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 De l'expression du divin et ses voies impénétrables

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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyMer 17 Aoû 2022 - 0:57
Aux mots du Comte sur ce chasseur qui lui inspirait un péril imminent et qui, en rêve, l'avait plongé dans une indicible fureur possessive, Sixtine reprit sa plume pour inscrire rapidement une note allant dans ce sens en supplément de ses premiers écrits sur son parchemin, reliant l'ajout au paragraphe à l'aide d'un fin trait d'encre noire. Les codex retranscrivant des exemples de rêves faits par des croyants évoquaient volontiers des scènes de chasses à courre fructueuses ou non, des hommes se perdant dans les bois en chassant, des chasseurs devenant les proies, des scènes angoissantes de braconnages de cerfs voire plus rarement de serpents… le récit de Lazare de Malemort évoqua à l'apprentie prêtresse une seule occurrence dans un court extrait d'un traité ayant été copié par des prêtres de Serus où le chasseur, entité prédatrice par excellence, pouvait, dans le cas où ce dernier se révélait être antagoniste au rêveur, être synonyme pour ce dernier d'une nuisance en devenir ; la citation s'achevait sur la nécessité d'identifier ledit chasseur mais, concernant le songe de l'aristocrate, la noble déchue voyait bien que cela resterait un mystère.

La pointe de la plume de faisan ripa soudain sur le papier ; le regard rivé sur cette involontaire rature, Sixtine mit une courte seconde avant de reprendre sa prise de note et de rapidement l'achever, reposant la rémige striée sur le papier buvard. La mention du Père Ignace l'avait de nouveau ramené momentanément quelques mois en arrière, à ce secret, encore, qu'elle craignait tant de dévoiler par inadvertance au principal concerné par ce silence réclamé. La jeune femme but de nouveau une gorgée d'eau subtilement aromatisée le temps de s'assurer que son trouble s'était évanoui dans ses prunelles grises. A mesure que la rencontre s'éternisait et que le discours tendait volontairement ou non vers des sujets plus ou moins évocateurs, des images remontaient des abysses de l'inconscient, parasitant l'esprit de Sixtine pour lui rappeler la barrière qu'elle érigeait entre le Comte et ce qui pouvait autant être son salut que son bourreau. Tandis que la novice restait discrètement aux prises avec ce que lui dictait sa morale et ce que valaient les paroles jurées devant les Trois, Lazare de Malemort entreprit d'apporter un point final au second et dernier triptyque de rêves.

Citation :
Escorte de prisonnier (en est-il toujours un lui-même ?)
Évolution derechef : retour au calme dans la relation avec la Figure Pâle. Est nourri par elle (confirmation de l'apaisement, jeu ?) qui lui confie quelque chose mais parole inaudible une nouvelle fois
La nuit venue, arrivée d'ennemis, bataille, fuite.
Arrivée à destination. Toujours poursuivi, doit continuer de fuir. Discussion avec la Figure Pâle ?

Sixtine accueillit l'arrivée d'une source de lumière avec un léger sourire, la torche ayant été par ailleurs placé non loin d'elle afin de lui permettre de mieux lire les caractères notés d'un main un peu hasardeuse ou même tremblante par le Comte et ceux transcrits à la va-vite par sa propre dextre. Au commentaire du noble concernant le chemin du retour, la novice leva un regard reconnaissant : absorbée par les récits du maître des lieux et ses propres réflexions, elle n'avait constaté que tardivement l'avancée de l'après-midi, prise de conscience qui avait réveillé au creux de son ventre une sournoise peur qui s'était évanouie au bénéfice de l'intense étude des rêves du noble, une peur qui s'appelait Alban et qui, à présent, attendait son heure, tenue en respect par les langues mordorées du flambeau et la perspective de voir sa victime favorite affublée d'un chaperon.
Six rêves divisés en deux sagas construites en miroir : l'apprentie reposa les yeux sur son brouillon et, machinalement, entoura ou souligna des éléments, en raya d'autres au regard des dernières informations recueillies. Un mot attira davantage son attention, un terme qu'elle avait déjà spontanément souligné au moment du premier jet de prise de note.

« - Plus qu'un temps d'acceptation, est-ce que les derniers rêves de vos triptyques pourraient être des allégories de renaissance ? » Le regard de Sixtine se leva vers la voûte céleste dont le bleu légèrement approfondi par l'approche de la nuit était nervuré de multiples nuances d'orange et d'or colorant subtilement les quelques nuages n'ayant pas été dispersé par le vent d'ombres chatoyantes. « Après l'Inertie et le Chaos, au moment du calme retrouvé, vous reprenez vos forces par le sommeil ou la nourriture et avez donc l'énergie de vous relever. » Son menton de nouveau abaissé, l'index de la jeune femme glissa jusqu'au mot "paiement". « La Figure Pâle vous a donné une bourse à la fin du Germe, une bourse que nous pouvons supposées remplie de pièces d'or. Si nous partons du principe que cette Femme est la personnification de Rikni qui s'intègre à vos songes, cela revient à dire que c'est Rikni elle-même qui vous a fait ce paiement, ou peut-être était-ce un don ? Un enrichissement… de la part de la Tisseuse de Rêves elle-même. »

Un cheminement était en train de se forger devant les yeux de la novice qui, sans quitter son manuscrit du regard, se frotta doucement la saillie de la mâchoire du dos de ses doigts. Un frisson courut sur ses épaules, un mélange entre excitation et effroi, comme si la noble déchue prenait conscience de ce qu'impliquait un tel raisonnement ; pourtant, elle acheva sa pensée.

« - Vous avez surpassé de terribles épreuves. Plus qu'une simple retranscription de vos tourments et de votre deuil, ces rêves dans lesquels Rikni s'intègre par le biais d'un de ses avatars vous emmènent à un instant précis, au-delà de l'acceptation. Car elle a eu beau vous tourmenter, vous avez eu beau vouloir vous imposer à elle, à la fin de tout, vous vous relevez et vous poursuivez votre route. Cela pourrait-il être le plus important ?... »


Dernière édition par Sixtine DeConques le Jeu 18 Aoû 2022 - 20:24, édité 2 fois
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyJeu 18 Aoû 2022 - 17:49



De l'expression du divin et ses voies impénétrables | Fin printemps 1167

La religieuse me moucha par la clairvoyance de son interprétation. Si focalisé sur les symboles visuels, tangibles, qu’instillait l’Ophidienne dans le moelleux de mes nuits esseulées, j’en avais omis certains parallélismes tout aussi primordiaux. Une renaissance, peut-être. Mais ce qui capta davantage mon attention fut la mention d’un paiement, d’un ressourcement financier comme culinaire, qui me fit basculer en avant comme abruptement tiré par le hameçon d’une révélation. De nouveau nonchalamment accoudé au creux de mes genoux, mes paumes abîmées par un noble labeur caressaient le creux de l’autre dans un geste d’apaisement. La brise iodée ayant supplanté le souffle anarchique d’Anür versa son baume sur la contrariété de mes traits taillés à la serpe, à tel point qu’un instant de répit abaissa les herses de mes prunelles sollicitées. Ma senestre, joueuse, fit rouler les précieux bijoux qui en coiffaient chaque doigt. Tantôt la chevalière de Malemort, dont les armoiries écartelées de lions, d’ancres ou encore de reptiles s’étaient mal retranscrites au regard du minutieux des orfèvres de notre temps. Tantôt mon alliance, un anneau au plateau frappé d’une lettre, la sienne, dernier vestige de mon épouse dont je n’ai pu récolter ni la dépouille ni les cendres. Ma contemplation s’étira une éternité, tandis que se fracassait sur les écueils de mes souvenirs une supputation qui m’arracha jusqu’à une grimace sillonnant les rides de mon front zébré de mèches récalcitrantes. Rikni avait-elle pour projet de m’arracher à sa précieuse image que je chérissais tant ? Se faisait-elle la messagère de son ultime volonté de me libérer de ces fers alourdis par le chagrin ? Je m’y refusai.

La Déesse… murmurai-je dans un premier temps, la gorge nouée par un aveu révoqué. La Déesse pourrait-elle m’encourager à emprunter un dangereux sentier ? En récompenser chaque étape franchie par une offrande vouée à me renflouer ? A-t-elle seulement mes meilleurs intérêts à cœur, ou au contraire, dois-je m’attendre à être un jour chassé, épié, comme le suggère cette traque incessante ?

Il demeurait sous mon sternum une tension angoissée, l’assurance d’un mauvais présage que je pouvais que louer aux derniers rêves morcelés errant encore en ma mémoire. Et au fond de cette conscience torturée que fut la mienne grattait de nouveau le démon endormi, embecqué par mon anxiété et les obscures planifications d’un tête bien faite armée d’anticipation et de calculs. Je tachai d’en contrer le ronflement envahissant en canalisant mon attention sur la fragrance salée de l’air crépusculaire, sur le crépitement discret de la torche jetant ses dards ardents sur ma silhouette prostrée. Mes mains figées dans une tension notable aux veinures rampant contre leur dos et filant sous mes manches s’ancraient autant que possible à la réalité parmi les relents brumeux obscurcissant ma faculté de penser. J’entrouvris les lèvres, puis les refermai en silence, prêt pourtant à manifester une guirlande de palabres butant contre l’émail abîmé de ma dentition. La crispation de mes maxillaires amplifia l’ombre de mes pommettes, le carré de mes mâchoires, le pincement de mes lèvres. Et baissant le chef, la cascade de mes noirs filaments se jeta en lianes contre mes tempes, dont la caresse en apaisa les pulsations paniquées. Des lianes. Je regagnai soudain le contrôle de mes sensations engourdies pour mieux m’y raccrocher, à ces étranges stalactites de verdure qui me rappelèrent aussitôt à la suite de mes contes. Je redressai le chef, basculai ce voile de souples baguettes contre ma nuque raide, et recouvrai la vue sur le crépuscule fardé de traînées pourpres.

La suite de mes expéditions nocturnes n’est guère aussi précise. Nous nous retrouvons dans ce que je qualifierais de jungle…



☙ • ❧

…une canopée épaisse d’où ne jaillissent que de rares scintillements stellaires. Le sol humide rejette parfois ses mares d’eau claire, filtrée par le terreau herbeux, sous un village dressé sur pilotis. Le crépitement, encore. Ce staccato sec s’accompagne d’une dévorante gerbe ocrée rejetant le bouillonnement de son ardeur contre mon profil. Un amoncellement de débris de bois, branches, brindilles, feuillages morts et déshydratés, s’élève au-dessus du sol spongieux en un autel à la gloire du défunt. Car l’odeur portée par les effluves de myrrhe se teinte d’une funèbre essence, désagréable, vorace par son âpreté, celle d’un corps calciné par les flammes d’un brasier mortuaire. Installé à quelques pas, juste assez pour me prémunir d’une bourrasque malvenue étirant le voile incandescent dans ma direction, je me suis installé sur le lichen velouté de façon à presser mes jambes fléchies contre moi. Les danseuses ignescentes reflètent leurs robes exaltées dans les miroirs smaragdins de mon âme, contrite dans le recueillement et la remise en question. Une blessure lancine le long de ma gorge, souligne ma pomme d’Adam d’une procession de picotis désagréables, mon flanc répondant à l’écho de ses appels éplorés par d’autres signaux aigus. Cela fait des heures déjà que mon corps s’engourdit sous l’humidité aux griffes plantées dans son dos, luttant contre les bouffées de chaleur agressant mes paupières. Celles-ci se ferment alors que l’épuisement me gagne. La fièvre, elle aussi. Je la sens s’installer entre mes sourcils froncés, mes yeux larmoyants comme sur un réchaud.

Dans le flou artistique de mes larmes brûlantes, je décèle un mouvement derrière les nuages noirâtres du bûcher funéraire. L’Opalescente. Les mains chargées d’offrandes. Tapi dans l’ombre, dans une arène d’herbes hautes, j’en retiens mon souffle comme de peur de la faire s’évanouir sur un arrière-plan sans clarté. Je décortique son allure, cette tenue de lin ou de coton d’un blanc sale, un châle verdâtre épousant ses épaules et caressant ses bras, les ondulations revêches de sa chevelure ramenée en deux mèches nouées derrière son crâne pour libérer son faciès. Ses mâchoires s’agrémentent d’arabesques couleur olive, étranges tatouages ne laissant rien paraître du teint naturel de son cou gracile. La Figure Pâle s’agenouille, docilement, et fait montre de respect à la dépouille de cet individu dont je ne sais rien, si ce n’est l’avancement de ses obsèques. Ce qu’elle glisse à son pied ne m’est pas clair, dans le mirage affleurant les artistes et leurs atours automnaux, sa svelte silhouette se déforme et une décharge m’incite presque à me redresser pour en rattraper le poignet avant qu’elle ne se disperse. Toutefois, plutôt que de fuir, ses pas assourdis par le craquement sonore de l’architecture en proie aux flammes la mènent à mon côté où elle incline de nouveau sa posture pour s’asseoir à même le tapis meuble.


☙ • ❧

Et nous restons là à contempler le bûcher. Je n’ai pas souvenir d’un quelconque échange. Je gage que le feu et les cérémonies funéraires ont une large place dans les attributions divines.

Après tout, n’était-ce pas à la faveur de la purification de l’âme que nous vendions nos criminels à ces cerbères sans vergogne, ces dévoreuses de chair destructrices ? J’avais un regard de biais pour la torche flottant par delà la silhouette de la novice, dont le visage poupin se parait d’un voile d’ombre bien plus propice à ces tergiversations ecclésiastiques. Pareil à deux voleuses prises en flagrant délit, mes pupilles se rétractèrent pareilles à deux îlots perdus dans la masse verdoyante de mes iris. Et la chute de l’astre de poursuivre son inexorable trajectoire, auréolant le rempart bordant mon terrain d’un dernier halo d’or.




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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyVen 19 Aoû 2022 - 0:40
Au murmure du Comte, seulement, Sixtine releva les yeux pour le retrouver dans une position sensiblement similaire à celle qu'il avait adopté lorsque son récit s'était brusquement arrêté sur un détail de la Figure Pâle. La thématique de la renaissance semblait provoquer quelque chose chez lui, tout du moins paraissait-elle l'intéresser et l'interroger suffisamment pour que le noble agrémente l'hypothèse de la novice de questions supplémentaires, voyant dans ces dons pécuniers ou nourriciers une forme de rétribution pour chaque étape franchie pour mieux le solliciter par la suite et l'amener à poursuivre son chemin de croix au risque de le perdre dans son voyage spirituel.

« - Il m'est encore difficile de l'affirmer, bien que cela serait cohérent de la part de la Victorieuse de disséminer ainsi ses signaux » avoua l'apprentie prêtresse, presque penaude.

Lazare de Malemort parut vouloir parler mais s'abstint, le souci venant obscurcir ses traits taillés dans le bronze dont la torche réhaussait le teint ocreux à l'aide d'ombre dansantes. Tandis que son front s'abaissait jusqu'à faire face au sol, la noble déchue reprenait le journal du noble en main, le feuilletant jusqu'à découvrir l'introduction du nouveau rêve que le Comte s'évertua à raconter sur la même lignée empruntée depuis le début de leur entretien.

Citation :
Rêve le plus récent, peu ou prou au moment de notre rencontre
Paysage forestier, exotique une nouvelle fois
Observation d'un bûcher d'un point de vue éloigné (ignore l'identité du défunt), plongé dans ses pensées (désincarné ?), épuisement
Apparition de la Figure Pâle dans un nouveau rôle (châle vert, marques du même ton peintes sur la peau, dépôts d'offrandes : prêtresse ?), vient ensuite s'asseoir à côté du rêveur. Pas de parole, pas d'interaction, pas de regard (d'où sentiment de ne pas être vraiment présent ? d'être le défunt ?)

La plume de faisan s'éternisa un instant, agrandissant lentement le point sur lequel la rémige s'était figée. L'aspirante prêtresse finit toutefois par la reposer, les yeux légèrement plissés par la concentration.

« - En effet… » souffla la clerc pour toute première réponse, profitant d'une accalmie dans les alizés pour de nouveau étancher sa soif sans craindre de voir s'envoler les quelques pages chamois.

◈◈◈

Grâce à la toute-puissance des Trois, la Vie nous est rendue possible : Serus le Père nous donne les clés pour nous nourrir et nous confère la force nécessaire à notre survie ; Rikni la Guerrière nous inspire par sa combativité, son intelligence et sa clairvoyance ; Anür la Prodigieuse nous abreuve et nous montre le chemin à suivre pour que la vertu et la foi triomphent dans nos cœurs. Dans leur éminente magnificence, les Trois nous ont donné accès aux éléments primordiaux, essentiels à notre perpétuation : s'il est évident que Serus a l'immense générosité de nous permettre d'accéder à la Terre nourricière et que l'Eau d'Anür se révèle tout aussi fructueuse, qu'elle travaille de concert avec le Père de toute chose ou qu'elle soit à elle seule pourvoyeuse de richesses à l'image des mers poissonneuses, je ne saurais que souligner l'importance du Feu dont nous brûlons dès lors que Rikni nous juge digne de recevoir son attention.

Le Feu est une évidente puissance à l'ambivalence formidablement contrastée, à l'image de la Déesse de la Guerre qui confère aux hommes hargne et bravoure uniquement selon ce qui lui est dicté de leurs cœurs et non d'après le blason qui orne leurs bannières. Tout comme l'Ophidienne peut inspirer ami comme ennemi, le Feu peut être une source d'énergie positive comme destructrice pour nous.
Rêver de Feu, c'est être confronté à une des deux faces d'une même pièce : un Feu dévorant, incontrôlable et sauvage est nourri par le désespoir, la colère et la rancœur, il doit être craint car cette force annihilante l'est sans distinction, adversaire, allié et auteur périssent inévitablement de son appétit incessant.
Cependant, le Feu a également la capacité de nous procurer l'impulsion nécessaire à notre propre réalisation. Le Feu cuit la nourriture que nous donne la Terre, purifie le sol pour permettre à l'Eau de le rendre d'autant plus fertile et, dans les contes les plus anciens, peut même être le terreau propice d'une renaissance pour des bêtes formidables ou des héros pourfendeurs de ces mêmes monstruosités.


Du monde réel au monde éthéré, par Père Térence, an 2 du règne du Roi Hugues de [écriture illisible].

◈◈◈

La jeune femme reposa son hanap après avoir fini de retranscrire les grandes lignes de cette récente lecture à son vis-à-vis.

« - Pour le moment, j'ai le sentiment que ce rêve s'engage sur le schéma ternaire du Germe et du Chiendent avec une première phase d'Inertie et le Feu y tient effectivement une place importante avec ce que j'interprète comme une signification positive, les flammes n'étant, a priori, point dangereuses ni douées de leur volonté propre, ce qui est un détail récurrent des rêves de mauvais augure. Toutefois, c'est votre posture qui m'intrigue le plus dans le cas présent. Vous me semblez presque à part dans votre propre songe, à tel point que la Figure Pâle parait presque ne pas vous voir. »

Aux yeux de la novice, le rôle de la Femme, lui, se précisait derechef : son accoutrement, son attitude, ses gestes… certaines de ses consœurs pouvaient agirent de la sorte au moment d'honorer la Reptilienne. Ce grimage avait-il un réel intérêt sachant que la Figure Pâle était censée être l'incarnation même de Rikni ? De plus, l'hommage aux morts était davantage le domaine d'Anür chargée d'accueillir les âmes des défunts dans son domaine céleste, était-ce donc vraiment le trépassé que l'avatar honorait, fût-il Lazare de Malemort ou un autre ?

« - Peut-être n'est-ce pas tant le brûlé qui était commémoré mais le Feu en lui-même ? Et si vous vous sentez lié à ce bûcher, il peut s'agir d'une expression de votre propre force vitale. Le fait que la Figure Pâle le nourrisse d'offrandes rejoindrai l'idée que j'ai exprimé concernant les récompenses de la Déesse. »

Pourtant, remarqua intérieurement la brune avec une pointe de contrariété, cela pourrait rompre la symétrie découverte jusqu'à présent… Sixtine parcourut rapidement ses notes serrées sur le vélin, cherchant dans les premiers rêves de chaque triptyque ce qui pouvait se rapprocher de telles oblations.


Dernière édition par Sixtine DeConques le Ven 19 Aoû 2022 - 20:46, édité 1 fois
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Lazare de MalemortComte
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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyVen 19 Aoû 2022 - 15:59

De l'expression du divin et ses voies impénétrables | Fin printemps 1167

Ce bûcher m’évoquait le franchissement d’une étape. Un point de non-retour, halte décisive dans la continuité de mon existence. Ce recueillement m’était peut-être destiné, après tout. Ce corps dépouillé de son nom et de son identité se pouvait être la personnification de mon être révolu, pareil à la mue d’un reptile, qu’il me fallut abandonner aux flammes consécratrices. Si je me tenais ainsi devant la grandeur de l’âtre funéraire, prostré au sol, groupé sur moi-même, j’avais sans doute à l’esprit de laisser mon passé se déliter en cendres et d’assister à cette métamorphose. Plutôt qu’un abandon, la sérénité devant un avenir sensiblement différent. J’avais accepté le lien indéfectible qui m’associait à l’entité lactescente, qui pourtant m’apparaissait encore une fois comme une étrangère. Il y avait un je ne savais quoi d’envoûtant, de solennel, dans sa démarche féline jusqu’aux abords du supplicié serein dans sa mante incandescente. Rien qui ne savait réveiller ma nature d’homme, non, une adoration distante… J’acquiesçai posément, contenant ma posture de changer une fois de plus de configuration, épuisé par l’instabilité que de tels rêves insinuent dans mes nerfs à vif. Alors incessamment appuyé sur mes genoux écartés, je coulai un regard sur les rares brins herbeux à dépasser de la frontière de cette terrasse afin de rassembler un peu de contenance.

En effet, nous demeurons sur la continuité du même canevas. J’oserais même supposer que les suivants s’y superposeront à la perfection. Je ne sais comment traduire cette dernière vision autrement que par une retraite ou une contemplation. Le chiche de ces détails ne me permet pas de contredire l’hypothèse que cette entité ne me voie pas, bien qu’elle s’installe à mes côtés.

Cette Opalescente s’était-elle parée d’une fragrance jasminée, ce soir-là ? Un parfum qui, enveloppé par l’âpreté de la mort et ses essences traditionnelles, m’aurait échappé. Mon obsession toute entière résidait dans la découverte de cet effluve, réel et entêtant, que je me convainquais avoir déjà humé. S’il s’agissait bel et bien de la Tisseuse de Rêves, à qui empruntait-elle son apparence ? Tant d’interrogations subjuguant mon esprit et auxquelles je ne trouvais guère de réponses si ce n’est davantage de questions.



☙ • ❧

Le frisson de la chasse, ce fourmillement inavouable électrise ma nuque, caresse pareil à une goutte d’huile les vertèbres de mon échine, se répand en souffle contre mes flancs. L’odeur caractéristique, fraîche, de l’herbe écrasée se ruait dans mes narines comme un souffle divin. Je me sens puissant, à la fleur de mon âge, tandis que ma course légère me mène à gravir une colline, courir les branches noueuses d’un arbre séculaire, me jeter sur la vase d’une pente glissante. Je me sens vivant, prêt à en découdre, l’adrénaline matraque mon torse d’une cacophonie enivrante. Le tambourinement de mes bijoux d’or et d’os accompagne les percussions de mon palpitant en une harmonie enfiévrée. Je parcours des mètres, et des mètres. Me faufile deçà delà sous une majestueuse racine, la frondaison bruissante d’une lointaine canopée me murmurant ses encouragements. Le lichen accueille mes pas fugaces. Je me sens prédateur, les sens en alerte, affûtés à toute branche rompue par le passage de ma proie, à toute feuille malmenée par l’intrus ayant de trop près côtoyé mon terrier. Une mangrove, son tapis verdoyant se confond avec les reflets scintillants d’une eau m’arrivant à mi-mollet. Une série de troncs tordus par l’âge jette ses bras suppliants vers un empyrée dont je ne perçois que le rayonnement du bijou solaire en rais piquetés de grains de pollen. L’arène aqueuse me révèle toutefois un secret majeur : les remous boueux demeurés à sa surface, arceaux marronâtres en nuée statique sur l’ondée, trahissent le passage récent de mon gibier. Patience. Tapi dans un environnement à mon avantage, au regard du bronze de ma peau, de la noirceur de mon crin, je contourne cette esplanade arboricole le plus discrètement du monde.

Ce n’est qu’à son opposé, dissimulé par le corps vertigineux d’un autochtone centenaire à l’écorce cuivrée, que j’aperçois l’ennemi que je me jure de terrasser. Sa main ramassée en poing s’élève en l’air alors qu’il s’apprête à porter un coup. Et je sais. Je sais que le réceptacle de sa fureur n’est autre que la Diaphane, tristement acculée dans le creux du tronc démesuré ; cette entité dont il souhaite posséder jusqu’à l’âme, au détriment de sa liberté, faisant fi de son intégrité. Ma cible abat sa matraque de chair et d’os, éclate la chair lactescente, fait perler le vermillon sur le cuir nivéen. Que dire du sentiment qui me propulse vers cet immondice qui se dit homme, heurtant son flanc à pleine force pour l’extraire de la portée de ma protégée. Nos échanges perdurent. Mes poings cognent ses pommettes, mes coudes choquent ses côtes, et une rude bataille s’engage sous le regard que je suppose médusé d’une Blafarde dont j’étais encore incapable de détailler le visage outre la lèvre sanguinolente abîmant sa perfection. Cependant, l’ennemi que mes sens désignent comme ce chasseur d’un autre temps, d’une autre confidence, n’a pas encore dit son dernier mot. Ses tactiques déloyales me desservent. Installé contre mon dos, ses poignes rougies maîtrisent la longueur faramineuse de ma chevelure dont il presse l’épaisseur rêche contre mon cou. Je me sens défaillir. Privé d’oxygène, sous la silhouette tétanisée de ce bijou de la Nature, mon corps ne répond plus à la force que je m’efforce de lui instiller. Mon dernier recours, ce coutelas à ma hanche, s’enfonce mollement dans la cuisse de mon assaillant…


☙ • ❧

Et je crois me souvenir de sa fuite, ainsi que de l’approche de cette Figure Pâle à mon chevet. Ce fut une bien inédite sensation que d’être à mon tour le traqueur. Et ce revirement ne me semble pas anodin, en particulier pour ce qui est de cet instinct de protection à Son égard.

À l’instar de mes autres rêveries, celle-ci eut son contrecoup. Non pas celui de m’accabler, mais celui au contraire de regonfler mon énergie, de m’infuser une volonté nouvelle. J’avalais une grande goulée d’air frais tout juste teinté de charbon en raison du fanal brûlant à nos côtés. L’astre avait quitté les pourtours du rempart altier, amantelant d’ombre le jardinet perdant peu à peu ses couleurs pour un grisâtre uniforme.




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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptySam 20 Aoû 2022 - 14:22
En quelques fines arabesques, Sixtine compléta ses notes avec les impressions décrites par le Comte à la suite de ce rêve, estimant avec une certaine conviction que ce songe-ci était définitivement un bon présage ou, tout du moins, l'auspice n'annonçait pas un péril imminent, d'où alors son subtil froncement de sourcils : qu'est-ce qui avait inspiré ce titre de triptyque si évocateur au noble ? Se sentait-il vraiment en danger ou était-ce lui, le Danger ? La novice sentit le vent des embruns rafraichi par l'approche de la nuit soulever doucement sa longue tresse, lui arrachant un petit frisson tandis qu'elle consultait les nouvelles observations de Lazare de Malemort, l'oreille tendue à ce récit qui était supposé incarner la part de Chaos de ses songeries et qui, au vu des précédents rêves intermédiaires faisant office de charnière entre l'Inertie et la Renaissance, allait peut-être l'éclairer.

Citation :
Rêve parmi les plus récurrents, persistance d'un décor exotique (d'abord des îles, puis un désert, maintenant une forêt)
Course à travers la forêt, sensation grisante, comme ivre (de liberté ?)
A la poursuite de quelque chose, quelqu'un (la Figure Pâle ?), en traque, est devenu le Chasseur
Vision de la Figure Pâle attaquée par un autre homme, le chasseur du Chiendent haï ?
Combat sous les yeux de la Figure Pâle, allégorie de Rikni observant son champion ? Difficultés mais mise en fuite de l'adversaire. Retrouvaille avec la Femme

Les iris perle de l'apprentie roulèrent sur le vélin jusqu'à revenir aux premières mentions de la Figure Pâle où, alors, la religieuse avait écarté la notion de protection, ne retrouvant en ce que le Comte avait décrit rien d'aussi tendrement attentionné. Était-ce le temps que les plants émergent de ce terreau pourtant mal équilibré à l'origine ? Était-ce un effet direct de cette renaissance par le Feu ?

◈◈◈

Par son rôle de Déesse de la Guerre, Rikni a toute-puissance sur notre combativité : soyez digne d'Elle et la Victorieuse vous fera terrasser n'importe quel adversaire se dressant sur votre route en Son nom, soyez indigne de Son regard et vos forces vous quitteront à l'instant fatidique pour, qu'à défaut de l'avoir honoré comme il se devait, vous serviez d'offrande pour le rival qui vous achèvera. Cette force ou cette impuissance peut se retrouver dans nos songes que la Glorieuse tricote et détricote selon Son bon vouloir et Ses oniriques intentions à notre égard.

En montrant à un rêveur qu'il est victime d'une agression et incapable de se défendre, Rikni a l'immense magnanimité de lui montrer qu'un conflit est à l'œuvre autour de lui, que cela soit venant d'un ennemi ou de lui-même, et lui impose ainsi de renverser la situation à son avantage au risque de se voir déposséder de tout, y compris de Son intérêt pour lui.

Porter soi-même les coups peut être le symbole d'une énergie fiévreuse et débordante, ce qui peut-être le signe que Rikni nous gratifie de Son attention ou, au contraire, un avertissement de Sa part : si le rêveur ne fait pas rapidement preuve dans le monde éveillé de plus de pugnacité à l'image de ce songe qu'Elle a la grandeur de lui offrir, sa faiblesse s'imprimera à jamais dans sa chair et le rêveur sera incapable d'accomplissements de quelque nature que ce soit : il sera alors reconnut indigne par la Victorieuse. Le fait de perdre le combat confirmerait inévitablement cette lecture. Cette interprétation peut toutefois être nuancée si le combat s'achève par la victoire du rêveur : Rikni ayant reconnu la valeur du rêveur l'aura avantagé et, ainsi, il saura qu'il a remporté Son Épreuve.


Les Rêves, une mise à l'épreuve de notre humanité, Auteur inconnu, an 4 du règne du Duc Manfred de Sylvrur.

◈◈◈

Sixtine coula un regard vers la façade du manoir Malemort, constatant la vitesse à laquelle le soleil fuyait la scène de leur discussion. Cette perspective tordit son ventre, l'obligeant à bouger légèrement sur son assise afin d'apaiser ne serait-ce qu'un soupçon cette sensation malaisante qui lui rappelait qu'il avait beau être absent et sûrement loin dans les tréfonds de la cité, Alban avait toujours un œil voire la main sur elle, une main invisible aux doigts pourtant bien tangibles qui imprimaient encore parfois dans sa chair et son esprit leur présence tortionnaire. Machinalement, la jeune femme passa une main sur son bras, là où elle avait été marqué par des ecchymoses aujourd'hui disparues. Reprenant pied devant le Comte, Sixtine laissa ses doigts glisser jusqu'à son coude, comme si elle avait simplement lissé un pli, se sentant investie d'un poids douloureusement familier sur les épaules là où le noble se voyait transporté par la légèreté des relents euphoriques de son songe.

« - Se porter au secours d'une personne en rêve est considéré comme un bon présage. Cela n'est pas forcément lié à une supposée disposition exacerbée à l'altruisme de la part du rêveur. Sauver une personne dans un rêve revient souvent à se sauver soi-même car en prenant soin de quelqu'un d'autre, c'est notre âme que nous soignons par la même occasion. »

Or, ici, c'était l'hypothétique figure de Rikni qui était protégée et non une représentation de Lazare de Malemort, une personne de son entourage ou même un parfait inconnu. Cela avait inspiré à la noble déchue ce mot si précis de "champion".

« - Après toutes ses épreuves, est-ce là l'objectif de Rikni ? » songea la clerc à voix haute, les sourcils froncés sur son vélin. La novice releva les yeux sur le Comte. « J'imagine que le dernier rêve confirmera ou non cette impression. »
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyDim 21 Aoû 2022 - 12:04

De l'expression du divin et ses voies impénétrables | Fin printemps 1167

Ma relation à cette étrange silhouette blafarde prit une amplitude notable, nonobstant, j'émettais de farouches doutes quant à l'hypothèse qu'elle puisse représenter Rikni. Ma foi ébranlée avait déjà banni Anür, la Déesse Mer, Bergère des Voyageurs, de mon propre panthéon. Ce n'était certainement pas pour se vautrer dans les bras accueillants d'une nouvelle entité divine, que je ne tenais en estime que pour sa faculté à représenter mon défunt fils. Elle me devait bien des réponses. De plates excuses, si je me devais être parfaitement honnête. Je ne me voyais ni en protecteur de ma piété, encore moins en défenseur de la Tisseuse de Fantasmes. Fit-elle de moi sa main armée, son gantelet, son champion ? M'insufflait-elle l'opportunité de réaliser mes propres ambitions ?

Je crains fort que ce dernier rêve ne soulève plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses. Laissez-moi vous le conter, et nous pourrons développer les hypothèses d'ores et déjà évoquées.

☙ • ❧

L’état d’alerte a été décrété des semaines plus tôt. Le village dans son cocon de verdure affriolante s’est petit à petit vidé de ses habitants, envoyés en groupuscules à s’essaimer aux quatre vents afin de survivre aux hordes hostiles postées dans les contreforts de la jungle. Il nous faut quitter notre abri, ce refuge bâti de nos mains, à la sueur de nos fronts, afin d'assurer la continuité de notre existence. Toutefois, nous nous sommes attaqués à bien trop grand. Je me suis attaqué à bien trop grand. Ce chasseur n’a été qu’une mise en garde, un avant-goût de ce que le monde a à déchaîner sur notre communauté marginale. J'ai certainement trop douté de sa ténacité, de la cuisance de sa jalousie à mon égard ; pourtant, je sais le destructeur de ma colère à son encontre. Un coutelas en travers de la cuisse n'aura été que trop superficiel, ma traque ne s'était pas achevée sur sa fuite et j'aurais dû… J'aurais dû tant de choses. Ne pas le laisser franchir nos portes. Une chose était inéluctable, du jour de sa première visite — que j'attribue à une savante capture menée par mes soldats — cet énergumène était profondément imbriqué dans un complexe passé dont les entrelacs s'enchevêtrent avec ceux de l'Opalescente. L'aurais-je voulue Elle qu'il me fallait composer avec Lui. Toutefois, alors que je balaye les rues désertées de mon hameau, je prends conscience des conséquences de cette séparation forcée que j'ai induite entre eux ; pourtant, je m'en réjouis, cette victoire me tient tant à cœur que je n'en comprends qu'à peine l'étendue. Mes hommes, du soldat à l'artisan, ont tous enduré les sévices de cette puissance dont j'attends le déferlement, et je les crois aujourd'hui en sécurité, loin d'ici.

Alors, ne reste que moi, régnant sur le parterre désolé d'un projet qui n'aura pas assez duré à mon goût, mais aura resserré nos liens devant l'adversité d'un monde profondément cruel, pour mieux coloniser d'autres terres, d'autres civilisations et les enjoindre à gonfler nos rangs. Une torche à la main, j'erre sur le treillis de bois dont nous avons parfait la maîtrise et le rendu esthétique, une technique de menuiserie dont nous étions dès lors les seuls garants et…

La résonnance sourde et lancinante d'un appel de cor jaillit depuis les profondeurs de la canopée. Une note toute particulière qui électrise mon échine et me rappelle à la dure réalité que je m'en vais affronter. Car cette mélodie monocorde n'est autre que le signal de retraite que mes éclaireurs ont été ordonnés de transmettre en cas de mouvement ennemi à proximité de notre position. Je n'ai que quelques heures d'avance, lorsque je m'empare d'une besace de vivres essentielles ainsi que de mes armes ; et au pied de mon refuge, mon flambeau porte sa voltigeuse ardente jusqu'aux mèches d'une corde de chanvre anoblie d'amadou. L'incendie prend sans plus attendre, court le garde-fou des coursives bordant le village et ses habitations abandonnées. Ils ne prendront rien. Seulement les cendres de notre passage éphémère, et notre pied-de-nez. Je n'ai guère le temps de contempler le désastre, de ruminer les prières que j'aurais voulu adresser à cette terre nourricière, et prends le large. La jungle est mon élément, et je tâche de regagner notre seule et unique rivière tout en dissimulant mes traces. Un entrepôt a été bâti sur ses rives afin de servir de point d'ancrage à notre navire, tout près d'une cascade fendant d'un filament bleuté le safran des terres arides de l'ouest au verdoyant des forêts tropicales de l'est. Cela aussi, je dois le détruire.

Laissant dans mon sillage les purificatrices dévorer également les murs à l'écorce sauvage, j'abats les structures facilitant l'accès aux contreforts où je me perche dans le but de regagner la source de notre fleuve. Quelle n'est pas ma surprise lorsqu'au détour d'un méandre, une barque portant en son ventre la silhouette diaphane et ses arabesques verdâtres pointe le bout de sa proue. Que fait-elle ici, alors que je l'ai envoyée assister notre dernier convoyage de population ? Sa place n'est assurément pas sur ce chemin. Je viens à sa rencontre, elle qui prétexte avoir laissé un important objet dans le brasier narguant déjà les cieux de ses bouffées noirâtres. Sottises. Nous n'avons plus d'autre choix que d'avancer, remonter le cours de cette source, et atteindre notre prochaine destination.

Le cheminement parmi les serpentations ocrées ne se fait pas sans effort, toutefois nous apercevons le pic rocheux d'où cascadent les eaux tumultueuses. Sur ses berges, l'ombre de nos hostiles voisins coiffe les hautes concrétions de picots noirâtres. Il ne fait pas bon rester dans les parages, nous devons accélérer le pas. Les projectiles pleuvent, nous les fuyons temporairement, car au-devant se dresse déjà une majestueuse chaîne montagneuse, abordable mais marquant la lisière des territoires tempérés. La gravir semble d'une facilité déconcertante alors qu'à son sommet nous apercevons les vastes plaines herbeuses, les frondaisons verdoyantes, ces stalagmites orangeâtres pointant les déités révérées. Mais aussi et surtout les faîtes enneigés de notre terminus, à des lieues de là. En contrebas, une pente escarpée ne me dit rien qui vaille, pourtant, les flèches s'en venant piqueter la roche à nos pieds ne nous laissent guère le choix. Alors je tends ma paume à l'Opalescente dont les traits révélés me font bondir le cœur, qui s'en saisit alors qu'une chute sans fin…


☙ • ❧

… m'éveille d'un sursaut. Je serais bien incapable de portrayer la Figure Pâle, chaque réveil efface aussitôt ce que je pense avoir perçu d'elle.

Et si tout cela ne traduisait que mes projets et alliances dans l'abolition de cette royauté de pacotille ? L'avènement d'un nouvel allié à l'orée du Germe, créant un tumulte dans mon quotidien pour le moins morose, puis une prise de distance afin de nous entourer de futurs collaborateurs. Le retour de cet ami et nos divergences de méthodes ardemment discutées, la mention d'un hypothétique complice dont je mets en doute les intentions, mais un cheminement prudent loin de lui. Enfin, une première étape dans nos plans rebelles, et ce parasite de nous trahir, tandis que nous prenons le large afin de recueillir de nouveaux partenariats… Assurément, je n'avais guère l'intention de verbaliser mes velléités revanchardes à une jeune apprentie du Clergé. Toutefois cette interprétation pour le moins très personnelle avait un pouvoir séducteur. La perspective de mettre en branle mes propres souhaits prochainement ne saurait que trop m'appâter.

Je revins m'affaler contre le dossier creux de mon siège dans la plainte grinçante du cannage. Enfin débarrassé de la pesanteur de ces imagines entêtantes, je me permis une grande goulée d'air nocturne, mais aussi et surtout une lampée d'eau mentholée. Les températures rafraîchies d'un astre couché alimentaient aussi la sérénité nouvelle qui se dégageait de cet instant de calme et de silence passager.

Nous y voici. Désormais, le champ des possibles est ouvert, et je n'en écarte aucun présage, quitte à devoir me confronter à la supputation d'une âme sœur. Oui, j'ai exploré cette explication également. Mon engagement farouche dans mon mariage n'ignore pas la conjecture actuelle : ma femme n'est plus, et cette union s'est évaporée avec elle.

Alors que je rétorquai à la religieuse, la contraction de mes maxillaires se voulut une féroce adversaire à contrer. Cette déclaration désinvolte n'avait rien d'ordinaire, et peut-être essayai-je de me convaincre du bien fondé de cette noble pensée qui me brisait le cœur et en piétinait le morcèlement. Si bien que j'entendis moi aussi le ronflement rauque de ma tessiture, comme un aveu raclant les parois étrécies de ma gorge pour s'échapper, récalcitrant, comme un crachat à la face du sort. D'un coup d'œil vers les annotations de la novice dont je ne pouvais lire les boucles féminines, j'apposai mon coude sur mon accotoir pour soutenir mon menton contre le plat de mon index, songeur. Avait-elle décelé des pistes que je n'avais envisagées ?

Mettons premièrement que cette entité soit l'avatar de Rikni. Quel serait son message ?
Nous avons trois cycles similaires, où je présume que l'ultime offrande se voudrait être sa main et par cela, sa confiance, peut-être. Serait-ce simplement une rétrospective des évènements de ce monde, et un encouragement à poursuivre ma voie ? Auquel cas, pourquoi me harceler ainsi.



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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyLun 22 Aoû 2022 - 22:35
Sixtine fut un peu interloquée de constater que les griffonnages du Comte s'arrêtaient avec ce rêve de traque, aussi prit-elle le parti d'elle-même poser sa plume au moins afin de pouvoir écouter le début de cet ultime songe qui devait être particulièrement récent et frais dans l'esprit du noble pour qu'il n'eut besoin de coucher sur le papier les détails les plus marquants. L'échine appuyée sur son dossier et les mains finalement posées sur les accotoirs, la novice observa Lazare de Malemort mouvoir ses jambes, ses mains, hocher ou secouer la tête puis se lever, allant et venant autour de son siège, touchant son gobelet de bronze mais le laissant sur le guéridon pour poursuivre son conte… un court instant, au bénéfice d'une pause dans le récit, l'apprentie repensa à cette rencontre qu'elle avait fait au cœur du Labret tout en observant le profil de Lazare de Malemort, y retrouvant sans peine cette pilosité corbeau drue, cette peau tannée et, surtout, ces yeux perçants qui l'avaient déjà ébranlé une paire de fois. A présent que le souvenir était remonté à la surface, il lui cuisait la peau et le cœur et, pour le chasser, encore, la jeune femme entreprit de reprendre la rémige après plusieurs minutes de simple écoute.

Citation :
Bourg déserté, habitants en fuite face à un envahisseur guidé par le chasseur du Chiendent, constitue un danger qui revient constamment, de plus en plus présent
S'il y a connaissance d'un excès dans une réaction qui a entrainé cette invasion en devenir, satisfaction d'avoir vaincu le Chasseur et de l'avoir éloigné de la Figure Pâle, ne regrette rien
Protecteur d'une population martyrisée ? Ces derniers en sécurité, inspecte le son village et y met le feu, ne veut rien laisser aux envahisseurs à la manière d’une politique de la terre brûlée
Fuite. Retrouvailles avec la Figure Pâle supposément en fuite elle aussi. L'ennemi approche, fuite derechef, poursuivis. Découverte du visage de la Femme mais éveil puis oubli.

« - Les visages sont un détail à double tranchant des songes, soit ils sont parfaitement clairs, lisibles et reconnaissables, fûts-il ceux d'inconnus, soit ils demeurent flous voire absents, ce qui est votre cas depuis le premier rêve à quelques rares exceptions » expliqua Sixtine tout en regardant Lazare de Malemort se rassoir sur son fauteuil, manifestement rassénéré par la fraicheur nocturne.

La clerc prit son brouillon zébré de notes, ratures et autres ralliements et, les coudes calés sur ses accoudoirs, le relut tout en tendant l'oreille aux hypothèses du Comte quant à un potentiel avenir marital induit par ses rêves. La dernière phrase en particulier peina à sortir, comme si ses dents avaient voulu couper sa langue de proférer un tel blasphème au souvenir de feu son épouse. L'idée ne plaisait guère au noble et Sixtine ne le releva pas, doutant d'ailleurs que cela soit le message que Rikni souhaitait envoyer à son fidèle, tout du moins, point quelque chose d'aussi précis et déterminé. Le Comte s'interrogea d'abord sur la signification de la Figure Pâle s'il partait du principe qu'elle était la représentation de Rikni comme l'avait supposé la novice et ce dont elle était personnellement plutôt convaincue.
En relisant ses notes dans leur ensemble, la clerc constata que la Figure Pâle était réellement omniprésente : elle apparaissait dans toutes les genèses de vos cycles de rêves de manière éthérée, intouchable, puis elle prenait de l’importance dans les rêves intermédiaires, avec un point culminant dans celui du Chiendent, avant d’enfin être pleinement actrice de la conclusion de ces triptyques, gratifiant à chaque fois son songeur d’un don. De l’or donné dans un contexte calme mais presque solennel et globalement distant, puis de la nourriture portée à même la bouche par la main de la Femme, et, finalement, cette même main directement dans la sienne. Que pouvait signifier un tel rapprochement ? Comment cela pouvait-il se concrétiser pour le noble ? Était-ce car elle n’était encore qu’une novice avec ce que cela induisait d’inexpérience qu’elle tâtonnait ainsi ? L’aspirante s’efforça de reléguer ses questionnements quant à sa capacité le temps de la discussion avec le Comte, désireuse d’honorer la raison de sa venue au manoir Malemort.

« - Il me semble discerner plus d’une forme d’escalade de rêves en rêves. A l’origine semblable à un spectre impalpable que vous imaginiez être un objectif à atteindre, vous en arrivez à prendre la main de la Figure Pâle pour échapper à une menace grondante qui, de son côté n’a fait que grossir de même, passant d’un simple nom vous inspirant une profonde colère à un véritable envahisseur. »

C’était une menace donc, justifiant le titre de l’ultime triptyque ? Un avertissement nécessitant de la répétition pour gagner en clarté ? Le pouce caressant distraitement le feuillet, Sixtine fronça les sourcils, imprégnée dans sa réflexion.

« - Je note toutefois un changement de paradigme dans le cycle du Danger. Dans le Germe, vous êtes le plus souvent seul, vous perdez même vos compagnons de mer et ne trouvez de personnes à côtoyer qu’arrivé à la fin du cycle. Dans le Chiendent, vous entrez dans une ère de conflit avec la Figure Pâle qui s’achève sur cet sorte d’apprivoisement tout juste apaisé mais, une nouvelle fois, vous êtes globalement très isolé. Dans le Danger, à deux reprises, vous donnez de vous-même pour protéger d’autres personnes, la Femme mais également un village, votre village d’après vos propres termes. »

Sauver une personne, c’est se sauver soi-même, se remémora Sixtine en repensant à sa propre analyse de l’avant-dernier rêve ; alors que signifie construire un village de ses propres mains, cohabiter avec des personnes qui avaient le même désir que soi et s’assurer de leur survie une fois l’inéluctable aux portes, si ce n’était édifier un avenir et le protéger ?
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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyDim 28 Aoû 2022 - 6:51

De l'expression du divin et ses voies impénétrables | Fin printemps 1167

La jeune DeConques pointa du doigt, ou du moins de la plume, ce qui transparaissait le plus — outre l'omniprésence de l'avatar de la Triomphante — parmi les étranges détails et obscurs flous que je lui exposais sans crainte. Plusieurs progressions se superposaient, tant dans ma relation à ces créatures oniriques que dans l'importance que prit la place de l'environnement. Si je pouvais aisément m'identifier à ce capitaine, meneur d'hommes contre vents et marées, je ne me percevais guère comme pilier d'une communauté. Mon intégration parmi la noblesse prude et régressiste se fit à la sueur de mon front, n'ayant pas tant à cœur de prouver ma bonne foi que l'indispensable de mes compétences auprès de la Couronne. Ce travail était une lutte de tous les instants, et à ce jour encore, je tâchai de ne pas être un énième patronyme insignifiant rayé des registres d'une patrie que je défendais encore sang et eau. Ainsi, j'étais l'épine dans le pied de cette contrée à qui je rappelais sans cesse, dans sa marche inaltérable, qu'elle se tenait encore fièrement debout grâce à la ferveur patriotique de mes aïeux. Était-ce cela, être à la tête d'un peuple ? Mon unique velléité d'alliance soldée sur la disparition quasi totale des nôtres ne m'évoquait que l'échec cuisant de cette ambition qui fut autrefois la mienne. Alors peut-être la question était-elle de se demander qui du passé ou de l'avenir me montrait-Elle.

Vous, entre autres prêtres, savez que nous autres sommes des fonctions avant d'être des individus. Je suis de ces hommes nés pour servir notre Royaume, et par extension, se sacrifier pour lui au terme de notre mission. Il ne me surprend pas de retrouver cette notion au sein du rêve. Ne sommes-nous pas d'ascendance divine ?

Peut-être pointai-je une sensible pique de sarcasme, m'incluant faussement dans la marée hypocrite croyant dur comme fer que nous étions descendants de ces êtres illustres, intemporels et immémoriaux. Le divin s'était amplement dilué, souillé dans les mufleries de mes pairs à la loyauté aussi changeante que la brise. Rikni n'avait que trop peu de raisons de soutenir le moindre de nos desseins, pire, ne se fichait-elle pas éperdument de notre sort devant ce que la Fange a pu faire de nous autres rescapés ? Cette interprétation n'était peut-être qu'une vaine tentative d'exorciser ces rêves épuisants revêtant sans cesse la mante de l'urgence et de l'angoisse. Je n'excluais pas le fait qu'elle puisse encore se jouer de nous, hommes, en intervenant minutieusement dans nos égarements oniriques ; le cas échéant, que souhaitait-elle transmettre ? Entre un précieux avertissement et un vif encouragement, il n'y avait qu'un pas.

Dans mon souvenir, le "Danger" comme je le nomme ne suppute pas nécessairement qu'il s'agisse de mon ennemi. Il est des sensations que je ne puis traduire efficacement en mots, cependant, cet exode vers le nord me laisse présager d'une puissance en préparation tant au sein du camp adverse que du mien. Vous n'êtes pas sans savoir ma position sur l'échiquier politique, votre père s'engageait lui aussi sur ce sentier cahoteux. Serait-ce le présage d'une nouvelle situation conflictuelle dans laquelle la Figure Pâle serait une alliée de choix ?

Retenir l'hypothèse de l'implication politique de ces charades absconses ne pouvait que me desservir. Si je n'évoquai aucune intention offensive à l'égard du pouvoir en place, et tel que mon rêve le démontrait, tout au plus une tendance à construire et préparer mes défenses, je ne rejetais pas l'idée de fomenter la première action. Perchés sur mes phalanges groupées, deux soldats verdâtres fusillaient les pages du manuscrit que maintenait encore la religieuse sur son giron. Il y avait tant et tant de choses à déceler entre ses lignes que j'en vins à me pincer la glabelle, harcelé par le fourmillement d'options à envisager.

Souvenez-vous, sœur Sixtine, que je n'ai pas vocation à obtenir d'irrémédiables réponses, j'entends les limites de votre expérience et plus encore de la faculté qu'ont réellement les Hommes à interpréter la parole des Trois.

Je perçus dans la posture de la novice une intense réflexion, peut-être un peu de nervosité également. Après tout, il ne s'agissait pas d'une lecture formelle, et la jeune femme aux prunelles d'acier n'avait guère de formation pour ce faire. J'en avais tout-à-fait conscience, du jour où je pris soin de la contacter. Elle savait, du moins je gage, qu'elle n'était soumise à aucune épreuve de ma part. Un défi certain, mais assurément rien qui saurait la freiner dans son ordination. Mes alliés au sein du clergé trinitaire se comptaient sur les doigts d'une main, et réfugier mes doutes auprès d'un représentant d'une posture politique plus adéquate que celle – discutable – que quelque cousine au quatrième, cinquième degré, incarnait me semblait plus prudent. Tout du moins, cela lui apporterait-il une amplitude d'hypothèses plus savamment dosées. Nombreux étaient ceux à ne rien saisir de mes opinions et de ceux de feu mon ami Cyras.

Peut-être Rikni en comprenait toutes les nuances, elle.

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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyLun 29 Aoû 2022 - 1:56
Sixtine ne savait exactement comment interpréter la subtile ironie qui avait teinté la question du Comte, elle qui avait appris sur les bancs du Temple que l’humanité dans sa globalité était une création divine, chacun des Trois ayant apporté sa pierre à l’édifice, avant que les Hommes ne se pervertissent en se vautrant dans une existence terrestre faite de vices et de tentations. Le salut lui étant dès lors permis uniquement par ce qu’il entendait faire de sa vie, à savoir suivre les enseignements de la Trinité ou s’en éloigner, l’individu devait prouver sa valeur et démontrer qu’il était digne de rejoindre la demeure céleste d’Anür. La noblesse avait une place à part dans ce grand dessein car, de part des qualités de commandements et de piété, elle était censée incarner un idéal et un ensemble de devoirs de protection, d’honneur et de foi justifiant ses privilèges. Sur ce point précis, l’avis de la novice s’était terni il y avait bien des années de cela, au contact de son paternel. Peut-être son ancêtre Gurranq avait-il mérité le titre de banneret en sa qualité de bourgmestre ayant vaillamment défendu Conques contre des attaques de bandits de grand chemin, sûrement avait-il été un homme honorable, brave et croyant, lui permettant ainsi de voir ses qualités reconnues par l’anoblissement, une élévation aux yeux du duché et des Trois… hélas, trois générations en aval, la dignité, le courage et la probité s’étaient dilués jusqu’à disparaitre et ne laisser qu’un banneret n’aspirant qu’à plus que ce titre pourtant obtenu dans le sang et les larmes par son aïeul et s’employant à faire moult courbettes et à se fourvoyer pour atteindre son but. Quelle surprise alors que Pancrace DeConques ait été abandonné par les Dieux au moment où la sentence de Sigfroi de Sylvrur était tombée.

Lazare de Malemort émit l’hypothèse que les rêves l’informaient de potentielles hostilités où la Figure Pâle – en tant que représentation de la puissance de Rikni ou en tant que potentielle personne bien réelle ? – aurait un rôle à tenir à ses côtés. Rikni aimant mettre les hommes à l’épreuve et les voir combattre pour révéler leur vraie nature, c’était possible mais Sixtine ne s’avançait pas sur cette piste par ignorance, n’ayant jamais été et n’étant toujours pas au fait de toutes les subtilités politiques de l’Esplanade en dehors de celle qui, jadis, opposa le pouvoir en place aux Sarosse que son père soutenait. De fait, la subjectivité de son point de vue l’orientait vers une autre réponse qu’elle avait déjà, d’une certaine manière, montré au Comte dont elle entendit de nouveau la voix s’élever. En relevant le nez, la clerc constata qu’il observait intensément son brouillon.

« - Vous pouvez le lire si vous le souhaitez. »

L’apprentie prêtresse n’entendait rien emporter avec elle au Temple de toute façon : ses prises de notes aux multiples raccourcis et autres obscures références n’auraient su trahir l’identité du noble qu’elle n’évoquait à aucun instant explicitement mais elles ne lui étaient plus d’une grande utilité non plus, peut-être ne le seraient-elles pas davantage à Lazare de Malemort mais, au moins, toute trace écrite relative à ses rêves et pensées resterait en sa possession dans son manoir. Quoiqu’il en soit, les mains dorénavant libres, la jeune femme imbriqua ses doigts les uns dans les autres avant de reposer son poing ainsi formé sur le haut de ses cuisses, son dos légèrement penché vers l’avant.
Interpréter la parole des Trois : voilà une charge bien éminente que le clergé se devait de supporter et à laquelle il était bien présomptueux de s’estimer capable sans une expérience fort longue et des qualités indéniables. Sixtine ne se faisait pas d’illusions : si elle aspirait à une telle connexion avec la Trinité afin de se faire l’intermédiaire la plus efficace possible entre les Trois et leurs ouailles, elle était encore bien jeune, aussi, la réponse qu’elle donna au Comte résultait de son plus pur sentiment sur la question de la signification de ses cycles de songes, certes étayé par quelques studieuses lectures.

« - Les phases de vos rêves m’évoquent donc une progression : de l’inertie, l’état de choc, au tumultueux chamboulement et, enfin, le retour au calme, le don de la Figure Pâle voire la construction d’un avenir ou, tout du moins, la vision d’un objectif plus lointain. La réalité alimentant nos rêves, je ne peux me défaire de l’idée que ce qu’il s’est passé ce jour-là est à l’origine de vos songes répétés, d’autant plus que le premier cycle du Germe a commencé très peu de temps après. »

Laissait-elle son empathie prendre le dessus sur son analyse ? Sûrement. L’aspirante s’efforça toutefois de ne pas retomber dans la même frontalité qu’elle avait aussitôt regretté par la suite plus tôt dans l’après-midi.

« - Les derniers rêves de vos triptyques sont pour moi les plus importants car, bien qu’ils aient également des instants de troubles et d’agitation, ils marquent un retour à l’apaisement, une renaissance que j’attache particulièrement à ces dons de la Femme. D’après moi, s’il devait y avoir un Signe de Rikni, c’est dans ces songes-ci qu’il se trouve. Ce que je vous ai dit au moment du rêve de la prison… je le pense encore et j’ajouterai ceci : je pense que Rikni vous juge prêt à vous relever. »

Prêt à se réintégrer davantage à cette société qui ne lui avait jamais laissé volontairement la place ? Prêt à rouvrir cette demeure figée ? Prêt à dépasser le deuil ? Prêt à pardonner… à se pardonner ?

« - Il ne tient qu’à vous de le croire et de le vouloir. »

Car Sixtine savait les Hommes prompts à ne pas forcément suivre la voie montrée par les Trois et car elle avait goûté un bref mais intense instant à la culpabilité qui brûlait le cœur du Comte dans un silence de mort qu’il maintenait soigneusement autour de sa personne, la religieuse ne pouvait se montrer catégorique. Les Dieux proposaient et les Hommes disposaient, à leurs risques et périls et, quand bien même les Éternels dressaient des murs, les Mortels cherchaient voire trouvaient un moyen de les contourner, de les surpasser, de les traverser. Une jeune fille choisissant de fuir son mariage pour se construire une destinée à Marbrume, un novice à l’avenir prometteur choisissant d’entrer dans la Milice, une demoiselle embrassant la voie des Trois par elle-même… nul besoin de chercher dans les contes pour trouver des histoires de destins contrariés par leurs propres concernés avec ce que cela incluait en termes de changement, de bénéfice et de punition. Si Sixtine avait bien lu entre les lignes de ces songes et en avait extrait une signification, Lazare de Malemort allait-il accepter cette main tendue de la Déesse des Rêves ?
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyLun 5 Sep 2022 - 7:02

De l'expression du divin et ses voies impénétrables | Fin printemps 1167

La religieuse repoussa ses notes manuscrites sous mon nez, les coulissant contre le guéridon pour mieux les orienter dans mon sens de lecture. Je l'en remerciais sagement, empruntant alors ces quelques feuillets charbonnés pour les mener sous mes prunelles assombries par la mante nocturne. Dos à la flamme agitée par la brise maritime regagnant en superbe, je tâchais de déchiffrer les remarques de la novice d'un plissement de paupières. Mes suppositions tâtonnantes se superposaient en partie aux recherches de la DeConques, notamment pour ce qui était de la notion de deuil. Peut-être n'était-ce finalement que cela. Un message pour le moins obscur pour une si petite signification. La grande Rikni "m'autorisait" à oublier, tourner une page, passer outre. Elle "m'encourageait" à dépasser cet état de morosité permanent, cette mélancolie d'un temps à jamais perdu qu'il me fallait abandonner enfin. Si ce message à mon encontre était si piètre, si ridicule, je me voyais aisément le balayer d'un revers de main et me contenter d'assumer ces nuits intenses et épuisantes jusqu'à ce que mon corps las daigne capituler. L'apprentie insista sur le sens primordial de l'opus de la cellule, sur lequel je revins en parcourant ses commentaires écrits. Elle y avait souligné la notion de culpabilité, allant jusqu'à repasser la plume sur ce terme qui résonnait en moi avec amertume et dépit. Il était une part de honte dont je ne saurai jamais me défaire, celle d'avoir invité mes proches dans les méandres politiques de mes opinions, et surtout, celle de les avoir crus en sécurité en les éloignant de leurs terres. En les éloignant de moi. Cette erreur leur coûta la vie. Me coûta la vie. Et je n'étais pas disposé à laisser l'eau couler sous les ponts du morne quotidien d'une ville ruinée.

L'interprétation se tient. N'était-ce point, finalement, ce que nous soupçonnions ? Une façon de relater mon deuil et m'en tirer en me tenant par l'oreille.

Je ne sus moi-même si cette cruelle ironie m'amusait ou me lassait, ainsi en allait mon ton mi-figue mi-raisin. Ces rêves — pourquoi m'évertuais-je à les nommer rêves lorsqu'ils étaient davantage souvenirs ? — étaient une ode à la vie, laquelle je n'avais jamais demandé à entendre. Rikni, incisive et n'entendant aucun refus, me berçait de cette sérénade indésirable à même l'entredeux de mes oreilles. Y avait-il plus intrusif encore que cette prise d'otage qui ne me laissait que peu de répit ? Tout cela pour un message dérisoire me contrariant suffisamment pour creuser quelques sillons noirâtres entre mes sourcils épais. Une narine rehaussée trahissait discrètement mon mépris pour cette traîtresse trinité dont j'accusais les desseins d'être à l'origine de bien de mes maux indélébiles. La peste soit de leur volonté divine, la peste soit de leur odieuse miséricorde. N'avaient-ils pas laissé la Fange se propager sur nos terres, prendre nos habitations, prendre nos champs, notre bétail, nos bien-aimés ? Et s'ils ne l'avaient pas sciemment déchaînée sur l'humanité, ils n'étaient pas moins restés impotents, inactifs même, face à cette maladie ne nous laissant que la pathétique opportunité de nous terrer comme des rats. Je m'efforçai, en vain, de ne pas songer à l'épisode de cette nuit d'horreur si les créatures d'Etiol n'avaient point envahi nos marécages poisseux et forêts denses. Une nuit qui se serait achevée par le retour paisible de mes alliés éconduits jusque sur leurs terres, au prix d'un sanglier féroce que leurs gens d'armes auraient aussitôt rossé, tout au plus. Peut-être même auraient-ils convenu de rejoindre le littoral non loin, coupant à travers quelques sentiers lézardés de fougères verdoyantes pour mieux gagner une plage isolée où je serais venu les cueillir pour les inviter à mon bord. Nous nous serions retrouvés, après la torture de ces semaines de séparation, pour mieux regagner notre citadelle et y élever un second fils…
Bénie soit la torche et ses danses abstraites, ainsi que la toile noircie d'un ciel dégagé, qui dissimulaient habilement la perle amère qui poignait à la lisière de mes cils. Je repliai avec le plus de soin possible les feuillets nervurés par la plume de la novice pour mieux les coincer sous la carafe en étain humant encore ses effluves mentholés.

Cette perspective me convient et je m'appliquerai à en tirer les leçons qu'il faudra, concluai-je devant cette proposition. Votre opinion est appréciée à sa juste valeur, sœur Sixtine.

Et elle l'était réellement. Ma missive stipulait qu'elle parle librement, et je tâchais de croire qu'elle ne s'était gardée aucun avis, aucune hypothèse. En cela, ma requête avait été entendue à la lettre, et je m'en satisfaisais. Que sa réponse elle-même me satisfasse, elle, était un tout autre sujet. Au regard des citations que la jeune apprentie me pouvait approximativement délivrer, elle avait étudié son sujet en amont afin d'être au plus proche des interprétations oniriques que j'aurais obtenues auprès d'un confrère ordonné. Je n'avais besoin de rien d'autre que cette certitude pour accepter son point de vue, et il ne tenait qu'à moi, comme la religieuse me le présentait, de m'y conformer. La seule idée que d'autres théories se tiennent en lieu et place de celle-ci était en elle-même une introspection me faisant gravir une marche supplémentaire de ce chemin de croix. J'espérais davantage de cette entrevue qu'elle me laisse exorciser ces songes afin de recouvrer une vie qui m'appartenait, et des souvenirs dont je savais situer l'exécution. Les nuits prochaines me l'annonceront bien assez vite. Alors je me relevai avec mesure et grâce, me tournant vers mon invitée pour lui adresser ces prochaines paroles avant même l'intervention de Clovis.

Cette soirée fut instructive, et j'ose espérer que vous en tirerez également quelques enseignements. Le chevalier de Guéramé saura vous mener à bon port et ce en toute sécurité, n'hésitez pas à lui manifester une autre adresse que le Temple si nécessaire, il saura s'en accommoder.

Clovis s'approcha de son pas félin, la mine éternellement affable sans avoir l'air d'un bienheureux, soutenant d'une paume ouverte un petit sachet en soie blanche à la cordelette d'argent. Grimpant sur l'estrade nous ayant servi de terrasse, il se pencha avec déférence devant la novice pour lui offrir ce gage. J'attendis de la sœur qu'elle s'en empare et tire les ficelles pétillantes de lumière afin d'en dévoiler le contenu ; un précieux rosaire constellé de perles d'un bois au noir absolu, et d'autres au gris marronâtre sombre, nervuré de brun, dont l'odeur aux notes poudrées et animales n'avait su se déliter avec le temps, et tout juste s'affadir en note de fond. Les séparant en un décompte irrégulier, de petits ornements d'argent aux gravures fines ravivait un peu de clarté parmi les billes obscures. Et en extrémité de chapelet, le symbole des trois, semblable à une fleur de lys dont on aurait renversé la tête, se pavanait avec modestie, fait du même argent.

Ce chapelet est constitué de deux bois auxquels nous n'aurons peut-être plus jamais accès, et n'existent guère sur nos terres : l'ébène noir, et le santal parfumé. Mon aïeule rapporta les souches dans lesquelles ce rosaire fut ouvragé. Prenez-le, pour vous si cela vous intéresse. Un collectionneur saurait en tirer un prix tout-à-fait confortable, si d'avance vous songiez à en faire don au Temple.

Qu'allai-je pouvoir en faire, après tout, lorsque la religion était boudée du peuple et qu'il m'était désagréable d'y vouer mon temps autrement qu'en quête de réponses mutiques ? La DeConques en ferait bien meilleur usage que je ne saurais jamais le faire. Clovis patienta, m'annonçant que le chevalier Geoffroi de Guéramé attendait sagement dans le hall de ma demeure. Et je m'apprêtais à raccompagner la jeune femme, dont le chemin s'éclairait d'un flambeau que mon valet maintenait au devant d'elle afin qu'elle sache où poser le pied.

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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyJeu 8 Sep 2022 - 1:47
Pour avoir côtoyé le Comte plusieurs heures, Sixtine commençait à pressentir certaines de ses réactions à ses propos. Cette culpabilité faussement latente rendait le sarcasme de son commentaire triste, laissant poindre ce que la novice interpréta comme une pointe aigue de déception. Toute personne normalement constituée avait des attentes vis-à-vis des Signes divins : quelle signification le noble avait-il espéré de la part de ces songes curieusement agencés en cycles logiques ? Il avait évoqué seulement quelques instants auparavant la possibilité d'être averti et préparé à une nouvelle situation conflictuelle éventuellement liée à son statut de paria au sein de l'Esplanade ; était-ce une option que son esprit de meneur d'hommes envisageait par stratégie préventive ou l'appelait-il de ses vœux ? Ou était-ce encore autre chose ? Ses prunelles grises voilées d'un rideau de cils noirs, Sixtine tendit la main pour récupérer son hanap et le vider en quelques gorgées, laissant le silence répondre pour elle à la description que Lazare de Malemort avait fait de Rikni et qui lui rappelait les bonne sœurs les plus insupportables du Temple.

La novice reposa son gobelet d'airain au moment où son vis-à-vis reprit la parole, les mains libérées également de leur parchemin noirci. Humblement, la jeune femme ploya la nuque, honorée de savoir que son travail avait porté ses fruits, bien que le Comte s'abstint de préciser si l'interprétation qu'elle avait fait de ses rêves lui convenait en elle-même ou non. La brune aurait plutôt eu tendance à pencher pour la deuxième réponse et il lui était difficile de positionner son inquiétude à ce sujet : la réponse donnée correspondait rarement à ce que le croyant attendait et il était normal que l'idée prenne le temps de faire son cheminement jusqu'à être pleinement acceptée mais, concernant la clerc, un grain de sable faisait gripper la machine, un grain de sable qui la suivait depuis Najac et qui s'entêtait à tourmenter son âme sensible et pieuse, mettant en compétition son empathique besoin de redonner espoir à un fidèle esseulé et ébranlé par les événements et sa loyauté à la parole qui avait été donnée aux pieds des ligneuses statues des Trois.
La mâchoire un peu serrée, Sixtine imita Lazare de Malemort et se leva, s'emparant de sa cape sur le dossier de son siège. Tout en accrochant la mante à son cou, la religieuse répondit à l'aristocrate :

« - Je n'en doute point, Monsieur. Je vous remercie grandement de me permettre de rentrer sous la protection de votre homme-lige, vous m'en voyez pleinement rassurée. »

Aucune rue n'était sûre une fois la nuit tombée, pas même dans les quartiers bourgeois. Une fois la cité recouverte par les ténèbres, la moindre ombre se parait d'une aura plus menaçante, dissimulait mieux l'éclat d'une lame ou revêtait une forme plus dangereusement familière ; pourtant, la novice savait douloureusement que le danger rôdait le jour également. Ce fil de pensée déprimant s'étiola lorsque le majordome du Comte se posta devant elle et lui tendit un singulier paquet ; le domestique avançant ostensiblement la bourse de tissu précieux vers elle, Sixtine se permit de l'ouvrir, reconnaissant au discret bruit qui en émanait le frottement de billes de bois. Elle en extrait finalement un long chapelet : elle crut un instant qu'une partie des perles utilisées pour le composer étaient des pierres tant la couleur était profonde mais, au toucher, il s'agissait bien de bois ; une odeur diffuse semblait se dégager de l'objet, comme s'il avait été longtemps plongé dans de l'encens… le noble entreprit d'apporter quelques précisions, laissant donc entendre que c'était les perles plus grisâtres qui étaient à l'origine de cette délicate fragrance. L'apprentie laissa le symbole trinitaire reposer sur la paume de sa senestre le temps d'en admirer le fin travail d'orfèvre tandis que Lazare de Malemort rattachait la confection de ce rosaire à une parente, sûrement celle-là même qui avait fait de la lignée des Malemort et Malerive ce qu'ils étaient aujourd'hui.
La jeune femme marqua une pause perceptible, ses yeux toujours vissés sur le chapelet qui se révélait être une véritable œuvre d'art. L'hésitation la saisit : pouvait-elle vraiment accepter un tel présent, de surcroît sachant qu'il s'agissait manifestement d'un héritage familial ? Le Comte n'avait rien d'un écervelé prenant des décisions sur un coup de tête mais, Sixtine avait beau ne point douter de sa détermination quant à l'aspect définitif d'un don mûrement réfléchi, elle ne pouvait empêcher un petit nœud de se former entre sa gorge et son estomac.

La brune rangea finalement le rosaire dans sa bourse de soie et prit cette dernière, la conservant avec précaution entre ses deux paumes tandis que le majordome s'emparait de la torche derrière son épaule. Le contact des billes de bois au travers du fin tissu avec un certain effet rassurant pour la clerc qu'elle était mais également, plus étrangement, une sorte de lourdeur.

« - Il est véritablement superbe. Je veillerai à en faire le meilleur usage possible » sourit l'aspirante, encore bien incapable de se fixer sur la marche à suivre concernant l'avenir de cet estimable chapelet.

Leurs pas les ramenèrent finalement à l'intérieur du manoir mortifié de silence et, alors que la silhouette du chevalier de Guéramé se découpait au loin, Sixtine s'adressa de nouveau au Comte avec une discrète sollicitude tout en ajustant sa cape sur ses épaules :

« - Si vous ressentez de nouveau le besoin de parler et que vous le souhaitez, vous pouvez me contacter au Temple. Si je ne peux me rendre disponible rapidement, je pourrais toujours vous répondre par écrit. »
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Lazare de MalemortComte
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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptyJeu 8 Sep 2022 - 16:26

De l'expression du divin et ses voies impénétrables | Fin printemps 1167


La jeune DeConques accepta la précieuse offrande, et je n'en attendais pas moins. Il était inconvenant de refuser, quand bien même il s'agisse d'un paiement personnel qu'un membre de l'école ecclésiastique devrait rejeter sous prétexte d'ascétisme. Cette entrevue hors des sentiers battus avait tout de clandestin, et à toute réunion clandestine s'ajoutait un cortège d'actions réprouvées, qui se voulaient être d'odieux secrets de polichinelle. Je n'aurais pu confier l'étendue de ces expériences à qui que ce soit d'autre qu'une personne tenue au secret religieux mais aussi consciente — à un certain degré — de mes affiliations politiques. Étais-je déçu des résultats de ces échanges concernant les messages subliminaux de ces évènements aussi familiers qu'ils ne me sont consciemment étrangers ? Peut-être en attendais-je plus, une signification majeure qui puisse justifier qu'ils me soient si pénibles et grisants à la fois. Car il était une chose que je ne pouvais leur retirer : tous réveillaient en moi un panel surprenant de sentiments qui ne m'animaient plus et creusaient davantage ce gouffre émotionnel ayant pris place entre l'homme que Lazare de Malemort fut autrefois, et celui qui aujourd'hui arpente les sinueux sentiers du deuil. Aussi épuisants se montraient-ils chaque fois qu'ils faisaient leur apparition impromptue entre mes tempes, ces rêves tordaient mes entrailles d'une vie pugnace sur laquelle pourtant je faisais souvent l'impasse, m'étant tant de fois retrouvé la corde au cou sans oser franchir cette étape cruciale. Ce souvenir, d'ailleurs, me revint en mémoire aussitôt j'aperçus le précieux chapelet se balancer, languissant, au bout de sa cordelette perlée de bois exotiques. Ma dépouille aurait cent fois pu danser ainsi au gré du roulis baignant le port, encarcanée dans sa cabine, mollement pendue à un bout de chanvre échevelé…

Mes paupières battirent dans un bref instant de lucidité, regagnant une réalité bien plus tangible à mesure que nous approchions des marches balayées de mon perron. Nous nous devions encore traverser un salon aux cloisons couvertes de tapisseries de laine et de soie avant de rejoindre le hall confortablement meublé de divans étrangers et étagères piquetées d'objets insolites. Une décoration pour le moins hétéroclite due à l'accumulation de trésors, récompenses de nos actions par delà les mers et les frontières, mais aussi de présents de cette même aïeule, célèbre marchande itinérante de son temps. Je détonai, parmi les coloris vifs et les tons chatoyants de fils d'or irisés par le passage de cette flamme tenue à bonne distance, ma tunique si longue qu'elle traînait parfois au sol, d'un noir encore absolu devait me donner des allures de freux de mauvais augure. Ce qui n'était, je le concevais aisément, pas si éloigné d'une certaine vérité. Le hall approchant, l'on se redressait d'un canapé afin d'accueillir la jeune femme. Un homme d'une tardive vingtaine d'années, au crin blond doré bouclant au-dessus d'un faciès fin typique des duchés de l'est se manifesta, paré d'un plastron de cuir brun. Il se présenta à la dévote en effectuant une charmante révérence, le visage orné d'un sourire avenant et sincèrement bon. Lui aussi tendait à jurer dans le paysage austère qu'était mon domaine, plus encore en contraste avec ma valetaille qui se pressait près de la porte principale de ma résidence, ses deux seuls membres vêtus pareils à des fossoyeurs.

Chevalier Geoffroi de Guéramé, pour vous servir, ma Sœur. Je serai votre indéfectible escorte jusqu'aux portes du Grand Temple, si tel est votre souhait.

Je dus admettre retenir un rire moqueur devant le spectacle de zèle dont faisait preuve Guéramé. Il ne m'était pas antipathique, et ne semblait pas être animé par le moindre sentiment de séduction quel qu'il soit. Sa personnalité entière paraissait s'articuler autour du service à l'autre, en toute honnêteté. Nous nous rendions tous sur le pas de la porte, dans ce hall plus rustre aux parois de pierre tout juste mouchetées d'ornements métalliques tintant lors d'un malencontreux courant d'air.

Sœur Sixtine. Je saurai en effet où me rendre ou vous adresser un courrier à l'avenir. S'il vous était demandé de quitter Marbrume afin de vous rendre au Labret pour toute mission trinitaire, faites appel à la Manticore. Il est toujours plus prudent d'emprunter les mers plutôt que les routes.
Que votre retour soit sauf. Les Trois y veillent.


Je la saluai avec cordialité, sans plus m'épancher en ennuyeuses formules protocolaires. Isméon enjoignit le duo à quitter les lieux avec une forme d'empressement dû au vieil âge et à l'heure bien avancée du soir faisant peser sur l'Esplanade une mante obscure. Sans doute était-il épuisé d'attendre ainsi toute une après-midi tandis que Clovis s'affairait avec les tâches plus physiques incombant à un valet. Guéramé ouvrit bien sûr la marche, une paume reposant sur le pommeau d'une épée dont la garde de belle facture balançait à sa hanche. Volontaire et rayonnant, il était le pendant solaire de mon plus jeune domestique, qui irradiait plutôt d'une attirante froideur. Je m'amusai à le constater tandis que les deux jeunes gens dévalaient les degrés poussant jusqu'au portillon de fer forgé donnant sur l'impasse où je résidais, et où une lanterne leur serait confiée afin de traverser la cité morguestanaise armés d'un fanal rassurant. L'on referma le battant sur ma silhouette crevant la clarté d'un corridor flamboyant de torches d'une fente noirâtre.

Isméon. Tâchez de me trouver un plant de jasmin à la première heure, demain matin.

Car un mystère n'avait guère été percé, celui de cet entêtant parfum floral dont la mystérieuse propriétaire échappait à ma conscience et embrasait pourtant mes sens au plus fort de mes nuits.

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MessageSujet: Re: De l'expression du divin et ses voies impénétrables   De l'expression du divin et ses voies impénétrables - Page 2 EmptySam 10 Sep 2022 - 21:29
A peine eut-elle le temps de finir sa phrase que Sixtine vit l'ombre du chevalier se lever. Une fois son seigneur et son invitée dont il allait avoir la garde rendus devant lui, l'homme d'armes se fendit d'une révérence et se présenta avec un certaine dimension épique qui semblait curieusement hors du temps et de l'espace comparée à cette demeure plongée dans le mutisme et à cette époque où bien des valeurs se voyaient foulées du pied. La novice quelque peu interloquée par tant de diligence crut entendre un petit soupir amusé en provenance de Lazare de Malemort mais elle se concentra davantage sur le dénommé Geoffroi, lui rendant son sourire.

« - Et je vous en remercie, Sire de Guéramé. »

Une fois tous arrivés à la porte, l'apprentie se retourna vers le propriétaire des lieux tout en rangeant soigneusement la bourse contenant le rosaire dans une de ses poches qu'elle dissimula par la suite sous sa cape brune. A la proposition du Comte concernant l'usage de son navire, la jeune femme hocha la tête avant d'esquisser une rapide révérence.

« - Je n'y manquerai pas, Monsieur. Que les Trois vous gardent. »

La soirée était fraiche mais la torche que le majordome donna au chevalier assurait un redoux rassurant. Ainsi chaperonnée, Sixtine se sentait en sécurité et fit preuve de cordialité sans avoir à se forcer avec Sire Geoffroi. Ce dernier animait une petite conversation anodine entre eux, se contentant de banalités en veillant à ne point évoquer l'après-midi que la religieuse avait passé avec son seigneur avec un grand professionnalisme. Ensemble, ils traversèrent l'Esplanade en ne croisant que quelques domestiques retardataires ; en passant les grandes portes, l'homme d'armes salua les gardes qu'il semblait bien connaitre ; leur passage dans la Rue des Hytres se fit sans encombre et, une fois qu'ils furent arrivés à hauteur des premières maisons du quartier du Temple, Sixtine fut intimement soulagée de voir le chevalier poursuivre sa route à ses côtés, manifestement décidé à l'accompagner jusqu'aux portes du Temple sans faire montre d'une quelconque forme de début d'agacement. Cependant, une fois que celui-ci fut bien en vue, sa massive silhouette se découpant assez nettement au bénéfice d'une demi-lune, l'aspirante arrêta le chevalier et, après lui avoir assuré qu'elle ne risquait rien si près du sanctuaire des Trois, le remercia chaleureusement pour son dévouement. Geoffroi de Guéramé la salua avec la même affabilité et fit demi-tour, laissant la clerc finir le trajet seule car il était essentiel pour elle que ce soit le cas.

La noble déchue avait visé juste : en entrant par une petite porte de service, elle tomba sur une prêtresse responsable qui l'interrogea sur son retour tardif. Sixtine due presque se pincer sous sa cape pour parvenir à dire sans trembler qu'elle n'avait pas vu la nuit tomber. La religieuse insista et, finalement, Sixtine déclara qu'elle avait passé sa journée avec son frère milicien et que celui-ci l'avait raccompagné au vu de l'heure tardive. La clerc soupira et finit par laisser la novice passer, l'enjoignant à se dépêcher de rejoindre son dortoir, ce que la noble déchue fit sans se faire prier, la gorge brûlante de la bile du mensonge qui commençait à devenir trop familière à son goût.
La jeune femme ne trouva pas le sommeil immédiatement après s'être silencieusement glissée dans son lit car, outre l'amertume d'avoir utilisé Gaël comme prétexte pour dissimuler sa visite au Comte de Malemort, outre ce qu'elle avait appris de lui par le biais de l'étude de ses songes, outre ce qu'elle avait découvert d'elle-même au cours de cette passionnante mais également éprouvante après-midi, il y avait une chose, une question, un dilemme qui avait été réveillé par cette visite sur l'Esplanade et qui nouait son estomac en un poing indigeste.

Pourquoi fallait-il que ce soit elle qui cache à Lazare de Malemort le fait que son fils Auxence était toujours en vie ?
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