Visite nocturne (PV Clarence)

Abielle avait donc finalement prit congé dans la soirée, laissant le manoir se baigner dans une douce lumière offerte par quelques bougies et chandeliers disséminé de ci de là dans les couloirs du vaste bâtiment à étage. La gouvernante avait bien évidemment prévenu le maître des lieux du départ de la préceptrice alors que ce dernier c'était reclus dans son office pour peaufiner quelques sollicitations écrites à l'endroit d'influents personnages de la capitale. Reposant finalement sa plume dans l'encrier, le mondain se décida alors à mettre fin à ses travaux, s'emparant d'un chandelier pour alors traverser l'étage du manoir en direction de la chambre d'ami où avait été installée la jeune femme, pion centrale de l'intrigue qu'il avait murement réfléchi et planifiée en compagnie de la Favorite de la Reine Eugénie.

La porte avait été laissée entre ouverte et une faible lueur filtrait de la chambre qu'occupait Iris. Telle une ombre, le Comte glissa furtivement dans la pièce alors que le manoir s'en trouvait endormi, chaque domestique ayant regagner leur pénates. La dernière bougie dans la chambre, luttait jusque là pour ne pas s'éteindre et un léger appel d'air vint finalement lui faire rendre l'âme. Victor balaya alors la pièce de son chandelier pour finalement détecter la présence de la fille de joie qui semblait s'être assoupi devant une console.

S'y avançant prudemment, il put observer que la jeune femme avait passé la fin de soirée à écrire, tenant encore du bout des doigts la plume dont l'encre venait de sécher. Avec une infinie précaution, il récupéra l'instrument pour le replacer dans l'encrier avant de se rendre compte que les meubles avaient été bougés. Interloqué, Rougelac laissa pour plus tard son questionnement, se décidant à poser sur un meuble le chandelier dont les trois flammes semblaient exécuter une danse presque sensuelle.

D'un index, le Comte effleura la nuque de la jeune femme, replaçant sa longue cheveux derrière sa nuque avant de tenter de réveiller la jeune fleur à la convoitise qui n'était plus à faire chez les communs des hommes.

- Mademoiselle Iris, réveillez-vous. Vous vous êtes assoupi sur la console. Ce n'est que moi, votre hôte, le Comte.

Murmura-t-il avec bienveillance en la contemplant avec une pointe de désir mêlée à une certaine tendresse. Iris était devenu l'un de ces pion qu'il fallait soigner et polir, il ne tenait donc pas à la brusquer ou à lui faire peur, malgré l'ambiance plus que feutrée.

Seule dans l’immense manoir Rougelac, Clarence n’avait pas bougé de la chambre qui lui avait été assignée. Les deux seules distractions qu’elle s’est accordée, hormis le repas léger apporté par une domestique, ont été l’observation attendrie d’un jardin magnifique qui se révélait sous sa fenêtre, un prodigieux tapis aux couleurs absolument superbes. Elle mourrait d’envie de sortir et de se rendre là-bas, ne serait que pour s’asseoir au milieu des roses, ces fleurs qu’elle aime tant. Elle avait aperçu au loin un rosier blanc, supportant le poids de lourdes fleurs aux énormes cœurs entourés de dizaines de pétales odorants. Un sourire s’était affiché sur son visage. Bientôt il y aurait de semblables fleurs chez les sœurs Sarravilliers, grâce à Desmond. Penchée à la fenêtre, elle regardait les arbres, les oiseaux, toute cette quiétude magique qui lui plaît tant…Et ces parfums divins portés par la brise du soir…

C’est à regret qu’elle s’est dirigée vers la console pour parfaire sa propre calligraphie, selon le souhait de sa préceptrice. Seule, elle a noirci deux pages complètes, avant de s’endormir, vaincue par la journée épuisante qu’elle venait de traverser. Un lourd sommeil sans rêve s’était emparé d’elle, détendant ses traits de sorte qu’elle a l’air bien plus jeune, endormie. C’est une caresse qui la réveille, tout autant qu’une voix qu’il lui semble reconnaître sans pour autant être certaine de l’identité de la personne qui se tient là, tout près. Les paupières encore lourdes de sommeil, elle redresse la tête, ne percevant que l’obscurité, des odeurs inconnues et une clarté si faible qu’elle ne réalise pas de suite qu’elle est encore au manoir.

- …

Elle se rassoit convenablement, passant ses cheveux d’un côté de sa gorge, avisant avec un peu d’inquiétude cette silhouette masculine juste là. Le Comte.

- Pardonnez-moi, Monseigneur, je me suis endormie alors que je m’exerçais à améliorer mon écriture…

Clarence se lève et s’écarte un peu de lui, laissant la chaise qu’elle occupait jusqu’alors les séparer un temps.

- Tout cela est nouveau pour moi, je n’ai pas senti le sommeil arriver…

Ce moment embarrassant. Elle ne distingue que fort peu les traits du Comte mais elle sait que c’est lui, elle reconnait sa voix et sa silhouette. Il semble porter du velours, à première vue. Elle, elle porte du lin, à mille lieues des tenues de velours pleines de fanfreluches qu’elle portait lors de leur première rencontre, une robe simple qui la met pourtant en valeur car elle épouse ses formes ou tout du moins elle les suggère assez bien.

Elle ne sait pas comment agir, car elle ne rencontre jamais ses clients en dehors du Jardin. De plus, elle n’est pas chez elle mais chez lui. Il fait nuit. Et il est dans sa chambre. Clarence a peur, oui. Un peu. Même si elle le cache fort bien.

- Vous avez un jardin magnifique, Monsieur le Comte, dit-elle pour dissiper son léger embarras.

L'inquiétude se lisait naturellement sur le visage de la jeune femme. Mais pouvait-on lui en voulait à la vue de ce contexte quelque peu particulier ? La pénombre était gage d'incertitude, faute à ce sens qu'était la vue, qui chez les humains, n'était pas suffisamment développer pour bien discerner les choses. Un léger sourire satisfait s'afficha sur le visage du Comte, le rendant presque, non pas machiavélique, mais ce jeu d'ombre et de lumière sur son visage lui donnait un air légèrement inquiétant.

Sortie de son sommeil, Iris se décide à quitter son assise et prendre une certaine distance avec son interlocuteur non sans se formuler en excuses de convenance, se justifiant dans l'écriture alors même que son hôte ne l'en avait interrogé. D'ordinaire, cette attitude pouvait être à mettre sur le compte d'un enfant qui cherchait à montrer pate blanche sans même qu'on l'incrimine d'une quelconque bêtise. Cette démarche, une fois n'est pas coutume, attendrissait un Rougelac pourtant d'ordinaire enclin à ressentir des sentiments opposés.

Clarence semblait donc bien embarrassée qu'on la retrouve ainsi et Victor préférait pour l'heure admirer les formes bien suggestives de la jeune femme sous sa robe de lin dans ce cadre peu commun mais ô combien stimulant pour un homme de son envergure dont son coté sombre pouvait laisser une emprunte éphémère dans cette chambre. Le Comte profitait de cette environnement pour garder le silence et ainsi laisser nourrir l'hésitation semblant s'emparer de cette jeune femme, soucieux de scruter et analyser les moindre de ces réactions. Elle fini par dissiper son embarras en évoquant les jardins du mondain qu'elle avait certainement contemplé en cours bas de sa chambre lorsque le soleil brillait encore.

Victor se décide alors à poser sa main sur la chaise pour la ranger sous le bureau et réduire la distance non sans s'emparer de son chandelier.

- Vous appréciez donc d'autres type de verdure que celui où vous travaillez, vous m'en voyez ravi. Mais celui-ci fait bien pâle figure en comparaison du jardin qui se trouve à la résidence de Nerra. Celui du feu mon épouse. Si vous le désirez un jour, nous pourrions nous y perdre l'espace de quelques heures.

Un aveux ainsi qu'une révélation car oui, Rougelac était propriétaire d'une seconde demeure sur l'Esplanade, vestige d'un temps révolu, héritage d'un mariage qui avait été un fiasco. Il acheva sa phrase en offrant à Iris son avant bras.

- Je ne vais point vous dévorer, comme dans certaines légendes, rassurez-vous. Mais dites moi, comment c'est déroulé votre entrevue avec dame Abielle ? Et par la même occasion, êtes-vous satisfaite de votre chambre comme du petit personnel du Manoir ? Je ne vous ai d'ailleurs point demandé si vous aviez besoin que je prévienne quiconque dans votre entourage qui serait susceptible de vous attendre ce soir et de vous inquiétez pour vous, acception faite de Madame Rose bien entendu.

Il est vrai que les lueurs des bougies ont cette façon d’adoucir les traits tout comme de les nuancer de cette inquiétante couleur en demi-teinte, entre ombre et lumière. Clarence ne se sent pas très à l’aise, autant parce qu’il dégage un air inquiétant que par ce geste de ranger la chaise sous le meuble, afin de réduire la distance qui les sépare. Elle déglutit, avant de poser les yeux sur cet avant-bras qu’il propose.

- Vous possédez deux demeures en cet endroit, Monseigneur ?

Elle hésite un instant avant de poser sa main sur le tissu, si délicatement qu’il pourrait presque douter qu’elle est à présent tout près de lui.

- Rien ne me plairait plus que de voir cela de mes propres yeux, Monsieur le Comte. J’aime les jardins, les fleurs et les grands arbres. Il n’y en a pas beaucoup là où j’habite…même s’il y a un petit jardin derrière ma maison.

Lorsqu’il évoque les légendes et les monstres dévoreurs de chair qui les hantent parfois, Clarence baisse un peu la tête, intimidée.

- Pardonnez-moi…Je n’ai guère pour habitude de rencontrer les clients du Jardin en dehors des murs de la maison. Pour tout vous avouer, c’est même la première fois que cela m’arrive.

Elle esquisse un sourire ravissant avant de continuer, d’une voix douce :

- Les leçons ont été très enrichissantes, intéressantes et divertissantes. Dame Abielle a été merveilleuse. C’est une très belle femme, intelligente, amusante et pleine d’esprit. J’ai eu beaucoup de plaisir à apprendre ce dont j’avais besoin en sa compagnie. C’est elle qui m’a demandé de parfaire mon écriture…Je n’ai guère l’occasion de m’exercer à cet art, ordinairement, donc j’ai mis ces quelques heures de solitude à profit.

Il y a d’ailleurs un peu d’encre sur le bout de ses doigts, ce qui l’amuse un peu.

- Quant à votre personnel…il a été très aimable et discret. Nous avions autrefois du personnel de maison, je n’en ai plus l’habitude donc j’ai veillé à ne pas déranger vos gens plus que de besoin. Ils doivent sans doute avoir fort à faire sans que je ne vienne ajouter de l’embarras…donc je ne les ai presque pas vus, excepté cette dame qui est venue tout à l’heure m’apporter un repas léger.

Elle est face au Comte, la main posée sur son avant-bras. Le clair-obscur lui va bien et apporte une touche de mystère à ces deux grands yeux émeraude qui se posent sur Victor, avec un soupçon d’inquiétude. Clarence se tourne alors à demi et s’empare d’un petit courrier, plié en quatre, non scellé. Elle n’a pas d’enveloppe, ni de cire, rien de tout cela donc elle est bien obligée de la lui donner de cette façon, en espérant qu’il aura la correction de ne pas la lire.

- J’ai…J’ai pris la liberté d’avertir qui de droit dans ce petit pli. L’un de vos serviteurs pourrait-il l’apporter…à la maison du Notaire Sarravilliers dans la Grande Rue des Hytres ? S’il vous plait ?

Elle inspire profondément alors qu’il s’empare du pli.

- Quelqu’un m’attend là-bas et doit sans doute déjà être plongé dans l’inquiétude. Je ne rentre jamais chez moi quand il fait nuit, c’est bien trop dangereux…

Dedans, il y a quelques lignes pour Clémence et un pieux mensonge. Pour ne pas dissiper sa couverture, elle a inventé un service à rendre à un noble seigneur de la ville requérant ses talents pour la danse et ce durant quelques jours. Rien de plus rien de moins si ce n’est de tendres marques d’affection témoignant de l’amour sincère d’une sœur à une autre et une promesse de retour prochain. En espérant que cela apaise Clémence, du moins un temps.

- Vous désiriez me montrer quelque chose, Monsieur le Comte ?

Après de longues secondes d'incertitudes, la jeune femme n'ose enfin a poser une main hésitante sur cet avant bras qu'on lui propose, dans cette atmosphère aux parfums inquiétants. Victor se rendait compte, à mesure que le temps s'écoulait, qu'il n'avait plus à faire à la même personne, tout du moins, découvrait-il une autre facette de la personnalité de la catin. Plus sensible, timide, offrant aveux, Iris ne cachait pas le fait que Victor était son premier client qu'elle rencontrait hors du cadre professionnel.

- Il s'agit là de l'héritage laissé par la Dame de Rougesoleil. Et plus qu'un aspect sentiment, la demeure de Nerra représente un aspect de plus de ma richesse, de mon influence et de mon pouvoir de fait. Pour tout cela, je ne m'en séparerait pour rien au monde.

Il lui adressa un tendre sourire après la seconde réplique de la jeune femme.

- Une fois votre part du contrat rempli et sous couvert de discrétion, si vous souhaitez vous ressourcer dans les jardins de feu mon épouse, les portes de la résidence et des jardins vous seront ouvertes le temps d'un séjour.

Un geste désintéressé ? Qui sait ! En tout cas, le Comte était désireux de se montrer dans une certaine forme d'empathie sans aucune contrepartie morale ou physique. D'ailleurs, il n'avait évoqué sa potentielle présence lorsque Clarence souhaiterait séjourner en ce lieu verdoyant, gage qu'il ne cherchait à profiter de la situation.

La discussion s'orienta alors sur l'objet de la présence de la jeune fille de notaire au Manoir Rougelac et de ses premières impressions, tout portait a croire qu'Abielle avait réalisé son œuvre avec brio, ce qui était de bon augure pour la suite de l'intrigue dont le Comte était l'instiguateur en compagnie d'une femme de l'Ombre, la favorite de la reine Eugenie bien décidée à tester le mondain sur ses capacités et a faire de lui un allié de choix dans cette inexorable quête d'influence sur l'Esplanade et dans les Couloir du Palais Royal.

- Voila une bonne chose. Ces conseils et ces leçons vous seront utiles à l'avenir. Tâchez de les appliquer et de garder contact avec cette dame. Elle pourrait représenter un exutoire certain à votre situation.

Iris repensait à son passé à présent déchu en répondant au Comte quand à la bienveillance et l'assistance du petit personnel. Il était vrai qu'elle évoquait peu ce passé bourgeois où sans doute elle ne manquait de rien et au fond de l'esprit du Comte, il était navré qu'elle en soit résout à vendre sa chair pour survivre, mais il allait s'en dire qu'elle représentait une fille de joie atypique et dont la valeur pouvait être estimée plus importante que certains artisans.

En tout cas, le mondain ne semblait profiter de la situation pour obtenir quelques gratuites faveurs charnelles, malgré un contexte favorable. Au lieu de cela, Victor montrait une facette de sa personnalité plus protectrice et bienveillante. Récupérant le pli.

- Il en sera fait à votre convenance. L'un de mes homme peut se charger de rapporter cette lettre séance tenante, ou préférez-vous demain matin ? Vous ne l'importunerait point, il a l'habitude. Donnez moi votre accord et il partira à la Grande Rue des Hytres séance tenante.

La suite serait donc conditionnée par la réponse de la jeune femme, avant que cette dernière n'interroge son hôte, comme si il anticipait quelque chose, comme si sa présence n'était pas anodine. Lentement Victor l'entraîna vers le lit à baldaquin, posant une paume rassurante sur le dos de la main qui tenait l'avant bras du Comte.

- J'étais surtout venu me soucier de votre installation et de votre apprentissage. Dans les commodes que vous voyez là, vous avez toute latitude d'essayer les tenues qui vous plairont. Il y a également tout le nécessaire pour la nuit car je gage que vous ne vous coucherez point dans cette robe.

Il quitta la main de la jeune femme, l'air pensif.

- Vous devrez utiliser votre tête dans cette affaire qui implique votre présence, mais le choix de votre apparence sera une arme tout aussi redoutable que votre esprit et votre beauté. Ne dit on pas qu'un emballage nourrit déjà la sensation de faim ?

Il se retourne légèrement, les flammes du chandelier faisant leur œuvre sur le visage du Comte qui fixait la fleur du jardin.

- Je ne veux point vous importuner plus que de mesure, il se fait tard, vous êtes sans doute fatiguée. Nous pourrons reprendre demain si vous le souhaitez ? Évoquer votre histoire, car celle ci m'intéresse. Votre père, votre déclin et ce destin improbable mais qui j'en suis sûre ne pourra en rester ainsi car je ne vois point un tel talent rester sans ambition. D'ailleurs, j'aimerais également évoquer madame Rose. Bien des choses donc, mais je ne voudrais vous bousculer en cette heure tardive.

Il vint tirer les tiroirs d'une commode.

- Prenez ce qui vous plaira pour la nuit et pour votre ô combien importante mission dont votre prestation ne sera qu'une question de jours.

Rougesoleil…Un nom si poétique que Clarence en a un sourire rêveur. Rougesoleil…Comment était la Dame qui portait ce nom si doux ? Elle devait être belle…assez pour plaire au Comte. Riche aussi. L’image d’une femme drapée de tissu d’or évoluant dans un jardin de roses pourpres, de longs cheveux sombre roulant sur ses reins s’affiche en son esprit romanesque. Une Dame de légende, comme elle les aime. Ce jardin, sil est encore plus merveilleux que celui du Comte, doit être une pure beauté. Lui permettre de s’y rendre pour un tout petit séjour, c’est lui offrir une fenêtre sur un monde plein de cette magie que la noblesse ne perçoit sans doute plus. La magie d’un bouton encore fermé aux aurores et dévoilant ses gracieux pétales au crépuscule…La magie d’un silence seulement entrecoupé de chants de petits oiseaux…La magie de ces beaux papillons aux tendes couleurs qui se posent sur fleurs…tout ce qu’elle a pu lire dans les histoires dont elle se nourrit et qui sont elles-mêmes les bases de ces petits récits qu’elle invente, pour son plaisir. Victor verra qu’il a fait mouche, tant les yeux de la jolie rousse s’illumine sous les petites flammèches des bougies.

- Ce sera pour moi un très grand plaisir et un honneur, Monsieur le Comte. Je vous remercie infiniment…Quant à ce courrier…oui, si cela n’est point un dérangement, j’aimerais qu’il soit envoyé le plus vite possible. La nuit est tombée et je n’ose imaginer en quelle angoisse est plongée la douce personne qui m’attend…

Elle ne s’étend pas au sujet de cette personne. Evoquer Clémence ici serait malvenu d’autant qu’elle sait très bien que sa sœur est certainement dans le hall d’entrée à faire les cent pas, morte d’inquiétude. Clarence, même si elle est sur le point de vivre son rêve de petite fille, pense à Clémence. La prévenir est le strict minimum même si elle écrit un pieux mensonge pour la ménager.

Rassurée par le fait que sa sœur sera bientôt rassurée, Clarence se sent mieux même si un léger frisson d’angoisse l’étreint à la vue de cet immense lit vers lequel il la conduit.

- Je suis très bien installée, Monseigneur, et je n’avais pas besoin de tant de splendeurs, je suis habituée à bien moins de fastes…Cela dit, c’est très agréable. Et très beau.

Clarence l’observe alors qu’il tire les profonds tiroirs des armoires, lui indiquant par là qu’elle peut se servir pour enfiler une tenue adéquate pour dormir. Elle se regarde, un peu gênée.

- Je porte une tenue discrète et simple, je me suis dit qu’en me faisant passer pour une simple servante, on oublierait mon visage et ma présence. Je me changerai…tout à l’heure. Je vous remercie pour votre sollicitude Monsieur le Comte. Il fait bien trop sombre pour trouver la tenue parfaite destinée à cette mission, je me pencherai là-dessus demain, quand le soleil sera levé, si vous le permettez évidemment.

Une façon polie et charmante de lui dire qu’il est effectivement très tard et qu’il est temps que le Comte regagne ses appartements. Clarence ne bouge pas, elle le regarde toujours, les mains sagement nouées sur sa jupe, douce et aimable, bien loin de l’attirante succube à laquelle il a succombé il y a de cela quatre jours.

- Nous avons quelques jours pour nous préparer, je serai à votre disposition pour en parler demain.

La jolie rousse effectue alors une très élégante révérence de Cour, avant de se relever et de murmurer :

- Je vous souhaite une bonne nuit Monseigneur.

Dès qu’il aura quitté la pièce, seule la clarté de la lune éclaire un peu la chambre, alors elle défait sa robe, ainsi que sa chemise de lin simple et enfile alors une autre chemise au tissu si léger et si doux qu’elle en caresse ses bras, conquise. C’est une petite silhouette aux paupières lourdes de sommeil qui se glisse sous l’énorme édredon de plumes. Une douce chaleur l’enveloppe aussitôt, la plongeant dans une torpeur bienfaisante. Un sommeil bien mérité pour une nuit réparatrice et pleine de rêves merveilleux où Abielle danse avec Clémence dans un beau jardin rempli de fleurs, un jardin arpenté par un homme dont elle ne distingue pas les traits, un homme qui lui tend la main…

Comme promis et sur les desideratas de la jeune femme, le Comte sollicita promptement l'un de ces hommes à la fin de l'entretien avec cette dernière. Victor n'était pas insensible à l'émerveillement qui pétillait dans le regard de la jeune femme face à tant de faste et de générosité de sa part mais il lui faudrait tempérer ces ardeurs avant la mission, assurément. En tout état de fait, Iris semblait donc bien s'épanouir entre les murs du Manoir du Comte de Rougelac et il était temps pour ce dernier de se retirer afin de laisser son nouveau pion dans l'intimité d'une nuit de repos bien mérité après que Dame Abielle ait prit en main cette pépite qui méritait d'être taillée à sa juste valeur. Il s'inclina donc dans les règles de l'art, souhaitant la bonne nuitée à la donzelle de petite vertu avant de regagner ses propres appartements pour une nuit bien mérité.

Le lendemain matin, le soleil apparaissant aux alentours de 6h45, Victor était déjà depuis une bonne heure réveillé, l'homme dormant peu et considérant le sommeil comme une perte de temps. Il ne gagna pas la chambre de la jeune femme, lui préférant la terrasse extérieure à la vue imprenable sur le jardin. A cette époque de l'année, la vie, la nature, reprenait ses droits, les fleurs bourgeonnant, les oiseaux chantaient tandis que les insectes comme les abeilles paradaient de ci de là en quête de cette poudre jaune qu'elles transformaient ensuite en ce précieux nectar qui permettait de produire un alcool qu'appréciait le Comte, l'hydromel.

A l'étage de la bâtisse, l'on frappa à la porte des appartements d'Iris. La gouvernante pénétra alors les lieux, les avant bras armés de draps frais, d'une serviette et d'un baquet d'eau qu'elle posa sur une chaise avant de s'approcher du lit de la rouquine, posant une main sur l'une des épaules qu'elle devina sous les draps.

- Mademoiselle. Désolé de vous importuner. Préférez-vous que nous vous servions votre petit déjeuner maintenant ou plus tard ? Car c'est que... Mon maître vous fait dire qu'il montera vous voir d'ici à une heure. Il médite sur la terrasse comme à son habitude. Je vous ai mit à disposition un nécessaire de toilette également.

Et c'est ainsi qu'il en sera fait à la convenance de la fille de notable déchu, qui l'espace de ce séjour, pouvait s'offrir ce luxe d'être comme considéré comme l'une de ces princesses de contes et légendes.

La princesse sourit en dormant, un incendie de rousseur auréolant un visage doux. Elle rêve. Elle rêve sur un oreiller moelleux, le corps chaudement recouvert d’un épais édredon et drapé d’une chemise de soie. Elle n’entend pas la domestique entrer, elle rêve encore et toujours, dans ce monde si beau qui n’appartient qu’à elle, un monde où tout est merveilleux. La main posée sur elle l’extirpe pourtant de ces songes féériques. Un œil émeraude, effilé comme une petite amande, s’ouvre sur la gouvernante, une femme qu’elle ne connait pas. Clarence lève un instant la tête, le visage encore tout marqué par les plis de l’oreiller et puis s’étire comme un chat sous les draps, un large sourire aux lèvres.

- Bonjour Madame !

Elle s’assoit dans son lit et laisse son regard faire la mise au point sur la chambre d’amis. Elle inspire profondément, de satisfaction, puis répond enfin à la dame, d’une voix douce :

- Je le veux bien juste après ma toilette si vous le permettez. Je dois encore choisir une tenue et je n’ai pas encore eu l’occasion de regarder ce que je pouvais porter…

Un grand geste vif soulève l’édredon, la jolie rousse s’en extirpe avec un rire et court à la fenêtre pour observer le jardin. Il est tôt et il y a encore un peu de rosée visible sur les croisées de la fenêtre, sur le balcon de pierre, et les buissons qu’elle aperçoit en contrebas. Toute la nature s’éveille et la jeune femme observe le spectacle avec ravissement.

- Ce sera une journée magnifique, vous verrez !

Clarence revient vers la gouvernante et regarde le baquet d’eau, les serviettes, puis la garde-robe, vers laquelle elle se dirige sans hésiter. Elle révèle des robes absolument magnifiques, des tenues qu’elle n’aurait jamais pu imaginer porter un jour. Certaines sont tissées de fils d‘argent, d’autres de fils d’or, une d’entre elles est même constellée de perles…Des bijoux à elles seules. Clarence est totalement perdue face à ce flot de luxe, elle en ressent même un peu de timidité avant déposer son choix sur une couleur qui lui sied à merveille. La gouvernante l’aide à déployer l’habit, qu’elle touche d’une main fébrile.

Du velours et des fils d’or. Même dans ses rêves les plus secrets ele n’aurait jamais osé imagine une telle merveille. La toilette est faite, en présence de la domestique qui lui apporte le linge et, après avoi enfilé une nouvelle chemise, Clarence porte désormais une robe sublime avec toute la grâce de sa jeunesse. La dame l’aide à arranger ses cheveux à l’aide de quelques accessoires trouvés dans les tiroirs, parfaitement coordonnés à la tenue, de telle sorte que ses cheveux sont maintenus en un chignon compliqué et ravissant, rehaussé de quelques épingles surmontées de pierres vertes luisant comme des soleils. La gouvernante l’observe avec un sourire, Clarence, elle, ne se reconnait pas. Qui est cette dame devant elle, qui sourit en reflet dans le miroir ? L’on dirait une princesse au cou délicat, au regard de velours à la beauté mise en valeur par des habits magnifiques. Elle pose ses jolis doigts sur sa bouche rose et murmure :

- J’ai l’air d’une princesse de conte de fée…Je ne pourrai jamais oublier cette vision…Je vous remercie pour votre aide, Madame. Je vais rester là et profiter de ce balcon en attendant le comte et le petit déjeuner…

Elle se lève et déploie le velours, l’or, d’un geste ravissant, sublime d’élégance.

- Soyez tranquille, je ne quitterai pas cette chambre.

D’un petit sourire elle se détourne pour ouvrir la grande porte fenêtre qui donne sur le jardin et avance sur le balcon. L’air délicieusement frais glisse sur sa gorge, il n’y a pas un bruit, juste celui de ce tissu de prix glissant sur la pierre. Debout, drapée dans une robe féérique, coiffée, Clarence contemple le jardin avec la furieuse envie de s’y rendre. Une envie qu’elle contient avec peine. Le Comte ne restera sans doute pas avec elle toute la journée après tout, il doit être occupé. Elle s’y rendra tout à l’heure. S’il le permet.

Suite à son passage dans les appartements de la jeune Iris, la Gouvernante gagna la terrasse extérieure, lieu de villégiature du Comte de Rougelac aux aurores. L'informant de la situation, le Comte acquiesça d'un hochement de tête pour toute réponse avant de discrètement relever la tête en direction du balcon où se trouvait la rouquine drapé d'atours mêlant velours et fils d'or. Clarence semblait resplendir dans cette tenue, mais Rougelac ne s'attarda pas sur cette délicieuse vue au risque de se faire surprendre. Il regagna alors l'enceinte de son Manoir, faisant une halte en cuisine pour ainsi vérifier que le plateau du petit déjeuner était prêt.

C'est alors qu'il emboita le pas de la domestique missionnée pour l'occasion à gagner la chambre d'invité pour y garnir la console occupée la veille au soir par la jeune femme des mets dédiés au réveil. Aussi discrète que possible, la domestique s'afféra un moment avant de s'éclipser pour laisser toute la lumière au propriétaire des lieux avançant dans la pièce d'un pas assuré, les mains jointes dans son dos.

- Avez-vous passé une bonne nuit ma chère ? Il est temps de prendre quelques forces, mais... comme le dit le dicton "Quand le ventre est vide, le corps devient esprit ; quand il est rempli, l'esprit devient corps."

Il adressa à la donzelle un sourire entendu avant de poser son regard sur sa toilette qu'elle semblait avoir choisit avec beau d'intelligence.

- Vous êtes fort ravissante ce matin. Ces couleurs vous sied. Approchez que je vous contemple. Oui, vraiment, un très bon choix que voilà. Comment vous sentez-vous. Ai-je à coeur que vous vou imprégnez de cet univers qui sera le vôtre l'espace d'une soirée. Mais peut-être plus... qui sait. L'avenir n'est point écrit dans le marbre, aurais-je qui sait, besoin de vos services si votre prestation me convînt.

Rougelac cherchait subtilement à ne pas briser tout rêve de princesse qui pouvait se lire sur le visage enjoué de la fille de joie, mais pour autant, il cherchait à la raisonner sans user de mot abrupte. Un savant dosage qu'il espérait efficace.

Lorsque la gouvernante et le Comte font leur entrée, Clarence se tourne avec un large sourire. Les rayons du soleil derrière elle illuminent ses cheveux et sa tenue, de sorte qu’elle rayonne littéralement. Cela ne durera qu’un instant, elle entre dans la chambre et remercie poliment la gouvernante qui s’éclipse tandis qu’elle effectue une très élégante révérence avant de répondre à Victor.

- J’ai passé une merveilleuse nuit, je vous remercie Monseigneur.

Elle approche encore de manière à ce qu’il puisse l’observer. Après tout, elle se trouve chez lui et ce sont des vêtements qui lui appartiennent, sans compter que la jeune femme n’a jamais porté de vêtements semblables de toute sa vie. Certes elle a été aidée par la gouvernante mais il n’en demeure pas moins qu’il y a une différence entre porter du lin et porter de lourds brocarts de velours. Pourtant, cela ne gêne en rien sa démarche. Elle porte le tout avec grâce, souriant au compliment.

- Le vert est la couleur qui me sied le mieux parce qu’elle s’accorde parfaitement à mes yeux. C’est essentiellement pour cela que je l’ai choisie et aussi parce que c’est ma couleur préférée. Je suis heureuse de voir que cela vous agrée.

La jolie rouquine se déplace alors vers la console et prend place sur la chaise rangée la veille, versant un peu de thé dans une jolie tasse avant de s’emparer de ce qui semble être une petite part de gâteau encore tiède. Même si elle a faim, elle reste mesurée et savoure le parfum du thé avec un large sourire de plaisir. Elle est heureuse, il peut le voir sans aucune difficulté.

- Monsieur le Comte, tout ceci, cette chambre, cette maison, cette robe…Je sais très bien que cela ne durera qu’un temps mais je m’estime incroyablement chanceuse de pouvoir vivre cela. C’est ce dont j’ai toujours rêvé.

Elle mord dans la part de gâteau et ajoute, amusée :

- Quand j’étais petite, je m’amusais à regarder les beaux seigneurs, les jolies dames en leurs carrosses, je regardais l’Esplanade comme un monde plein de magie et de féérie. Maintenant que j’y suis…

Les émeraudes accrochent l’océan pour ajouter, rieuse, bien loin de l’Iris qu’il a rencontrée au Jardin :

- …tout ce que je pensais se confirme. Même si cela ne dure qu’un temps, j’aurai réalisé un rêve et cela n’a pas de prix, Monsieur le Comte. Croyez-moi.

Elle verse du thé dans une seconde tasse et la désigne d’un petit geste élégant de la main, l’invitant silencieusement à l’accompagner s’il le souhaite.

- Qu’avez-vous prévu pour aujourd’hui ? Y a-t-il des choses que je dois savoir, des choses que Dame Abielle aurait omis de m’expliquer ?

Iris n'a pas son pareil pour capter toute l'attention sur sa silhouette. Elle était terriblement belle, mais son accessibilité ne s'obtenait qu'en sonnantes et trébuchantes. Pourtant, cela ne dérangeait en rien le Comte qui savait parfaitement où se trouvait sa place et rapidement, il fut rassuré par l'esprit de la donzelle qui savait également où se trouvait réellement la sienne. Malgré ces rêves, la fille de notaire déchue restait consciente que tout ceci n'était qu'éphémère et cela ne semblait lui briser le coeur.

L'écoutant religieusement, Victor la suivait du regard jusqu'à ce qu'elle s'asseye pour se restaurer et continuait de deviser avec une certaine sérénité non sans accepter volontiers la tasse de thé qu'il souleva en dressant à la verticale son auriculaire comme le voulait les bonnes manières de la haute. Il y trempa ses lèvres puis reposa la tasse, venant alors se placer derrière la chaise avant de poser ses paumes sur les épaules de la jeune femme.

- Votre histoire me touche, sincèrement. Puisse cette expérience vous être utile. Mais si je puis me le permettre, nous pourrions, peut-être, dans une certaine mesure, prolonger ce rêve de manière ponctuelle, dans l'exercice de votre métier.

Le sous entendu semblait assez clair.

- Il ne nous faudra simplement que l'accord de votre jardinière. Le prix à payer sera le sien et ainsi nous pourrions d'un commun accord y trouver, vous comme moi, notre compte.

Un index glissa sur la nuque de la jeune femme avant qu'il ne se recul d'un pas pour ensuite prendre la direction du balcon sans pour autant quitter la pièce, tournant ainsi le dos à la rouquine.

- Abielle vous à enseigné la "forme", l'apparat et l'appât, mais il vous faut apprendre le "fond". N'ai-je rien à vous enseigner sur vos talents qui me seront utile à piéger l'homme. Sachez que vous pourrez compter sur quelques complices et qu'il vous faudra disparaître aussi rapidement que discrètement. Savez-vous vous transformer en "Ombre" ma chère ? Ne laissant ni de trace, ni le moindre son...

La tasse de Clarence vient de légèrement trembler en sa main alors que les doigts du Comte se posent sur ses épaules de la façon la plus naturelle du monde, comme si de rien n’était.

Madame Rose ne lui a pas dit ce qui était permis et ce qui ne l’était pas avec ce client-là. Et elle a déjà été payée, apparemment, puisqu’un fort joli pactole et divers présents l’attendent au Jardin, dès la fin de sa mission. Pourtant, elle n’a pas été très claire sur l’étendue de ses attributions. Un très vif embarras s’affiche sur le visage de la jeune femme qui ne répond rien.

La féérie aura été de courte durée…

- J’ignore ce qui a été conclu entre Madame Rose et votre personne. Si vous désirez me revoir en d’autres circonstances, je présume que cela demeure parfaitement possible, pour autant que vous y mettiez le prix.

Elle se redresse un peu et boit le thé, tout sourire disparu.

- Je ne travaille jamais en dehors du Jardin, Monseigneur. Vous avez payé pour que je séduise un noble seigneur et que je disparaisse, rien de plus me semble-t-il. Si je dois dépasser ce cadre là pendant mon séjour ici…c’est moi qui fixerai mon propre prix.

La caresse dans la nuque la laisse de marbre, elle ne se retourne même pas, abandonnant la part de gâteau et la tasse, l’appétit coupé.

- Je cache mon emploi à ma famille depuis des années et personne n’a jamais rien soupçonné. J’imagine que cela me confère quelques qualités d’ombre, comme vous le dites. Je sais quand je dois me cacher et quand je peux me montrer.

La jeune femme se regarde dans le miroir, apercevant en reflet la silhouette du comte devant le balcon.

- Du velours et des fils d’or suffisent à transformer une catin en noble dame aux yeux de tous. J’imagine que de vieux habits et une coiffe simple seront à même de me dissimuler à ces mêmes yeux, Monsieur le Comte. Il suffira de préparer ce qu’il faut avant ma fuite et plus personne n’entendra parler de moi.

Un geste de sa part, un tremblement chez son interlocutrice, le mondain capta un bref instant ce malaise s'emparant de la jeune femme. D'ailleurs cette sensation se confirma lorsque tout sourire disparu du radieux visage de la rouquine avant que le Comte n'avait décidé de rompre cette proximité peu désiré par cette dernière. Imposant ses conditions dans un malentendu que semblait alors bien percevoir Victor, Clarence démontrait une forme de charisme et d'assurance que son hôte tendait à découvrir en ce lumineux matin de printemps.

A présent, ce fut l'attention visuelle qui se rompit après celui du touché et Iris pouvait s'en apercevoir à travers le miroir qu'elle utilisa pour constater que le noble avait prit la direction du balcon sans pour autant s'y engouffrer. Dos à dos, la tension devenait subtilement palpable et Victor pu en tout discrétion étirer ses lèvres pour s'offrir à lui et à lui seul un sourire de satisfaction face au comportement de ce pion qui allait jouer un rôle important sur l'échiquier politique de la capitale.

- Je n'avais nul intention de dépasser le cadre convenu. Si j'ai pu vous donner un sentiment contraire, veuillez recevoir mes plus humbles excuses. Quand au reste, sur le papier tout semble simple, mais vous comme moi sachez que la réalité peu réserver son lot de surprises, bonnes ou mauvaises.

Il se tut l'espace d'un instant, prenant une grande bouffée d'oxygène avant de joindre sagement les mains dans son dos.

- Malgré l'ensemble des moyens que je mettrais en œuvre pour vous exfiltrer, il reste toutefois un élément que je ne peux maîtriser. Savez-vous lequel et si oui, sauriez-vous quoi faire, comment vous adapter ma très chère Iris ?

Il n'en dit pas un mot de plus, laissant toute latitude à Iris à réfléchir et interpréter ses mots pour en comprendre sa nature et son sens. Sans le savoir, Iris était déjà en train d'être confronter à l'une des leçon du Comte de Rougelac.

En termes de surprises, Clarence est largement contentée, surtout en ce qui concerne le Comte. Le souvenir de leur échange entre les murs de cette chambre au jardin et les conséquences possibles de ce charmant tête-à-tête ne quitte pas ses pensées.

- Je partage votre opinion sur ce point, la vie ne manque jamais de me surprendre en effet…Ravie d’entendre que je ne suis pas présente en ces lieux pour d’autres tâches que celles discutées il y a de cela quelques jours. Je vous prie de m’excuser si j’ai pu paraître inconvenante. Comme je vous l’ai dit, je n’ai guère l’habitude d’officier en d’autres lieux que le Jardin.

L’attitude des hommes envers elle est, de près ou de loin, la même, quel que soit le statut social. Clarence, la jolie rouquine pleine de rêves, est totalement désabusée par ces messieurs. Elle attend quelque chose qu’elle n’aura probablement jamais alors elle se contente de bribe ici et là, de petits moments de bonheur, infimes et courts, parce qu’elle sait que les rêves sont tout ce qu’il lui reste. Tant que le Comte restait loin d’elle, poli et charmant, elle pouvait encore plus ou moins se bercer d’une salvatrice illusion. Maintenant qu’il a posé ses mains sur ses épaules tout en lui rappelant ce qu’elle est, il n’y a plus de princesse, il n’y a plus de conte de fée, plus de jolis jardins dans un belle maison, non. Il n’y a plus qu’une catin dont on se sert, une fille autrefois riche qui est désormais pauvre et qu’on drape d’or pour faire tomber un autre homme. Un bel objet qu’on peut s’acheter.

La vision de son profil si beau, si tendre, couvert de soieries et de bijoux, lui inspire, pendant un bref instant, un dégout tel qu’elle finit par baisser la tête.

- Les impondérables. Tout et n’importe quoi…Et si cela arrive, j’agirai de la même façon que j’agis toujours, Monsieur le Comte…En prenant soin qu’on ne garde de moi qu’un vague souvenir heureux. Rien de plus. Rien de moins. Vous pouvez compter sur ma discrétion.

Elle finit par reprendre en main la petite tasse joliment décorée pour terminer d’en boire le contenu, tout sourire disparu, l’œil quelque peu éteint.

- Seriez-vous inquiet, Monseigneur ?

Clarence se formula donc en excuse face à ce mea-culpa maladroitement initié par le Comte qui avait opté pour prendre de la distance afin de ne pas amplifier toute message qui aurait pu être mal interprété. Mais à l'évocation d'éventuelles failles dans les plans qui allaient être mis en œuvre, la réaction d'Iris ne semblait pas tout à fait convaincre Victor qui finalement se décida à se retourner pour la direction de son invité questionnant ce dernier sur son apparente inquiétude.

- Je n'ai point d'inquiétude quand à votre discrétion et votre loyauté. Mais je dois vous l'accorder, je suis inquiet.

L'ombre de la silhouette du Comte se dessina finalement dans le miroir que fixait jusqu'alors la jeune femme assise devant sa console.

- Vous aurez affaire à un homme d'influence et de bon sang. S'il s'avérait qu'il comprenne la supercherie avant même que le piège se referme sur lui... qu'adviendra-t-il ?

Il passa sur le flanc de la belle demoiselle flanqué d'une toilette la rendant plus belle encore qu'elle ne l'état déjà et lui tendit une main pour qu'elle se relève.

- Vous êtes splendide, la plus belle fleur du Jardin de Madame Rose, une amant que je convoitise mais avec qui d'ailleurs je crois, ne pas avoir réussit a obtenir ses faveurs. Sans doute, attend-elle plus de moi que je puis lui donner. Mais, vous vous n'êtes point qu'une fleur et votre histoire le démontre. Serait-ce un gâchis que de vous perdre dans une telle affaire, et pourtant, ai-je plus que jamais besoin de vos talents. Je préssent que votre avenir dépassera le cadre de vos talents aux Jardin.

Il la fixe, solennellement, puis baisse son regard pour le poser sur cette longue robe.

- Il vous faudra vous prémunir d'une éventuelle agression, même si cela reste très hypothétique, je ne conçois jamais le risque zéro. Je vous suggère de porter un stylet, léger, discret, que votre proie ne pourra détecter. Me comprenez-vous ?