Ci-gît Rohérik Markonnen, père aimant, homme de principe, Tes quatre enfants ne t'oublieront jamais. Mort : inconnu.”
Une fine pluie tombait sur le cimetière désolé de Marbrume. Jadis, lieu de recueillement pour les vivants et de repos pour les morts, il n’est aujourd’hui qu’un petit coin d’enfer lugubre craint comme la peste par l’humanité.
Les yeux sombres sous une capuche noir qui lisait la stèle de son défunt père avait constaté l’état déplorable des tombes des morts. On pouvait sans grande investigation deviner là où les Fangeux avaient jailli de leurs tombes et à d’autre emplacement, là où les pilleurs de tombes avaient renfloué leurs poches.
Celle de son père avait servi au deuxième cas de figure étant mort la veille de l'avènement de la Fange.
“père aimant…” pensa t-il à voix haute.
Sur ces simples mots, les cicatrices de son dos se mirent à l’irriter. Cicatrice qu’il devait au martinet de son défunt père.
“Même la mort n’achète pas la vérité dans cette ville.” dit-il à sa conscience.
Un frisson devenu familier ces derniers temps lui zébra le dos occultant la douleur de ses cicatrices. Ce frisson précédait systématiquement sa venue.
“Nous n’avons que faire des mensonges. Nous les avons assez entendus et supportés. La Voix Donnée a parlé. Il est temps pour la Corneille de prendre son envol.” dit-il de sa voix chuchotée, sépulcrale et difforme.
La pluie faisait ruisseler des petites gouttes le long de sa capuche qui lui arrivait à hauteur des yeux. Il ne quittait pas la tombe érodée par les affres du temps et de la folie des hommes.
“homme de principe…” dit-il dans un soupir.
Un vif courant d’air glacial lui traversa le bras gauche.
“Nous avons été trahis, précipités dans les geôles de cette ville comme le quatrième a été trahi par ses pairs. Nous sommes à son image.”
Il est vrai que les similarités entre tout ce qui faisait la personne de Rohélias ramenait à chaque fois à Etiol. Son affinité avec les morts en thanatopraxie de jadis (évidemment suspendu à cause des mœurs de Marbrume), sa passion pour les corbeaux et la souffrance qui avait des propriétés thérapeutiques sur lui.
“Oui, il a donné du sens à notre vie. Là où les trois ne répondaient en rien à ce que nous sommes.”
Une quinte de toux lui fit faire volte face pour ne découvrir finalement rien d’autre que l’épaisse obscurité qui était tombée, au mieux les quelques grilles encore debout qui délimitent l’ancienne zone de repos des défunts.
Il se retourna sur la tombe de son tyran de père et commença à envisager le chemin du retour au Temple.
“Nous savons ce qu’il y a de pire que la mort. Nous le savons."
“L’oubli.”
Il tendit sa main droite ganté de sous sa cape, semblable à une serre d’un corbeau et gratta de ses ongles longs l’inscription sur la stèle.
Rohélias replongea sa main droite sous sa cape et tourna les talons en direction du Temple. Il traversa encore des stèles profanées et soudain, un nouveau frisson le fit arrêter net dans sa marche. Il s’interrogea. Généralement, il conversait avec l’inconnu qui occupait son esprit, mais là c’était le silence.
Il baissa les yeux et découvrit le cadavre d’un corbeau à moitié décomposé. La beauté funeste du volatile nocturne saisit Rohélias. Figé dans la mort, il demeurait ici parmi les anciennes traditions mortuaires de Marbrume.
S’agissait-il de sa première mission pour le compte du quatrième ?
“Ils ont essayé de nous oublier aussi, mais nous sommes toujours là. Rappelons-leur !”
Il tenait le petit squelette dans le creux de ses deux mains comme une chose précieuse. Il se tourna lentement pour découvrir plusieurs cadavres de corbeaux décédés par un étrange mal.
Son esprit curieux émis une première hypothèse d’épidémie de candidose à en juger par les sévères irritations au niveau de la peau des créatures.
Il les ramassa puis les enveloppa du mieux qu’il pouvait dans sa cape avant de les ranger dans sa besace.
Il affficha son premier sourire satisfait depuis bien longtemps en retournant vers le Temple de la Trinité.
Il savait ce qu’il devait faire.
Il laissa la tombe érodé de son père qui devint dorénavant pour les yeux de Marbrume, un illustre inconnu à la stèle ou maintenant on pouvait lire :
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Sujet: Obscures sillages à l'horizon 
