[Terminé]Que le monde est petit... [Théo et Gudrun]

Pendant un moment, il n’y eut que le silence. Etrange que Soeur Colère ne s’offusque pas…Le borgne se tourna légèrement vers la prêtresse, l’observant discrètement du coin de l’oeil. Peut-être que son visage lui donnerait plus d’indices quant à la raison de cet étonnant mutisme…
Les sourcils froncés, elle semblait chercher quelque chose en son fort intérieur, et il reprit sa position initiale pour réfléchir à ses propres paroles.

Pendant tout ce temps, n’avait-il vraiment pas cru à la mort d’Alice ? En effet….il s’était rangé à la logique des autres. Alaric avait été incapable de dire combien de fangeux étaient tombés sur eux ce jour là. Il en avait vu trois, sans que la possibilité d’un nombre plus important soit à écarter. Même si il n’avait s’agit que de ces trois en question, la probabilité que sa Douce ait pu survivre était quasi nulle, surtout que tous les villages alentours avaient vite été vidés.
Et pourtant, la flamme de l’espoir était bien là, en lui. Théophile la sentait maintenant. Petite, vacillante, mais présente et résistante à toutes les épreuves. Personne n’avait pu partir à la recherche du corps...Cette folle conviction se battait face à une de ses peurs les plus profondes depuis ce jour. Alors que l’image d’une Alice au corps décharné, et aux yeux plus morts que vivant tentait de percer dans son esprit, Gudrun fut son salut, prenant enfin la parole.

L’archer ne la sentit pas sereine, et son discours se fit moins véhément alors qu’elle lui servait un énième sermon sur les bienfaits du mariage.

« Vous avez raison, on ne peut pas revenir sur le passé, même si il revient parfois nous hanter. Pensez-vous qu’il est raisonnable de se lier aussi fermement à une femme, de lui déclarer mon amour, alors qu’Alice est toujours présente ? Pensez-vous que ce soit juste pour elle ? Et vous avez raison, Alice comprendrait certainement, mais moi je suis incapable de donner à quelqu’un tout ce que j’ai donné à ma Douce. Peut-être que pour vous il s’agit d’une manière de vivre indigne mais ces femmes avec qui je passe un moment, on ne se fait aucune promesse, aucun engagement. Ca me semble plus honnête que ces hommes qui se remarient et continuent à aller au bordel, ou en violentent d'autres. Ca s’est sûr, ils respectent les vœux du Temple ! Mais qu’est-ce qu’il en est de leur femme Soeur Gudrun ? »

Le borgne se tourna à nouveau vers la prêtresse et vit qu’elle observait le camp avec sévérité. En suivant son regard, il aperçu un attroupement de soldats qui se formait. En plissant les yeux, il vit l’objet de leur attention : une créatures aux courbes féminines dansait. Ses cheveux noirs brillaient, et ses mèches tanguaient à chaque mouvement, leur donnant presque une vie à part entière. Certaines allaient se perdre dans son décolleté, invitant les yeux des spectateurs à venir les en déloger. Son sourire généreux et tentateur donnait l’impression qu’il s’adressait à chaque homme directement, alors que ses hanches se prêtaient parfaitement à accueillir les grandes mains des hommes d’armes. La peau claire et satinée que ses vêtements dévoilaient de temps en temps jouait à cache-cache avec le coeur des soldats. Trop voyante pour être inaperçue, mais trop vite cachée pour l’oublier.

Théophile était conquit par cette beauté inattendue, d’autant plus qu’il ne l’avait pas remarquée auparavant. Son esprit lui surinait qu’il était censé dire quelque chose, pourtant la place qu’occupait la découverte de la créature lui empêchait de savoir quoi. Pourtant c’était important….
Ce ne fut que lorsqu’un soldat, plus épais que les autres, lui cacha la vue, qu’il mit la main sur ce fameux élément.

« Voyez tous ces hommes ma Soeur. D’après vous, combien d’entre eux sont mariés ? Et combien seraient prêt à un tête à tête avec notre danseuse malgré leur engagement ? Votre cher Temple ferme les yeux sur ces types. Alors d’après vous, qu’est-ce qui est le plus répréhensible ? Quelqu’un d’honnête qui refuse de se voiler la face, ou un menteur qui fait ce qu’on lui dit et qui en cachette fait tout ce qui est répréhensible ? Je l’ai dit lors de notre première rencontre et je vous le redis. Je n’ai jamais, jamais regardé sérieusement et encore moins touché une femme du moment où je me suis engagée avec Alice. Combien sont capables de dire la même chose ? Pas ceux-là en tous cas...Si ça se trouve, et désolé si ça vous froisse, loin de moi cette envie, votre défunt mari en était peut-être sans que vous le sachiez.»

Il était injuste de sa part de partir sur ce terrain. Pourtant il en avait assez qu'on lui répète sans cesse que l'époque de son deuil était terminée et qu'il fallait qu'il retrouve une femme. Qui étaient tous ces gens pour savoir à sa place ?! Qu'on le laisse tranquille avec ses souvenirs à la fin !
La moue boudeuse qu'il arborait était tout à fait au diapason de celle d'un enfant, et son comportement s'en rapprochait probablement. Mais il s'en fichait éperdument.

Théophile lui répondit d'une manière qui ne lui plut pas. Oh, il n'était pas le premier à vouloir remettre en question les lois divines. Ils étaient nombreux à croire qu'ils savaient mieux que les dieux comment mener leur vie. Ça n'en rendait pas moins pénible la tâche de les guider sur le droit chemin.

- Il est aisé de critiquer son prochain sans voir ses propres défauts. Je vous parle simplement de mariage, pas de parler d'amour ! En quoi est-ce si terrible ? Et pour ceux qui continuent à aller au bordel ou violentent leur femme, ils ne suivent pas non plus les lois divines : peut-être avons nous davantage de difficultés à le voir et à le réprimander, mais est-ce une raison pour ne pas essayer de faire le bien pour ce qui nous concerne ? J'essaie de sauver votre âme en ce moment, pas celle de vos compagnons de coutilerie ou celle du tavernier du camp.

Elle haussa les épaules, agacée. Voilà ce qui se passait quand il manquait un dieu dans le panthéon : le monde n'avait plus aucun sens. Comment expliquer les comportements malhonnêtes, violents, déviants, quand le dieu corbeau n'était pas impliqué ? Elle était frustrée de ne pas pouvoir continuer son sermon de façon logique.
Tournant de nouveau son regard vers lui, elle le vit observer d'un œil brillant la demoiselle qui se déhanchait non loin. Il finit par reprendre la parole, pour critiquer le temple. Grand bien lui fasse, elle ne l'aimait pas non plus ce temple, ses incohérences et ses hypocrisies. Mais il ne s'arrêta pas là. Un début de colère froide l'envahit.

- Je ne crois pas vous avoir dit quoi que ce soit sur mon mari, et vous n'avez certainement pas le droit de salir sa mémoire ainsi. C'était un homme droit et croyant, et si jamais... Si jamais il est encore en vie aujourd'hui... Il ne se comporterait certainement pas comme vous !

Elle n'avait au fond aucun argument à opposer au borgne. Une simple conviction, peut-être un peu naïve, peut-être un peu idéalisée, de ce qu'avait été, ou de ce qu'était encore, son mari. Elle n'avait pas l'habitude qu'on lui parle de sa vie à elle, et encore moins pour la prendre en défaut. Elle se remit debout, dardant des yeux brillants de colère sur l'unique pupille de Théophile.

- Vous ne voulez pas vous remarier parce que vous la pensez toujours là ? Et pourtant vous regardez d'autres femmes, vous touchez d'autres femmes alors que vous la pensez encore là ? Vous vous trouvez simplement des excuses, rien de plus ! Je ne vous ferai pas l'affront d'attaquer votre défunte femme, parce qu'il se trouve que j'ai moi des principes !

Le doute commençait à la ronger. Et si... Et s'il avait raison ? Elle s'en voulait de s'en prendre ainsi à une pauvre âme égarée. Mais il était trop tard pour reculer sans perdre la face. Alors elle s'entêta sur le sentier dangereux, et souvent injuste, de la colère.

- Oui ! Vous pensez mieux valoir que les autres ? Einar, lui c'était un homme droit ! Lui, au moins, est peut-être tombé au combat contre la Fange ! Quand vous, vous vous êtes enfui face au danger !

« Moi j’ai des principes »

Autant dire qu’elle l’accusait carrément d’être un goujat, et même pire ! Un truc qui se rapprochait de ces arracheur de dents, dont la seule occupation était de flouer la clientèle…C’était un sacré coup pour son égo, surtout que l’honneur était un des principes qui avait toujours dirigé sa vie.
S’entendre dire qu’il était un homme sans droiture et pleutre asséna un coup supplémentaire à sa fierté masculine.

Théo se cacha les yeux de sa main gauche, le coude en appui sur sa cuisse, arrondissant son dos . Comme si ainsi, il se protégeait du monde. Il avait seulement besoin de se reprendre après autant d’atteintes à son lui profond en si peu de phrases. En temps normal, il aurait vite répliqué. Sauf qu’il n’aurait pas eu d’introspection après une garde mouvementé et un problème de gosses à gérer et une jolie prêtresse à cheval sur les règles désuètes du temple.

Encore une fois, c’était les mêmes reproches qu’on lui faisait, et la même chose qu’on lui serinait…

Mariage

Fidélité

Bon croyant

Honneur

Principes

Toujours la même chose qu’on attendait de lui. Et honnêtement, il n’avait jamais été le plus doué des hommes en la matière. Certes il obéissait aux ordres, mais pour la manière...elle n’était pas toujours aussi tranquille et calme qu’on attendait...Et quant à sa vie privée, il n’avait jamais fait que ce que lui voulait. Autant dire que les sermons répétés lui donnait surtout envie de ne pas écouter...Qui a dit que les hommes mûrissaient un jour ?

Des soubresauts secouèrent son buste, avant qu’un léger rire ne se fasse entendre, augmentant de volume au fur et à mesure. Lorsqu’il finit par tourner légèrement la tête, il darda la prêtresse.

« Cette discussion est irréelle, elle a au moins eu le mérite me confirmer qu’il y a chez vous autant de passion que je le pensais. Dommage qu’elle soit laissée à l’abandon...En tous cas, la seule chose pour laquelle vous avez visé juste à mon sens est bien que j’ai été lâche. »

En se relevant, le soldat murmura quelque chose pour lui-même, levant les yeux au ciel.

« Quitte à ce qu’on soit dans l’absurde…. »

Il se positionna devant Soeur Colère et lui présenta sa plus belle révérence. En se relevant, il n’était que malice, de son sourire taquin, jusqu’au pétillement de sa pupille unique.

« Gudrun, épousez-moi. Nous réglerons ainsi tous nos soucis. Je vous promet de ne pas vous aimer pour que vous puissiez chérir votre incarnation de la droiture, mais de je vous vénèrerait de tout mon soûl, et vous uniquement ! Je n’irais ainsi pas batifoler. Et de votre côté tous les Père Thomas du Temple vous lâcherons la grappe et vous pourrez distribuer vos sermons sur le mariage en toute légitimité. C’est une bonne offre non ? Malgré ma couardise, j’ai beaucoup de tendresse à donner vous savez. »

Allait-elle se mettre encore plus en colère ? Tant qu’elle arrêtait de lui rabattre les oreilles, elle pouvait tout à fait faire éclater sa rage aussi fort qu’un coup de tonnerre. Oh, c’était même mieux ainsi ! Non seulement il pourrait à nouveau se délecter de son délicieux faciès imprégné d’un emportement absolu, mais en plus il y avait de fortes chances pour qu’elle le déclare comme cause perdue. Et afin d’être sûr d’arriver à l’un ou l’autre des résultats, tout du moins, il en rajouta une couche.

Sa voix se fit enjôleuse alors qu’il fit jouer ses sourcils :

« Allez...dites oui ! Vous ne serez pas déçu par la marchandise... »

Elle avait lâché ses derniers mots sans trop y réfléchir, les regrettant dès qu'ils étaient sortis de sa bouche. Silencieuse, nerveuse, elle regarda Théophile qui semblait soudain abattu, inquiète d'avoir été finalement trop loin pour les nerfs de ce pauvre garçon. Comme si elle valait mieux que lui... Ses doigts trituraient machinalement l'attache de son manteau qu'elle avait sur les genoux, n'arrivant pas à s'excuser pour ces mots trop durs. Jusqu'au moment où le soldat se mit à rire. Doucement d'abord, puis enflant jusqu'à un rire franc et sonore, s'achevant sur un regard perçant qui ne la mit que plus mal à l'aise. Lâche...

Il s'était relevé, lui faisant désormais face, et exécutant un salut qui, s'il n'était pas des plus respectueux de l'étiquette, restait gracieux et poli. Ou du moins, il aurait pu être poli, sans cette expression malicieuse sur le visage de son auteur. Les paroles qui suivirent étaient tout aussi irrévérencieuses, et la firent bouillir d'indignation. Ses mains se crispèrent sur le manteau de laine.

- Mais je suis mariée ! Je... Bon sang ! Vous allez trop loin ! Le mariage, ça n'est pas quelque chose dont on peut se moquer comme ça ! Vous interprétez tout de travers...

Il jouait avec ses nerfs. Il arrivait que certains énergumènes y prennent du plaisir. Elle en avait d'ailleurs croisé un particulièrement irritant peu avant son départ de Sombrebois... Oui, cela arrivait. On s'y habituait. Mais quand on commençait à la prendre à parti personnellement, elle avait du mal à rester stoïque. Mais oui, cela arrivait. Et cela continuerait d'arriver. Elle ferma les yeux le temps de prendre une profonde inspiration, puis les rouvrit.

- Écoutez : je... je vous demande pardon pour vous avoir traité de lâche. Je ne sais pas si ce terme a encore un sens face à la Fange. Je veux dire que... Enfin... En cela, effectivement, je ne suis pas légitime. Mais concernant le mariage, je vous ai dit ma façon de penser ; et je ne demanderai certainement pas pardon de chercher la droiture. Si vous n'entendez pas ce que j'essaie de vous dire, tant pis, puisqu'il faut bien de tout pour faire un monde. Peut-être qu'un jour vous repenserez à mes paroles, et que vous changerez d'avis.

Elle scruta l’œil valide de l'homme en face d'elle, essayant de comprendre pourquoi elle s'était autant trompée sur son compte. Elle s'était peut-être leurrée toute seule, croyant trouver des similitudes entre elle et lui. De toute évidence, ils avaient deux avis radicalement opposés sur la question de l'amour et du mariage. Et elle-même n'ayant aucun doute sur la validité de son raisonnement, il était dans l'erreur la plus totale ! Alors pourquoi... Pourquoi ne voulait-il pas écouter ?

Sa pitrerie avait eu l'effet escompté ! Soeur Colère laissait tomber ! Les Dieux leurs en soit témoins, ça n'avait pas été chose aisée qu'elle cesse de le harceler avec ces histoires. Clairement, ce qui était important aux yeux du Temple n'était pas le bonheur de leurs ouailles mais plutôt les mariages et les enfants qui en découlaient. Après tout, pourquoi inciter les hommes à venir voir les filles d'Anür si les savoir avoir une vie heureuse était vraiment important à leurs yeux ? Mais pas question d'en faire part à sa compagne du moment...du peu qu'il la connaissait, il était presque sûr que Gudrun finirait par le gifler s' il s'engageait dans cette voie.

Son expression laissait clairement voir qu'elle avait rendu les armes à contrecœur. La prêtresse l'observait toujours comme si il était une âme perdue et qu'elle s'interrogeait entre le congédier ou le frapper. Même si il était content qu'elle le laisse tranquille, il ne pouvait pas partir sur cette semi-victoire au goût amer. Et bien qu'il aimait la passion qu'elle arborait dans sa colère, il n'était nullement question de la quitter en la laissant pester contre lui. Surtout qu'au final, elle ne cherchait qu'à l'aider, non ?

L'archer s'accroupit devant la femme et posa ses mains doucement sur ses genoux, sans aucune tentative de séduction, essayant plutôt d'attirer son attention. Il aurait bien été tenté de les glisser sur ses mains encore serrées, mais il n'était pas sûr qu'elle apprécie cette attention à sa juste valeur. Effaçant toute trace d'amusement, Théo se fit plus doux, abaissant sa voix.

« Ce n'est pas que je n'entends pas Soeur Gudrun. Au final je suis comme vous, je suis toujours marié. Certes je vis l'absence d'Alice de manière différente et si vous, vous arrivez à survivre à la solitude, ce n'est pas mon cas. »

Se réveiller seul, dans le lit de la caserne, différait tellement de ce qu'il avait connu auprès d'Alice...La tenir dans ses bras, embrasser sa nuque pour la faire émerger du sommeil, l'aider à se préparer tout comme elle le faisait pour lui...toute la tendresse et l'amour qui remplissait leur maison étaient réduites à néant. Elle avait toujours été à ses côtés, depuis leur enfance et désormais elle n'était plus là pour le guider. Et le vide que cela laissait était bien trop effrayant la plupart du temps. Alors tout ce qu'il avait trouvé c'était de se plonger dans les affres des bordels et le lit des veuves consentantes.

« Mais je ne peux pas non plus faire le serment de mariage à quelqu'un. C'est au-dessus de mes forces. Je ne peux pas promettre à une femme ce qu'elle mérite quand on s'engage là-dedans. Ce serait un mensonge et nous serions tous les deux malheureux. Alors même si ma façon de vivre vous dérange, ne tentez plus de me faire la leçon à chaque fois que vous me voyez. S'il vous plait ? »

Il se releva et regarda vers la tente de soin, évitant le jugement que portait Soeur Gudrun sur lui en ce moment. Il n'était pas suffisamment en forme pour ne pas le prendre personnellement. Pourtant il était hors de question pour lui de la savoir fâchée contre lui. Son opinion avait de l'importance, sans qu'il sache pourquoi. Or jusqu'ici, on ne pouvait pas dire qu'elle l'avait vu sous son meilleur jour...

« Et donc pour en revenir aux enfants, êtes vous sûre que je ne pourrais pas le voir aujourd'hui ou demain ? J'aimerais pouvoir lui parler avant de repartir à Marbrume. Le problème c'est que je ne sais pas quand nous devons rentrer. »

C'est ainsi, avec le sourire le plus éclatant qu'il avait en réserve, qu'était clos le sujet de son mariage. Ni lui ni Gudrun ne comptait en démordre, et son petit coeur ne supporterait pas d'autres introspections pour la journée. Se rendre compte qu'il n'avait jamais considéré Alice comme morte et que son absence le tourmentait plus qu'il ne voulait l'avouer était suffisamment bouleversant pour aujourd'hui...

Finalement, Théophile semblait revenir à la raison. Ou du moins, il semblait reconnaître que sa provocation avait été un peu trop loin. Elle l'écouta débiter ses fausses excuses à nouveau, avec un soupçon de tristesse et d'amertume.

Survivre simplement, ce n'était pas vivre. Et c'était bien les dieux qui la faisait tenir debout. Elle aurait aimé le persuader lui aussi de s'appuyer dessus, au lieu de gaspiller ses forces dans des activités et des relations futiles et inutiles, mais rien à faire : il ne parvenait pas à adopter son point de vue.

Elle hocha la tête lentement, un peu déçue de cet échec. Si elle n'avait pas réussi à le rallier à sa cause, lui, en revanche, avait eu quelques mots qui avaient fait mouche. Elle avait l'impression de voir un reflet d'elle-même, une version qu'elle aurait pu devenir, si elle n'avait pas eu ses convictions profondes. Elle avait peu de doutes au sujet du sort d'Alice et de la nécessité du remariage du jeune homme ; alors pourquoi en avait-elle au sujet de son mari ? Tourner la page n'était pas quelque chose d'aisé, et elle ne pourrait pas le convaincre si elle n'y arrivait pas elle-même. Mais cela, il était hors de question de lui avouer.

Elle fut heureuse qu'il change de sujet. Il n'y avait rien de plus à ajouter au sujet de leurs conjoints disparus. Elle lui sourit tristement.

- Je repars dans deux jours. Vous pouvez toujours essayer demain, s'il est réveillé. Quoi qu'il se passe, peut-être que des mots réconfortants lui feraient du bien. Lui donneraient de l'espoir, quelque chose auquel s'accrocher. Et s'il ne reste pas éveillé suffisamment longtemps... Vous devriez peut-être parler à sa sœur. Elle m'a l'air encore un peu chamboulée, mais elle survivra. Comme nous. Chacun à sa façon.

Elle poussa un grand soupir et se releva, étirant ses jambes raides d'être resté assise sur ce rocher inconfortable.

- D'ailleurs... Je vous ai fait la leçon, oui. Mais je ne la répèterai pas, soyez sans crainte là-dessus. Chacun doit assumer ses actes, c'est maintenant à vous de décider, en votre âme et conscience, comment vous voulez vivre. Bon courage pour sauver ces enfants Théophile !

Et elle s'en retourna à son devoir, comme toujours.