Y'a du bruit dans la cuisine.

Le soleil débutait à peine son ascension que le petit homme et le petit chien jouaient déjà dans la cuisine. Erick tenait un vieux chiffon dans ses mains et s'amusait à l'agiter devant le museau du chiot qui essayait tant bien que mal de le saisir. Et, l'autre qu'il n'y parvenait pas - ce qui était majoritairement le cas - il se mettait à aboyer si fort qu'il réveilla toute la maison… Tous sauf Erwan puisque Cyrielle m'avait appris que sa chambre était vide.

Surprise et probablement un peu déçue, je m'étais aussitôt affairée en cuisine afin de préparer le petit déjeuner. La milice occupait tellement mon temps que je n'avais plus guère l'occasion de cuisiner. Certes… Je n'ai jamais aimé cela et autrefois, nous avions des domestiques pour cela, mais cela me permettait au moins de faire un petit quelque chose pour mon fils et plus particulièrement mon amie.

– J'ai aéré les chambres, me dit-elle en descendant les marches. Je pense qu'il va faire beau aujourd'hui.
– Que les Dieux t'entendent, j'en ai assez de la pluie.

Rires et aboiements se mêlaient en une telle cacophonie que nous étions presque obligées de crier pour nous faire entendre.

– Et bien, je ne pense pas avoir déjà vu ce garçon aussi heureux, souffla-t-elle à mon oreille tout en observant le massacre culinaire que j'étais en train de commettre.
– Cela fait une éternité qu'il n'a pas ri ainsi. C'est bien pour cela que je les laisse jouer aussi bruyamment.
– N'allons-nous pas avoir de problèmes avec les voisins ?
– Qu'ils viennent ! dis-je en brandissant ma cuiller en bois. Je saurai les accueillir.

– Léna… Ne veux-tu pas me laisser le charger du petit déjeuner ? Tu es en train de massacrer ce pauvre lard… Il n'a rien demandé, tu sais…
– C'est si catastrophique que ça ?

Elle acquiesça en silence tandis que les aboiements de Goupil changèrent d'intonation.

– Erwan ! s'écria mon fils après avoir ouvert la porte.

Quelqu'un avait donc frappé ? Diantre, je n'avais strictement rien entendu avec tout ce vacarme. Je baissais donc les armes, offrant la cuiller à Cyrielle tandis que le forgeron pénétrait dans la cuisine, les bras chargés.

– Qu'est-ce que ? demandais-je, surprise, essayant de retenir le chiot qui s'apprêtait à sauter sur son maître pour le saluer. Je vous croyais parti ?

La journée promettait d’être belle et ensoleillée ! Toujours fraîche, mais rien de terrible.
C’est donc en sifflotant, ce que mes voisins n’avaient guère entendu depuis longtemps, que je récupérais mes outils avant de retourner chez Héléna. J’avais fait une halte chez le boulanger, qui ouvrait à peine, pour lui prendre une grosse brioche encore chaude. Les arômes qui s’en échappaient étaient délicieux.
Là encore, mon voisin, magicien de la farine, demeurait surpris, moi qui ne lui prenait d’habitude qu’un morceau de pain.

J’arrivais ainsi, les bras chargés, devant la porte, lançant un regard de défi aux volets branlants. Déjà, à quelques pas, j’avais entendu la pagaille qui régnait dans la petite maison. Entre cris et aboiements, cela semblait être la fête dans la cuisine, ce qui m’arrachait un grand sourire.
Sourire qui s’étirait un peu plus lorsque la porte s’ouvrit sur une petite tête blonde, visiblement contente de me voir. Héléna, qui retenait Goup’, paraissait totalement surprise de me revoir.

Bonjour Erick, bonjour tout le monde !

Je repoussais la porte du pied avant de déposer mon bazar sur le sol, sauvant la brioche du chiot qu’Héléna venait de lâcher.
La question de la milicienne me fit sourire et son air surpris la rendait craquante, ce que je me décidais à enfouir rapidement, loin, dans mon esprit.

Si fait ! Il fallait que j’aille chercher des outils ! Vous vous rappelez m’avoir parlé de ces volets hier ? Demandais-je en posant ma brioche sur la table. J’en ai profité pour prendre cela. Dis-je en montrant la brioche encore fumante.

Goup’ se tortillait dans mes pattes et je lui fis sa grattouille, ce qui lui suffisait amplement puisqu’il repartit immédiatement à l’assaut du garçon.
Je ne défaisais pas de mon sourire en les observant.

Ce sont les meilleurs amis du monde ma parole ! Dis-je avant de faire totalement face à la blonde. Elle portait toujours sa jolie robe bleu pâle qui la mettait agréablement en valeur, tandis qu’un rayon de soleil passant par la fenêtre faisait étinceler sa chevelure.

Si cela vous convient, je m’occupe de ces volets après manger puis je vous laisse tranquille, profiter de votre jour de repos. Vous n’aurez qu’à me ramener Goup’ en fin de journée !

Évidemment, je nourrissais l’espoir de pouvoir passer un peu de temps avec cette tribu, avec Héléna, mais j’avais conscience également qu’après la soirée d’hier, la jeune femme m’avait peut-être bien assez vu.

–Si fait ! Il fallait que j’aille chercher des outils ! Vous vous rappelez m’avoir parlé de ces volets hier ? Demandais-je en posant ma brioche sur la table. J’en ai profité pour prendre cela. Dis-je en montrant la brioche encore fumante.

– De la brioche ! hurla l'enfant, la joie et la gourmandise illuminant son visage. Maman ! Il nous reste de la confiture ? C'est trop bon la brioche à la confiture !
– Il doit en rester un pot ou deux à la cave mais… il me semble que tu as oublié quelque chose…

Le petit fit mine de réfléchir, posant sa main sur son menton… Habitude qu'il avait hérité de son père… Puis, quelques secondes après, se tourna de nouveau vers Erwan pour lui dire :

– Merci Erwan !

L'instant d'après, il disparaissait dans les escaliers menant à la cave tandis que Cyrielle grondait de ne pas courir.

– Si cela vous convient, je m’occupe de ces volets après manger puis je vous laisse tranquille, profiter de votre jour de repos. Vous n’aurez qu’à me ramener Goup’ en fin de journée !

Il voulait faire quoi ? J'étais… estomaquée, dirais-je.

– Attendez… Vous voulez réparer mes volets ? Pourquoi ? Vous n'avez pas à faire ça voyons !

Cyrielle, nous observait, cuiller en l'air et sourire aux lèvres. Impossible pour moi de deviner ce qui se tramait dans sa tête pour la faire sourire ainsi. Néanmoins , moi, je n'étais pas amusée du tout, bien au contraire. Je soupirais, passant une main dans mes cheveux pour me donner un minimum de contenance.

– C'est tout simplement hors de question, Erwan. Ce n'est certainement pas à vous de faire cela. Nous pouvons très bien nous débrouiller…

Dans le fond, c'était vrai. Notre emménagement dans cette maison était encore très récent. Malgré tout, Cyrielle et moi avons su faire les quelques réparations que cette maison nécessitaient. Les volets n'étant, à nos yeux, pas une priorité. Vexée, je posais mes deux poings sur mes hanches.

– Je sais bien que cela part d'une bonne intention. Vous voulez nous aider et je vous en remercie, mais nous sommes Hendois dans cette maison… Par conséquent, nous n'avons pas été élevées comme les femmes d'ici. Nous savons utiliser le marteau et la scie. Nous pouvons donc parfaitement nous débrouiller toutes seules.

– Oui, confirma Cyrielle, toujours aussi souriante. Mais encore faut-il en avoir le temps, n'est-ce pas ?

Me voilà outrée. Ma meilleure et probablement ma seule amie, me tournait le dos.

– Laisse-le donc nous aider. Cela nous fera toujours une chose de moins à faire… C'est important aussi, de laisser les notre nous apporter leur aide, de temps en temps…

Elle m'avait tourné le dos pour se plonger de nouveau dans la préparation de son lard. Mais je n'étais pas dupe, elle souriait encore… Voire même plus qu'auparavant.

Je soupirais tandis qu'Erick vint me saisir un pan de robe pour attirer mon attention.

– Moi aussi je veux aider ! s'écria-t-il. Les mains et la bouche pleines de confiture.

– Ne pouvais-tu donc pas attendre avant de manger cette confiture ?

– hum… Non. C'est trop bon ! Allez, on mange et on travaille. D'accord maman ?

– D'accord, soufflais-je, baissant les armes.
– Voilà qui tombe bien. C'est prêt, alors à table !

Par réflexe, qui me venait sans doute de mon père, je gratifiais l’enfant d’un ébouriffage de cheveux lorsqu’il me remerciât pour la brioche. Ceci fait, il déguerpissait déjà vers la cave, Goup’ évidemment sur ses talons tandis que Cyrielle s’époumonait en demandant de ne pas courir.

La suite prit une autre tournure, tournure à laquelle je ne m’attendais pas. A l’annonce de mon projet de réparer les volets, Héléna fut d’abord complètement surprise. Trouvant difficilement ses mots, elle me demandait la raison qui me poussait à faire cela, affirmant ensuite que ce n’était pas à moi de le faire.

Euh … ! Je…

J’aperçus l’autre jeune femme nous observer en souriant, donnant l’impression d’être menaçante avec sa cuillère, alors que la milicienne semblait s’agacer fortement. Il devenait évident que mon projet n’était pas à son goût et j’en eu rapidement la confirmation.
Elle rejeta brusquement l’aide que je lui proposais, répétant que je n’avais pas à faire cela et assurant qu’elle pouvait se débrouiller. J’avais la désagréable impression de l’avoir terriblement vexé, impression renforcée par la posture ferme qu’elle adoptait.

Mais… !

Je devais me décomposer sur place, m’entendant dire qu’elles n’étaient pas comme les marbrumiennes, me jetant un remerciement au visage dont la sonorité sonnait fausse, sifflant presque qu’elle savait user d’un marteau.
Je ne savais plus où me mettre et, même le soutien de Cyrielle ne permettait pas vraiment de me redonner le sourire. Plus encore lorsque je voyais ce regard horrifié dans les yeux de la blonde après que son amie n’ait pris mon parti. Cyrielle retournée à sa tâche, Héléna soupirait alors qu’Erick surgit, couvert de confiture, réclamant à aider. Il se faisait rabrouer pour ne pas avoir attendu pour manger son trésor, mais n’en démordait pas, il voulait participer aux travaux.

Finalement, Héléna cédait et le petit-déjeuné fût servie que je n’avais pas desserré les lèvres. J’étais, également, vexé, mais surtout blessé. Blessé qu’elle m’ait ainsi rabroué devant sa famille que je rencontrais à peine. Il aurait pourtant été simple de sortir et qu’elle m’explique son désaccord à l’extérieur, mais elle avait explosé dans sa cuisine.
Peut-être en faisais-je trop. Même si je n’avais aucune arrière-pensée, sans doute s'était-elle imaginée l’inverse. Toujours est-il que j’étais là, immobile et je me sentais indésirable et vexé.

Je ne veux pas m’imposer… Seulement vous donner un coup de main… Finis-je par dire. Je vous ai heurté et j’en suis sincèrement désolé. Vous…Bon sang ! Nous sommes deux à être vexés maintenant ! Grognais-je pour la première fois.

Alors, je vous pose la question à vous Héléna. Dis-je en appuyant un regard aux deux autres personnes présentes. Voulez-vous de mon aide ou pas ? Demandais-je avec un regard assuré.

Ouimmf ! Fit Goup’, assis à côté de ma caisse à outils, un maillet dans la gueule. J’observais le chiot d’un œil surpris, jetant un regard à Héléna avant de revenir sur le chiot. Je le pointais du doigt, un demi sourire aux lèvres.

Tu t’appelles Héléna toi maintenant ? Demandais-je d’un faux ton surpris. Pour toute réponse, il me regardait avec ses yeux pleins d’innocence. Oummf !

-Je ne veux pas m’imposer… Seulement vous donner un coup de main… Je vous ai heurté et j’en suis sincèrement désolé. Vous…Bon sang ! Nous sommes deux à être vexés maintenant ! me dit-il, dents serrées. Visiblement, je l'avais vexé…Oui je sais, c'est facile de deviner quand l'autre nous le dit très clairement.
– Alors, je vous pose la question à vous Héléna. Voulez-vous de mon aide ou pas ?

– Vous ne vous imposez pas parce que je vous invite, Erwan, rétorquais-je d'une voix plus calme. Mais bon sang, vous m'avez déjà aidé… Hier soir, en me ramenant ici. Vous vous souvenez ?

Les bras toujours posés sur mes hanches, je l'observais très attentivement. La petite scène de dialogue avec Goup' pouvait bien être hilarante, pour l'instant, je ne m'en souciais guère… J'essayais tant bien que mal de faire comprendre à ce forgeron à la tête aussi dure que son enclume qu'il en faisait suffisamment.

– Non Erwan, je ne veux pas de votre aide. Cela ne signifie pas que je ne veux pas de votre amitié. Je suis sincèrement reconnaissante pour tout ce que vous avez déjà fait pour moi… Mais… Plus, cela deviendrait de l'abus… Et ça, non, je ne veux pas.

Certes, je ne lui avais strictement rien demandé. Erwan proposait son aide tout à fait naturellement et je savais que je ne lui imposais rien. Néanmoins, cela restait gênant dans le sens où moi, je ne faisais rien pour lui… Mis à part de lui offrir un repas, cuisiné un par mes soins et qui serait, par conséquent, probablement infâme.

– En revanche, je vous veux à ma table… À vous de voir à présent.

Je ne pouvais pas être plus claire : "je vous veux en tant qu'ami mais gratuitement." Enfin, c'est ce que je m'imaginais. Certaines choses étaient bien difficiles à exprimer. Mais cet homme-là m'avait déjà avoué son attirance et s'était vu éconduire… Accepter son aide en plus reviendrait, pour moi, à profiter de sa gentillesse. N'était-ce pas ignoble ?

– Et si nous mangions ?Vous pourrez discuter après.

– Oui Erwan ! Viens t'asseoir !

À mon tour, je lui souris pour lui faire comprendre que c'était également ce que je voulais… Juste prendre un repas en famille… Rien de plus.

Je ne voyais pas le rapport entre la reconduire chez elle la veille et vouloir réparer ses volets aujourd’hui. Certes, c’était une aide, mais…Il n’y avait pas de comparaison possible ! N’importe quel ami viendrait soutenir un ami en difficulté, que ce soit parce qu’il a des ennuis ou parce qu’il a trop bu !
Cela ne compte pas pour de l’aide à mes yeux puisque j’aurais agi de la même manière avec n’importe qui dans cette situation.
En revanche, je n’irais pas proposer de bricoler la maison de ce n’importe qui.

J’aurais pu rétorquer cela, mais nous étions là sur du détail. Le plus important, c’était le reste de ses paroles. Son invitation était toujours valable et elle ne considérait pas que je m’imposais, ce qui était déjà un soulagement en soit.
Finalement, elle rejetait clairement mon aide, précisant immédiatement cependant qu’elle ne rejetait pas mon amitié pour autant. À l' entendre, je l’aidais déjà trop et elle craignait d’abuser. Si je ne comptais pas discuter, je me permettais toute fois une précision qui reprennait ses paroles de la veille.

Jusqu’à présent, j’ai aidé la milicienne, là, je proposais d’aider l’amie ! Dis-je avec un léger sourire taquin, espérant qu’elle verrait la référence à son cloisonnement vie privée, vie professionnelle.

Elle concluait en affirmant vouloir que je partage le petit-déjeuner, me laissant le choix d’accepter ou non. J’allais accepter, mais Cyrielle et Erick l’exprimèrent avant, Héléna ajoutant un sourire pour confirmer que c’était bien ce qu’elle souhaitait elle aussi.
Je hochais la tête à l’ordre du petit garçon qui me disait de venir m’asseoir.

Je vous aiderai à faire disparaitre cette brioche et ce lard avec grand plaisir ! Annonçais-je avant de venir m’installer sur le banc, laissant la place à côté d’Erick pour sa mère. Ne le voyant pas de cet œil, l’enfant glissa sur le banc de façon à se trouver entre la jeune femme et moi.

L’avantage avec Héléna, c’était que les choses étaient dites, et clairement dites. Que ce soit la discussion de l’autre soir ou à l’instant même, les interrogations trouvaient bien vite leurs réponses. Elle ne louvoyait pas et c’était grandement appréciable. Au moins, les problèmes ou les incompréhensions étaient rapidement réglées.
Je sortais mon couteau pour couper la brioche tandis que Goup’ se mit à trottiner en trainant mon maillet sous la table avec grand bruit.

– Jusqu’à présent, j’ai aidé la milicienne, là, je proposais d’aider l’amie !

Voilà une déclaration que je ne pouvais que reconnaître tant elle me ressemblait. En guise de réponse, je me contentais de sourire aimablement, avant de l'inviter à s'asseoir d'un geste de main. Poussé par l'insistance d'Erick, le forgeron s'installa, déclarant qu'il serait heureux de nous aider à faire disparaître la brioche qu'il avait lui-même apportée.

Je pris place à mon tour, couteau en main, prête à découper cette merveille encore tiède. De son côté, Erick avait déjà ouvert un pot de confiture de mirabelles et la montrait fièrement au forgeron assis à sa gauche.

- Tu en veux ? C'est ma préférée. Cyrielle fait les meilleures confitures du monde, tu sais ?

Personne ne pouvait dire le contraire, après tout, personne ne m'a jamais appris à cuisiner… Enfin, si, Cyrielle. Néanmoins, face à ma maladresse et mon impatience culinaire, mon amie avait, rapidement, baissé les bras.

-Tu as toujours habité à Marbrune, Erwan ?
- Marbrume, Erick, on dit Marbrume.
-Ah bon ? demanda-t-il d'un air pensif. Pourtant, ici il y a de la boue partout… Ça rend les marres brunes… La mer aussi est brune… Marbrune, c'est quand même plus mieux.

Je ne pus m'empêcher de rire face à la logique surprenante de ce petit bout d'homme. Après tout, moi aussi je trouvais que Marbrune sonnait mieux.

-Tu sais, je ne connais pas bien cette ville. Tu pourrais me montrer ?Je sais qu'on ne peut pas sortir, mais j'aimerais beaucoup ça moi, de visiter…

Visiter… L'on aurait dit des paroles de petit noble en villégiature…

-Dis donc, je pourrais très bien te la faire "visiter" cette ville, moi. A force d'arpenter ses rues, j'ai quand même appris à la connaître.
-Ça c'est pas vrai, maman… La dernière fois, comme tu ne savais pas où nous étions, tu as inventé une histoire ses des géants qui auraient déplacé le quartier quand on avait le dos tourné….
- C'est vrai… Mais avoue qu'elle était bien mon histoire…
- C'est pas une raison ! Alors, Erwan, tu es d'accord ? Après avoir réparé les volets, tu peux nous faire visiter la ville ?

Décidément… Je pouvais comprendre pourquoi Erick se montrait aussi insistant envers le forgeron. Autrefois entouré de garçons, le petit bout d'homme se retrouvait coincé dans une maison pleine de femmes… enfin, plutôt de deux femmes… Mais cela devait être largement suffisant pour lui dont la présence masculine commençait à manquer. Aussi, même si je n'aimais pas l'idée qu'il puisse déranger Erwan, je ne dis rien… Après tout, le forgeron était bien assez grand pour dire non s'il n'en avait pas envie.

Erick entre nous, Héléna et moi avions tous deux dégainé notre couteau pour découper la brioche. Alors que j’allais m’en saisir, je fus distrait par le garçon qui me montrait son pot de confiture avec fierté, vantant les talents culinaires de l’amie de la maison.
C’est ainsi que la brioche fut soustraite à ma lame par la maitresse de maison tandis que j’essayais d’attraper le pot de confiture, que l’on m’agitait sous le nez, avant que le contenu n’aille tartiner tout le monde.

Attend Erick, montre voir ! Dis-je en réussissant à lui dérober le pot. Je reniflais le contenu avec une grimace concentrée, trempais la pointe de mon couteau pour goûter pour finir par faire une moue prononcée de jugement. Naturellement, tout était largement exagéré avec, pour unique but, de faire rire le marmot. En effet, Cyrielle, vous avez réalisé là une très bonne confiture ! Évidemment que je vais en prendre Erick !

La question qui suivait, immédiatement, ma réponse, n’avait plus rien à voir et me prit de court. A plus forte raison avec la faute de prononciation suivie de la justification. Après un tout petit silence, je me joignais à Héléna pour rire de ce raisonnement farfelu.

Oui… Je suis né, j’ai grandi et j’ai toujours habité ici. La maison, enfin, la forge, de mon enfance n’est guère loin d’ailleurs.

Ceci étant confirmé, voilà que le petit me demandait de lui faire visiter la ville. Surpris, je jetais un œil à sa mère, mais celle-ci rétorquait déjà, sur un faux ton de reproche, qu’elle connaissait la ville, elle aussi. Connaissances justifiées par ses patrouilles… Que le petit réfuta immédiatement derrière.
Ainsi, j’apprenais que des géants remaniaient la ville régulièrement, au passage des gens, lorsque ces derniers n’étaient pas attentifs.
J’avais énormément de mal à me retenir de glousser à côté de l’enfant.
J’ébouriffais une fois de plus le blondinet.

Si ta maman est d’accord, oui, je peux vous faire visiter un morceau de la ville. On ne fera pas tout en une fois par contre, il faut garder un peu de mystère. Dis-je en me penchant vers lui pour ajouter dans un faux chuchotement, que tout le monde puisse entendre : tu tiendras bien la main de ta maman, il ne faudrait pas qu’on la perde ! Me moquais-je gentiment.

– Oui… Je suis né, j’ai grandi et j’ai toujours habité ici. La maison, enfin, la forge, de mon enfance n’est guère loin d’ailleurs.

Les yeux du petit s'étaient mis à briller sitôt la phrase d'Erwan achevée. Pour lui, Marbrume ou plutôt le Morguestanc représentait encore une destination lointaine, presque exotique pour cet enfant qui n'avait toujours connu que les montagnes et la neige. Et, tout comme ce duché, le forgeron représentait l'aventure, la nouveauté… L'exotisme.

Aussi,qui de mieux qu'un autochtone, un homme qui plus est, pour nous faire "visiter" ce lieu si incroyable aux yeux de ce petit garçon ? Évidemment, Erwan lui donna son accord. Après tout, c'était un homme gentil qui adorait déjà cet enfant si curieux et qui ne demandait qu'à passer plus de temps avec lui… Oui, mais… N'avait-il pas du travail à achever ? N'était-ce pas trop lui demander après tout?

À vrai dire, même si j'étais heureuse de le voir accéder aux demandes de mon fils, je ne pouvais m'empêcher de culpabiliser. Erwan était un homme fort occupé qui mettait énormément d'énergie dans son travail… S'il faisait visiter la ville à Erick, il aurait donc à rattraper son ouvrage plus tard… Peut-être même durant la nuit…

La petite main du garçon vint enserrer la mienne, m'arrachant ainsi à mes pensées.

– Jamais je ne lâcherai la main de maman ! s'écria-t-il alors, sans que je ne comprenne le pourquoi du comment… C'était totalement ma faute, puisque je n'avais pas écouter. Je ne la perdrai pas, non mais !

Je savais bien qu'ici, même si Erwan avait probablement voulu plaisanter, les enjeux du petit étaient bien différents. Aussi, ne préférais couper court aux inquiétudes de mon fils en usant d'humour, à mon tour.

– Dis donc, je ne me suis jamais perdue en ville, moi… Ce sont les géants qui déplacent les rues, je te l'ai déjà dit !
– Roh Maman ! Arrête avec cette histoire de géants, ils n'existent pas !
– Bien-sûr que si, ils existent, renchérit Cyrielle. Mais ils sont restés en Hendoire. Le sol du Morguestanc est beaucoup trop spongieux à cause de tous ces marécages… S'ils devaient marcher, ils s'enfonçeraient dans la boue…
– C'est même pas drôle, rétorqua l'enfant en faisant mine de bouder… Cette moue, si adorable… Je ne pus m'empêcher de le serrer dans mes bras… Maman… Est-ce que tu peux attendre que je finisse de manger pour les câlins ? Comment veux-tu que je grandisse si je ne mange pas ?
– Oh ! Et bien, excuse-moi, petit grand monsieur… Loin de moi l'idée de vous priver de brioche et de confiture ! raillais-je.Quel quartier allons-nous découvrir aujourd'hui, Erwan ?

Le regard lumineux du petit garçon, lorsque j’acceptais de leur faire visiter une partie du quartier, me faisait sourire. Il semblait sincèrement heureux de ma décision et je m’en réjouissais. J’avais malgré tout l’impression de voir une légère inquiétude sur le visage de sa maman. J’imagine que c’est l’inquiétude habituelle de toutes les mamans.

Tu as de la chance bonhomme, je viens juste de terminer une grosse commande ! Il me reste quelques petites choses à faire mais du coup j’ai un peu de temps aujourd’hui.

A la suite de cela, j’avais été pris de court par la réaction d’Erick lorsque j’avais plaisanté sur le fait de perdre sa mère. En le voyant ainsi se saisir de la main de cette dernière, il me paraissait alors évident que ma plaisanterie passait moyennement, lui renvoyant des images sans doute sombres de la perte de son frère et autres membres de sa famille.

Héléna se défendait, faisant refaire surface à cette histoire de géants farceurs. L’enfant rétorqua dans la foulée avant que Cyrielle n’y ajoute son grain de sel. La milicienne finit par prendre son fils dans ses bras, le petit rouspétant que ce n’était pas le moment.
Je ne pouvais m’empêcher de rire tendrement devant cette scène, jusqu’à ce que la blonde me demande où nous allions aller. Je pris un court instant de réflexion avant de répondre.

Eh bien, nous pourrions commencer par le quartier que je connais le mieux, celui où j’ai grandi. Ce n’est certes pas le plus étonnant, mais plusieurs bâtisses de cette rue on un charme certain.

C’est ainsi que, le petit déjeuner terminé, nous prenions la route. La réparation des volets était, de toute façon, reportée. En effet, n’ayant pas prêté attention à Goup’, se dernier avait allègrement mâchouillé le manche de l’unique maillet que j’avais apporté, tapissant le dessous de la table, de dizaines de copeaux de bois.
J’avais naturellement proposé à Cyrielle de se joindre à nous, lui laissant le choix, avant d’amener Héléna et Erick dans ce quartier chargé d’histoire. Si l’enfant avait prit la main de sa mère au début, il avait fini par me demander s’il pouvait monter sur mes épaules. Je l’avais donc hissé là-haut avant de lancer un petit sourire désolé à la milicienne. J’avais agi sans lui demander et cela ne me ressemblait pas.

Une bonne partie des façades, bien que dégradées, conservaient un certain entretien, même par les temps actuels. Il y avait quelques façades à colombage, quelques pignons en pierre également. Je leur racontais des anecdotes de la vie ici durant mon enfance et ma jeunesse. Qui habitait où, qui faisait quoi, quel muret j’avais franchis pour piquer une pomme. R2gulièrement, Erick me tapotait la tête pour me montrer tel ou tel chose.

Attention bonhomme ! A force de me taper le crâne je vais finir par oublier le chemin pour rentrer ! Avais-je dit en levant les yeux vers lui.

Finalement, c'est devant la forge, toujours inoccupée, de mes parents que nous étions arrivés. La porte n’ayant jamais eu de verrou, nous pourrions y entrer s’ils le souhaitaient. La tâche sombre sans doute toujours présente au sol, vestige de la mort de mon père, lorsqu’il s’était vidé de son sang dans mes bras, n’étant plus aussi angoissante pour moi qu’avant, je préférais montrer autre chose de bien plus amusant.
Déposant Erick au sol, je pointais du doigt la poutre à droite de la porte.

Regarde bien, tu devrais voir des entailles dans le bois. Chaque année, mon père posait son couteau sur ma tête et faisait une marque pour inscrire ma taille. Il me répétait à chaque fois : « Le jour où tu seras plus grand que moi, j’espère que j’aurais fait de toi quelqu’un de plus sage que moi ! »

Alors que j’expliquais cela, je pris appui contre le mur, observant l’enfant qui caressait les coups de couteau. Je cherchais également le regard de sa mère, pour savoir si, elle aussi, appréciait cette excursion.

Personnellement, visiter Marbrume ne m'intéressait pas le moins du monde. La ville était bien trop grande et trop peuplée à mon goût. J'ai grandi dans un petit village qui s'étendait du pied de la montagne jusqu'aux plaines enneigées. J'adorais la vue que nous avions depuis la maison. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours admiré le paysage avec le même entrain, la même passion pour cette beauté offerte par la nature.
Marbrume n'avait strictement rien à voir. La cité était sale, bruyante et puait même l'urine par endroit. Les latrines avaient beau exister ici aussi, beaucoup d'hommes l'oubliaient après avoir bu quelques pintes à la taverne du coin.

Mais cette fois, la balade promettait pourtant d'être intéressante et cela, uniquement grâce à Erwan qui nous offrait un peu de son temps. Il est vrai que l'entendre nous dire qu'il en avait un peu devant lui me rassurait un peu. Je n'aimais guère l'idée de le freiner dans son travail pour une vulgaire visite de quartier.

Nous l'avons suivi jusqu'à l'endroit où il avait grandi. Je notais rien de spécial dans l'architecture des lieux… Après tout, tout semblait être construit d'après les mêmes plans ici. Néanmoins, Erwan prenait grand soin de ponctuer cette promenade avec quelques anecdotes fort amusantes. Et… C'est qu'il avait un don de conteur, ce forgeron… Erick et moi, nous vivions cette visite, lui depuis les épaules d'Erwan, moi depuis le sol. Mais ce que j'aimais le plus, c'était de voir mon enfant sourire aussi facilement…

Nous arrivâmes finalement devant l'endroit où Erwan avait grandi.

– C'est une forgerie ? demanda Erick, tout en se retenant de donner un nouveau coup sur la tête de sa monture.
– Presque ! m'exclamais-je.Nous appelons cela une forge.
– Ah oui, une forge… Je le savais.
– J'en suis sûre, le taquinais-je gentiment.

Le lieu devait être inhabité depuis des lustres. Il suffisait d'observer l'état de la façade qui semblait avoir toujours été entretenu. Quelque part, je n'avais aucune envie de rentrer là-dedans… La bâtisse me faisait presque penser à un tombeau. Pas du genre cimetière, mais plutôt comme le coffre qui se trouvait dans ma chambre. Un lieu chargé de souvenirs mais aujourd'hui abandonné au passé.

–Regarde bien, tu devrais voir des entailles dans le bois. Chaque année, mon père posait son couteau sur ma tête et faisait une marque pour inscrire ma taille. Il me répétait à chaque fois : « Le jour où tu seras plus grand que moi, j’espère que j’aurais fait de toi quelqu’un de plus sage que moi ! »

– À la maison, papa aussi marquait notre taille comme ça… souffla l'enfant tout en effleurant les petites entailles du bout des doigts. Il était très grand mon papa… Je me demande si je serai un jour aussi grand que lui.
– Peut-être. Les Dieux seuls le savent, Erick.
– Dis, Erwan. Est-ce que tu es devenu plus grand que ton papa, toi ?

“Une forgerie” ! Je souriais en déposant le petit qui filait directement regarder les entailles laissées par mon père. Je laissais Héléna le corriger, non sans trouver cela touchant.

C’était la forge de mon père, c’est ici que je suis né et que j’ai grandis. Je voulais m’agrandir alors, je me suis installé ailleurs. Expliquais-je, faisant l’impasse sur le fait que le lieu était trop chargé en souvenirs.
La jeune femme observait le lieu et, au fond de moi, j’espérais que personne ne souhaite entrer. Je pouvais toujours mentir et dire que c’était fermé, mais déjà, je ne suis pas à l’aise avec le mensonge et, de plus, j’imaginais bien Erick capable d’aller vérifier.

Oui, j’ai fini par le dépasser, mais je ne suis pas certain d’être plus sage que lui. Mon papa était l’homme le plus doux et le plus patient que je n’ai jamais connu. Dis-je en caressant la poutre à mon tour, laissant mes doigts glisser sur les écorchures.

Je leur montrais encore quelques traces sur le bois de la façade. Un pilier que j’avais entamé à coup d’épée rouillée avant que mon père ne me reprenne pour m’expliquer en quoi c’était mal et dangereux. Je leur montrais une corniche, usée par le frottement d’une corde, qui permettait à mon père d’actionner le soufflet depuis l’extérieur ou encore la clochette rudimentaire, fixée au-dessus de la porte… Ma première réalisation.
Finalement, je reprenais le petit sur mes épaules pour poursuivre la visite. Je leur faisais remonter la rue, leur décrivant quel commerce se situait où. L’apothicaire, qui était déjà vieux lorsque j’avais l’âge d’Erick, offrait même un bonbon au miel au garçon, affirmant que j’avais une jolie petite fille.

Le garçonnet bougonnait, rouge comme une écrevisse, tandis que je riais en expliquant au vieil homme que cette fille n’était pas mon garçon.
Erick gagna un second bonbon, qui lui rendait son sourire, tandis que je ramenais tranquillement tout le monde à la maison.
Je leur racontais encore quelques petites histoires sur le quartier en arrivant devant la porte, déposant l’enfant au sol.

Alors, cela vous a plus ? À tous les deux ? Demandais-je en cherchant surtout à savoir ce que la milicienne en avait pensé. Moi, j’y ai pris un grand plaisir ! Avouais-je en souriant.

Je trouvais les explications d'Erwan particulièrement touchantes. Bien que tristes, Erick sembla les recevoir avec grande attention. Son père lui manquait tellement, chaque jour un peu plus à mesure où il réalisait que certains détails sur ses proches disparaissaient avec le temps. Le seul visage qu'il ne pouvait oublier était celui de son jumeaux, même si ce dernier changeait en même temps que lui, en grandissant.

Ne trouvant rien de particulier à ajouter, je gardais le silence… En réalité, je me tus tout du long, jusqu'à ce que nous rentrâmes à la maison.

– Alors, cela vous a plus ? À tous les deux ? Nous demanda-t-il finalement. Moi, j’y ai pris un grand plaisir !

– Oui ! J'ai adoré !

Pour ma part, je me contentais d'acquiescer en souriant.

–Merci beaucoup, Erwan.

Sous l'insistance d'Erick, j'acceptais l'aide de forgeron pour la réparation de mes volets… Néanmoins, étant bien trop fière pour m'avouer vaincue aussi facilement, je décidais de mettre également la main à la pâte. L'enfant fut très heureux de pouvoir "jouer" avec les outils d'Erwan. Il nous aida également, à sa manière… Nous passâmes l'après-midi ainsi et même si le travail ne fut en rien terminé le soir venu, nous fûmes pourtant dans l'obligation d'arrêter là à cause du manque de lumière.

Évidemment, Erwan fut également invité à partager notre repas du soir. Puis, après avoir couché Erick, sans Goupil cette fois, je décidais de raccompagner le forgeron afin de l'aider à déplacer tout le matériel qu'il avait apporté… En plus de son chiot qui semblait étrangement fatigué.

–Merci encore, Erwan, lui dis-je avant de lui rendre ce que je portais. Néanmoins, j'ose espérer que vous n'avez pas dans l'idée de rénover toute la maison.

Sans surprise, le garçon était tout content et, même sa mère m’offrait un sourire en me remerciant. De mon côté, j’avais passé un très agréable moment et, même si c’était peut-être délicat à admettre, j’avais particulièrement apprécié cette petite proximité qui c’était établie presque naturellement entre Erick et moi. Je m’étais montré ouvert à lui et il n’avait pas hésité longtemps à m’accepter. J’en étais ému et cela me regonflait le cœur.

Nous nous occupâmes alors de réparer les volets ou, du moins, nous avons commencé. J’avais accepté l’aide d’Héléna sans problème, conscient que je n’avais de toute façon pas le choix. Puis, de toute façon, c’était dans sa personnalité et je l’appréciais comme cela. Afin d’être un minimum logique dans la démarche, j’avais suggéré que l’on commence par les volets des chambres.
Ainsi, en fin de journée, nous avions redressé et réparé ceux des deux chambres principales, celle d’Erick et d’Héléna ainsi que celle de Cyrielle. Le petit avait voulue que l’on s’occupe de « ma chambre » mais je lui expliquais qu’il valait mieux privilégier celui de la cuisine.

Et puis, ce n’est pas « ma chambre » Erick, j’ai ma maison pas très loin. Hier c’était exceptionnel ! Assurais-je en souriant. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne se reverra pas mon grand ! Avais-je ajouté rapidement en voyant la grimace déçue de l’enfant.

Le bonhomme m’avait alors fait un câlin avant que je ne quitte les lieux, trimballant mes outils pendant que la milicienne tenait, au bout de sa ficelle, un Goup’ particulièrement amorphe. Il semblait épuisé.
Une fois dans ma boutique, après avoir déposé le bazar que l’on trimballait sur le comptoir, j’observais le chiot filer vers son couffin et s’y rouler en boule.

Ce fut un plaisir Héléna, sincèrement. J’ai vraiment passé une belle journée. Avouais-je en lui lançant un sourire lumineux. Promis, je m’en tiendrais aux volets !

Je lui indiquais la cuisine d’une main.

Vous voulez boire un verre avant de rentrer ? J’ai une bouteille de jus de pomme de l’automne dernier… Proposais-je, évitant d’offrir de l’alcool après ce qu’elle avait ingurgité la veille.
J’espérais pour passer un petit moment avec elle, après cette soirée étrange et cette journée riche. Je n’avais rien de particulier en tête mais un petit moment calme, tous les deux, me plaisait bien.

–Ce fut un plaisir Héléna, sincèrement. J’ai vraiment passé une belle journée. Promis, je m’en tiendrais aux volets !
–Me voilà rassurée, raillais-je tout en prenant le chemin de la cuisine. J'ai également passé une bonne journée. Pour Erick, ce fut probablement la plus belle depuis…deux ou trois ans, dirai-je…J'ai perdu le compte.
–Vous voulez boire un verre avant de rentrer ? J’ai une bouteille de jus de pomme de l’automne dernier… me proposa-t-il en affichant la mine la plus innocente du monde.

À vrai dire, j'étais bien tentée d'accepter. Enfin, plus ou moins. J'appréciais Erwan pour sa simplicité et son naturel. Il n'y avait rien de plus aisé que de savoir à quoi il pensait ou ce qu'il ressentait. Tout cela se voyait sur son visage. Cette fois, je ne vis rien de particulier dans son regard : il n'attendait rien de spécial. Alors, même si j'hésitais, me disant qu'il serait tout de même plus judicieux de rentrer chez moi afin de ne pas lui donner de faux espoirs, j'avais tout de même envie de goûter à ce jus de pommes…

– D'accord. Je peux bien prendre un verre … Mais un seul, dis-je en levant l'index pour appuyer mes propos.

Je pris donc place à la grande table tandis que Goupil partit se coucher sur son tapis.
J'observais la pièce pratiquement plongée dans le noir puisqu'une seule petite chandelle l'éclairait. Je trouvais l'ambiance étrange… Sans doute parce que la pièce était particulièrement grande, ce qui rendait le calme ambiant presque aussi apaisant qu'angoissant. Et je me demandais comment Erwan pouvait le supporter. Peut-être y était-il habitué, contrairement à moi.

Finalement, la bouteille atterrit sur la table, accompagnée de deux gobelets. J'offris un grand sourire à mon hôte… Pour quelle raison ? Je ne saurais dire…

– C'est quand même une grande maison pour une personne seule… Tout est si calme lorsque Goupil est endormi. Ce doit être... pesant.