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 Du rêve et de son caractère prémonitoire

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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyJeu 7 Juil 2022 - 21:45



Du rêve et de son caractère prémonitoire | Printemps 1167

Sur le perron de l’hôtel Montecler, mes doigts s’en allèrent s’emparer du heurtoir à tête corvidée pour l’abattre trois fois sur son enclume, le mouvement léger pour ne pas agresser la valetaille. Il se faisait presque tard dans le courant de cette matinée, quelques jours à peine après ma dernière entrevue avec la maîtresse de ces lieux laissés à l’abandon des années durant. Une impatience rare secouait mes factionnaires smaragdins qui ne cessaient de voleter tant sur les nœuds du battant fait d’un bois sombre que les branches revigorées d’un jardinet ayant eu plus piètre mine que cela. Le printemps s’était largement installé durant le mois précédent, et je n’avais guère eu l’occasion de le voir se muer en prémices estivaux qui annonçaient une rude activité sur les flots de la mer du Morguestanc. Toutefois, ce n’était pas le sujet qui m’amenait ce jour dans l’allée de la résidence de Malefreux. Sur le perron, donc, je patientai devant une large porte désespérément close tandis que mon oreille à l’affût guettait la moindre rumeur de pas depuis le corridor – du moins le supposai-je – qui se devait être dans son alignement. Il m’était ardu de mesurer mon excitation, traduite par des pulsations fermes dans ma poitrine encarcanée d’une chemise claire aux manches sensiblement bouffantes. La révélation de mes étranges rêves me mena par le bout du nez jusqu’au pas de cette demeure respirant le deuil et la paresse, brûlante de réponses à convoyer depuis les évènements de septembre passé. Un coffret en bois de pin verni d’un habile mélange de copal et de térébenthine creuse mon flanc sous la pression de mon bras droit ; une cassette dont le contenu sera peut-être restitué à sa juste propriétaire, faudrait-il toutefois qu’elle daigne envoyer un valet de pied à mon service. Un pas léger retentit sur le plancher et je perçus le verrou se mouvoir de lui-même, si bien qu’à l’instant où l’entrebâillement se creusa, je m’engouffrai à l’intérieur de la bâtisse pour m’abriter d’un astre mauvais qui dardait ma nuque à découvert.

Faites mander madame, j’ai en ma possession des biens qui pourraient lui appartenir.

☙ • ❧

La mer bordant le duché par le nord fut tant déchaînée ces derniers jours que bien des matelots crurent avoir offensé Anür et lui adressaient encore des prières à l’heure où les flots s’étaient tus. Nous avions aperçu le Firmament et sa dérive mortelle, vogué à travers ses cadavres et débris errants, repêché parfois un survivant ayant eu la finesse d’esprit de se réhausser sur une porte volée en éclats. Le choc de la carcasse sur les roches du Morguestanc perçait encore ma mémoire de ses échardes démesurées comme autant d’aiguilles fendant l’arène blanche de nos rivages. J’avais pourtant assisté à bien des naufrages sur les crocs de Malemort, manœuvres manquées, poursuites funestes, bien de nos ennemis s’étaient écrasés sur les esquilles de nos falaises menaçantes. L’on m’avait appris à respecter les trépas maritimes comme un appel de la déesse-sirène réclamant le retour de ses enfants dans les profondeurs de nos fleuves et océans, mais ma foi à son égard s’était considérablement étiolée depuis ma captivité à Marbrume, depuis la Fange et l’abandon de mes terres si ardemment défendues tant de siècles durant. La Manticore avait fortement peiné à s’approcher des ravages de cette apparition sur les sommets écumeux des lames, d’ailleurs, nous avions dû rebrousser chemin plus d’une fois lorsque les côtes et les mâts du bâtiment crevé s’annoncèrent dans notre direction. Il nous fallut soigneusement éviter l’avarie tandis que les vagues charriaient leur sombre attelage, afin de rejoindre en canots la plage souillée de mousse écarlate.

Le chaos fut pour le moins total, pleurs douloureux, hurlements dans l’espoir de fendre le brouhaha du ressac chargé de messages funèbres. Et l’éclaircissement de l’empyrée amantelé de ses éternels stratus brumeux laissait à redouter un regain d’agitation dans le domaine d’Anür, les jours qui suivirent. Nous voguions encore après cette catastrophe, veillant à la sécurité des littoraux alentours, volontaires afin de repousser un hypothétique assaut pirate qui aurait été particulièrement malvenu. C’est cependant le chemin d’une toute autre embarcation que nous croisions cette fois, une barque a priori intacte que ma vigie me signalait d’un cri portant jusqu’au gaillard d’arrière.

CHALOUPE VERS SENESTRE !

Les courants facilitant notre collision potentielle, les voiles furent aussitôt arisées pour mieux ralentir notre progression jusqu’à constater, dans le creux de cette chaloupe, deux corps a priori sans vie…





Dernière édition par Lazare de Malemort le Jeu 21 Juil 2022 - 3:15, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyVen 8 Juil 2022 - 6:41
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Du rêve et de son caractère prémonitoire | PRINTEMPS 1167

Ce fut d’abord un premier ballot. Dansant sur le fil de l’écume, il jouait à cache-cache dans le contre-jour imposé par les rayons de l’astre solaire. Il s’engouffra dans la brèche creusée par le roulis de la Manticore, percuta son flanc, tourbillonna avant de se laisser entraîner dans son sillage. Peut-être qu’un œil curieux, attiré par le spectacle hypnotique des vagues, entraperçut-il ce parasite ? Ou peut-être qu’il n’en fut rien. Et la belle nef de poursuivre, à peine importunée.

Ce fut ensuite un amas de déchets disparates. Dépouilles de planches. Cadavres de voiles lacérées, déchirées. Occupant l’espace aqueux, ils tressautèrent entre les vagues pour venir heurter la coque, s'accrocher à ses flancs comme doués d'une vie propre, s’empêtrer dans les remous furieux et s’effacer dans le sillon profond et écumeux. Inséparables vestiges d’une tourmente passée, ils dérivèrent au loin. Et l'impassible navire de continuer ses embrassades écumeuses, à peine effarouché.

Le calme revint, sans que l’horizon proche ne soit entaché de ces bavures inopportunes.

***

Puis ce fut un autre ballot. Puis d’autres trophées rejetés par l’Océan envahirent le champ de vision : serpents de chanvre, chairs flasques de voilages affalés qui ne claqueraient plus sous le vent; débris de bois flotté.

Et au-delà du spectacle de cette insolite brocante à ciel ouvert, une petite chaloupe apparut. Elle pointait son museau abîmé vers la géante rébarbative, comme la défiant d'oser franchir son territoire. Une vague capricieuse la souleva, révélant sa pitoyable vulnérabilité, et dévoilant en son écrin humide les gisants de deux corps, protégés d'une couverture. Aucun frémissement, aucun son n'en émanait.


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Douleur.

Piétinements, ahans et souffles courts. Odeurs désagréables de bois gorgé d’humidité et d’eau salée. Vrombissement de vagues gigantesques et furieuses, alimentées par la bise froide et iodée qui remonte des frontières de la mer. Craquement et plainte des épaisses poutres qui tombent avec un bruit assourdissant dans des eaux noires et inhospitalières. Nausées… tourbillons inlassables du vertige qui emportent avidement les sons et les images vers un puits de noirceur insondable. Glaciales mantes. L’eau s’engouffre et s’insinue. Poumons en feu. L’œil s’entrouvre et attrape des étincelles de lumières mouvantes, un œil vert frappant contre une herse de cils noirs l’observe à travers le rideau aqueux.

Douleur.

Respirer. Respirer…


Euryale se redressa, la bouche ouverte sur un cri muet. Prise de panique, elle rejeta violemment draps et couvertures qui pesaient sur son corps en nage et aspira l’air à grandes goulées. Elle sentait cogner son cœur contre ses tempes, en un concert de battements affolés. Le souffle court, elle se força au calme et s’assit sur le bord du lit, prenant appui sur ses poings serrés. Sa senestre tremblante s’éleva jusqu’à son visage aux joues brûlantes, humides de ces larmes nocturnes dont elle ne maîtrisait pas le cours impie. Agacée, elle se leva pour esquisser quelques pas hésitants autour de son lit, ses doigts agrippés contre ses bras dans un frisson fébrile. Les images brouillonnes de son cauchemar vinrent la solliciter derechef, des flashes intempestifs dont elle tentait vainement de comprendre le sens. D’un mouvement désespéré, elle secoua la tête, les noirs serpentins de sa chevelure désordonnée coulant sur ses épaules, son dos pour venir s’échouer contre la chute de ses reins.

TOC-TOC-TOC.

Quelqu’un frappait. Dans un battement de cils frénétique, la veuve Montecler réalisa que les rayons du soleil avaient déjà grignoté tout un pan de ciel. Sourcils froncés, elle enfila une robe de chambre d’un brocard écru, chaussa des souliers de laine beige et sortit de la pièce. Le silence régnait en maître au creux de la vieille demeure.

- Madame Dufresne ? Monsieur Latour ? appela-t-elle alors, faisant le tour des pièces de l’unique étage. Jehanne ?!

Personne. L’œil rivé sur la large porte d’entrée qui la narguait depuis le palier, Euryale se décida à descendre, d’un pas lent, prudent, l’escalier de bois patiné par le Temps menant au rez-de-chaussée. Sa senestre pâle glissant sur l’unique rampe qui flirtait avec le vide en contrebas, son œil d’opale, interrogateur, accrochait ce rectangle de chêne noir qui se rapprochait, inexorablement. La dernière marche la soutint dans une posture hésitante. Enfin, exhalant un soupir sec, elle tricota vers la serrure qu’elle déverrouilla sèchement avant d’actionner la clenche. A peine eut-elle le temps de guetter l’identité de la personne qui venait la visiter par l’étroit interstice ajouré ainsi généré que le panneau de bois fut repoussé avec autorité, un tourbillon de brise printanière et d’effluves masculins mêlés escortant la massive silhouette qui s’imposa dans le hall. Si la panique enserra son cœur d’une gangue glaciale pendant ce laps de temps où le doute s’insinua en son esprit, la vision de ce dos puissant zébré d’une tignasse ténébreuse ramassée en catogan calma les ardeurs angoissées de son cœur.

Resserrant d’un geste vif, crispé, les pans de sa robe de chambre sur sa gorge, elle avisa la haute silhouette de Lazare, ce dernier lui tournant le dos et léguant déjà ses ordres à l’invisible valet. Humectant ses lèvres sèches, elle le toisa, le front haut auréolé des tortillons indisciplinés de sa noire crinière, le soleil noyant l’espace dégagé par la porte grande ouverte étirant son ombre, fine, délicate, vers celle de ce conquérant matinal. Sous les feux cajoleurs de l’astre solaire, sa spectrale silhouette tremblotait tel un mirage blafard, des postillons de poussière dansant allègrement dans son aura figée.

Et sa voix aux fêlures insolites retentit, agressant la nuque brune du Comte de Malemort.

- Le bon jour, Monsieur le Comte. Quel est l’objet de cette irruption impromptue sous mon toit et dont je dois visiblement m’accommoder ?
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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptySam 9 Juil 2022 - 3:26



Du rêve et de son caractère prémonitoire | Printemps 1167

La tessiture qui résonna dans mon dos n’avait rien de celui de la suivante de la veuve Montecler, cette dame Dufresne qui m’avait été si hostile lors du repas dont elle n’avait pu profiter jusqu’à son terme, pas plus que d’un serviteur quel qu’il soit. Au contraire, comme éraillés par un coup de froid ou peut-être un sommeil bien trop tardif, les arpèges de cette intervention sonnèrent d’une familiarité qui me fit me retourner sans trop tarder. De cette ténèbre épaisse rassemblée en proie acculée derrière le battant surgissent les premiers traits tirés de la maîtresse des lieux. Si je tachais de cacher ma surprise quant à la voir jouer les valets de pied, je n’en étais pas moins stupéfait. Je devais assurément avoir l’air d’un goujat, une fois de plus, à m’être infiltré dans ses quartiers sans plus attendre que l’on m’y invite, néanmoins, je n’aurais pu prévoir de la maîtresse de maison qu’elle m’accueille en robe de chambre, la crinière en bataille mordant la pâleur de son teint d’autant plus exacerbée par l’absence de cochenille sur ses lèvres ou encore la clarté troublante de ses prunelles. Ce portrait farouche me ramenait brutalement aux rêveries ayant motivé ma visite impromptue, cette gorgone du passé dont les tentacules goudronneux me happaient encore en ce jour fatidique. Je n’étais guère plus présentable à vrai dire, une promenade parmi les embruns balayant le port de Marbrume avait chargé ma toison noirâtre d’épis rebelles échappés de leur enclos de cuir. Plus qu’une cassette ornée, je transportais avec moi les fragrances iodées de la mer, l’amertume des eaux stagnantes clapotant sous les quais, et l’allure un brin débraillée que j’arrangeais hâtivement sur le palier de la résidence de Malefreux en une chemise aux pans savamment tapis derrière ma ceinture de cuir.

Mes salutations, madame. Je vous laisserai le loisir de me foutre à la porte à l’envi lorsque vous m’aurez entendu.

Me devais-je jouer le culot que je ne l’aurais pas mieux exécuté. D’un regard par delà mon épaule, je lorgnai une table ou un guéridon qui me débarrasserait de mon paquetage spécial et vers lesquels je me dirigeai impérieusement pour mieux l’y déposer. Mes phalanges en cerbère sur le couvercle de cette malle, mon attention se reportait sur l’hôte de ces lieux sans pour autant la dévisager outrancièrement dans son accoutrement indu. Ma posture ne suggérait pas l’urgence, si bien que je l’espérais assez fine pour s’imaginer pouvoir revêtir plus confortable avant de nous rejoindre, moi et mes lubies.

☙ • ❧

Je découvris les deux corps sous leur médiocre duvet aux iridescences salines depuis le sommet de mon empire flottant. L’on s’était jeté à l’eau pour accrocher les contours de la misérable barque, débattu pour la ramener près de la coque éraflée de mon royaume de cordages et de voilure. Du contrebas de nos échelles de bois, l’on me vociférait des informations sur ce couple évanoui dont les dérives s’engageaient vers le port de Marbrume. L’homme froid, rigide, respirait un parfum funeste d’infection et de purulence qui effraya bien assez vite les quelques mousses s’étant portés volontaires pour rapporter à mes pieds cette trouvaille intrigante. Le souvenir des Fangeux n’était jamais bien loin, malgré les flots qui semblaient les tenir à l’écart sur l’arène pâle du Morguestanc, et la perspective d’un membre de cette caste honnie sur notre pont leur avait fait prendre quelques distances. Qu’en était-il d’elle, sous cet amas de crin noir emmêlé ? Je n’en percevais que la silhouette maigrelette sous la couverture grisâtre, inerte et accolée à celle mal en point de son confrère que j’en déduisis être un proche frère ou amant. L’on me soutenait qu’elle était faible mais bel et bien vivante, la respiration si faible qu’il se jouait de peu de temps avant qu’elle ne passe à trépas.

On les r’monte, capitaine ?
Nun, amarrez le canot vers dextre, nous l’escortons.
Oïl dea !

Bedefert, l’un des rares marins à approcher mon âge sans avoir souhaité gagner ses éperons, se proposa toutefois pour descendre une gourde d’eau claire à la faiblarde, afin de nettoyer son visage du sel accumulé et peut-être lui faire regagner suffisamment conscience pour l’abreuver d’une maigre gorgée.



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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyDim 10 Juil 2022 - 22:53
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Du rêve et de son caractère prémonitoire | PRINTEMPS 1167

La petite chaloupe à l'aspect malmené vint flirter contre les abords de la Manticore. Au fur et à mesure de la manœuvre d'approche, son Capitaine put d'abord deviner la forme de corps étendus gauchement en son centre. Une couverture à la teinte décolorée par l'assaut des embruns les recouvrait d'un étrange linceul. A droite, son bord supérieur, râpé, laissait entrevoir les entrelacs ténébreux d'une longue tignasse échevelée. Situé à gauche, un autre corps, plus grand, semblait observer les cieux dans une pose méditative aux accents d'éternité.

Au-delà du silence morbide qui semblait jeter une chape de plomb sur l'esprit des spectateurs, ce fut l'odeur qui s'en échappait qui frappa les sens. Et les consciences. L'odeur de la Mort qui agressait les narines, comprimait les poumons, tordait l'estomac dans des élans nauséeux. Des relents de putréfaction qui se manifestaient au rythme capricieux de la brise marine, les courants d'air soulevant ces effluves infects vers les nuées et rendant la manœuvre de sauvetage quelque peu malaisée.

Quand les hommes se jetèrent à l’eau pour attacher le canot, tous découvrirent alors le triste spectacle d'un couple étroitement serré l'un contre l'autre; cependant, seule la femme paraissait entourer la taille de l'homme d'un bras inerte. Enfin... ce qui semblait être un homme tant son visage gris et émacié, ses orbites enfoncées autour de ses yeux flétris, aux lueurs fanées, ses joues creusées de chaque côté de ses lippes crevassées, lui donnait davantage l'aspect d'un cadavre en décomposition avancée qu'à un spécimen en pleine capacité de la gent masculine. Une large auréole brunâtre maculait la surface de la couverture, au niveau de la cuisse droite de l'inconnu. Quant à la créature qui l'étreignait – d'ailleurs, il était possible désormais de déceler le scintillement d'une alliance à son annulaire gauche - il était difficile de deviner si elle était encore en vie. Ou si Anür avait prélevé sa dîme. Sa chevelure charbonneuse griffonnait sa face ainsi qu'un voile de sombre dentelle apprêté pour célébrer le deuil ; quelques mèches, rigidifiées par le sel et le Soleil, avaient pris l'aspect de brindilles tordues, blanchies. La senestre, aux doigts crispés, posée sur l'abdomen du mort était pâle comme un éclat de lune. Avec sa robe noire au tissu d'une évidente qualité, mais défraîchi et par endroits déchiré, elle avait l'air d'un oiseau blessé, au plumage ébouriffé. A l'écart, gisaient de petites bottines de cuir, abîmé, gonflé d'eau. Sans doute les avait-elle retirées pour se sentir plus à l'aise ? La barque, elle, était vide de tout objet qui aurait pu être utile. Même les rames manquaient à l'appel.

Puis, contre toute attente, alors que les secondes défilaient, et que la découverte de cette scène morbide faisait son chemin dans les esprits superstitieux des marins, un spasme fit trembler cette main abandonnée.

- L’est v’vante, cap’taine !

***

Un sursaut dans sa conscience.

Une voix. Ou peut-être plusieurs. Elle n'aurait su le dire.

La faim, la soif, toutes ces privations endurées dans cette dérive sans fin sur ces eaux inhospitalières provoquaient sans doute des hallucinations auditives ? Ce devait être cela, la fin. Il n'y avait personne, elle était seule. Et elle mourrait seule. Pourtant... voilà que maintenant, elle avait la sensation que quelque chose l'effleurait, la touchait. Et cette fraîcheur inattendue sur ses lèvres à la pulpe craquelée. Une fraîcheur liquide, dépourvue de saveur salée. Si douce, si bienfaisante, si... irritante ! Ô combien elle aurait voulu que cela ne s'arrête pas. Si soif... si mal, dans sa chair, dans son âme. Elle aurait voulu proférer un son, mais sa gorge asséchée aux cordes vocales engourdies ne s'anima que d'un râle poussif, pauvre couinement de bête aux abois. Elle aurait voulu ouvrir les yeux, éprouver la cruelle vérité de son isolement, prendre conscience que son imagination lui jouait quelque odieux tour avant qu'elle ne cède devant les portes de l'au-delà, et qu'il ne s'agissait là que de tritons et de sirènes issus de ses délires fantasques. Il n'y avait personne, elle était seule. Et elle mourrait seule.

Une voix. Ou peut-être plusieurs. Elle n'aurait su le dire.

Elle replongea dans le néant.

***

Pendant toute la délicate manœuvre exécutée avec l’expérience et le professionnalisme inhérents au vécu maritime de l’entourage, l’Inconnue n’émit aucun mouvement. Après la brève tentative avortée d’exhaler le moindre son, elle semblait être retournée dans les limbes comateux d’un sommeil sans rêves. Ses cheveux sombres, sales, avaient été éloignés de leur emprise possessive sur les contours de son pâle visage ; ils persistaient malgré tout à s’accoler, telles de noires sangsues, à ses tempes et à ses joues. Dans cet inquiétant état de déshydratation, il était malaisé de deviner son âge : la peau au teint terni, léchée par les réverbérations de l’implacable Soleil, semblait avoir perdu de son élasticité, ses lèvres étaient gonflées, gercées. Si petite, si délicate poupée de porcelaine, semblait-elle dans les plis de cette robe à l’aspect lugubre.

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Le hall formait un étroit rectangle qui s’étirait vers l’arrière de la vieille bâtisse, fermée d’une porte ajourée de verre martelé qui ouvrait sur un jardinet. A gauche et à droite de l’entrée principale se jaugeaient deux autres portes, la première menant à un bureau – celui de feu son père – et l’autre au salon. Nul vase, nul bibelot, ne venait amoindrir la rusticité des murs tapissés de fleurs d’acanthe. Les deux fenêtres de part et d’autre du seuil s’ornaient de rideaux bleu ciel, seule touche de couleur que crevaient les lances de l’astre solaire à travers les vitraux sertis de plomb.

Euryale l’observait, sa prunelle roulant sur cette rustre physionomie, telle la vague orageuse se jetant sur le rocher inébranlable. Un coup d’œil par-dessus son épaule lui fit appréhender quelques passants qui zyeutaient sa silhouette esseulée, chiffonnée, dans l’encadrement de la porte demeurée grande ouverte par l’irruption du Comte. Sa main se cala alors sur le bord de l’épais battant de chêne, l’enserra avec force entre ses doigts dont la jointure des phalanges blanchissait sous le joug de la pression imposée, et le repoussa avec une lenteur d’autant plus lente, maîtrisée, que son sang bouillait dans ses veines.

- Vous excuserez mon accoutrement, Monsieur le Comte. Mes gens sont absents. Souffrez donc que je vous ouvre en personne, plutôt que de vous laisser sécher au soleil comme une bernique sur son rocher. exprima-t-elle, sa voix d’alto aux prosodies éraillées percutant l’espace entre eux. Et de fomenter quelques pas vers l’escalier, le maintien fier, une main retenant les pans de sa robe de chambre contre sa gorge pâle et nue. Je reviens.

Plantant là Lazare de Malemort sans autre forme de procès, la veuve Montecler disparut dans les ombres de l’étage supérieur. Quelques minutes à peine s’écoulèrent avant que sa silhouette, toute en clair-obscur, ne daignât refaire surface. L’épais et indomptable cheveu tressé oscillait dans son dos, dansait le long de sa colonne vertébrale tel un serpent de ténèbres, docile. Un voile de mousseline noire préservait à peine la vision des rebelles frisottis qui mordaient son front et ses tempes. Les blafards atours de son vêtement de nuit avaient cédé la place à une cotte d’un sombre velours, les teintes glauques du deuil se rappelant voracement à son souvenir. Euryale rejoignit donc son insolite visiteur, le guettant dans toutes les nuances contradictoires que pouvaient suggérer ses iris d’opale crochetés à leurs opposés : agacement, curiosité… crainte. Leur mire glissa sur les contours du coffret déposé sur la tablette de bois du proche guéridon avant de reprendre leur prime position. Elle entrelaça alors ses doigts contre son ventre.

- Je suis toute ouïe, Monsieur le Comte.


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyLun 11 Juil 2022 - 22:33

Du rêve et de son caractère prémonitoire | Printemps 1167

Un accueil autrement préférable. Mais qui suis-je pour vous tenir rigueur d’un rien ? En dépit de tout soleil, mon cuir n’aurait guère cédé au devant de votre porte.

La Baronne Montecler referma le couvercle de ce tombeau sur un rai aveuglant fendant mon faciès d’une estafilade blanchâtre par laquelle je perçus les curieuses intruses, témoins de ma présence en ces lieux. Sa poigne si pâle, comme malingre, incarcérait les nobles méandres de sa robe en un gorgerin délicat tandis que la protégée vibrait d’une tessiture encore ankylosée par un sommeil tardif. La silhouette blafarde s’éloigna sans attendre, ses chaussons de laine ne fomentant aucune rumeur outre celles, vicieuses, d’un parquet vieilli au-dessus de ma tête lorsqu’elle rejoignit l’étage et ses quartiers. C’est au pied d’un guéridon disposé en ornement du hall que je patientais, figé comme un garde ducal sur le pas du grand palais. La pulpe de mes doigts épousait les farouches reliefs du bois verni dans une impatiente valse aux allures de boléro, croquant d’interminables dessins sans queue ni tête à mesure de secondes égrappées. Je n’avais guère l’audace d’aller clencher le battant du salon, pas plus que celui du bureau d’ailleurs, mesurant ma bonne fortune d’avoir été invité à demeurer en ces lieux, plus de force que de gré. Un silence religieux me tint au respect, durant lequel mes songes vagabondèrent encore, libérés de leur démon en cette matinée plus paisible, pour mieux se figurer les agissements de la domina. Si l’adolescence m’était lointaine et ma vétérance moins encline à me perdre en pensées honteuses où quelque femme se serait vue dénudée d’un regard afin de mieux fondre sur elle, ici, je n’avais à l’esprit que la noirceur rebelle d’un crin dompté d’une natte épaisse, ligoté d’une cordelette, sous l’ouvrage arachnide de doigts incolores. Un portrait dont l’amertume du souvenir s’en vient se mêler au sucre qu’il distille entre mes tempes, et le force à l’aigreur.

La veuve choit, degré après degré, de son piédestal intrigant tout en ayant revêtu le deuil et l’austérité de sa condition, un caractère nourrissant les fleurs du mal qui me rongeait encore à ce jour, deux pleines révolutions passé cet instant déchirant. La souplesse de sa cotte sombre jurait avec la raideur de ma chemise soumise aux affres de l’iode et des embruns, fort heureusement d’une teinte claire pour ne pas en remarquer la décoloration inévitable, coloris qui se prêtait – je le pense – particulièrement à ma carnation. Plantée à son tour en aval des marches éreintées, ses doigts entremêlés sur son giron en une herse inexpugnable, la Baronne me jaugeait dans ce que je captais de sévérité mais aussi de doute, appréciant à sa juste valeur mon intrusion grotesque mais redoutant aussi les nouvelles révélations dont je me faisais le sinistre messager depuis les prémices de notre rencontre hasardeuse. Avait-elle seulement tort…

La nuit dernière fut pour le moins porteuse de bien étrange souvenance, madame… amorçai-je dans l’intention de lui conter ce jour fatidique depuis mes errances maritimes à son chevet sous l’égide des Trois.

☙ • ❧

Bedefert jeta quelques flots clairs d’une gourde de bois dans le creux de sa paume abîmée et la passa sur le front penché de la malheureuse, humidifiant tant sa crinière sèche que sa peau agonisante sous le soleil de plomb. Installé en quinconce des corps entremêlés, il libéra le faciès assoupi de la survivante de ses zébrures ténébreuses avec une délicatesse toute relative à l’urgence de la situation. Un autre matelot jeté à l’eau s’occupait, ce temps durant, de nouer un bout en proue de barque afin de mener l’embarcation en laisse jusqu’au port de la cité ducale. De mon perchoir, accoudé au bastingage quelques pieds au-dessus de ce mystérieux débris du naufrage, je supervisais l’opération avec attention. Il nous fallut remettre les voiles rapidement, ce que j’ordonnai d’un haussement de ton tout en rejoignant la barre du bâtiment tandis que l’on aidait Réans à regagner le tillac. Nous savions d’ores et déjà, un jour ou deux après avoir accueilli les survivants du Firmament échoué, que nous étions en présence d’Hendois. D’Avila, mon loyal quartier-maître, ne put s’empêcher de me demander s’il ne vallait pas mieux les laisser dériver encore et leur épargner une pénible existence cernée par la Fange. L’interrogation fut pour le moins pertinente, lorsque nous manquions de bien des choses. Plutôt, lorsque le peuple nécessiteux manquait de denrées élémentaires tandis que nous autres nobles avions encore le loisir de manger à notre faim, quoique d’aucuns puissent se plaindre de la raréfaction en viande. Il était vrai que les sauver n’était guère un privilège mais un châtiment, que leur réputation déjà controversée allait leur fermer bien des portes. Toutefois, offrir au Fléau d’autres âmes pour renflouer son armée éparse ne me semblait pas plus judicieux, et contrevenait à bien de mes principes.

Il se fallut d’une large demi-heure pour raccompagner à bon port la Manticore et son étrange paquetage. Le navire n’était pas encore immobilisé à quai que je sautais du pont sur la première passerelle qui allait être installée, laissant aux bons soins de mon second d’achever la manœuvre d’amarrage. Bedefert heurta avec douceur le ponton depuis sa barque d’appoint, et j’appelais mes hommes les plus vigoureux pour hisser hors de ce cercueil flottant les deux corps sur deux planches faisant office de brancards peu confortables. L’ouvrage ne fut pas des plus aisés, ni même des plus délicats, lorsque l’on sortit en premier la femme émaciée pour l’étaler sur un morceau de bois flotté, la balottant avec prudence pour l’écarter du chemin que son confrère devrait suivre… jusqu’à un certain point. Car les deux ne se dirigeaient pas vers la même finalité, quand l’une se devait rejoindre le dispensaire sacré, l’autre finirait au bûcher tôt ou tard. Le gardien de ces deux corps me tendit un poing clos afin de me léguer quelques effets dérobés sur la dépouille du pauvret mais surtout : une alliance que je devinais liée à celle enserrant le doigt de la survivante.

Alors je me mis à accompagner le cortège de brancardiers menant l’évanouie, la déshydratée, l’épuisée, aux portes des locaux médicaux du Temple Trinitaire…



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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyMar 12 Juil 2022 - 12:04
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Du rêve et de son caractère prémonitoire | PRINTEMPS 1167

La Naufragée sur sa civière improvisée, rudimentaire, prit la direction du Temple. Depuis le Port vers le Quartier de la divine Trinité, le cortège de marins silencieux, aux ordres de leur Capitaine basané, fit place nette devant le fardeau humain, stoppant ou repoussant tout badaud curieux qui s’insinuait sur leur chemin, bloquant chaque carrefour, chaque ruelle, jusqu'à ce que la créature inconsciente put enfin rejoindre l’asile de sa destination.

***

Le balancier sec, nerveux, avait cessé. Et sur sa peau ne ressentait-elle plus la cuisante morsure du Soleil, tout comme le Vent avait cessé ses cajoleries frivoles sur sa chevelure. La harcelante lumière n'agaçait plus les parois délicates de ses paupières, remplacée par une insolite obscurité. La Nuit avait-elle déjà étendu ses ténébreux étendards... ? Pourtant, elle ne ressentait pas son froid baiser. Avait-elle cédé, s'était-elle inclinée face à la Mort ?

Encore cette impression d'être touchée. Manipulée. Ploc ploc ploc. Une mélodie à ses oreilles, et la fraîcheur humide de susurrer sur sa peau avant qu'une chaleur délicieuse l'envahisse, à laquelle elle s'abandonna, exhalant inconsciemment un soupir de soulagement non feint qui entrouvrit à peine les barrières de ses lèvres abîmées. Sur sa langue gonflée, pâteuse, des perles d'eau sucrée s'insinuèrent, embrasant ses papilles ; l'information sinua jusqu'à son esprit engourdi, y créant un maelström de sensations. Une explosion d'émotions contradictoires.

***

- Quel est son état ?

Un frisson dans sa conscience.

- Stable, pour l’instant. Aucune maladie ou… trace de morsure.

Une voix. Ou peut-être plusieurs. Elle n'aurait su le dire.

Son agitation onirique avait cessé et une relative sérénité scellait désormais les tics nerveux de sa face pâle dans un masque marmoréen ; une froideur sévère exagérée par la présence de ses sourcils noirs, petites flammes ténébreuses qui jetaient leur ombre sur ses paupières closes. Les traits de son visage, malgré la minceur accentuée par les récentes privations, se révélaient fins, délicats. La peau, bien que nettoyée avec soin par les prêtres, se parait encore d'un essaim de cloques séchées provoquées sans doute par les embruns et les lances du Soleil. Ses cheveux sombres, encore humides du traitement récent, ondulaient en écumes désordonnées sur des épaules étroites, à l'esquisse droite.

La femme dormait, ignorante de tout ce qui se jouait autour d'elle.

- Une de ses mains est gonflée et bleuie. Sans doute due à un choc ou un écrasement, mais pas de fracture. Elle est très faible, et son corps souffre évidemment des privations en eau et nourriture. Le repos lui permettra de reprendre des forces. Il m’est cependant difficile de prédire le moment où elle reprendra conscience. Ses éveils sont pour l’instant erratiques et peu cohérents.


Une voix. Ou peut-être plusieurs. Elle n'aurait su le dire.

- La connaissez-vous ?

Dans un gémissement éraillé, elle battit des paupières, crochetant les faucilles pâles, acérées, de ses prunelles larmoyantes sur le halo brun, brouillon, d’un faciès aux traits taillés par une serpe rude, et percé de deux écus émeraude… avant de plonger derechef dans le néant.

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Intriguée par cette sibylline sentence, la dame de Malefreux se rapprocha davantage. Sa silhouette flirtant l’aura de l’homme, ses sens olfactifs capturèrent les fragrances marines qui se dégageaient de l’austère et simple toilette rigidifiée par le sel ; ces effluves sournois, familiers, provoquèrent le battement nerveux des écrins de chair diaphane au-dessus des deux écus d’argent braqués sur le coffret. Dans un élan faussement nonchalant, sa dextre s’échappa de l’emprise de sa jumelle pour venir cajoler, prudente, le couvercle de ce boîtier, ses ongles s’attardant à en gratter les aspérités et reliefs sculptés. Son front se plissa. Quelque chose dans ce tableau la dérangeait, remuait les tréfonds obscurs d’un souvenir, ou plutôt d’une impression de « déjà-vu », tandis qu’elle relevait la tête pour affronter les hauteurs de cette massive carcasse, et s’arroger le droit de dévisager ce faciès à la carnation cuivrée, auréolé du buisson à peine maîtrisé de sa ténébreuse chevelure. Tout comme elle plongea, l’air inquiet, dans l’océan smaragdin de ces prunelles obombrées de leurs noires ailes.

- Je crains de ne pas comprendre. Parlez, Monsieur, je goûte fort peu aux jeux des énigmes… le pria-t-elle d’un ton dont la douce mélodie se voyait étouffée par les fêlures naturelles de sa voix.


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyMer 13 Juil 2022 - 2:23

Du rêve et de son caractère prémonitoire | Printemps 1167

De quelques pas, la dame de ces lieux avala la distance qui nous séparait encore, bon gré mal gré, de l’autre. Si je ne prêtais attention à rien d’autre que le taffetas endeuillé enserrant ce crin sauvage fin dompté d’une tresse échappant quelques embardées, j’aurais pu aisément croire que la veuve avait lévité jusqu’à moi. Et là où rôdaient tels un cerbère mes doigts calleux d’avoir trop manié le cordage s’invitait la minutie des ongles délicats dans leur nerveux sillage. Ce gardien insouciant de ne pourtant jamais en déceler la présence, se laissant choir de son rebord abrupt pour en abandonner les ruines estampées de pics et ravins qu’un aveugle saurait lire. Les espionnes olivâtres s’en allaient quant à elles déchiffrer les vallons inquiets creusant leur marque éphémère sur le vélin apâli de son front, capter les plissures inquiètes ornant ses tempes de fêlures passagères, consigner même les vibrations contrariées des tonnelles charbonneuses coiffant ses paupières agitées en deux arcs expressifs. Qu’elle était frêle, petite, chétive, si près de mon robuste héritage depuis des années parfait et travaillé ; un oisillon qui pourtant n’hésitait guère à me jeter de tranchants javelots d’opale d’un battement de cils. Elle n’aurait guère ma retraite, figé ici sans fomenter de recul quelconque afin de conserver ma ligne de front inviolée. Ni même un manquement de ma respiration pourtant déjà perturbée par les mille songes se jetant contre mon crâne dans l’espoir de s’en libérer. Abaissant le menton pour mieux en cerner l’approche sournoise, deux éclaireurs amantelés de jade annoncèrent la souple valse des lèvres dont le mauve se rappelait à moi par la froideur de ce teint de nacre. Sa supplique pourlécha le pavillon de mon oreille, un venin s’insinuant contre mes tympans pour en séduire le tambour.

Alors je lui contai.

N’étais-je pas venu pour cela de prime abord ? Je lui contai. Ce naufrage ne souffrait pas la nécessité du détail. La patrouille n’était guère qu’une mesure routinière après de tels événements. Le hasard ayant porté cette barque sur mon chemin tenait du miracle d’Anür. L’arrivée fort heureusement aisée dans l’écrin portuaire de Marbrume accéléra la cadence de ce sauvetage inespéré. L’escorte au pas du dispensaire ne se fit pas sans mal au regard des quartiers traversés, mais s’effectua néanmoins sans dégât. De là, cet entretien auprès de quelque bigot infusé du don de guérison n’avait qu’une place mineure dans tout ce récit, mais se devait être cité malgré tout.

Je lui contai tout. Jusqu’à l’instant où…

☙ • ❧

Aucune morsure. Ce fut une nouvelle accueillie avec un soulagement manifeste de la part de mes camarades navigateurs, aussitôt chassés après avoir capté cette nouvelle à porter au restant de l’équipage. Il n’avait pu en être dit autant de l’époux de cette marmiteuse, assurément porté au bûcher sans autre forme de procès comme il était de rigueur en ces temps où chaque trépas se pouvait en engendrer bien davantage. Des années avaient déjà passé sans qu’un cimetière ait embrassé d’autres dépouilles à fleurir, tant la crainte d’un maudit renouveau résonnait encore dans les mémoires de ceux ayant pleuré une victime de ces assauts pernicieux. Ce fut au cours même du détail abrutissant de ce guérisseur qu’enfin je raccrochais ses palabres incessantes pour mieux entendre l’information dont je souhaitais disposer : la date hypothétique de son réveil. Car entre mes doigts filait la préciosité annelée d’un mariage brisé par la parque et dont la muqueuse gravée de lettrines ne m’évoquait aucun écho familier. J’en retins néanmoins ceci : le port de l’alliance dans nos contrées de Langres n’est point chose des petites gens, et j’en déduisis la haute extraction de ces deux échoués.

Non point, j’en suis le convoyeur. Gardez-vous, nonobstant ce, de la brusquer. Sous ses allures disetteuses, ce fut sans doute une dame.

Cette mesure évoquée, je m’en allais tourner les talons que l’on m’interpella pour requérir ma patience et quitter le chevet de la pauvrette afin de s’engouffrer parmi la cohue des rebouteux grouillant au sein de l’hospice sanctifié. Patience acquise, je me contentai de croquer les contours contorsionnés de la naufragée, rabougrie dans sa couverture feutrée et lavée de ses mésaventures. L’astre de septembre n’eut point fait preuve de clémence quant au lait de son teint diaphane, mais la finesse de ses traits – bien que parfois froissés d’un mauvais rêve – ne sut tromper mon hypothèse quant à ses nobles origines. De diaboliques relents de lucidité l’éveillaient parfois assez pour croiser nébuleusement les fentes smaragdines parcourant la surface de son lit d’appoint, le temps que l’on m’apporte d’autres renseignements. Et le bigot, grisonnant, de piétiner jusqu’à moi pour me tendre une pleine poigne de filaments de cuir ; si je lui offris ma paume, quelques bijoux artisanaux s’y échouèrent mollement, ainsi qu’une seconde alliance en adéquation avec celle que Bedefert m’avait léguée. Un sentiment de mal-être vint me percuter en plein ventre lorsque je m’emparai de cette ansette rudimentaire pour la rendre au religieux, quitte à forcer sa présence dans le creux de sa main veinée par l’âge.

Veuillez la lui restituer immédiatement, je ne m’en porterai pas garant.
Mais sa main...
Suffit. Passez-lui une ficelle s’il le faut, peu me chaut.

Le cuisant rappel que ce maigre bijou marquait au fer en ma mémoire me fit aussitôt faire volte-face, le grattement désagréable du démon se manifestant soudainement pour taire le contrôle de mes actes. Le pas cadencé, je fusais entre les lits, paquetages et prêtresses rendant les derniers offices d’Anür, assoiffé de liberté, avide de retrouver l’air si caractéristique du large que j’avais précipitamment quitté. Je me savais coincé à quai ce jour, toutefois, c’est à travers la Hanse qu’il me fallut couper pour regagner la sérénité d’un paysage familier et réconfortant, celui des mâts ballotant au rythme du roulis.

Alors, je m’en allai, abandonnai l’étrangère à un sort peu enviable, le cuir d’un bracelet roulant sous mes doigts d’airain.


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyMer 13 Juil 2022 - 16:37
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Du rêve et de son caractère prémonitoire | PRINTEMPS 1167

Et le Comte entreprit de lui narrer une étrange histoire, sa voix à la tessiture grondante tel un orage d’été peignant les contours d’une scène à la conclusion tragique. Sous ses mots qu’il semait, petits cailloux noirs sur le sillage de ce vieux sentier, tels les coups de pinceau d’un maître se hâtant d’achever son œuvre, la chaloupe dérobée au Firmament lors de cette terrible tempête se matérialisait, reprenait vie, ballottant sur les flots au gré du zéphyr capricieux sous le regard écarquillé d’Euryale, redevenue une simple naufragée en cet instant électrique ; l’ombre éthérée de Josse harcela derechef sa mémoire endeuillée, le tendre sourire de son époux, affadi par la fatale évidence de sa mort prochaine, s’étiolant tandis qu’il murmurait ses ultimes sentences aux portes du domaine d’Anür. Elle suivit Lazare à bord de cette Manticore dont il était le Capitaine, endossant, le temps de ce récit aussi morbide que captivant, ce rôle de spectateur alors que la barque esseulée s’amusait à flirter avec les flancs de la nef.

La veuve Montecler écoutait, patiente, avide, ses iris flagellant de leur lame acérée, froide, les lèvres mobiles, piquetées de leur crin dru, de l’homme dont le verbiage implacable l’accablait, visant l’essentiel. Et lorsqu’il aborda l’épisode final qui l’avait vue confier aux mains des prêtres du Temple de la Trinité, un flash sournois caracola sous son front nivéen qu’effleuraient les noirs tortillons de sa coiffure recouverte de son voile maussade. Ses sourcils se froncèrent, ses cils se figèrent, leurs ténébreuses guipures couvrant de leur ombre les lacs opalescents de ses prunelles ; ces dernières, comme douées d’une vie propre, ne cessant de virevolter sur le cuivre de ce faciès haut perché sur ses larges épaules. Ses doigts se crispèrent sur le couvercle du coffret, ses ongles caracolant sur ses reliefs au rythme des rouages qui s’imbriquaient à l’intérieur de son crâne, tandis que ce souvenir-là, autrefois liquéfié dans les affres de la fièvre et de ses délires, jugé sur l’autel d’un mauvais rêve, se trouvait aujourd’hui à portée. Là, devant elle. Elle concevait à présent la réalité, la tangibilité de ces fugaces résurgences qui lui avaient fait entrevoir autrefois le visage d’un homme, dont le regard perçant, dur, persistait à hanter les rivages oniriques de ses échappées nocturnes.

- C’é-… C’était donc vous ? ne sut-elle que murmurer, son regard écarquillé, incrédule, se brisant sur le poitrail de Lazare, comme si elle n’osait plus le provoquer de sa mire insolente, aussi glacée qu’ardente.

Jusqu’à l’instant où son attention, erratique, échoua sur les contours de ce petit coffre que ses doigts blancs avaient cessé de martyriser…



Dernière édition par Euryale de Malefreux le Jeu 14 Juil 2022 - 8:47, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyMer 13 Juil 2022 - 22:08

Du rêve et de son caractère prémonitoire | Printemps 1167

Me fallait-il nécessairement lui faire endurer cette bataille, lutte de vie ou de mort, une fois de plus à travers mon récit ? Il n’était pas tant question de lui infliger mille et un sévices, et je n’avais guère cœur à la plonger inévitablement dans le bain de ces instants de trouble et de terreur. Ce chemin de croix, je l’arpentais moi aussi jusqu’à m’en user les genoux sur le gravillon d’un châtiment qui n’avait de cesse de me pétrifier d’effroi, et avait à jamais souillé ma loyauté à l’encontre de cette cité. Je me souvins avoir ramassé mes doigts en hameçons contre mon échine, se crochetant les uns aux autres comme ces pauvres hères naufragés avaient dû s’y atteler lorsqu’affrontant les lames déchaînées du jugement d’Anür. Pour une raison que je n’expliquais pas, et qui me troubla tout autant, cette frayeur panique lorsque choient les mâts, s’arrachent les planches, se crève la coque, m’était si familière qu’il m’était ardu de contenir ma concentration sur le seul récit de ces jours d’accalmie. Pourtant, à ce jour, la Déesse Sirène – aussi traîtresse soit-elle – m’avait toujours gardé de ces sombres augures de perdition en mer. Accompagner de nouveau la veuve endeuillée sur le sentier accidenté de son arrivée à bon port avait cela de nécessaire, néanmoins, qu’il me fallut justifier la présente ; ce coffret gavé de babioles parmi lesquelles, peut-être, celles qui s’égarèrent dans son sillage durant cet épisode convalescent.

… Ce fut ainsi que je m’eusse retrouvé en possession de ces quelques colifichets. D’aucuns seront récupérés par leurs légitimes propriétaires, or je gage hui pouvoir me libérer de cette charge.

Ce fut tout d’abord de son regard vacillant que je m’extirpais, cette attention dévorante me submergeant sous les flots opalescents d’une mire singulière, pour mieux embrasser les pourtours dentés de ma cassette personnelle. Ma senestre en couvrit les gravures fanées le temps de s’en emparer et la porter à hauteur d’observation, l’autre titilla le loquet oxydé de cette boîte de Pandore afin d’en basculer le couvercle sur pléthore de babioles, bijoux et gris-gris de toute forme et couleur. Cet amas hétéroclite de souvenance et de distance tant il m’était impossible de me rappeler la provenance de toutes ces breloques formait parfois un nœud de chaînes ou de liens de cuir. L’abaissant pour mieux laisser à la domina Montecler le loisir d’entreprendre un périple parmi ces vestiges d’autres vies parfois d’ores et déjà fauchées, j’anticipais l’instant où ses doigts délicats s’en allaient crocheter la cordelette d’un…

☙ • ❧

… pendentif croquant l’esquisse d’une serre corvidée, d’argent ou d’or blanc à la convenance de tout orfèvre qui saurait me le préciser. En son sein, une goutte opaline scintillait à la lueur des quelques torches piquetant le bastingage de la Manticore sur laquelle je m’étais réfugié à la mort du crépuscule. L’autre leg s’était constitué d’un amoncellement de matières, textures et préciosités disparates : perles d’un bois sombre que je soupçonnais tout au plus être de l’ébène, ou assurément étranger au Morguestanc, poinçonnées de gravures que d’aucuns considèreraient tribales, ainsi qu’orbes de cornaline ou de jaspe rouge relevant la noirceur de ces écorces mais aussi la tresse aile-de-corbeau faite d’un crin que je devinais humain à sa finesse et sa fragilité. Nul doute quant à la provenance de cette rescapée d’Anür, car seul le nord des eaux assassines savait se doter de tels bois que je m’étais tant éreinté à obtenir, en vain. Ces ornements entrelacés dans mes doigts, je m’étais finalement installé sur la rampe épaisse en liseré du gaillard d’arrière, le regard viré au large où je devinais les littoraux oniriques d’Hendoire.

Une seule question me trottait en tête encore : qui d’autre avait là-bas survécu à cette terrible épreuve des Trois ?


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyJeu 14 Juil 2022 - 14:12
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Du rêve et de son caractère prémonitoire | PRINTEMPS 1167

Le silence perdurait, onde sourde qui rendait chaque battement de cœur plus percutant à ses tempes. Les doigts bruns du Comte déchirèrent soudain la toile figée de ce tableau étrange qu’ils formaient tous deux, l’un affrontant l’autre dans toute sa psyché propre et complexe, et s’agitèrent autour du coffret pour en desceller le loquet fatigué. Sous le regard écarquillé d’une Euryale hébétée, le couvercle de la cassette aux reliefs érodés s’ouvrit, épanchant toute sa collection de colifichets, de breloques, babioles et bijoux de matières et provenances diverses. Sa pâle senestre vogua jusqu’à ce monticule hétéroclite d’où s’échappaient, dans cette intimité à peine révélée par la lumière de l’astre crevant le verre cathédrale des hautes fenêtres à ogive, les escarbilles d’or et d’argent de ces chaînes, ras-de-cou et ornements entremêlés. Ses doigts hésitants crevèrent la surface de cette houle immobile d’entrelacs pour attirer, juger puis rejeter ce qui n’avait point sa faveur. Au terme d’une errance faussement aveugle, ils se jetèrent en pâture sur un pendentif particulier que la dame éleva, sous la mire olivâtre d’un Lazare sur le qui-vive, le faisant osciller au bout de sa délicate chaîne en or blanc. Il s’agissait là de serres de quelque oiseau qu’une œillade attentive, pertinente, aurait associé à la famille des corvidés, au regard de ces mêmes volatiles qui balafraient de leur lugubre emblème les portes de chêne noir de l’hôtel des Malefreux. Elles enserraient en leur étreinte possessive une pierre oblongue dont la teinte laiteuse et translucide se mariait étrangement à celle de ces deux prunelles rivées obstinément sur elle. Quelques tours de sablier s’épuisèrent autour de cette bulle que rien ne semblait transpercer avant que la veuve Montecler ne se figeât, interdite.

Et ce fut comme si le sang avait déserté les vallons délicats de ses pommettes ; une pâleur subite envahit son visage, d’une trempe autrement plus froide, inquiétante, que celle, aux effluves de lys, qui cajolait ses traits fins. A l’instar de ces serres d’argent qui se cramponnaient, voraces, aux saillies du précieux caillou, les doigts de sa senestre se crochetèrent à sa poitrine comme pour retenir le bond furieux, douloureux, de ce cœur emprisonné dans sa geôle glaciale. Nouée à ses phalanges crispées, la chaîne au pendentif agressif s’agitait mollement, frôlant le velours de sa cotte endeuillée. Un hoquet étranglé s’échappant de sa gorge, la dextre libre s’évada vers les contours d’un bracelet fait d’une cordelette de cuir et de mèches de cheveux noirs entrelacées, ponctuées de pierres opaques d’un carmin veiné de blanc ou de brun.

Le bijou de facture allochtone disparut sous sa paume moite, fébrile. Et ce poing fermé, gardien de ce colifichet, de se porter à ses lèvres exsangues, tremblantes, pour le baiser avec ferveur, tandis que les écrins de chair diaphane privaient l’unique spectateur de cette tourmente muette du feu hivernal de leurs rares joyaux. Euryale vacilla, prise d’un violent vertige, un sanglot déchirant ses cordes vocales déjà abîmées tandis que sous le rempart ferme de ses paupières closes, un chapelet de larmes osa s’échapper, fuguant le long de leur lisière bleuie par de trop nombreuses insomnies. Les lourdes perles d’eau salée, aussi cristallines qu’impies, roulèrent, suintant sur la courbe de ses douces pommettes, agressant la ligne de sa mâchoire pour se perdre contre sa gorge contractée. Un pas maladroit, empreint d’une cruelle résignation et d’un harassement profond, la porta contre sa volonté vers le Comte de Malemort, bousculant à peine l’équilibre du coffret que ce dernier tenait dans le piédestal de ses mains calleuses. Dans une tentative gauche de se raccrocher à quelque chose de tangible, comme le naufragé en quête d’une bouée, sa senestre s’agrippa au poignet de sa brune opposée, et s’y accrocha avec une force que d’aucuns auraient pu soupçonner, les maillons de la chaîne d’argent qu’elle celait encore entre ses doigts imprimant leur marque féroce sur le derme cuivré de l’homme.

C’était comme si tous les sentiments incarcérés dans ce corps d’apparence si frêle, vulnérable, forçaient ces barricades que cette volonté farouche avait érigées, pierre après pierre, pour se protéger de ces émotions parasites qui, en cet instant, sous le couvert de cette fichue bienséance, semblaient inappropriées. Pourtant… cet altier front obombré de sa triste mante de mousseline s’inclinait en avant ; ces fières épaules se voûtaient en une posture vaincue par le chagrin inconsolable d’une mère se laissant submerger par ces vagues affamées contre lesquelles elle luttait depuis si longtemps...


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyVen 15 Juil 2022 - 16:21

Du rêve et de son caractère prémonitoire | Printemps 1167

L’instant en suspens voulut sa quiétude froissée par les trémolos questeurs de ces intrus blafards. Le coffret ainsi proposé à la façon d’un trésor à piller fut bousculé par les recherches à tâtons des doigts arachnéens dont la pulpe sensible éprouva chaque cordelette, chaque pièce, chaque rémige même jusqu’à effleurer les abords d’un souvenir autrement plus précieux. De cet enchevêtrement de liens de cuir et de chaînettes dont l’éclat tartufe s’était obrepticement dérobé sous la patine de l’argent, la veuve Montecler tira tel un prestidigitateur la série de fins maillons d’un pendentif exhaussé d’une sculpture fort à propos sous le toit des Malefreux ; un bijou qui, s’il m’évoquait en effet la souvenance de l’avoir trituré – pour ne pas l’avoir volé de plein gré à sa juste propriétaire –, ne se découvrit que mieux encore sous mon attention braconnière, aiguisée en deux sagaies de jade sous le tissage noirâtre frangeant mes paupières abaissées. La griffe rapace gravée de ridules encristait en ses pointes concaves une gemme lactescente à l’entraille brumeuse, et dont l’iridescence me rappelait à la nuance glaciaire des sentinelles patrouillant sur ses facettes découpées à la serpe. Tant et si bien que ce collier n’était autre qu’un résumé essentiel de la Dame du domaine, dans ses caractéristiques les plus intrinsèques ; une serre de choucas en guise de linteau, et ces orbes mystifiés d’une robe nivéenne.

Plutôt que de lorgner la trouvaille de la Malefreux, je me surpris tardivement à en contempler les traits rafraîchis depuis son réveil catastrophé bien que la peine se fasse funambule sur ses lignes troublées. Sa diligence quant à manipuler le vestige de son identité accompagna les errances des astres gémellaires sur le flot statique des ficelles enduites de vernis et autres boucles d’or ; statique, tout comme la posture pour laquelle la veuve opta aussi soudainement que frappée, dans son infortune, par un éclair de catalepsie. Au regard du coloris chaleureux de mon cuir dont j’avais l’exemplaire enserré autour de ma trésorerie, celui de la domina s’apâlit si brusquement que je crus devoir m’en remettre à la foi pour ne pas céder à la superstition d’un spectre. Mes tendons se raidirent avec autant de précipitation, phalanges décolorées par la pression qui s’accumulait sous mes bagues et chevalières, car ignorant le mal qui l’eût frappée si intensément qu’elle en devint exsangue. Puis je compris, du moins partiellement, la nature de ce sanglot étranglé lorsque d’un geste suspendu sa dextre tira des entrelacs le lacet d’un bracelet noueux d’écorces et d’éteufs rubescents dont la tresse intacte de cheveux goudronneux se faisait le lien. Porté aux lèvres chevrotantes, baisé d’une pieuse ferveur, humecté de billes hyalines, chaque étape de ce rituel tacite étriqua un peu plus mon âme morcelée. Un ergot d’outre-tombe en perça le voile en lambeaux pour l’attirer sur les traîtres remparts de la cité lors d’une nuit de feu orchestrant une symphonie hurlante ; et parmi les méandres de son expression douloureuse, je me lus, pareil à un livre ouvert. Le mugissement de mon seul et premier né arrachant ses ongles contre les parois pavées des hautes murailles dans l’espoir de les gravir pour se hisser en sûreté. Ma rage panique lorsque je bousculai un garde en faction pour espérer lui faire cracher une corde à leur jeter, un maigre secours qui pourtant aurait pu renverser le cours de cette tragédie. Le démon insidieux gratta aussitôt aux portes de ma conscience, une démangeaison qui me replaça abruptement auprès de la veuve ayant fomenté un demi-pas dans ma direction.

S’était-elle endeuillée point seulement de son époux mais aussi de sa descendance ? Avais-je tant pleuré Anna qu’il ne m’avait été plus douloureux que de perdre Auxence à ses côtés, cette dolence inconsolable capable d’anéantir un homme jusqu’à sa plus piètre ombre. Ce sentiment se refléta dans la poigne spontanée mordant mon avant-bras nu en un étau implacable sous lequel je captai les picotis de la maille fine niellant mon cuivre. Il était alors temps que j’abandonne le magot de Pandore sur l’angle de la tablette sobrement ornée m’ayant servi de valet de pied, supputant que la maîtresse de maison ne s’effondre d’une seconde à l’autre et qu’il me faille amortir sa chute sans semer mes protégés à nos pieds. Je ne pipai mot. La gorge nouée devant le chagrin imprimant son sillage irisé sur les vallons luminescents de ses joues, mon esprit retors alla jusqu’à dénaturer son identité pour me figurer la peine qu’aurait causé ma disparition à une épouse éplorée. Le portrait de cette souffrance me réduit au silence, tout comme le respect dû à une représentante de son rang. Lui offrant mon bras comme un bastingage où s’agripper dans l’œil narquois du maelström, il me fallut laisser passer la trombe en l’absence de tissu à lui proposer outre celui, laiteux, de ma manche retroussée.

Et mes cils, jusqu’alors asséchés d’avoir tant déversé de perles cristallines et vaines, de se charger momentanément en un voile humide qui me fit déglutir les relents de mon propre purgatoire pour en faire passer la cuisance.


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptySam 16 Juil 2022 - 16:38
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Et la tourmente de battre en retraite dans un dernier sanglot douloureux. Les yeux noyés de larmes, leurs lisières rougies, gonflées, Euryale releva son pâle visage strié du sillage cristallin de ces billes impies vers son unique et silencieux spectateur dont la vision des paupières humides au-dessus de ces écus smaragdins, bossués par la souffrance, reflétait son propre supplice ; dans un froncement de sourcils qui jeta son ombre vorace sur son regard écarquillé, comme hébété, sa bouche de nacre se décolla alors du colifichet, dans un croquement nerveux de ses dents sur sa lèvre inférieure. Réalisant leur soudaine proximité, la veuve Montecler s’émut d’un imperceptible soubresaut. Elle éloigna cette senestre invasive qui s’était perchée par réflexe sur cette épaisse branche au derme cuit, soulageant le Comte des griffes de sa blanche serre et des maillons de la chaîne qui y étaient entremêlées. Reculant d’un pas aux accents fugueurs, elle pivota abruptement sur les talons pour dresser un mur de pudeur entre eux, lui tournant ainsi le dos.

Le long de sa colonne vertébrale, à peine dissimulé par les vagues frémissantes du voile de mousseline, coulait la ténébreuse tresse ophidienne dont la pointe négligemment ficelée d’un ruban gris formait un bourgeon de frisottis agressant la cambrure de ses reins. La maîtresse des lieux frotta son faciès inondé de pleurs d’un revers coléreux de sa senestre puis, visage baissé sur ses doigts qui triturait la petite cordelette de cuir et de cheveux tressés comme l’on égrenait les perles d’un chapelet divin, sa voix que le chagrin enrouait davantage fractura le silence qui régnait entre eux.

- Je-… Je l’ai cru perdu, ou volé. Il appartenait-… à mon fils. Ariste. Une pénible déglutition anima sa gorge. Merci, Monsieur le Comte. Merci. ajouta-t-elle, avant d’inspirer une profonde goulée d’air, reprenant peu à peu la maîtrise de ses sens.

Le léger frémissement du noir velours de sa cotte escorta le mouvement de trois-quarts qu’elle exécuta pour affronter derechef la mâle vision de Lazare. La teinte opaline de ses iris était exacerbée par leur humidité latente tandis qu’elle les fichait sur leurs opposées. Et de lui dédier un de ces rares sourires empreint d’une tacite reconnaissance et qui, bien que discret, métamorphosa les lignes rigides de ce faciès de lys.

- Merci. répéta-t-elle, dans un battement de cils éphémère, ses mains jointes pressant sur son cœur ces deux précieux trésors.


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptySam 16 Juil 2022 - 22:24

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La clepsydre du temps se figea dès l’instant où l’aigue-marine, vertueuse aventurière, navigua à travers la mangrove assombrie d’un capricieux nuage chargé d’amertume. Quel déshonneur y avait-il à pleurer ses défunts, qu’importe les années disséminées sur le sentier cahoteux du deuil ? Si l’Étiquette – ce sacrosaint manifeste des honorables manières à adopter en société, brandi à qui veut l’entendre lorsque l’un des nôtres daigne ne pas s’y conformer en dépit de tout sens humain – nous réclamait usuellement de n’être que des tours d’ivoire sur l’échiquier du royaume, ce monde éperdu, bêché à la racine et arraché telle une mauvaise herbe, avait cent fois renversé le cours du jeu langrois. À l’heure où pions divins et fous populaires entrecroisent leurs sorts funestes dans cet imbroglio de victimes et de terreur, quoi de plus pur encore, cristallin et limpide, que les larmes torturées d’une mère dévastée, privée de sa possession la plus chère. Je me devais avouer, contre tout relent fichtrement masculin de fierté et d’orgueil que me surinait mon éducation, que l’atrabile de la veuve me touchait ; cet aveu mutique se mua en un frémissement chaotique raidissant les épaules de la Baronne. La serre, accrochée à mon poignet comme à une branche inébranlable la retenant de chuter d’une falaise bien trop altière, bien trop traître, s’envola à son tour et avec elle le barbelé de maillons ayant imprimé sa halte dans ma chair à nu.

La notable me présenta son dos.

Glanant aussitôt cette dextre ankylosée pour la rendre à l’effet de gravité, je maintins l’intégrité de cette cloque brûlante en ravalant les singulières palabres qui harcelaient mon esprit ébranlé, n’ayant guère à cœur de percer cette ampoule crucifiante par la pointe cuisante de mots qui n’auront jamais su apaiser ma souffrance. Alors ma senestre s’affaira à avaler la distance qui me séparait du coffret, avant que le vibrato peiné de la Montecler ne résonne à mon oreille. Elle aussi pleurait un fils, et ma compassion n’aurait assurément jamais su assez lui faire honneur. Je me satisfis toutefois d’avoir perçu dans sa démonstration de douleur la nature intrinsèque de son mal, et d’en avoir eu une lecture juste.

Ne me merciez point uncor. Reste une chose.

Mes doigts gravirent aussitôt le rebord usé de ma cassette abandonnée au profit de l’attention, scrutatrice, que j’avais prêtée à la domina, et leur pulpe en frotta le revêtement intérieur en quête d’un anneau savamment adossé en un recoin du coffret. Le pinçant pour en capturer l’or blanc, je l’élevais à hauteur de la maîtresse de maison afin qu’elle en déchiffre l’origine. Et quelle que soit la réaction que je m’apprêtais à déclencher en ce frêle personnage fort bouleversé déjà, mon corps raidi par l’instinct félin d’une situation qui saurait dégénérer en un clin d’œil me murmura de me tenir aux aguets d’une chute jusqu’alors évitée par la grâce des Trois.


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyDim 17 Juil 2022 - 14:49
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A quelle autre trouvaille aux relents pénibles la veuve Montecler allait-elle être confrontée ? Cette question, se la posa-t-elle lorsque les paroles du Comte de Malemort suggérèrent que l’épreuve qu’il lui imposait, en ce jour, n’en était guère arrivée à son épilogue. Se tournant tout à fait pour observer, l’œil franc et intrigué, la manœuvre des brunes arachnides de cette senestre fouillant la panse de la petite cassette aux reliefs éreintés, Euryale vit voleter jusqu’à hauteur de son regard avide un petit anneau. Trônant au sommet de ces phalanges scarifiées de chiffres, et habilement recroquevillées pour servir de socle, le cercle d’or blanc scintillait lugubrement sous ses paupières écarquillées. Il fut évident que la dame de Malefreux reconnut ce bijou, en attestait la brutale dilatation de ses pupilles qui noya la surface opalescente de ses iris, telle une noire pieuvre grignotant leur espace aqueux de ses tentacules. Cependant le choc de ces tristes retrouvailles, bien que heurtant sa psyché d’un tourbillon de souvenirs fugaces, fut moindre. Le spectre d’une tendresse révolue s’affola en son regard rivé sur la brune senestre érigée en sombre flambeau devant elle. Euryale s’ébroua enfin d’un mouvement qui l’engagea derechef vers Lazare, les deux pas qu’elle fit promptement réduisant la distance qui les séparait alors. Sa main gauche, que la chaîne argentée enlaçait de ses maillons chatoyants, suçotant sa blafarde peau de ses crocs, s’évada vers celle du Comte, provoquant l’oscillation du pendentif à la serre possessive ; ses digitales blanches, tiédies et rendues moites par le maelström d’émotions qui l’avait assaillie et l’agitait encore, effleura par à-coups nerveux le derme cuivré hérissé de leur noir duvet, pour se refermer sur l’alliance. Au-dessus de cet arceau en demi-lune, apercevait-elle les olivâtres sentinelles. Elle se surprit alors à croiser leur mire, à y plonger, en une expression mi-étonnée mi-contemplative, les rouages de sa mémoire s’imbriquant les uns aux autres pour reconstituer la trame de leur première rencontre. Une « bévue » de la part de ce ténébreux personnage et qui l’avait poussé à la poursuivre de son ombre inquiétante dans les ruelles de la Hanse ; une « bévue » qui les plaçait aujourd’hui dans cette insolite configuration…

… une configuration que surprit d’ailleurs la vieille Jehanne Dufresne lorsqu’elle surgit dans le hall, ouvrant la porte avec peu de discrétion, pestant tout ce qu’elle pouvait contre l’invisible, un panier d’osier chargé de légumes et de fruits de saison se balançant au bout de sa main aux doigts boudinés. Refermant l’épais panneau de chêne noir dans un rejet peu gracieux de son imposant postérieur, la gouvernante pivota sur ses talons pour aussitôt se figer lorsqu’elle découvrit l’inattendu tableau que sa maîtresse formait avec le Comte basané, les doigts de sa protégée s’attardant sur ceux de ce faquin d’étranger et sur lesquels reposait… un anneau. Son visage poupin, encadré de son éternelle guimpe rigide, se décomposa, ses sourcils neigeux s’arquant, ses traits dodus se liquéfiant sous le joug d’une stupeur vorace, l’incrédulité effarée battant vite en retraite face à la frayeur sournoise qui harcela bien vite ses sens, au point que sa bouche s’ouvrit, son menton tremblotant tombant d’un dépit résigné. Et le panier d’osier de chuter sur le parquet en un bruit sourd, son contenu se déversant en un fatras coloré, désordonné autour d’elle.


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MessageSujet: Re: Du rêve et de son caractère prémonitoire   Du rêve et de son caractère prémonitoire EmptyLun 18 Juil 2022 - 1:31

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Discrète, l’appréhension justifiable de la Malefreux se déchiffrait néanmoins sur les ridules troublées froissant le derme farineux qui autrefois m’accordait une ébauche de sourire apaisé. J’étais toutefois de ceux qui, non contents de se targuer d’avoir fomenté la plus grande enfilade de ricochets, tâchaient de raturer plus encore la surface d’huile revenue à sa sérénité d’antan. Insatisfait, je ne causai que plus de remous en présentant cette fois l’anneau vêtu d’une mante lunaire et dont les reflets patinés s’affadissaient avec le temps. Il s’était déjà égrené quelques minutes que je sentis encore la brûlure indistincte de sa paume désespérée contre mon poignet érigé en pilastre, ce qui remonta à la surface de mes songes disparates un étrange parallélisme. Celui qui au cœur des rues bourgeoises et fleuries de la Hanse me poussa, obsessionnel, à la talonner tel un bandit près de commettre l’indicible acte de lui ôter la vie à même un trou à son flanc creusé. Celui qui s’avoua vaincu lorsque rattrapant la patte volage de la fuyarde au cœur de cette rotonde d’étages et de carreaux cerclés de fonte, je réalisais l’infortune de la poursuite vaine de mes chimères. Avais-je seulement tant pressé mes doigts rocailleux autour de sa frêle menotte au point de lui en avoir laissé le cuisant souvenir quelques minutes durant ? L’approche plus légère, impatiente mais toutefois assurée, de la veuve me força à lui léguer ce dernier présent, vestige d’un jour funèbre où Bedefert avait eu la lumineuse initiative de dépouiller son porteur de si symbolique ornement. Sa patte devenue coussinet félin plutôt que serre rapace effleura de sa chaîne enchevêtrée les doigts que je n’avais pas assurés au creux de ma paume. Avant toutefois que l’alliance ne s’envole vers d’autres coffrets et filaments de cuir, ce fut une dernière œillade que m’adressa la Montecler. Je n’y ressentis plus la méfiance dont elle m’eût déjà inondé, bien qu’elle eût été des plus cohérentes au regard des circonstances de notre rencontre inopportune.

Et d’inopportun, il ne pouvait y avoir que le battant sombre s’ouvrant sur un orchestre de jurons marmonnés dont le halo de lumière vive me fit plisser les paupières. Une silhouette potelée harnachée d’une barbette captant les ficelles de son crin et d’un panier chargé de vivres fraîches s’écrasa contre la porte charbonneuse dans un soupir contrit par l’effort exécuté. Son regard harassé se leva sur nos silhouettes conjointes et se vit étreint d’une surprise digne de celle qu’une biche prête à se faire percuter de plein fouet par une roulotte saurait exprimer. Tant et si bien qu’hébétée devant un portrait dont je ne réalisai pas la portée – j’offrais après tout à sa maîtresse une alliance dont elle s’emparait encore, l’intention suspendue – le cabas d’osier se décrocha de sa manche pour rouler sur le plancher et répandre ses victuailles à nos pieds. Je ne pus retenir le rehaussement subreptice d’un sourcil fourni, perplexe devant une telle démonstration de tétanie où je soupçonnai la Dufresne d’attirer les mouches du haut de sa bouche ouverte. Afin de ne pas subsister dans cet entre-deux pour le moins embarrassant – pour elle davantage que pour moi – je m’assurai de la saluer en bonne et due forme.

Mes salutations, madame Dufresne. Précieux butin que celui qui s’échappe à nos pieds.

Y avait-il dans mes palabres une once de sarcasme, sans nul doute. Plus qu’une pincée, une louche. Notre dernière entrevue ne s’était guère couronnée d’un franc succès, et sa rancune – quoique partiellement compréhensible – à mon égard n’avait probablement pas battu en retraite encore. Le socle de bronze du bijou s’effaça sous le retrait délicat des doigts calcareux et leur butin sentimental, ramenant ma paume chaude contre mon abdomen dans une posture fière, tandis que ma senestre s’occupa de clore l’affaire d’un cliquetis marquant le verrouillage du loquet usé de ma cassette. Celle-ci revint se loger contre mon flanc, tel que j’avais franchi le perron de la résidence.

Nos arrangements touchant à leur conclusion, je ne m’inviterai pas pour le déjeuner, si toutefois vous le craigniez.

L’émail verdoyant d’osciller irrégulièrement sur l’une et l’autre des deux femmes, m’assurant de prêter bien davantage attention à l’hôte de ces lieux exigus dont je n’eus visité finalement que le pas. J’ajoutai à cela un bref hochement du chef à l’encontre de la veuve Montecler pour lui faire part de la fin programmée de nos échanges mutiques sur l’arrivée fracassante de sa dame de compagnie. Au-delà de cette dernière vague sournoise dans l’océan tumultueux de nos abouchements, je n’avais rien de plus à lui léguer, et je me voyais aisément regagner le cours de ma journée entrecoupée sans plus de songes pour la diaphane créature dont j’avais pourtant partagé les symboliques secrets.


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