Marbrume


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 Le temps des larmes [Isolde]

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Adam de CorveilChevalier
Adam de Corveil



Le temps des larmes [Isolde] Empty
MessageSujet: Le temps des larmes [Isolde]   Le temps des larmes [Isolde] EmptyMer 5 Oct 2022 - 22:04

Le temps des larmes





Domaine de la Cour des Roses, à quelques kilomètres au nord de Conques, 2 Juin 1167

◈ ◈ ◈

Le manoir des Roses se dressait fièrement au milieu d’un immense domaine autrefois resplendissant, désormais abandonné à la nature et aux choses qui y rôdaient.

    Tout le domaine était bâti à l’image de ses anciens maîtres, la lignée Desrosiers. Ainsi tout le mur d’enceinte, assez haut pour se protéger des intrus, était surplombé de frises en fer forgé aux motifs de roses et de ronces.

    Les Desrosiers ayant fait fortune dans le commerce des fleurs, l’essentiel du domaine se composait se serres et de parterres de fleurs, désormais mortes et hirsutes. La grande cour était déserte, les jardins à l’abandon.

    Lorsqu’il avait pénétré dans le domaine la première fois il y a quelques semaines aux côtés d’une compagnie de mercenaires, Hugues de Hautefronde s’était murmuré à lui-même que l’endroit aurait pu constituer un parfait terrain d’entraînement, s’il n’avait pas nourri d’autres desseins.

    Sire, par les Trois pensez vous donc vraiment que tout cela est bien raisonnable…?”

    Ainsi donc vous voilà affligé de doutes Godfroy? Ne saisissez-vous donc pas la portée de ce que nous sommes en train d’accomplir?”

    Si… Bien-sûr Sire, mais à quel prix? Les Dieux ne nous ont-ils pas enseigné la bonté et l’amour de notre prochain?”

    Hugues de Hautefronde jeta un coup de pied rageur dans un râtelier d’armes qui trônait non loin de là dans la grande salle du manoir. Et tempêta vivement.

    À quel prix Godfroy? Au prix d’un Royaume foutre merde! Au prix d’un monde! Pensez-vous vraiment que ces raclures ont la moindre mesure du privilège qu’ils ont d’être encore envie tandis que tant d’entre nous ont péri aux griffes et aux crocs de ces choses?”

    Je… J’entends sire mais…”

    Souvenez-vous de Sire Duval, de Monseigneur d’Entressac et de la Compagnie du Saint Feu. Souvenez-vous de tous ces hardis qui ont donné leur vie pour que des cancrelats s’entassent à Marbrume et grouillent tels des cafards, vivant à même leurs immondices! Pensez-vous que leur sacrifice est vain? Est-ce vraiment ce que vous êtes en train d’insinuer Godfroy? Ou bien estimez-vous mériter votre place à leur côté?”

    Las et couard, l’homme haussa les épaules, faisant cliqueter la maille qu’il portait. Sous leurs yeux, à quelques dizaines de mètres en contrebas se tenait un échafaud monté à la hâte au milieu de ce qui semblait être un cimetière abandonné. Echafaud dont les cordes trop longues permettaient aux pieds des suppliciés dont elles enserraient le cou de toucher le sol.  

    Le but n’était pas qu’ils meurent, du moins pas tout de suite.

    Hugues de tourna vers l’un des mercenaires qui, posté dans un coin de la salle avait assisté en silence aux doutes du second homme. Il estimait ne pas avoir à porter de jugement sur la tâche qui lui était dévoué, tant qu’il était payé. L’or absout tous les péchés avait-il entendu dire un jour. Et quoi qu’il en soit, le sort de quelques malheureux lui était totalement égal, tant que le sien et celui de ses hommes était préservé.

    Ainsi n’avait-il pas réagi aux doutes de Godfroy et aux vociférations de son mécène.

    Sénoc. Qu’avons nous-là?”

    Le mercenaire observa l’échafaud en contrebas et répondit presque machinalement, comme si ne s’agissait que de bétail ou de miches de pain.

    Trois catins, deux bannis, un faussaire et un mendiant. Tous inconnus, tous remplaçables, comme vous l’aviez demandé.”

    Le noble hocha la tête avec satisfaction.

    De la vermine donc. Très bien, vos hommes sont-ils prêts?”

    Homme de peu de mots, il hocha la tête et se dirigea vers la fenêtre afin d’assister à ce spectacle qui, s’il horrifiait Godfroy, ne lui paraissait ni dérangeant ni insurmontable. Sur un signe de Hautefronde il fit signe à celui de ses hommes qui se tenait devant l’échafaud.


◈ ◈ ◈


    Les six victimes se tenaient en ligne, les mains attachées derrière le dos et la corde à leur cou assez longue pour qu’ils puissent respirer, mais pas assez pour qu’ils puissent bouger. Aucun d’entre eux n’osait crier. Et quand bien même, les seules choses qui auraient pu les entendre autour du domaine étaient justement celles qu’ils redoutaient de voir surgir d’entre deux tombes. Tous suppliaient à bas mot, marmonnant un mélange de prières et de suppliques humides auxquelles le mercenaire ne prêta aucune attention. Un par un, l’homme ouvrit leur tunique et d’un coup de dague bref, sans leur accorder le moindre regard répandit leurs entrailles sur le sol froid et humide du cimetière des Roses.

    Tandis que leurs hurlements emplissaient l’air, d’autres, plus sourds et gutturaux leur répondirent depuis les ténèbres environnantes…




4 Juin 1167 - Faubourgs de Marbrume


    La bête avait surgi de nulle part.

    Perdus dans les Faubourgs, Sénoc et moi n’avions pour compagnons que les seuls bruits du vent et l’occasionnel grincement d’une vieille poutre, offerte en pâture aux affres du temps. C’était une belle journée, le ciel était clair, les nuages épars et la lumière qui se perdait dans les herbes folles donnait à ces ruines délabrées un air irréel.

    Pourtant nous la vîmes, ni ne l’entendîmes s’approcher. Et je dois mon salut qu’à la bravoure de cet homme, pour qui j’aurais tant donné, l’eût il fallu jusqu’à ma propre vie.

    Lorsque son râle guttural parvint à nos oreilles, il était déjà trop tard. Dans un geste glorieux, pour lequel je ne me pardonne pas mon imprudence, Sénoc me poussa violemment en arrière. Et si je manquais de trébucher sur le moment, je parvins à maintenir mon équilibre, sans quoi j’aurais probablement perdu la vie en cet instant.

    SENOC!”

    Mon brave écuyer venait de troquer sa vie contre la mienne. Et mon cri impuissant, loin de déconcentrer la bête, ne put rien y changer lorsque ces mâchoires putrides se refermèrent sur son cou dans un borborygme écoeurant. Tout juste eût il le temps de planter son regard dans le mien et de murmurer.

    Fuyez Sire”

    Mais jamais au grand jamais je n’aurais pu me pardonner d’avoir fui, laissant ainsi mon protégé à la merci de cet avatar du mal, ce fléau putride et privé de raison que tant appelaient notre châtiment. Dans un geste preste, et tandis que Sénoc et la bête avaient chuté au sol, j’abattais mon épée sur la nuque de cette dernière. Ma lame traversa à grand peine son cou, et tandis que la plaie béante innondait de sang le visage de mon écuyer, la pointe de mon épée vint fendre un à un les anneaux de sa cotte de mailles avant d’entâmer son gambison et la peau de son torse.

    D’un coup de pied rageur, je repoussais ce cadavre mort deux fois (par Anür cette pensée seule suffit à me glacer les sangs) et me penchais sur mon ami pour constater l’ampleur de ses blessures. La gorge en lambeaux, celui-ci tentait tant bien que mal d’empêcher son sang de quitter son corps.

    En vain.

    Je plongeais mon regard dans le sien, et à mesure que toute vie le quittait, il eût à mon égard ces mots que je jure de ne jamais oublier.

    Ce fut un honneur Sire.”

    Pourtant peu prompt aux émotions, je murmurais à travers mes yeux brouillés de larmes tandis que je tentais de le mettre à l’aise et de faire en sorte qu’il rencontre Anür avec paix et aisance. Un genou à terre, j’entrepris de nettoyer le sang qui maculait mon épée sur ma cape, et posait le plat de ma lame sur son front désormais livide.

    Ce fut l’honneur d’une vie pour moi Sénoc. En ma qualité, je te nomme Chevalier, puisse tu dans l’après vie séjourner auprès de tes frères d’armes. Tu as vécu et est mort en Seigneur. Je ne l’oublierai jamais.”

    Ses yeux se voilèrent très vite et vinrent à se figer dans un demi sourire, le soleil éclairant son visage, sans qu’aucun bruit ne vienne perturber l’étrangeté de ce moment. Ravalant mes larmes je faisais route pour Marbrume, avec sur l’épaule le corps de celui que j’avais aimé comme un fils, et dans ma besace, la tête que je lui avait ôté afin qu’il ne connût pas la disgrâce de revenir d’entre les morts à son tour.

    J’ai encore ancré dans la mémoire l’image de son bûcher funéraire, et des larmes de sa mère tandis que ses frères lui rendaient un poignant hommage. J’ai moi-même eu, je l'avoue, bien du mal à contenir ma tristesse mais je pense que personne ne m’en a voulu. Du moins je l’espère.

    Les Trois m'avaient-ils blâmé pour mon imprudence? Etais-je devenu trop arrogant? Tant de questions s’étaient bousculées dans mon esprit tandis que les flammes achevaient de dévorer l’enveloppe de mon écuyer, mon ami, un Chevalier.


◈ ◈ ◈


    Je m’étais tout naturellement rendu au Temple au petit matin, cherchant les faveurs de ma Déesse dans la chaleur intemporelle de sa demeure en ce monde, aux pieds de sa statue. C’est à cet instant qu’Anür s’adressa à moi par le biais d’une nouvelle quête, une mission qui raviverait les couleurs d’une conscience que j’estimais avoir ternie, bafouée par ma propre imprudence.

    L’enfant surgit de nulle part. Vêtue d’une tunique déchirée et porteuse d’une large entaille sur le ventre. Il vint s’effondrer à mes pieds, sale et décharnée, comme si il n’avait ni bu ni mangé depuis des jours. Toute pensée quittant mon esprit, je recueillais l’enfant dans mes bras et entreprit de quérir de l’aide, refusant qu’une seconde âme quitte ce monde de par mon inaction.

    J’arpentais la grande salle du Temple en hurlant comme s’il s’était agi de ma propre vie. Et à dire vrai, la perspective de voir s’achever ma propre existence n’aurait pas su déclencher en moi une telle panique.


Dernière édition par Adam de Corveil le Dim 4 Déc 2022 - 2:38, édité 1 fois
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IsoldeQueen
Isolde



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MessageSujet: Re: Le temps des larmes [Isolde]   Le temps des larmes [Isolde] EmptyMar 25 Oct 2022 - 14:38
Date Inconnue


Isolde leva le nez vers les volutes tourmentées. Le vent secoua des mèches évadées de sa natte. Un corbeau virevoltait tout là-haut, dans un vol chaotique, une tâche de cendres sur le gris du ciel alors qu’un brasier étouffant lui comprimait la poitrine.

Isolde tourna son attention vers une autre figure nimbée de brume. Adam avait rassemblé ses forces et se relevait d'un pas trébuchant. Bien loin de se répandre en remerciements, Isolde le fixait d'un air mi-halluciné, mi-horrifié. Elle aussi venait sans doute de réaliser que son sauveur n'avait rien d'un chevalier envoyé par ses Dieux. Elle esquissa le signe de la trinité, la paume tendue en barrage.

Le monde semblait se refermer sur elle, ce soir.

Isolde renversa la tête en arrière, vers les volutes ténébreuses qui grignotaient le ciel. Elle eût envie d'hurler.


_____


Ô veuillez nous soulager de nos maux les plus violents,
Anür, tu connais les difficultés de notre existence,
Tu connais les escarpements et les ravins que nous subissons depuis quelques années,
Puisses-tu nous accorder ta bonté et éclairer nos pas dans l’obscurité.


Un attroupement du clerc s’était regroupé sous un autel non loin de la nef pour abreuver les Trois de prières.

J’ai vu de nombreux présages, Isolde. Murmura Solange proche d’elle, alors qu’elle continuait d’accompagner des bribes de prières prononcés par le Haut-Prêtre Uther de Cœur-Sève.
Lesquels ? Questionna-t-elle.
Une cerf et une biche s'accouplaient dans les sous-bois. C'était non-loin de Marbrume. La brume de l’aube couronnait la crête des arbres. Les temps sont aux changements, ma sœur.

Le haut-prêtre Uther s'effarerait d'entendre de telles inepties de la bouche de Solange. Pourtant, comment nier le pouvoir des rituels ou l'empreinte prophétique de certaines images ? Les dieux exprimaient leurs volontés que les Hommes, aveuglés par leur ignorance carnivore, tentaient d’ interpréter.
Isolde priait, les genoux usés sur le marbre domaine des Trois. Elle priait pour le salut d'une âme pieuse, pour les cendres des maisons brûlées et pour les nouveaux blessés accueillis en son sein. Isolde jouait avec les fils décousus de sa robe. Pure nervosité. Quand elle s'en rendit compte, elle détacha ses doigts et posa la paume à plat sur sa cuisse. Les lueurs projetées par la lampe à huile dansaient sur les pains des murs du Temple et se reflétaient dans ses iris aux tons changeants.

Une image surgit sur la toile de ses pensées, la heurtant par surprise. Un souvenir oublié, encore drapé d'un voile obscur, suivi d'un cortège flou. Solange se redressa et déposa sa main sur l'épaule d'Isolde, la pressant d'une bien étrange manière.

Le temps est aux changements.” Insista-t-elle, sa voix portée dans un songe énigmatique et pourtant indéchiffrable.

Isolde la fixa d'un air vif. Une clémence lui collait à la peau comme une souillure qu'aucune eau ne pouvait laver, comme si elle était devenue complice du meurtre odieux et de la destruction répandue.

Alors qu’elle ouvrait les lèvres, un cri glaça le petit groupe du clergé.

Isolde pivota en même temps qu'une bonne partie de la maigre assemblée. Contre toute attente, l'interruption ne provenait pas des lèvres minces du haut-responsable. Une silhouette se frayait un chemin entre les épaules carrées. Les lampes des quelques lumières léchèrent des mèches d'un blond terne, une grimace vissée d'une résolution désespérée et deux orbites creuses et vides.
Elle gonfla la poitrine d'une profonde inspiration et se bloqua. Finalement, peut-être que tout ceci revêtait un sens caché pour une intention divine ?

Elle se redressa et se hâta vers l’Homme. Le regard d'Isolde plongea entre ses bras. L’enfant avait des dents blanches éclatantes, des yeux bleus livides mais auparavant rieurs, clairs comme l'eau d'une rivière d'été.

Suivez-moi.” Sur cet ordre, Isolde effectua un demi-tour dans un claquement de talon et traça vers la sortie du foyer tel un cheval lancé à la guerre.

Ils longèrent d’un pas rapide les rangées de bancs, débouchèrent sur une artère sombre, fondirent sur un couloir étroit, avant de déboucher dans leur course effrénée sur deux entrées et de s’enfoncer dans une petite pièce étroite avec un petit lit de fortune.

Isolde désigna la couche d’un geste du bras.

Là, ici. Allongez-le plus délicatement possible.

Lorsque l’homme s’attela, Isolde s’approcha pour ausculter l’Enfant. Ce dernier attrapa sèchement le poignet d’Isolde en beuglant d’un air affolé.

Ils... Ils vont venir pour moi !
Calme-toi.

Le sang s’échappait en bouillon de la plaie béante. Isolde posa sa paume à plat sur son ventre pour retarder l’effusion tandis que son bras valide se braquait vers Adam.

Donnez-moi le linge sur la table. Vite. Claqua-t-elle sèchement.“Il faut arrêter la plaie avant qu’il ne perde trop de sang.
Ils vont venir, ils ont déjà pris ma soeur, je suis le prochain, comme les autres… !” Insista-t-il, pris d’une panique hystérique, en s’agitant d'une énergie molle, comme une proie se sachant déjà condamnée.

Sous ses mots, Isolde tourna la tête vers l'enfant. Elle effleura une lueur trouble au fond de ses prunelles. Une accusation, une résignation ou un mélange plus complexe encore ?

_____



Il s’est endormi, il a besoin de repos. Il se nomme Marceau.” Annonça-t-elle platement au Chevalier. Un silence de plomb s’étala lentement entre eux, avant qu’elle ne reprenne. “ Je suis Soeur Isolde, je veillerai sur lui jusqu’à demain.

Sa voix ne trahissait rien, mais son regard s'enfuyait vers un recoin obscur. Le silence revint à pas feutrés entre eux. Le murmure étouffé du vent hurlait une plainte et secouaient les pierres du mur. Le jeu de lumière tamisée creusait des ombres sur le visage du Chevalier. Une question cependant lui brûla les lèvres. Le regard doré d'Isolde le dévisagea, plus appuyé, comme si elle remontait le fil de ses pensées.

Puis-je vous demander où avez-vous trouvé cet enfant, Sir ?

Car un homme aussi bien vêtu ne pouvait être que du rang des Hauts-Lieux.
Et pouvait-elle lui faire part de l’étrange marque qu’elle avait découvert en pansant ses plaies sur son pectoral ?

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Adam de CorveilChevalier
Adam de Corveil



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MessageSujet: Re: Le temps des larmes [Isolde]   Le temps des larmes [Isolde] EmptyDim 4 Déc 2022 - 3:31
Je ne savais plus que penser. Une part de moi aspirait au repos, souhaitant que ces guerres intestines et incessantes prennent fin et qu’un linceul de paix et de sérénité ne recouvre le monde, tandis que l’autre aspirait au chaos et à la purification. Chaque enfant du monde naissait pur et innocent, fût-il enfant de putain ou de banni, chaque être avait le droit d’aspirer à la lumière d’Anür et méritait une chance de pouvoir s’y épanouir. Je souhaitais que les monstres qui osaient lever la main sur les ouailles de la Déesse connaissent la froide morsure d’un juste châtiment, et la terrible morsure des flammes d’un bûcher.

    Tout ceci ne pouvait une fois de plus être un hasard, Anür avait placé cet enfant sur mon chemin pour que les hérétiques qui avaient attenté à la Sainteté de son enveloppe périssent sous ma lame. Et par les Trois, je me jurais de leur accorder le plus horrible des trépas que l’on puisse imaginer.

    Encore empli de toute la tristesse que m’avait infligé la perte de Sénoc, je chassais ces faibles pensées et me réjouissais de le savoir réuni avec sa Déesse et reposer dans sa Sainte Lumière.

    La Prêtresse me semblait dure et froide, probablement trop habituée aux affres que les hommes s’infligeaient les uns aux autres. Je ne lui en voulais pas, au contraire, j’admirais la force de ceux qui parvenaient à se détacher des faiblesses mortelles pour mieux accomplir leur mission. Puisqu’en ce sens nous n’étions foncièrement pas différents, elle combattait les ténèbres de toute la force de son inébranlable foi tandis que je pourfendais ceux pour qui plus aucun espoir de rédemption n’était permis.

    Je déposais l’enfant sur la table qu’elle m’indiquait et suivait ses ordres à la lettre, j’étais beaucoup plus habitué à infliger des blessures qu’à les soigner, mais la plaie que portait cet enfant ne m’inspirait rien qui vaille. Ce genre de blessures s’infectait bien trop souvent, et la douleur était bien souvent telle que les malheureux mourraient bien avant que toute putréfaction n’ait pu les gagner.

    J’observais avec attention des gestes que je jugeais experts, répétés tant et tant de fois qu’ils en devenaient machinaux. Et l’espace d’un instant, mon esprit se perdit dans les sombres ténèbres du jour du Couronnement.

    Ô par les Trois que ce jour aurait pû être glorieux! À l’annonce que le Royaume était déclaré perdu et que notre Duc devenait donc de droit Roi, j’avais imaginé une foule extatique réunie sous un ciel de plomb, à l’image des temps troubles que nous traversions. Et tandis que sa Majesté se serait avancé, vêtu d’une armure étincelante et drapé d’or, les cieux se seraient alors ouverts, innondant Marbrume d’une lumière dorée à nul autre pareil. Des choeurs auraient alors retenti dans l’assistance et tous sans exception, nous serions agenouillés avec respect devant notre Roi, couronné par les hommes et par les Dieux.

    C’eût été le début d’une ère de paix et de renouveau.

    C’eût été grandiose.

    Au lieu de cela nous n’avions connu que le sang, les cris et les larmes. Suivis de la puanteur âcre des bûchers qui ne cessèrent de caresser les nuages de leurs si hautes flammes.

    Je chassais ces sombres pensées de mon esprit et me concentrait sur la Prêtresse, j’imaginais aisément les horreurs auxquelles elle avait pu être confrontée en ce jour funeste. Son assurance et son maintien me rassurait.

    Les mots de l’enfant éveillèrent mes soupçons, il ne s’agissait à l’évidence pas d’un accident. Et quiconque s’en était pris à lui ne l’avait de toute évidence pas fait par hasard. Nous avions tous eu vent de disparitions étranges dernièrement, mais comme il ne s’agissait qu’à priori de parias, la milice ne s’en était pas préoccupée outre mesure. J’allais m’avancer, l’esprit plein de questions quand un regard bref de la Prêtresse m’arrêta. Le temps n’était pas aux questions, du moins pas encore. Mais lorsque nous pourrions nous le permettre, je me faisais la promesse d’obtenir la justice pour ce pauvre malheureux, qu’il survive ou non.

    Le temps passa et l’enfant finit par sombrer dans les abîmes du sommeil, ou bien s’était-il évanoui du fait de la douleur et du sang perdu? Ce petit être frêle était presque grisâtre, comme si le sang versé avait avec lui emporté une part de vie. En un sens c’était le cas, j’espérais juste que dans sa mansuétude, Anür ne décide de l’épargner.

    Il s’est endormi, il a besoin de repos. Il se nomme Marceau.”

    Enchanté ma soeur, je me nomme Adam de Corveil, Chevalier de sa Majesté et serviteur des Trois. À dire vrai je ne l’ai pas trouvé, il est arrivé au Temple alors que je priais. En un sens, cela ne peut-être un hasard. Ses blessures ne sont pas l’oeuvre de la fange, aussi graves soient-elles. J’ai bien peur qu’elles aient été causées de la main de l’homme, d’autant que ses propos sont fortement troublants. Qu’en pensez-vous ma Soeur?”

    J’observais la petite silhouette qui dormait d’un sommeil agité, parcouru de soubresauts et de grognements étouffés. Il était couvert de sueur. Bien que cela ne fut pas étonnant j’espérais au fond de moi que la fièvre ne le gagnerait point, auquel cas ses souffrances seraient de courte durée.

    J’aimerais vous offrir mon assistance ma Soeur, quoi que cela implique. Il ne sera pas dit qu’en ma présence, l’homme pourra attenter à la vie des créatures d’Anür sans en subir les conséquences, mais ce temps n’est pas encore venu. Et dans cette attente, si je peux vous être d’une quelconque utilité, n’hésitez pas à me solliciter. Après tout nous servons la même cause, bien que de manières bien différentes.”

    N’étant pas certain d’en dire trop, ou bien trop peu, je me tins dans la pièce de manière à ne pas gêner la Prêtresse dans ses soins, tout en restant disponible si le besoin s’en faisait sentir.

    Je repensais soudainement à ma chère Margaux, puis à Sénoc. Et enfin à mes Frères d’armes disparus lorsque le monde avait sombré dans les ténèbres. Cette éternelle guerre aurait-elle seulement une fin? J’implorais la Déesse de m’éclairer dans ma quête.
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