Visite nocturne (PV Clarence)

Il peut en effet advenir tout et n’importe quoi dans ce genre de situation. Pourtant, Clarence n’a pas le choix. Le petit pactole qui l’attend chez Madame Rose est conséquent, il servira à remette la maison en ordre sur presque tous les points, acheter des matières premières, offrir de jolies choses, d’utiles choses, à sa chère sœur qui travaille si dur. Le jeu en vaut la chandelle. Grâce à cela, elles pourraient peut-être faire en sorte que leur maison devienne une pension pour dame, par exemple, un petit revenu substantiel qui leur permettrait d’entretenir la demeure familiale et de ne surtout pas la perdre. Il faut qu’elle réussisse…alors elle réussira, il n’y a pas d’autres options.

- J’improviserai…Je suis assez douée pour raconter des histoires, Monsieur le Comte, c’est même mon passe-temps favori.

Relevée par Victor, elle le laisse la contempler, tout en écoutant ses confidences. Ainsi, il convoite Dame Rose ? L’étrange désir que voilà. Clarence ne lui connait aucun amant, elle est d’une discrétion farouche à ce sujet, jouant de sérieux et de réserve en plein lieu de débauche. La rousse ne peut s’empêcher de hausser un sourcil. Dame Rose connait bien des secrets, des choses, des pratiques étranges apprises en d’autres lieux, c’est une femme rouée, intelligente et implacable quand il s’agit de défendre ses intérêts. Il n’y a absolument rien de romantique chez elle, elle n’éveille que la passion éphémère pour qui est sensible aux esprits de métal, aux engrenages et aux fourberies onctueuses, rien de plus.

Quant à l’avenir de Clarence, là…La jeune femme ne comprend pas bien où veut en venir le Comte. Il semble tout tracé, cet avenir. La galanterie tarifée jusqu’à ce qu’elle accumule assez de fonds pour en sortir et mener une vie honnête, aider sa sœur, les pauvres, les prêtres au Temple, et peut-être, en toile de fond…rencontrer un homme chevaleresque, un vrai gentilhomme qui ferait d’elle sa bien-aimée chérie entre toutes, comme dans ces histoires qu’elle aime. Le rêve par-delà la crasse et le stupre.

- Un stylet…Mais…C’est une arme, cela. Enfin Monsieur le Comte, je suis d’une gaucherie à peine croyable avec ma propre fourchette, comment voulez-vous que je manie une telle chose ?

L’idée lui semble si baroque qu’elle en a un rire léger, un rire qu’elle dissimule derrière ses longs doigts, les yeux plissés par la joie.

- Je sais où frapper pour faire mal, Monseigneur, un coup de genou bien ajusté peut parfois vous sauver d’un homme un peu trop envahissant. Une technique apprise au Jardin et qui a un effet immédiat. Un tel coup, si indigne, porté par une dame en robe de velours…Il ne le verrait probablement pas venir, puisque ce n’est pas, me semble-t-il, dans les usages que l’on enseigne aux nobles dames…C’est du moins c’est ce que j’ai cru comprendre dans les récits qui racontent…votre monde.

Le rire a cessé, elle retrouve son séreux.

- A moins que votre noble cible porte une armure sur son entre-jambe, ce qui ne sera à priori pas le cas puisque c’est relativement gênant pour danser, il sera donc tout aussi vulnérable que les autres sur ce point, j’ai donc cette possibilité-là. Cela dit, si vous y tenez, je peux emporter une arme, oui, mais rien ne garantit que je puisse m’en servir, je n’ai jamais utilisé cela de toute ma vie.

La jolie fleur du jardin des plaisirs ne manquait pas de surprendre son hôte et cette manière qu'elle avait de rire en dissimulant son sourire derrière sa main lui donnait presque un air juvénile et oisive. Pourtant, derrière cette façade, Iris démontrait beaucoup maîtrise et de réalisme allant jusqu'à accorder au Comte sa maladresse totale une arme à la main. Mais, elle ne se montrait pas sans ressource pour autant, suggérant au mondain sa propre façon de se sortir d'une éventuelle mauvaise passe.

Forçant le sourire de Victor, la fille de joie n'avait aucunement tord. Un coup bien placé de genou mettrait certainement hors jeu la cible humaine et masculine, alors autant lui faire confiance.

- J'ai une règle d'or. Toujours trouver un consensus avec mes partenaires d'affaire. Ainsi, je ne vous forcerais pas à porter la moindre arme.

Lui aussi cessa de sourire regagnant son sérieux.

- Lorsque vous aurez achevé votre déjeuner, il sera temps de vous imprégner de l'univers qui sera le votre durant cette fameuse réception. Par là, je vous montrerais les plan intérieur de la demeure où vous réaliserez votre larcin. Mais vous aurez également à apprendre comment se déroulera une telle soirée et quels gens vous allez cotoyer ainsi que les détails concernant votre future victime. J'ai évidemment pu me procurer la liste des invités. Vous pourrez, à digestion de ces informations, vous forger votre propre couverture.

Il l'examina une fois encore de la tête au pied et rajouta.

- Vous aurez à choisir également votre toilette, de vos sous-vêtements jusqu'aux moindre bijoux que vous porterez. Bien entendus ces derniers me seront restitués. Voilà comment se dessinera votre journée. Bien entendu le jardin vous sera accessible au besoin. Ce programme vous sied ?

Clarence semble se détendre. Victor garde une distance, il n’est pas là uniquement pour profiter de la situation, il veille juste sur ses intérêts. Des intérêts tous entiers représentés par la jolie silhouette de la jeune femme qui s’éloigne de lui pour déambuler dans la pièce, le nez en l’air, le sourire enfin revenu, apaisée par le fait qu’il ne cherche en rien à prendre avantage de son ascendant.

- Je ne connais de votre monde que ce que j’ai pu en lire et je pense que c’était curieusement romancé. Dans les histoires, si belles, que j’aime tant…Il y a des lierres, des chansons, de la poésie, des romances…De si jolies romances, Monsieur le Comte.

Elle passe ses doigts fins sur les beax meubles, juste heureuse de sentir leur patine sous sa paume.

- Ceci est un rêve pour moi, vous le savez, si je parviens à mes fins et sans encombres, j’aurai sans doute vécu ce que j’ai toujours voulu vivre, même si cela doit s’arrêter. Alors j’ai hâte, oui, grande hâte de voir cela de plus près, de jouer ma partition sans la moindre fausse note et pour cela, je dois demander, questionner, la personne qui me semble la plus à même de répondre à mes questions…

Clarence se retourne, amusée, pour planter ses deux émeraudes dans les orbes d’azur du Comte.

- Vous.

Elle continue sa déambulation, très à l’aise sous les lourds velours, comme si elle en avait porté toute sa vie.

- Vous rappelez-vous votre premier bal, Monsieur le Comte ? Quelles sont les choses qui ont attiré votre œil d’alors ?

La question n’est pas innocente. Il est la meilleure source de renseignements qu’elle puisse obtenir et il est un homme. Peut-être pourrait-il la guider dans le choix d’une tenue, de bijoux, de ce qui est acceptable de porter lors d’un bal et ce qui ne l’est pas.

Certains signaux corporels semblaient tout indiquer que la rouquine retrouvait sérénité dans cet environnement qui avait soudainement semer le trouble dans son esprit. Victor avait donc su adopter l'attitude qu'il fallait pour retrouver le naturel enjoué de cette précieuse fleur. Pour confirmer cette sensation, le mondain reçu un discours portant sur la romance de cet univers qu'elle espérait tant toucher du bout des doigts. En retour, le Comte lui sourit, sans porter le moindre jugement, il n'y avait rien à dire après tout.

Les répliques de la jeune femme se succédèrent et sa lucidité s'en montrait de plus en plus pertinente, gage que Rougelac avait une fois de plus fait le bon choix en portant son dévolu sur cette arme à la fois douce mais qui pouvait s'avérer terriblement efficace. Il la laissa déambuler et par le fait irradier la pièce de sa prestance de femme de la haute, même si cela n'était que façade. Pourtant, se dégageait de ce petit bout de femme un potentiel énorme et si peu exploité jusqu'alors.

Sa dernière question n'était pas innocente, il le savait et Victor resta songeur un instant, fouillant dans sa mémoire pour ce rappeler de son premier bal et de ce qui l'avait enthousiasmé.

- Les apparences.

Lança-t-il presque mécaniquement avant de finalement reposer son attention sur son interlocutrice.

- Personne ne peut nier que l'œil humain est attiré par ce que l'on convoite, parce que l'on n'a point. Ou encore de ces couleurs, peu communique qui attire vos pupilles et... devrais-je aussi évoquer les senteurs. Un parfum peut vous faire tourner la tête en pleine discussion car il interroge vos sens. Si l'on ne peut se démarquer par la toilette, une simple attitude, un grain de voix, une effluve, peuvent la remplacer et obtenir l'effet recherché.

Il se rapproche d'elle, à pas de velours, tel un loup, certes sobre, mais qui étudie sa proie.

- Les couleurs peuvent démentir. La preuve, j'en suis le parfait contre exemple. J'aime à me draper d'obsidienne et cela parfaire le personnage que je cherche à façonner devant les gens. L'on me craint ainsi sans pour autant faire fuir, l'on me respect également, par une simple touche argenté dans quelques coutures. Le tout doit en tout cas être harmonieux et cohérent sans faute de goût.

Avait-il répondu aux attentes de la donzelle ? Victor avait au moins le mérite de donner une forme de répondant, certes indirect, mais palpable.

- Les apparences ?

Elle ne se retourne pas de suite, elle le laisse expliquer, tout en regardant les lieux d’un air pensif. Clarence finit pourtant par sourire, en écoutant les paroles du Comte.

La jeune femme connait cette partition là par cœur, elle la maîtrise et en joue tous les jours, pour garder sa couverture intacte. La couverture d’une gentille et douce fille de bourgeois, un peu rêveuse et candide…Et elle y tient à cette couverture, parce qu’elle dissimule une partie d’elle-même qu’elle refuse de partager avec la seule personne qui compte, sa propre sœur. Il est crucial que Clémence n’apprenne jamais rien de ses coupables occupations, cela pourrait la tuer, sans le moindre doute. La tuer de chagrin ou de déception. Alors, oui, elle garde cette image de jeune fille romantique pour cacher le reste, les choses honteuses, les journées difficiles où elle revient pourtant à la maison avec des petits cadeaux pour sa grande sœur...

- Vous avez raison, on convoite souvent ce qu’on ne peut obtenir…

Elle, elle convoite l’amour. Le vrai. Pourtant, elle sait que cela n’arrivera sans doute jamais. Pas après avoir vendu son corps aussi longtemps dans une maison de passe, personne ne veut d’une prostituée pour épouse. Et l’amour ne tient jamais longtemps face au déshonneur ou la honte, à ce qu’on dit.

- …mais il arrive parfois qu’on puisse toucher du bout des doigts l’objet d’une convoitise, il suffit de s’adapter pour s’en approcher. Un peu comme je le fais en cet instant.

Clarence se retourne pour voir le Comte approcher et ajoute, de sa voix douce :

- J’ai toujours voulu déambuler sur l’Esplanade, voir une maison de noble sang de plus près, et je suis ici, dans la plus belle demeure en compagnie du seigneur le plus influent. Tout cela parce que j’ai su m’adapter. Ainsi que je le fais avec chaque client, depuis toujours. Vous voyez ? Si je dois m’adapter à cet homme, je le ferai. Comme je le fais depuis si longtemps. C’est dans ma nature, d’agir de la sorte. Je ferai donc ce qu’il faut pour que votre cible me convoite, alors. Cela dit, pour que je sois efficace, il faudrait me renseigner un peu sur cet homme. Que savez-vous de lui, par exemple ?

La prostituée a un petit rire qu’elle dissimule à nouveau derrière sa main.

- Si je puis donner un avis, le noir ne vous sied pas vraiment, cela attriste votre teint. Le rouge vous irait nettement mieux, Monsieur le Comte. Du rouge et de l’or. De la flamboyance et du panache.

L'analyse ainsi qu'une certaine forme de compréhension mutuelle semblait se renforcer entre les deux protagonistes, devisant chacun leur tour pour trouver un socle commun à leur perception des éléments fondamentaux de la de la haute. Clarence savait, avec une efficace pertinence à convaincre son hôte et s'approprier, de fait, le rôle qu'elle allait jouer tout en profitant de la situation pour toucher du doigts ses rêves. C'était après tout un bon compromis où chacun tirait avantage de cette collaboration.

Si de fils en aguille les propos allaient se focalisé sur l'individu qui serait la cible de cette intrigue, iris ne cacha pas son opinion divergente à celle du mondain qui lui faisait face au sujet de ces gouts vestimentaire ce qui provoqua le sourire de ce dernier, fort ravi de voir la jeune femme s'exprimer sans retenue aucune.

- De la flamboyance et du panache vous dites. Je réserve ces couleurs lorsque je regagnerais ma place à la Cours du Roi. Je préfère pour l'heure choisir une certaine forme de modestie.

Un autre sourire bien malin s'affiche sur son visage cette fois-ci avant que le Comte n'offre son avant bras à la jeune femme.

- Et si nous évoquions votre proie dans ce cadre verdoyant que vous sembliez tant convoiter ? Allons au jardin.

Ce ne sera que lorsque le duo descendit l'étage pour se rendre sur la terrasse extérieur que Victor reprit la parole en initiant les premiers pas de cette promenades au cœur d'une enclave de verdure.

- Voyez-vous, ce fameux banneret est un puissant armateur du port qui possède une certaine influence. Il agit pour le compte d'un personnage bien plus haut placé que moi et mes amies souhaitons en quelque sorte affaiblir. Je sais qu'il est marié depuis vingt années déjà. Victor s'abstient d'indiquer qu'il possède 5 enfants, fruit de cette union. Il a quelques péché mignon tel que les jeux d'argents et l'hydromel, mais il est un mari fidèle à ce que je sais.

Les pas du mondain mène le duo devant un petit massif de plantes où semblait s'épanouir, sous la tutelle d'un ravissant muret de pierres, une magnifique glycine dont els fleur commençaient tout juste à éclore.

- Splendide n'est-ce pas ?

La main posée sur l’avant-bras de Victor, Clarence se laisse mener le plus tranquillement du monde vers le jardin, arpentant les pièces, couloirs et salon de la demeure du Comte avec élégance, une élégance naturelle qui se déploie en ces murs avec la puissance d’une révélation. Elle est radieuse, de cette beauté resplendissante qui ternit même les ors du manoir Rougelac. Et pourtant, sous cette apparence noble et distinguée, il y a le cœur d’une presque gamine qui bondit de joie à chaque nouveau pas. Tout ce qu’elle voit, elle le voit pour la première fois et il lui faut beaucoup de maîtrise pour ne pas s’éloigner de lui, s’écarter, approcher ici un tableau, là-bas une sculpture…

- Donc…un armateur du port ? Vraiment ?

Arrivé dans le jardin, elle prend le temps de regarder cette fois, les yeux grands ouverts sur ce qui semble un petit coin de paradis. Son paradis rêvé. Il y a absolument tout ici, tout ce qu’elle aime ou presque. S’il y avait Clémence ici, dans ce jardin, son bonheur serait total. Là, elle évolue au milieu des fleurs de printemps, ne résistant plus au plaisir de passer ses longs doigts sur les pétales odorants, toute émue par cette vision enchanteresse.

- Je me rends tous les matins au port, il y a tant à voir là-bas Monsieur le Comte ! Les grands navires aux voiles pliées sur les mats, les bateaux qui déversent leurs marchandises sur les pavés humides, les cris des hommes, les rires aussi, et cette odeur partout, vous savez ? Cela sent le sel, le vent, le poisson frais…la sueur aussi, la boue souvent et parfois la fumée…C’est très particulier mais il y règne toujours une ambiance absolument fabuleuse. C’est un peu comme si tout semble possible quand on perçoit cela…tout est possible, même les rêves les plus fous. Et puis ils ont toujours des histoires à raconter ! L’autre jour, l’un d’entre eux m’a rapporté un énorme coquillage blanc à l’extérieur et tout rose à l’intérieur…he bien figurez-vous qu’ils disent entre eux, ces marins, qu’il est possible d’entendre l’océan…la voix d’Anür aussi…Et les baleines, les dauphins ! Les requins !

Elle s’enthousiasme en une fraction de seconde, retrouvant un soupçon de candeur tout à fait personnelle, se penchant naturellement vers Victor comme s’il devenait un confident privilégié. Sa réaction devant les glycines sera sans doute à la hauteur de son émerveillement. Elle quitte le bras du comte cette fois pour s’avancer dans ce décor enchanteur, avant de de lever une main vers une de ces longues grappes de fleurs aux couleurs tendres.

- C’est tellement beau…Je n’ai jamais vu de telles fleurs, Monsieur le Comte, on dirait que le ciel lui-même a déversé ses merveilles pour les répandre chez vous…

Le regard émeraude est rempli d’une joie toute simple et se porte sur Victor, avec gratitude.

- Donc…vous me demandez de séduire un homme qui est marié à la même femme depuis vingt ans…

Elle reporte son attention sur les fleurs, pensive, touchant les petites corolles mauves avec ravissement.

- Les hommes mariés depuis si longtemps le sont par dépit, par ennui ou parce qu’ils aiment réellement leur épouse. Dans les deux premiers cas, je les reçois souvent. Dans le troisième cas, par contre, cela relève de la légende…je n’ai jamais rencontré de tels hommes…Ce sera donc une première pour moi. J’accompagnerai mes conversations d’hydromel au besoin pour l’aider à se détendre.

Un petit rire la prend, une abeille vient de s’échapper d’une fleur, elle suit l’envol de l’insecte, amusée avant de regarder Victor.

- Quel nom devrai-je porter ce soir là ?

Clarence est en effet radieuse, resplendissante au bras du Comte de Rougelac. Et alors qu'ils déambulaient dans les couloirs du manoir puis dans ce charmant jardin, Victor ne pu s'empêcher de se rappeler que la femme a ses bras était une putain, une fille de joie qu'on payait pour assouvir les plaisirs de la chair. Le contraste était saisissant tant l'Iris était douée pour paraitre tout le contraire de sa profession, mais pour sa défense, elle était fille de notable et de fait douée d'une éducation exemplaire.

La rousse s'exprimait sans retenue, comme si devant ce personnage aussi influent et dangereux, elle n'avait nul peur ou hantise de concédait quelques aveux sur sa vie personnelle. Elle décrivait l'atmosphère qui se dégageait du port avec beaucoup de détails et de réalisme, se plaisant même à rebondir sur une anecdote de marin et de coquillage. Définitivement, Iris était un personnage touchant, pétillante de vie et de naïveté mais pourtant à l'esprit acéré et terre à terre. Son enthousiasme était tel qu'elle allait jusqu'à se pencher sur le mondain et le prendre en qualité de confident avant que le plant de glycine, devenu arbre ne retienne toute l'attention de la jeune femme dont l'émerveillement grandissait.

Le regard de la fille de joie de sang notable ne laissait plus aucun doute sur cette forme de gratitude qu'il exprimait. La jeune femme avait bien comprit ce qui l'attendait et surtout le profils de l'homme qu'elle avait à séduire. Sa déduction semblait payante et Rougelac applaudissait intérieurement cette vivacité d'esprit dont elle faisait preuve avant qu'encore une fois, un élément de la nature ne vienne perturbé la concentration de la resplendissante invitée du Comte. Tout du moins c'est ce qu'il cru, avant que Clarence ne la surprenne une fois de plus en recadrant d'instinct son attention sur lui.

Un sourire satisfait aux lèvres, l'homme garde pourtant le silence et vint regagner le bras de la donzelle tandis que sa main libre décroche la base d'une des glycine à la coloration pourpre pour ensuite glisser la tige de la fleur derrière l'une de ces oreilles.

- De La Broye... cela vous ira fort bien. Il s'agit d'une maison de notable faisant commerce du sels et marais salants dans les rivages proches de Marbrume. L'on a plus guère entendu parlé de cette Maison depuis la disparition de sa matriarche, madame Kristina, prêtresse de métier et...

Il s'incline l'égèrement, ses lèvres flirtant avec le lobe d'oreille d'Iris.

- ... ma maîtresse par excellence. Une douloureuse perte pour moi, il y a de cela... deux ans je crois.

En effet, Kristina avait été la Muse du Comte et sa qualité de prêtresse lui permettait aussi d'obtenir bien des concessions de la part de son amant. Mais sa disparition avait laissé un énorme vide dans l'entourage de Rougelac qu'il n'avait jamais su comblé, même avec ses autres amants, fiancées et épouse. Victor pouvait s'offrir le luxe de cet aveux, après tout, la page était depuis longtemps tournée, mais ce nom lui était venu presque spontanément et qui puis est il y avait un point commun entre cette famille et celle de la cible : l'océan.

- Vous vous ferez passé pour une cousine proche de feu le couple de La Broye ou tout du moins de ce qui entour la disparition de madame, monsieur étant décédé depuis fort longtemps déjà. Cela vous sied ? Quand au reste, vous avez en effet tout comprit. Votre tâche sera ardue, mais je gage que quitter votre zone de confort face à des hommes plus dociles et sensibles à vos charmes, vous procurera une adrénaline particulière ?

- Iris de la Broye…C’est très joli, presque poétique.

Le regard de Clarence s’illumine une fois de plus. Bien entendu, son vrai prénom reste en dehors de cette transformation.

- Et compte-tenu de ce que je sais déjà en matière de vie marine, je suppose que cela nous donnera donc l’occasion de trouver des sujets de conversation assez facilement. Cela facilitera peut-être les choses.

Victor est tout proche désormais, penchée vers elle, les lèvres caressant brièvement son oreille garnie d’une fleur de glycine. La jolie rousse, elle, reste de marbre, enveloppée pourtant par une odeur de bois et d’épices, la fragrance du Comte qu’elle reconnait sans difficulté. Elle tourne le visage légèrement de côté, la gorge sèche, cachant son trouble sous une légère toux.

- Cela me convient.

Le Comte de Rougelac peut avoir toutes les maîtresses qu’il veut, évidemment. Pourtant, il semble parler d’elle avec une certaine affection. Et Clarence ne préfère pas s’engager sur ce genre de discussion un peu sensible, par respect de cette personne disparue.

- La seule chose qui me motive, Monseigneur, c’est la perspective de pouvoir offrir à ma famille un petit confort après cette expédition. Je n’ai pas d’autres ambitions que celles-là…revenir chez moi avec ce dont nous avons besoin, pour que, ne serait-ce qu’une fois…ma sœur puisse dormir une vraie nuit de sommeil et trouver au réveil du bon pain frais et tout ce qu’elle aime manger. Séduire est mon métier. Je n’y trouve aucun attrait sinon celui de l’argent facile, en quantité. C’est pour ça que je suis ici. Séduire, réussir, rentrer chez moi avec tout ce qu’on m’a promis.

Clarence replace le plus familièrement du monde le col de la tunique du comte, légèrement placé de travers, le tout d’une seule main légère et délicate, tout en discutant de sa voix douce.

- Quitte à être une pécheresse, autant ne pas être une pécheresse malhabile. Voilà pourquoi je m’adapte toujours à chaque client au lieu de leur demander de s’adapter à moi. C’est une chose que les autres fleurs ne comprennent pas.

Elle dépose sa main sur le velours de la tunique au niveau du coeur, avec un sourire, avant de le regarder, un regard franc et droit, doux et pourtant sans équivoque.

- Il en sera de même pour cet homme, comme il en a été pour vous, Monseigneur. Je ferai mon travail, tout ce que j’attends en échange, c’est un paiement à la hauteur du risque encouru. Vous m’avez déjà proposé un petit séjour en votre résidence de Nerra, cela sera ma plus belle récompense, sans aucun doute, mais j’ai besoin d’autres choses, pour le bien de ma famille. C’est cela, qui me motive, avant tout le reste.

La main de Clarence se pose sur le visage de Victor en un doux mouvement léger.

- Même les putains ont des rêves, Monsieur le Comte. Et des personnes qui comptent dans leur vie. Je n’en ai qu’une mais je ferais absolument tout pour ma sœur. Même ce pour quoi vous me payez. Voilà pourquoi je n’aurai aucun scrupule, lors de ce bal. Et pourquoi je n’en ai pas davantage, quand je travaille au Jardin. Doutez-vous encore de moi, Victor ?

Clarence avait depuis longtemps convaincu le mondain, mais la jeune femme préférait ne laisser aucun doute planner sur son engagement. Elle jouerait sa partition non pas par plaisir mais par nécessité, celle de faire vivre sa famille et plus particulièrement rendre plus agréable le quotidien de sa sœur. Le seul risque dans cette affaire était qu'un jour, Clémence découvre le poteau rose, mais cela n'était pas la préoccupation du Comte de Rougelac. S'il semblait sensible au discours d'Iris cet élément de comptait aucunement dans l'équation.

La rousse semblait en tout cas poser et entretenir son emprise sur l'influent personnage qui lui avait ouvert les portes de son Manoir et de son jardin. Clarence avait tout pour elle, à l'exception d'une chose, sa liberté, car elle n'avait pas choisi de vendre son corps, mais s'était résolu à exercer ce métier par l'appât du gain facile. Un léger frisson parcouru l'échine de Victor lorsque la fille de joie rajusta son col avant de poser une main sur le velours de sa tunique à hauteur de cœur. Hmmmmm qu'elle était tant désirable, au point d'en faire oublier au Gouverneur du Sud son attrait pour Madame Rose.

Consciente des risques et des conséquences de sa participation à cette entreprise malsaine afin de faire tomber un homme, la jeune femme était un cas à part, une exception, une pépite qui n'avait son pareille. Elle semblait d'une grande maîtrise et se démarquait du commun des putains par sa clairvoyance et sa capacité d'adaptation. Elle comprenait ce que les autres fleurs ne pourraient jamais comprendre de leur vie et cela faisait d'elle une arme redoutable et si précieuse. Elle ferait son travail sans scrupule ni remord afin d'obtenir ce qu'on lui avait promis.

- Ce discours me plait. Et je n'aurais que deux choses à vous dire, croyez en vos rêves et faite ce qu'il faut pour me satisfaire.

La paume de sa main droite vint alors doucement glisser sur celle d'Iris qui était posée sur son visage, rajoutant.

- Si je puis me permettre, nous fêterons votre succès à la résidence de Nerra, avec ou sans votre jardinière. Vous prendrez vos dispositions à ce moment là.

Il ôte délicatement la main d'Iris de son visage avant de déposer ses lèvres sur le dos de la main de cette dernière, un bref instant avant que son regard océan ne se plonge dans l'émeraude doux et sincère de la jeune femme.

- Savez-vous que vous m'en faite oublier Madame Rose ? Vous savez ce que vous voulez et je sais ce que je veux. Je suis veuf et lasse de courir les jupons. Alors, tant que vous officierez au Jardin, j'aurais de quoi rendre votre quotidien plus agréable. La résidence de Nerra sera votre lieu de villégiature et notre lieu où s'exercera vos talents intimes.

Victor laissait ainsi sous entendre qu'il souhaitait entretenir cette relation tarifée tout en laissant la jeune femme profiter de la résidence secondaire du Comte afin de s'évader de son quotidien quand elle le désirerait. Sur ces mots, il lui offrit à nouveau son avant bras pour ainsi continuer cette promenade au parfum bucolique.

- Nous célèbrerons votre victoire où vous le souhaiterez, Victor. Cela étant, après avoir si joliment dépeint cette résidence, je suis désormais fort curieuse d’en voir le jardin…S’il est encore plus beau que celui que nous arpentons pour le moment, cela doit être une vraie merveille.

Un certain étonnement s’affiche, passager, sur le joli visage de Clarence alors que le Comte s’empare de sa main pour y déposer un baiser. Les hommes n’ont guère autant de prévention à son égard, en règle générale, ni autant de douceur à son endroit. Elle est surprise par cette démarche, ce mouvement léger et très élégant tout autant que par sa remarque. Oublier Madame Rose ?

- Voilà qui ne lui plairait guère…Madame Rose est entière dans ses passions comme dans ses haines…Et d’une jalousie sans borne. Je préfère sans aucun doute ne pas lui répéter ce que vous venez de me dire, Monsieur le Comte.

Pourtant elle sourit. Se savoir préférée à une femme accomplie à la séduction totalement assumée est gratifiant, un petit orgueil flambe à cette idée dans le cœur de la jolie rousse, une flamme qui teinte ses joues de rouge. La flatterie, cette arme redoutable…

- Dois-je comprendre que je ne dois réserver mes talents qu’à votre personne, désormais ?

Cela serait une réelle solution à tous les niveaux et règlerait pas mal de soucis de confidentialité. Un seul client plus ou moins régulier, dans un endroit discret et surtout inaccessible à toute autre personne que lui et elle, sa sœur ne saurait rien, personne ne saurait plus rien, à part eux deux. Il est riche, il la paierait sans aucun doute très bien, assez en tout cas pour qu’elle puisse augmenter ses propres économies et rénover leur habitation pour enfin concrétiser un petit projet qui leur permettrait de sortir d’un quotidien de labeur et de fatigue, de mensonges aussi. L’idée est extrêmement séduisante et lui plaît bien sûr.

Elle imagine Clémence, enfin libérée d’un emploi rude et difficile, avec de jolies joues roses, un ruban dans ses beaux cheveux, un sourire paisible, occupée à prendre soin des résidents de leur maison tandis qu’elle serait elle-même au fourneau à cuisiner de merveilleux plats. Tout serait parfait, elles seraient toutes les deux heureuses, de beaux partis, peut-être même qu’enfin un homme verrait Clémence telle qu’elle est, telle qu’elle la voit tous les jours. Clarence n’a pas de vœux plus chers que celui-là. Que sa sœur soit comblée après avoir passé tant d’années à prendre soin des autres. Et de sa petite sœur. Elle a prié jour et nuit pour qu’elle lui revienne, ses prières ont peut-être causé la mort de tous ces hommes qui lui étaient chers alors…elle veut tellement se racheter de ses petits désirs égoïstes. Tellement. Cette perspective de rédemption amène un joli sourire sur ses lèvres corail.

- Y a-t-il d’autres fleurs que vous voudriez me montrer, Monsieur le Comte ?

A la première réaction et remarque de la fleur du jardin des plaisirs, le Comte ne pu s'empêcher d'étirer ses lèvres pas peu fier d'avoir attiser la convoitise de la jeune femme sur ce jardin aux milles promesses situé au cœur de sa résidence secondaire.

- Je sais être convainquant et mes promesses ne sont jamais des paroles en l'air, sachez-le ma chère. Ce jardin n'est un prélude à votre évasion dans un univers aux milles merveilles.

La seconde réplique du Comte ne tomba nullement dans l'oreille d'une sourde et la préférence du Gouverneur du Sud donnait plus encore le ton à cette relation très particulière que souhaitait entretenir Victor avec cette fille de bourgeois déchu. Ce sourire qu'elle affichait alors, non sans promettre de ne rien révéler à Madame Rose, pouvait-il laisser présager qu'Iris serait en capacité un jour de surpasser sa mentor, voir même de nourrir des ambitions qui la ferait se désolidariser de cette dernière ? Rien n'était moins sûre, mais Rougelac avait par son attitude semer quelques graines dans l'esprit de la jeune femme qui n'attendait plus qu'à germer dans le futur.

La flatterie était certes une arme redoutable, mais elle ne faisait pas tout. Iris semblait alors tirer quelques conclusions de cette discussion alors que Victor continuait à la faire déambuler dans le jardin, la dirigeant à sa guise tout autant au sens propre qu'au sens figuré. Penchant légèrement la tête sur le coté pour venir laisser ses lèvres flirter avec une des épaules de la fille de joie, il rajouta dans un murmure.

- Si vous êtes en capacité de convaincre Madame Rose de me réserver votre exclusivité... Mais là sera une autre épreuve pour vous. D'autant que Madame Rose ne sera pas aise à accepter je présume, d'autant qu'il s'agit de ma personne, je ne suis pas certain qu'elle ne s'en trouverait point jalouse d'accepter ce contrat des plus original.

La balade semblait s'achever et d'ailleurs, Iris semblait le ressentir, interrogeant finalement son hôte quand à la suite d'une éventuelle découverte florale.

- Rien qui ne me porte ou vous porterez intérêt ma chère Iris. Si vous n'avez point d'autres désidérata, nous regagnerons le manoir. La prochaine étape est celle que vous savez. Non sans en informer votre jardinière. Je vous offre l'opportunité de jouer sur deux tableaux, dont vous incarnerez l'élément majeur qui les transformeraient de simples œuvres à des chefs-d'œuvre.

Voilà des mots qui signaient une conclusion des plus prometteuse. Iris avait entre les mains des cartes qui lui permettaient d'étoffer son jeu. Elle n'avaient plus qu'à les saisir et les abattre aux moments opportuns.