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 Le spectre du remord [Alice]

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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyVen 4 Mar 2022 - 22:39
7 mai 1166

    L’odeur âcre et cuivreuse avait quelque chose d’absolument écoeurant : il en aurait vomi s’il avait eu quoique ce soit de consistant dans son estomac et s’il en avait eu la force. Respirer était un vrai défi en soit car il devait bien avoir quelques côtes brisées et son nez était encroûté de sang. Son nez, mais aussi, son front, sa lèvre inférieure, une arcade, et s’il fallait énumérer toutes ses blessures, lui-même n’était pas certain de le pouvoir. La douleur s’était frayée un chemin sur toutes les parties de son corps, il pouvait seulement dire qu’il n’avait perdu aucune dent puisque sa mâchoire bleuie avait encaissé le coups répétés. Maintenant, il ne sentait plus grand-chose. La gravité, déjà, était difficilement supportable. Elle faisait peser le peu de sang qui lui restait dans le corps sur son crâne si bien qu’une migraine lancinante l’emmenait régulièrement dans l’inconscience. Il allait crever comme un porc que personne n’avait su égorger proprement. L’ironie lui arracha un faible rictus. Quelle fin honorable ! Son dernier vœu, s’il en eut un, aurait été que jamais personne ne le retrouve lui non plus. Et si Esmée était morte elle aussi, alors il la reverrait bientôt. D’ailleurs il lui semblait la voir déjà : sa fine silhouette se détachant dans les marais, ses cheveux noirs…

    — Es… mée… parvint-il à articuler alors qu’elle s’approchait. Son étrange démarche n’avait rien de celle de sa bien-aimée. Les rayons monochromes de l’aube et sa vision trouble avaient du mal à comprendre pourquoi la fille de Sabran se baladait seule dans les marais à cette heure-ci. C’était tout simplement qu’il ne s’agissait pas d’Esmée, parce qu’Esmée était morte.

    — … n’aurais pas dû…

    Morte, morte, décédée car il l’avait abandonnée, lâche et couard qu’il était. On lui avait répété, martelé même, il s’était trouvé des excuses, il avait voulu s’expliquer, mais il avait juste été faible et lâche. Rikni le répudiait, Anür détournait les yeux de son sort et Serus le laisser comme proie à un destin funeste. L’ombre d’Esmée s’avançait toujours prudemment et semblait observer avec intérêt ses vêtements de bonnes fabrique. Il avait beau être dans un sale état, il ne portait pas les guenilles du petit peuple. Peut-être y avait-il quelque chose à récupérer sur ce futur cadavre ? Ce n’était pas son imagination, il ne rêvait pas, ce n’était pas un fantôme, il sentait qu’elle le fouillait et peut-être même trouverait-elle ce qu’elle cherchait : de l'argent, une broche, qu'importe. Cependant, quand elle tira de sa poche le mouchoir brodée d’Esmée, la main de Marin s’enroula vivement autour du poignet, comme frappé par un élan de lucidité.

    — Ca, non.



Dernière édition par Marin de Luynes le Dim 6 Mar 2022 - 20:42, édité 1 fois
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AliceBannie
Alice



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyDim 6 Mar 2022 - 15:13
Rah, putain !

La flèche s'enfonça dans la boue, n'arrachant sur son passage qu'une simple touffe de poils. Alerte, le lièvre l'avait évitée d'un bond et, déjà, il s'était dissimulé dans des fourrés. Furieuse, Alice eut envie de casser l'un de ses traits en deux. Elle imaginait le craquement sec du bois, cédant contre son genou. Succomber à cette rage mal contenue était inutile et elle le savait ; son carquois était presque vide, elle ne pouvait se permettre de détruire elle-même ses munitions. Sans cesser ses imprécations à l'égard de son adresse ridicule au tir, ainsi qu'à l'attention des prétendus dieux qui se foutaient de sa gueule, elle ramassa la flèche manquée. Au moins, cette dernière pourrait encore servir. Au village, elle s'était entraînée sur des cibles et des mannequins de paille ; désormais, ses traits faisaient mouche – il lui avait fallu de nombreuses tentatives avant que les pointes d'acier ne se fichent enfin dans ses victimes factices – mais contre des proies mobiles, c'était une autre histoire.

Dépitée, elle rangea l'arc dans son dos et ouvrit sa besace. Avant de partir, elle y avait rangé des pièges à collet de sa confection, au cas où sa patience atteindrait rapidement ses limites. Une chance qu'elle se connaisse si bien. Si la bannie était d'une nullité affligeante équipée d'une arme à distance, elle avait rapidement développé des compétences de survie en côtoyant les terres hostiles du Morguestanc. Traquer le gibier, elle savait le faire ; rester tapie dans des broussailles et repérer leurs traces dans la terre meuble, les devancer et poser leurres et traquenards lui avaient permis à plusieurs reprises de ramener de la viande fraîche à la maison. Tant pis pour ce stupide entraînement à l'arc, son ventre criait famine.

C'est en poursuivant la piste du lièvre fuyard qu'elle tomba sur une proie plus intéressante. Et plus grosse. Les sens aux aguets, Alice balaya les alentours du regard, prêta une oreille attentive aux sifflements des corbeaux, déchiffra les glapissements de renards lointains, crut distinguer plus éloignés encore les râles de fangeux affamés. Entre elle et le cadavre pendu aux branches solides d'un vieux chêne, seul demeurait un silence morbide. Prudente, mais curieuse, elle se redressa et, en quelques enjambées, rejoignit le corps légèrement balancé au rythme du vent. La bannie s'accroupit, afin que son visage soit au même niveau que le jeune garçon, dont le visage tuméfié témoignait des dommages qu'il avait reçus. Un rapide coup d’œil à ses vêtements de bonne facture lui confirmèrent qu'elle était face à un noble, un blondinet, malgré la crasse qui empoussiérait ses cheveux filasses.

Un murmure, faible et rauque, s'échappèrent de ses lèvres craquelées, à la grande surprise de la jeune femme. Ainsi donc, le torturé vivait encore ? Alice grimaça : un cadavre n'aurait pas attiré de fangeux, un être vivant, par contre...

Tu peux p't-être me rendre un dernier service, hm ?

Sans gêne, la noiraude fouilla ses poches, mais n'y découvrit que quelques pièces dérisoires – le salaire d'une pute des bas-fonds tout au plus – ainsi qu'un mouchoir brodé. Une main plus ferme qu'elle ne l'aurait dû saisit son poignet, suivi d'une injonction à peine audible. À croire que cet abruti était encore plus vivant qu'elle ne le pensait. Une mauvaise nouvelle pour elle, comme pour lui : son heure n'était pas encore venue et son doux parfum aurait tout le temps de chatouiller les narines putrides des créatures des marais.

On est sentimental ? railla-t-elle.

D'une torsion souple du poignet, Alice se dégagea de l'emprise et tira violemment sur ses cheveux grisâtres, avant de rapprocher sa bouche contre le visage ensanglanté de sa victime.

J'vais t'dire, p'tit père, t'es un danger pour moi. Un appât à merde.

Elle contempla son visage, devina des traits fins cachés derrière des gribouillis de sang et de terre. Sa tunique, décorée de fils d'or et de boue, devait ceindre un corps mince et élancé avant qu'il ne se retrouve pendu par les pieds. Le poignard d'Alice la démangeait à sa ceinture. Mais... Puisque le blondinet avait encore de la force, peut-être serait-il en mesure de l'accompagner jusqu'au village. Un jeune noble pouvait lui être plus utile vivant que mort, tout bien réfléchi.

T'as d'la chance, j'suis d'une humeur généreuse, c'matin, dit-elle en le lâchant sans douceur, de sorte que son corps meurtri se balança un peu plus.

Elle s'amusa de ses gémissements pendant quelques secondes, avant de se décider à couper net la corde. Le corps tomba lourdement dans les marécage ; le sol spongieux adoucit sa chute. À pas lents, Alice s'avança vers lui, puis s'accroupit afin d'être à sa hauteur. Un bref instant, elle se demanda si Ombre l'avait contemplée avec autant de pitié, avant de se décider à la sauver. La bannie chassa cette pensée parasite de son esprit.

Pauvre petit bonhomme, se moqua-t-elle.

Elle ne fit aucun geste pour l'aider à se relever.
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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyDim 6 Mar 2022 - 19:42
Les moqueries de l’inconnue étaient des provocations qui retombaient à plat comme un galet dans l’eau. Marin n’avait pas la force pour une joute verbale et sa tête était au bord d’exploser tant la pression sanguine tambourinait dans son crâne. D’un geste habile, la petite voleuse s’échappa de sa poigne, sans pourtant lui rendre son bien. Pour asseoir son autorité, ou satisfaire son égo, elle n’hésita pas à attraper la chevelure de sa victime pour être sûre d’avoir toute son attention. Elle l’avait d’une certaine manière. Les yeux bleus détaillaient le visage qu’il voyait à l’envers mais surtout le comparait à la perfection dont il se souvenait. Ce nez était plus long, légèrement trop pointu, retroussé, ces lèvres moins juteuses, trop sèche, cette langue trop acérée, ces traits trop creusés et ces yeux anormalement verts. Ces cheveux ? Impudiquement lâché ! L’inconnue était jolie, mais pas parfaite. Et très mal élevée. C’était sans doute le minimum requis pour traîner dans un tel endroit à cette heure-ci, seule. Il n’avait clairement pas affaire à une dame et quelque part, méritait-il encore quelque noble compagnie ? Il n’aurait même pas eu la force de sauver les apparences. Il se trouvait bien heureux tout à coup que ce ne fût pas un notable qui le trouva ainsi, la gueule en sang. Son nom supportait difficilement la calomnie qui le salissait depuis le couronnement sans qu’en plus on y rajoute le ridicule de sa présente situation.

L’inconnue le relâcha brusquement, provoquant un mouvement de balancier qui tirait sur ses chevilles et son dos sans qu’il put retenir ses râles de douleur. Après une éternité, la tension qui le déchirait entre la branche du chêne et le sol se rompit : il s’écrasa lourdement, la face, et le reste, à plat dans la boue. Une quinte de toux douloureuse le prit : à chaque fois qu’il toussait, il sentait une douleur serrer sa cage thoracique. Comme la fois où il était enfant et qu’il avait voulu grimper sur le dos d’une jument pas encore débourrée. Cette dernière avait rué si violemment qu’il s’était cassé une côte en tombant.

La terre ferme, enfin, plus ou moins ferme. En se remettant à circuler normalement dans son corps, son sang passa enfin dans ses jambes provoquant d’horribles fourmillement qui l’empêchèrent de se relever sur l’instant. Les muscles de ses épaules étaient fatigués d’avoir été maintenus dans une position aussi anormale pendant autant de temps. Il essaya de les ramener sous lui, pour prendre appui sur ses avant-bras. Dans un effort surhumain, il se releva en se tenant les côtes. Désormais couvert de boue, abandonna toute bienséance pour cracher la terre et le sang qu’il avait dans la bouche. Debout, le corps épuisé et courbé vers l’avant, il était quand même plus grand qu’elle.

— Merci... ma « grande dame »… qui aime le danger… et la merde, visiblement…

Il était étrange de découvrir un environnent qu’il observait depuis des heures sous ce nouvel angle. Il était des plus surprenant que les monstres ne l’aient pas trouvé avant elle. Marin remercia la Trinité de lui avoir épargné une mort atroce, pour l’instant.. Inutile toutefois de se considérer chanceux car il n’était pas vraiment en bonne compagnie. L’inconnue se tenait à quelques pas, immobile. Il avait intérêt de suivre son rythme, sinon il sentait bien qu’elle se servirait de lui comme d’une diversion pour échapper aux créatures de la fange. Il observa qu’elle portait un arc mais ne s’en armait pas, il s’abstint de tout commentaire. De toute façon, si des fangeux les attaquairnt, qu’elle ait un poignard, un arc, ou une robe de bal, l’issue serait la même. Pour lui, en tout cas. D’ailleurs, où étaient-ils ? Maintenant qu’il y pensait, il n’avait aucune idée d’où on l’avait traîné pour lui faire sa fête. Il avait arpenté pas mal d’endroits, mais de tous les paysages, les marécages se ressemblent tous.

— Quel est le village le plus proche ?
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AliceBannie
Alice



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyJeu 10 Mar 2022 - 12:26
Il était grand le blondinet, mais salement amoché. Tandis qu'il se redressait tant bien que mal, Alice le détaillait sans gène. Il n'était pas difficile de déterminer où le jeune homme avait été frappé : entre ses égratignures et croûtes de sang, ses quintes de toux laborieuses et ses grimaces douloureuses parlaient pour lui. Pour autant, ses points vitaux ne semblaient pas avoir été touchés. La personne qui l'avait battu n'avait jamais cherché à le tuer, mais simplement à le faire souffrir. Ou du moins, pas à le tuer elle-même : son bourreau n'était qu'un lâche qui, à cette heure, espérait sans doute que les fangeux avaient achevé le travail à sa place. Qu'est-ce que joli minois avait bien pu commettre comme crime pour mériter pareil châtiment ? Non pas qu'Alice en eut cure, mais elle préférait être certaine que son tortionnaire ne soit plus dans les environs.

Les coudes déposés sur ses genoux, ainsi accroupie, les lèvres de la bannie s'élargirent en un large sourire lorsque sa victime reprit la parole. Elle se releva, amusée, et lui tendit le mouchoir qu'elle n'avait jamais désiré lui subtiliser. Qu'est-ce qu'il voulait qu'elle foute avec son mignon tissu ?

C'est pourtant pas moi qui en ait plein la gueule, rétorqua-t-elle du tac au tac.

Elle ricana, mais le laissa se débarbouiller sans en rajouter une couche. Elle l'avait détaché en pensant qu'elle pourrait peut-être en tirer quelque chose d'utile, mais vu le temps qu'il avait mis à se relever, Alice se rendait compte qu'il était dans un piteux état. Elle doutait même qu'il soit capable de rentrer – de ramper – jusqu'au village des bannis. Elle jura entre ses dents : elle n'avait gagné qu'un fardeau supplémentaire. Alors que le jeune homme balayait les environs du regard, elle l'observait en coin, palpant le poignard qui pendait à sa ceinture. Vu son état de faiblesse, elle n'aurait aucun mal à l'achever.

Le mien, s'entendit-elle répondre cependant, alors que sa main retombait le long de son corps. Mais on va pas rentrer les mains vides. T'sais poser des pièges, blondinet ?

Sous son nez, elle agita ses collets.

D'un signe de tête, elle lui intima de le suivre, d'abandonner pour de bon le chêne qui avait manqué de le voir mourir. Prudente, Alice maintenait une distance respectable entre eux deux, légèrement en retrait afin de contrôler ses moindres faits et gestes. Néanmoins, si elle préférait se méfier de lui, ses boitillements, ses grimaces et ses plaintes à demi silencieuses la convainquaient, à mesure qu'ils progressaient, que le jeune noble ne serait même pas capable d'écraser une mouche s'il en voyait une. D'un doigt sur les lèvres, elle lui ordonna de se taire, tandis qu'elle repérait la piste fraîche du gibier. Elle lui refourgua l'un des pièges entre les mains, lui indiqua l'endroit où le poser, puis s'affaira à disposer les siens en remontant les vestiges laissés par l'animal. Son lièvre de toute à l'heure, ou un autre de la famille ; leur gîte ne devait pas être bien loin.

Maintenant, on attend.

Sans ménagement, elle appuya sur son épaule afin qu'il se cache dans les fourrés à ses côtés. Elle percevait sa respiration sifflante et saccadée, humait le parfum ferreux de sa peau. Qu'allait-elle bien faire de lui ? Il n'était pas question qu'il se souvienne du chemin menant au village des bannis. Alice pouvait facilement le balader dans les marais, lui faire perdre tout sens de l'orientation de sorte qu'il n'ait plus aucun repère. Mais ensuite ? Pas sûr que les autres acceptent un inconnu aux habits de si bonne facture, d'autant plus s'il ne comptait pas rester auprès d'eux.

Alors, l'époux d'la femme que tu troussais t'as r'trouvé ? se moqua-t-elle, les yeux rivés sur les pièges.

Elle avait besoin de savoir qui il était et comment elle pouvait l'utiliser. Elle ne mettrait pas en danger son village pour un noble prétentieux. En d'autres termes, la survie du blondinet dépendrait de sa réponse et de son honnêteté.
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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyVen 11 Mar 2022 - 0:18
L'inconnue ne cachait pas sa bonne humeur. Au vu du large sourire qu'elle affichait, cette situation était une distraction qu’elle n’allait pas refuser. Lorsqu'elle lui tendit le linge, son regard bleu s'y accrocha comme s'il s'agissait du bien le plus précieux qu'il ait pu avoir en sa possession. Il secoua vivement ses mains vers le bas pour se débarrasser de la terre, puis chercha à les essuyer sur les parcelles de ses vêtements les moins sales. Ce n’est qu’après qu’il récupéra le mouchoir avec deux doigts, comme pour limiter le contact de ses mains souillées avec le tissus. Il le glissa dans la poche intérieure de sa veste, près de son coeur. Une fois l’objet mis en sécurité, il essuya son visage pour enlever le plus gros de ce qui l'enduisait en essayant d’éviter le contact avec ses plaies ouvertes. Lorsque la vagabonde l’interrogea sur ses connaissances en matière de chasse au collet, il souffla par le nez, comme si on lui demandait s'il avait deux jambes. Il avait passé une bonne partie de son enfance et de son adolescence à chasser. Il avait dû se contenter de poser des pièges jusqu'à ce qu'il maîtrisât l'arc. En de rares occasion lorsque son père avait été convié par quelque seigneur, il avait même participé à des chasses à courre.

Mais tout ceci était en d'autres temps. Son demi-sourire s'effaça : le passé était immuable. Ce qui était fait, était fait. Dans ce présent, il était épuisé, si elle lui avait mis l’arc entre ses mains, il n’était pas sur de pouvoir tendre la corde sans qu’une partie de son corps ne proteste, sans même parler de l’idée de toucher une cible. Dans ce présent, il était vivant sans vraiment savoir comment, c’est à se demander si survivre avait encore du sens quand Esmée lui avait échappé définitivement. Présent mais pas vraiment, sans y penser plus longuement, il se mit à obéir machinalement à tous les ordres qu’on lui donnait car elle l’avait dit: on ne rentrerait pas les mains vides. Côte à côte derrière un buisson, ils attendirent en silence jusqu’à ce que les réflexions de l’inconnu ne forcent ses cordent vocales. La blague était de mauvais goût, à moins qu’il ait perdu son humour en gagnant toutes ces blessures. Tout aurait été si simple si ça n’avait été qu’une vulgaire histoire de coucheries, ou de vengeance. Mais c’était bien au-delà de ça.

— Faut vraiment qu'on en parle maintenant ?

Sa voix était sèche, rauque, comme coincée entre ses deux mâchoires crispées. Il n’avait clairement pas envie d’étaler ses états-d’âmes aux yeux d’une personne qu’il venait à peine de rencontrer et qui en plus allait en rire à gorge déployer. Sa réponse ne sembla pas plaire, le regard qu’on lui asséna n’était qu’un avant-goût de ce qu’il lui attendait si il s’avérait plus encombrant encore qu’il ne l’était déjà. Son regard se posa sur le poignard, il abdiqua sans cacher sa contrariété à l’idée d’être interrogé de la sorte sans rien savoir en échange.

— J’ai causé la mort de.. quelqu’un. Quelqu’un a essayé de me rendre la pareille. Avec un peu de chance, il pense avoir réussi alors… Je n’ai plus qu’à disparaître, j’imagine. De toute façon, personne ne me cherchera dans les marais, synthétisa-t-il avec amertume et défaitisme. Il dépendait donc entièrement du bon vouloir de cette fille. On avait osé l’enlever en plein jour en ville pour lui faire subir les conséquences de ses mauvais choix. Il n’était peut-être pas avisé d’y retourner pour permettre à son bourreau de finir ce qu’il avait commencé. Après son entrevue avec Icare de Sabran, tout le portait à croire que l’homme avait décidé d’employer de grands moyens pour l’éliminer. Tout cela ne restait que des suspicions : l’homme qui l’avait tabassé n’avait rien dit de son commanditaire. Si le comte n’avait rien à voir là-dedans, alors qui ? Marin se frotta ses tempes douloureuses. Il n’était pas en mesure de réfléchir clairement et tout son corps n’aspirait qu’à un sommeil guérisseur. Les fourrés semblait propices à cet exercices. S’il s’endormait ici, cette diablesse était bien capable de le laisser là. Il fallait qu’il reste éveillé et puisqu’aucun lapin n’était en vue, il allait tenter de grappiller des informations au moins à la hauteur de ce qu’il avait laissé échapper.

— Du coup… T’emmènes souvent des inconnus dans les buissons, ou juste ceux que t’as trouvé puis détroussé ?

Une petite voix, au fond de lui l’insulta de crétin des abysses. Une autre supplia « pas les côtes, pas les côtes ». Puis, comme si Rikni l’avait entendu, un lièvre détala à toute jambe, fusa près de leur buisson et se mit à bondir en zigzag entre les pièges, et aux chasseurs sortir de leur bois, d’essayer de diriger sa fuite vers les pièges à collet.



Dernière édition par Marin de Luynes le Mer 16 Mar 2022 - 8:03, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyMar 15 Mar 2022 - 22:07
Alice lança un regard cinglant au jeune noble, un argument suffisamment convaincant pour qu'il se décide à répondre à sa question. Si blondinet rechignait à relater ce qui lui était arrivé ainsi que les raisons de ses acrobaties dans les marais, l'histoire promettait d'être encore plus croustillante. Assez, du moins, pour patienter, le temps que le gibier se vautre dans les collets. Hélas, la réponse attendue fut moins délicieuse qu'espérée : de nombreux flous subsistaient, des histoires de meurtres sans en être et de vengeance banale. La bannie ne doutait pas que le résumé était des plus synthétisés, mais puisqu'elle se moquait comme d'une guigne des conditions qui l'avaient suspendu dans les marais, elle n'ajouta rien, si ce n'est un geste désinvolte de la main, démontrant là tout l'intérêt qu'elle portait à son histoire. Cependant, elle retenait que sa trouvaille crasseuse s'était fait un ennemi – si pas plusieurs – dans la ville fortifiée et qu'elle n'avait peut-être pas envie d'y remettre les pieds. Sauf s'il était un idiot ; le sentimentalisme dont il avait fait preuve à l'encontre du mouchoir brodé abondait dans cette triste observation. En revanche, ses vilaines blessures étaient capables de faire pencher la balance : il pourrait décider de laisser son passé derrière lui, de recommencer une autre vie comme tous les bannis l'avaient fait avant lui. Comme Alice l'avait fait avant lui. La différence qu'elle partageait avec lui était saisissante : il s'était retrouvé dans cet état parce qu'il avait tué quelqu'un, elle vivait cette nouvelle vie parce que quelqu'un avait voulu la tuer. Guillaume. As-tu survécu, salopard ?

La silhouette de son frère en armure, brandissant son épée au-dessus de sa tête, un sourire mauvais, mais triomphant sur les lèvres, s'évapora au rythme des paroles du jeune homme. Alice sortit de sa rêverie et le dévisagea de la tête aux pieds avant de se recomposer un sourire aguicheur – porter ce masque était devenu une seconde nature.

D'habitude, ils n'utilisent pas leur langue pour se plaindre, rétorqua-t-elle.

Elle s'apprêtait à surenchérir, lorsqu'enfin, le lièvre se décida à pointer le bout de son museau. Le bruissement des arbustes attira l'attention des deux chasseurs qui, d'un seul homme, se tournèrent vers leur proie, oubliant leurs rancunes et méfiances mutuelles. Lorsque l'on mourrait de faim, une seule chose comptait : la nourriture.

Va à gauche ! ordonna-t-elle, tandis que le jeune noble, d'instinct sans doute, prenait la direction opposée.

Son épaule claqua contre celle du garçon qui, blessé et faiblard, bascula vers l'avant, alors que la bannie se rattrapait in extremis, non sans déblatérer une flopée de jurons, à l'attention aussi bien des dieux que du noble. Leur collision eut le mérite d'effrayer d'autant plus le gibier, qui, déboussolé, se jeta dans l'un de leur piège. Alice s'approcha de l'animal qui tentait de rompre le fil en gémissant de douleur, le collet enserrant un peu plus sa chair tendre à chacun de ses mouvements. Des cicatrices pour toi aussi... Mais une mort plus rapide. D'un coup sec, elle trancha sa jugulaire, mettant un terme à ses supplices. Quelques gouttes de sang éclaboussèrent ses doigts qui, après avoir récupéré la bête dans sa besace, étaient plus poisseux encore. Des pas dans la boue lui firent comprendre que son malheureux comparse l'avait rejointe. Dédaigneuse, Alice lui accorda à peine un regard.

Heureusement que j'comptais pas sur toi, fit-elle en se dirigeant vers les autres pièges qu'ils avaient placés afin de les récupérer.

Un lièvre, ce n'était pas si mal ; d'autres bannis auraient rapporté leurs propres proies d'ici la fin de la journée. Il était encore tôt, mais Alice ne s'imaginait pas passer toute la journée dans les marais, un inconnu collé à ses basques.

Depuis quelques jours, de nouvelles têtes avaient poussé les portes invisibles du village des bannis ; mordus, expulsés ou simples malheureux avaient gagné les bicoques sur pilotis. Le couronnement du roi et l'attaque de Marbrume étaient sur toutes les lèvres. Blondinet pourrait se fondre dans la masse sans trop de problème... Mais en plus que la merde, Alice jugeait qu'il sentait les emmerdes à plein nez. Après un soupir théâtral – clairement, sa présence la faisait chier – elle apposa un index accusateur sur le torse du noble et le toisa ; tout sourire avait déserté ses lèvres rouge sang.

J't'ai sauvé car t'as de jolies fripes.

Ses doigts remontèrent lentement de son torse vers son cou, s'amusèrent avec le col de sa chemise, glissant entre les plis du tissu sali.

Mais j'inviterai pas un joli noble chez moi, tant que j'sais pas ce qu'il manigance.

Avec une douceur qui contrastait avec son caractère, Alice tourna autour du jeune homme sans que sa main ne quitte son corps. Un geste trop sensuel sans aucun doute, indécent très certainement qui ne la gênait pas le moins du monde.

Alors, blondinet, comment t'appelles-tu ?

Elle effleura son épaule tandis qu'elle passait complètement dans son dos, son index dessinant le contour de ses omoplates.

Projettes-tu de retourner à Marbrume...

Elle caressa son autre bras, avant de revenir à son torse, son point de départ. Ses yeux ancrés dans les siens, elle ajouta :

Ou bien de vivre dans les marais ?
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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyMer 16 Mar 2022 - 10:49
Puisque la proie s’échappait vers la droite, il eût fallu qu’on la repoussa par ce côté pour le renvoyer près des piège. Aussi, Marin n’entendit que trop tard les ordres de la jeune femme et son épaule fut rapidement arrêtée par un celle de la sauvageonne ce qui lui arracha un grognement de douleur. Il trébucha sans grâce plusieurs fois avant de se rattraper à un tronc où il resta en se tenant les côtes. Finalement, il n’aura eu que peu d’utilité : au moins aura-t-il été une distraction suffisante pour effrayer ce pauvre lièvre. Il la laissa relever les pièges, s’il pouvait s’épargner plus de casse en gigotant, il n’allait pas refuser. Maintenant qu’elle avait attrapé quelque chose, ils se dirigeraient sans doute vers le fameux village qu’elle avait évoqué. D’ailleurs il ne se rappelait pas qu’elle ait précisé le nom du lieu-dit, il ne s’en formalisa pas plus longtemps. Il avait juste besoin d’un abri où panser ses plaies.

Une pression impolie sur son torse l’arracha à ses pensées. L’inconnue n’avait plus l’air si amusée qu’il n’y avait paru de prime abord. S’il fallait dire quelque chose sur sa nouvelle rencontre, c’est que son langage était aussi indécent que son comportement. Sa démarche féline et ses caresses inconvenantes en disaient beaucoup trop sur ses mœurs, et ses sautes d’humeurs révélaient une personnalité aussi stable une flamme dans un silo de grain. S’il fallait réévaluer ses chances de survie, il était certainement plus en danger en compagnie de cette succube plutôt que pendu à un arbre. La main de Marin s’enroula lentement autour de celle de l’impertinente qui dansait encore sur son torse. Si elle cherchait à le mettre mal à l’aise, elle s’y prenait très mal et se ferait peut-être même avoir à son propre jeu.

— Je te donnerai mes guenilles plus tard, si tu les aimes tant...Mais je te donnerai pas mon nom. Honnête marchande que tu es, t’auras tôt fait de vendre l'information pour quelque bijou...

Ses paroles s’achevèrent sur une note sardonique alors que son pouce faisait rouler un anneau qui ornaient les doigts fins de l'insolente. Progressivement l'articulation et les négations complètes étaient un lux qu'il peinait à offrir. Il était sentimental, certes, mais pas idiot. S'il donnait à une voleuse de quoi le faire chanter, quand elle estimerait qu'il ne lui servirait plus à rien, elle n'aurait qu'à échanger son nom à Marbrume pour quelques pièces et celui qui l'avait pendu n'aurait qu'à venir finir ce qu'il avait commencé. Il avait été calme jusqu’ici, l’épuisement, la douleur, et le sentiment qu'on cherchait à le duper, commençaient à lui faire perdre patience. Sa prise se serra pour attirer la voleuse contre lui, comme si il voulait qu’elle constate de plus près ce dont il parlait.

— J'ai l'air de manigancer autre chose qu'une infection ? La contrariété retroussa un coin de sa lèvre supérieure. Ou un organe perforé ? corrigea-t-il amèrement en sentant la pointe d’une lame piquer son flanc. Il ne la relâcha pas pour autant, ses yeux se plissèrent, comme s'il ajustait sa vision sans raison apparente. Pourtant...

— … Je te l'ai dit : j’tiens pas à retourner à l'envoyeur… il luttait pour conserver son centre de gravité... Je pourrais bien errer seul dans ces marais... mais ça veut dire que j’payerai jamais ma dette… Tandis que l'environnent se distordait autour d'eux... Alors c'est comme tu veux, honnête marchande, mais décide-toi vite…

Sa main gauche chercha appui sur l’épaule de son interlocutrice sans pleinement saisir la menace qu'elle pouvait représenter.
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AliceBannie
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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyDim 20 Mar 2022 - 18:10
Oh, ça dépend de ce que cachent tes guenilles, répliqua-t-elle d'un regard appuyé.

Ce n'était qu'un mensonge, une provocation qu'Alice se plaisait à susurrer. Plus personne n'avait eu la chance – le malheur – d'effleurer ses courbes, de toucher chaque parcelle de sa peau depuis que les flammes l'avaient dévorée. Ses cicatrices ancrées à jamais dans son dos devaient rester invisibles aux yeux de tous ; il n'était pas question que la bannie prenne le moindre risque à ce sujet. Que quelqu'un découvre son secret et son masque sensuel s’effondrerait, en même temps que le pouvoir qu'elle avait acquis, en même temps que l'autorité qu'elle avait gagnée.

Aussi, lorsque le jeune noble raffermit sa prise et l'attira à lui, le regard d'Alice se durcit. Qu'il enserrât son poignet était une chose, il en était une autre qu'il s'en rapprochât autant. Sa poigne était plus musclée qu'elle ne l'aurait cru, compte tenu de l'état dans lequel il se trouvait, état qu'il ne manqua pas de lui rappeler, son visage meurtri à quelques centimètres du sien. Il marquait un point, cependant : à l'heure actuelle, il n'était pas capable de manigancer quoi que ce soit. La bannie craignait plutôt qu'il ne retourne sa veste par la suite, que les membres du village paie le prix de son choix étrange. Pourquoi ne l'avait-elle pas achevé, déjà ? Néanmoins, Blondinet avait d'autres occupations, son meurtre supposé ainsi que sa mystérieuse dette évoquée.

Dès qu'elle le sentit faiblir, elle se déroba en souplesse, non sans le laisser poser sa main fatiguée sur son épaule ; la lourde pelisse qu'elle portait sur son dos constituait un rempart suffisant. Alice percevait sa respiration sifflante et laborieuse, constatait son maintien bancal, toisait son regard sur le point de se voiler. Malgré la souffrance qu'il endurait, il ne lui avait pas accordé ce qu'elle avait demandé. Il avait lancé ses dernières forces dans la bataille, face à un adversaire qui aurait pu tout aussi bien trancher sa gorge plutôt que d'écouter ses dernières élucubrations. Alice aimait la lueur qui dansait dans les yeux du garçon, un savant mélange de fierté et de détermination.

T'as aussi une dette envers moi, finit-elle par répondre. J'aimerais pas que tu crèves avant de t'en acquitter.

Sans douceur, mais sans pour autant être brusque, la bannie saisit le poignet du noble et l'entraîna à ses côtés. Un peu plus tôt, elle avait pensé à le balader dans les marais afin qu'il ne se souvienne pas de la localisation du village. Il n'était pas nécessaire de prendre ces précautions : du bout des doigts, elle le sentait défaillir, prompt à trébucher sur la moindre racine perfide, enclin à chavirer dans la boue, entraîné par la lourdeur de son corps chétif.

J'suis ni marchande, ni honnête, déclara-t-elle après un instant de silence.

Non pas qu'elle n'avait point saisi l'ironie dans le sobriquet, mais parler était la seule solution qu'elle avait trouvée pour le garder éveillé. Et par plaisir plus que par obligation, elle tirait parfois sans ménagement sur son poignet, lui soutirant une grimace de douleur, parfois un râle plaintif. Une preuve qu'il était vivant.

Toi non plus, on dirait, hein ? railla-t-elle, tandis qu'elle balayait les environs du regard.

Elle aurait voulu allonger ses foulées, mais sa victime était un fardeau qui, sans qu'elle ait besoin de le porter – il manquerait plus que ça ! – ralentissait chacun de ses mouvements. Par chance, elle ne l'avait pas découvert très loin du village des bannis. En revanche, à cette allure, il leur restait une bonne heure de marche, un effort que le noble devrait encore fournir. SI elle se concentrait sur les murmures des terres hostiles, Alice percevait le clapotis d'un des ruisseaux qui traversaient les marais. Le cours d'eau prenait sa source entre quelques marécages et serpentait dans la fange, s'écoulait au nord du village et traversait plus loin l'ancienne Balazuc, avant de se jeter dans la mer. Si elle pouvait emmener son colis jusqu'aux berges afin qu'il s'y débarbouille et reprenne son souffle le temps d'une petite pause, alors elle pouvait espérer qu'il accomplirait le reste du trajet sans manquer de défaillir.

Est-ce que Ombre avait voulu l'abandonner ? Est-ce que la vieille guérisseuse, vu l'état dérisoire de la jeune femme, avait pensé à la laisser mourir sur sa paillasse, lorsqu'elle l'avait secourue aux abords d'Arence ? Parce qu'à chaque pas qu'effectuait Alice, elle hésitait à lâcher Blondinet, à s'en débarrasser lâchement sans un regard en arrière.

C'est qui Esmée ? demanda-t-elle à brûle-pourpoint. Et t'avise pas de m'envoyer chier, ajouta-t-elle.

Parle moi d'elle jusqu'à ce qu'on atteigne cette putain de rivière.
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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyDim 20 Mar 2022 - 22:49
Envers qui d’autre pouvait-il avoir une dette ? C’était sans importance, le principal était qu’elle avait une raison de le maintenir en vie maintenant, c’est tout ce qui comptait. Qu’elle vît un moyen de tirer profit de ce sauvetage ne serait un problème qu’à condition qu’il survive dans ce futur hypothétique. Une fois de plus, en un mouvement souple, l’inconnue des marais échappa à sa prise, mais cette fois c’est elle qui le saisit pour le guider. Les jambes de Marin étaient lourdes, et sa progression, laborieuse. Ses yeux à demi clos erraient sans voir. Il ne se fiait plus qu’à la présence de la jeune femme en prêtant une oreille distraite à ses paroles, préférant économiser son énergie pour la suivre. Le chemin qu’elle avait choisi n’était pas le plus aisé, était-ce seulement un chemin ? Il ne distinguait pas l’ombre d’un sentier. A se demander si elle-même savait où elle allait. Il abandonna toute supposition, réfléchir le fatiguait. Ce n’est que lorsqu’elle prononça le nom d’Esmée, qu’il retrouva un peu de lucidité.

— C’est…

Son coeur voulait croire qu’elle était en vie, l’eût-elle été, ne l’aurait-on pas déjà retrouvée ? Pourquoi aurait-on pris la peine de lui infliger pareil châtiment ? Il ne comprenait toujours pas, la seule explication qu’il trouvait à cela était que la douce Esmée était morte.

—C’était… ma fiancée.

Il l’avait traîné ainsi lors de l’attaque. Il ne se souvenait pas s’être retourné vers elle, il était trop occupé, épée au poing, à frayer leur chemin. Etait-il si étonnant qu’elle ai refusé de le suivre ? Il l’avait brusqué sans un mot, et malgré tout, ce qu’il regrettait maintenant, c’était de ne pas l’avoir fait jusqu’au bout.

— Si… innocente… J’lui ai fait peur mais… parfois, la violence… la seule solution…

Il en venait à cette conclusion car la seule chose qu’il regrettait à présent, c’était d’avoir lâché sa main en voyant son visage effrayé et dégoûté par son geste. Il aurait dû être intransigeant, n’aurait pas dû se préoccuper de ce qu’elle pensait de lui. L’emmener contre son gré en lieu sûr où elle aurait eu tout le loisir de déchaîner sa colère contre lui car elle aurait survécu.

—… pas dû lâcher sa main… mon devoir…

S’il continua de déblatérer des bribes de souvenirs, des remords à voix-haute, des pensées, il ne s’en souvint pas. Leur avancée interminable à travers les marécage s’avérait de plus en plus éprouvante. A un moment il songea qu’il était déjà mort et que son avancée éternelle dans la fange faisait peut-être de lui un fangeux. Son pied buta une énième fois sur un obstacle, cette fois, il mit un genou à terre. Ce n’est qu’à ce moment qu’il entendit le doux chant de la rivière. Il n’avait pas vu le paysage changer. Le reflet ondoyant qu’elle lui renvoyait était pire que ce que la douleur lui avait laissé imaginer. Ses mains glissèrent dans l’eau et son baiser glacial brûla ses poignets écorchés. Il les frotta avant de se rincer le visage. C’eût au moins le mérite de le réveiller un peu, mais le sang coagulé et la boue formaient des croûtes tenaces. Il dût s’y reprendre à plusieurs fois, à recueillir de l’eau entre ses mains jointes en calice pour s’en débarrasser. Sa lèvre inférieure, son arcade droite et l’une de ses pommettes affichaient des plaies plus impressionnantes que graves. Il attrapa le devant de sa chemise avec celui de sa veste et s’immobilisa dans ce mouvement quelques secondes avant de se rendre à l’évidence que ni ses côtes ni ses épaules ne l’autoriseraient à poursuivre ce geste. Du reste, ses vêtements étaient presque aussi sales que lui et ils étaient déjà trempés de vase alors, un peu plus, un peu moins.

Il soupira et, avec des gestes lents, ôta ses chaussures pour vider la terre qu’elles contenaient. Pas étonnant que ses pieds le fassent souffrir, il avait assez de terreau pour jardiner là-dedans. Il laissa glisser ses jambes au bord de la berge. Le bruit sifflant de sa respiration n’avait rien de rassurant, il releva une partie de sa chemise par curiosité et découvrit une énorme marque noire-violacée. La brute n’avait pas fait semblant. Il n’avait pas caché le plaisir qu’il avait pris à le passer à tabac, et s’était même réjoui à l’avance à l’idée que Marin revint chercher vengeance. Le genre de type qui, clairement, n’appréciait la vie que pour les rixes qu’elles lui proposait. Le chevalier tâta l’ecchymose géante de la main en grimaçant. Pas besoin d’être guérisseur pour savoir ce qui se tramait-là. Il faudrait bander tout ça serré, comme la fois où il était tombé de cheval. Il laissa retomber le tissus de dépit. En relevant les yeux, il croisa ceux de son étrange guide mais ne dit rien. Il ne savait toujours rien d’elle, sinon qu’elle était une voleuse malhonnête, ce qui l’un dans l’autre, était assez logique. Elle avait accepté assez facilement son refus de donner son identité alors, par équité, il n’allait pas exiger qu’elle lui donnât le sien. Son regard revint sur l’eau, l’envie de s’y glisser l’effleura, le courant n’était pas si fort, mais était-ce bien sérieux quand il peinait déjà à marcher.

— Si on reste trop longtemps… Je pourrais plus repartir… prévint-il.

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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyMar 22 Mar 2022 - 21:35
Les murmures du jeune noble se muèrent bientôt en paroles inaudibles qu'Alice ne chercha pas à comprendre. Des mots sans queue ni tête franchissaient ses lèvres, des pensées exprimées à voix basse, des remords évoqués ; un cauchemar éveillé. Sa main toujours fermement entourée autour du poignet du blessé, la bannie l'écoutait tout en jurant, dès qu'il perdait l'équilibre ou qu'elle basculait elle-même, entraînée par son poids. Elle discernait sans mal cet état de semi-conscience dans lequel il se trouvait pour y être passée avant lui. L'on revivait sans cesse ses pires regrets, on s'inventait parfois un passé : on se racontait une histoire qui semblait tenir la route, mais qui avait pourtant délaissé les faits, façonnée par l'amertume et la tristesse, modelée dans les méandres du désespoir. Lorsque l'on se réveillait, on ne discernait plus le vrai du faux : la réalité glissait contre les mirages, elle les épousait pour mieux les quitter.

Ainsi, Alice devinait sans mal les tourments de son fardeau ainsi que le lien qui l'unissait à cette mystérieuse Esmée. Le garçon s'en voulait de ne pas avoir pu la sauver. Mais était-ce vraiment le cas ? Il avait lâché sa main, mais ensuite ? L'avait-il abandonnée volontairement pour mieux s'enfuir ? Avait-il pris tous les risques possibles pour la protéger ? Était-elle réellement morte ? M'a-t-il vraiment poussée ? Une pression contre son épaule lui rappela le coup de Guillaume et elle se revit encore – encore et encore – tomber à la renverse, contempler au ralenti le sol poussiéreux se transformer en ciel enfumé, entendre son grognement étouffé... Non, elle n'avait pas grogné, elle avait hurlé. Son frère n'était pas là ; mais Blondinet avait lâché son épaule et s'était vautré au bord de la berge. C'était lui qui était tombé en ronchonnant, pas elle. Tout allait bien.

Tandis qu'il se débarbouillait, elle s'accroupit en silence sur la rive, glissa ses doigts dans l'eau froide. Son contact la rassura. Alice avait envie de s'immerger, de frissonner sous ses caresses glaciales. Hélas, la profondeur du cours d'eau était dérisoire et elle n'osait imaginer les merdes qui gisaient dans la vase. Sans un mot, la bannie observa le noble grimacer à la vue de ses blessures. Le tortionnaire ne l'avait pas loupé. Néanmoins, avec des onguents et bandages adéquats ainsi qu'avec une bonne dose de repos, elle était certaine qu'il s'en remettrait. Elle avait senti à sa poigne qu'il demeurait vigoureux, il avait la jeunesse et la bonne santé pour lui.

T'as cru qu'on restait camper ?

Elle se redressa et s'étira tel un chat, baillant à s'en décrocher la mâchoire. Elle semblait à l'aise dans ces terres hostiles, comme si elle ne craignait pas le danger perpétuel qui y régnait. Mais ce n'était qu'un masque de plus. Derrière le clapotis de l'eau, elle perçut le râle de fangeux, rôdant dans les marécages, à l'affût d'une chair humaine gorgée de sang.

Magne-toi l'cul, ordonna-t-elle.

Elle indiqua la position d'où ils étaient venus.

Ils ont flairé ta piste.

Mais les gestes du blessé, bien que précipités, demeuraient trop lents aux yeux d'Alice.

Par les couilles de Serus, tu vas nous faire bouffer !

Blondinet avait à peine enfiler ses chaussures qu'elle l'attrapa – par la main cette fois – et le redressa sur ses pieds d'un mouvement sec. À cause de sa brève toilette, ses pognes étaient humides et glacées. Alice raffermit sa prise entre ses doigts.

Râle s'tu veux, mais t'auras bien plus mal si les fangeux nous trouvent.

Après tout, il avait dû en voir quelques jours plus tôt, lorsque ces monstres avaient envahi Marbrume. Quand elle avait appris la nouvelle, la bannie avait secoué la tête, peu surprise. Ces bestioles franchissaient toutes les murailles : ce n'était pas la première fois qu'elles se promenaient librement dans ses ruelles. Elle avait décidément pris la bonne décision en rejoignant le village des Bannis. Là, elle apprenait à vivre en leur compagnie, à reconnaître le signe de leurs passages, à repérer les meilleures cachettes. Elle ne vivait pas dans un semblant de sécurité où elle attendait de se faire dévorer.

On longe l'eau.

Cependant, elle était certaine qu'un si faible ruisseau n'empêcherait pas les monstres de les attraper. Tout au plus il les ralentirait ; mais leur rapidité surhumaine aurait tôt fait de les atteindre avant qu'ils n'aient pu aller bien loin.

Putain ! s'exclama-t-elle entre deux expirations saccadées. Rappelle-moi qu'la prochaine fois que j'trouve un joli garçon dans l'coin, j'l'égorge au lieu d'le sauver.
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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyMer 23 Mar 2022 - 14:41
Depuis l’arrivée de la fange, il estimait avoir bien assez vu les monstres, il pensait aussi ne pas être assez stupide pour tomber sur eux par hasard, et pour cause ; il ne s’aventurait pas à l’extérieur sans faire partie d’une expédition. Jamais Marin n’aurait songé pouvoir marcher en dehors des murailles sans armure, sans épée, sans milicien pour l’escorter, sans se sentir en danger de mort. C’était aussi parce qu’il n’avait jamais envisagé de se retrouver au bord de crever, la tête à l’envers, suspendu à un arbre. Etrangement, depuis qu’on l’avait décroché, pas une fois le chevalier n’avait réalisé le risque qu’il encourrait à se déplacer ainsi à travers les marécages, même guidé par une survivante aguerrie. Elle avait l’air dans son environnement, complètement à l’aise, à la limite de l’inconscience. C’était sans doute parce que, contrairement à lui, elle restait attentive aux signes avant-coureurs de l’attaque des créatures. Il n’avait rien entendu, quand elle déclara qu’ils avaient la fange aux trousses, son attitude si à confiante, vira à l’urgence impatiente. Malgré leur différence de poids, bien ancrée sur ses pattes, elle le releva d’un geste brusque qui tira sur sa cage thoracique et lui décrocha un grognement douloureux. La voleuse avait ses habitudes et avait décidé de longer l’eau au pas de course en le tenant fermement.

Ses bronches le brûlaient, il commençait à avoir un point de côté. Malgré tout, il continuait à courir à travers les champs de blés, en essayant de ne pas perdre de vue la chevelure tressée qui laissait dans son sillage des échos moqueurs. Clémence avait toujours été la plus rapide du hameau. Le maître d’écurie, son père, l’envoyait toujours porter des messages de sa part. Pressée de se débarrasser de la tâche, elle se faisait tout pour délivrer la course le plus vite possible et pouvoir retourner jouer. Il n’aurait pas dû se moquer de ses taches de rousseur. Elle lui avait piqué le couvre-chef que la baronne lui avait vissé sur la tête le matin même – et qui était absolument ridicule. Il pouvait encore entendre les provocations de Louis, avec la mue de cette voix entre l’enfant et le jeune homme.

— Tu vas pas te laisser battre par une fille ! J’raconterai tout à père !

Maintenant qu’il y pensait, Louis l’avait toujours fait chier. Même maintenant qu’il allait se faire bouffer, il le faisait chier. Qu’il aille se faire foutre, lui et les autres, eux-tous. C’était cette même cadence forcée qui lui brûlait les bronches à cet instant, mais en plus, à chaque inspiration ses côtes protestaient. La plaie à sa lèvre s’était rouverte, il avait en permanence un goût de cuivre dans la bouche Il s’efforçait de suivre, mais ne pouvait s’empêcher de constater que plus ils avançaient plus la tensions sur son bras était grande ; il ralentissait et elle essayait de le traîner. Marin finit par s’arrêter, pris d’une quinte de toux qui lui arrachait la gorge, une main sur le genou.

— J’arriverai pas à tenir le rythme…

Rien ne servait de forcer le destin ainsi, il la ralentissait et attirait les prédateurs sur leurs traces. Mieux valait qu’elle conserve une avance. Il se dit que s’il les voyait à ses trousses, il clopinerait dans une autre direction. Ainsi, même si les monstres les rattrapaient, ils n’en rattraperaient qu’un des deux.

— Pars devant, j’te suis… fit-il en lâchant sa main.
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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyJeu 24 Mar 2022 - 17:14
Alice le sentait faiblir. Ses pas devenaient de plus en plus lents, caduques ; elle percevait sa respiration laborieuse. Ses jurons ne franchissaient plus ses lèvres, mais elle se les répétait en boucle, tandis qu'elle ne quittait pas un point abstrait droit devant elle. Là, plus loin, se dressait le village des Bannis, pour l'heure caché par la végétation. Même si Blondinet perdait du rythme, il ne leur faudrait pas plus de trente minutes pour atteindre ses pilotis réconfortants. Hélas, une quinte de toux eut raison de son comparse qui, haletant, peinait à retrouver son souffle. Contraindre de s'arrêter à son tour, la jeune femme le toisa, agacée par cette perte de temps. Des gouttelettes de sang perlaient sur les lèvres de son fardeau, éclaboussaient un peu plus sa chemise à mesure qu'il toussait.

« Pars devant, j'te suis » répéta-t-elle, les bras croisés sur sa poitrine. Prends-moi pour une idiote, railla-t-elle.

Elle s'approcha de lui, plia ses genoux afin d'être à sa hauteur, lui qui était toujours recroquevillé sur lui-même.

Mort, tu me sers plus à rien, Blondinet.

Ce n'était qu'une demi-vérité. Alice avait sauvé cet abruti. Sa fierté en prendrait un coup s'il venait à trépasser avant qu'ils ne parviennent au village. Ça aurait été comme avouer qu'elle s'était trompée, reconnaître l'erreur de l'avoir gardé en vie. Pour rien. C'était comme perdre une partie qu'on pensait gagner : la bannie détestait ça.

Dans trente minutes à tout cassé, on est arrivés. T'peux bien faire un effort, non ?

Elle n'était pas dupe, cependant. Son état était alarmant. Si elle le poussait trop, le corps du noble ne tiendrait pas le coup. Elle chercha une solution de replis, avisa les arbres qui les entouraient, mais oublia rapidement son idée. Elle ne l'imaginait pas capable de monter suffisamment haut pour échapper à leurs poursuivants. De plus, l'ascension s'annonçait lente en plus d'être pénible et elle estimait qu'ils n'avaient pas de temps à perdre. Ses yeux verts quittèrent les prunelles de son compagnon d'infortune et se posèrent sur le ruisseau. Il s'écoulait paisiblement, le courant charriant quelques feuilles et autres épines dans un clapotis agréable. Il n'empêcherait pas les fangeux de passer, mais ils rechigneraient pendant quelques minutes à le traverser. Un peu de temps en plus, c'était tout ce dont ils avaient besoin.

Tu voulais être propre, non ?

Elle lui offrit un large sourire... Puis l'entraîna vers le cours d'eau. Sans lui laisser le temps de répliquer, elle l'y tira de toutes ses forces, sa main de nouveau ancrée fermement autour de la sienne. Sous la force de l'eau, leurs jambes cédèrent et tous deux tombèrent complètement dans le ruisseau. Alice accueillit cette embrassade glacée avec joie, savoura son simple contact pendant quelques secondes, avant de se souvenir qu'elle n'était pas seule. Se redressant, elle tendit une main secourable au jeune garçon et parvint à les hisser de l'autre côté de l'eau, malgré la vase qui collait désormais à leurs bottes.

Les fangeux aiment pas l'eau.

Elle resserra la lourde pelisse autour d'elle qui, gorgée d'eau, goutait sur la terre humide du rivage. Elle prit soin de refermer la boucle et de la repositionner sur ses épaules, de préserver son dos de rayons du soleil absents. Une couche nuageuse épaisse masquait une grande partie de la luminosité, dissimulant l'astre derrière une nappe grisâtre. Un temps qui, Alice en était sûre, était propice aux mauvaises rencontres dans les marécages ; la pluie ne tarderait pas à tomber et le ciel à s'assombrit d'autant plus.

Ça les empêchera pas d'passer, mais ça nous f'ra gagner du temps.

Tandis que Blondinet demeurait à quatre pattes, cherchant désespérément un souffle qu'il ne parvenait pas à trouver, Alice s'éloigna, balayant les horizons du regard. Enfin, elle aperçut ce qu'elle désirait : une branche suffisamment épaisse pour supporter le poids d'un gamin – ou d'un maigrelet – cassée il y a peu par la dernière tempête. La bannie lui avait trouvé une nouvelle utilité. Après l'avoir ramassé, elle rejoignit le jeune noble et planta devant lui sa dernière trouvaille.

J'ai d'jà sauvé ton cul, j'vais pas l'porter, se moqua-t-elle d'un ton mordant auquel devait commencer à s'habituer son comparse. Appuie-toi là dessus, t'auras plus facile.

Elle se détourna de lui et lui indiqua la direction à suivre.

Pas de course, accorda-t-elle, mais garde le rythme. Si j't'abandonne maintenant, ma matinée aura servi à rien.
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Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyJeu 24 Mar 2022 - 22:48
Pour qu’elle insistât ainsi, c’était sûr, l’inconnue avait des idées derrière la tête, soit qu’elle eût besoin d’informations relatives à la cour, soit qu’elle voulût rentabiliser sa dette au point de le lui faire regretter. Dans les deux cas, il courrait au-devant d’ennuis qui lui feraient envier le doux balancier d’un chêne dans les marais. De toute façon, il n’avait plus le choix, la jeune femme s’efforça d’abord de le convaincre de faire un effort, qu’ils étaient bientôt arrivés, mais Marin ne voyait pas bien où ils étaient censé arriver. Rien n’avait changé : des taillis et des marécages, des arbres et des herbes hautes. Il haletait bruyamment, tentant de reprendre son souffle. Pour seul avertissement, un sourire narquois, l’évocation de la propreté et elle le traîna vers le cours d’eau. Comme il l’avait pressenti quelques minutes auparavant, le courant était plus fort qu’il n’y paraissait à la surface. Ils se firent balayer par le torrent. Subitement immergé, la fraîcheur de l’eau eut l’effet d’un véritable coup de fouet. Il attrapa une nouvelle fois la main tendue devant lui pour se hisser sur la berge. Ses cheveux tombaient devant son visage, ses vêtements imbibés étaient plaqués contre sa peau ce qui était particulièrement désagréable, mais pas autant que le bruit des « flic-floc » qui accompagnait désormais chacun de leur pas.

Marin garderait ses réflexions pour lui, c’était pas le moment de chercher à débattre. Cette fille avait l’air de savoir ce qu’elle faisait, elle semblait carrément habituée à cette vie à l’extérieur. Alors était-ce bien nécessaire de faire preuve d’insolence en remarquant que si les monstres n’aimaient pas l’eau, la pluie ne les ferait pas sortir. Il se contenta d’accueillir l’information avec un air perplexe, air qui s’accentua lorsqu’elle lui ramena un bâton bien trop petit et trop frêle pour qu’il puisse s’y appuyer. Il l’observa en hochant la tête avec résilience puisque son cul n’était manifestement pas assez précieux pour être porté. S’il avait eu assez de souffle pour plaisanter, il aurait ajouté qu’elle l’avait fait jusqu’ici, et qu’il ne fallait pas s’arrêter en si bon chemin. Il évalua longuement la branche supposée porter son poids alors que la fille des marais rappelait une nouvelle fois qu’elle n’allait pas renoncer à le ramener en vie.

— T’aimes pas trop perdre, hein…

Elle avait repris la marche et s’attendait à ce qu’il la suive, ce qu’il s’efforça de faire s’appuyant à peine sur son bâton. De temps à autre, ils changeaient de direction pour éviter une clairière dégagée ou pour contourner un coin de végétation particulièrement dense. Plus lent, Marin la regardait ouvrir la marche, se mouvoir dans cet environnement hostile avec une agilité et une assurance qui aurait manqué à bien des marbrumiens. Plus il l’observait, plus il se demandait qui elle était et comment elle s’était retrouvée ici. Souvent, elle s’arrêtait pour l’attendre sans cacher son agacement et l’impatience qu’il lui inspirait.

— J’connais personne qui s’balade seul à l’extérieur, même pour chasser…

Cela dit, il ne connaissait personne qui volait les morts non plus, de la même manière qu’il ne se souvenait pas avoir déjà vu une personne aussi confiante se promener dans les marécages avec autant de sang-froid après avoir constaté la présence de fangeux.

— C’est normal pour toi ?

La question qui lui brûlait les lèvres était aussi celle qu’il avait décidé de ne pas évoquer pour éviter qu’on exigeât la pareille. Quel genre de femme se retrouvait seule ici ? Quel genre d’homme laisserait sa fille, sa sœur ou sa femme prendre de tels risques sans même les escorter ? Selon Marin, aucun. Dans un monde tel que celui qui était le leur depuis la fange, si on aimait quelqu’un, on essayait de le garder en sûreté, coûte que coûte.

— Personne de ton village ne t’accompagne jamais ?
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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyLun 28 Mar 2022 - 15:51
Qui aime perdre ? répliqua-t-elle.

Alice avait déjà tout perdu. Elle avait eu la chance – ou la malchance – d'obtenir une seconde naissance, une résurrection effectuée dans les flammes. À la différence des oiseaux mythiques qui se réveillaient dans les cendre, plus beaux et élégants, la bannie s'en était retrouvée marquée à jamais, aussi bien physiquement que mentalement. Sa vie précédente s'était envolée, toutes ses emmerdes avec – ses amours également. Désormais, elle ne vivait plus que pour gagner : des victoires pour elle-même, juste pour elle-même. C'était bien plus sûr.

Ils cheminèrent en silence dans les marais, serpentant entre buissons et taillis, provoquant de désagréables bruits spongieux à chacun de leurs pas. Du moins, Blondinet. Par habitude, Alice se mouvait – presque – en silence malgré l'humidité du sol et les branches brisées qui gisaient sur leur chemin. Parfois, elle entendait un faible bruissement lorsqu'elle marchait trop brusquement sur une feuille envolée et elle se sermonnait d'un juron entre ses dents. Elle avait encore des progrès à faire. Quant au noble, elle ne pouvait pas lui demander d'être plus silencieux : il avait déjà du mal à poser deux pieds devant l'autre et sa respiration haletante devait avertir les fangeux jusqu'en-dehors du duché.

Hélas, il décida de faire encore plus de bruit en ouvrant ses lèvres craquelées. Elle avait pensé qu'il se traînerait en silence, trop fatigué pour aligner deux mots, trop lâche pour oser lui poser des questions dont les réponses ne le regardaient en rien. Elle coula un regard dans sa direction sans lui répondre, avant de reprendre un rythme plus soutenu malgré la cadence pénible de son comparse. Il était si naïf, n'avait aucune idée de la vie en dehors des murailles de Marbrume. Elle se retrouvait un peu en lui, lorsqu'elle-même gambadait entre les jolies rues d'Arence, avec pour seule inquiétude la réaction de ses parents, lorsqu'elle rentrerait à la nuit tombée. Pour autant, Alice avait toujours été curieuse : elle avait envoyé paître l'étiquette à de nombreuses reprises, s'était glissée dans la plèbe vêtue d'une tunique peu coûteuse pour observer quelques paris et autres animations divertissantes que seule la basse-ville avait pu lui offrir. Blondinet avait-il été un noble curieux, lui aussi ?

Rarement. J'préfère être seule. À deux, y'a toujours plus d'emmerdes, ajouta-t-elle en lui lançant un regard éloquent.

Elle darda ses yeux verts sur l'horizon et lui tourna le dos pour de bon.

T'as bien compris où je vivais, non ? l'interrogea-t-elle brutalement.

Les quelques jours que la noiraude avait passés à Marbrume lui avaient permis d'apprendre l'existence de ce village reculé dans les terres hostiles. Bâti sur pilotis, entourés de pièges en tous genres, il résistait tant bien que mal aux envahisseurs. À chaque instant, la vie des bannis pouvait s'arrêter : mais cette dernière n'avait-elle pas déjà cessé lorsque de douloureuses marques au fer rouge s'étaient imprimées sur leur peau ? La cité ne voulait plus d'eux, et ils ne voulaient plus de la cité. Quant à Alice, elle avait simplement fui les créatures en plein hiver et avait préféré rejoindre un hameau qui pourrait, peut-être, lui offrir quelque protection.

On est des méchants, railla-t-elle. Des exclus.

Elle passa une main devant sa bouche pour étouffer son rire. Blondinet percevait-il l'ironie dans ses propos ?

On tue et on vole les gentils comme toi.

Marbrume les empêchait de vivre, alors ils prenaient la vie là où ils le pouvaient. Alice continuait d'avancer, sans un regard en arrière. Elle savait qu'elle le distançait ; sa respiration saccadée s'éloignait au rythme de ses pas.

Mais t'as du cran, Blondinet.

Enfin, elle s'arrêta. Les premières gouttes de pluie tombèrent au même instant. Timides d'abord, plus audacieuses ensuite, elles se déversaient sur les marais, accompagnaient le calme roulis du cours d'eau à leurs pieds. Alice leva la tête vers le ciel et ferma les yeux ; l'eau ruisselait sur son visage et épousait ses contours. Elle perlait au coin de ses yeux, dessinait de jolis sillons sur sa peau pâle. On aurait presque pu croire qu'elle pleurait, si un sourire étrangement doux ne recouvrait pas ses lèvres. C'était plus fort qu'elle : la pluie la rassurait, elle se sentait bien sous ses caresses.

Cet instant fut bref, si furtif que le jeune noble aurait pu croire qu'il l'avait rêvé. Déjà, la bannie posait ses poings fermés sur ses hanches et le jaugeait de la tête au pied. Il savait chasser et était plus costaud qu'il n'en avait l'air : il ferait un bon banni. Hors de question qu'elle le lui avoue, cependant.

Alors j't'emmène. Mais si t'essaies de m'duper...

Elle désigna sa laide blessure cachée par sa chemise tachée.

Tu regretteras ces coups-là.

Son ton était sans appel, empli de menaces qu'elle n'hésiterait pas à mettre à exécution. Elle n'avait pas d'amis à proprement parler au sein du village : lorsque l'on vivait chacun pour soi, ce genre de lien n'existait plus. Néanmoins, elle n'avait pas pour but d'amener un loup dans la bergerie. Elle le bâillonnerait bien avant qu'il ne commence à mordre.

Des grognements peu affables résonnèrent au loin – pas assez loin. Alice pesta. Ses craintes se confirmaient : ils risquaient de ne pas atteindre le village à temps. Après quelques minutes de réflexion, elle bifurqua vers le nord en l'entraînant à sa suite d'un geste impatient de la main. Lorsqu'elle avait gagné le hameau un peu plus d'un an auparavant, elle se souvenait avoir aperçu une tour de guet, un avant-poste que les bannis avaient utilisé, lorsque le village n'était pas encore aussi bien sécurisé. Parfois, certains d'entre eux l’utilisaient encore pour s'y reposer ou y entreposer quelques vivres, saisis par la pluie ou la fatigue.

On va s'poser ailleurs, fut la seule explication qu'elle lui offrit.

Le seul effort qu'il devrait encore fournir serait de marcher cinq bonnes minutes puis d'escalader la tour de guet à l'aide d'une épaisse échelle de corde. Alice attendit que le noble soit de nouveau à sa hauteur et lui donna une tape dans le dos qui manqua de le faire basculer vers l'avant. « Allez, courage » aurait pu signifier ce geste. Mais Alice se contenta de lui aboyer :

Grouille-toi, Blondinet.


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Marin de LuynesChevalier
Marin de Luynes



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MessageSujet: Re: Le spectre du remord [Alice]   Le spectre du remord [Alice] EmptyMar 29 Mar 2022 - 17:54
Personne, personne n’aimait perdre, lui le premier. Pourtant, il lui restait beaucoup à perdre. Malgré tout, la réalité avait été supplantée par une intime conviction. Il avait laissé filer entre ses doigts tout ce qu’il avait jamais eu de plus précieux ; des projets qu’ils croyaient inébranlables, un amour qu’il avait cru accessible, un bonheur quasiment palpable. Depuis plus d’un an, il s’était laissé aller à rêver un demain qu’il n’avait jamais imaginé auparavant, quand sa vie n’était alors que frivolités. Il n’avait jamais su perdre aux jeux les plus légers, alors comment gérer cet échec-là, le plus grand que la vie ait pu lui infliger, celui qui réduisait d’un coup, d’un seul, ses perspectives d’avenir, ou tout simplement, son envie d’y participer. Il avait tenu entre ses mains une rose qui s’était subitement évaporée. Ne lui restait qu’une poignée de sable qui filait entre ses doigts ; ses espoirs déchus, ses rêves annihilés, des souvenirs qui s’éroderaient avec les larmes du temps, tout ce qu’il aurait pu saisir et qu’il ne pourrait plus jamais obtenir. Tout son corps était endolori, mais ce qui le meurtrissait le plus était l’invisible plaie béante dans sa poitrine.

Les piques qui lui étaient destinées continuaient de fuser dans sa direction, son ego devint aussi égrainé que ses songes. Il avait du mal à faire des liens logiques, comme toujours, quand l’évidence n’est pas plaisante, mieux vaut détourner le regard et feindre de n’avoir rien vu. Alors, quand elle lui demanda s’il avait compris ce dans quoi il mettait les pieds, il n’aurait pu être plus aveugle. L’air mesquin de cette jeune fille qui se présentait comme faisant partie « des méchants » qui tuent et volent des gentils comme lui, n’éclaira pas davantage la lanterne vacillante du chevalier. Tant qu’elle l’emmenait, il n’allait pas faire la fine bouche sur ses fréquentations, il imaginait difficilement pire que la compagnie d’un fangeux. D’ailleurs, quand l’averse tomba, il se demanda s’il ne commençait pas à glisser du mauvais côté de la pente quand il crut voir la méchante se prélasser sous la pluie.

Il perdait la raison, il avait perdu trop de sang, il était à bout. Il s’en rendait compte trop tard, dès qu’il avait eu quelques regains de lucidité ou d’énergie, il s’était hasardé à papoter et à gaspiller son souffle pour que ça s’empire par la suite. Par la suite, c’était maintenant. Il ne tenait plus du tout le rythme et commençait à se demander si la démone l’emmenait bien quelque part, ou si elle comptait le tuer en le faisant marcher jusqu’à ce qu’enfin, il ne se relève plus. Elle aurait tout aussi bien pu le faire tourner en rond dans les marécages qu’il l’aurait suivi comme un chien galeux et affamé. Une énième menace pour la forme, et ils étaient déjà repartis. Marin n’avait même pas entendu de grognement, en vérité, le sifflement de sa propre respiration n’aurait pas permis de repérer un castor en train de faire son barrage. Une tape dans le dos fit vibrer sa cage thoracique, déjà douloureuse, sa mâchoire se crispa sans pouvoir retenir un énième râle, le regard noir. S’il pouvait se faire bouffer maintenant, au moins il n’aurait pas à agoniser jusqu’à Rikni seule sait quand.

Sans y penser, il se retrouva encore à s’adresser à ces dieux qui l’ignoraient depuis près d’une semaine, n’avaient écouté aucune de ses prières et semblaient jouer avec ce qu’il restait de lui, comme si sa souffrance les nourrissait. Il l’avait laissé espérer jusqu’au bout, quand il n’y croyait plus, ils avaient placé une bonne âme sur son chemin pour lui redonner espoir, il s’était démené jusqu’aux faubourgs, pour retomber encore plus bas. Voilà où il était maintenant, dans la fange des marais, à errer sans but, affamé, âme en peine, à suivre une femme. Il était déjà un fangeux. Ce n’était qu’une question de temps. Peut-être étaient-ce ainsi que les premiers monstres étaient apparus ; des hommes avaient perdu la foi, et s’étaient changés en cette boue qu’ils traînaient sous leurs chaussures.

A un moment, la fille s’affola, à moins qu’elle parla vite. Elle l’avait poussé jusqu’à une échelle, l’avait certainement engueulé pour qu’il monte en vitesse. Il resta accroché aux barreaux à reprendre son souffle. Elle cherchait une solution pour le faire monter, ou peut-être qu’elle jetait un œil aux alentours. Il crut la voir monter, peut-être redescendre, peut-être pas. Il avait bien essayé de monter, mais lever les bras lui était impossible. Il ne pouvait progresser qu’une jambe après l’autre, un barreau après l’autre. Il lui sembla qu’on lui parlait encore ; il s’était immobilisé à mi-hauteur sur l’échelle depuis un moment. Dans la périphérie de son champ de vision, il perçut du mouvement, un animal, le vent, autre chose, agita les buissons. Un sentiment d’urgence l’envahit, il leva les bras embrassant la douleur déchirante. Des mains l’attrapèrent et le hissèrent brutalement. La brune avait dû pousser sur ses jambes de toutes ses forces pour lever ce poids mort, il s’écrasa sur elle. Il fut rapidement repoussé sur le côté où il roula mollement en râlant. Il resta là sans bouger, respirant difficilement. Leur passage dans la rivière et la pluie les avait trempés, avait bleui leurs lèvres. S’ils ne se séchaient pas, ils s’exposaient certainement à une pneumonie. Voilà une autre agonie plaisante, à tousser du sang avec des côtes cassées. Il s’y résolut, incapable de faire le moindre mouvement pour l’instant, il s’abandonna à une somnolence, la joue contre le plancher poussiéreux. Encore une minute… La très longue minute fut entrecoupées de toussotements, jusqu'à ce qu'enfin, il se résignât à s'adosser à une paroi pour essayer de calmer sa toux. Il se remit à somnoler, ignorant les éventuels mots qu'on aurait pu lui adresser.
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