Une soirée infernale

Elle semblait étonnée par mon commentaire, c’est vrai que j’avais presque oublié qu’on était encore au goulot, quoi qu’avec toute notre marche ça ne m’aurait pas étonné qu’on soit sorties du quartier depuis un moment. J’eu besoin de revérifier les environs, c’est vrai qu’on y était toujours, n’empêche que pire que la milice, je n’avais pas envie de me prendre un coup de couteau.

«-Bon d’accord. P’t’être pas la milice. Mais un coup de pelle dans la nuque… C’pas à exclure.» Je ricanais à mon tour, me massant à l'arrière du crâne en imaginant la douleur que cela aurait pu engendrer.

Elle avait l’air intriguée par ma proposition, on aurait presque dit qu’elle avait dessaoulé sur le moment, enfin si je n’avais pas remarqué qu’elle tanguait sans s’en rendre compte.

«-Un peu de tout. J’sais où trouver des choses ou des gens, ou des gens pour ces choses.» J’haussai les épaules en restant volontairement vague, observant sa réaction. Ma tactique était bien rodée, j’offrais un service comme une faveur, un remboursement puis les gens revenaient pour en avoir plus. Le poisson était alors hameçonné, le piège refermé, enfin ce que vous voulez comme expression qui tient la route.

Je me mis à bailler une nouvelle fois, le sommeil me piquait les yeux.
«-’Fin. T’comprendras p’t’être mieux une fois sobre. Moi j’suis… Crevée !» Je m’étirai avant de me relever, soudainement une réalisation me frappa. «-Par l’bois d’cerf qui t’pousses dans l’cul ! Comment qu’on descend ?!» M’écriais-je, m’attirant par la même occasion un nouveau “Ta gueule” lointain.

J'observai les alentours, j’étais fatiguée de moi-même et de ma connerie.

«-Bon. Trouvons l’moyen d’descendre de là et allons nous pieuter. J’vais crever d’froid.» J’avais eu un petit ton autoritaire, rien de bien méchant, juste de quoi m’assurer que ma sauveuse ne décide pas de rester là. Au vu de son caractère, c’était un pari risqué que de la laisser se promener seule et saoule sur les toits.

On aurait bien dit qu’au lieu de descendre, la blondinette avait décidé de continuer à crapahuter. De nombreuses fois j’ai manqué de peu de tomber entre deux toits, pourtant elle continuait de m'entraîner avec elle sans avoir l’air de se rendre compte que je peinais à suivre.

Enfin, elle s’était arrêtée, prenant à nouveau de gros risques pour observer la façade.

«-Là… En dessous ?» Demandais-je un peu surprise alors qu’elle semblait perdue dans ses pensées.

Sa prochaine suggestion me fit comprendre qu’elle cherchait en vérité une entrée, je me questionnais sur la raison de rentrer par la fenêtre si on était bien chez elle. Pendant un instant, il me vint à l’esprit, l’idée qu’on était potentiellement en train de rentrer illégalement chez un parfait inconnu.

Dieux merci, j’avais dessaoulé. Les mains gelées, voyant à peine où les poser, je me mis à la suivre dans sa dangereuse escalade. Mon cœur battait à tout rompre, je ne savais même pas comment j’arrivais à forcer mon corps pour qu’il bouge.

«-T’es complètement tarée.» Dis-je alors qu’elle se faufilait par la fenêtre.

Je finis par réussir à agripper le rebord de la fenêtre mais le bruit d’une bouteille qui se brisa me fit lâcher prise, je me rattrapai à ma prise précédente. Pendant que je tentais de passer la petite frayeur que je venais de me faire, ma complice était en train de discuter avec quelqu’un de présent dans la pièce.

Sur le moment, je n’en avais plus grand chose à faire qu’il y ait quelqu'un ou pas à l’intérieur, je voulais juste pouvoir reposer mes pieds à nouveau sur le sol. Avec difficulté je me hissai par la fenêtre, je m'écorchai légèrement le poignet, et sans aucune élégance je me rétamai par terre.
J’étais encore en train de récupérer mes esprits quand j’entendis la troisième voix, celle d’un homme. J’eus à peine le temps de comprendre ce qu’il se passait quand Rosen m’attrappa de nouveau la main pour une fois encore m'entraîner à sa suite. A peine relevée, je trébuchai à moitié, là en quelques instants, j’entrevis la scène, une femme sur un homme. Rien de très perturbant pour ma part, la femme était jolie notais-je.

A peine étions nous sorties de la chambre que voilà une nouvelle inconnue. Elle se mit à sermonner Rosen, j’allais pour faire mes excuses quand la blonde trouva un nouveau jeu.
Prise au piège dans ses bras, elle se mit sans gêne aucune à me tripoter les seins. Je poussai de l’épaule, essayai de lui attrapper les poignets pour la faire cesser mais rien n’y fit.
Je serrais les dents, plus qu’ennuyée, j’étais énervée. Elle se comportait comme un homme, son attitude était complètement irrespectueuse, elle me fit penser à l’attitude qu’avait pu avoir Jean quand il rentrait complètement saoul il fût un temps.

Ses prochaines paroles me firent regretter le départ de l’autre femme, dans quelle situation je m’étais encore foutue ?
«-Lâche moi.» Dis-je d’un ton sec accompagné d’un regard noir que je ne pus cacher.

Je ne pense pas que ce fût ma demande qui l’a fit me relâcher, elle osa même serrer plus fort juste avant, me coupant le souffle par la même occasion et comme si l’humiliation ne suffisait pas, elle en rajouta en parlant de ma maigreur. Je mordai l’intérieur de ma joue maintenant.

Je n’ai pas eu le temps de répondre, qu'elle était déjà repartie chercher quelque chose à manger. Moi, je profitai de ces quelques instants de calme pour faire passer ma colère. Je me recoiffai, prenant le temps d’observer la chambre, ne savait-on jamais, j’allais peut-être me faire assassiner dans ces lieux ce soir.
Je remis mes manches, grimaçant à la petite rougeur sur mon poignet, un peu de sang avait perlé, je sentais la douleur d’une minuscule écharde. Dans l’obscurité de la chambre, difficile de la distinguer, je me mis à suçoter la blessure, espérant que cela fasse l’affaire.
Je retirai le petit bout de bois malicieux de ma langue alors que Rosen faisait son entrée.

«-Écharde.» Expliquais-je simplement avant qu’elle ne fasse une quelconque remarque.

Son plateau était plutôt chargé, je ne savais même pas que j’avais faim, pas avant que la vue du fromage provoque un petit gargouillis dans mon ventre.

«-Ah. Ah.» Forçais-je un rire ironique à la nouvelle pique. «-Me tripoter les seins et se moquer de moi… Ça fait lourd mam’zelle. Faudrait voir à choisir.» Je me servis en pain et en fromage, me posant sur le bord du lit, autant en profiter. «Ouais. C’est ce que j’ai dit, c’t’intéresses ? Donc… T’es quoi au juste ? T’pas l’air d’une catin, mais ta voisine de chambre si…»

Elle avait sa propre chambre et n’hésitait pas à se servir comme elle le souhaitait dans la cuisine, est ce que c’était la fille de l’autre qu’on avait croisée ? Je n’en savais rien, et ma capacité de déduction s’était vachement ramollie avec la fatigue.

Je regardais pensivement mon bout de fromage et de pain, si je devais choisir ?

«-Si je devais choisir ce serait l’pain. Trop d’fromage ça donne la chiasse de toute façon.»

J’avais encore le morceau de pain qui tenait entre mes dents quand elle m’approcha pour venir retirer l’écharde, docilement je lui tendis la main concernée. Le geste rapide me fit sursauter légèrement mais j’oubliai vite, finissant le morceau dans ma bouche.

«-Merci. Je me souviens pas qu’on avait convenu qu’t’étais la seule à pouvoir faire ta curieuse. Ah je vois… T’comptes rester vierge pour un futur bellâtre qui t’emmênera sur son cheval blanc… Z’aurez plein de mômes et vous vécurent heureux dans un beau p’tit château.» Me moquais-je amicalement.

J’écoutai ses inquiétudes sans rien laisser paraître, me resservant allègrement de ce qu’il restait sur le plateau. C’était bien le genre de service que je pouvais rendre, je m’occupais souvent de trouver qui il fallait pour de la contrebande.

«-Discrétion ? S’tu t’attends à ce que je sois comme une ombre dans la nuit c’sûr… Mais j’m’en suis toujours sortie de mes merdes et mes clients ont jamais eu d’emmerdes. Sauf si ces enculés me trahissent, dans c’cas là c’est donnant donnant.» C’était plus par nécessité que par principe. Mon commerce ne serait jamais allé bien loin si les gens ne pouvaient pas me faire confiance.

«-M’enfin. C’que tu m’demandes c’est dans mes cordes. J’connais déjà des gens pour ça, faudra qu’tu sois plus précise dans tes demandes mais j’peux très bien commencer à m’renseigner. L’première fois s’ra gratuite, vu que j’te dois un service, par contre pour les prochaines… Faut bien que j’mange moi, tu vas clairement pas m’payer avec ton joli minois, a moins qu’tu m’ais mentit et qu’en vérité t’es bel et bien une catin !» Je surjouai le choc de la fausse révélation avant de rire un peu.

«-Bon alors… C’était qui la vieille ? Ta mère ?»

Je poussai le plateau pour m’allonger en travers du lit, laissant mes jambes balancer dans le vide à leur guise.

Je souris sincèrement amusée en l’entendant décrire l’homme “parfait”, je pouffai même de rire quand elle finit par juste demander à ce qu’il ai de l’argent.

«-Ah ben ça… Bon courage. Les hommes riches ne courent pas vraiment la gueuse pour l’épouser.» Sa façon de parler de son expérience de la veille était… intrigante. «Pas un gosse j’espère pour toi. A moins qu’le père soit riche et qu’il accepte de rattraper sa connerie. L’a l’air particulière ton histoire.»

J’haussai les épaules à sa petite tentative de négociation, pas ma faute à moi si elle avait voulu sauver la première fille venue.

«-Moi aussi j’vais finir par faire faillite si j’vais de faveur en faveur sans jamais rien y gagner. Disons qu’pour ma deuxième dette, j’veux bien t’trouver une poupée d’chiffon pour l’futur gosse qui t’pousse dans l’bide et j’lui raconterai même comment maman m’a sauvé d’une dizaine d’hommes armés, pas mal hein ? C’lui apprendra à t’respecter quand il s’ra ingrat.» Me moquais-je en lui tapotant le ventre en évitant un maximum d’avoir à bouger.

«-Oh j’sais pas… J’pas eu l’temps de vraiment bien la voir. Donc non… C’tait juste une supposition. Ça aurait pu.»

La conversation redevenait un peu plus sérieuse, mais je sentais qu’elle n’allait pas durer, le sommeil m'attaquait déjà. Je préférai conclure simplement.

«-Très bien. J’viendrai te donner des nouvelles alors.»

Elle était en train de s'installer sous les couvertures, j’haussai un sourcil en entendant qu’elle pensait que j’allais dormir dans cette position. Je me relevai pour aller chercher la deuxième couverture, une de plus ce n’est jamais de refus, j’ai tendance à avoir facilement froid.

«-T’pensais vraiment que j’allais dormir comme ça ?» Je demandai avant de retirer mes chausses, des bruits de pas dans le couloir attirèrent mon attention un instant. «On dirait bien qu’ta voisine de pallier en a fini avec son client.»

Je rejoignis le lit sur la pointe des pieds pour éviter au mieux le froid du sol, puis je me glissai sous les couvertures à mon tour, étalant celle en plus sur nous deux. C’était pas le lit le plus inconfortable que j’avais connu. Maintenant il fallait juste que je fasse attention à ne pas lui coller mes pieds gelés dessus, pas sûre qu’elle aurait apprécié.

«-Bonne… Nuit.» Baillais-je avant de sombrer dans le sommeil.

C’était une soirée qui avait mal commencé, mais on aurait bien dit que j’avais réussi à en tirer le meilleur, une nouvelle partenaire.