[Convocation]Un monde en noir et blanc

Je ne saurais dire pourquoi Kaël tenait tant à ce que l'on passe par ce vieux charlatan. J'en avais entendu des histoires sur ce Papy fumerolles mais aucune d'entre elles ne surent éveiller ma confiance de plus en plus difficile à acquérir. Même si je n'aimais pas me fier aux racontars, il fallait bien avouer que, cette fois, il m'était bien difficile de passer outre. Néanmoins, nous n'avions plus guère le choix, du moins, pas si nous voulions continuer à travailler en tant que mercenaires sans appartenir à une compagnie. Bon nombre voyaient le jour depuis quelque temps, mais leur manière de fonctionner ne nous convenait pas. Question de valeurs, je suppose.

Quoiqu'il en soit, nos bourses étant presque vides, il nous fallait rapidement trouver un contrat. Voilà pourquoi nous nous étions tournés vers ce vieillard étrange qui semblait frôler le double centenaire. Sa boutique, composée d'un fouillis purement indescriptible, empestait tout bonnement à cause du mélange d'effluves qui semblait provenir de partout. Je détestais les lieux, comme je détestais par avance ce vieillard soi-disant aveugle et qui, pourtant, avait su me distinguer sans me connaître.

-Et bien, pour un aveugle vous me semblait bien clairvoyant, raillais-je en croisant les bras afin d'être sûre de ne rien renverser autour de moi.

Sa question me surprit. Il parlait de fratrie, donc de l'ensemble de mes frères… Enfin, des deux seuls qui me restaient. Pourtant, parmis nous il n'y avait qu'Ivaad qui se distinguait par son comportement et ses loisirs que l'on pouvait aisément juger répréhensibles. Kaël, quant à lui, était au contraire un modèle de vertus. Néanmoins, je ne pouvais en vouloir au grand-père devant moi de supposer toute autre chose. Les mercenaires d'aujourd'hui n'avaient plus grand-chose des soldats d'antan et ressemblaient de plus en plus à ces routards que nous méprisions tous autrefois.

-Non, toujours pas. Probablement parce que la réputation qui nous précède se trouve à cent lieues de la réalité, grand-père, grognais-je malgré moi tout en essayant de prendre, tant bien que mal, une posture plus neutre et professionnelle, ce qui n'était pas mon fort. Qu'as-tu à proposer ?

Ce qu'il m'exposa ensuite ressemblait à une simple mission de garde du corps. Ce n'étaient jamais les plus passionnantes et généralement nous n'étions présent que pour jouer un rôle plus dissuasif que défensif. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de lui lancer un regard tout aussi intrigué que suspicieux… Il manquait quelques détails importants dans ce contrat. Hors de question pour moi de l'accepter aveuglément sans savoir dans quoi je m'embarquais ici, que ce soit seule ou avec mes frères.

-Ça, ce n'est pas un contrat mais une énigme. Je suis peut-être jeune pour autant je n'en suis plus à débuter dans le métier. Il manque pas mal d'informations ici. Qui est cette personne ? Selon sa position dans la société, il faut prévoir des mesures particulières. Un masque ne protège en rien, tu dois bien le savoir. Combien pour ce contact au juste ?

Même s'il ne voudrait rien me dire sur l'identité de la cliente, le salaire devrait suffire à nous faire comprendre son importance. Mieux valait pour moi de le savoir simplement pour prendre compte du nombre d'ennemis potentiels. Je ne croyais pas le moins du monde à son "histoire", si l'on pouvait appeler la chose ainsi. L'on engageait jamais des mercenaires pour jouer les chaperons d'ordinaire et encore moins depuis que la fange avait eu raison de la bourse des grands. Alors soit, cette femme était extrêmement importante et donc particulièrement riche, soit celle-ci trempait dans des affaires plus que louches… Quoique je pouvais aussi bien imaginer que les deux possibilités fassent la paire, ce ne serait pas une première.Je n'aimais pas cela, mais alors pas du tout… Mais il fallait bien manger.

-Dis moi tout ce qui peut m'être utile, sinon trouve quelqu'un d'autre.

Je n'était peut-être pas à moi de lui ordonner quoi que ce soit, mais je n'ai jamais été du genre à engager ma vie et ma réputation à l'aveugle.

-Ce que font les autres, vieillard, je m'en contrefiche figure-toi, lui répondis-je sur le même.Mais tu as raison, le métier a changé si bien que de mercenaire, il ne reste plus que le nom, puisque certains nous prennent pour des domestiques.

J'en avais vu, de ces "collègues" se mettre si bien au service de leur employeur qu'ils portaient même leurs braies à laver. D'autres encore, changeaient tout simplement de voie, troquant ce qui leur restait d'honneur pour quelques pièces en devenant de vulgaires assassins ou autres brigands. Certes, les temps avaient changé, les seigneurs ne guerroyaient plus, l'armée elle-même n'existait plus… Et nous, nous n'étions plus rien ni personne, mis à part une nouvelle sorte de serviteurs juste bon à tenir une lame le temps de quelques courses. Alors, même si j'avais bien conscience de tout cela, il m'était pourtant bien difficile de m'en accommoder et le ton employé par ce vieillard m'insupportait grandement.

Au fond, il ne m'apprit rien de plus… Évidemment. J'aurais dû me douter que passer par ce baveur, murmureur ou… C'était quoi le terme déjà ? Bref, j'aurais dû savoir que cela ne me plairait pas. Néanmoins, il parlait d'une paye suffisante pour manger durant un mois… Je trouvais l'indication plus que bancale puisque variable, mais qu'importe. Il me fallait un boulot, il m'en proposait un et m'assurait qu'il n'y avait rien d'illégal. C'était finalement tout ce qui m'importait.

En revanche, il pouvait bien être vieux , je n'appréciais pas pour autant son comportement et encore moins sa manière de me parler… J'avais tout à fait conscience de mon propre caractère et du langage souvent fleuri qui allait avec, mais ce n'est pas pour autant que je pouvais tolérer d'être traitée de la sorte. Autant dire qu'il m'était bien difficile de garder l'image de sa pipe enfoncée dans son œil dans mon imagination plutôt que d'appliquer le plan qui se déroulait dans ma tête. Saleté de vieillard tordu…

J'avais donc le choix, ronger mon frein et prendre son fichu cailloux ou bien de faire demi-tour. Je pouvais très bien trouver un autre travail. Je l'avais déjà fait et n'avais strictement rien contre tant que cela restait temporaire. Néanmoins, ce genre de boulot rangé payait peu et il me fallait travailler plusieurs semaines pour espérer gagner le montant d'un contrat. Ma fierté me disait de partir. Après tout, je n'avais pas expressément besoin de ce travail et encore moins de ce grand-père. Mais cela faisait trop longtemps maintenant que mes dagues n'avaient plus quitté leur étui de cuir si bien que je commençais à ressentir une sorte de perte d'identité difficilement explicable.

Je laissais donc le silence s'installer quelques instants histoire de prendre le temps de réfléchir et de peser le pour et le contre. Au fond, ce vieux fou n'avait aucune importance, son opinion et ses manières non plus. Dans tous les cas, il allait crever prochainement, d'une manière ou d'une autre…

- Très bien grand-père, je la prends ta pierre. Je ferai le boulot , déclarais-je en saisissant l'objet plus brusquement que nécessaire avant de quitter les lieux pour ne plus avoir à supporter sa vue et les odeurs de son domaine.

Il n'y a vraiment que les riches pour aimer ce genre de fête, me dis-je en arrivant sur les lieux.

J'observais avec étonnement et une pointe de dégoût toutes ces couleurs criardes et ces masques, la plupart grossiers, sommaires ou tout simplement inexistants. Je ne comprenais pas pourquoi ces gens aimaient se travestir de la sorte, sans doute parce que j'y fus moi-même contrainte pendant beaucoup trop longtemps. Je préférais plutôt les anciennes fêtes de villages et leur ambiance joyeuse et trop chaleureuse pour être malaisante ou seulement malsaine comme ici… Bien que mon père ne m'ai jamais autorisé à prendre part à de telles festivités.

Autant dire que j'étais loin d'être à mon aise au milieu de toutes ces personnes au comportement bien étrange. Certains se poursuivaient dans les rues, comme des animaux, d'autres surjouaient leurs paroles à l'image d'acteur sans grand talent.

Évidemment, comme le vieux charlatan ne m'avait rien dit, je ne savais qui chercher ni même s'il y avait un endroit particulier où je devais retrouver ma cliente. Aussi me retrouvais-je à attendre devant les portes de l'établissement en me tenant droite comme un piquet. Et bon sang… comme je trouvais le temps long au milieu de tout ce tintamarre … Je le pressentais, la soirée allait être longue … Au bout d'un certain temps, mon regard croisa celui d'une louve… Le masque était si travaillé comparé aux autres qu'il en était perturbant. Elle vint vers moi et me tendit un masque affreux représentant une chouette… Je grimaçais aussitôt, peu encline à porter pareille horreur si près de mon visage. Mais puisque cela faisait parti de mon travail, je ne pus que m'y résoudre et enfilait ce qui serait mon costume pour la soirée.

Je détestais cela, cette sensation d'être comme prise au piège derrière un mur. Heureusement, contrairement à ma cage, le masque offrait quelques ouvertures çà et là. Au moins pouvais-je respirer à mon aise.

Elle se présenta, enfin presque. Le prénom qu'elle prononça était bien trop étrange pour être réellement le sien ou pour seulement être retenu…

-Appelez-moi Ryn, ce sera plus simple …

Puisque je ne devais pas poser de question, je laissais la louve - dont j'avais déjà oublié le nom - m'entraîner dans sa suite sans rien ajouter de plus.

Les présentations faites, et parce que le vieux m'avait dit que ses clients tenaient à garder leur activités secrètes, j'imaginais que la mission allait se faire en silence. Je ne pouvais que reconnaître m'être trompée en entendant la louve commenter mon prénom - ce qui n'avait rien de bien étonnant- avant de m'interroger sur les propos du charlatan. Néanmoins, je dois bien avouer que son commentaire, à propos du vieillard, entrait tant en parfaite adéquation avec mon propre avis que cela m'arracha un sourire.

-Entretenir un mystère est encore le meilleur moyen de se rendre important. Sans cela, ce ne serait qu'un simple charlatan vieillissant comme il en existe tant d'autres, lui répondis-je, railleuse.

Je la suivais de près tout en veillant à rester attentive aux moindres faits et gestes des passants. Beaucoup portaient des capes suffisamment amples pour dissimuler une arme ou deux, je ne devais donc pas me relâcher. Un idiot siffla, plus pour prouver sa virilité à son comparse que pour réellement attirer notre attention. Je connaissais la manœuvre, Ivaad en usait régulièrement, mais seulement lorsqu'il était en groupe. Tous plus stupides les uns que les autres, me dis-je en soupirant sans pour autant cesser de marcher.

Si j'avais des questions, il sembla que les poser serait parfaitement inutile puisque ma cliente se montra bien bavarde. J'appris ainsi qu'elle avait payé un nom bien peu fiable pour une information qui resterait un mystère. Je me demandais comment pouvait-elle réellement espérer obtenir une bonne information si l'informateur inspirait tant de méfiance… Mais qu'importe, cela ne me regardait pas. Je devais seulement veiller à ce qu'elle reste entière, le reste n'avait aucune espèce d'importance.

Je la laissais me guider dans les ruelles, remarquant qu'elle s'arrêtait bien souvent comme si elle cherchait à se souvenir du chemin à emprunter. Peut-être n'était-elle pas d'ici, à moins qu'elle soit, tout comme moi, totalement dépourvue du sens de l'orientation. Allez savoir… je profitais seulement de ces multiples arrêts pour m'assurer que nous n'étions point suivies. Je la laissais parler, peu désireuse de me lancer dans une conversation que je trouvais bien frivole. Néanmoins, je ne pus que noter que, malgré son attitude étrangement décontractée, la louve n'en restait pas moins attentive… De là à remarquer un instrument désaccordé au milieu d'un orchestre, il fallait vraiment avoir un sens de l'observation et de l'écoute sacrément développé.

Pour ma part, je me contentais de trouver étrange qu'un musicien expérimenté ne s'en soit pas rendu compte lui-même… Ou que ses compagnons ne lui aient pas signalé son erreur. Malgré tout, n'ayant jamais eu l'oreille musicale et ne sachant rien des habitudes des saltimbanques, je fus bien incapable de savoir si cela était dérangeant ou non… Alors, je décidais de prêter une grande attention à ce détail qui ne semblait pas gêner ma cliente plus que ça.

-Est-ce l'instrument ou la main du musicien qui est tendu ? Je ne saurais faire la différence… Mieux vaudrait vous hâter, vous n'avez probablement pas choisi le déguisement le plus discret… Votre fortune est bien visible, plus particulièrement quand le reste de la population crève de faim.

Même en omettant son information peu fiable, je redoutais une agression. Aux yeux de tous, nous n'étions que deux femmes évoluant seules dans les rues nocturnes. Des cibles faciles pour les voleurs, même pour des amateurs. Mieux valait pour moi de ne point me relâcher mon attention en pressant la dame.

Je ne savais strictement rien de cette femme, pas même son vrai nom, mais à l’entendre, je compris aisément qu’elle n’avait pas idée de ce qui pouvait attirer l’œil d’un éventuel agresseur.

-Un œil expert sait faire la différence entre un vêtement de bonne facture et des haillons et autant dire que, de nos jours, ce genre de chose se fait de plus en plus rare. Et je ne parle pas des masques, regardez les gens autour de vous, la plupart n’en ont même pas tandis que vous en arborez un d’une qualité exceptionnelle. S’il était rongé par les mites cela passerait encore, mais là vous vous trimballez avec une cible dans le dos… D’autant plus en choisissant une femme comme garde du corps...

Après tout, avec une carrure aussi fluette que la mienne, je n’avais strictement rien de dissuasif. Et, honnêtement, si d’aventure un groupe de malfrat se décidait à attaquer, je ne pouvais pas faire grand-chose pour la protéger…

Je l’entendis murmurer quelque chose dans son masque sans pour autant saisir le sens de ses paroles prononcées bien trop bas. Néanmoins, par instinct ou simple impression, je sentais que quelque chose n’était pas clair. Qu’importe, je me méfiais tout autant d’elle que du monde autour. Ce ne serait pas la première fois qu’un client se révèle bien plus trouble que la mission en elle-même.

Je continuais de la suivre sans rien dire, me contentant de faire mon travail en gardant un œil attentif autant sur l’environnement que sur les badauds que nous croisâmes tout du long. Finalement, la louve s’arrêta brusquement avant de se tourner vers moi pour me donner quelques nouvelles précisions sur fond de recommandation. Cette fois, il me sembla que toute son assurance, ou presque, s’était envolée. N’ayant rien de plus à répondre, je me contentais d’acquiescer en silence avant de la suivre jusqu’à un lieu qui ne me plaisait pas du tout. Pourquoi ce genre de chose se déroulaient toujours dans un endroit aussi sombre et isolé ? Oui, bon d’accord, je connaissais déjà la réponse, mais pour une fois cela m’aurait arrangé que l’éventuelle transaction se fasse en un lieu bien plus animé. Tant pis, je n’avais pas vraiment le choix après tout.

Elle passa la porte, je la suivis à l’intérieur pour découvrir une petite pièce mal éclairée dans laquelle se trouvaient deux hommes. L’un était assis, le visage plutôt maigre dissimulé sous un masque franchement laid. L’autre se tenait debout, derrière le premier… Mon regard se porta aussitôt sur la hache qu’il caressait du bout des doigts comme pour nous mettre en garde. Impossible d’imaginer qu’il s’agissait là d’une attitude purement dissuasive. Au vue de la carrure imposante de la barrique, il savait forcément se servir de son arme. Merde… Même avec mon épée, si cet homme se décidait à m’attaquer avec ça, il me serait bien mal aisé de me défendre, en particulier dans un lieu aussi exiguë. Ici, je ne pouvais compter ni sur ma vivacité, ni sur mon agilité… Autant dire que nous étions dans la merde.

Je laissais les masqués discuter entre eux. Je trouvais que le bouc ne manquait pas d’air à interroger la louve sur les raisons de ma présence ici alors qu’il était lui-même accompagné d’un colosse. Je restais néanmoins silencieuse, préférant rester debout, juste histoire de ne pas perdre de temps en cas d’assaut de l’autre … Autre qui, bizarrement, semblait avoir bien plus d’importance qu’il ne laissait paraître. Pourquoi le bouc s’était-il tourné vers lui comme pour lui demander son accord ? Peu importe, je n’avais qu’à me montrer encore plus attentive qu’à mon habitude.

Dès le départ, j'avais pressenti que quelque chose n'allait pas dans cette histoire. Que ce soit dans le comportement de la louve, tantôt trop insouciante, tantôt plus nerveuse. Dans son apparence aussi, je doutais fortement que cette femme soit si stupide pour oser porter des vêtements aussi voyants, pas avec un tel comportement. Cela n'allait pas…

Le jeu qui se déroulait devant moi devint de plus en plus suspect si bien que je ne pus m'empêcher de serrer les dents en voyant cette femme mener ses affaires. Rien ne m'échappa, du symbole étrange sur cette vulgaire pièce de cuivre à la réactions des deux hommes… Et que dire du bouc qui semblait de plus en plus perdu… Comme s'il craignait de se faire doubler… Ce fameux mot qu'il quémandait presque… N'était-ce point un mot de passe pour s'assurer que la personne en face de lui était bien celle qu'elle prétendait être ?

J'observais l'échange en essayant tant bien que mal de comprendre ce qui se passait réellement devant mes yeux. Je n'avais confiance en personne dans cette pièce trop sombre si bien qu'il devint difficile pour moi de rester parfaitement calme… Pas avec un tension pareille… En quoi cette plaque pouvait représenter une information au juste ? Cela me paraissait grotesque d'autant plus que la pièce avait suscité beaucoup plus d'intérêt pour l'assistance… Pourquoi ? Aucune idée… Mais j'avais la nette impression que l'on me prenait pour une idiote et je détestais cela…

Finalement, la louve se leva, cette foutue plaque en main… Le colosse toussa comme pour rappeler le bouc à l'ordre… Ce mot était donc si important ? Vérité avait-elle répondu fièrement comme s'il s'agissait d'une bonne blague… et au fond, je sentais que cette louve avait bien mal choisi son effigie de la soirée, le goupil semblait bien mieux indiqué…

Je la suivis à l'extérieur en silence, les muscles tendus sous l'effet de la colère qui faisait bouillir le sang dans mes veines…

-Vérité hein... lui lançais-je amère lorsque je la vis éclater sa si précieuse "information" sur le mur. C'est à se demander si vous connaissez réellement le sens de ce mot.

J'avais beau être en colère, je n'en étais pas moins attentive à tout ce qui pouvait se passer autour de nous. Je dû résister à l'envie de lui arracher ce masque et de lui passer ma lame sous la gorge, juste le temps de savoir si cette ombre était réellement un "visiteur". Il pouvait finalement s'agir d'un nouveau mensonge de sa part… Simple badaud, ennemi commun ou un complice de la louve venu se débarrasser d'un témoin gênant… Moi, en l'occurrence, même si cela semblait peu probable. Je me saisi donc de mon arme et attendis patiemment que cette ombre se révèle.

Je connaissais les termes du contrat et les avaient respectés en ne posant aucune question. Je n'avais donc strictement rien demandé à la Louve sur ses intentions ou sur la nature même de cette mission pour le moins étrange. Pourtant, c'était bien elle qui avait choisi de tout me "révéler" en usant - je venais de le comprendre - de mensonges dont il lui aurait été aisé de se passer. Dans mon esprit encore bien trop manichéen, j'avais été trahie purement et simplement. Aussi, en toute "logique", je ne voulais donc plus rien savoir de cette histoire, au lieu de me mentir pour mieux me tromper, autant se contenter de la fermer. Néanmoins, puisque je m'étais engagée, j'honorerai ce contrat jusqu'au bout, évidemment, mais après cela, la louve pouvait aller se faire voir.

A son regard et à sa manière de souligner mon nom, je compris que la louve me prenait pour une imbécile… Une idiote qui ne savait rien de ce monde et, au fond, elle avait entièrement raison. Néanmoins, mes valeurs et ma fierté me poussaient à m'offusquer intérieurement même si je refusais de le reconnaître. "Qu'elle me méprise pour ma manière de raisonner. Qu'elle se moque de mes réactions, si cela lui chante, je n'en ai strictement rien à faire." Quelque part, même si mon raisonnement était chargé de paradoxes, je me fichais bien de son opinion à mon propos. Ce n'était pas la première à me juger naïve ou coincée. Ce ne serait pas la dernière non plus. On m'avait élevée ainsi, on m'avait façonnée ainsi. Et même si je commençais à saisir que des nuances existaient entre le fameux tout blanc ou tout noir, ce n'était encore qu'un début dans cette acceptation. Ce monde bien trop vaste, après tout, je ne le comprenais pas.

Je ne pris donc pas la peine de répondre à la Louve. Dans tous les cas, les ombres venaient enfin de se révéler laissant ainsi apparaître deux agresseurs… Deux hommes, évidemment, même si aucun d'eux ne semblait réellement savoir se battre. Il suffisait d'observer leur posture pour le comprendre. Le premier tenait une épée courte à deux mains, un peu comme un enfant qui apprendrait à peine les rudiments du métier. Son regard manquait d'assurance également… Même face à une femme, il ne me paraissait pas bien à son aise… Tant mieux.

Un devant, un derrière. On aurait dit les paroles d'une mauvaise chanson paillarde. Si le premier homme avait de quoi éveiller une certaine pitié, avec ses vêtements usés sans doute récupérés sur le cadavre d'un soldat, le second ressemblait à un bébé paniqué.

-Rien ne vous oblige à faire ça, lançais-je au plus vieux des deux en tirant mon épée avant de me mettre en garde. Tu ne sais même pas quoi faire du joujou que tu tiens en main. Sa taille n'est même pas adaptée à ta carrure, n'essaie pas de me faire croire que tu sais t'en servir...

Pas de réponse, même si je pus remarquer une petite lueur d'hésitation dans son regard juste avant qu'il ne charge comme un débutant. Comme la louve semblait vouloir se débrouiller avec le bébé, je me chargeais du plus vieux. Son attaque désespérée manquait tant de précisions qu'elle fut facile à esquiver. Un simple pas de côté doublé d'un mouvement rotatif suffit. Il ne devait pas être là, il ne le voulait même pas. Quelqu'un avait dû lui coller une épée dans les mains alors qu'il n'avait sans doute jamais touché la moindre lame … Stupide … Pour autant, mon travail était de garder la louve en vie, pas de tuer un pauvre bougre infortuné. Alors, autant le garder en vie et me contenter de le neutraliser. Je choisis donc de commencer par le désarmer… Pour cela, je le laissais m'attaquer de nouveau, esquivant une nouvelle fois en utilisant les mêmes mouvements avant de saisir son bras fort - le droit- J'exerçais une pression juste avant le coude pour forcer ses articulations à se plier. Cela suffit à le déséquilibrer mais il ne lâcha pas l'arme pour autant… Au contraire, il s'y accrochait désespérément… L'idiot …

Tant pis, je sus néanmoins profiter de son équilibre précaire en exerçant une nouvelle pression qui le fit basculer en avant. Ce fut peu mais suffisant pour lui faire baisser la tête afin de le frapper à l'arrière avec le pommeau de l'épée. L'homme chancela, me lança un regard surpris puis tomba à terre. Il y resterait quelques minutes. Juste le temps de pouvoir fuir… Toutefois, il restait un second adversaire.

Prestement, je rejoignis la Louve, juste à temps. Ma lame croisa celle du bébé. Le choc des fers résonnèrent bruyamment dans la ruelle. Il y avait mis de la force, le jeunot. C'en était même surprenant avec une carrure aussi malingre. Qu'importe, je réussis malgré tout à faire glisser sa lame sur le côté afin de m'offrir une ouverture. Là, je pus lui donner un coup de pied dans la poitrine. Rien de mortel là non plus, mais cela suffit à le faire suffoquer sous le choc et la douleur qui le garderait immobile quelques minutes.

-On file, lançais-je à la Louve avant de lui saisir la main pour l'entraîner avec moi.