[Terminé] A la pêche aux moules-moules-moules ♪ [PV : Elisabeth Gardefeu]

Elisabeth aurait mille fois préféré retourner se noyer avec sa fichue robe que d’avouer à voix haute qu’elle avait jeté quelques regards indiscrets au chevalier lorsqu’il avait renoncé à sa chemise et à tout le reste. Mais pour sa défense, elle n’avait jamais eu l’occasion de voir de quel bois était fait un chevalier ayant passé l’âge de conter fleurette comme dans les histoires. Contrairement à ce qu’elle s’attendait à voir, il n’était pas couturé de cicatrices et des marques des combats. Du moins sur la partie de son anatomie qu’elle pouvait observer. En ce sens il était mieux conservé que bon nombre de malfrats qu’elle avait déjà recousu. D’un mouvement vif elle défroissa sa robe qu’elle avait pressé comme un agrume pour en extraire le jus et la déposa sur le sable en espérant que le soleil serait encore avec eux pour quelques heures histoire de la faire sécher correctement.
Le temps qu’elle s’exécute, Eadwin était presque complètement nu et ce n’était pas ce qu’il restait de vêtement sur lui qui allait garder le mystère sur sa charpente. Si la demoiselle n’avait pas depuis longtemps maîtrisé l’art ancestral du contrôle de soi, elle aurait certainement tourné au rouge pivoine de se retrouver aussi brusquement devant une aussi brillante illustration du concept de mâle. Au lieu de quoi, elle se contenta de le fixer dans les yeux avec un demi-sourire un peu crispé en se répétant intérieurement :

*Ne baisse pas les yeux ma fille, surtout ne baisse pas les yeux, sinon tu risques de te transformer en tomate. Ou pire, de perdre ta faculté de parole. Ne baisse pas les yeux ! *

Il n’était pas de la première jeunesse mais c’était bien ça le problème. Avec les jeunes hommes, la diablesse savait y faire et jouait au chat et à la souris en sachant qu’elle ne pouvait que gagner. Mais avec un vieux renard, elle devait se montrer un peu plus fine et c’était justement cette pointe de danger qui la… stimulait le plus. C’était bien gentil de faire tourner en rond son petit monde, mais c’était bien plus fascinant d’avoir un adversaire pour rendre la pareille.
Balayant d’un revers de main cette pensée, elle retourna entre les rochers pour aller chercher le fruit de sa pêche et sa serpette tombée dans un trou d’eau. Elle prit soin de bien la ranger, ne souhaitant nullement s’en servir de nouveau contre le chevalier. Le panier trouva sa place près de la robe, sur le sable.

« Je crois que je ne vais pas poursuivre ma récolte aujourd’hui. Il vaut mieux des stocks un peu vides que d’attraper un mal de gorge. »

Eli s’assit dans le sable près de ses affaires, les genoux repliés contre elle comme pour se dissimuler derrière. Parfois son regard glissait vers son compagnon du jour, juste avant qu’elle ne parvienne à se reprendre en main et qu’elle cesse de le détailler. L’inconvenance avait ses limites, même pour elle. Et surtout, elle n’oubliait pas qu’elle avait à faire à un chevalier.

« Je ne vous dis pas merci pour le plongeon mais… merci d’être venu me chercher. »

Elle presque honte de se montrer reconnaissante après avoir joué à la peste. Bien fait pour elle, sur ce coup-là on pouvait dire qu’elle avait perdu la partie.

« Je sais que vous ne cherchiez pas à nuire et que vous êtes un étranger. Vous n’avez probablement jamais entendu de leçon de bon sens maritime. Au moins maintenant vous saurez : le tissu mouillé peut peser plus lourd que la plaque. »

Un joli sourire un peu désolé éclaira son visage alors qu’elle semblait se décider enfin à faire la paix. Bonne joueuse, elle reconnaissait implicitement sa défaite. Mais elle n’avait rien d’amère, au contraire elle était plutôt douce, ça la rendait facile à accepter.
Le soleil réchauffait déjà le corps frêle de l’apothicaire et elle avait cessé de trembler. Ses pensées allèrent pour les tombes qu’Eadwin avait creusé pour des gens qui ne les occuperaient jamais. C’était puéril d’avoir réagi aussi violement, elle n’avait pas vraiment fait honneur à la mémoire de son propre père en agissant de la sorte. D’ailleurs, elle espérait qu’avoir un peu de compagnie dans le repos de la mort lui ferait plaisir. Un peu plus loin dans les rochers, un solide ruban bleu avait été noué à une pointe dépassant toutes les autres. C’était l’emplacement que la jeune femme avait choisi quelques mois plus tôt pour marquer la tombe du dernier membre de sa famille. Pour des raisons de sécurité son corps avait été brûlé, mais la jeune femme avait tenu à choisir un lieu un peu plus gai que le cimetière pour rendre hommage à son père. Peut-être pouvait-elle souffler l’idée au chevalier ? Ce serait une façon de s’excuser pour son accueil difficile.

« Vous savez, si vous voulez marquer des tombes sur cette plage…Vous pouvez. Je n’ai pas été particulièrement bienveillante en vous voyant car cet endroit est celui que j’ai choisi pour la sépulture de mon père. C’est ici qu’il est mort, surprit par des fangeux, et je ne concevais pas que d’autres puissent reposer ici. Je n’ai pas eu le droit de l’enterrer, mais j’ai accroché un ruban dans les rochers. Si vous voulez laisser une trace de vos amis, vous pourriez faire pareil. La marée ne les emportera pas. »

Cessez-le-feu.
Passer à côté de la mort avait vidé de ses forces l’apothicaire et elle n’avait pas envie de rester fâchée avec son sauveur. À vrai dire, elle pouvait même dire qu’elle l’appréciait, pour le peu de temps qu’elle avait passé avec lui.

Ils passèrent une heure ou deux au soleil, sur le sable, à attendre que leurs vêtements soient à peu près secs. Heureusement, la journée était belle et la brise qui soufflait aidait autant que la chaleur. Quand finalement le froid fut entièrement chassé et que la robe cessa de ressembler à une camisole trempée, Elisabeth l’enfila de nouveau, par-dessus ce qu’elle portait en guise de cache misère, frissonnant de sentir le tissu encore froid. La première chose qu’elle ferait en rentrant serait de se changer et de se faire une tisane contre le rhume, en prévention ! Elle ne prêta même pas attention à si Eadwin s'était retourné cette fois-ci, souhaitant le moins possible le regarder tant elle craignait de provoquer un incident diplomatique en le reluquant un peu trop ostensiblement.

« Il es temps pour moi de partir. J'ai assez pour travailler un peu et de toute façon je n'ai plus la force de jouer à la pêche aux crevettes. » annonça-t-elle en resserrant le laçage de sa robe pour le fermer d'un nœud.

Il ne s'était même pas rendu compte à quel point il gênait Elisabeth Gardefeu. Il se doutait encore moins qu'elle avait osé le regarder tandis qu'il s'était déshabillé mais le contraire ne l'aurait pas dérangé. Par habitude, il n'était pas forcément très pudique et qu'on puisse le voir à moitié nu ne le perturbait pas vraiment. De plus, il ne réalisait pas l'attractivité que sa virilité était capable d'exercer sur une jeune demoiselle comme Lizzie. Son attitude demeurerait donc chaste et respectueuse jusqu'au bout vis à vis d'elle, sans chercher spécialement à mettre en valeur ce qui pouvait attirer la jeune femme. Il la suivit jusqu'aux rochers car il avait lui-même quelques objets à récupérer, son épée et quelques pièces d'armures notamment. Dans cet accoutrement, ils avaient de la chance d'être seuls au monde. A cette heure-ci, le Fléau ne menacerait pas un tel endroit et il était rare que des individus quittent les routes sans une raison valable.

« Je suppose que vous reviendrez lorsqu'un chevalier ne sera pas là pour vous faire perdre du temps. »

C'était une demi-boutade. Il espérait lui arracher un sourire, souhaitant qu'elle considère leur rencontre plus intéressante qu'une journée de pêche lambda. Pourtant, il s'en voulait un petit peu de l'avoir interrompue de la sorte. Il supposa qu'elle était une commerçante très avertie et qu'elle ne devait pas dépendre immédiatement de ces stocks pour continuer à faire fonctionner sa boutique. Pendant qu'elle était ici, cela voulait donc dire que son enseigne était fermée. Soudain, il trouva Lizzie bien plus débrouillarde qu'il avait bien pu se l'imaginer. En fait, elle aurait bien besoin d'un homme pour l'épauler dans sa tâche. Il lui souhaitait alors de trouver quelqu'un à la hauteur, surtout quelqu'un qui pourrait l'aimer tout en supportant son sale caractère.

« J'aurais aimé ne pas avoir à le faire mais peu importe la situation, je vous serai venu à votre secours. »

Ils s'étaient assis côte à côte sur le sable, à quelques mètres du bord de mer. Il ne s'attendit pas vraiment à ce que Elisabeth lui présente des excuses à sa façon. Elle aurait très bien pu rester renfrogné et conclure qu'elle était en compagnie d'un imbécile fini mais elle semblait plutôt décidée à enterrer la hache de guerre. On pouvait dire qu'elle avait vraiment un bon fond lorsqu'on la connaissait.

« Je réfléchirais à deux fois la prochaine fois avant de vous mettre en danger mais je préfère que vous gardiez l'idée selon laquelle vous ne risquez rien en ma présence. »

C'était l'instinct protecteur du vieil ours de Corbeval qui était en train de s'exprimer. Lizzie avait gagné son estime durant toute cette rencontre et il la considérait au moins comme une amie. Elle serait au moins cette personne à la franchise décapante qui pourrait lui dire les choses honnêtement sans craindre de le froisser. Ils ne seraient certainement pas d'accords sur tout mais c'était sûrement ce qui entretiendrait leurs liens sur le terme. Toutefois, il ne savait pas si il allait la revoir de si tôt. Elle vivait à Marbrume et lui à Traquemont et l'idée de rejoindre la cité franche ne s'emballait pas particulièrement. Sa place était davantage dans les marais pour lutter contre le Fléau.

Elle lui fit ensuite une révélation qui expliqua énormément de choses. Voilà donc pourquoi elle l'avait agressée avec autant de virulence alors qu'elle avait croisé son chemin pour la toute première fois. Égoïstement, elle s'était accaparée les lieux où reposait symboliquement parlant son père dont le décès était encore très récent. Il ne comprenait pas forcément pourquoi cela avait suffit à la rendre acerbe mais concevait que ce devait être suffisamment important pour elle de façon à ce qu'elle se comporte comme une peste. Soit, c'était déjà plutôt appréciable qu'elle lui en fasse la confidence, il ne la blâmerait donc pas pour cela.

« Je perdrais probablement d'autres amis si ce n'est pas moi qui rendrait mon dernier soupire avant. Dans le premier cas, je repasserais par ici pour les honorer puisque j'ai votre permission. » lui dit-il, tout sourire. « J'ai cru comprendre que la cité franche impose la crémation… ? C'est employé à Traquemont mais ce n'est pas systématique. Nous prenons le temps d'analyser et de connaître nos morts lorsque nous avons le temps. Je suis navré pour votre père en tout cas, cela ne doit pas vraiment être facile. »

Et une à deux heures s'écoulèrent. Ils échangèrent, sans s'arrêter, en observant la plupart du temps cette vaste nuance de bleue. Lizzie n'osait pas trop le regarder de peur d'être prise en flagrant délit d'apprécier avec les yeux sa carrure plutôt dénudée et lui préférait simplement écouter ce qu'elle avait à lui dire en s'imaginant ce qu'il pouvait bien y avoir au-delà de cette bande bleue. Il lui confia probablement certaines choses sur son passé, sur le fait qu'il avait été coupé du reste de sa famille avant de devenir un adolescent à cause d'une guerre entre plusieurs sang-bleu. Il fit sûrement part de sa dévotion et de son admiration pour sa Châtelaine, Yseult de Traquemont. Il mentionna aussi probablement ses espérances et ses craintes au sujet de l'Opération du Labret, sur le fait qu'il pouvait craindre de ne pas être à la hauteur mais qu'il estimait ne pas avoir le droit de mourir car on aurait encore besoin de lui. Et bien d'autres sujets encore qui resteraient secrets entre eux deux assurément.

« J'ai une promesse à tenir. Je vous raccompagne jusqu'aux portes de Marbrume. »

La chaleur du soleil avait prodigué les résultats tant attendus par les deux protagonistes. Finalement, Eadwin de Rivenoire ne regrettait rien. Ces péripéties lui avaient permis de faire la connaissance d'une personne qu'il appréciait déjà beaucoup. La franchise, c'était une valeur qu'ils avaient en commun. Il équipa donc son armure et veilla à remettre son épée et son bouclier à leur place puis conduisit Lizzie jusqu'à son cheval qui les attendait depuis un moment. Ce n'était pas tous les jours qu'elle devait avoir la chance de faire un peu d'équitation et pour l'occasion, Eadwin lui proposa gracieusement d'être sa cavalière. Il l'aiderait à tenir les rennes et lui donnerait toutes les instructions nécessaires. Après tout, elle ne risquait rien, il serait juste derrière lui et elle sentirait sa présence rassurante à tout moment. Une demi-heure plus tard, environ, après avoir mené d'autres discussions, ils arrivèrent donc dans les Faubourgs de Marbrume. Eadwin de Rivenoire n'avait jamais été aussi proche que ça de la cité franche. A une trentaine de mètre des portes, il aida donc son amie à descendre de sa monture et échangea avec elle les derniers mots.

« Rikni guidera ma lame. Elle me donnera la force et la rage de vaincre nécessaire pour survivre au Labret. En attendant, prenez soin de vous. J'ignore combien de temps cela prendra mais je vous promets de venir vous voir à Marbrume, Lizzie. »

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Fin du RP !