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 Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]

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Mathilde VortigernFermière
Mathilde Vortigern



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MessageSujet: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptySam 23 Jan 2021 - 3:20
18 octobre 1166
Quelque part entre Monpazier et Sarrant


- Le vent tourne, ma grosse!

Juchée sur le large dos de sa monture, Mathilde parlait à sa seule compagne de route : sa jument. Le vent, qui s'était tout à coup raffraichit, venait maintenant du Nord. La fermière le savait. Après avoir traversé la mer pour gravir les falaises, il roulait sur les plaines fertiles du Labret avant de s'engouffrer avec force au sud du plateau, dévalant les pentes abruptes pour pénétrer les marécages. Elle ne le connaissait que trop bien, ce vent d'automne, aussi malicieux qu'imprévisible. Bientôt, le ciel encore bleu se peuplerait de nuages. Un temps parfait pour que les Fangeux sortent. Et elle se trouvait sur leur terrain de prédilection. Elle émit un claquement de langue pour presser sa jument.

Plus tôt dans la journée, la jeune mariée avait profité d'une livraison à Sarrant, une parmi tant d'autres, pour faire un détour et voyager vers Monpazier. Là, elle s'arrêtait toujours à une grange perdue au milieu de nulle part pour y dissimuler un paquet. Parfois, le paquet contenait du matériel, mais plus souvent il renfermait des semences. Elle le savait, un jour prochain, un fauconnier viendrait sans doute ramasser le don pour ensuite disparaitre.

La route était longue et dangereuse, mais elle valait la peine d'être parcourue. Offrir un support, même modique, aux bannis, était pour elle une façon de s'assurer qu'une bonne partie d'entre eux n'attaquerait pas sa ferme. L'un d'entre eux la protégeait, et en retour elle lui fournissait quelques petites choses qui lui permettaient, d'une certaine façon, de justifier cette protection. Évidemment, elle avait vu des visages, entendu des noms, déduit des choses sur la vie qu'ils menaient. La rumeur du village devait être vraie, et son protecteur y occupait une place de choix. La vie y était sans doute compliquée, faite de rivalités et de menaces permanentes. Le tableau qu'elle s'était imaginé, au sujet des bannis, était aussi inquiétant que leur réputation. Pourtant, aux yeux de Mathilde, tous méritaient une chance. Tous sauf le Renard qui avait marqué la paume de sa main. Lui, il était perdu.

Les yeux de la fermière balaient nerveusement la route et ses environs, s'élevant de temps à autres vers le ciel. Les sens aux aguets, elle guettait le moindre bruissement de feuilles, le moindre craquement de branche, mais rien hormis le vent malicieux. Pourtant, une sensation inconfortable s'emparait d'elle. Des yeux la regardaient. Elle donna un léger coup de talon dans les flancs de sa jument qui pressa encore un peu plus le pas. Sarrant était trop loin. Elles devaient trouver un abri.

Dans la grange de Monpazier, le paquet qu'elle avait déposé le mois dernier avait disparu. A sa place, elle avait trouvé une marque dont la forme rappelait celle d'un oiseau volant haut dans le ciel. C'est précisément sur cette marque qu'elle avait déposé son colis, convaincue que son ami était encore en vie. Peut-être était-ce lui qui la suivait?

Le chemin contournait par la gauche une large pierre, un marqueur bien pratique pour les voyageurs habitués qui savaient qu'un petit chemin allait bientôt venir se greffer à la route principale. Ce chemin menait à un ancien petit hameau peuplé de trois fermes, dont quelques rares bâtiments tenaient encore debout. Là, elle trouverait le refuge dont elle avait besoin, le temps que le ciel se dégage à nouveau. Son paquetage lui permettrait de grignoter pendant quelques jours au besoin, et la pluie se chargerait de remplir sa gourde.

- Allez! Le manque d'assurance dans sa voix la surprit presque. Il ne fallait pas trainer. Bifurquer sur le petit sentier, bien moins fréquenté depuis que la Fange s'était occupée des paysans qui vivaient par là, et filer droit vers la plus haute des bâtisses : une imposante grange en bois qui aurait sans doute été démontée pour en récupérer les matériaux si elle ne s'était pas trouvée dans ce lieu où il n'est pas bon de s'arrêter.

Le ciel achevait de se couvrir lorsque la fermière, la peur au ventre, se hissa au fenil. La jument, elle, resterait libre. En cas de panique, elle s'éloignerait du danger sans avoir à combattre une longe l'emprisonnant. S'éloigner plutôt que de s'enfuir à l'autre bout des Marécages, c'était aussi permettre à sa propriétaire de la retrouver. Un accord silencieux entre la femme et sa fidèle compagne de travail. Va pas trop loin, ok? La voix de Mathilde n'était plus qu'un chuchotement. Elle se détestait de ne pas avoir eu la sagesse de prolonger son séjour à Monpazier. Elle n'aurait pas été plus en sécurité, mais au moins elle aurait dormi à l'auberge, bien au chaud, sans craindre que quelqu'un fasse irruption dans sa chambre.

Combien de temps resterait-elle là? Mathilde avait bon espoir de pouvoir repartir au petit matin, après une nuit venteuse à souhait. Si le vent se maintenait, il aurait tôt fait d'emporter les nuages beaucoup plus au sud, lui permettant de reprendre la route. En attendant, elle se créerait un petit coin confortable pour fermer les yeux quelques heures. Il suffisait de dérouler son tapis pour s'allonger dessus, bien emmitouflée dans sa cape. C'est exactement ce qu'elle fit. Le confort était sommaire, mais bien suffisant pour fermer les yeux et prendre un peu de repos. Or, elle garda les yeux grands ouverts. En bas, la jument, tout à coup nerveuse, tapait du pied sur le sol. Entre deux bourrasques, la fermière crut entendre des bruits de pas. Concentrée à ne pas céder à la panique, Mathilde posa une main sur la garde de sa dague. Si c'était une personne malintentionnée, elle ne chercherait pas à la raisonner. Si c'était une bête... eh bien normalement elle ne devrait pas pouvoir grimper. L'échelle était relevée.

Passe ton chemin. S'il te plait passe ton chemin.
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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyDim 24 Jan 2021 - 15:16





Quelques part entre Monpazier et Sarrant ◈ 18 Octobre 1166 ◈ Fin de l’après-midi



Aujourd’hui était le jour où au village, on dirait que la fille au corbeau avait malheureusement trouvé la mort aux mains des fangeux. Pour Emma, au contraire, il s’agissait du jour qui marquerai le début de son retour à la civilisation.

C’était une idée qui lui avait taraudé la tête des mois durant, une chimère qui venait la tourmenter et la moquer devant l’impossible de sa situation. Dans ce vaste marais qu’est le royaume des fangeux, elle était la flamme d’une bougie qui pouvait être soufflée à tout moment. Si ce n’était pour la communauté que formait le village des Bannis, elle serait sans doute morte à l’heure qu’il est. Et même si elle avait réussit à survivre suffisamment longtemps pour atteindre un village, sa marque aurait fini par la trahir avec autant d’efficacité qu’un coup de poignard dans le dos. Les habitants de son village natal avaient été suffisamment décents pour la laisser partir sans lui jeter de pierres, mais qu’en serait-il des autres ?
Emma avait cru pendant un temps qu’elle allait passer de vie à trépas. Pas à cause de la faim ou de la soif ni même de la maladie, mais de la morsure figée dans son bras gauche. Les rumeurs disaient que les mordus finissaient par devenir eux-mêmes des fangeux. La perspective de cette métamorphose l’avaient terrifié, car il n’y avait selon elle rien de pire que de ne plus être maîtresse d’elle-même et de se transformer en l’une de ces créatures infernales.

Mais les choses avaient changé. La crainte de sa transformation s’était effacée au rythme de sa cicatrisation en constatant que rien ne lui arrivait, muant sa peur en colère face à l’ignorance des non mordus. Ses inquiétudes au sujet de ses capacités de survie n’avaient toutefois pas complètement disparues, car il fallait être fou pour ne plus jamais craindre les fangeux : mais elle connaissait à présent mieux ces marais autrefois étrangers et elle comprenait un peu mieux les habitudes de ces créatures.
Quant au village … si sa reconnaissance envers ses habitants n’était pas des moindres, elle avait la sensation de n'avoir jamais réussi à s'intégrer tout comme elle n'était jamais parvenue à s’habituer à l’idée de faire partie des marginaux. Pas de cette manière en tous cas. Ce n’est pas tant la marque qu’ils partageraient que le fait qu’une partie d’entre eux ne l’avaient pas reçus pour les mêmes raisons.

Et surtout, son ancienne vie lui manquait. Elle avait beau l’avoir raté en bonne partie, elle avait au moins eu la chance de vivre dans une vraie ville, avec de vraies fortifications, une vraie hiérarchie et, à un certain point, une vraie maison, une vraie famille, un vrai mari avec un vrai travail. Une question s’imposa à elle, de plus en plus insistante.
Etait-elle prête à vivre jusqu’à la fin de ses jours de cette façon, sans jamais essayer de se battre pour avoir la vie qu’elle méritait – tout ça à cause d’une loi injuste et de stupides superstitions ?

Et elle refusa, guidée par la révolte brûlant dans son cœur.

Mais on ne quittait pas le village des Bannis en passant simplement par la porte d’entrée. Du moins elle l'estimait, car on l'avait prévenu du traitement réservés aux traitres qui révéleraient le secret de leur village. Pour quelqu'un comme elle qui n'avait jamais vraiment réussi à s'intégrer, elle était convaincue qu'on irait lui chercher des noises si ses intentions étaient trop claires, même si elle ne comptait pas révéler la localisation de ce lieu caché. Alors, elle dû patienter en attendant le moment idéal. Celui-ci fini par apparaître au beau milieu de l’automne, alors qu’elle vérifiait des pièges dispersés dans le marais avec le groupe auquel elle avait été assigné. Elle usa d’un prétexte simple – une envie de se soulager qui naturellement irrita certains, qu’elle incita donc à continuer sans elle. Elle les rattraperait, leur avait-elle dit. Elle les rejoindrait rapidement, l’important était qu’ils avancent.

Avec Bertrand sur son épaule et la paire de cadavres d’animaux qu’elle avait emporté avec elle dans sa sacoche, elle contourna largement le groupe pour se diriger vers le nord. Elle savait qu’elle rencontrerait une route principale là-bas, et il suffirait de la suivre en direction de Monpazier ou Sarran dépendant de l’endroit où elle tomberait, puis de remonter vers le Labret. Un plan simple, en théorie. Mais elle ne comptait même plus les fois où elle dû s’arrêter en croyant voir un fangeux caché dans les joncs, ou de réaliser de grands détours pour éviter les zones qu’elle savait ou estimait dangereuses.
Le voyage lui paru long, bien trop long. La petite brune sursautait au moindre bruit, solitaire face au danger. La peur lui étreignait les entrailles comme les serres d’un oiseau de proie à chaque seconde, prête à la faire galoper jusqu’à sa prochaine cachette.

Finalement, après cette épopée interminable, elle fini par trouver le chemin qu’elle avait tant cherché. Une lueur d’espoir naquit en elle, mais qui ne s’amenuisa que trop vite. Dans le ciel, le soleil avait presque fini sa descente et de lourds nuages gris faisaient leur apparition. Connaissant la dangereuse prémonition qu’ils apportaient, elle se dépêcha de reprendre sa route après une rapide déduction sur la direction qu’elle désirait prendre.

Ses pas la portèrent jusqu’à ce qu’il semblait être un hameau abandonné. A son arrivée, le ciel était déjà gris et lourd de pluie, et le vent commençait à agiter ses longs cheveux bruns mal coiffés. D’un œil alerte, la jeune femme analysa rapidement la structure des bâtiments qui avaient tout d’une ferme. L’idée de se diriger vers la grange lui traversa immédiatement l’esprit : sa famille en possédait une quand elle était petite, et elle savait que sans une échelle celle-ci serait inatteignable ce qui était une cachette idéale contre les fangeux.
En s’approchant prestement de l’ancienne ferme, Emma fut fort surprise de constater la présence d’un cheval – non, d’une jument- qui n’était pas attachée. La petite brune se figea, observant l’animal avec une légère confusion. Etait-elle une survivante de cet endroit ? Ou bien appartenait-elle à quelqu’un qui était présent dans les environs ?

Quoi qu’il en soit, la bête semblait agitée à sa vue, tapant ses sabots sur le sol. Bertrand croassa en réaction sans bouger de son perchoir. Emma, quant à elle, s’approcha doucement après avoir arraché une poignée d’herbes à ses pieds.

« Shh shh … je ne te veux pas de mal. »

Elle offrit la nourriture à la jument, qui souffla nerveusement des naseaux avant de prudemment s’approcher. Emma sourit en sentant le museau de l’animal contre sa main pour venir mâchouiller les plantes. Gentiment, elle lui caressa l’encolure. Ce simple contact raviva ses souvenirs dans la ferme de ses parents, lui apportant une joie amère.
La bannie ne se laissa pas distraire davantage, cependant. Après avoir raclé ses chaussures contre les herbes pour y enlever les excès de bout, elle s’approcha silencieusement du grand bâtiment de bois qu’elle avait identifié comme étant la grange. En se tenant devant son entrée, elle constata l’absence d’échelle. Étonnée, elle leva instinctivement son regard vers l’étage : c’est là qu’elle croisa les prunelles sombres de ce qui semblait être une femme.

Emma ne fut que moyennement surprise ; après tout, la jument n’était pas arrivée ici par hasard. Il restait à savoir si cette femme se révélerait être une alliée ou une ennemie. Se douterait-elle qu’elle était une bannie avec son apparence actuelle ? Sa robe de lin d’un vert délavé avait vu des jours meilleurs et salie de son escapade dans les marais, et ses chaussures en mauvais cuir étaient encore en partie incrustées de boue.

« Ah … bonjour. J’imagine que la jument là-bas est à vous ?  »

Sur son épaule, son ami corvidé restait silencieux comme si lui-même pouvait ressentir la tension de la situation. Emma resta sur sa position, poursuivant alors la discussion pour y inclure sa demande.

« Ecoutez, j’sais qu’on se connaît pas mais … est-ce que vous pourriez descendre l’échelle ? Moi aussi j’ai besoin d’une cachette en attendant que la pluie et la nuit passent. »






Dernière édition par Emma le Lun 19 Déc 2022 - 16:54, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyJeu 28 Jan 2021 - 4:44
A l'étage de la grange, la fermière se rapproche du mur de planches pour tenter d'apercevoir quelque chose par l'un des interstices créés par le temps. Mais depuis son perchoir, elle ne perçoit que le postérieur de la jument, jument qui semble piétiner sur place. Aucune ombre, aucune silhouette n'entre pourtant dans son champ de vision. Pas de voix, pas de grondement, seulement le bruit de son coeur qui martèle ses tempes. Marguerite ne fuit pas. Ce donc pas un loup, ou n'importe quel animal dangereux, et sa légère nervosité indique qu'il ne s'agit pas non plus d'un Fangeux. Par la grâce des Trois. Mathilde en soupire presque de soulagement. Les yeux maintenant fermés, elle écoute. Un marcheur. Peut-être deux. Peut-être plus encore. Et un... croassement? La fermière retient un grognement contrarié. Un cri strident l'aurait presque rassuré, mais l'oiseau n'est pas un faucon. Dommage!

A-t-elle bien entendu un murmure? Un autre indice laissant croire que c'est à un être humain auquel elle va avoir affaire et... Mathilde a rouvert les yeux, cherchant un autre interstice par lequel jeter un oeil. Les mains plaquées sur la parois de bois, les yeux grands ouverts, son souffle s'arrête et sa bouche se déforme en une grimace contrariée. Grosse gourmande, ça te perdra espèce d'idiote! La jument a le nez fourré dans la paume d'une main dont elle ne voit pas le propriétaire. La fermière fulmine. Comment cette brillante monture, au tempérament bien affirmé, bête de travail et vieille compagne intelligente peut-elle s'abaisser à être ainsi domptée pour une poignée d'on-ne-sait quoi. Ce n'est pas la première fois que la gloutonnerie de la jument lui joue des tours. Et ce ne sera sans pas la dernière! L'estomac de Mathilde se serre. Et si l'inconnu décidait d'enfourcher la jument pour partir avec? Quel butin ça serait... Bon, une prise de risque considérable compte tenu de la lumière qui baisse, en plein milieu des marais avec des Fangeux partout autour d'eux, mais un risque qui en vaut la chandelle quand on sait ce que représente un cheval de trait dans une ferme : une vie de travail. La jument a déjà été emportée trois fois par des voleurs, et à chaque fois elle a fini par revenir.

Alors qu'en bas, la jument considère sa nouvelle amie comme une femme très mal élevée -essuyer ses chaussures sur de la si belle herbe, quelle idée!-, en haut, Mathilde se déplace en silence pour approcher aussi discrètement que possible du bord du fenil dont le sol est jonché de restants de vieille paille. C'est précisément au moment où, tapie contre le sol, elle étire le cou pour entrevoir la silhouette qui se profile qu'une paire de yeux incroyablement clairs viennent saisir son regard. Bordel de merde! La méfiance avait beau être quelque chose de complètement normal depuis la Fange, être découverte ainsi en pleine tentative d'espionnage avait quelque chose d'horriblement gênant. Mathilde se redresse pour s'asseoir, les joues rougies par la honte, mais le regard braqué sur son interlocutrice, en contrebas.

Une petite dame sans âge, plutôt frêle et dans un sale état. Littéralement. Avec un corbeau sur l'épaule. Un signe de malheur. Anür, protège-moi. Qui est-ce? Une sorcière à la recherche d'un nouvel endroit où cacher ses sortilèges? La grange n'ayant pas l'air d'être habitée, Mathilde songe que l'inconnue doit nécessairement être, elle aussi, de passage. Que peut-elle bien faire là? Et d'où arrive-t-elle? Elle ne l'a pas croisée sur la route... elle ne peut que venir de Sarrant. Ou avoir traversé les Marais, et dans ce cas, elle n'a rien de recommandable.

- C'est ma Marguerite, oui.

Donner un nom aux animaux fait partie de ces choses complètement inutiles, parce qu'elles provoquent un attachement déraisonnable à ce qui, inévitablement, risque de mourir soit de vieillesse, soit pour être mangé. A la ferme, chaque animal a un nom, même les poules qui pourtant font de délicieux bouillons bons pour l'âme, en hiver. Le corbeau a-t-il un nom, lui?

La petite dame aimerait elle aussi pouvoir monter à l'échelle, mais Mathilde songe à Marguerite. Marguerite qui est dehors et qui pourrait être embarquée par n'importe quel passant. A condition qu'il y ait encore des passants dans le coin. C'est impossible, Mathilde. La fermière ferme les yeux un instant, plongée dans une réflexion intense. Elle pourrait laisser monter la petite dame, par pure charité, espérer ne pas avoir à l'égorger, descendre et aller chercher Marguerite pour la rentrer pour la nuit... et en profiter pour fermer ce qu'il reste de la grande porte. Mais la petite dame n'en profiterait-elle pas pour remonter l'échelle et laisser Mathilde en bas? Ou bien, elle se contente d'attendre que la pluie fasse le travail : la grange ne serait certes pas fermée, mais la jument rentrerait d'elle-même, comme elle est habituée à le faire lorsqu'elles sont chez elles.

- Vous êtes seule?

Ça aussi, c'est une chose surprenante. Une petite dame aussi frêle et pâlotte, seule dans les Marais, c'est inattendu. Si c'est une sorcière, mieux vaut ne pas la froisser. Si c'est une fuyarde, ses poursuivants ne devraient pas tarder à arriver. Et si elle n'est pas poursuivie, eh bien il n'y a plus qu'à baisser l'échelle et enfin savoir qui elle est. Si la méfiance de Marguerite cède fasse à une petite gourmandise, celle de Mathilde rend les armes lorsque sa curiosité est titillée.

- Me le faites pas regretter, d'accord?

Se battre pour sa vie ne fait pas partie de ses plans, mais quelque part, la fermière sait que la petite dame ne fera pas le poids. Elle est plus grande, plus carrée d'épaules, probablement un peu mieux nourrie et certainement plus musclée. Travailler toute une vie dans une ferme a l'avantage de sculpter un corps qui résiste à presque tout. Mathilde s'étire pour saisir l'un des barreaux de l'échelle et trainer celle-ci sur le plancher pour la faire dépasser dans le vide, jusqu'à ce qu'elle bascule plus ou moins délicatement vers le sol. L'opération se serait sans doute mieux passée si la fermière s'était d'abord levée afin de contrôler la manoeuvre, mais elle y pense trop tard et ne retient qu'au dernier moment l'objet qui atterit lourdement sur le sol.

- Traînez pas. Je m'appelle Mathilde. Qu'est-ce que vous faites là toute seule? C'est vraiment pas raisonnable!

Nommer les bêtes -et les humains- pour créer un attachement. Pour devenir quelqu'un que l'on commence à connaitre et qu'on ne veut finalement pas voler, agresser, tuer. Pour inspirer la confiance et en savoir un peu plus sur l'autre. Mathilde ne sait pas réellement se battre, mais quand il s'agit d'apprivoiser les gens, elle s'en sort plutôt bien.
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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyDim 31 Jan 2021 - 11:04





Quelques part entre Monpazier et Sarrant ◈ 18 Octobre 1166 ◈ Fin de l’après-midi



Les rencontres au beau milieu de nulle part représentaient toujours un véritable pari. Il y avait toujours une chance de tomber sur des bandits et autres malandrins, de sales charognards qui profitaient de la situation pour faire ce que bon leur semble en toute impunité. Emma le savait, puisqu’elle-même fait partie des membres de cette espèce lorsque cela l’arrangeait. Voler et mentir ne lui avait jamais posé de problème … excepté qu’elle faisait cela plus par nécessité que par appât du gain. Il s’agissait d’un mal pour un bien, une condition pour survivre.

Cette jeune femme à peine plus âgée qui l’observait avec une expression troublée et des joues rougissantes, elle ne semblait pas faire partie des gens de son espèce à vue de nez. Emma reconnaissait les traits de la culpabilité lorsqu’elle les voyait, et ce simple indice signifiait que cette dame avait un sens du bien et du mal. C’était encourageant, mais cela ne signifiait pas qu’elle l’aiderait.
Emma ne savait que trop penser de cette inconnue. Ses cheveux étaient en tous cas plus soignés et propres que les siens, ce qui devait signifier qu’elle devait vivre une bonne vie. Sa silhouette et son visage lui donnaient une impression de vitalité et de force qui la rendaient presque envieuse ; cette dame était solide, bien plus qu’elle, et elle avait l’air plutôt grande. Etait-elle une femme de forgeron ? En tous cas, elle semblait avoir vu de bien meilleurs jours qu’elle. Elle devait même être plutôt riche, si elle pouvait se permettre de posséder une jument comme la sienne.

Emma préféra garder pour elle ses commentaires sur le nom de l’animal : même si ils étaient positifs, l’atmosphère ne se prêtait pas à une discussion aussi frivole. La méfiance transparaissait du regard sombre de la survivante, que la bannie soutint sans détourner ses prunelles claires. Il était compréhensible qu’elle la jauge ainsi, avec sa drôle d’allure ; et elle-même éprouvait des sentiments réciproques. Il était difficile de faire confiance à une parfaite étrangère … excepté que dans ce cas précis, elle n’avait d’autre choix que de tenter sa chance.

La femme lui demanda si elle était seule. Une question qui se posait tout naturellement, et à laquelle la brune ne tarda pas à répondre.

« A part Bertrand, non.  » déclara t’elle, hochant la tête négativement. Elle pointa son index vers l’oiseau noir solidement perché sur son épaule. « C’est mon corbeau.  »

Bertrand tourna son œil vers sa maîtresse en entendant son nom. Emma lui gratta brièvement la nuque avant de reporter son attention sur la peut-être-forgeronne qui eut l’air de réfléchir, laissant quelques longues secondes se passer avant de se résigner.

La vue de l’échelle l’emplit de soulagement. Jamais n’avait-elle été aussi contente d’en voir une.

« Merci beaucoup madame ! »

Sans perdre un instant, Emma se mit à grimper l’échelle pour aller rejoindre sa sauveuse cachée dans les hauteurs. Ce faisant, celle-ci lui lâcha un commentaire un brin accusateur qui fit un peu sourire la brune. Il était vrai qu’il n’était pas raisonnable de voyager seule ainsi, mais ce n’est pas comme si elle avait eut le choix. Et puis elle n'était pas un cas isolé – détail qu’elle n’hésita pas à lui faire remarquer.

«  Je peux en dire autant pour vous ... Encore que, vous avez un cheval au moins. Est-ce qu’elle est plus rapide qu’un fangeux ?   »

Quand elle fut arrivée sur le plancher solide la grange, Emma tira l’échelle pour la remettre à sa place. Bertrand quant à lui sauta sur le sol, explorant les environs sans faire trop attention aux deux humaines.

«  Quoi qu’il en soit, j’ai pas fais exprès … Je voyageais vers le Labret pour chercher du travail, et le temps m’a rattrapé.  »

Inutile de rentrer dans les détails fâcheux. Emma ne comptait pas lui révéler son statut de banni : il était presque certain qu’elle la jetterait dehors à tous les coups. Moins elle en saurait sur cette vérité, mieux ce serait.

Elle tourna alors son regard vers la grande dame.

« Et vous, c’est quoi votre excuse ?  »






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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyMar 2 Fév 2021 - 3:53
Bertrand. Le corbeau est avec elle et elle l'a appelé Bertrand. Mathilde regarde la jeune femme monter l'échelle avec une hâte à peine contenue... avec raison. Devoir faire un arrêt en plein territoire fangeux, c'est probablement la pire chose qui puisse arriver à une femme seule. Si des hommes mal intentionnés débarquent, elle ne peut pas fuir la cache sans risquer sa vie. Le refuge peut rapidement devenir une prison et alors... Mathilde secoue la tête. Pas la peine d'imaginer des choses qui ne se produiront pas.

- Marguerite s'en sort pas trop mal. Surtout quand elle panique, en fait. Vous avez déjà essayé d'arrêter un cheval de trait qui a décidé de courir pour sauver sa vie? Mathilde sourit en imaginant une troupe de fangeux barrant le chemin, et sa fière jument les envoyant voler dans les airs. C'est qu'elle est puissante, Marguerite. Certes, ce n'est pas un cheval taillé pour les longues distances. Elle aime prendre une allure tranquille et marteler, de son pas qu'elle a lourd, le chemin de terre battue. Elle ne part pas au quart de tour, mais lorsqu'elle se met à galoper, alors celui qui la monte ressent une impression grisante de toute puissance. Galoper sur les routes prodigue à la jument et à sa maîtresse un sentient de liberté dont elles se gavent, l'une et l'autre, dès qu'elles le peuvent.

L'échelle est remise en place, et le corbeau entame déjà son exploration. Mathilde jette un oeil inquiet à son sac de voyage. Est-il du genre voleur, ce piaf? Va-t-il fourrer son bec n'importe où et grignoter les quelques victuailles prévues pour le voyage? Plutôt que d'attendre que le larcin soit commis, la fermière préfère se montrer prudente et se rapproche de son petit coin douillet.

- Je reviens de Montpazier moi aussi. Moi aussi. Bon, la petite dame n'a pas mentionné son nom, mais si elle va vers le Labret, elle ne peut qu'emprunter la route principale partant de Montpazier pour aller vers Sarrant. Enfin c'est ce qu'elle pense. Avant la fange, et avant de rencontrer Jocelyn, elle n'était allée qu'à quelques reprises dans cette petite bourgade. Aussi n'a-t-elle pas la prétention de connaître tous les chemins mais bien seulement le principal, sur lequel elle n'a pas rencontré la femme qui lui fait face. C'est étonnant qu'on ne se soit pas croisées sur la route. Y avait pas beaucoup de voyageurs, je me souviendrais de vous si ça avait été le cas. De vous et de Bertrand. ajoute-t-elle en désignant le corbeau d'un mouvement de menton. Je vis au Labret, j'ai une ferme là-bas et il m'arrive d'avoir à faire des livraisons quand j'ai des petits surplus à partager du côté de Montpazier. Les récoltes sont bonnes, et au supposé village des bannis, Jocelyn prépare l'hiver, saison durant laquelle la nourriture vient souvent à manquer. Elle en a vus, des bannis. Des aimables, qui se montrent reconnaissant pour le peu d'aide qu'elle peut leur apporter, et des gourmands qui en veulent toujours plus. Par chance, Jocelyn fait partie de la première catégorie. Il n'aime pas qu'elle prenne des risques, mais elle bénéficie de sa protection et continue, quand elle le peut, de le remercier à sa manière. C'est donnant-donnant.

Mathilde finit par s'asseoir sur sa couche improvisée et rapproche son sac d'elle. Je suis pas une bannie, si c'est votre question. Ni une mordue. Ni une pirate qui a perdu le nord et qui ne sait plus où se trouve l'océan. Je suis juste... moi. Mais elle... elle qui partage maintenant la planque de la fermière. Ses vêtements sont sales, ses souliers sont crottés, ses cheveux un peu indisciplinés. Elle voyage seule et sait probablement mieux mentir que Mathilde. Elle a tout de ces gens qui portent une histoire catastrophique sur les épaules. Le genre de personne que Mathilde ne peut s'empêcher d'aider, pas par pitié mais bien par pure compassion. Souvent, elle se déteste pour ça. Faim? La fermière est trop bonne. Peut-être parce qu'elle a conscience que sa situation est nettement plus enviable que celle de la plupart des vivants. Elle mange au moins un repas par jour, parfois deux. Dispose d'une ferme, de travailleurs, d'un cheval robuste, de bêtes et de bâtiments. A encore l'espoir de jours meilleurs, au point d'épouser l'homme qu'elle aime en imaginant une longue vie à deux. Dort souvent au chaud et à l'abri, et s'offre parfois le luxe d'une bière à la taverne, même si c'est mal vu. Son existence est somme toute bien plus enviable que celle de bien des paysans.

Mathilde sort un quart de pain et le rompt intentionnellement au-dessus du plancher, songeant que le corbeau s'en viendrait ramasser les miettes tombées par terre. Elle les repoussa un peu plus loin pour former un petit tas. Si le volatil pouvait ne pas la coller, elle ne s'en porterait que mieux.

- Vous cherchez quoi comme travail? demande-t-elle en tendant un morceau de pain à l'inconnue. Parce que y en a au Labret. Les gens de la ville ont tendance à penser qu'on est des inconscients suicidaires vivant dans un environnement particulièrement infâme, mais moi je trouve que c'est en ville qu'ils n'ont pas de chance. Enfermés derrière des hauts murs à attendre que la mort les cueille. Vraiment, c'est pas une vie.

Si l'étrangère accepte le bout de pain, Mathilde lui proposera même de prélever un peu de fromage de chèvre pour en garnir la mie. Sinon, eh bien elle remisera le pain au fond de son sac, et mangera sa part, parce qu'elle meurt de faim, en songeant qu'un filet de miel aurait été parfait pour adoucir le goût particulier du fromage. Sur le toit qui les protège, quelques plic ploc se font entendre, trahissant le début d'une averse. Les Trois fassent que les fangeux passent leur chemin.
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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptySam 6 Fév 2021 - 20:20





Quelques part entre Monpazier et Sarrant ◈ 18 Octobre 1166 ◈ Fin de l’après-midi



Non sans un sourire enjoué, Emma secoue négativement sa tête à la première question de la dénommée Mathilde. En son esprit s’était imposée l’image mentale d’un groupe de fangeux courant maladroitement pour rattraper la brave Marguerite, dont la peur donnait des ailes. Pour autant, elle n’était guère certaine que l’imposante jument puisse garder une distance suffisante entre ces créatures sur le long terme. Si les fangeux ressemblaient aux humains, ils devaient être des créatures d’endurance qui poursuivent leur proie jusqu’à épuisement de cette dernière. Un cheval, bien que rapide, serait incapable de fuir éternellement.
Mais fort heureusement pour les équidés, ces monstres étaient davantage intéressés par leurs cavaliers que par eux.

Tout en formulant cette pensée, Emma se leva pour ranger l’échelle dans un coin de la grange pendant que Bertrand sautait à pattes jointes sur le plancher. L’oiseau s’arrêtait parfois pour observer le sol, son intérêt soudainement éveillé par un quelconque détail avant qu’il ne s’en détourne lorsqu'il se rendait compte qu’il ne s’agissait pas de nourriture. Lorsque leur hôte bougea pour se réfugier près de son sac afin de le protéger, le volatile tourna son œil vif vers la grande dame, se figeant soudainement, avant d’aller sautiller ailleurs en comprenant qu’il n’y avait ni dangers, ni victuailles pour lui dans cette partie de la grange.

Emma vint se rasseoir auprès de sa compagne de fortune tout en écoutant ses remarques et son petit bout d’histoire sur la raison pour laquelle elle était ici. La chance voulu qu’elle partageait cette cachette avec une habitante du Labret ; pour une fois, les Trois lui souriaient. Cela voulait dire qu’elles pourraient sans doute faire route ensemble ce qui était un avantage non négligeable. Voyager à plusieurs était non seulement plus plaisant, mais également plus sûr. En revanche, Mathilde lui fit la remarque qu’elles ne s’étaient pas croisées malgré le fait qu’elles avaient emprunté un même chemin. C’était pertinent de sa part, mais aussi un brin ennuyeux : c’était ce genre de petits détails qui pouvait la trahir.

Le plus naturellement du monde, la brune haussa doucement des épaules.

« C’est vrai que c’est bizarre … peut-être qu’on s’est croisées et qu’on s’est juste pas vues ? Ça m’est arrivé de sortir du chemin juste au cas où. J’ai peur de me faire voler vu que je suis seule … Et puisque c’est pas la première fois que ça m’arrive, je suis un peu parano ... » conclut-t-elle, détournant à la fin son regard brillant d’une petite lueur chagrinée.

Ce simple mensonge serait sans doute un terreau fertile pour expliquer tout ce qui ne collait pas avec sa présence seule sur les routes, sans aucunes affaires pour l’accompagner dans son voyage vers sa nouvelle vie au Labret. Mais elle ne comptait pas en dire plus tant que Mathilde ne lui poserait pas de questions ; se justifier sans invitation revenait à révéler le pot aux roses.

Ses prunelles claires ne tardent cependant pas à revenir sur Mathilde, la regardant avec un brin d’étonnement quand cette dernière justifia sa nature.

« Oh non, non … Désolée, je ne voulais pas dire ça … Vous avez le droit d’aller où bon vous semble, tout comme moi. Mais c’est si dangereux de nos jours … j’ai moi-même vraiment hésité à faire ce voyage, vous savez ! »

Cette fois, ses paroles étaient honnêtes : elle n’avait jamais voulu l’accuser d’être quelqu’un comme elle. Ce genre d’amalgames pouvait être mal pris, et ce n’était guère le moment de mettre sa sauveuse à dos. Heureusement, cette dernière ne semblait pas trop lui en tenir rigueur et lui proposa à manger. Étonnée par cette soudaine gentillesse, Emma lui répondit à demi-voix :

« Oh oui, merci. »

Ses grands yeux clairs observent avec un mélange d’attention et d’avidité le pain maintenant par les mains fortes de la fermière, qui le rompit en deux pour le lui tendre la moitié. La bannie prit son morceau, la remerciant une nouvelle fois pour sa bonté. Elle mourrait de faim.

« Merci, vraiment … Au fait, je viens de me rendre compte que je me suis toujours pas présentée. Moi, c’est Emma. »

Sans attendre plus longtemps, elle prit une bouchée de pain et s’efforça à le mâcher lentement pendant que de son coté, Bertrand sépara la distance entre lui et le petit tas de miette en un battement d’ailes.
Emma avala son premier morceau avant de répondre à la question de Mathilde.

« Ben euh … je sais pas trop. N’importe quoi tant que j’ai à manger et une paillasse à la fin de la journée. J’suis pas difficile et j’apprends vite. » lui avoue t’elle avec franchise. « Mais si je pouvais, j’aimerai bien travailler avec des animaux. Je connais un peu les ficelles, mes parents étaient éleveurs. On avait des moutons et des poules. »

Son rêve à elle, ce serait qu’elle ait sa propre ferme ou son propre élevage. Ne serait-il pas merveilleux de pouvoir produire sa propre laine, ses propres œufs et son propre lait ? De temps en temps, elle pourrait même tuer un poulet pour en faire un rôti ou un bouillon. Mais pour cela, il lui faudrait de l’argent – beaucoup d’argent. Ou plutôt, de quoi troquer car telle était la monnaie de ces jours sombres. Mais elle ne possédait malheureusement rien d’autre que son corps.
Sur ces sérieuses pensées, Emma accepta volontiers le fromage proposé par sa bienfaitrice et, sans attendre, en savoura un morceau. La faim ne rendait la nourriture que plus délicieuse.

« Je pense que les gens ont juste peur de l’extérieur et préfèrent s’en tenir à ce qu’ils considèrent comme des valeurs sûres. Même si maintenant, ils doivent pas être plus rassurés avec ce qui s’est passé y’a quelques mois. » poursuivit-elle, cette fois au sujet du commentaire de la fermière sur Marbrume. « C’est comment au Labret d’ailleurs ? Vous n’avez pas de grands murs comme la capitale, donc vous faites comment pour survivre ? »





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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyMar 16 Fév 2021 - 4:47
Sortir du chemin. Mathilde hocha de la tête. Si la voie principale est loin d'être sure, en sortir pour marcher dans le fossé ou pire, sous les frondaisons, relève de la folie. Les fangeux se cachent derrière les troncs des arbres et dans les petits buissons. La moindre souche, le plus insignifiant des arbustes peut devenir un piège mortel... alors sortir du chemin est une manoeuvre particulièrement dangereuse et donc discutable. Mais Mathilde laisse couler. Après tout elle aussi a des petits secrets à cacher.

L'étrangère -car elle n'a toujours pas dit son nom- est sur la réserve. Mathilde peut la comprendre, elle-même n'est pas la plus à l'aise dans ces moments où deux inconnus se rencontrent par hasard et sont contraints de se faire confiance pour espérer survivre. Sa stratégie à elle est d'apprivoiser son interlocuteur. L'étrangère, elle, fait plutôt profil bas, sans doute parce qu'elle a quelque chose à cacher songe-t-elle. L'attitude jusqu'ici parfaitement contrôlée de la jeune femme change du tout au tout lorsque la fermière lui indique qu'on peut la ranger du côté des honnêtes gens. Troublée, c'est avec une spontanéité certaine qu'elle cherche à chasser un éventuel malentendu... malentendu sur lequel Mathilde ne s'attarde pas, en détournant la conversation vers quelque chose qui met tout le monde d'accord : la nourriture.

- Enchantée Emma répond-elle lorsqu'enfin la voyageuse lui donne un nom. Qu'il soit réellement le sien ou non, Mathilde n'en a aucune idée. Mais si Emma veut qu'elle l'appelle comme ça, elle le fera jusqu'à ce que leurs chemins se séparent. Son regard est attiré par les petits sauts du corbeau qui s'aventure maintenant vers le petit tas de miettes, et la fermière se demande un instant s'il va pousser l'audace jusqu'à tenter de lui prendre le pain de ses mains. Assise sur le sol, elle écoute d'une oreille Emma parler de son intérêt pour les animaux et esquisse un petit sourire. Des parents éleveurs de moutons et de poules. Il n'y a pas de moutons à la ferme, mais des poules qui caquettent, pondent, couvent, grossissent, il y en a. Ainsi qu'une vache, la Catin. Une chèvre qui mange les fonds de culotte du pauvre Jehan qui en a une peur bleue. Deux porcs qu'on abattra le mois prochain, pour saler la viande qui sera consommée toute l'année par elle et par les gars. Et Marguerite, qui est maintenant à l'abri de la pluie et qui va probablement ponctuer les conversations de quelques grognements soufflés dont elle seule a le secret.

- On n'a pas de grands murs qui nous empêchent de fuir, non. Vous y étiez, au couronnement? Moi j'y étais. Et je me suis promis de ne plus jamais retourner à Marbrume. Quitte à mourir, autant mourir libre, sur ma terre, plutôt que piétinée par mes semblables ou dépecée par... enfin vous voyez quoi. Le regard de Mathilde rejoint le plancher pour se perdre dans le vague. Pendant de longues secondes, elle fait silence alors que les images de l'invasion défilent dans sa mémoire avec la même netteté que le jour où tout avait basculé. Un mouvement proche d'elle la sort de ses pensées. C'est le corbeau qui s'aventure maintenant près de son genou. Instinctivement, Mathilde éloigne le morceau de pain qu'elle tient du long bec noir du volatil. Consciente qu'elle a eu une absence, elle se redresse un peu, visiblement confuse. Désolée. Je... il suffit que j'y pense pour ne plus être tout à fait présente. Elle hausse les épaules, impuissante, et croque un morceau de pain. Quelle était la question, déjà? Ah oui. Comment on fait au Labret.

- On vit avec le soleil. S'il pleut, on s'occupe à l'intérieur, en hauteur. Si le ciel est couvert, on ne sort pas. Et si on sort, on prie. On reste le plus possible dans des zones découvertes, loin des boisés, loin des buissons, loin des hautes herbes. Les palissades sont pleines de trous mais je crois qu'elles font un semblant de bon travail, après tout j'ai jamais vu autant de fangeux au Labret que ce qu'on a vu le jour du couronnement à Marbrume. Mais mon premier mari s'est fait emporter, et c'est pas le seul. Mathilde lève le nez vers le toit et semble inspecter méticuleusement les planches du regard. S'il y a une infiltration -ça ne serait pas surprenant vu l'abandon de la grange-, pas question qu'il lui pleuve sur la tête. A en juger par le rythme maintenant un peu plus soutenu des gouttes frappant sur la couverture de bois, la pluie s'installe. Ça veut dire plus de moustiques dans deux jours. Il ne faut vraiment pas que ça dure. Mais sinon... c'est le plus bel endroit où vivre. Je travaille dur avec les gars, et on est toujours aux aguets, mais je ne voudrais changer de place pour rien au monde. A Usson on a une petite auberge toujours pleine, à cause des voyageurs. Y a le four commun où les femmes se retrouvent pour cuir ensemble les pains de la semaine. Le forgeron est plutôt sympathique, oh et puis on va bientôt célébrer un mariage dans la noblesse! A dire vrai, le tableau tel qu'elle le dépeint pourrait donner envie à n'importe qui de s'installer au Labret. Faut juste être un peu audacieux. Ou ne pas avoir le choix, comme les mordus que le roi s'est empressé de chasser de sa ville. Les pauvres. On en a vus beaucoup passer par le plateau durant l'été. Les gens ont peur, y en a beaucoup qui...

Mathilde s'interrompt pour sauter sur ses pieds et fait deux pas en arrière, effrayée. Recule! Recule! Je t'ai vu, oiseau de malheur! Tu voulais... La fermière, superstitieuse, regarde le corbeau et lui lance des petits Pchhhht pour l'effrayer et le pousser à reculer. Elle ne se risquera pas à le toucher -sait-on jamais, ça porte malheur ces oiseaux-là!-, et c'est probablement ça qui sauve ce cher Bertrand d'un coup de pied dans les plumes. S'il vous plait, dites à votre oiseau d'aller sautiller plus loin et de ne plus tourner autour de ma besace. Adossée au mur, la fière fermière semble tout à coup terrorisée à l'idée que le volatil l'effleure. Après tout, les corbeaux ne sont-ils pas l'incarnation des âmes des damnés?
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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyMer 14 Déc 2022 - 21:30





Quelques part entre Monpazier et Sarrant ◈ 18 Octobre 1166 ◈ Fin de l’après-midi



Emma ignorait tout de ce qui se tramait dans l’esprit de son interlocutrice, et c’était probablement pour le mieux. Elle aurait craint sa clairvoyance qui avait percé à jour son mensonge. L’hostilité des marais lui était maintenant presque familière, et elle avait appris à craindre les endroits trop exposés telles que les routes. Les prédateurs se rendent inévitablement là où ils ont le plus de chance de trouver leurs proies ; les chemins devaient donc forcément être un excellent terrain de chasse pour ces goules. Cependant, au regard des voyageurs, ces épaisses lignes tracées dans la terre leur offraient une protection justement parce que la lumière chassait de son feu purifié ces créatures d’humidité et de boue.
Pour le reste, ce n’était qu’une question de chance …

En l’absence de remise en question, c’est avec l’esprit tranquille et la bouche pleine de pain et de fromage que la petite brune écouta sa compagne de fortune répondre à sa question.
L’entendre parler des circonstances autour du couronnement du Duc la poussèrent à admettre une vérité qu’elle possédait déjà depuis longtemps en elle. Certes, le plateau du Labret n’était pas Marbrume et ses épais murs de pierre, mais après tout, les évènements de ces derniers mois ainsi que l’incident du quartier de la Hanse quelques années plus tôt avaient prouvé que ce qu’elle croyait comme un bastion intouchable ne valait pas mieux qu’une passoire, pourvu qu’il y ait suffisamment de suicidaires et de fous pour saboter les efforts du reste.

Pendant un bref instant, Mathilde se stoppa dans sa narration. Emma n’osa pas prendre la parole, l’observant dans un mutisme respectueux. Même Bertrand semblait avoir remarqué que quelque chose d’important se tramait, tournant l’espace d’un instant son regard brillant vers leur sauveuse avant de revenir attaquer ses miettes. Finalement, la voyageuse s’excusa. Instinctivement, Emma toucha brièvement le coude de cette dernière dans un geste qui se voulait compatissant et amical.

« N’en dites pas plus. Je comprend. »

La mordue n’osa pas en rajouter, ni même partager ses propres sentiments à propos de ce désastre. C’était le jour qui avait complètement ruiné sa vie, et outre le fait qu’elle ne souhaitait pas y penser, Mathilde ne devait pas connaître sa véritable nature. Elle avait suffisamment d’expérience à ce sujet pour savoir que ce n’était pas une bonne idée.

Son aînée semblait aller mieux, car elle poursuivit son propos en vantant les mérites du Labret sous le regard attentif d’Emma. Comme partout, le plateau du Labret comportait des dangers ; mais cela semblait être un bon endroit où vivre et tout recommencer. Cela ne se ferait pas sans difficultés, mais elle y croyait.

Alors que Mathilde partageait sa compassion pour les mordus, elle s’interrompit une nouvelle fois, mais bien plus brusquement. Emma tourna immédiatement son attention vers Bertrand, qu’elle n’avait pas vu s’avancer bien trop près de leur bienfaitrice. L’oiseau avait sans doute voulu vérifier si cette dernière cachait à tout hasard davantage de nourritures, et il ne s’était pas attendu à se faire crier dessus. Effrayé, il fit un saut de côté en battant une fois ses ailes, regardant ensuite dans une posture cocasse l’origine du cri. Ses yeux noirs observèrent intensément Mathilde. Qui sait ce qui se tramait dans le petit cerveau du corvidé ; mais celui-ci ne bougea pas davantage, même quand la dame tenta de le chasser.

Emma posa son pain et attrapa le corbeau comme un vulgaire petit paquet.

« Désolée, il est juste très curieux … mais il ne vous fera pas de mal, c’est un gentil corbeau. » tenta t’elle de rassurer sa compagne avec un sourire désolée.

Elle déposa Bertrand à ses cotés et essaya de le distraire avec un bout de son fromage, ce qui sembla marcher au regard de la manière dont il s’acharnait dessus. La brune reporta ensuite son attention sur Mathilde, et décida d’intervenir.

« Vous plaignez les mordus … ce n’est pas commun, les gens comme vous. En général on préfère les condamner sans comprendre alors que ce ne sont que des victimes ... » déclara-t-elle, avant de lui demander finalement, le plus naturellement possible : « Vous alliez dire quoi au fait ? Ca se passe comment pour eux ? Est-ce que … ils arrivent à vivre au Labret ? »





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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyJeu 15 Déc 2022 - 3:32
Un gentil corbeau. Mathilde ne put s’empêcher de hausser un sourcil presque moqueur en regardant le volatile rejoindre sa maîtresse. Comment avait-elle réussi à apprivoiser cet oiseau de mauvais augure, qui, maintenant, se tenait à une distance bien plus raisonnable de la fermière légèrement superstitieuse? C’était un étrange choix que de se tourner vers un oiseau charognard plutôt que d’opter pour un animal utile. A moins que Bertrand n’ait une utilité quelconque… et si c’était le cas, elle percerait ce mystère.

La brune semblait désolée que le corbeau l’importune et s’empressa de retourner à leur conversation, sans doute pour éviter que le saut d’humeur de la fermière ne s’envenime.

- Hm? Ah oui… je disais qu’ils étaient nombreux à passer cet été sur le plateau. Ça a été compliqué, ça l’est toujours en fait.

Usson, c’était un savant mélange de quelques familles qui avaient toujours vécu là et qui avaient survécu à l’occupation du plateau par la fange, et des nouveaux arrivants raflés pour aller cultiver les terres et nourrir les gens de la ville. La plupart des anciens comme Mathilde étaient plutôt méfiants et voyaient les arrivées d’un mauvais œil : les gens de la ville n’avaient pas la connaissance fine et ancestrale de la terre du plateau. Les nouveaux, quant à eux, essayaient tant bien que mal de se créer une nouvelle vie malgré leur manque de repères. Certains y parvenaient, d’autres pas du tout. A travers cette rivalité, qui s’atténuerait sans doute avec le temps, quelques paysans, anciens et nouveaux, s’alliaient pour les corvées ou faisaient preuve de bon voisinage en indiquant à qui s’adresser pour telle question ou tel problème.

- Quand les mordus sont arrivés, ça a réveillé certaines craintes chez les plus anciens habitants, parce qu’après les apprentis-paysans raflés en ville, on nous envoyait des fangeux en devenir. Y en a beaucoup qui ont trouvé ça injuste, parce que sans le Labret, Marbrume crève... et forcément, ils ont eu peur, et ont tout fait pour faire partir ces pauvres gens.

Mathilde haussa les épaules en faisant une petite grimace déçue. Elle n’était pas fière d’appartenir au peuple d’Usson qui, dans sa grande majorité, avait tourné le dos à celles et ceux qui étaient dans le besoin.

- J’ai vu un fangeux de très près. J’ai failli être mordue… alors je comprends leur désarroi. Et si on est tout ce qui reste de l'humanité, on a intérêt à se serrer les coudes. Elle ne put s'empêcher de penser que si tout le monde l'avait compris, la Fange aurait été renversée depuis des lustres. J’en ai accueillis quelques-uns à la ferme. Ils ne sont jamais restés longtemps. C’est difficile de se faire une vie quand les gens du village ont peur de vous, et comme on passe généralement par le village pour quémander du travail avant d’arriver à ma ferme… Tous ceux qui ont dû révéler leur marque ont perdu l’occasion de passer inaperçus. Quelques chanceux ont réussi à se placer mais c’est loin d’être la majorité.

Le corbeau semblait s’amuser avec le bout de fromage qui semblait être un jouet. Pourquoi craignait-elle cette bête à plumes, déjà? Noire comme la nuit, elle était un présage de mort, d’après sa mère. Un charognard, voleur de surcroît. C’était peut-être là son utilité. Mathilde reprit, sans quitter l’oiseau des yeux.

- Je sais que certains ussoniens ont moins peur, maintenant. Le temps a passé et plusieurs mordus sont encore en vie et parfaitement humains, ça aide à changer les perceptions. Un peu… Et puis tout le monde a appris à se faire discret.

Elle sourit. C’était sans doute l’avantage majeur de l’arrivée massive de nouveaux arrivants : quand votre voisin n’est pas le cousin au deuxième degré de votre grande-tante par alliance, certains secrets peuvent le rester plus ou moins longtemps. Avant, lorsqu’à peu près tous les villageois avaient un lien de famille quelconque, tout, absolument tout se savait.

- Vous en êtes une? Une mordue, j’entends.

Son regard s’était reporté sur son interlocutrice qui s’intéressait au sort de ceux qui avaient vu un fangeux d’un peu trop près. Mathilde avait cru entendre une hésitation dans la dernière intervention d’Emma. Allait-elle se raidir à cette question particulièrement directe? Son visage allait-il s’empourprer? La fermière sourit un peu plus.

- Je suis comme Bertrand : curieuse. Et vous avez le droit de ne pas répondre. D’ailleurs… comment avez-vous réussi à domestiquer un corbeau? Je les croyais libres et indépendants!

La tension qui, jusqu’alors, habitait les épaules de la fermière sembla se relâcher. Consciemment ou non, elle avait décidé de faire confiance à la jeune femme qui partageait son abri de fortune.
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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptySam 17 Déc 2022 - 20:09





Quelques part entre Monpazier et Sarrant ◈ 18 Octobre 1166 ◈ Fin de l’après-midi



Emma feignit de ne pas remarquer la suspicion presque moqueuse sur le visage de Mathilde. Dans ce genre de cas de figure, elle préférait jouer l’humilité afin de calmer le jeu. Ce n’était pas la première fois qu’un tel accident arrivait, et ce ne serait pas le dernier ; elle était consciente d’avoir choisi un animal de compagnie défiant les conventions, et cela pouvait susciter des réactions plus ou moins violentes en fonction des croyances et de la tolérance de chacun.

Fort heureusement, Mathilde n’était pas une femme déraisonnable malgré son aversion pour le corbeau. Une fois la menace écartée et le sujet relancé, c’était comme si l’incident n’avait jamais eu lieu. Emma entama son morceau de pain tandis que son aînée répondait à ses questions précédentes, y voyant également une occasion pour en apprendre plus sur ce qui pouvait l’attendre dans le futur.

Depuis le début, elle se doutait bien que recommencer au Labret ne serait pas facile. Elle avait eu tout le temps d’y réfléchir avant de quitter son village de marginaux. Étant une inconnue, on lui poserait des questions. On demanderait à voir son bras. Et à ce moment-là, ce serait presque perdu d’avance, à moins qu’elle n’anticipe le problème et ne la joue finement - qui sait, peut-être pouvait-elle s’arranger avec une ancienne connaissance si elle avait la chance d'en trouver une, ou bien pouvait-elle profiter de la nuit qui se profilait pour s’inventer une histoire convaincante qui susciterait la sympathie au lieu de la méfiance. L’autre alternative était simplement de faire preuve de persistance et de modestie, même si cela signifiait accepter des corvées dangereuses ou sous-payées. Dans le pire des cas, elle pousserait plus au nord. Tout, sauf retourner dans les marais.
Pour autant, Mathilde précisa que les mentalités semblaient s’adoucir. Peut-être n’était-il pas nécessaire d’être aussi pessimiste, pensa la bannie. Celle-ci hocha la tête, compréhensive, avant de manger sa dernière bouchée de mie et de se reporter sur le peu qui restait de sa part de fromage.

Puis, soudainement, avec autant de subtilité qu’un coup de poignard dans le dos, son interlocutrice lui posa la question fatidique.
Ses muscles se raidirent d’eux-même, à la manière d’un petit animal pris au piège. Son coeur s’accéléra, tandis que son regard clair croisa immédiatement les yeux presques rieurs de la femme qui l’observait avec un sourire, guettant sa réaction. Emma fronça ses sourcils, s’efforçant à continuer à mâcher la nourriture qui a présent semblait avoir perdu son goût. Si elle était fébrile de l’intérieure, elle n’en laissa que peu transparaître. Du moins, elle essaya, et de la seule manière qu’elle connaissait : avoir un tant soit peu une réaction appropriée.

« Vous ne pouvez pas me poser ce genre de questions et me demander ensuite comment j’élève mon oiseau … on n’est pas en train de discuter de la pluie et du beau temps là. » répliqua-t-elle, non sans reproche dans la voix.

Avalant son fromage avec difficulté, la bannie jaugea d’un air sombre la fermière en repensant à ses paroles précédentes. A en croire ses dires, si du moins elle ne lui avait pas menti, lui dire la vérité ne lui coûterait à priori rien. Mais cela paraissait presque trop beau pour être vrai: quelqu’un non seulement doté d’une ouverture d’esprit mais qui en plus avait déjà travaillé aux côtés de mordus comme elle, cela relevait au pire de la folie, au mieux du miracle. Toutefois, Mathilde n'a jamais cessé de prouver sa gentillesse depuis le début entre le refuge qu'elle lui avait offert et la nourriture partagée ... était-ce si improbable, finalement ?

Incertaine quand à la position à adopter face à cette situation qui défiait les probabilités, elle préféra répondre à sa question par une autre question, espérant gagner un peu de temps tout en voulant vérifier la réaction de son interlocutrice :

« Mettons que j’en sois une. Que va t’il se passer ? »





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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyDim 18 Déc 2022 - 15:03
Avait-elle rêvé ou la jeune femme s’était-elle tout à coup tendue? La question était parfaitement déplacée, et en temps normal, seuls les miliciens la posaient à ceux qui passaient les points de contrôle. Eux, et les personnes trop curieuses comme Mathilde. Mais peu importe, Emma semblait surprise par la question, et la fermière qui ne l’avait pas quittée du regard pensait avoir sa réponse : elle portait une marque.

- « Rien. Je veux dire… on est au milieu des marais, avec le ciel qui nous tombe dessus et on ne fait que parler. C’est juste qu’une fois le soleil de retour, on risque de faire un bout de chemin ensemble et que lorsque les gardes vous demanderont de montrer votre bras, eh bien je n’aurai pas un air étonné. »

Elle sourit. Elle n’avait pas envie de passer pour une folle inconsciente qui voyageait avec n’importe qui. Voyager… La brunette n’avait pas volé son cheval et n’avait pas cherché à la tuer, c’était plutôt bon signe quant à son honnêteté. C’était une voyageuse, accompagnée d’un étrange volatil, et elle ne représentait aucune menace pour la vie de la fermière. Rien ne s’opposait à ce qu’elles fassent ensemble la route jusqu’au Labret.

- « Certains gardes moins bien lunés demandent aux marqués c’est quoi leurs plans. Où ils vont, comment ils prévoient de vivre. Ils ne peuvent pas leur refuser l’accès au plateau, parce que ça serait désobéir aux ordres du roi, mais ils peuvent se montrer dissuasifs. Tenez, regardez » ajoute-t-elle en relevant sa manche pour dévoiler un bras exempt de marque. Un petit miracle, après les événements du mois de mai et sa marche forcée à travers les marais avec un banni prêt à tout.

Mathilde replaça sa manche. Les gars quitteraient bientôt la ferme pour passer l’hiver auprès de leurs épouses, et elle ne pourrait compter que sur Arthur pour les mois durant lesquels les champs seraient au repos. Ça ne serait pas insurmontable, après tout les champs demandaient bien plus de temps que les bêtes, mais il y avait les récoltes à terminer, les conserves à préparer, les derniers convois à envoyer, puis le tri des semences pour l’année prochaine et l’entreposage des sacs, avant de planifier les semailles. Et il lui faudrait sans doute filer vers Marbrume pour y ouvrir de nouveaux contrats. L’idée de remettre les pieds en ville suffit à lui faire retrousser le nez de dégoût.

Le corbeau pouvait-il être dressé à avertir sa propriétaire lorsque la mort approchait? C’était peut-être déjà son rôle. Mathilde imagina, quelques secondes seulement, ses gars en plein travail au milieu des champs, surveillés par un corbeau décrivant de grands ronds dans le ciel, prêt à repérer le moindre fangeux embusqué. Un croassement fendant les airs, et tout le monde regagnerait en courant les greniers des bâtiments, relevant les échelles, en attendant que la menace passe.

Mathilde fit rouler ses épaules pour se détendre. Elle avait beaucoup parlé jusqu’ici et ne savait que peu de choses de son interlocutrice. Juste assez que pour la savoir à la recherche d’une nouvelle vie, idéalement avec des animaux… mais pas assez que pour l’inviter en toute confiance à faire un essai à la ferme Dumas, malgré les grands projets que son imagination un peu trop fertile avait déjà élaborés pour elle et son compagnon.

- « Rassurée? »

Elle avait mille questions pour Emma. D’où venait-elle? Quel genre de vie fuyait-elle? Comment comptait-elle s’y prendre une fois arrivée au Labret? Comptait-elle uniquement sur sa chance, ou avait-elle des amis prêts à l’aider? Pourquoi n’allait-elle pas tenter sa chance à Sombrebois ou à Sarrant par exemple? La fermière savait que sa curiosité naturelle pouvait déranger, et se garda bien de les formuler à voix haute…

- « Alors, c’est quoi votre histoire à tous les deux? »

Il fallait qu’elle la fasse parler. Qu’elle sache si l’inviter à faire un essai sur la ferme était une bonne idée. Qu’elle devine si elle pourrait faire partie de la joyeuse troupe de paysans qui peuplaient la ferme Dumas. Ou au moins qu'elle entende une bonne histoire, alors que le ciel continuait de se vider sur leur abri temporaire.
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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyLun 19 Déc 2022 - 16:24





Quelques part entre Monpazier et Sarrant ◈ 18 Octobre 1166 ◈ Fin de l’après-midi



Dès qu’Emma eut fini de poser sa question, elle réalisa que son petit manège avait été inutile. Mentir ne lui posait pas de problème ; être une excellente menteuse était autre chose, et aujourd’hui n’était en rien son meilleur jour. Quoi de plus normal, entre la peur qui lui tenait aux entrailles à chacun de ses minutieux pas dans les marais, la fatigue suscitée par le voyage, ou l’agitation qu’elle éprouvait face à son avenir incertain. Qui plus est, Mathilde était loin de manquer de perspicacité. En somme, les circonstances étaient depuis le début en sa défaveur.

Qu’importe, pensa-t-elle en silence. Au point où elle en était, elle n’avait plus grand chose à perdre si ce n'était sa vie. Et puis, elle aurait pu faire pire rencontre que la sympathique, mais curieuse fermière. Cela dit, aller jusqu’à affirmer qu’elle était rassurée … la mordue haussa légèrement les épaules, mais non sens un léger sourire prouvant qu’elle ne nourrissait pas de mauvaise pensée à l’égard de sa compagne.

Cette dernière continua, exprimant son désir de connaître les circonstances qui avaient amenées cette rencontre. La demande était loin d’être irraisonnable ; Emma n’objecta donc pas, décidant de faire preuve d'honnêteté.

« Ca risque d’être un peu long, donc je vais aller à l’essentiel. » prévint-elle, marquant une légère pause avant de reprendre : « Vous avez vu juste. En résumé, j’habitais à Marbrume avec mon mari. Au couronnement du duc, il s’est fait tuer et moi je me suis pris une morsure. Résultat, on m’a donné un choix : travailler pour la milice extérieure, ou bien tenter ma chance dehors. C’est ce que j’ai fais, car j’me voyais pas tenir une épée. »

Bien qu’évoquant des faits graves, la voix de la jeune femme ne tremblait pas. Cela faisait un moment qu’elle avait fait le deuil d’Arthur, et préférait se souvenir de sa bonté plutôt que de ressasser la tragédie que représentait sa mort. Il n’aurait pas voulu cela, elle le savait.

« J’ai voulu rentrer chez moi, enfin de ce qui restait de mon village de naissance - Menerbes, j’sais pas si vous connaissez. On n’a pas voulu de moi, donc j’ai dû me débrouiller seule dans la nature. Au bout de quelques temps, de fil en aiguille j’ai trouvé un Banni qui m’a proposé de venir avec lui, pour en rejoindre d'autres. J’ai accepté. »

Ses mains se réunirent, tripotant légèrement ses doigts alors que son récit progressait.

« ’Faut me comprendre, j’avais pas trop le choix sur le moment. Tout ce que j’ai connu moi, c’est l’élevage et la ville. Donc j’ai préféré essayé de rester en vie même si ça voulait dire que je devais me retrouver avec des bandits. J’ai bossé avec eux pendant quelques mois pour finalement me décider à recommencer ailleurs. »

Même si elle s’excusait, Emma ne se sentait pas particulièrement coupable. Elle avait fait le nécessaire pour survivre, sans y tirer de satisfaction. Ni plus, ni moins. La nourriture n’était pas particulièrement abondante dans les marais, surtout avec la présence de fangeux qui rendaient difficile la chasse et la récolte. Et puis, ce n’était pas comme si elle avait tué quiconque : au contraire, c’est le Roi qui avait essayé de la tuer, en la jetant dehors en pâture à ces maudites goules !
Non, tout ce qu’elle avait fait c’est une fois ou deux jouer les mignonettes au bord de la route pour baisser la garde de certains petits convois, les choses qui devaient arriver arrivèrent, et l’important était qu’elle était encore en vie et qu’elle préférait privilégier une vie basée sur un travail honnête que le banditisme.

« Ah, et ils ne sont pas au courant au fait. Je suis partie en douce et je pense qu’ils vont me faire la peau s’ils réalisent que je ne me suis pas fais tuer par un fangeux. » précisa-t-elle, avant de conclure, « Bref. Mon but c’est juste de retrouver une vie honnête au Labret, mais je sais que ça va être compliqué. En plus je suis une femme seule, donc ça ne va pas m'aider non plus. »

S’arrêtant un instant, elle observa les réactions de la fermière avant de finalement se risquer :

« Voilà … c’est à peu près tout. »




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Mathilde Vortigern



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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyLun 19 Déc 2022 - 19:24
Parfois, une question mal comprise est plus efficace que le meilleur des interrogatoires. Mathilde n’aurait pas été une excellente enquêtrice, parce qu’elle était du genre à aller droit au but tout en étant très mauvaise au jeu du bluff. Ses questions étaient souvent directes, quitte à faire sortir son interlocuteur de ses gonds, et sa franchise faisait d’elle une mauvaise menteuse. Comme bien des paysans de sa région natale, elle aimait qu’on joue cartes sur table, et une parole donnée valait tout l’or du monde. Alors quand Emma desserra les lèvres pour raconter son histoire, la fermière, qui s’intéressait plutôt à la rencontre entre cette jeune femme et son corbeau, étonnée que la conversation dérive vers un grand secret, se garda bien de l’interrompre.

Emma vivait à Marbrume au moment du couronnement, et avait subi de plein fouet l’attaque surprise des fangeux. Son mari était mort, elle avait été mordue. Deux ou trois jours plus tard, le roi fraîchement couronné annonçait que tous les mordus devaient quitter la ville. Dans la foulée du couvre-feu, elle s’en souvenait, toutes les maisons avaient été fouillées pour déloger les contrevenants et les forcer à tout abandonner, malgré le traumatisme qui devait encore les secouer. J’étais sur la place avait-elle eu envie de répondre, tout à coup complice et solidaire de cette femme dont la vie avait basculé en quelques jours, mais elle se tut.

Étrangement, bien que frêle en apparence, Emma semblait sereine en évoquant ce souvenir pénible, trahissant une force intérieure que la suite de son récit confirmerait. Elle voulait vivre, et avait tenté de rallier Menerbes d’où elle avait été rejetée. Pas étonnant… elle-même avait eu du mal à taire ses inquiétudes quant à la possible transformation des mordus, et seul le chevalier aux côtés duquel elle avait combattu, mordu lui aussi, avait réussi à lui faire changer d’avis. Puis, les temps avait lui aussi fait son effet. Elle l’avait accueilli à la ferme, quelques temps, tandis qu’Emma, comme bien d’autres, avait été contrainte de retraiter dans les marais où elle avait croisé d’autres bannis. Qu’ils soient des criminels ou des mordus, elle ne le mentionna pas… et la fermière cru sage de ne pas poser la question.

Mathilde fronça légèrement le nez en apprenant que les bannis en question risquaient d’être fâchés s’ils venaient à découvrir Emma encore en vie. Elle ne savait que trop bien ce dont certains étaient capables. Elle referma la main au creux de laquelle elle croyait encore percevoir, de temps en temps, la morsure de la lame chauffée qu’un banni lui avait infligée. La cicatrice rose manquait cruellement de souplesse et la tiraillait encore, parfois.

Manifestement désolée d’entendre que les derniers mois de la vie d’Emma avaient été sans doute plus pénibles encore que ce qu’elle pouvait imaginer, Mathilde ne pouvait malgré tout pas s’empêcher d’éprouver de l’admiration pour cette survivante. Jouer le jeu des bannis pour intégrer un groupe et profiter d’un soupçon de sécurité, puis leur échapper pour retrouver sa liberté, ça demandait un courage phénoménal.

- « Je suis désolée pour ton mari. » Passée inconsciemment du vouvoiement à un tu familier trahissant sa compassion, elle poursuivit. « Le mien, enfin mon premier mari, est mort il y a un peu plus d’un an. Attaque de fangeux, dans les champs. On s’est peut-être croisées le jour du couronnement. » Mathilde haussa les épaules. La parfaite inconnue devenait sa compagne de mésaventure en un éclair. Elle garda un instant le silence, visiblement plongée dans une réflexion intense. Elle hésitait. L’accueillir à la ferme serait envisageable, mais il y avait cette histoire de bannis…

- « Écoute… les gars qui travaillent aux champs vont bientôt regagner leurs familles pour l’hiver. Ils sont gentils et respectueux, bons vivants et ne rechignent pas à la tâche. Il reste du travail à la ferme, et je dois pouvoir t’assurer le logement et la nourriture, le temps que tu te remettes de ces derniers mois. La ferme est en dehors du village, ça donne une certaine tranquillité par rapport aux discussions du voisinage. » Elle sourit, un peu moqueuse. Son veuvage aurait été dramatiquement lourd à maintenir si elle avait vécu au cœur du village avec des dizaines de voisins pour lui rappeler qu’il était temps pour elle de se remarier. « Le seul hic, ce sont tes amis… s’ils cherchent une fille avec un corbeau, au Labret, tu seras vite repérée, et si tu n’étais pas avec le bon groupe, je ne pourrai pas te protéger, même si des miliciens passent régulièrement voir si tout va bien.»


Le bon groupe. Celui auquel appartenait le fauconnier qui, dans l’ombre, s’assurait qu’on ne l’attaque pas. En échange, il pouvait lui demander presque n’importe quoi : denrées, outils, semences, tout ce qu’une fermière pouvait fournir sans être repérée, pour que cette entente puisse subsister aussi longtemps que possible. Mathilde se mordit l’intérieur de la joue en réalisant qu’elle en avait peut-être un peu trop dit. Troublée, elle opta pour sa meilleure stratégique : le changement de discussion.

- « Et Bertrand, il arrive quand dans ton parcours? »

Ni vu, ni connu. Du moins l’espère-t-elle.
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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyMer 21 Déc 2022 - 22:08





Quelques part entre Monpazier et Sarrant ◈ 18 Octobre 1166 ◈ Fin de l’après-midi



Emma ignorait tout de son erreur d’interprétation, convaincue d’avoir en face d’elle une paysanne particulièrement perspicace. Mais l’ignorance rendait le cœur plus paisible, et paisible, elle l’était maintenant davantage après avoir raconté son histoire. Les mots s’étaient envolés d’eux-mêmes, comme pressés de soulager la petite femme d’un poids qu’elle portait depuis trop longtemps en elle. Même si son récit fut concis et évitait certaines dures vérités, cela fut suffisant pour évoquer les moments difficiles de ces derniers mois.

Son histoire sembla marquer Mathilde, qui d’un seul coup se montra plus familière envers elle ; la brune en fut un brin surprise sans toutefois le montrer, acceptant silencieusement ce changement de registre dont la raison se révéla rapidement. Elle aussi, avait perdu son mari.

« C’est possible. » suggéra-t-elle à la dernière réflexion de la fermière, un brin hésitante, avant de finalement ajouter non sans sincérité : « Désolée aussi … pour ton mari. »

Mathilde se révéla particulièrement compatissante avec elle, allant jusqu’à lui offrir le gîte et le couvert pour peu que la bannie l’aide à la ferme. Cette fois, son étonnement fut palpable. L’offre était particulièrement généreuse, et elle se demanda même un instant s’il n’y avait pas anguille sous roche. La prudence était après tout la pierre angulaire de la survie.
Tandis qu’elle réfléchissait, Emma prit le temps de commenter l’avertissement de sa bienfaitrice quant à son impuissance si des bannis venaient à la retrouver, incident qui serait facilité par la présence de son corbeau.

« Je pourrai me débrouiller. Bertrand n’a pas besoin d’être toujours avec moi. Et puis bon, il se fait vieux … faut qu’il se repose. »

La jeune femme tourna la tête vers son ami aux plumes noires, qui picorait victorieusement quelques miettes de fromage qu’il avait réussit à détacher de leur socle pâteux. Du bout de ses doigts gercés, elle vint caresser gentiment la tête de la petite bête. Pendant un instant, ses yeux clairs montrèrent un éclair de tristesse, comme se rappelant soudainement de la vie éphémère de son compagnon de toujours.
Seule la question de son interlocutrice la ramena à la réalité. Elle tourna ses prunelles vers Mathilde, revenant à elle :

« Euh … quand j’étais proche de devenir une femme. Ça fait des années et des années qu’il est avec moi, mais je n’ai pas compté. Assez pour qu’il soit un enfant je crois. »

Elle revint brièvement au corvidé, qui finissait d’engloutir son repas avant de s’ébrouer et de continuer sa vie dans l’exploration de la grange, derrière sa maîtresse cette fois. Puis, cette dernière tourna ses iris vers la fermière, revenant à ses précédents propos maintenant qu’elle avait des mots sur lesquels placer ses réserves.

« Mais … t’es sérieuse du coup ? ‘Fin, j’veux dire … » balbutia-t-elle, avant de reprendre : « J’avoue que ça m’aiderait beaucoup, et je jure devant les Trois que je travaillerai dur pour mériter cette faveur … mais t’es sûre de toi ? Qu’est-ce que tu as à y gagner ? Et si les gens se rendent compte que t’héberges une mordue ? Je ne dis pas que je ne ferai pas tout pour m’en cacher, mais les accidents ça peut arriver et y’a des fouilles merdes partout. »




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MessageSujet: Re: Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde]   Ce que la Fange sème [Emma ft Mathilde] EmptyJeu 22 Déc 2022 - 1:59
Combien de temps ça vivait, un corbeau? Mathilde n’en avait aucune idée. Elle ne s’était jamais intéressée à la question, et ne s’y intéresserait probablement jamais. D’ailleurs, à bien regarder ce cher Bertrand, la fermière se dit que rien ne ressemblait plus à un corbeau qu’un autre corbeau. Si ça se trouvait, le volatil n’était pas celui que la jeune femme avait connu dans son enfance et qu’au fil des saisons, un nouvel oiseau remplaçait celui qui la quittait pour mourir quelque part dans la forêt.

L’étonnement avait disparu du visage de la jeune femme, qui prenait peut-être le temps de peser le pour et le contre d’aller à Usson. Le fait qu’elle ne saute pas sur la proposition avec un enthousiasme débordant prouvait à la fermière que son interlocutrice était réfléchie et prudente. Ça avait quelque chose de rassurant. Finalement, un peu hésitante, elle osa interroger Mathilde. Était-elle sérieuse? Et certaine? Que se passerait-il si on découvrait sa morsure? La fermière se retrouvait sous une pluie de questions parfaitement légitimes.

- « Je suis sérieuse, oui. Je sais que ça parait un peu fou et qu’on ne se connait pas, mais on peut dire que c’est un essai, et que si ça marche bien, tu resteras le temps que tu peux et que tu veux. »

Parce qu’il n’était pas dit qu’Emma adorerait la vie à la ferme. C’était beaucoup de travail, un rythme de vie particulier, et un environnement où l’espace personnel était difficile à trouver. Sans compter sur le caractère souvent pointilleux de la fermière qui savait qu’elle n’était pas toujours facile à vivre.

- « Je dirai pas non à une paire de bras supplémentaire. Certains animaux vont partir à Marbrume pour y être abattus, mais d’autres vont rester sur la ferme et vont demander des soins pendant l’hiver. Il y a un tas de petits travaux à faire, les semences à trier et probablement palier à mon absence, quand je serai en déplacement pour trouver des contrats et écouler les surplus de nourriture. Les hommes vont quitter le mois prochains et ne passeront qu’une journée par semaine… alors qu’il y a du pain sur la planche. »

Et ça l’arrangeait : il fallait qu’elle voit avec Philippe comment ils feraient, au printemps, pour que tout le monde trouve à nouveau sa place sur l’exploitation.

- « Les gars et moi, on ne se cache pas grand-chose. Lorsqu’un mordu arrive sur la ferme, ils le savent et ils sont d’accord avec ça. Chacun a son petit jardin secret évidemment, mais tout ce qui peut toucher l’équipe qu’on forme est discuté. Et si ça doit rester entre nous, personne n’ira trahir la confiance des autres. »

Ils agissaient comme une famille, avec un code d’honneur qui leur était propre. En les accueillant sur sa ferme, Mathilde avait pris le contrat de leur transmettre son savoir, acquis au fil des générations par ses ancêtres. Eux étaient arrivés pour apprendre, avec l’intention de prendre en main leur propre exploitation une fois l’année écoulée. Très dérangeants au début, les gars étaient devenus pour la fermière une famille de substitution dont elle était tantôt la matriarche, tantôt la petite sœur qui se laissait dorloter. Ceux qui n’avaient pas su s’intégrer étaient partis… de gré ou de force.

- « Si tu te sens bien sur la ferme, tu pourras rester. Et si tu préfères reprendre la route, personne ne s’y opposera. Les gars sont des hommes qui ont été recrutés à Marbrume pour exploiter des terres au Labret. Ils n’ont pas les connaissances que les fermiers se transmettent au fil des générations, mais ils ont la volonté d’apprendre… Ils sont tous là pour se construire une vie sur le plateau. On prend soin les uns des autres, on est libres de nos mouvements et on se protège lorsqu’il le faut. »

C’était une belle proposition, si l’on faisait abstraction du danger qui n’était jamais loin : entre les fangeux toujours aux aguets et rapides comme l’éclair, les bannis dans le besoin qui seraient moins nombreux en hiver, pour éviter de laisser des traces dans la neige, les brigands qui rôdaient un peu plus au moment des récoltes, les miliciens véreux qui profitaient de leur position pour obtenir ce qu’ils voulaient, les hommes à la recherche d’une petite demoiselle pour soulager une envie irrépressible et les pirates… ah non, pas les pirates. De ce côté-là, rien à craindre.

- « T’en dis quoi? »
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