhouette. Chez nous, on pisse en se faisant observer, alors vomir… Elle s’excuse je roule des épaules. Pourtant il est bon mon lapin. Je fouille dans mon sac pour faire rouler ce que j’ai de plus précieux : ma gourde.

- « C’est de l’eau de pluie » je tiens à le préciser «Je l’ai filtré avec des plantes… » je prends une brève inspiration « Pas vraiment, on n’est pas loin de Marbrume, c’est sans doute ce qui fait qu’on n’est pas beaucoup à vivre là-bas… Pas de quoi fouetter un chat si tu veux mon avis. La fange rode la nuit, enfin comme chez toi, je suppose… La différence c’est qu’il y a beaucoup de voyageurs à Conques, peut-être aussi chez toi ? »

J’avais la sensation qu’elle n’était pas en forme, sans déterminer d’où venait sa blessure… Puis je me souviens des symptômes de Mathie. Je me fais des idées, mais je me relève en terminant de mastiquer mon lapin, je creuse dans le sol pour permettre la pluie de s’infiltrer sous la pierre du mur. Je déchire un morceau de tissu pour le tremper dans l’eau. C’est un peu boueux, mais ça soulage toujours, c’est frais au moins. Je lui tends l’ensemble en lui montrant mon front pour lui indiquer le sien de ma main libre.

- « Ça te fera du bien, la boue est fraîche et l’eau aussi. » j’aide une noble, une grande première « Je ne vais pas venir à Sombrebois » concluais-je finalement « Je t’apporterais des ennuis » fis-je sans en dire davantage « Tu m’as aidé, tu dois être la seule noble que je connais qui ne traite pas les gens avec dégoût… J’vais pas gâcher ça. Tu devrais monter sur ta monture et disparaître. À Sombrebois d’ici tu y seras rapidement. À cheval… Tu ne risques pas grand-chose si tu te dépêches. Mais… Rosen, reste loin de cet abri tu veux ? »

Je m’appuie contre le mur, croise les bras sous ma poitrine, je pourrais lui dire beaucoup de choses, du moins l’interroger, mais je ne vais pas en profiter. Elle a la même tête que Mathie lorsqu’elle a découvert son état. Mathie est morte elle et même si je me faisais des idées, je préférais faire preuve de clémence.

- « J’me demandais… Comment c’est Marbrume, maintenant ? » fis-je finalement « Depuis l’attaque je veux dire, on a vu pas mal de soi-disant nouveaux banni à Conques… Pourquoi vous ne récupérez pas ces pauvres gens dans votre domaine ? »