⚜ Convoyage vers Balazuc ft. Desmond de Rochemont - 3 Avril 1167 ⚜

Convoyage vers Balazuc ft. @Desmond de Rochemont - 3 Avril 1167

Le soleil n'était pas encore apparu à l'horizon, quand Aloys sortit de son lit avec l'intention d'allumer temporairement quelques bougies dans la pièce qui lui servait quotidiennement de logement. D'un pas léger, évitant à tout prix de faire grincer le plancher au risque d'éveiller les miliciens sommeillant encore dans la pièce d'à côté, il pénétra dans une cuve en bois pour y faire sa toilette. En toute délicatesse, il laissa son corps plonger dans l'eau glaciale. Il ne faisait point venir de domestique le matin pour préchauffer son bain, par praticité et par décence. Ce rituel auquel il prit goût au fur-et-à-mesure de son année passée à Lods, lui permettait de s'assurer qu'il fût bien réveillé.

Pureté du corps rimait avec pureté de l'âme, et le jeune homme se baignait deux fois par jour, un privilège qui lui manqua lorsqu'il fût chassé de chez lui et qu'il eût été dérobé de son titre par le passé. Tout cela était bien loin derrière lui aujourd'hui, et l'on ne souhaitait point sa mort, du moins, pas à sa connaissance. Le Duché de Morguestanc restait toutefois un lieu plein de dangers, et pour la même raison qu'il fit installé le grand récipient dans sa chambre, c'est-à-dire de sécurité, il dormait à l'écart des autres, dans une pièce voisine aux dortoirs de la milice.

Quand Aloys eut terminé de faire sa toilette, il se redressa pour attraper une serviette laissée sur le dossier d'une chaise. Comme les premières lueurs du soleil transperçaient la fenêtre de la pièce donnant sur les palissades entourant le village, il bondit hors de la baignoire pour saisir et se vêtir de son bleu de travail. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire à faire à présent. Il s'agenouilla et ferma les yeux, en face d'un minuscule autel de fortune qu'il avait construit lui-même, pour ainsi recevoir les bénédictions de la Trinité. Quand il eut presque terminé sa prière, autrement dit son monologue interne, l'on frappa à sa porte.

- Baron, le convoi est prêt à partir dans dix minutes.

Les pas s'éloignèrent de sitôt. Aloys se releva et souffla sur toutes les bougies, ne voulant point être la cause d'un incendie. Enfin, il ferma à clé la porte de sa chambre avant de partir, comme à son habitude. Celle-ci ne recelait aucun objet de valeur, mais des échanges, lettres confidentielles dans ses tiroirs. Ce fut une pomme en main, lui servant de petit-déjeuner, qu'il traversa la rangée de lits vides pour sortir de la caserne. Une douce pluie tombait du ciel bleu clair, mais l'absence du nuages suggérait qu'elle cesserait bientôt pour laisser place à une agréable journée printanière.

Ce fut aux écuries que le Baron récupéra son destrier habituel. La créature blanche répondant au nom de Goémon, avait été acquise il y a à peine quelques mois. Aloys ne lui avait pas encore enseigné grand chose, mais l'équidé s'était en quelque sorte habituée à son cavalier. Au loin, l'on pouvait apercevoir les ouvriers charger de bois la dernière charrette. Il était l'heure pour le jeune homme de rejoindre le convoi. Ce fut à pas déterminé, filet en main, qu'il rejoignit donc le reste du groupe.

Lods, autrement appelé le trou du cul du monde et le dernier bastion le plus au sud qu’il existe encore, depuis la chute de la place-forte de la Tourbière, que l’on dit maintenant envahit de brigands. Pour moi, ce ne sont que des rumeurs, les bandits ne sont guère organisés, je les vois mal vivre en totale autarcie, tout en repoussant les fangeux, ce serait trop fantastique.

En tout cas, je suis arrivé trop tard hier soir pour entrer dans le village, heureusement que des paysans ont bien voulu m’accueillir dans leur ferme fortifiée contre quelques peaux de lapins que je garde toujours sur moi, pour ce genre d’occasion. C’est donc à l’aube que je suis levé, bien décidé à passer la muraille cette fois-ci.

C’est heureusement le cas et je me présente aux deux gardes de faction. Ils m’indiquent la direction de leur caserne et j’arrive pile au bon moment. Le convoi que je suis censé escorté jusqu’à Balazuc est déjà prêt et je vois à ses côtés un homme à côté d'un cheval blanc, il est équipé d’un grand chapel de fer et porte une protection supérieur à la majorité des miliciens se trouvant à ses côtés.

De plus, il dégage une certaine aura parmi tous ces gens de la plèbe et je reconnais ainsi facilement un sang bleu comme moi. J’avance donc avec mon propre étalon noir comme la nuit, répondant au doux nom de Guerre et j’en descends pour me retrouver face à lui afin je lui tends un étui à parchemin, car il ne peut être que gradé grâce à son sang, où est contenu la lettre de marque du comte de Rougelac et je lui indique simplement :

Je suis Desmond de Rougemont, au service du gouverneur de ces terres, il m’a envoyé vous aider à l’escorte du convoi.

Malgré son air un peu méprisant, je lui souris, persuadé que c’est plutôt à destination de la piétaille et que je serais bien accueilli par mon interlocuteur, après nous sommes de la même race, celle des seigneurs. Je n’ai plus qu’à entendre son nom pour le reconnaitre, car pour le moment, son visage ne m’est point familier.

Alors qu'Aloys marchait à pas résolu pour rejoindre la foule d'hommes se préparant à quitter le village de Lods, il ne put s'empêcher de remarquer la présence d'une figure imposante s'avançant dans sa direction. Montée sur un robuste étalon noir, la silhouette qui lui était guère familière ressemblait à la personnification même de la mort. Les quelques soldats aux côtés du baron se turent, laissant place à un lourd et désagréable silence. Tous observèrent à présent l'individu descendre de la selle de sa monture, impressionné par le claquement d'un harnois grisâtre et usé. L'Équipement de l'homme, ou plutôt du géant qui se tenait devant Aloys et les miliciens, les dépassant d'au moins trois têtes, portait à croire qu'il appartenait à la chevalerie.

Aloys, sous son masque de fer, suivait des yeux le cavalier. Stoïque comme à son habitude, il attendait que celui-ci s'introduise et dévoile ses intentions. La gigantesque main lui tendit bientôt un parchemin sur lequel était inscrit à la plume toutes ces informations. L'inconnu répondait au nom de Desmond de Rochemont, un patronyme qu'il n'avait jamais entendu auparavant. Cela dit, il n'existait pas un seul noble ne connaissant point l'appellation du Gouverneur des Terres du Sud, du moins par sa réputation. Le sceau sur le bout de papier parut légitime à Aloys, qui retira son casque en signe de salutations et de respect pour son interlocuteur, dévoilant à la fois son visage et sa crinière encore humide.

- Baron Aloys de Tourbière, au service de la population lodsénienne depuis toujours.

Implicitement et subtilement, en reflétant les paroles de l'homme brun et barbu se tenant devant lui, il affirmait sa dévotion au peuple du sud, qui avait survécu même avant l'arrivée du seigneur de Rougelac au poste de gouverneur de ces terres. Prudence, il ne fallait point mal interpréter les paroles du Baron, car il ne ressentait aucun mépris à l'égard du Comte, il tenait à placer les intérêts du peuple avant tout. Il fit aucun commentaire désagréable à l'égard de l'étranger, lâchant quelques mots de courtoisie.

- Votre aide est la bienvenue.

Les portes du villages grincèrent pour s'ouvrir, et les deux imposants chariots; l'un chargé de pierres, l'autre de bois, quittèrent Lods. Comme il fut temps de partir, Aloys remit son casque et monta en selle, invitant son interlocuteur à faire de même et à l'accompagner.

- Première fois à Lods, messire de Rochemont ? Quelles sont vos premières impressions ?

La question paraissait simple, elle n'en demeurait pourtant pas moins importante, car la réponse allait permettre à Aloys de jauger l'état d'esprit de son éventuel et futur allié.

Finalement, ils atteignirent la sortie du village. Le baron, sur sa monture, accéléra pour atteindre la tête du convoi, puis il se mit à galoper tranquillement dans la boue. La pluie avait désormais cessé et le soleil brillait haut dans le ciel. Les miliciens étaient au nombre de 6, incluant les conducteurs des chariots, renforcés par les hommes du colosse.

Un autre élément intriguait Aloys vis-à-vis de son interlocuteur, car ce dernier ne s'était présenté par son titre, et à la vue de son harnois, il ne pouvait que selon lui, appartenir à la chevalerie.

- C'est une belle armure que vous avez-là, digne d'un chevalier. Son usure porte à croire que vous avez beaucoup d'histoires à nous conter en cette belle matinée.

Indirectement et toujours de manière subtile, le baron espérait en savoir davantage sur l'individu qui allait voyager à ses côtés.

Mon interlocuteur enlève son casque et je peux remarquer qu’il est jeune, très jeune, et qu’il est déjà baron, ce nom ne m’est d'ailleurs pas inconnu, et même si j’ai entendu quelques histoires ces derniers temps, le prestige de cette famille est grand. Cela ne m’étonne pas qu’il soit à la tête de ce convoi, il a sûrement avec lui des soldats en plus des miliciens que je vois en uniforme.

Il étudie donc mon document et m’indique que ma présence sera utile, même si j’en doute un peu, un chevalier pour protéger un convoi est normalement bien suffisant, surtout qu’il s’agit d’escorter du bois et de la pierre. Si cela avait été de la nourriture, j’aurais sûrement changé d’avis, mais là, j’ai un peu l’impression d’être venu pour rien.

Enfin presque pour rien, car je suis questionné par le sang-bleu et je lui réponds, très simplement :

C’est ma première fois ici, d’habitude, je vais toujours à Sombrebois et avant l’arrivée de la Fange, mon domaine se trouvait beaucoup plus au Nord.

Quand il me demande mes premières impressions, j’avoue être un peu embêté, son village n’a rien d’extraordinaire, ce sont, en majorité, des cahutes de paysan dont les murs semblent être fabriqués en merde séchée, bien, rien de très racontable, alors je lui indique, sans trop me mouiller :

Oui, c’est un village typique.

Quand nous quittons enfin ce hameau, je le suis, faisant bien attention au chemin et ainsi éviter que mon cheval ne se casse une patte à cause de la boue. Une fois à sa hauteur, j’ai droit à un compliment qui me fait bien plaisir et je lui réponds en souriant :

Vous avez tout à fait raison, j’ai moult histoires à racontés et si vous seigneurie veut les écouter, ce sera avec grand plaisir, même si je suis très loin d’avoir le talent d’un troubadour.

Oui, c’est sûr, je ne sais même pas chanter, mais je tiens à être agréable avec un jeune homme aussi sympathique. Je pensais que tous les barons étaient imbus d’eux-mêmes, mais ce n’est pas le cas de mon interlocuteur, c’est pourquoi je lui demande en souriant :

Et vous messire, avez-vous été à Balazuc depuis que la reconstruction a commencé ?

L'homme qui se tenait à ses côtés tirait donc ses origines au nord du duché de Morguestanc. Après tout, il n'avait pas la carrure de quelqu'un venant du sud. Peut-être venait-il du labret et de ses alentours ? Trop gras, trop lourd, il semblait avoir mangé à sa faim toute sa vie. Aloys avait rarement croisé des chevaliers au sud du duché, et il était inconcevable d'imaginer ces drôles de personnages à l'armure lourde, se mouvoir dans les marécages ou de faire trois pas dans la boue sans perdre l'équilibre et sans jamais savoir se relever en toute autonomie.

Cela dit, Aloys connaissait Sombrebois, dont il eut fait la visite et rencontré la maîtresse des lieux quelques jours plus tôt quand il revint de la capitale en quête de provisions. L'immense château de pierre perdu au beau milieu de la ténébreuse forêt n'avait rien à envier à celui des Tourbière par le passé. Le baron se demandait quel pouvait bien être les liens unissant Desmond de Rochemont à la famille de Sombrebois, mais il laissa cette interrogation de côté pour le moment.

Il y eut un long moment de silence quand le cavalier répondit à la question du baron. Ce dernier leva le sourcil, plein de confusion. Typique ? Typique de quoi ? Du duché ? Aloys désapprouvait. Sans doute voulait-il dire "Atypique". Il fit abstraction de sa réponse peu convaincante pour regarder à l'horizon un moment, essayant de masquer sa gêne. Le trajet allait être long décidemment.

Les dires suivants vinrent confirmer la supposition d'Aloys, l'oreille toujours attentive. Desmond de Rochemont était bel et bien un chevalier, et sans doute était-il au service des Sombrebois. Cela expliquerait ses fréquents voyages là-bas, comme il le dit précédemment. Face à cette proposition de narration, le baron de Tourbière acquiesça.

- Avec plaisir. Cela dit, je ne suis guère intéressé par vos talents de ménestrels, ils exagèrent, embellissent toujours leurs récits. Et nous ne connaissons que trop bien, tous deux, la réalité de la guerre.

Le baron se considérait pragmatique, peu sensible à l'art de la poésie en général, et au registre du récit de bataille conté par des charlatans n'ayant jamais vus de leur vie une effusion de sang. Enfin, il appréciait l'attention que lui portait son compagnon de voyage. Celui-ci évoqua finalement la reconstruction de Balazuc.

- Non, en revanche, je connais assez bien l'endroit. Nous le traversons régulièrement pour nous réapprovisionner, car c'est la seule route commerciale reliant Lods et Marbrume. Mais cela, vous devez le savoir.

Tout comme Aloys, Desmond devait forcément connaître les ruines du village comme sa poche, car à sa connaissance, les vestiges reliaient également le domaine des Sombrebois à la cité. La reconstruction du village n'avait pas encore été entamée, car à selon les informations qu'il reçut par courrier, un camp fortifié n'eut pas été encore monté.

- Dîtes-moi messire de Rochemont, de quel œil voyez-vous la construction de Balazuc ?

De son côté, la réponse était évidente pour Aloys, la reconstruction d'un tel village, faciliterait la vie des citoyens du sud, en rendant les itinéraires commerciaux plus sûrs.

Info / HRP:

Le jeune homme veut bien entendre mes récits de bataille et j’apprends qu’il connaît la guerre, ce qui m’étonne, car il ne doit pas être bien âgé, ce qui me rend curieux, alors je lui demande :

Avez-vous participé à des combats ici ?

Je hoche ensuite la tête quand il me parle de Balazuc et je réponds en souriant à sa question :

La reconstruction est une excellente chose, maintenant que le Labret est à peu près sécurisé et pratiquement indépendant, l’étape suivante est le sud. Nous avons besoin de matériaux de construction en énorme quantité.

Je montre les chariots que nous escortons, précisant en même temps ma pensée :

La survie est importante, mais il faut également penser à l’avenir, les Fangeux seront toujours redoutables, mais nous avons maintenant des armes adaptées, avez-vous vu une Sigfroi en action, surtout la deuxième version ?

J’ai déjà vu cette nouveauté tirée contre des bandits et ils ont été transformés en porc-épic en quelques secondes, vraiment très impressionnants. Je m’enflamme un petit peu, mais il est rare, pour moi, de parler avec un autre noble gérant un village et connaissant ainsi le sujet de la Fange. Beaucoup de Sangbleu vivent sur l’Esplanade et ne s’intéressent pas du tout à ce qu’il se passe en dehors des murailles. J’enchaîne donc :

Il n’y a pas que Balazuc qui bénéficie de ce programme, mais également Sombrebois, avec une arrivée massive d’habitant, ce qui est bien vu la surpopulation de la capitale. Les choses bougent et ce n’est pas pour me déplaire. Connaissez-vous les intentions de la couronne vis-à-vis de votre village ?

Je suppose que mon interlocuteur en est le chef, vu son statut, il doit donc être bien informé. Le comte de Rougelac, lui m’a juste informé des grandes lignes et je suis curieux de voir comment il a programmé tout cela, y compris le soutient du village de Lods.

Nulle être humain est trop âgé pour connaître la guerre, du moins la violence, d'autant plus en cette nouvelle ère. Il ne fallait pas oublier que les bandits eurent toujours parcouru ces routes, bien avant même le Fléau, s'en prenant aux innocents et aux plus vulnérables. Quand ils épargnaient les plus jeunes, ces derniers se retrouvaient le plus souvent orphelins. Pour Aloys, l'injustice en elle-même constituait une guerre.

Le baron se souvenait également que, dans sa jeunesse, alors qu'il ne fut à peine âgé de 10 ans, son père le força à regarder une exécution. Dans la cour de la forteresse, le seigneur fit tomber sa lourde épée sur la nuque d'un meurtrier, faisant rouler la tête au sol jusqu'aux pieds de son bâtard de fils. Victoriane, la grande soeur d'Aloys, maintenu grand ouvert les yeux fuyants de son cadet. Et quelques années plus tard, ce fut au noble héritier de donner la mort pour la première fois, sous le regard observateur de son paternel. Ce jour-là, la scène fut longue et douloureuse, il fallut plusieurs coups de lame, sous la main tremblante du jeune homme, pour que la tête se détache finalement du corps du scélérat.

- Bien sûr. Balazuc, comme tout autre ruine, est un lieu propice aux embuscades de convois.

Lorsque le chevalier évoqua le nom de l'arbalète à répétition, Aloys secoua la tête au risque de décevoir son interlocuteur. Il avait entendu certaines histoires à propos de cette arme, mais il n'avait jamais eu l'occasion de la voir en action.

Quant aux intentions de la couronne vis-à-vis de Lods, le baron n'avait aucunement envie d'en discuter. Il n'était tout simplement pas d'humeur à parler de politique en cette belle matinée.

Le groupe avançait en toute tranquillité sous le chant des oiseaux, alors qu'au loin se dessinait des formes. À quelques mètres, ce fut d'un signe de la main que le baron envoya l'un des miliciens examiner la situation. Le convoi fit halte, et tous attendirent le retour de l'éclaireur. Ce dernier revint vers le seigneur, avec plus d'informations.

- Messire, il s'agit d'un paysan venant du labret. La roue de son chariot a éclaté et il implore notre assistance.

Confiant, le baron de Tourbière se mit à galoper jusqu'au soi-disant travailleur de la terre, suivi par le reste du cortège. L'homme dans la force de l'âge accueillit la troupe d'un grand sourire, dissimulée sous une épaisse barbe rousse. Aloys fit le tour de la mule, puis du chariot, effectivement plein de blés, avant de descendre de son cheval.

- Monseigneur, comme je le disais-

Le genou du noble vint se loger entre les côtes du rouquin, lui faisant cracher ses poumons, à quatre pattes au sol.

- Étrange, je n'ai rien noté de tel dans mon journal, dit-il sur un ton serein.

Aloys connaissait avec précision, tout ce qui sortait ou rentrait de Lods, et le blé n'en faisait pas partie dernièrement. Il souleva délicatement son masque de fer pour siffler.

Une poignée d'individus sortit des bois aux alentours. Tous revêtaient une cape verte, décorée d'un écu au sinople, démontrant leur affiliation au baron de Tourbière. Parmi eux, une femme au teint mât et à la chevelure brune-châtaine, vint s'agenouiller devant son seigneur, déposant une tête ensanglantée au sol.

- Mon Baron, huit d'entre eux, tous morts. Aucune perte.

Les mains d'Aloys vinrent se déposer sur le visage couvert de cicatrices de la femme, relevant son menton et l'incitant à se relever.

- Merci, Neven.

Le bougre, se sachant perdu à la vue du destin de ses confrères brigands, ne tarda pas à prendre les jambes à son cou, laissant derrière lui son bonnet.

Dans le plus grand des calmes, Aloys vint saisir un arc long et une flèche de son carquois restés suspendus à son cheval, avant de tendre la corde en direction du fuyard qui, peu brillant, courait au beau milieu de la route au lieu de s'enfoncer hors sentiers dans la forêt.

Le projectile s'enfonça dans le creux poplité du misérable, le clouant au sol. Certains miliciens serraient les dents d'empathie, se projetant à la place du blessé. Enfin, le regard du baron se posa sur le visage du chevalier.

- Messire de Rochemont, nous feriez-vous l'honneur d'appliquer la justice ? Je crains que nous ne gardions aucun prisonnier en vie aujourd'hui.

Avait-il raté sa cible volontairement ? Impossible de le savoir.

Mon jeune interlocuteur ne me répond pas à ma question sur la guerre, semblant complètement absorbé par ses pensées, mais il me parle d’embuscade de convoi, est-ce cela qu’il nomme la guerre ? Pour moi, il s’agir de simple opération de police, rien à voir avec des batailles où des milliers de soldats s’affrontent, des dizaines mourants chaque minute, ça, c’est la guerre !

Il ne connaît même pas l’arbalète à répétition, même si leur nombre est encore relativement peu élevé, un baron doit toujours être au courant des progrès dans le domaine militaire, c’est très important. Il ne semble pas non plus vouloir parler politique, car il ne dit pas un mot sur les relations qu’il entretient avec le Roi.

Tout cela me fait penser que le noble n’a pas vraiment envie de parler et je n’ouvre donc plus la bouche, ne voulant pas me mettre à dos un noble, responsable en plus du convoi que j’escorte, jusqu’à ce qu’il envoie un de ses hommes devant suite à un mouvement suspect. Je suis soulagé quand ce dernier indique que ce n’est qu’un vulgaire paysan et nous reprenons la route.

Une fois arriver devant le gueux, il descend de son cheval et sans avertissement, il commence à la frapper. Je pense immédiatement que le jeune sang bleu est un sadique, aimant punir les gens du peuple, ce qui ne me dérange pas, ayant moi-même recourt presque quotidiennement à la violence. Il parle ensuite d’un certain journal et siffle, ce qui même pour moi est un comportement bien anormal, je me demande d’ailleurs s’il n’est pas complètement fou.

Des silhouettes sortent du bois et je mets immédiatement ma main sur le pommeau de mon épée, près à dégainer, ne sachant pas qui sont ces individus. Heureusement, celle qui semble être leur chef s‘agenouille devant Aloys et lui fais un résumé de sa mission avec une tête coupée. Les choses s’enchaînent trop vite pour moi, j’ai vraiment du mal à comprendre ce qu’il se passe et pour ajouter encore à ma confusion, le fameux paysan se barre en courant, ce qui est tout à fait compréhensible, j’aurai, sans nul doute, fais la même chose si j’étais dans sa situation.

Mais ce n’est pas fini, car le baron a encore soif de sang et prenant son arc, il lui plante une flèche dans la jambe, ce qui l’empêche d’aller plus loin. Puis, il me demande tranquillement d’achever le blessé ! Alors que j’allais lui demander des explications sur tout ce qui est arrivé, je remarque la mine peu recommandable de la jeune femme qui lui a apporté le sinistre présent et ne voulant pas créer de problème, je lui dis simplement :

Je le fais immédiatement.

Je guide mon cheval et après être descendu, je décapite d’un seul coup l’homme à terre, mettant fin à ses souffrances, puis je pousse le cadavre hors du chemin du bout de mes chausses et revient tranquillement voir le noble, lui demandant simplement :

Que fait-on du chariot ?

Toute nourriture est bonne à prendre, en plus c’est une question neutre qui ne risque pas de le fâcher, je n’ai guère envie de l’énerver et de me recevoir des coups, ou pire un projectile.

Le Baron de Tourbière sourit derrière son masque de fer, lorsque le chevalier répondit favorablement à sa requête. Il raccrocha son arc à son cheval, puis, la main posée sur les côtes de la créature, il se mit à contempler de loin, le cavalier galopant de dos jusqu'au damné rampant. Il vit au loin, l'imposante épée du géant s'abattre contre sa victime. Enfin, l'exécuteur revint tranquillement vers le groupe, demandant au meneur du convoi ce qu'il adviendrait du chariot.

Une très bonne question, car il aurait été stupide d'abandonner une telle ressource au bord de la route. Cette dernière n'avait pas encore été transformé, et il faudrait des semaines, voire des mois pour retrouver son propriétaire. Il n'y avait non plus aucun intérêt à amener cette cargaison perdue jusqu'à Balazuc. Aloys cogita, se frotta le menton pendant quelques instants, avant de délibérer. Il ramènerait le chariot à Lods, où le blé serait transformé en farine par ses artisans. La moitié reviendrait à Sombrebois, en remerciement pour la maîtresse des lieux qui l'eut hébergé quelques jours auparavant.

- Nous le ramenons à Lods, répondit-il simplement, sans même se justifier auprès du Chevalier, car il n'en avait aucunement le devoir.

Ensuite, il se mit à fouiller l'un des pochons accrochés à son cheval, puis sortit un encrier, une plume et un morceau de parchemin froissé.

- Donnez-moi.. Quelques secondes, poursuivit-il, les mains pleines, absorbé par cette nouvelle tâche.

Se servant de l'arrière train de Goémon comme appui, il trempa sa plume dans son encrier et se mit à rédiger quelques mots sur le papier jaunâtre.

Lorsqu'il eut terminé, il fit appel aux deux miliciens les plus proches, leur remettant le message qu'il vint tout juste d'écrire.

- Escortez ce chariot jusqu'à Lods, et remettez ceci au sergent. Ce dernier vous laissera pénétrer dans l'enceinte du village. Il se tourna finalement vers son second. Neven, donnez l'ordre à nos hommes de regagner les bois pour protéger le chariot sur le chemin du retour.

L'air inquiet, la guerrière tendit légèrement la main, en signe de contestation.

- Mais mon Seigneur...

Aloys rangea ses affaires puis remonta en selle, prêt à repartir.

- Aucune inquiétude. Vous seule nous accompagnerez jusqu'à Balazuc. Puis, Messire de Rochemont et les deux miliciens restants seront suffisants pour assurer la protection du convoi. Je doute que nous ne croisions d'autres bandits sur le chemin.

Neven inclina délicatement la tête en signe d'approbation, apaisé par les paroles de son Seigneur, puis elle s'éloigna pour transmettre le mot à ses frères d'armes.

Enfin, ce fut à l'un des conducteurs des deux chariots destinés à Balazuc qui vint à la charge avec une toute nouvelle question.

- Baron, que faisons-nous des cadavres ? S'ils reviennent à la vie, ils pourraient représenter un danger pour tout aventurier arpentant ces routes...

Aloys, dos tourné sur son cheval, fit un signe de la main pour balayer les paroles tourmentées du milicien.

- Pas besoin, leurs têtes ont été coupé. Laissez-les servir d'engrais pour la terre. Ce sera une dernière bonne action de faite de leur part envers la Trinité, dans toute leur misérable existence.

Sur ces dernières paroles, Neven finit de regagner le convoi et vint s'installer auprès du conducteur du premier chariot. Le groupe se remit en route, laissant le reste des hommes regagner Lods.

Par politesse et considération, le baron de Tourbière adressa ces quelques mots au cavalier l'accompagnant.

- J'espère que cela ne vous a point trop perturbé, Messire de Rochemont. Simple procédure. J'ai envoyé mes hommes, plus tôt dans la matinée, parcourir l'itinéraire hors sentiers pour assurer sa sécurité. Vous devez savoir que les scélérats affectionnent les bois pour tendre leurs embuscades. Également, vous devez vous douter que je ne compte pas uniquement sur l'appui de la milice, aussi compétente soit-elle.

Après quelques instants de réflexion, le jeune noble choisis de ramener le chariot à Lods, appauvrissant ainsi notre escorte en termes de miliciens mais nous gagnons une guerrière. Cette dernière s’installe au niveau du chariot de tête et j’ai enfin le fin mot de l’histoire grâce aux paroles d'Alloys et je lui indique :

Merci pour vos explications, j’avoue avoir cru à une embuscade quand vos hommes et cette Neven ont déboulés. Je suis soulagé qu’il n’en soit rien et que nous puissions reprendre la route.

Du coup, je suis un peu curieux à propos de nos sauveurs et je lui demande, à propose de cette force :

Je suis d’accord sur le fait que la Milice peut être en sous-nombre ou peu adaptée à certaines missions et qu’il peut être intéressant de les renforcer. Je suis d'ailleurs en train de monter une guilde de Mercenaires, les boucliers de Marbrume, mais les hommes et la femme que j’ai vus ont l’air d’être différents, est-ce que ce sont des soldats ?

Ces derniers sont devenus rares, car toute l’armée a été anéantie lors de la charge du dernier Roi. J’attends donc sa réponse, avant de lui demander, à voix basse pour ne pas être entendu :

Cette attaque semble avoir été planifié de longue date, vu l’importance des forces ennemies, est-ce que vous avez des soupçons ?

C’est, en effet, bizarre, un convoi de blé n’est pas précisément le genre de chose qui se trouve sous le sabot d’un cheval et il a été emmené jusqu’ici, uniquement pour cette embuscade. La corruption de certains membres de la Milice n’est jamais à exclure, surtout en ces temps troublés où chacun doit se battre pour sa survie.

Avec le recul, j’aurai dû faire un prisonnier, j’aurais ainsi pu l’interroger et obtenir des informations intéressantes. La prochaine que l’on me demandera de décapiter un homme, je demanderai pourquoi avant de l’exécuter.

- Et Neven, reprit le baron de Tourbière, d'une voix sèche.

Il détestait que l'on puisse manquer de respect à ses hommes. L'Adjectif démonstratif "cette" du Chevalier était de trop, et il ne manqua pas de lui faire remarquer. Toutefois, après un moment de silence, Aloys répondit aux remerciements.

- Ce n'est que normal.

Peut-être que les paroles maladroites de la part de son interlocuteur furent involontaires. Après tout, Messire Desmond de Rochemont lui apparaissait plus comme une montagne de muscle, que de matière grise. Il rebondit ensuite sur le sujet de la milice, pointant du doigt qu'elle pouvait se retrouver en sous-nombre ou peu adaptée à certaines missions. Aloys n'avait pas vraiment opinion là-dessus, et approuvait à moitié les paroles de l'homme se tenant à ses côtés.

Des miliciens en sous-effectif ? Peut-être. Elle demeurait néanmoins fortement présente dans la cité. Ce qui était sûr et certain, c'était que les habitants de Lods n'avaient pas attendu pas la création et l'arrivée de cette armée privée pour prendre la défense de leur village. Concernant la critique sur l'adaptabilité de ces soldats, et se remémorant son expérience et son passé, le baron de Tourbière ne se souvint pas une fois où il rencontra ce genre de problématique.

À vrai dire, Aloys s'était entouré de ses propres hommes pour une toute autre raison: leur dévouement. Après l'expulsion de son oncle Philippe de Tourbière et la récupération de son titre, qui lui revenait de droit, il fit le ménage dans le personnel familial. Entre autres, il congédia les gardes qui n'avaient su protéger son oncle pour en recruter de nouveaux. À la différence des anciens employés, ces nouvelles recrues n'avaient pas pour seul rôle celui de protecteur, et avaient plus largement pour but de servir de bras armé pour le seigneur.

Aloys appréciait travailler avec la milice. Cela dit, le périmètre de cette dernière était limitée, ses intérêts directement rattachés au Roi. Ces soldats miliciens n'avaient pour but premier d'assurer la protection du seigneur, et ils ne suivaient point des ordres s'ils jugeaient que ceux-ci ne s'inscrivaient pas dans le bien commun ou royal.

Enfin, le Baron de Tourbière jugeait bon également de former ses propres hommes, auprès de qui il transmettrait ses compétences et son savoir, comme son père avant lui. Des miliciens pouvaient être mutés à tout moment, sans même qu'Aloys eut été averti. Ce dernier avait besoin d'individus capables de se mouvoir dans les marécages aussi aisément que purent le faire les forces Tourbière dans le passé.

Le cavalier lui posa ensuite une question sur la provenance de ses compagnons, à laquelle il répondit en détail.

- Pas tous. Certains sont des habitants du coin qui ont préféré me rejoindre plutôt que de servir la milice. Et d'autres sont d'anciens miliciens, ayant quittés la milice pour rejoindre mes rangs.

Aloys jeta un coup d'œil derrière lui, en direction de Neven.

- Enfin, il y a également ceux qui viennent d'Hendoire.

La famille Tourbière n'avait plus la réputation d'antan, mais certaines personnes étaient encore reconnaissantes pour ce que son paternel avait fait pour ces terres frontalières au sud. D'autres miliciens qui l'eurent servi par le passé avaient rejoint les rangs du noble, appréciant sa compagnie et sa manière de faire les choses. Quant aux réfugiés d'Hendoire, Aloys avait bon nombre de raisons pour lesquelles il les eut accueilli, mais il n'avait aucunement envie de se justifier après cette révélation.

Finalement, Desmond de Rochemont évoqua le soupçon d'une attaque préméditée. Le Baron de Tourbière haussa les épaules, désintéressé.

- Pas vraiment, non.

Puis, il tourna le regard vers le Chevalier.

- Dîtes-moi en plus sur vous, Messire de Rochemont. Quelle est votre histoire ?

Les deux avaient parlé dans le vent depuis le début du voyage, sans véritablement faire connaissance. Le Baron estimait maintenant qu'il était temps de connaître la véritable identité du géant.

Au loin, se dessinait déjà Balazuc.

Sans que je ne comprenne pourquoi mon interlocuteur me reprend sèchement sur le nom de sa garde, alors que je suis sûr de l’avoir prononcé correctement. J’apprends d’ailleurs qu’ils viennent de tous les horizons aussi bien de la milice, que des villages aux alentours, voire même du vaisseau qui s’est échoué il y a quelques mois sur les côtes.

C’est vraiment surprenant, certains sont clairement des hérétiques, je serais donc resté prudent. Je n’ai connu qu’une seule personne, une apothicaire qui venait de cette contrée lointaine et heureusement, c’était une fervente adoratrice des Trois, sinon, je pense que j’aurais dû la dénoncer aux autorités. Cela doit également le cas de la femme aux cicatrices, sinon il ne lui aurait pas fait confiance pour la nommer ainsi comme capitaine, je pense, puisqu’elle commande une partie de ses troupes.

En tout cas, il ne considère pas qu’il y a des fuites au sein de ses rangs, car il répond d’une phrase à mes inquiétudes pour se concentrer sur ma personne et je lui réponds bien volontiers, car faire connaissance avec un noble est toujours utile, mais je le préviens d’abord :

Mon histoire n’est guère passionnante.

C’est en tout cas mon avis, et je vais omettre de nombreux détails afin de ne pas endormir mon interlocuteur :

Je suis né au sein d’une famille de Chevalier qui avait la responsabilité d’un village au Nord. Il a attaqué par des Fangeux et après avoir fui pendant des jours, j’ai atterri à la capitale. Le comte de Rougelac a eu la bonté de me prendre comme allié et je fais de mon mieux pour être à la hauteur des missions qu’il me confie.

Je réfléchis une seconde pour savoir si j’ai oublié quelque chose, ce qui est le cas, car j’ajoute en souriant :

Et j’ai fondé il y a peu une guilde de mercenaire, les Boucliers de Marbrume.

Voilà, j’aime bien me faire de la publicité, car comme le dit le dicton, on n’est jamais servi que par soi-même, maintenant que j’ai beaucoup parlé, j’ai soif et je sors donc une flasque de ma poche pour une bonne lampée, proposant à mon interlocuteur :

Vous en voulez ? C’est de l’alcool de cerise, venant directement d’une petite ferme du Labret.

C’est une boisson d’excellente qualité, puis après avoir entendu sa réponse, je lui demande, un peu curieux :

Puis-je vous demandé comment vous êtes devenu baron ?

L'histoire du cavalier laissa Aloys sans réaction. Non pas que le passé de son compagnon ne le passionnait guère, mais il eut été conté de manière si brève et si superficielle. Le jeune baron ne pouvait croire à un récit dépourvu d'action venant de la part du géant en armure. Où étaient donc les détails croustillants ? Un duel entre le chevalier et l'une de ces créatures, une cavale suite à un village condamné, une rencontre qui changea le destin de cet homme... Aloys s'attendait à être bercé jusqu'à la fin du voyage. À la place, il se contenta d'une simple remarque.

- Vous lui semblez très reconnaissant, fit-il, en ne parlant nul autre que du Comte de Rougelac. Il marqua ensuite un temps de pause, examinant du regard son interlocuteur, à l'affût du moindre signe d'approbation et inversement. Finalement, il reprit la parole. Avez-vous songé à travailler auprès d'un autre seigneur ? Peut-être puis-je trouver une quelconque utilité à votre récente organisation.

Le Baron de Tourbière semblait sincèrement intéressé par cette proposition dont lui-même était l'initiateur. En temps normal, il n'appréciait guère travailler avec des mercenaires au passé plus que douteux. Or, Messire de Rochemont, au-delà de son titre, lui paraissait être un gentilhomme honnête et sérieux dans les tâches qui lui étaient confiées.

Enfin, le colosse sortit de sa poche une flasque, et au début, le Baron crut qu'il s'agissait de l'eau. La fiole s'avérait en réalité remplie d'alcool de cerise, issu d'une petite ferme située au labret. Aloys regarda l'homme boire une bonne gorgée, avant de se voir proposer lui-même une lampée. Boire en pleine mission ne serait point sérieux de sa part, d'autant plus qu'il ne tenait que très peu l'alcool, dans ses souvenirs les plus lointains. Toutefois, le groupe se trouvait maintenant à quelques kilomètres de Balazuc, et ce n'était pas tous les jours que le seigneur avait l'opportunité de goûter aux spécialités du plateau.

Puis, zut, finalement le Baron de Tourbière arracha des mains du géant la flasque et la porta à ses lèvres pour y boire goulûment. Tête relevée, yeux fermés comme s'il essayait de démontrer un semblant de virilité, il consommait pleinement la bouteille. Une, deux, trois gorgées ! Et en plus à cul sec ! Il s'essuya les lèvres avec sa manche, après avoir toussé bruyamment quelques instants, comme s'il se trouvait dans une maisonnette en feu. Les muscles de son visage étaient contractés, le liquide lui avait brûlé la trachée.

- Monseigneur !s'écria Neven, derrière, inquiète par la toux de son maître, comme prête à bondir du chariot pour lui porter secours.

Aloys tendit finalement le contenant à son compagnon de voyage pour lui rendre, avant de répondre d'une voix forte mais encore fébrile, accompagnée d'un geste de la main...

- Je vais bien ! Merci Messire, un délice.

La minute qui suivit lui sembla ne jamais se terminer. Soudainement, le jeune homme fut pris de bouchée de chaleur. Il retira son casque quelques instants, révélant ses oreilles et le bout de son nez, tous atteints de rougeur.

- Il commence à faire chaud par ici, murmura t-il, agacé, agitant sa main pour s'envoyer des vaguelettes d'air.

La vision du Baron de Tourbière devint alors trouble, un bruit blanc vint s'emparer de ses oreilles. Il concentrait son attention sur les lèvres du Chevalier, ce dernier tentant de lui communiquer quelque chose, une question ? Goémon se mit à zigzaguer, et les hommes du convoi commencèrent à se jeter des regards.

Puis finalement, Aloys aperçut sur le côté du chemin, un tout petit garçon au visage familier. Lui seul pouvait voir l'enfant, illusion purement liée à son ivresse. Le seigneur reconnut Thomas, son frère, porté disparu quelques années auparavant. Lorsqu'il tendit la main vers l'hallucination, celle-ci s'éclipsa dans les bois.

Et d'un coup, le Baron de Tourbière se mit à galoper, plutôt foncer hors sentiers, à travers l'obscure forêt des Sombrebois.

- Baron !

Neven cria désespérément après son seigneur, tout aussi confuse que le reste de la caravane. Restée sans réponse, elle foudroya le Chevalier du regard.

- Qu'Avez-vous fait !? Qu'Attendez-vous pour partir à sa recherche !?

La guerrière en colère descendit du chariot, puis fit signe au convoi d'avancer jusqu'à Balazuc sans eux, les ruines se situant maintenant à quelques mètres. Enfin, à pieds, elle s'enfonça à son tour dans la végétation à la recherche de son seigneur.

Quand le baron observe que je suis reconnaissant envers mon bienfaiteur, je hoche la tête pour montrer que c’est le cas, le comte est une personne admirable et le sang-bleu le plus intelligent que j’ai jamais rencontré, et pourtant, j’en ai croisé beaucoup ! C’est pourquoi je réponds à a question sur un possible changement d’allégeance par la négation :

Je n’ai jamais songé à changer d’allié, le comte de Rougelac est une personne fidèle et je le suis également. Toutefois, mes mercenaires peuvent être à votre disposition.

Après tout, je commence à en avoir un certain nombre, alors autant diversifier mes commanditaires, plus j’ai de contrats, plus j’aurais de l’argent pour pouvoir me la couler douce. Pendant que j’étais perdu dans mes réflexions, mon interlocuteur boit l’alcool de cerise que je lui ai proposé, ce qui le fait tousser.

Je ne peux m’empêcher de sourire, surtout que la femme avec moult cicatrices, s’inquiète pour son maître. Ce dernier se reprend heureusement assez vite et me rend ma flasque, à moitié vide, le noble a une sacrée descente ! Ou alors il n’est pas habitué et a pensé que c’était de l’eau, je pense que cette seconde hypothèse est la bonne, car après avoir enlevé son casque, je remarque des rougeurs sur son visage.

Il ne répond d’ailleurs pas à ma question sur son passé, préférant, sans un mot, foncer à travers la forêt, il va se prendre une branche en pleine tête à galoper ainsi, et je me dis qu’il a dû voir quelque chose. Pour ma part, je reste tranquillement sur le chemin, ma mission étant d’escorter le convoi et non de protéger mon interlocuteur.

Mais je ne peux pas être tranquille, car je me fais vilipender toujours par la même jeune femme qui se prend vraiment pour sa mère, m’accusant d’y être pour quelque chose et me demandant d’agir. Je jette un coup d’œil où il a disparu, puis voyant qu’elle part à sa recherche, je soupire, car j’aurais tellement espéré que la fin du voyage soit calme, et je dirige ma monture pour suivre la balafrée, la forêt nous engloutissant tous les deux.

La jeune femme au teint mât s'enfonçait dans la forêt d'un pas précipité, suivie de près par le cavalier. Sa fidèle épée à la main, elle coupait les branches et feuillages lui barrant la route, libérant aussi le passage de son compagnon peu enthousiaste à l'idée de quitter le convoi si proche de la ligne d'arrivée.

- Espérons qu'il ne soit pas parti très loin.

L'inquiétude se ressentait dans la voix de Neven, une fascinante vulnérabilité pour une silhouette avoisinante le mètre quatre-vingt, soit plus élancée que son maître. Équipée d'un léger plastron de fer laissant des bras dénudés et particulièrement bien dessinés, l'on pouvait presque entrevoir un corps entièrement bâtit de muscles. Lorsque la voie fut entièrement dégagée, elle rangea son épée dans son fourreau. Attentive au moindre pas et regardant toujours au loin, elle échangea ces quelques mots avec le géant.

- Vous savez, Sire de Rochemont, avec tout mon respect, je sais ce que les gens de votre genre pensent de nous, les étrangers. Neven avait écouté tant bien que mal, la conversation précédente entre les deux nobles, et elle savait désormais que l'homme à ses côtés tirait ses origines du duché. Elle supposait également que Desmond n'était autre qu'un pieux Chevalier, et elle connaissait parfaitement la position du Clergé quant au Culte des Quatre. Même si vous ne nous faites guère confiance, je suis heureuse que vous respectiez les décisions de votre Roi. Elle parlait bien entendu de l'hospitalité du monarque Sigfroi de Slyvrur.

Finalement, la guerrière fit signe du revers de la main pour demander au Chevalier de s'arrêter un moment. Elle s'agenouilla ensuite pour mieux observer le sol, essayant de repérer les empreintes de sabots de l'équidé blanc. Enfin, elle se remit à marcher, déterminée à remonter la piste encore fraîche. Elle reprit alors la parole.

- Le Baron de Tourbière est un homme bon, à l'image de votre souverain. Hélas, il est encore jeune, et même s'il cherche à bien faire, il ne connaît pas encore tout à fait ses limites. Cela sous-entendait que Neven était bien plus âgée que son seigneur, aux abords de la trentaine peut-être, son visage marqué par une dure existence. D'ailleurs, une fois...

Alors que la femme allait enchaîner sur une anecdote sur son maître, elle fut interrompue par la vue de Goémont et de son cavalier se tenant à ses côtés auprès d'un arbre. Jambes fléchies, paumes sur les genoux, le Baron de Tourbière vomissait l'alcool ingurgité précédemment.

- Plus... Jamais... murmura t-il à lui-même, se pensant toujours seul. Cela lui servirait sans doute de leçon, à vouloir se montrer si viril devant les autres.

Lorsqu'il sentit une présence derrière lui, il tourna lentement la tête, encore engourdi, et à la vue de ses compagnons de voyage, il se redressa comme une flèche. Puis, il tenta de se justifier, vainement.

- Je croyais avoir aperçu quelque chose dans les bois...

Un filet de fluide dégoulinait encore de sa bouche, alors il s'essuya les lèvres rapidement, comme si rien ne s'était produit.

Les poings serrés, agacée par cette mascarade, Neven avança en direction de son seigneur pour l'aider, de manière brusque, à remontrer sur son cheval. C'était le seul moyen de lui faire comprendre son irritation.

- Vous ne pouvez pas partir comme ça ! Qu'en est-il de votre protection ?!

Aloys ne répliqua point, et se contenta de baisser les yeux, il se savait parfaitement en tort. Neven saisit alors d'une poigne de fer les rênes du cheval et commença à rebrousser le chemin, tirant son maître et la créature de pleine force.

- Allons-y, Sire de Rochemont. Je suis désolée pour ce léger contretemps.

Ce ne fut qu'après une vingtaine de minutes de marche supplémentaire, que le groupe atteignit Balazuc. Les hommes avaient déjà commencé à décharger la marchandise et ils ne tarderaient point à rebrousser le chemin vers Lods. Le Baron de Tourbière quant à lui, se sentait beaucoup mieux à présent, il descendit donc de son cheval pour s'adresser au Chevalier.

- Messire de Rochemont, ce fut un plaisir d'effectuer ce voyage en votre compagnie... Il s'inclina brièvement. Je suppose que nos chemins se séparent à présent. Retournez-vous à Sombrebois ? Faites-donc part de mes salutations à la maîtresse des lieux.

Sur ces dernières paroles, les hommes se dirent alors au revoir.

HRP: