La loi des misérables | Desmond

Je le savais que mes explications avaient été claires, alors j’indique simplement à Lorin, qui semble particulièrement enthousiasmé par ma proposition :

C’est entendu, je t'apporte le nécessaire.

Je sors donc de la pièce et lui donne ma propre planche, particulièrement heureux de me débarrasser de cet objet de souffrance pour moi. Une fois, ceci fait, je leur indique à tous les deux :

Je vais partir prochainement pour un long voyage, cela devrait vous laisser le temps de vous remettre. J’ai recruté un homme supplémentaire, qui gardera ce bâtiment, il est déjà au courant, d’ailleurs le voilà.

Le mercenaire entre, très jeune, il doit avoir dix-huit ans tout au plus et s’incline brièvement :

Enchanté, je suis Philippe d’Acier.

Voilà des paroles simples et précises, j’aime beaucoup ce gamin, je continue donc :

Il sait ce qu’il doit faire, alors n’hésitez pas à le solliciter, l’apothicaire s’occupera du reste.

Mon départ étant prévu demain, il me reste beaucoup de choses à faire, même si le scribe que je viens d’embaucher devrait bien m’aider, c’est pourquoi je leur indique :

Je vais vous laisser, nous nous reverrons dans une quinzaine de jours. Il n’y a qu’une seule chose d’interdit, c’est sortir d’ici sans protection, nous sommes dans les Faubourgs alors les abords du bâtiment peuvent être dangereux, surtout quand il fait sombre.

C’est un fait connu, les Fangeux n’apprécient pas la lumière du jour et préfèrent l’obscurité. Sur ces dernières paroles, je m’apprête à quitter la pièce avec le jeune homme, il doit aller récupérer ses affaires, puisqu’il va loger ici, dans le dortoir pour homme. Je me rends compte alors que j’allais oublier une information importante alors je m’arrête et je dis au frère :

Pour le moment, vous pouvez dormir ensemble, mais quand Alana, une mercenaire voudra se reposer ici, tu devras dormir dans le dortoir des hommes.

Voilà, c’est une maison respectable que je tiens, pas d’acte contraire aux règles des Trois ici, du moins pour les employés, moi, c’est différent, je suis noble et je fais des offrandes régulières.

Lorin se montre aimable, tout vilain qu’il soit. Alix, elle, n’ouvre pas la bouche, ni pour saluer, ni pour quoi que ce soit d’autre. Elle regarde ailleurs, désireuse de ne plus entendre Desmond donner des conseils qu’elle connait par cœur. Tout le monde sait qu’il ne faut pas circuler dans les Faubourg dès le crépuscule. Elle se contente de soupirer et ce même après le départ du noble sang. Lorin, lui, semble retrouver la foi en l’espèce humaine, jamais il n’a été aussi heureux que maintenant. Du moins il ne s’en souvient pas.

- Tu l’as rencontré où, lui ?
- Tu veux vraiment savoir ?, grogne-t-elle depuis son lit.
- Non. T’as raison, je veux pas savoir.

Quelques jours plus tard…

Elle a suivi les recommandations de l’apothicaire, mais sans y mettre du sien, donc la convalescence est encore longue. Pendant tout ce temps elle a refusé de dire le moindre mot à ce gamin de dix-huit ans qui la regardait pourtant avec des yeux tout brillant…Ce regard-là, elle connait bien aussi et elle n’a pas cherché à entretenir la flamme de ce garçon qui aurait pourtant bien volontiers passé quelques instants avec elle, elle le sait très bien. Elle n’a pas beaucoup parlé à son frère, qui mange souvent sa part de nourriture parce qu’elle n’a aucun appétit. Elle a beaucoup maigri en quelques jours, elle ne sourit plus, elle ne fait que regarder le mur, sans rien dire, muette comme une carpe, même avec l’apothicaire qui a pourtant été doux et compréhensif.

Depuis deux ou trois jours, elle parvient à se lever. Son frère est parti chez les hommes, elle lui a fait comprendre qu’il n’avait rien à faire en sa compagnie, donc il est à côté, occupé à retranscrire sans arrêt. Elle, elle essaye de marcher, en se tenant aux murs, aux meubles, pâle comme une morte.

Ce jour-là, elle a réussi à marcher un peu plus longtemps que prévu. Alix a refusé l’aide proposée de l’accompagner un peu, pour lui éviter une chute. Elle s’installe avec difficulté dans le petit jardin cloîtré de hauts murs. Il n’y a aucun autre paysage sinon celui du ciel, qu’elle regarde sans sourire, pas même lorsqu’elle voit un oiseau passer entre deux nuages. La douleur lui arrache une grimace. Elle plisse les lèvres et ferme les yeux. Il n’y a personne, elle le sait, ils sont tous dehors alors…

- …

Elle laisse sortir ce qu’elle retient depuis longtemps. De petites goutes cristallines tombent sur ses mains maigres, des petites gouttes qu’elle laisse rouler sans rien dire.