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 Les gens de l'ombre [Marwen]

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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyMer 12 Oct 2016 - 20:21
Qu’avaient été ses motivations premières lorsque Marwen s’était essayé au jeu de cette plaisanterie, lui-même ne le savait pas. Les conjectures d’Elisabeth pouvaient être vraies autant que fausses ; une volonté de lui signaler que sans lui, elle n’était rien, une envie de lui démontrer sa supériorité, une menace à peine voilée, peut-être, ou une simple foucade, du bête badinage, quoique celui-ci s’avérât bien dangereux. En fin de compte, si l’Esbigneur devait y penser en prenant un peu de recul sur ce qui se déroula par la suite, ce ne fut rien d’autre qu’une facétie.

La sorcière était subitement sortie de ses gonds en se sentant partir en arrière, vers ces profondeurs abyssales d’où personne ne ressortait vivant. Ç’avait été le monte-charge, la poulie émotionnelle ; cette sensation de bascule et de chute, pire encore que celle qui vous réveillait d’un sommeil bien profond, que pour mieux être rattrapée par un bras totalement inerte une demi-heure auparavant. Dans ce réflexe de survie, elle s’était subitement agrippée à lui, oubliant bien soudainement tous les griefs qu’elle détenait encore à son encontre, et lui, jouant la farce jusqu’au bout, l’avait serré dans ses bras, lui tapotant le dos d’un geste protecteur.

« Ça va aller, ça va aller », lui avait-il murmuré.

C’en avait surtout été trop pour la jeune femme, laquelle passa par toutes les étapes émotionnelles ; la surprise, la peur, l’effroi, l’apaisement, l’indignation, la colère. De toute blanche, la voilà qui s’était teintée de rouge, et ses yeux alors grands ouverts, s’ouvrant sur une incompréhension la plus totale, venaient de se plisser en deux étroites meurtrières capables de le foudroyer sur place. Elle explosa de toute sa haine bien trop catalysée pendant cette seconde d’indécision où elle s’était retrouvée suspendue dans les airs, et lui écrasa violemment le pied d’un talon bien appliqué. De ce qu’elle avait pu découvrir sur le contrebandier, un tel affront aurait pu ouvrir de nouveau les hostilités entre eux deux, mais la réaction fut tout autre.

Alors qu’elle rageait comme pas possible, Marwen, de son côté, explosa d’un rire tonitruant, nerveux, qui se répercuta dans les égouts tout autant que les malédictions d’Elisabeth. Partagé entre hilarité et la douleur occasionné par son pied malmené, il sautait sur place en se tenant ce dernier, des éclats de rire aux lèvres. Un véritable gamin, en fin de compte, qui manqua à plusieurs reprises de choir dans ces trous d’eau mortels à force de s’essuyer les yeux dans ses manches. Car il en riait aux larmes, et ne parvenait plus à contrôler les tressautements de ses épaules et de son abdomen. Et Elisabeth, de son côté, avait décidé de l’ignorer royalement, continuant tout droit sa route, l’invectivant sans mêle le regarder de tous ces noms d’oiseau qu’elle lui avait interdits de citer. Parvenant lentement mais sûrement à retrouver un certain contrôle sur ses émotions, il se mit en tête que de la rattraper.

« Eh, attends-moi, tu vas te perdre ou tomber je sais pas où pour de bon. Joli cri, putain, je savais pas que tu pouvais partir si haut dans les aigus ! Je crois que ça doit être bon, pour ta gorge. Mais je m’avoue vaincu, sorcière ; tu m’auras fait chialer une seconde fois. Ah, merde alors… », s’écria-t-il en se séchant les yeux une dernière fois.

Le pire, peut-être, lorsque l’on gueulait trop fort ici-bas, c’était tout l’air que vous pouviez avaler, capable de vous donner la nausée tant il était doucereux, capiteux. Ils progressèrent encore un certain moment, qui fut bien plus long sur la durée qu’en termes de distance, car tous deux veillaient à chaque endroit où ils posaient les pieds. Une seule erreur pouvait être fatale. Dans ce brouillard intangible, le spectacle s’avérait tout autant visuel qu’auditif ; tout un ensemble de sons et de bruits peu communs se percevaient à la ronde, provenant parfois d’endroits que l’on pouvait estimer distants d’une centaine d’encablures. La lamentation gutturale d’étranges créatures se mêlait à la complainte caverneuse d’une eau sans cesse dégoulinante, formant ces flaques croupies où se baignaient complaisamment une vermine frétillante. De temps à autre, d’insolites claquements métalliques s’oyaient, telles des grilles rongées que l’on verrouillait, et leurs charnières grinçaient sinistrement dans l’atmosphère inquiétante. Et entre deux clapotis entendait-on également quelques cliquètements de chaînes séculaires qu’une présence invisible effleurait. Cet univers d’outre-tombe s’appesantissait sur leurs épaules, occultant l’hilarité de l’un comme la colère de l’autre, et, niescemment, ils s’étaient remis à avancer en silence, chuchotant çà et là quelques indications lorsque davantage d’informations s’avéraient nécessaires.

Elisabeth lui fit bientôt part de son désir de quitter les lieux. Ces bas-fonds l’horripilaient presque autant que sa présence, et son regard noir en disait long sur son ressenti.

« Pas tout de suite, très chère. Et puis, certes, ça pue, c’est humide comme pas possible, mais ça a l’avantage d’être extrêmement tranquille la plupart du temps. Je t’assure, si t’es dans la malechance un jour, viens te réfugier ici ; personne n’osera te suivre, lui murmura-t-il. Dans l’imaginaire collectif, c’est la merde et tu risques ta vie à chaque pas. Enfin, ils n’ont pas tort, mais lorsque tu sais à quoi tu as affaire, c’est soudainement bien moins dangereux, en fin de compte. Et puis il y a aussi de vraies merveilles, céans même, tu verras ça bien assez t… »

Il s’immobilisa subitement, tous les sens en éveil, et jeta un coup d’œil à Elisabeth.

« C’est moi ou ça bouge pas trop loin… ? »

Marwen avait l’impression d’entendre comme des éclaboussures de pas frénétiques qui fendaient les flots, et tout ce bordel paraissait se rapprocher à grande vitesse. Puis vinrent des hurlements désespérés, qui, eux, furent définitivement plus audibles, et leurs échos apportèrent d’autres cris bestiaux, aucunement humains. Et cette interpellation déchirante, que l’on gueula sans prendre garde à adopter la moindre discrétion :

« Ils arrivent !!! »

Ce ils en disait long sur la nature de la menace. De nouveau, l’Esbigneur chercha le regard de sa partenaire après avoir scruté les environs, et lui délivra sa froide réflexion.

« Ils viennent dans notre sens, assurément, et je crois bien qu’il n’y qu’un seul chemin qui mène à nous. Courir à perdre haleine dans les égouts, c’est hors de question, sauf si tu tiens à mourir, et je ne suis pas très enclin à rebrousser le chemin pour tout se retaper par la suite. il est plus sage de se planquer et laisser passer l’orage, c’est ce qui marche le mieux, pour ce que j’en sais. »

A cela près qu’ils ne croulaient pas sous le choix des endroits pour se dissimuler. Une fois de plus, l’Esbigneur fouilla le boyau du regard. En fin de compte, il n’y voyait qu’une maigre anfractuosité, un petit recoin irrégulier, à peine plus large qu’une silhouette humaine. Voilà qui allait être fort juste ; même un placard eût mieux fait l’affaire. Restait la question de son sac de bure, qu’il ne pouvait se résoudre à abandonner. Ce fut là, sûrement, le plus grand combat intérieur qu’il mena au cours de cette dernière demi-heure.

« Et merde », jura-t-il avant de le prendre avec lui pour le rencogner contre le mur. Puis, changeant d’endroit, il fila se terrer dans cette seule cavité disponible. Difficile de laisser là son gagne-pain, également. Partagé entre l’anxiété et le comique de la situation, il l’enjoignit à le rejoindre, lui tendant la main tout en lui décochant un petit clin d’œil narquois. Ça allait être très serré, tout ça.

Citation :

Désolé pour le côté so cliché de cette fin, mais je n'ai pas pu résister, tout en sachant pertinemment qu'Elisabeth allait keepher ça. :colgate:
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyMer 12 Oct 2016 - 23:23
La nouvelle n’était pas exactement enthousiasmante. L’hilarité de Marwen avait fait enrager l’apothicaire en silence et ce n’était que le climat sordide de leur lieu de villégiature qui l’avait fait sortir de son silence buté. L’entendre s’esclaffer comme un adolescent l’avait fait grincer des dents mais dans un sens cela avait de rassurant qu’elle ne sentait aucune méchanceté dans ce rire. Il fallait bien trouver des éléments de consolation, non ?
Écoutant le plaidoyer en faveur des égouts d’une oreille à moitié distraite, l’autre partie de son cerveau trop occupée à lever mentalement les yeux au ciel en se disant qu’il lui faudrait avoir toute la ville à fuir pour avoir ne serait-ce que la moitié d’une bonne raison pour retourner dans ces conduits puants et vaseux, la demoiselle s’interrompit dans ses réflexions avec autant de brutalité que Marwen dans sa phrase. Elle suivit son regard pour scruter l’épais bouchon de ténèbres devant eux et cru distinguer un mouvement dans les vapeurs putrides. Mais l’esprit joue souvent des tours lorsqu’il est plongé dans le noir et il n’aurait pas été étonnant que l’air vicié lui donne le tournis.

Malheureusement, un instant plus tard des cris de terreur se répercutèrent contre les murs jusqu’à eux, accompagné du martèlement caractéristique d’une course. La jeune femme se figea sur place, raide comme un piquet alors qu’un long frisson de peur lui coulait dans le dos tel un serpent visqueux. D’un bref coup d’œil à l’Esbigneur, elle confirma ses craintes les plus noires : des fangeux arrivaient au galop dans leur direction et ils ne cracheraient certainement pas sur deux casse-croûte supplémentaires.

« Quelle brillante stratégie ! Et tu proposes quoi ? Je ne sais pas me rendre invisible figure-toi et je ne vois aucune chausse-trappe dans les parages ! »

La voix d’Elisabeth n’était pas plus qu’un murmure pressant, à la fois agressif et apeuré. Plutôt du genre chat sauvage que lapin paralysé quand le danger la menaçait, elle fouilla le couloir des yeux pour trouver une planque et murmura un « c’est une blague… » lorsqu’elle vit Marwen tenter de faire rentrer sa grande carcasse dans un trou de souris. Et le bougre l’invitait à s’y installer elle aussi ! Elle n’était pas bien grosse, mais jusqu’à preuve du contraire elle n’avait pas le pouvoir de se faufiler dans les fissures de la pierre comme les pieuvres.

Le fracas des bottes dans la lie des égouts se rapprochait dangereusement et avec lui, les cris, le bruit des respirations saccadées et les vagissements des fangeux. Définitivement elle préférait l’option du contrebandier à celle de se faire dévorer, mais ce fut de mauvaise grâce qu’elle accepta de lui prendre la main.

« Efface ce sourire de ta sale face d’empaffé ! Et rentre le ventre, nom d’un chien. Mais pousse toi à la fin… »

Ramenant sa cape autour d’elle pour ne pas la laisser dépasser, Liz racla contre le mur mais n’échappa en rien à l’extrême étroitesse de cette cachette de fortune et au contact avec l’Esbigneur, qu’elle gratifia d’un regard incendiaire. L’avertissement était clair, mais elle ne doutait pas qu’il fasse comme s’il était tout à coup trop benêt pour comprendre. Maudit, foutu, saloperie de profiteur.
Complètement écrasée contre la paroi humide et visqueuse qui ne manquerait pas de laisser de vilains résidus parfaitement ignobles sur sa cape, l’apothicaire eut à peine la place de lever un bras pour rabattre son capuchon que sa tête. Les deux mains pressées contre le torse de son enquiquineur de guide pour pouvoir délimiter virtuellement un peu d’espace privé, elle lui marcha sur les pieds non sans malice et veilla à se frotter le moins possible en se calant le plus au fond de la crevasse que l’espace restant le lui permettait. Pour une fois c’était un avantage indéniable d’être petite et menue.

« Je te préviens que tu as intérêt à garder tes mains pour toi sinon je te… »

Le reste de ses paroles fut noyé dans le vacarme de l’arrivée des pauvres victimes des fangeux qui ne devançaient leurs poursuivants que de quelques mètres. Les pauvres hères étaient essoufflés et paniqués, certains de terminer entre les griffes des créatures mais luttant encore pour leur existence. La tête baissée, le front presque appuyé contre son vis-à-vis, Elisabeth se faisait soudain toute petite, retenant presque sa respiration et épiant le conduit sous le revers de son capuchon. Elle crut voir trois silhouettes passer en toute hâte, cherchant visiblement une issue, l’air hagard et les chausses trempées. Le cri déchirant et désincarné d’une goule affamée les fit sursauter et ils ne s’attardèrent ni sur le sac dans la pénombre, ni sur les parois autour d’eux, ne remarquant pas la présence des deux autres êtres vivants dans les environs. Et si Eli était inquiète à l’idée que les humains poursuivit puissent les trouver, elle était réellement terrorisée à l’idée que les fangeux leur tombe dessus.

Ces créatures à la vitesse anormale et aux griffes pointues semblaient avoir une bien meilleure vue que les humains dans le noir et on disait qu’elles s’orientaient aussi avec le bruit. Rien ne parlait de leur odorat et il fallait espérer que les relents des égouts suffiraient à cacher l’odeur des deux embusqués.
Les monstres ne tardèrent pas à se montrer : au moins six ou sept, les gueules béantes et la démarche désarticulée et pourtant incroyablement rapide, ils ne tarderaient certainement pas à rattraper leurs victimes. Leurs pieds trainaient dans la même mélasse que les fuyards, mais leurs chausses étaient en lambeaux, parfois inexistantes et leurs chairs mortes ne s’outraient pas du contact néfaste de l’eau. La vision de cette horde se déplaçant dans les ténèbres des égouts, tout juste discernable et dont l’œil arrivait pourtant à capter tant de détails, comme pour mieux épouvanter le spectateur, avait de quoi faire blanchir les cheveux du plus preux chevalier.

Elisabeth n’avait jamais vu ces créatures d’aussi près. Elle retint tout à fait sa respiration et ses doigts se crispèrent sur le pourpoint de Marwen. Si elle avait été en mesure d’arrêter son cœur pour être certaine d’être parfaitement silencieuse, elle aurait essayé.
Les quatre premiers fangeux poursuivirent leur course sans ralentir, mais les deux derniers semblèrent perturbé par quelque chose et stoppèrent quelques pas après la cachette des deux intrus. Grognant des sons étranglés, ils semblaient chercher à comprendre la nature de ce qui les avait interpelés et humèrent l’air avec insistance pendant ce qui sembla être une éternité. Pourtant ils renoncèrent assez rapidement pour reprendre leur traque, visiblement plus intéressé par la perspective d’un repas.

Un hurlement de pure terreur se répercuta dans les tunnels, signe indéniable qu’au moins un des fuyards avait été rattrapé. De nouveaux cris ébranlèrent tous les sous-sol, semblant ne pas vouloir s’arrêter et l’apothicaire pria Anür de faire cesser l’agonie de cette nouvelle victime du Fléau. Enfin le vacarme cessa et une tranquillité pire encore s’installa.
La jeune femme respirait à peine et ne bougeait pas un muscle. Et s’il y avait d’autres fangeux ? Et si les monstres revenaient ? Ils étaient peut-être tout proche !

« Je veux sortir d’ici… »

Plus une prière qu’un ordre, à peine soufflé dans le peu d’espace qu’il leur restait, elle attendait scrupuleusement la suite des indications, cette fois prête à obéir sans rechigner. La peur viscérale, presque animale, d’être prise en chasse par ces créatures lui aurait fait promettre n’importe quoi si cela pouvait lui assurer de s’en sortir et de retourner chez elle sans mal.
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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyJeu 13 Oct 2016 - 18:09
La sorcière n’avait définitivement pas l’air convaincue par le plan de l’Esbigneur, mais le choix de leurs possibilités tendait malheureusement bien vers zéro. Marwen aurait-il eu une autre option qu’il se serait empressé d’y courir, mais là, en l’occurrence, ils devaient tous deux agir le plus vite possible. Après l’avoir dévisagé pendant une seconde, l’air effaré devant tant d’audace ou de bêtise, lâchant au passage quelques mots incrédules, Elisabeth secoua la tête avant de rejoindre le contrebandier.

« Allez, viens ma grosse. Heureusement que t’es pas trop bien roulée, en fin de compte, hein ? »

Le danger latent de la situation le rendait extrêmement nerveux, quand bien même avait-il déjà affronté pareille épreuve et en avait à tout le moins triomphé ; n’était-il pas toujours en vie ? A cela près que cet état anxieux lui donnait presque l’envie de sourire d’un rire mal assuré. Il devinait sans peine la situation embarrassante dans laquelle ils n’allaient pas tarder à s’embourber, et sa partenaire l’avait tout autant soupçonné. Marwen manqua de s’esclaffer, toujours aussi fébrilement, là où Elisabeth, elle, de son côté, jura et lui décocha une série de regards noirs qui n’arrangèrent aucunement le petit accès de folie de l’homme. Il lui obéit de moitié, ce qui était relevable ; s’il ne se départit pas de son expression amusée, il tâcha du mieux possible à se renfoncer dans l’obscurité pour lui faire de la place, ce qui s’avéra plus facile à dire qu’à faire.

Entre deux œillades incendiaires, la sorcière n’hésita pas à faire sa mijaurée, veillant bien à remettre en position sa vêture, à laisser une certaine distance entre elle et lui, jusqu’à agir sournoisement en lui piétinant délibérément les pieds, surtout celui qu’elle avait déjà écrasé.

« Aïïe… Oh putain. Bon, arrête de faire ta petite princesse, sorcière, et viens donc là », lui souffla-t-il en l’attrapant par la taille une bonne fois pour toutes, ce qui eut l’avantage certain de décharger une partie du poids placé sur son pied endolori. Assurément, elle tenta bien de se libérer de cette soudaine étreinte tout en lui décochant un dernier avertissement des plus salés, avant de s’interrompre subitement ; les bestioles et leurs proies venaient d’entrer dans leur environnement proche.

Alors que tout cela demeurait encore invisible, mais très audible, il ne sut ce qui le poussa à agir de la sorte, mais il ne se gêna aucunement. De la taille de la jeune femme, ses mains furent prises d’une subite foucade, et passèrent sur la partie callipyge d’Elisabeth, la pressant toujours autant contre lui-même afin de se rencogner dans la roche. Ses formes ou ses hanches, finalement, pour la maintenir tranquille, rien ne changeait, si ce n’était l’emmerder elle aussi bien que l’indécence. Il la sentit se crisper, sur le point de ruer, mais ne lâcha pas prise. Agir de cette façon-là pour la faire chier, c’était indéniable. Mais il avait également esquissé ce mouvement pour penser à autre chose qu’au carnage qui allait suivre et qui n’allait pas tarder à leur être exposé, en son et lumière. Pour se concentrer sur ce contact définitivement plus intéressant que la douleur ressentie dans son pied, que sa tête prise entre un étau de pierres, ou encore que la caresse lancinante d’une irrégularité tranchante qui lui pénétrait le flanc. Et puis, merde, se disait-il, il vivait au jour le jour depuis des mois, sans jamais penser à ce lendemain qui ne viendrait peut-être pas. La triste histoire de l’existence d’aujourd’hui ; traverser une rue pour mourir subitement au tournant de cette dernière, sans même en avoir eu conscience. Là, ce qui rôdait dans les égouts, dans cette fange putride et cette purée de pois, ce n’était pas autres que des monstruosités étonnamment fortes et agiles, capables de briser les jambes d’un homme pour se repaître de ses entrailles sans même l’avoir achevé. Un destin que leur réservait peut-être Anür, en ce moment précis. Alors, quitte à mourir dans la douleur, il préférait autant emporter avec lui, dans ses derniers hurlements de souffrance, la fugace et agréable sensation d’une paire de fesses dans ses paumes. C’était à coup sûr là la seule chose à laquelle il pouvait encore se raccrocher.

Car l’Esbigneur, en dépit de la mine narquoise et confiante qu’il affichait souvent, n’en menait présentement pas large. Qu’il se fût déjà sorti d’une pareille situation ne signifiait aucunement qu’il en devenait intouchable ; les aléas de la vie étaient ce qu’ils étaient. L’Homme n’avait assurément pas connu plus redoutables adversaires que les fangeux, que l’on ne pouvait par ailleurs pas véritablement exterminer, et c’était pire encore en prenant conscience que votre père ou votre femme se retournerait bientôt contre vous pour vous déchiqueter les chairs.

Il y eut ce cri soudain, déchirant, inhumain, si proche que Marwen, l’esprit étrangement ailleurs, sursauta en l’entendant. Son corps se crispa tout autant que sa mâchoire et que ses poignes, qui se refermèrent plus fortement encore sur le fessier de la sorcière. Mais le contrebandier, en vérité, n’y prêtait même plus attention ; les doigts incrustés dans la peau d’Elisabeth, il observait cette fuite éperdue avec une crainte et une curiosité malsaine.

Trois silhouettes couraient résolument droit devant elles, à bout de souffle, le regard hagard. Les lamentations gutturales des fangeux, inexorablement plus proches de secondes en secondes, leur avait fait perdre tout sens logique, toute précaution. Marwen vit un de ces hommes, un banni, peut-être, ou un aigrefin, s’aventurer dans l’une de ces grandes mares à l’eau trouble et traitresse. La tête tordue en arrière, par-dessus son épaule, guettant l’objet de ses pires cauchemars, il avança sans prendre garde où il mettait les pieds. Il eut de la chance, au tout début seulement ; il avait certes de l’eau à hauteur du genou, mais il ne chut pas. Ou pas encore. Car quatre ou cinq pas plus loin, sans que rien n’indiquât la limite au beau milieu de cette grande flaque, il courut au-dessus de l’un de ces puits sans fond. Marwen vit son corps basculer en avant avec, gravé sur son visage, une expression d’intense surprise et de peur certaine. Le type savait assurément qu’il avait commis une erreur, en sus d’avoir réveillé les fangeux. Et cette même expression ne le quitta jamais plus ; son front sembla heurter le rebord opposé du trou d’eau, et une arête rocheuse mordit dans sa tête, formant une horrible lésion. Puis le poids de son propre corps eut raison de lui, et, tout assommé qu’il était, fendit les flots, disparaissant dans un remous vicié et puant. Les vagues éparses à la surface de l’onde se calmèrent bientôt, se lissant dans une immobilité dérangeante, et rien n’indiqua plus la présence de cette oubliette abyssale.

Ne s’occupant guère du piètre sort de leur compère, les autres proies en devenir continuèrent leur fuite. Ils avaient la chevelure grasse deux ayant passé trop de temps au-dehors ou dans les égouts, la vêture déchirée, la peau écorchée, et l’un d’entre eux gouttait tant et si bien qu’il avait dû trébucher dans cette immondice liquide qui ruisselait au sol. Il crachait et toussait à s’en arracher un poumon, ce qui ne fut pas sans rappeler une certaine remembrance dans l’esprit de Marwen.

Peu après vinrent les fangeux, et ce spectacle, là encore, invoqua d’autres images dans la mémoire du contrebandier, sans que cela n’eût de lien avec Elisabeth, cette fois-ci. Si la présence des fuyards avait commencé à l’inquiéter, car elle annonçait celles des créatures, là, il ressentit bel et bien cette peur qu’il se forçait violemment à dissimuler. Des amas de chairs sur deux jambes qui se mouvaient avec une agilité et une souplesse déconcertante ; des visages autrefois humains, défigurés par des sourires édentés et macabres ; des mains jadis aimantes et légères, désormais transpercées de griffes et d’ongles acérés. Des monstruosités à l’état pur qui errait aléatoirement dans les rues et les souterrains de la capitale, en quête de ce qu’ils avaient été à une autre époque. Les voir ainsi évoluer dans cette proximité presque intime fascinait autant que cela inspirait la peur, voire l’effroi. C’était jouer avec la mort, danser avec elle, et, à sa manière propre, ce tableau hypnotisant vous rapprochait soudainement, plus que jamais, de ces dieux que vous aviez pu un jour renier.

Marwen, immobile, sentit les mains de la sorcière s’accrocher à sa veste. Cet infime mouvement le sortit de sa torpeur contemplatrice, et il resserra que plus encore Elisabeth contre lui-même. Pire encore, cela le refit vivre, lui donna pleine possession de son corps et de ses sens. Il se remémora où se situait sa dextre et sa senestre, et, en ressentant subitement une certaine honte, tâcha de les remonter imperceptiblement à un endroit plus probant. Ses paumes se refermèrent dans le creux du dos de la jeune femme, mais vint alors un autre problème. Le contrebandier se rendit compte qu’il n’avait eu de cesse que de retenir son souffle jusque-là, et crut que ses poumons allaient s’atrophier par manque d’air. A peine prit-il une première respiration que son nez le démangea comme pas possible ; toutes les odeurs impures, les exhalaisons fétides et les remugles odieux envahirent son œsophage et sa trachée que les poudres magiques d’Elisabeth n’avaient que trop affaiblis. Alors même que deux fangeux venaient juste d’interrompre leur course, ayant possiblement senti leur présence, l’Esbigneur ressentit la détestable nécessité d’éternuer.

Il s’invectiva mentalement, se fit violence, jura dans sa tête et se mordit la lèvre jusqu’au sang ; n’avait-il pas craché, putain de merde, avant de s’engouffrer dans ces boyaux, justement pour éviter pareille situation ? Mais c’était plus fort que lui ; il ne répondait plus des envies de son corps, et cet air vicié lui apparaissait une fois de plus comme ce foutu grain de poivre qui vous asticotait vos muqueuses délicates. Il lui fallait, littéralement, changer d’air. L’Esbigneur ne réfléchit pas ; les yeux menaçant de pleurer une troisième fois, tant il s’interdisait d’éternuer, il plongea son visage dans le cou et les cheveux de la sorcière, dans ce capuchon rabattu. Voilà qui lui sauva assurément la vie, n’en déplaise à la jeune femme. Bien que sa peau fût perpétuellement au contact de cette puanteur fétide, en sus d’être humidifiée d’une certaine sueur froide tributaire des derniers évènements qu’ils avaient affrontés, le corps de sa partenaire recelait encore d’une fragrance fleurie, et Marwen se demanda si elle ne se lavait pas avec cette pâte qu’elle lui avait administrée. C’en fut assez pour apaiser les démangeaisons nasales de son museau, et il put bientôt reprendre une respiration calme et sereine, toujours ainsi plaqué contre la sorcière.

Lorsqu’il releva tout doucement le visage, ne souhaitant aucunement trahir leur position, et qu’il jeta un regard inquiet dans le boyau, il découvrit que les deux fangeux avaient certainement décidé de poursuivre leurs cibles. Derniers vestiges de leur présence, les hurlements finaux des brigands, ainsi que de possibles bruits de mastications, l’informèrent que les gus n’avaient pas survécu, et que les bestioles se trouvaient désormais occupées pendant quelques minutes au moins.

Bien que toute forme hostile eût ainsi disparu, ils ne bougèrent pas pendant un petit moment, recouvrant lentement mais sûrement de leurs émotions. Ce monde d’outre-tombe s’anima de ces mêmes sons qu’auparavant, de l’eau qui gouttait, de ces rongeurs qui couinaient et qui se faufilaient entre deux tas conglutineux, tandis qu’eux deux demeuraient stoïques.

La sorcière lui souffla alors une phrase, qui sonna étrangement aux oreilles de l’Esbigneur. C’était comme une supplication éperdue, plus encore que les revendications belliqueuses dont elle avait coutume de lâcher, et cela lui fit tout drôle. Le contrebandier voyait sa raison partagée entre deux sentiments ; celui de l’enfoncer toujours davantage, de jouer les airs bravaches, de lui rappeler que, forcément, une femme n’avait rien à foutre ici, et que c’avait été chercher la merde, comme il l’avait déjà pensé, que d’avoir voulu pénétrer dans son royaume. Et puis, de l’autre côté, il se trouva partroublé de la voir ainsi dans un état temporaire de grande faiblesse, alors qu’elle n’avait eu de cesse que de lui tenir réplique tout au long de leur trajet. Elle avait fait la fière et s’en était rudement bien sorti, contrairement à nombre d’autres bonnes femmes qu’il avait déjà rencontrées, et la découvrir ainsi abattue le mettait en vérité dans une position délicate. En fait, il se sentait presque honteux de la voir comme cela, comme s’il assistait à un spectacle interdit que jamais ses yeux n’auraient dû apercevoir, et si ce n’avait été l’épuisement aussi sensoriel que mental de sa partenaire, il en était certain, elle l’aurait descendu sur place pour en avoir été témoin.

Il ne pouvait deviner les agissements prochains de la jeune femme, surtout en réaction des siens, mais prit le parti de ne pas l’enfoncer plus encore, ce qui l’étonna lui-même. Au contraire, il se fendit de petites remarques qui se voulaient réconfortantes, ce qui lui faisait perdre toute confiance en lui, tout air assuré, et lui procurait un certain côté gauche, maladroit.

« Eh, eh, Elisabeth, reprends-toi, putain. C’est gênant tout ça ; c’est pas toi. On va se barrer d’ici, bientôt, je t’en fais la promesse, lui fit-il en la prenant par les épaules et en la secouant doucement, tout en la regardant bien en face. Allez, viens par là. »

Citation :

Je me suis arrêté là parce que le post est déjà pas mal conséquent. Toutefois, il n’y a pas grande suite vis-à-vis de là où tu t’es toi-même arrêtée, bien qu’il puisse y avoir quelques éléments çà et là susceptibles de te faire réagir, à voir. A moins que ton personnage soit si affecté, là, qu’elle s’en foute royal, ou qu’elle ne soit plus en état de faire montre de répondant. Si fait, si jamais tu veux que je poursuivre, dis-le-moi, pas de souci !
Sinon, au pire, tu fais une petite réponse ; free xp :mrgreen:
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyJeu 13 Oct 2016 - 19:45
Toute à ses observations et à son acharnement à ne faire aucun bruit, la jeune femme d’abord indignée par le geste de l’Esbigneur avait fini par ne plus y prêter attention. Qu’il lui tripote donc les fesses, si cela pouvait détourner les fangeux vers d’autres horizons, elle était prête à se laisser faire avec le sourire ! Mais il y avait fort à parier que ni elle, ni Marwen ne se sentait très en sécurité et avec l’envie de badiner. Elle était d’ailleurs si focalisée sur le visage en décomposition qui s’était brièvement tourné vers eux que son esprit fit passer en tâche secondaire le geste de son guide pour éviter d’éternuer. Peut-être que si elle n’avait pas été aussi déterminée à conserver sa fierté et si apeurée à l’idée qu’un geste puisse les trahir, elle se serait d’elle-même recroquevillée contre la seule présence rassurante des environs, comme une enfant qui cherche à se rassurer dans les bras de ses parents après un cauchemar. Mais Marwen n’était pas quelqu’un en qui elle pouvait placer sa confiance pour être rassurée et elle n’était plus une enfant. Elle s’était donc contenté de le prier à voix basse de l’emmener loin de cette fosse à purin.

Et aussi fou que cela puisse paraître, il le lui promit sans ironie.
La pression sur ses épaules et la voix belle et bien humaine tout près d’elle sortirent la jeune femme de sa tétanie et elle reprit doucement pied. Ça ne servait à rien de rester là à trembler comme une feuille, il fallait avancer et même le faire assez vite avant que les horreurs ambulantes ne décident de faire demi-tour. De plus, il avait raison : c’était gênant. Elle s’en voulu immédiatement d’avoir cédé de cette façon devant lui, ce n’était pas son rôle de la tranquilliser, il ne devait que la guider.
Liz hocha alors la tête, mettant assez de conviction dans son regard pour laisser croire qu’à aucun moment elle n’avait flanché. S’il lui faisait la faveur de ne pas relever son attitude, elle ne lui donnerait pas plus de prise auxquelles s’accrocher pour la moquer. Un bref instant elle hésita à le remercier, mais ne parvint pas à formuler de phrase qui lui convienne, aussi se contenta-t-elle d’esquisser un microscopique sourire en coin de gratitude avant de revenir à leur préoccupation principale : la fuite.

Se secouant un peu les puces intérieurement, elle jeta un coup d’œil dans la conduite pour être certaine qu’ils étaient de nouveau seuls et au prix de quelques efforts et torsions musculaires, l’apothicaire s’extirpa de la minuscule cavité où ils étaient parvenus, par un miracle d’Anür, à se terrer à deux. Son dos lui faisait mal, certainement éraflé à plusieurs endroits par la pierre rugueuse et elle ne doutait pas de trouver de nouveaux bleus sur son corps le lendemain. Cette putain d’expédition commençait à lui courir sur le haricot et elle se promit de se passer les nerfs sur le domestique qui viendrait leur ouvrir la porte de l’arrière-cour. Sur ses gardes à l’extrême, elle scruta le bout du conduit d’où ils étaient venus et laissa Marwen ramasser son sac avant de reprendre la route, surveillant chacun de ses pas pour rester le plus silencieuse possible tout en évitant les trous d’eau croupie. Pourquoi tenait-il tant à le garder avec lui, ce sac de bure ? Est-ce que cela n’aurait pas été plus simple de le poser dans un coin pour le récupérer plus tard ? Il ne devait pas y avoir foule dans ces tunnels, pas de risques de se faire voler ses affaires.

Le souvenir des mains plaquées sur ses fesses, l’attirant plus qu’elle ne le voulait contre l’Esbigneur lui revint en mémoire avec d’autant plus de force qu’elle s’était appliqué à l’écarter au moment où c’était arrivé. Profitant de marcher non loin de lui, elle lui pinça férocement le bras en guise de représailles et le houspilla à voix basse. Une bonne façon également de lui dire qu’elle allait mieux et qu’ils pouvaient reprendre leurs querelles. Elle ne flancherait plus.

« Toi ! Ça t’excite de frayer avec les fangeux ? T’as un sérieux problème si ça te fout la trique de voir ces bestioles ! »

Béni soit la pénombre qui masquait le rouge honteux qui lui empourprait le visage. Elle pouvait s’estimer heureuse d’avoir à faire à un gaillard pas trop mal fait de sa personne, pour une fois. À défaut d’avoir comme compagnon d’infortune un beau et charmant chevalier, elle avait au moins une canaille à l’allure pas si désagréable. Malheureusement pour lui, ça ne l’aiderait pas à trouver grâce aux yeux de l’alchimiste.

« Tu dois vraiment te sentir seul pour profiter d’une sorcière aussi mal roulée que tu le dis. »
ajouta-t-elle avec un air narquois.
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyVen 14 Oct 2016 - 3:36
La sorcière, actuellement, faisait peine à voir, tant et si bien qu’elle offrait presque un spectacle douloureux que Marwen avait dû mal à gérer. Lui se battait royalement les couilles des sagouins avec qui il pouvait bien frayer, et, étant généralement dénué de toute empathie, ne prêtait que trop rarement attention aux romancines des uns et aux craintes des autres. Alors, dès lors qu’il fallait trouver les mots justes pour remettre une accointance dans le droit chemin, l’on eût été bien sot de compter sur le contrebandier, et il s’avérait bien plus sage de se tourner vers une tierce personne. Toutefois, dans cette situation actuelle, ils n’étaient que tous les deux, et si Marwen ne donnait pas un peu du sien pour encourager Elisabeth, alors les chances qu’elle y restât, avec la fange non loin, s’accroissaient violemment. Et l’Esbigneur tentait de s’en persuader, de se trouver des excuses ; abandonner ainsi ce fameux contrat en refusant de proférer des promesses et des mots rassurants demeurait franchement débile.

Aussi s’était-il fendu de ces quelques paroles à l’attention de la jeune femme, ce qui avait été assez, semblait-il, pour la ramener à la réalité, pour l’opiniâtrer dans son envie de continuer ce charmant voyage et de tout simplement survivre. Une sous-race de philosophe ou un autre grokon de bien-pensant aurait affirmé que ce maigre sourire revitalisant sur les lèvres de la sorcière valait tout l’or du monde, Marwen en était persuadé. Il les emmerdait bien profond.

Après qu’elle se fût extirpée de sa cachette, et que leurs muscles réussirent à répondre à l’appel de leur esprit, tout ankylosés qu’ils avaient été, ils s’apprêtèrent à reprendre la marche. Toutefois, les pensées d’Elisabeth concordaient à celles de l’Esbigneur, quand bien même n'en avait-il pas conscience ; il avait bel et bien décidé de se séparer du sac, sachant pertinemment qu’il se verrait tôt ou tard contraint de le faire avec la suite du parcours. Le choix de l’emplacement secret fut évident ; cette même anfractuosité dans laquelle ils s’étaient terrés l’un contre l’autre, attendant que passât la tempête. Se saisissant du sac de bure, Marwen alla le fourrer du mieux qu’il le put dans la crevasse rocheuse.

« Vu l’instant de bonheur que l'on a connu céans même, que ma mémoire ne pourra jamais effacer, je risque pas de l’oublier. J’irai le reprendre plus tard, il devrait être en sécurité, là », expliqua-t-il à voix basse. Petit sourire, comme toujours, bien que très discret comparé à celui qu’il avait l’habitude d’exhiber. L’humour n’était pas forcément représentatif de l’ambiance, en ce moment même, et Marwen préférait cibler sa plaisanterie sur eux deux, de concert, plutôt que de viser délibérément et gratuitement la fierté effritée de sa partenaire. Peut-être aurait-il pu se le permettre, en vérité.

Car pas plus tard que quelques instants après, alors qu’ils avaient repris leur marche, dans cette éternelle précaution de l’endroit où ils posaient le pied, l’on s’attaqua avec une certaine violence au bras de Marwen, qui manqua tout juste de sursauter.

« Put… »

Elisabeth s’était soudainement précipitée à sa rencontre que pour mieux le pincer, et il ne comprit aucunement l’objet de cette étrange plaisanterie avant qu’elle ne s’expliquât pour de bon. Ah, c’était donc cela ! Elle lui en voulait, dix minutes après la guerre, pour le geste, certes déplacé, qu’il avait eu à son encontre. En tout cas, elle avait sacrément repris du poil de la bête pour le brimer de la sorte. Et la voilà qui l’accusait de nourrir des pensées malsaines, tout excité qu’il pouvait être en assistant à quelque carnage que ce fût.

« Ah ouais ? Eh bien vu comment on était tout proches à danser la valse, si j’avais bandé pour de bon, je te garantis que tu l’aurais senti passer, chérie. »

C’était assurément la pire réplique dont il pouvait se fendre, grasse à l’envie, rustre comme jamais, de celle qu’aurait assénée un vieux connard des tavernes en pelotant une soubrette. Mais il s’en foutait royalement, là, pour le coup. D’ailleurs, il se pouvait que, de temps à autre, il se situât dans le lot, mais davantage pour l’envie d’offusquer son public -surtout féminin-, que par véritable souci d’appartenance à cette catégorie. Choquer les gens, ça avait un certain côté amusant. Toutefois, si jamais la sorcière s’était bigrement énervée en lui rappelant son fait, la voilà qui préféra opter pour la simple moquerie lors de sa réplique suivante. Il devait bien être seul pour se retrancher sur elle, toussa-toussa.

« Je pensais que tu avais commencé à apprendre à me connaître ; n’importe quelle donzelle aurait très bien fait l’affaire. C’est juste que c’était toi, là, au mauvais moment », mentit-il effrontément, comme s’il souhaitait définitivement que la sorcière gardât une mauvaise opinion de lui plutôt qu’elle se fît des idées. Il haussa des épaules, l’air de rien, continuant sa route, avant d’ajouter, dans une demi-vérité, une moitié de confession :

« T’sais, je ne vais pas m’excuser pour ça. Y’a plus rien de nos jours, tu sais jamais de quoi est fait le lendemain, si t’auras la chance de vivre un nouveau lever de soleil, et encore, s’il ne pleut pas cette pisse que l’on reçoit continuellement sur la tronche. Même plus de quoi profiter de cette singerie existence, rien pour grappiller le moindre petit éclat de vie, la miette de plaisir. Tu sais, je crois que l’on va tous crever, tôt ou tard. Qu’il n’y a plus d’espoir pour l’humanité. Alors je prends ce que je peux prendre. Même si ça a été tes petites fesses, t’as vu, sans même te demander ton avis. Mais bon, vu les circonstances, je ne pouvais pas trop. Tiens, on entre dans le quartier du Temple. »

Les mains désormais libérées de son sac de bure -mais aussi de certaines formes, Marwen avait la sensation d’avancer un peu plus rapidement, mais le fait d’avoir ainsi rencontré les fangeux y était assurément pour quelque chose. Au début, rien ne changea dans cet univers opaque et confus. Toujours un long boyau punais, rendu trouble par ce brouillard qui vous asphyxiait de son épaisseur à couper au couteau, puis, au fur et à mesure de leur avancée, le décor évolua quelque peu.

« Tu vois, c’est de ça que je te parlais tout à l’heure, juste avant les fangeux. »

Marwen ne savait pas si sa compagne avait véritablement envie de passer du temps à observer le spectacle, mais vu qu’elle était là, et qu’il ne connaissait pas grand monde s’étant ainsi aventuré dans ces profondeurs, il prit le parti, au moins, de lui désigner ce que pouvaient offrir les égouts.
Le corps caverneux s’était subitement agrandi, et leurs regards embrassaient la vastitude d’un véritable tableau séculaire. Premièrement, la nature avait repris ses droits sur la déliquescence humaine, et l’air s’en trouvait soudainement moins pollué. L’on voyait désormais bien plus loin, les yeux couvraient bien davantage de surface, pouvant caresser un plafond nettement plus élevé où se dessinaient des motifs géométriques et des clefs de voûte sculptés de la main de l’homme. Derrière des rideaux de lierre, qui descendaient en cascade dans les eaux troubles, se découvraient des statues et des arabesques gracieuses, vestiges d’une passée, que les outrages du temps n’avaient pourtant su épargner. C’était comme une véritable cathédrale oubliée par les vivants et les mémoires, que les éboulements et leurs gravats avaient façonnée d’une manière nouvelle. Plus encore, et contrairement aux tunnels qu’avaient empruntés Marwen et Elisabeth, une certaine luminosité régnait dans cette grande salle caverneuse, où la réverbération des torches sur l’eau, ainsi que nombre de champignons phosphorescents, dessinait sur les parois verdâtres ces infinies petites vaguelettes. Un lieu sacré, baigné d’une atmosphère immobile, qui dégageait un sentiment d’éternité.

« J’ai jamais compris ce que c’était avant, ça. Faudrait demander aux gus du Temple. Peut-être savent-ils, peut-être que ça a été perdu de mémoire d’hommes, et que tout cela appartient à une civilisation antique. Mais faut avouer que c’est sacrément beau, quand même. »

Ils passèrent sous une série d’arches en ruine qui faîtaient des colonnes blanches et parfois décapitées, avant de s’enfoncer dans un réseau beaucoup plus étroit, dissimulé derrière un amas de fougères et de branchages, que pour mieux parvenir à une chaîne suspendue. En levant les yeux, l’on pouvait apercevoir que cette dernière n’était aucunement accrochée au plafond, mais qu’un trou avait été découpé dans la voûte. Si fait, ladite chaîne permettait d’accéder à un second boyau, plus en hauteur, à environ une douzaine de pieds.

« Ouais, va falloir faire un peu de sport. C’est bien pour ça que je suis content que t’aies réparé mon bras. Par contre… »

Une nouvelle fois, il la dévisagea de bas en haut, et afficha une expression perplexe.

« Une fois de plus, t’as pas l’air très fourni, sorcière. Je suis pas vraiment confiant dans tes capacités à monter à la corde, enfin, à la chaîne, mais si tu peux me prouver le contraire… »

Il se fendit d’un sourire narquois.

« Les femmes d’abord, comme on dit. Laisse-moi admirer le spectacle. Mais s’il faut, je pourrais bien t’aider en te poussant, au pire », termina-t-il en appuyant bien son regard sur la partie pas très roulée d’Elisabeth.
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyVen 14 Oct 2016 - 20:53
Défense un peu faiblarde, elle s’était attendu à mieux. Mais peut-être qu’il fallait mettre ce manque d’imagination sur le compte d’une frayeur plus intense qu’elle ne l’avait pensé ? Trop occupée à se soucier du spectacle macabre de la course-poursuite à l’issue certaine, elle n’avait pas du tout prêté attention à Marwen et ne savait pas s’il avait été inquiet ou s’il avait gardé son habituelle air de fanfaron goguenard. Elle se souvenait vaguement qu’il l’avait serré, elle avait senti la pression dans le creux de son dos, et qu’il avait fourré son nez dans son cou, mais elle ne s’était pas attardé sur la question. Étant donné qu’il avait semblé plus intéressé par le badinage que la survie à ce moment-là, il était logique de penser qu’il avait certainement cherché à pousser le bouchon encore plus loin. Mais dans sa grande bonté, l’apothicaire lui laissait le bénéfice du doute et elle se contenta de hausser les sourcils avec un sourire moqueur en soufflant un « mais bien sûr, suis-je bête… ». Le coup du je-me-rabat-sur-la-première-qui-passe, c’était tellement éventé que même les adolescents ne l’utilisaient plus.

La demoiselle se serait contenté de la pique mollassonne qu’il lui servait, sans même se sentir obligée de lui répondre tant la prise était d’un bas niveau en comparaison avec ce qu’il lui avait montré tantôt, mais elle écouta avec curiosité son explication suivante.
Une vision plutôt désillusionnée du monde… Cela dit, il n’avait pas complètement tort non plus. Si avant la plupart des habitants, ou plus simplement la plupart des humains, envisageait l’avenir avec une certaine confiance pour peu qu’ils aient des descendants et quelques activités rentables, la donne avait désormais changé. Fonder une famille, avoir un commerce florissant, posséder des biens et des terres, et même avoir une renommée et un titre, plus rien de tout cela n’assurait le bonheur ou la pérennité d’un nom. La fange avait déjà fait une incursion dans les murailles pourtant réputées impénétrables et aucune terre en dehors de Traquemont ou peut-être le Labret n’appartenait plus à l’humanité. Que pouvait-on encore espérer de ce monde ? Certains tentaient dès lors de profiter du moindre petit plaisir, quitte à l’arracher par la force parfois, d’autres s’accrochaient à un système qui ne fonctionnaient plus mais l’illusion était rassurante.

Sans être tout à fait aussi défaitiste que l’Esbigneur, Elisabeth ne se faisait pas trop d’idées : les chances pour qu’elle fasse un bon mariage et puisse élever ses enfants en espérant que l’un d’eux reprenne la boutique étaient très minces. Le bonheur ne s’acquérait plus de la même façon à présent et il n’avait plus le même éclat. Ou plutôt, il en avait un différent. Après tout, une journée de plus sans mourir de faim et avec un toit au-dessus de la tête qui prémunisse des fangeux, c’était déjà plus de bonheur que ce que beaucoup ne pouvaient espérer. Elle n’allait pas jusqu’à profiter de la première belle gueule venue, sa condition de femme l’obligeant à faire entrer dans le calcul beaucoup trop de complications pour pouvoir profiter aussi sereinement que Marwen d’une rencontre fortuite et sans lendemain. Parce que crever à cause d’un fangeux c’était moche, mais mourir d’épuisement en couche à cause d’un moment de faiblesse face à un baratineur, c’était aussi peu enviable !

Elisabeth se garda donc de répliquer et s’intéressa plutôt aux changements que lui désignait son guide. Le plafond s’éloigna d’eux, ainsi que les murs et il parvinrent dans ce qui aurait pu ressembler à un antique temple de la Trinité. Et contre toute attention, malgré la frayeur récente, la menace latente et l’heure tardive, la jeune femme fut émerveillée de découvrir quel trésor caché pouvait receler la ville. Comme le disait Marwen, le décor faisait penser à une antique cité oubliée que les égouts auraient en partie noyé pour la cacher aux visiteurs indiscrets.
Attardant son regard sur la voûte lointaine éclairée par d’étranges fungus luminescents, elle en vint même à attraper un bout de manche de son guide pour pouvoir continuer à avancer sans tomber tout en ayant le nez en l’air. Certains motifs lui rappelaient des souvenirs, sans qu’elle parvienne à mettre le doigt dessus. La rumeur qu’on avait découvert un très ancien temple de Serus circulait en ville depuis quelques semaines alors était-il si improbable de penser que cet endroit pouvait être un sanctuaire abandonné ? Peut-être qu’en cherchant il était possible de trouver des traces d’un culte ou une représentation d’une des trois divinités.

« Les catacombes serpentent sous le temple. Peut-être que c’est une partie oubliée ? »

Sa remarque ne trouva pas de réponse mais elle ne s’en formalisa pas, soudain très intriguée par la mousse phosphorescente qui courait le long de la paroi non loin. Quittant le giron de l’Esbigneur quelques instants, elle prit le temps de récolter un peu de cette drôle de plante pour la mettre dans une bourse vide qu’elle gardait toujours sur elle. Peut-être qu’elle pourrait faire quelque chose de ce nouvel ingrédient ? S’il s’avérait utile alors elle avait ici-bas un filon à exploiter que personne n’avait encore flairé. Et avec le concours de son étrange associer, cela pouvait se révéler profitable pour deux. Après tout elle n’était pas si ingrate que cela.

Rejoignant au petit trot le gaillard qui avait tracé sa route plus avant, Liz découvrit le nouvel obstacle sur leur route. Décidément, cette livraison était tout sauf une partie de plaisir ! À l’avenir elle ferait payer le double s’il fallait passer par des chemins de traverse aussi dangereux.
Marwen se fendit de quelques répliques cinglantes, visiblement remit de son choc, lui aussi. Sa comparse se contenta de lui passer sous le nez avec un air exagérément altier et un sourire, nullement impressionnée par le défi qu’il lui proposait, semblait-il. Et cette fois, sa confiance n’était pas feinte : Elisabeth avait toujours été douée, Serus seul sait comment, pour escalader ou se faufiler dans les endroits les plus inaccessibles. Une compétence innée qu’elle mit très à profit dans son enfance pour se soustraire à l’autorité des adultes et qu’elle conserva intact grâce à de régulières expéditions hors de la ville en quête d’éléments alchimiques difficile à atteindre. Mais lorsqu’il s’agissait de se hisser en haut d’un arbre pour aller dégoter des œufs ou des bourgeons, personne en ville ne lui arrivait à la cheville. Il fallait bien qu’elle soit bonne à autre chose qu’à râler, non ?

« Et bien je t’en prie, admire. »

La chaîne était humide, glissante, et des algues s’étaient développées entre les maillons, mais elle était également épaisse et lourde, permettant aux mains agiles de la fluette demoiselle de trouver des prises facilement. Enroulant sans faire de manières le bas de la chaine autour de sa jambe avant de la coincer entre ses pieds, Elisabeth se mit à grimper sans mal, sa cape rabattue sur ses épaules. Ses doigts accrochaient les maillons sans prendre de pause et elle tenait la chaîne fermement entre ses semelles pour se hisser avec plus de facilité.

En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, elle passa par l’ouverture dans le plafond et déboucha dans une conduite très étroite où elle ne pouvait pas tenir debout malgré sa petite taille. Se balançant un peu pour atteindre le bord effrité du trou, elle grimaça en entendant la chaîne cliqueter avec beaucoup trop de force à son goût et se mit en sécurité d’un côté de la conduite.
Après avoir lâché la chaîne, elle se pencha au-dessus du vide pour essayer de distinguer Marwen et lui adressa un signe de la main pour attester qu’il pouvait grimper, qu’il n’y avait rien à signaler.

En attendant que l’Esbigneur la rejoigne, elle scruta aux alentours : le sol de cette conduite était presque sec, à l’exception de l’humidité générale des égouts et l’air était beaucoup plus respirable ici. La chaîne avait été solidement attachée pour éviter une chute mortelle aux gredins qui empruntaient cette voie. Un bruit étouffé de goutte-à-goutte résonnait au loin de façon assez peu engageante, mais au moins les chances de croiser des fangeux devaient être proches de zéros. Les rats, en revanche…
Sans présenter sa main au grimpeur, sachant très bien qu’elle ne lui serait d’aucune utilité, Liz lui fit cependant de la place pour qu’il puisse insérer sa grande carcasse dans ce nouveau tunnel bas de plafond.

« J’espère que tu t’es bien rincé l’œil. Maintenant, tu ferais de moi la femme la plus heureuse de Marbrume si tu m’annonçais que ce chemin n’est pas celui qu’on prendra au retour… Mais comme je doute que tu veuilles mon bonheur, je me fais pas trop d’illusions. Est-ce que c’est encore loin ? »
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyVen 14 Oct 2016 - 22:31
« Des catacombes ? C’est bien possible, lui avait-il renchéri alors qu’ils se trouvaient entre les ruines antiques. Jusque-là, je n’ai effectué qu’un repérage bien sommaire, d’autant plus que, tu l’auras constaté, il faut pas mal de temps pour s’y rendre, à moins, peut-être, de passer par le Temple lui-même. Mais bon, je n’y ai pas accès. Si tu connais quelqu’un, hein… Parce que je projette d’y faire une escapade un jour ou l’autre ; il doit assurément y avoir des trésors à pouvoir revendre, ça, de quoi arrondir les fins de mois. »

Mais de retour dans ce petit boyau à la chaîne, là, Marwen ne savait pas trop ce qu’il devait penser de tout cela ; devait-il être quelque peu déçu que la jeune femme se montrât à l’aise dans cette épreuve, ce qui l’empêchait de la tancer davantage, ou bien devait-il au contraire s’en estimer heureux, n’ayant pas à produire le moindre effort dans la visée de l’aider ? Car plutôt que de rechigner à la tâche, la sorcière s’affubla d’un petit sourire hautain, satisfait, tout en se fendant d’une rodomontade. Alors, oui, l’Esbigneur l’observa bel et bien, curieux de cette soudaine assurance. Eh bien, elle grimpa, et avec une certaine facilité, sans requérir à une autre aide extérieure que la technique qu’elle détenait présentement. Elisabeth savait faire usage de ses jambes et de ses pieds comme de ses mains, et se hissa à la force de tout son corps, gravissant pied par pied cette chaîne suspendue. Bientôt, elle se balança légèrement pour sauter sur le rebord du trou.

« Il y en a qui se défoncent la gueule avec des champignons ou je sais pas quelle autre connerie. Je suis sûr, tu fais pareil avec tes poudres, là, sauf que ça produit sensiblement pas le même effet, sorcière. T’es pas normale. »

Maugréant dans sa barbe après avoir haussé les épaules par pur fatalisme, ne remarquant pas le signe qu’elle lui adressait, Marwen s’engagea à son tour sur la chaîne sans même y prêter attention. Torche dans la bouche, les sourcils froncés, et l’air encore perplexe de la facilité avec laquelle sa partenaire s’était affranchie de cette épreuve, il grimpa le tout en usant de la même technique qu’il connaissait également ; il n'en existait pas de meilleure. Créant un semblant de nœud avec les maillons, il appuya ses pieds dessus pour se hisser plus haut, complétant l’effort d’une traction des bras. Reproduisant à l’envi le mouvement, le contrebandier rejoignit bien assez tôt Elisabeth.

S’en suivit alors une petite discussion sur le déroulement prochain des opérations, et Marwen esquissa l’ombre d’un sourire ; il avait justement prévu de lui en parler. Somme toute, et cela demeurait compréhensible, la sorcière désirait que trop ardemment en avoir terminé avec ce sacré voyage, mais la simple idée d’effectuer tout le trajet inverse lui minait d’avance le moral.

« Quoi, déjà fatiguée ? Pas très endurant, le moustique, crédieu ! Mais bon, j’ai remarqué un truc, pour t’encourager ; suffit de parler de ton cul. Tu passes de l’anémie générale au stade « tout va bien j’te rentre dans le lard et je te monte les chaînes en deux secondes. » J’aborderai de nouveau le sujet et tu seras aussitôt capable de battre un fangeux au cent mètres, je n’en ai jamais douté. Viens, c’est par là, et c’est bien moins dangereux, là. »

Il lui désigna la voie à suivre et, se penchant légèrement en avant pour ne pas se manger le plafond, se mit à avancer. Ce dernier, toutefois, ne tarda pas à prendre de la hauteur comme les murs s’écartaient doucement, et ils purent bientôt cheminer à deux, de front.

« Mais j’y ai pensé, ouais. Ça dépend de ce que tu comptes faire, parce que, de manière évidente, nous n’avons rien qui nous permette de circuler librement dans l’Esplanade. Ne t’en offusque pas, sorcière, mais, tout comme moi, t’as vraiment pas l’air d’une noble, là, dans pareilles afféteries. Dommage, d’ailleurs, car avec une vêture séante, l’on n’y voit que du feu, me concernant. Donc bon, j’y reviens, à moins que ton client ne possède une planque ou je ne sais pas quoi, faudra bel et bien se tirer de là. Si jamais tu souhaites rentrer sur le sud de Marbrume, eh bien, dans le mille, faudra se retaper tout le trajet en sens inverse. Après, pour plus ou moins chaque quartier, tu as un chemin différent, voire plusieurs. C’est juste que là où l’on s’est rencontrés, l’on était déjà bien dans les profondeurs du réseau souterrain. Sinon sinon…, continua-t-il en pourpensant, il y a encore plus simple. On s’est tapé tout ça pour échapper au couvre-feu. Ben suffit d’attendre que le jour se lève -je connais quelques endroits, si t’es pas trop pressée, puis l’on sort de l’Esplanade par le chemin le plus court, pour arriver dans le premier quartier, que ce soit le Temple, le Bourg-Levant, ou la Hanse, et puis tu te tapes toute la route à pied, dans les rues. Pour ça, je ne pense pas me tromper, mais t’auras pas besoin de moi. Tiens, ça y est, on vient de passer sous l’Esplanade, là. »

Le goulot s’était soudainement étranglé sur lui-même, et pour qui avait les sens en éveil, l’on pressentait une altération dans l’air.

« Tu sens ? »

C’était comme si tout un pan de montagne menaçait de vous tomber sur la tête, et vos oreilles bourdonnaient soudainement d’une pression bien plus imposante. Les parois se consolidaient d’échafaudages en bois et de charpentes, ce qui laissait encore moins de place disponible et accentuait cette sensation de confinement. La terre elle-même, qui les entourait, paraissait bien plus dense qu’auparavant, et le sol exhibait comme des éclats gris de granit, jadis marqués par de violents coups de pioche.

« L’on est juste sous le Rempart Intérieur, là. J’étais pas là quand ils ont construit ce boyau, mais l’on m’a raconté qu’ils en avaient chié pour le percer, celui-ci. Comme partout dans l’Esplanade, en fait. Je m’y connais pas trop en caillou, mais paraît que c’est à cause de la falaise. Il y a beaucoup moins de terre, et l’on attaque beaucoup plus la roche elle-même. Bon, sinon, une question importante, là. Je sais pas si tu souhaites véritablement conserver l’identité secrète de ton client, mais il me faut connaître où il crèche. C’est de quel côté de l’Esplanade ? »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptySam 15 Oct 2016 - 0:37
Elle se retint à grand peine de ne pas le pousser dans le trou pour le faire redescendre.

« Continue à parler de mon cul et tu ne pourras plus utiliser le tien bien longtemps… Tu l’ouvrais pas beaucoup non plus, tout à l’heure, à te planquer comme un chiard dans mes jupons. »

Voilà, il redevenait fatiguant.
Sans compter qu’il se mit à ergoter sur le pourquoi du comment il faudrait faire pour sortir d’ici et que peut-être comme ci et que peut-être comme ça… C’était du babillage inutile de bonne-femme et Elisabeth se rappela toutes les fois où on lui avait fait remarqué que les femmes parlaient trop. Si c’était le cas alors elle avait à faire à la commère la plus bavarde de Marbrume en plus d’être la plus moche.

Cependant, elle retint qu’il était possible d’attendre jusqu’au matin. Cette solution sonnait particulièrement douce à ses oreilles car elle signifiait de se rouler dans un endroit sécurisé en attendant l’aube pour pouvoir retourner chez elle à pieds. Et c’était possiblement celle qui lui ferait perdre le moins d’heures de sommeil en plus de lui permettre d’éviter de se faire dévorer vivante par un fangeux.
Le mauvais côté des choses c’était qu’elle devrait rester en compagnie de Marwen. Ou du moins lui faire assez confiance pour aller dans une planque qu’il connaissait et possiblement s’endormir non loin de ce type qui se faisait tout de même surnommer l’Esbigneur. L’idée de se faire voler sa fortune et ses affaires ne l’enchantait pas plus que ça.

Toute à son dilemme intérieur, elle ne remarqua qu’au dernier moment le changement dans le boyau de pierre. Finalement, ils n’étaient plus du tout dans les égouts et ça, c’était une très bonne nouvelle.

« Autant j’ai de gros doutes quant au fait que tu puisses te faire passer pour un noble avec ta sale trogne balafrée, autant je veux bien te croire sur parole quand tu me débites des anecdotes de contremaître. Est-ce qu’on ne pourrait pas tout simplement prendre la sortie la plus proche et poursuivre dans les rues ? On aurait de l’air frais, la place de marcher sans se cogner la tête au plafond et sans fangeux pour pimenter le voyage. Sans compter que je pourrais enfin me repérer correctement. »

Ramper dans la boue des souterrains lui minait le moral et la patience. Elle avait besoin d’air et d’espace, nom d’un chien ! Plus jamais, elle se le jurait, plus jamais elle ne ferait de livraison. Que ses clients méticuleux aillent se faire pendre, ils feraient comme tous les autres et enverraient leurs employés de maison à leur place en journée, point.

« Mais si tu tiens tant que ça à rester dans ta taupinière, alors sache qu’on doit livrer dans le sud, pas très loin de l’enceinte justement. Non loin de cette grande demeure à colombage avec les fleurs jaunes aux fenêtres. Oh et encore un petit détail avant qu’on ne remonte. »

Liz se mit bien face à son guide pour le regarder droit dans les yeux. Elle n’avait pas l’air particulièrement menaçante mais toute trace d’ironie ou de moquerie avait quitté son visage. Quand il s’agissait de parler affaire, et en particulier de ses gains, elle ne plaisantait pas beaucoup.

« On va se présenter à la porte cochère où quelqu’un nous attendra certainement. Toi tu ne parles pas. Tu ne dis rien, tu n’es pas dans le contrat alors tu gardes pour toi tes remarques et tes questions jusqu’à ce qu’on s’en aille, c’est clair ? »

Le problème de tous ces nobliaux pointilleux, c’était que leurs domestiques l’étaient parfois tout autant qu’eux, convaincu d’être les garants d’une certaine image. Parfois ils pouvaient se montrer plus odieux encore que leur maître et Elisabeth ne voulait pas risquer un contrat aussi juteux simplement parce que Marwen se serait fendu d’un bon mot sur son postérieur ou d’une question douteuse à propos de ce qu’il y avait dans la fiole.

« Je veux ta parole que tu tiendras ta maudite langue. Et si tu n’y arrive pas, je peux toujours la piquer avec le même venin que ton bras. Dans le meilleur des cas elle ne pourra plus persifler, dans le pire elle enflera tellement que tu t’étoufferas tout seul, ce qui me débarrasseras de ta charmante personne avant l’aube. Pour ce qui est du retour, on avisera après avoir vu la couleur de notre or, je n'ai pas encore décidé ce qui était le pire entre dormir dans un recoin miteux en ta compagnie et retourner voir les fangeux. Alors ? J'ai ta parole de bon à rien ? »
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Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptySam 15 Oct 2016 - 3:38
Comme quoi, cette petite technique de parler de la partie callipyge de son corps fonctionnait du feu d’Anür, à n’en pas douter, et il ne pouvait qu’exhiber un air satisfait en l’entendant ainsi rager. Il lui aurait bien volontiers répondu, surenchéri, notamment quant à savoir lequel des deux avait le plus conchié dans ses chausses, mais Marwen estimait qu’il n’était plus à cela près, et se contenta de rire aussi ouvertement que grassement.

En revanche, il fronça les sourcils à la simple mention de se balader aussi librement que cela dans les rues de l’Esplanade. Loin des venelles et des coupe-gorges, il pouvait s’agir de véritables allées, longues et larges, où l’on pouvait apercevoir un passant à plusieurs encablures de distance. D’une manière générale, tout était beaucoup plus spacieux, plus aéré, plus illuminé, et les zones d’ombres comme les recoins où se planquer demeuraient relativement rares. Alors certes, la soldatesque s’avérait parfois bien moins regardante sur le couvre-feu, en raison de la noblesse de ceux qu’ils étaient censés protéger, et un sang-bleu assez notable pouvait aller envoyer se faire foutre un militaire, mais il fallait justement appartenir aux plus hautes sphères pour se permettre un pareil comportement. Avec leur vêture humide, déchiquetée, tachée, et qui puait la mauvaise facture, ils n’avaient aucune chance de passer inaperçus, et ce pourrait être pire encore lorsque l’on remarquerait qu’ils n’avaient aucune autorisation spécifique pour circuler déjà de jour dans l’Esplanade. Il soupira, le plus simplement du monde, face à ce qui n’était pour lui qu’un caprice de gamine :

« Non, on peut pas. Enfin, si, ce serait possible, mais il nous faudrait nous changer et obtenir de faux avis de passage. Ce qui peut se trouver si l’on sait où chercher… Sauf pour toi. J’en ai de nobles atours et un certificatifs, le tout masculin, pour des raisons évidentes, mais rien de féminin. J’ai jamais trop joué à ce genre de jeu auquel l’on se donne tous les deux, là, avec une donzelle. »

L’information suivante fut plus intéressante, car elle concernait le lieu de rendez-vous. Et là, Marwen crut qu’il allait exploser. Il resta interdit, clignant bêtement des yeux, ne sachant que dire sur le coup, ce qui laissa tout le temps à la bonne femme de se placer bien droitement devant lui pour lui faire la morale. Il fallait donc qu’il la ferme pour de bon lorsque serait venu le moment de parler affaires, de ne rien dire, de ne faire aucun geste, et, sans doute, d’acquiescer à tout ce lui demanderait de faire la sorcière.

« Pardon ? Tu te fous de moi, là. D’où ça, il faut aller au sud de l’Esplanade ? Putain, mais on est parti pour le nord, là ! Qui t’a refilé ce plan de merde, sérieux ? Cette carte est faite pour aller au nord, au nord, et c’est tout ! Quel est le connard qui t’a renseigné ? Il n’y a rien, là, à proximité, pour se rendre de là où l’on est à l’endroit opposé ! Sans déconner, tu n’aurais pas pu me dire ça plus tôt ? Ça nous aurait évité de se taper tout ça pour que dalle ! C’est comme si on s’était amusés à zigzaguer, là ! Et tout ça, tout ça parce que t’as pas voulu me dire dans l’immédiat, quand on s’est rencontrés, ce que tu foutais là, et ce que tu recherchais. Mademoiselle vouait faire sa précieuse et garder la face, bha putain, tu parles, ouais ! »

Marwen endêvait de se retrouver dans pareille situation, à l’endroit exactement opposé à l’objectif tant convoité. Tout cela parce qu’elle avait préféré jouer les mystérieuses sur ses contrats interlopes, effectués dans la faveur de la nuit. Il avait totalement occulté la mise en garde d’Elisabeth sur la conduite à tenir par la suite, tout simplement parce que, dans l’état des choses, il n’y avait pas de suite possible. De là où ils étaient, ils pouvaient juste se rendre dans le quartier des officiers et à ses bordures, mais guère davantage. S'aventurer plus loin, ainsi, demandait à s’infiltrer dans les allées de L’Esplanade, ce qui s’avérait hautement risqué.

Se prenant la tête dans les mains, soufflant de dépit et d’énervement devant cet échec et ce temps perdu, d’autant plus que cela aurait très bien pu leur coûter la vie, l’Esbigneur se mit à réfléchir aux différentes options qui leur restaient. En fin de compte, il devait l’avouer, leurs perspectives d’avenir s’étaient drôlement amenuisées dès l’instant où la sorcière avait finalement révélé l’endroit de l’abouchement. Et cela le faisait rager, à son tour, pour plusieurs raisons. Premièrement, il ne considérait que ce n’était que de la faute d’Elisabeth s’ils se trouvaient tous les deux sans cette impasse. Deuxièmement, voilà une situation qui lui sucrait à la fois le tiers promis tout autant que les quatre dixièmes des futurs contrats. Et dernièrement, quand bien même ne voudrait-il jamais le confesser, il détestait ainsi être tenu en échec, que ce fût par le destin comme à cause d’une erreur, et ne pas pouvoir proposer d’alternatives à celle qu’il devait guider devenait à ses yeux un aveu de faiblesse, et pas des moindres.

Puis le contrebandier repensa soudainement à l’une de leurs précédentes discussions, et ce fut comme une révélation. Ça… Ça… ! Sans que rien ne vînt annoncer ce soudain changement, il éclata de rire en imaginant une possible scène future. C’était léger, ça soulageait, mais c’était drôlement bon. Et il se marra aussi bien qu’il ne s’était gaussé en réaction des jurons qu’avait poussés Elisabeth à son encontre, après qu’il eût fait mine de la précipiter dans le puits sans fond. Une véritable accalmie, le beau temps pur et soudain après l’orage. Ce fut tout sourire qu’il revint vers sa partenaire.

« Ouais. Ouais, d’accord, ça marche. L’on fait comme ça, je me tairai lorsque sera venu le moment. »

Puis sans rien ajouter, il tourna les talons, continuant sa route dans ce boyau de terre jusqu’à parvenir à sa fin.

« Bon, du coup, ton souhait va être exaucé ; on va quitter ces trous à rats pour marcher à la belle étoile, sous les beaux nuages gris de Marbrume. Sauf que faut justement pas se faire voir. Et puis c’est même pas si on avait l’air correct de loin. On est pire que louche, même dans l’ombre, j’en suis persuadé. Enfin, qu’advienne que pourra, hein ? »

Ils s’extradèrent tous les deux du fin fond d’une cave, dans un de ces passages si exigus, situés derrière un mur si bien rabattu sur l’autre que c’en était devenu un véritable trompe-l’œil. Ils déplacèrent quelques cageots de petits bois, quelques outils rouillés dont personne ne s’était plus servi depuis des lustres, avant de parvenir au derrière d’une grande bâtisse. La contournant, têtes rases, ils s’arrêtent en bordure d’une allée.

Là, contrairement au restant de la capitale, le pavé était droit et régulier, net et bien poli. Les maisons avaient fière allure, dans ce style hésitant entre belles villas et imposants manoirs, et les colombages comme les encorbellements rivalisaient de magnificence avec les balcons et les vastes fenêtres. Plusieurs jardins secrets et parcs verdoyants se confrontaient les uns aux autres, délimités par une série de haies rigoureusement coupées.

« Je m’excuse d’avance pour le jardinier. »

Ni une ni deux, Marwen avait choisi sa route. Plutôt que d’exhiber sa présence au grand jour dans ces allées rectilignes et bien trop larges pour sa convenance, l’Esbigneur, qui préférait trop les endroits confinés, fonça tout droit à travers les haies. Il dut se battre à plusieurs reprises contre tout ce branchage compact qui l’opprima un bon moment, l’entravant de ses rameaux ô combien attachants. Il sortit son ensis, tranchant en large et en travers dans ces myriades de minuscules petites feuilles vertes qui s’effondrèrent alors au sol. Pourtant, en dépit de ce travail grossier mais efficace, sa vêture comme celle d’Elisabeth ne tardèrent pas à s’effilocher de menues déchirures, sans compter que la sève tacha bientôt le tissu. Ils en ressortirent tout verts, peau comme chausses ou gilet, recouverts d’un assemblement aléatoire de brindilles et de feuillage qui s’accrochèrent dans leurs cheveux ou leurs poches.

« Putain de roses de… J’emmerde le romantisme ! » ragea un moment Marwen en piétinant un parterre de ces fleurs après qu’une tige lui eût âprement coupé la main gauche.
« Quoi ? Ouais, je suis un peu à fleur de peau, là. »

La chance leur sourit toutefois ; ils ne croisèrent personne, mais le fait d’emprunter pareil chemin n’y était sûrement pas étranger. Parfois, à défaut de haies, ce furent de hauts murs qui vinrent se dresser devant eux. Et n’en déplût à sa compagne, ils durent s’entre-aider pour de bon, cette fois-ci, pour franchir de concorde cet obstacle. L’Esbigneur, sans se fendre de commentaire cette fois-ci, fit la courte échelle à Elisabeth qui, une fois parvenue en haut du mur, le hissa à son tour en lui tendant la main. Mais les astres ne demeurèrent pas alignés bien longtemps ; en forçant plus que de raison au travers d’une haie, ils débouchèrent non plus sur l’intimité ténébreuse d’un autre jardin, mais bel et bien en pleine rue.

« Eh, vous, là-bas ! Que faites-vous ? Milice intérieure, arrêtez-vous ! »

Une patrouille, tout au bout de la rue, à l’opposé de leur emplacement, arrivait tout droit sur eux après les avoir vus émerger d’une propriété privée.
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptySam 15 Oct 2016 - 18:54
S’attendant plus à une esquive matoise de ces nouvelles conditions qu’à la tête de poisson mort qu’il lui servit, Elisabeth se retrouva pantoise face à la soudaine colère de son vis-à-vis. Mais cela ne dura que le temps qu’elle-même se rebiffe. Ce qui donna lieu à une cacophonie où aucun des deux ne s’écoutait vraiment, se contentant de fustiger l’autre sans réel échange.

« Mais c’est une blague ? Qui m’a foutu un guide aussi incapable ?! Je t’ai dit que cette carte était terminée à la pisse, qu’est-ce que tu ne comprends pas là-dedans ? Tout ce que je te demandais c’était de nous faire sortir de l’autre côté des remparts, pas de nous faire traverser toute l’Esplanade, triple buse ! Mais non ! Mon seigneur l’Esbigneur a préféré fanfaronner et me faire une visite détaillée de la fosse à purin où il vit, plutôt que d’être efficace ! Qu’il est grand et fort et qu’il a la langue bien pendue et l’esprit fin le Roi des égouts ! C’était bien la peine de me les briser menue à jouer les donneurs de leçon si t’es même pas foutu de faire ton boulot ! »

Dans un étrange hasard, elle eut le même genre d’attitude agacée et désespérée que son guide et fit demi-tour sur deux pas levant les bras dans le geste habituel du « je laisse tomber ». Fallait-il être bête à ce point qu’il ne se soit pas un seul instant interrogé sur la qualité de la carte pourtant douteuse. Jamais elle ne lui avait dit de se rendre dans le nord, juste qu’il fallait qu’elle traverse le mur intérieur. Pourquoi diable aller jusque sous les casernes ?

Lorsque Marwen se mit à s’esclaffer, elle crut qu’il avait définitivement perdu la raison. Était-ce la fatigue et les vapeurs toxiques des égouts qui étaient venus à bout de sa toute petite cervelle ou est-ce qu’il avait simplement toujours été un peu cinglé et cela ne se remarquait que maintenant ? Avec méfiance elle le laissa approcher, lui et son sourire rayonnant, promettre qu’il se tiendrait tranquille et repartir dans la direction qu’ils avaient pris, comme si de rien était. Allons bon, quoi encore ? L’Esbigneur lui expliqua alors qu’elle allait être la suite des opérations et ce fut avec un immense soulagement que l’apothicaire accueilli l’idée de retourner en surface. Retrouver le ciel, la lune, l’air frais et des repères connus ! Ici sous terre elle perdait toute notion de distance ou de temps, c’était très perturbant.
Une fois hors de la cave où débouchait le passage souterrain, elle prit le temps d’inspirer plusieurs fois pour purifier ses poumons et savoura le fait d’être à la surface. Elle préférait définitivement naviguer plutôt que de se retrouver enterrée, pourtant elle n’était pas spécialement une fille de la mer.

Leurs pérégrinations continuèrent à travers les jardins et cette fois en silence, ou presque. Mieux valait être discrets, que ce soit pour éviter de réveiller le voisinage ou alerter la milice. Liz profita de s’être hissée sur un mur pour se repérer et elle s’étonna elle-même de reconnaître les environs. Bien que ce ne soit pas son quartier de prédilection, elle savait dans quelle direction ils allaient et où se trouvait la demeure recherchée. C’était bon de ne plus dépendre entièrement de quelqu’un !
Malheureusement, leur bonne fortune prit fin rapidement. La troupe de miliciens qui les interpella se trouvait au bout de la rue, ce qui leur laissait pas mal d’avance. Comme toutes les patrouilles, ils étaient cinq, bien nourrit, bien armés et alertes, équipés de torches, l’arme au poing.

« On dégage ! »

Sans attendre de savoir si Marwen avait compris ou s’il était d’accord, Eli s’élança dans le sens inverse de la patrouille, preste comme un chat de gouttière. Marche ou crève, il fallait se sortir de là et contrairement aux fangeux, elle savait très bien comment faire avec les miliciens. Comparé aux montres sous la ville, ceux-là étaient certes redoutables mais bien moins effrayants.
Filant jusqu’à la première intersection, le bruit des bottes juste derrière elle lui indiquant que Marwen avait fait de même qu’elle, la jeune femme tourna dans la ruelle propre et bien pavée qui s’ouvrait à leur droite, sans ralentir. Si sa mémoire était bonne, en s’engageant par-là ils pourraient perdre assez facilement leurs poursuivants et cela les poussaient vers l’ouest, ce qui ne gênait en rien leur progression vers le quartier voulu. Le plus important lorsqu’on souhaitait échapper à un poursuivant, c’était de sortir de sa zone de recherche rapidement. Les patrouilles de l’Esplanade étaient plus nombreuses qu’en ville et couvraient des pâtés de maisons plus petits, ce qui allait leur faciliter la tâche. Ajouté à cela le fait que la falaise où se trouvait Marbrume avait tendance à monter avant de s’effondrer dans la mer, ce qui voulait dire qu’en allant vers le sud on se retrouvait dans le sens de la pente et ils avaient de bonnes chances de rattraper cette regrettable erreur d’être sortis du mauvais buisson au mauvais moment.

La jeune femme, peut-être plus légère et rapide que son compagnon, menait la marche avec aussi peu d’hésitations qu’il en avait eu lorsqu’ils étaient sous terre. Rue des Aigrettes, venelle des artisans, sente de la Dame… Elle se frayait un chemin tarabiscoté entre les demeures, les hôtels privés et les manoirs citadins qui pourtant ne les éloignait jamais vraiment de leur but final. Les cris de la milice dans leur dos se firent plus distants, l’auréole orangée des torches cessa de hanter leurs pas et finalement l’apothicaire ralentis le pas pour reprendre son souffle. D’un coup d’œil autour d’elle pour être certaine de se repérer avec précision, elle nota qu’ils allaient arriver près d’une petite place ronde où, si sa mémoire était bonne, se trouvait une petite fontaine purement décorative. Mais si cet espace ouvert n’était pas la meilleure cachette du monde, la villa de Cendrelande en revanche pouvait être leur oasis de quiétude le temps que la patrouille se lasse. La voix hachée par son souffle court, elle exposa rapidement l’idée à l’Esbigneur.

« Tu connais la villa Cendrelande ?... Un manoir à deux étages, dans un style très sudiste… elle fait l’angle d’une rue plus loin… Il y a un arbre… Un arbre qui dépasse au-dessus du mur des jardins… On peut s’aider de ça pour passer de l’autre côté… C’est calme, on pourra y attendre un moment que les excités se calment. »

Elle reprit immédiatement, au petit trot, la route pour la fameuse villa et après avoir traversé le plus vite possible la place dites des Pérégrins, ils parvinrent jusqu’à la fameuse villa.
Immense demeure sur deux étages, aux fenêtres en demi-lune et à la façade peinte, c’était la propriété de la famille de Cendrelande, des châtelains réputés pour leur vin et dont les racines familiales se trouvaient beaucoup plus au sud que le Morguestanc. Liée à la famille du Duc depuis des générations, ils avaient leur résidence dans Marbrume depuis très longtemps. Elisabeth ne savait pas si les Cendrelande avaient réussi à survivre au Fléau et si leur demeure était habitée, mais pour l’instant aucune lumière ne filtrait par les fenêtres, tout était calme et le luxuriant jardin derrière le mur d’enceinte de la propriété leur offrirait la protection nécessaire contre les regards d’éventuels noctambules qui se présenterait à une des fenêtres.

Elisabeth trouva sans peine l'arbre tortueux qui étirait ses branches au-dessus de la rue, par-delà le mur.

« T'es peut-être le roi des souterrains, mais ici je sais m'y retrouver comme une grande. On aura qu'à descendre tout droit et revenir vers l'enceinte sud après la place du Fauconnier et ça sera terminé. En attendant que les chiens de garde se fatiguent, il suffit de faire profile bas. Je n'ai pas envie de tomber sur une autre patrouille en caracolant à travers les rues. »

S'aidant du mur pour s'accrocher, ils franchirent l'obstacle de la même façon qu'un peu plus tôt et posèrent les pieds dans les buissons bien taillés du fond du jardin au moment où les voix des miliciens se mirent à résonner de nouveau à leurs oreilles. Visiblement, ils aimaient s'acharner ! D'un autre côté, c'était la milice la plus choyée alors il fallait qu'elle se montre à la hauteur des traitements qu'on lui offrait, sinon c'était direction les bas quartiers ou pire, l'extérieur.
L'apothicaire se trouva rapidement un coin sous un grand magnolia dont les branches touchaient presque le sol et entouré de quelques buissons d'hortensia sans fleurs mais au feuillage dense. Se laissant tomber assise contre le tronc, elle soupira en retirant quelques feuilles de ses cheveux.

« Je vais augmenter les tarifs de mes livraisons, c'est définitif... »
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Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptySam 15 Oct 2016 - 22:35
On dégage, il ne fallait pas le lui dire deux fois ; Marwen était déjà reparti dans l’autre sens, tout juste devancé par Elisabeth. Avec cette patrouille, pas le temps de rigoler ou de chercher un autre moyen de se tirer d’affaire qu’en prenant la fuite, c’eût été jouer là une dangereuse partie où ils auraient assurément été les perdants. Marwen se serait possiblement permis quelques frasques s’il avait été tout seul et déguisé, mais là, avec la sorcière, et sans vêture appropriée, il oubliait bien volontiers toute envie de plaisanterie au profit d’un sauve-qui-peut, dût-on le traiter de couard. Ils détenaient toutefois un avantage certain sur les miliciens ; aucunement encombrés de chapel de fer, de mailles et d’autres hauberts en cuir, ils filaient dans l’air vespéral, courant tout droit d’un pied léger. Pas de grand fourreau qui vous battait frénétiquement la jambe, ni de bouclier dont la pointe se prenait dans le pied lorsque l’enarme ne vous cisaillait pas la main ; très légèrement équipés, ils demeuraient en sus déjà échauffés de toute leur longue traversée dans les égouts de la capitale, là où la soldatesque ne revenait que d’une tranquille balade entre les maisons de l’Esplanade. Cela dit, le mauvais côté de la chose, pour le duo qui s’enfuyait, s’avérait être une fatigue bien plus que naissante. Combien de temps avaient-ils démarré leur périple dans les souterrains ? Marwen n’aurait su le dire, mais entre fangeux, marche, grimper de corde, poison et coups dans la tronche, leurs corps en avaient tant vu de toutes les couleurs qu’ils demandaient un peu de répit. Toutefois, ils n’étaient pas prêts de s’en voir être accordés.

Si fait, leurs bottes battaient le pavé de leurs grandes enjambées, et l’écho de leurs pas se répercutait sur les murs avoisinants. Contrairement aux égouts, l’atmosphère nocturne de l’Esplanade, loin de s’animer de bruits de cachot, se plongeait dans une plénitude réconfortante, une tranquillité presque traîtresse que n’éprouvaient pas véritablement les habitants de Bourg-Levant. Un monde à part, délibérément séparé du restant de la plèbe par cet imposant rempart qui semblait pouvoir les protéger de tous les dangers. Quoique, de temps un autre, l’une de ces créatures morts-vivantes parvenait toujours à trouver le moyen de s’introduire dans le quartier noble. Mais aujourd’hui, la cible des gardes ne s'appelait pas fangeux, mais bien voleurs, lesquels se lançaient dans une fuite éperdue.

Ils se poussaient l’un l’autre, se heurtaient niescemment du coude, s’encourageaient dans le même temps et donnaient de fréquentes oeillades en arrière, par-dessus leurs épaules, dans la crainte de voir leurs poursuivants gagner du terrain. Mais à chaque nouveau regard, Marwen et Elisabeth semblaient parvenir à les distancier de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils les perdissent définitivement au détour d’une grande rue. La course n’en était pas terminée pour autant, loin de là, et plutôt que de faire une halte, ils décidèrent tous deux de creuser davantage l’écart qu'ils détenaient déjà. Poursuivant vers le sud, dans le même sens que la pente, le terrain leur procurait des ailes, une énergie renouvelée qu’ils ne pensaient plus pouvoir encore puiser, et jamais ne décélérèrent-ils.

Durant ce périple effréné, Marwen ne perdait aucunement de vu leur objectif final, et traçait dans sa tête le plan de l’Espanade. Il ne cessait de noter les ruelles empruntées et les allées traversées, sachant avec une assez grande précision leur localisation du moment. Jetant un rapide coup d’œil à la sorcière, toujours devant lui, il se demanda si elle avançait au hasard ou bien en totale connaissance de cause. Ce qui était certain, en tout cas, c’était qu’ils ne s’étaient jamais autant approchés du lieu de rendez-vous que maintenant, et avec une prestesse encore jamais égalée. En fin de compte, se faire donner la chasse par la milice possédait ses avantages.

Ils s’arrêtèrent tous deux l’espace de quelques instants en bordure d’un énième manoir, statuant sur la suite des évènements. Rejoindre la villa Cendrelande pour se planquer dans un jardin mitoyen en usant d’un arbre comme passerelle.

« Ça marche, entendu. »

Et ils se relancèrent à l’assaut des pavés, le souffle court, les poumons en feu, mais la peur de se faire prendre, si près du but, les galvanisait que trop bien pour les contraindre à marcher. Marwen et Elisabeth traversèrent une jolie petite place où trônait en son centre une fontaine, mais l’Esbigneur n’y jeta pas le moindre coup d’œil. Il pensait l’avoir déjà vue, quoique jamais vraiment étudiée, mais désirait remettre la visite à une autre fois. Même les égouts, si ce n’avait été les fangeux, avaient été plus sereins. Après une série de maisons aux mortes fenêtres, ils tombèrent nez à nez avec l’arbre en question. Ils se hissèrent dessus en s’aidant mutuellement, firent les acrobates sur une grosse ramification, sautèrent dans la cour intérieure mitoyenne, et, l’esprit déjà plus tranquille, cherchèrent un petit coin de paix qu’ils trouvèrent en la présence de plusieurs buissons encadrant un arbre aux longues branches pleurantes. Une parfaite cachette.

« Bha putain… » laissa échapper le contrebandier tout en reprenant son souffle. Il se laissa aller, les bras ballants -mais pas aussi inertes que la dernière fois, s’oxygénant de nouveau avant d’imiter Elisabeth et de s’asseoir non loin d’elle.

« Bonne idée, augmente donc tes prix, je n’en profiterai que mieux, lui fit-il avant de la dévisager plus intensément. Eh, je connais pas mal l’Esplanade, moi aussi, quitte à te surprendre. Cela dit, savoir qu’il y a un arbre planqué là pour permettre de se glisser en douce dans une propriété privée, comme ça… T’es sûre que t’es qu’une sorcière, et pas autre chose, mmh… ? Je suis bien curieux, mais le maraudage, ça m’intéresse bien, tu vois. »

Le temps que les patrouilles cessent définitivement de les rechercher, un petit moment pouvait bien s’écouler, aussi avaient-ils quelques instants à perdre avant de reprendre la route. L’objectif n’était pas très loin, de toute façon. Marwen se laissa donc aller, ramassant arrachant distraitement quelques feuilles pour les déchiqueter entre ses doigts.

« Dire que si jamais ç’avait été de jour, tout aurait tellement été plus simple. Peut-être même que ton client t’aurait fourni une autorisation scellée de sa part, pour entrer dans l’Esplanade. T’imagines tout ce que ça t’aurait épargné ? Arharh. Il doit être drôlement pressé pour vouloir se faire livrer la nuit. Eh, au pire, je m’en fous, ça me regarde pas, d’autant plus que ton client, si ça se trouve, on le verra pas, et je ne saurai jamais qui c’est. Mais il y a possibilité que je puisse connaître de quoi il s’agit, en fin de compte, pour que l’on écope de tout ça ? C’est un loup-garou et il veut se faire soigner ou quoi ? »

Citation :

Je te laisse prendre le "lead" du Rp, vu que nous ne sommes plus loin.
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyDim 16 Oct 2016 - 17:05
La jeune femme ne savait pas vraiment dans quel genre de buisson ils étaient passé mais elle était certaine d’une chose : ça avait des épines qui trouaient les vêtements et des feuilles un peu collantes. Tout en tentant de se rendre un peu plus présentable, à la fois par coquetterie et par soucis de l’image qu’elle renverrait lorsqu’ils se présenteraient devant la porte de son client, elle répondit avec un sourire.

« Si je te le disais, tu te mettrais en colère. »

Le regard appuyé qu’elle capta lui fit lever les yeux au ciel mais sans se départir de son sourire.

« Je dois remettre à ce client un mélange particulièrement efficace et couteux pour lui permettre de jouer les étalons de course malgré sa condition physique. En des termes moins fleuris, je dirais que j’ai fait payer très cher à ce vieux crouton pour qu’il puisse bander comme un taureau pendant au moins une heure. Mais étant donné ce que l’on vit, je crois que la note n’était pas encore assez salée… »

Avec une grimace, elle releva doucement sa manche pour examiner son avant-bras : trois grosses griffures avaient entaillé sa chair et tracé des plaies en zigzag qui avaient méchamment saigné. Sa chemise était déchirée et tâchée de sang à cet endroit-là. Ni une ni deux, l’apothicaire ressortit la pâte qu’elle avait appliqué sur l’épaule de Marwen et recouvrit ses blessures en tentant d’ignorer la sensation de brûlure. Elle aurait tout le temps de se soigner correctement une fois chez elle.

« Et figure-toi, mon sémillant ami, que j’ai déjà une autorisation pour entrer et sortir de l’Esplanade. Cela coûte cher et il faut avoir un établissement recommandé par au moins cinq clients prestigieux, avoir une éthique de vente qui assure que tu ne feras pas de grabuge dans les beaux quartiers en essayant de refourguer de la quincaillerie et répondre à d’autres critères. Mais les avantages sont nombreux, à commencer par l’obtention d’un passe-droit pour pouvoir entrer et sortir de l’Esplanade tranquillement. Le souci c’est que depuis cette attaque de fangeux et le couvre-feu, la milice emmerde les marchands et les artisans même les plus réputés, alors quand on cherche à se faire discret, c’est compliqué. »

La pâte odorante appliquée, Liz s’assura que sa manche resterait relevée au niveau de son coude pour éviter de salir plus encore le tissu et elle rangea ses affaires de guérisseur. Contrairement à ce qu’elle laissait voir d’elle à l’Esbigneur, elle était plus portée sur les soins que les empoisonnements, mais pour un néophyte la différence entre les deux était bien mince. Et pour quiconque étudiait l’alchimie, il apparaissait très vite que selon la dose utilisée, un curatif pouvait devenir un produit létal. Donc tous les apothicaires, herboristes et soigneurs étaient de potentiel empoisonneurs en puissance. Elisabeth se contentait simplement d’exploiter cette facette de son métier pour se donner une avance de revenus très sécurisante en ces temps de disette.

« Bien que ça ne soit pas un secret que je vende des produits de ce genre, ma clientèle fait rarement étalage de ses problèmes de raideur et pour certain, c’est un aveu public que de venir me voir dans ma boutique ou me faire me déplacer en plein jour. Habituellement je ne ménage pas beaucoup la sensiblerie de ces messieurs, mais ce client est un habitué dont mon père a su entretenir la fidélité et il sait se montrer généreux. J’ai voulu faire une exception pour lui, mais bien mal m’en a pris, semble-t-il… Quoi qu’il en soit, c’est pour une histoire d’égo masculin que nous sommes ici. »

Avec un soupir elle se cala contre le tronc de l’arbre, les genoux repliés contre elle. Un bruit de course accompagné du cliquetis du métal de plusieurs pièces d’armure entre elles résonna de l’autre côté du mur. Ils avaient bien fait de se planquer ici. Liz posa à nouveau ses yeux sur son compagnon d’infortune. Il n’y avait plus de torche pour les éclairer mais la nuit était assez claire et elle voyait le relief de son visage. Ça lui faisait une mâchoire plus large et des pommettes saillantes. Impossible de voir ses yeux dans la zone d’ombre sous ses sourcils mais elle savait de quelle couleur ils étaient pour s’être trouvé collée à lui beaucoup trop souvent à son goût au cours de ces dernières heures.

« À ton tour. T’as l’air d’accepter les contrats qui te passent sous la main et de connaître un peu trop bien les sentiers détournés… T’es pas dans une guilde de l’ombre, sinon j’aurai entendu parler de toi. Donc tu dois travailler à ton compte. Qu’est-ce que tu faisais avant toute cette merde ? Charlatan ? Saltimbanque ? Je te vois mal en honnête commerçant. »
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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyMar 18 Oct 2016 - 17:30
Ainsi adossé contre ce bel et vieil arbre, Marwen fut tout ouïe, écoutant avec soin les dires de sa partenaire. Ils disposaient de beaucoup trop de temps, de toute façon, car mieux valait être certain que la soldatesque patrouillant dans les rues se fût fatiguée et que leur attention diminuât à force de les chercher avant de se remettre en route. Ça, que ça ne lui plairait pas, comme elle l’informa auparavant, il s’en doutait quelque peu. Cette magouille puait bien trop pour le laisser indifférent. Mais en réalité, pas tant que cela. Devant le regard insistant du contrebandier, la jeune femme vida son sac.

Des problèmes de virilité. Ouais, ça se tenait. Un petit-vieux qui voulait sauter sa bonniche ou quelque veuve que ce fût —quoiqu’il ne fallait pas même attendre que ces dames eussent perdu feu leur mari, le plus souvent-, et cette histoire, ce besoin, était tout ce qu’il fallait pour créer une aventure palpitante dans les égouts de Marbrume.

« Bha, ça m’étonne pas, finalement. Et je dois même t’avouer que je m’en trouve si désabusé, après toutes ces tribulations, que je n’en prendrai pas même ombrage, tu vois. Que ce soit cela ou de la pisse de chat, en fin de compte, cela ne change rien ; nous sommes là, et puis voilà. Pauvre vieux, va. Comme je te le disais, tout le monde a le droit de saisir le moindre prétexte pour se faire plaisir avant de crever dans d’atroces souffrances. Encore que ces nobles soient bien mieux lotis que nous, question sécurité. C’est même beau, putain, niveau philosophie. Nos vies sont suspendues à la volonté de ce vieillard que sa dame n’arrive pas à branler assez fort pour le faire bander. Merci Anür, sérieux. Eh, là-haut, j’adore Tes desseins », conclut-il en embrassant ses index et annuaires réunis, en les posant sur sa poitrine, et en les tendant par la suite vers le ciel, en une salutation des plus étranges.

Apparemment, à défaut des fangeux, c’étaient ces buissons de merde qui avaient salement amoché le bras de la sorcière, et Marwen pouvait facilement comprendre la petite moue de circonstance qu’elle afficha en constatant les dégâts. Lui aussi avait assurément perdu quelques lambeaux de peaux dans leur refuite, ainsi que plusieurs morceaux de tissu également. Aussi se badigeonna-t-elle de son étrange mixture odorante, et une douce fragrance bucolique, portée par le vent, vint lui chatouiller les narines.

« Ça sent bon, ton truc », lui dit-il, ne sachant plus s’il en avait déjà fait la remarque ou non.
Puis Elisabeth lui expliqua qu’elle possédait véritablement un titre de séjour pour s’affranchir du barrage à la Porte des Anges. Et c’était là l’occasion de crâner fièrement à propos des principes auxquels elle se proclamait fortement attachée, à sa manière. L’aval de plusieurs nobles distingués, évaluation approuvée disposant la qualité des produits vendus, toussa-toussa… Et vas-y que je suis autrement plus importante que le restant de mes confrères, et vas-y que moi, c’est clairement pas de la camelote… Bha, si ça lui faisait plaisir, après tout. L’on pouvait décemment être satisfait de notre petit commerce, au fond.

« Eh bien figure-toi également, mon évaltonnée partenaire, que j’en possède moi aussi ! Bon, par contre, vu la nature du truc, je ne le porte qu’une fois dans l’Esplanade, et, pour m’y rendre, j’use de moyens détournés, comme tu l’auras bien constaté. Ils sont bien moins regardants dans le quartier noble, au détour d’une vérification à l’improvisade, plutôt qu’à la Porte des Anges, pour sûr. En général, mes autorisations sont falsifiées à l’aide d’un sceau volé et d’une belle calligraphie. Encore qu’il me soit déjà arrivé d’obtenir directement un passeport par le biais d’un des résidents d’ici même. Ouais, t’es pas la seule à traficoter avec du sang-bleu, sorcière. Il y en a qui sont vraiment bizarres. »

Enfin, pour le reste des clients d’Elisabeth, il comprenait parfaitement leur désir de discrétion ; il n’était pas crétin. Ça le faisait moyennement, de demander un sortilège pour bander comme un taureau ou pour retirer un furoncle sur le gland lorsque vous aviez derrière vous une queue de trois personnes, nobles ou roturiers, qui attendaient leur tour. Car dans pareille société où les requins demeuraient vos plus proches amis, une telle information, capable de tourner en ridicule n’importe quelle connaissance, pouvait valoir de l’or. Et à ce petit jeu-là, Marwen n’avait que trop bien noté les menus soucis de virilité de l’acheteur en question, qu’il identifierait grâce à l’apparence de sa demeure comme à sa localisation. Encore un truc qu’il pourrait refourguer à des oreilles indiscrètes et des langues bien pendues, ça. Mais vint bientôt le moment de décliner la nature de ses propres activités, et Marwen décida de jouer franc jeu. Il attendit que les cliquètements métalliques, de l’autre côté du mur, se fussent tus avant d’expliquer sa situation.

« Disons que je travaille avec un peu tout le monde, çà et là. J’avais ma propre petite organisation, fut un moment, mais avec le Fléau… Cela dit, si jamais tu n’as jamais entendu parler de moi, c’est que tu dois être relativement nouvelle dans ce commerce interlope. Enfin, après, il y a, ou avait, beaucoup de monde, auparavant, et j’ai dû buter pas mal d’anciennes connaissances lorsqu’elles se sont transformées. Au point où mon réseau, somme toute assez prospère jadis, en est réduit à zéro, ou presque. Alors je tente davantage de survivre que de tout rebâtir ; c’est déjà pas mal, dans ce monde de merde, et j’estime que je m’en sors pas trop mal. »

Il s’interrompit quelque temps, veillant à ce que personne ne fût dans les environs pour pouvoir les entendre et éventuellement révéler leur présence.

« Non, je ne suis pas quelqu’un du spectacle, pas vraiment. En fait, mon vrai truc, tu vois, c’est de faire passer des gens ou des produits en douce, au nez et à la barbe de notre bon duc –et surtout de ses collecteurs, et d’esquiver ainsi toutes ces taxes de merde qui vous tombent sur la tronche une fois entré dans le port ou passé la porte principale. Ah, et sans compter quelques marchandises assez délicates, comme… Des reliques des temps anciens, tiens. Les prêtres aiment pas trop que l’on y touche, mais les nobles en raffolent, va savoir pourquoi. Ou des animaux exotiques, tiens ! Je me demande quand quelqu’un sera assez con pour me demander de faire passer en douce un fangeux. »

Il haussa des épaules, toujours aussi lassé qu’il était en se trouvant endigué dans cette situation, encore que la bêtise humaine y fût pour quelque chose, à propos de sa nonchalante désillusion. Il avait préféré passer sous silence certains trafics de chair humaine, car il le voyait déjà gros comme une maison ; elle l’aurait bien fait chier avec ça, à s’offusquer de telles affaires. Surtout en ce qui concernait les femmes, à n’en pas douter.

« Si fait, ouais, je suis un contrebandier, en quelque sorte. Je connais tous les recoins de la ville, les rues comme les souterrains, pour pouvoir te faufiler d’un point A à un point B sans que l’on t’emmerde de trop. Je connais des gens dans la milice, chez nous autres pécores, et quelques rares têtes chez la noblesse. J’ai même des notions de canotage, ce qui peut éviter pas mal de bissêtres, également. J’t’offrirais bien un petit tour en mer à la faveur des étoiles, chérie, mais de nos jours, les embarcations ont une fâcheuse tendance à prendre le feu, curieusement. La faute à la jalousie, sans doute. Ah, ce monde sans merci. Les gens sont beaucoup trop méchants pour ma p’tite nature. »

Il se releva soudainement, s’époussetant les chausses et se frottant les mains des résidus de feuilles déchiquetées qui accrochaient encore ses doigts.

« Mais je pense que l’on peut se remettre en route, là, non ? Qu’est-ce que t’en dis ? Les gus ont dû cesser de nous courir après, je crois. Enfin, j’espère. »

Avec leurs petites discussions dans ce charmant tête-à-tête, le temps s’était écoulé somme toute assez rapidement, en dépit de la peur de se faire attraper pour de bon. Point d’arbre, apparemment, pour passer de l’autre côté avec autant de facilité qu’ils ne l’avaient fait afin de venir jusque-là, aussi la bonne vieille technique de la courte échelle fut de nouveau usitée, et ils s’affranchir sans rémora de cet obstacle.

Intimidés par la récente chasse qui leur avait été donnée, ils évoluèrent avec moult précautions au sein de ce tissu urbain. Toutefois, leur dernière course les avait étonnamment fait progresser en direction de leur destination, et il ne leur fallut que peu de temps avant d’arriver à proximité.

« Tiens, c’est ça, non ? Au sud, une grande demeure à colombages et des fleurs jaunes au niveau des fenêtres. Allez, fais-toi plaiz’. »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyLun 24 Oct 2016 - 0:49
« Ta petite nature, ben tiens »

Ses lèvres s’étirèrent dans un sourire en coin moqueur. Il avait passé sa vie à tremper dans le commerce illégal et continuait malgré la Fange. Au Crapaud Apothicaire, on avait toujours un pied dans la boue, mais rarement plus et Elisabeth avait été très préservée de ce côté, son père refusant catégoriquement de l’impliquer dans ces affaires-là malgré les fréquentes réclamations de la jeune femme. Elle avait été obligée de forger elle-même certaines alliances et de se renseigner de son côté du vivant de son père, mais depuis qu’il était mort elle avait dû faire sans parachute en cas de problème. Dans un sens, elle était nouvelle dans le milieu, mais peut-être que Marwen avait déjà fourni sa boutique sans le savoir, par l’intermédiaire de l’ancien propriétaire des lieux.

Sans faire d’histoire, elle acquiesça à sa remarque et se mit debout elle aussi en époussetant en vain son pantalon et son manteau. Le mur n’entrava en rien leur progression et ils arrivèrent assez rapidement devant la maison aux balcons fleuris. La jeune femme sentit une vague de soulagement déferler dans sa tête et un sourire s’accrocha malgré elle à son visage.

« C’est ça ! Bon, en espérant qu’il n’y a pas besoin de tambouriner à la porte pour réveiller les domestiques. Trouve-toi un coin pas trop loin, je te ferai signe de me rejoindre quand j’aurai terminé. »

Elle n’évoqua pas la suite de leur expédition, préférant se concentrer sur la transaction plutôt que sur le chemin de retour qui s’annonçait déjà difficile. Prudente comme une proie en forêt un jour de chasse, elle scruta la rue un moment avant de s’élancer en avant pour rejoindre l’ombre de la grande maison. En rasant les murs, elle parvint jusqu’à la porte cochère au fond de laquelle se trouvait une haute palissade percée d’une porte. Sur la pointe des pieds, elle s’approcha en essayant de deviner si quelqu’un se trouvait de l’autre côté et toqua doucement contre le bois. C’était à peine audible mais dans le silence nocturne, elle avait l’impression de frapper de toutes ses forces avec un heurtoir en métal.
Le froissement discret d’un vêtement lui apprit que la personne chargée de la payer se trouvait dans la cour de l’autre côté de la porte et qu’elle ne s’était pas endormie. Peut-être que son maître lui avait promis du fouet si la livraison était ratée à cause d’une sieste malvenue.

Un bruit de loquet un peu rouillé tira une grimace à l’apothicaire et dès que la porte fut entre-ouverte, elle demanda à entrer, pour plus de sécurité. Hors de question qu’elle se fasse bêtement prendre sur le seuil de la demeure, simplement par ce qu’on lui refusait l’accès à la cour intérieure.
Le domestique, un homme d’une trentaine d’année habillé d’une livrée sombre et de bonne facture, avait l’air un peu ensommeillé mais ne lui fit aucune remarque si son retard. Peut-être que les déchirures des vêtements et la boue sur les bottes lui mirent la puce à l’oreille concernant les déboires qu’avaient pu traverser la demoiselle.

« J’ai la livraison convenue : trois fioles remplies et intactes. »

D’un geste sûr, elle fouilla l’escarcelle rembourrée et en tira le fameux produit. Heureusement, aucune fiole n’était brisée et elle remercia son idée de rembourrage. L’aventure avait été beaucoup plus mouvementée que prévue.
Le domestique confirma d’un hochement de tête l’accord conclu et décrocha une bourse de sa ceinture. Ils échangèrent en même temps ce qu’ils avaient en main et immédiatement, la jeune femme ouvrit la bourse pour compter. L’équivalent de six pièces d’or… Ah non.

« Il manque deux pièces d’argent. »

Son regard se chargea de venin alors qu’elle le remontait sur le visage du domestique. Ce dernier lui adressa une moue indifférente et haussa les épaules.

« Mon maître s’est certainement trompé. Vous n’aurez qu’à lui faire la réclamation demain, il vous les donnera. »

Il s’apprêtait à repartir quand la demoiselle lui saisit le poignet fermement pour tirer dessus. Elle murmura d’une voix assassine, à peine audible :

« Je veux ces deux pièces d’argent tout de suite. Sinon, pas de potion. Vas chercher ton maître, fouille tes poches, vas quémander au voisin, je m’en fiche. Si je n’ai pas ces deux foutues pièces d’argent maintenant, je te promets qu’en plus de reprendre ma marchandise je vais te donner de quoi te rappeler qu’il ne fait pas bon être un mauvais payeur. »

Agacé de se faire menacer par une drôlesse plus jeune que lui, l’homme tira sur son poignet pour le récupérer et lui offrit pour toute réponse un claquement de langue dédaigneux. Il était le valet d’un puissant de Marbrume, ce n’était pas cette apothicaire qui allait lui faire la leçon. Malheureusement pour lui, le quota de patience d’Elisabeth commençait à être bien entamé et après Marwen, les fangeux et la milice, lui n’était guère plus impressionnant qu’un moucheron.
Ni une ni deux, la brune lui écrasa le pied sans pitié et profita de sa douloureuse surprise pour lui arracher des mains une des fioles. Puis elle recula de deux pas.

« Si ton maître veut sa commande en entier, il n’aura qu’à venir avec le reste de la somme convenue dans ma boutique et je lui remettrais son dut. Charge à toi de lui expliquer pourquoi il devra faire le déplacement en plein jour, je ne fais plus les livraisons nocturnes. »

Une pointe d’hésitation naquit dans le regard de l’autre. Soit il ne tenait pas à ce que son maître apprenne qu’il devait se rendre de jour à la boutique, soit il était coupable du vol de deux pièces d’argent et ne pourrait pas expliquer comment elles avaient disparu de la bourse. Comme attendu, il préféra fouiller sa poche en maudissant le sort plutôt que de devoir décevoir son employeur et perdre sa place.

« Brave garçon. Votre travail bien au chaud dans une maison de l’Esplanade ne vaut certainement pas deux pièces d’argent chipées à une pauvre fille du peuple, pas vrai ? »

Sans aucune gêne, elle le raya tout en récupérant la somme promise avant de lui rendre la fiole, un sourire insolent collé sur le visage. Sans attendre qu’il la raccompagne, elle retrouva toute seule le chemin de la porte et retourna dans les ombres de la rue derrière la grande maison. Une bonne chose de faite ! La bourse se trouvait à présent bien fermée dans son escarcelle rembourrée pour éviter les bruits malencontreux.

D’un coup d’œil dans la grande rue, elle vérifia que la voie était libre et se mit dans la lumière blafarde de la lune pour faire un geste en direction de la cachette où devait se trouver Marwen puis elle retourna dans l’ombre d’un angle de mur. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’Esbigneur fut à ses côtés.

« C’est terminé, le compte y est. Et comme les bons comptes font les bons amis, voilà ta part. »

Malgré son caractère et ses remarques, le contrebandier avait été fiable et plutôt tenace tout au long du voyage. Il avait tenu parole, même face aux obstacles inattendus, aussi Liz ne pouvait-elle pas le faire lambiner plus sans se sentir un peu coupable. Mine de rien, elle lui devait une fière chandelle. Deux pièces d’or – elle gardait pour elle celles en argent, c’était plus pratique pour son commerce – passèrent de sa main à celle de son associer dont elle espérait qu’il ne filerait pas sans l’aider à surmonter la dernière épreuve : le retour.

« Et maintenant ? Il commence à être tard et la princesse délicate et faible que je suis voudrais rentrer chez elle. Ou au moins arrêter de rôder dans les endroits qui grouillent de danger. Je suis la reine des potions, pas la reine des esbigneurs. »

Elle parlait tout doucement et pourtant il lui semblait que c’était encore trop fort. Cette fois elle ne craquait pas comme dans les égouts, mais il était évident que sa place n’était pas ici. Elle-même le reconnaissait. À quoi servait d’avoir le magot si on risquait de se faire épingler par la milice avant l’aube ?
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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 2 EmptyLun 24 Oct 2016 - 20:13
Cette sacrée demeure avait des allures de paradis, un îlot de sérénité au beau milieu de l’océan. Un point de refuge, un objectif atteint après avoir risqué leur vie dans les égouts. La douce et savoureuse sensation de la mission accomplie. Mais, en vérité, elle n’en avait que l’apparence. Car certes, ils étaient bien parvenus à destination, mais demeurait encore la récolte de leur dur labeur, et il fallait ajouter à cela le chemin du retour qui se devinait peut-être aussi compliqué que l’aller. Mais encore fallait-il déjà s’occuper de ramasser l’oseille en échange des petits flacons de sorcellerie, ce à quoi s’attela Elisabeth.

Ce fut fort simple. Elle irait toute seule à la rencontre de son client pendant que Marwen ferait le plancton dans la rue, en priant pour ne pas se faire choper en attendant que la grognasse fasse bien tranquillement son affairette, en sécurité. L’idée lui plaisait moyen, surtout qu’il avait escompté pouvoir participer à ce sympathique abouchement.

« Quoi ? Ah bha, ça valait bien la peine que je jure de me taire si jamais je ne peux pas prononcer le moindre mot, putain. Vas-y, où que je vais me caller, moi. »

Il fit un rapide tour d’horizon de son regard, observant les différentes zones d’ombre qui se proposaient à lui, en périphérie. Il souhaitait un endroit pas trop loin, avec une vue d’ensemble sur la maisonnée. L’idée que la sorcière puisse se barrer fissa par une porte dérobée n’était pas pour le rassurer, surtout avec l’accord qu’ils avaient passé. Certes, l’Esbigneur doutait fortement qu’elle en vienne à agir de la sorte dans la mesure où elle nécessitait toujours son aide pour ressortir de cette prison dorée, mais, d’une façon générale, Marwen n’était pas homme à laisser ainsi les choses au hasard. Grommelant comme à son habitude, il se trouva une alcôve enfoncée dans l’encorbellement d’un manoir voisin, et se posta là, attendant le bon vouloir de sa partenaire.

« Si t’as un souci, fais-moi signe. Enfin, s’ils sont pas trop nombreux non plus. Je tiens à mon saint-frusquin. »

Pas longtemps après avoir caressé le bois du portail, la sorcière se fit avaler par le battant. Curieux de nature, Marwen décida d’écouter à la porte, espérant grappiller çà et là quelques mots, quelques phrases, et, pourquoi pas, quelques indices concernant les plans futurs d’Elisabeth. Une fois de plus, l’on n’était jamais assez trop prudent. Avançant à catimini jusqu’au parvis de la grande bâtisse, il colla son oreille contre la paroi. Si, au début, il ne put entendre ce que l’on causait de l’autre côté, il sembla que, rapidement, la conversation prit un nouveau tournant. Marwen reconnut la voix échauffée de la sorcière, comme elle savait si bien le faire de façon totalement aléatoire, et, par-dessus tout, l’ultime fatal combo de la mort, le talon écraseur de pied que le contrebandier avait déjà expérimenté. Comme c’était étonnant. Après quelques tacles et menaces, le valet eut son compte et la sorcière récupéra l’objet de ses convoitises. Sentant qu’elle n’allait ainsi pas tarder à ressortir de cette cour intérieure ou il ne savait quoi, l’Esbigneur tacha de retrouver son petit coin de pénombre.

Effectivement, peu de temps après, Elisabeth apparut de nouveau dans la nuit, regardant précautionneusement autour d’elle avant de s’engager au-dehors. Les miliciens rôdaient peut-être encore dans les parages, et mieux valait ne pas troubler de nouveau l’aroutinement de leur patrouille. Marwen sortit de l’ombre pour s’en aller à sa rencontre, singeant de n’avoir rien entendu. Jouant le jeu, il haussa un sourcil interrogateur à l’attention de la sorcière, lui demandant par là si elle avait ou non accompli sa quête. Dans la pâleur de la lune qui jouait à cache-cache avec de lourds nuages noirs qui, tout habitués qu’ils étaient à s’amuser de ce passe-temps, gagnaient à chaque fois, l’Esbigneur vit miroiter dans la paume d’Elisabeth deux pièces d’or qu’elle lui tendit bien volontairement. Un petit trait d’esprit aurait pu être apprécié, un petit sourire, une remarque ou une pirouette, afin de briser le sérieux de toute cette affaire alors qu’ils n’avaient cessé de se rentrer dedans à leur manière, mais, là, dans cette situation, le contrebandier ne fit rien de tout cela. Le plus simplement du monde, il récupéra la monnaie si difficilement acquise, les frotta l’une contre l’autre, comme pour vérifier leur authenticité, et le petit froissement métallique, si particulier, acheva de le satisfaire. En guise de remerciement, il hocha sobrement de la tête, sans rien ajouter, ce qui ne fut pas le cas de la sorcière.

Elle, de son côté, tenait à lui signaler ô combien elle voulait sortir de l’Esplanade, de ce quartier qui ne les accueillerait jamais de bon cœur, ces pâtés de maisons en-dehors du monde qui ne seraient jamais pour eux. Et il la comprenait bien.

« Et maintenant… Il nous faut rejoindre un nouveau passage. Je pense qu’il vaut mieux oublier celui que nous avons emprunté, aussi bien pour les fangeux qui y rôdent peut-être toujours que pour la milice qui doit faire de même après nous avoir aperçus. D’ailleurs, il n’y a plus besoin de se presser, non pas ? Alors je conseillerais de prendre ce souterrain juste au-dessus du quartier de la Hanse, où il s’y trouve justement un refuge, et d’attendre que le jour se lève, que cesse le couvre-feu, de manière à pouvoir repartir chez soi à pied, tranquillement, sans crainte aucune. Enfin. J’imagine, en plus, que ça sera pas trop loin de chez toi. »

Ils s’étaient remis à marcher dans les ombres, longeant les murs, passant sous les hautes arcades enténébrées que proposaient parfois d’imposants édifices.

« Par contre, c’est pas tout près ; faut trouver un moyen de s’y rendre, et je sais comment faire. J’en ai assez de me péter le dos à ramper derrière des murets. »

Car c’était précisément ce qu’ils étaient en train de faire. Là, plus de haies bien taillées que l’on pouvait détruire à coups de lame afin de pouvoir traverser les propriétés sans être vu. Ces allées-ci se découpaient perpendiculairement les unes par rapport aux autres, délimitées çà et là parfois par de hautes parois faîtées de piques en fer forgé, ou bien de petits murets de pierre. Avancer en catimini derrière ces premières demeurait relativement facile. En revanche, derrière les seconds, c’était une autre paire de manches, et ils n’avaient de cesse que de se courber et de progresser presque ventre à terre. Ils jetaient de fréquents coups d’œil tout autour d’eux, et, cette fois-ci, eurent davantage de chance. Une patrouille arriva bel et bien dans leur direction, mais ils la virent arriver de loin. Ils se plaquèrent au sol, restant immobiles, bien à l’abri à couvert d’un parapet, et entendirent le bruit des bottes ferrées se rapprocher de plus en plus avant de disparaître dans la nuit. Alors, ils se remirent en marche.

La progression, à l’instar de l’aller, s’avéra relativement lente, et ils ne se rapprochèrent que trop doucement du passage souterrain tant convoité. Mais Marwen gardait bien en tête ce petit moyen qui demeurait à sa disposition afin de parvenir plus rapidement à son objectif, ce subterfuge qui l’avait fait éclater de rire juste après qu’il se fût endêvé comme pas possible lorsqu’Elisabeth lui avait conté où se trouvait véritablement la localisation de son client. Devant ne tarda pas à se dresser le Rempart Intérieur, cette imposante muraille qui séparait Marbrume en deux parties aucunement équilibrées, que ce fût par la taille ou la richesse.

« Alors, où c’est qu’c’est… »

Si l’Esplanade se révélait dans sa grande partie impeccable, il s’y trouvait çà et là quelques zones d’ombre si l’on savait où cherchait, aménagées par différents groupes, qu’ils fussent nobles, miliciens, ou simplement appartenant au vulgum pecus, tel que Marwen. En longeant la haute muraille, ils parvinrent tous deux au bout d’une petite allée d'un quartier reculé, un peu moins cossu que le restant des lieux, et franchirent une petite barrière de bois pour se glisser au derrière d’une vieille masure apparemment inhabitée. Le tableau qui s’offrit alors à eux ne différenciait aucunement de celui que l’on pouvait trouver dans le Bourg-Levant relativement pauvre ; une cour intérieure formée par des parois de bois, vérolées par les mites, une terre battue, inégale, que bien des poules avaient autrefois dû picorer, comme en témoignait la présence de cages grillagées partiellement éventrées, et un ancien potager, désormais envahi par les mauvaises herbes.

« Tiens, monte là-haut », fit Marwen en désignant une échelle branlante qui amenait vraisemblablement vers un vieux grenier où l’on rangeait tout un outillage rouillé, des planches de bois, et des clous. Puis il se fendit généreusement d’une petite explication.

« Cette vieille bicoque appartenait autrefois à un vieillard, un gendelettre, un de ces gâte-papiers que l’on disait sans talent aucun. Bref, il a tout perdu dans la fange, alors même qu’il n’avait plus grand-chose, si ce n’était son titre de noblesse. Et c’est justement ça qui a permis à ce gus désargenté de s’installer céans même. J’ai déjà traficoté avec lui, mais bon, il n’aura pas résisté à ce maigre confort, le vieux. Depuis, c’est laissé à l’abandon, plus ou moins. »

Mais derrière cet amas hétéroclite d’accessoires de jardinage et d’ustensile en tout genre, derrière ces bûches coupées il y a fort longtemps et ces barres de fer se dévoilait un semblant de petit nid douillet. Dans le fin fond de ce grenier, lequel n’était pas fort haut et large, figuraient un grabat et une vieille commode défoncée.

« Bon, l’on pourrait bien passer la nuit ici, tranquillement, comme je l’ai déjà fait, mais ça ne résoudra en rien notre petit problème. Faudra quand même se tirer de l’Esplanade un jour ou l’autre. Alors voilà le truc. »

Là, le sourire de l’Esbigneur se révéla soudainement tout en contemplant Elisabeth., bien qu’il fût légèrement interrompu dans la conquête de son visage par de nouveaux bruits de bottes ferrées. Encore une patrouille dans les alentours, semblait-il. L’Esbigneur n’eut pas à farfouiller bien loin dans la commode pour dénicher un habit noble.

« Ça appartenait au vieux d’à côté. »

Des bas rouges sur lesquels se rajusteraient des bottes noires, quoique passablement blanchies par la poussière, une ample tunique d’un vert foncé qui descendait aux genoux, dont les manches à crevés béaient d’une fourrure jaune sous les poignets, et, enfin, un liripipion bordeau en guise de couvre-chef, qui s’enroulait légèrement jusqu’à rejoindre son épaule droite.

« Voilà ce que je porterai. Bon, c’est plus du meilleur goût, mais ça reste authentique, et puis, à la faveur de la nuit, ça pourrait passer. Ah, et voilà mon passe-droit, fit-il en trouvant un vieux parchemin à moitié effrité. Erwan d’Ablaÿ. Ça sonne bien, non ? Bon, et pour toi…»

Toujours grand sourire, déposant ses futurs atours sur le lit, il se tourna de nouveau vers la commode pour débusquer une simple robe, tout ce qu’il y avait de plus banal, ou presque. Car en vérité, le décolleté s’avérait outrageusement profond, et le bas de la vêture tout aussi indécemment haut, à mi-cuisses.

« Ouais, j’ai pas mieux, sorcière. Tu devines un peu les penchants du vieillard d’à côté ? Voilà l’habit de ses soubrettes, encore que je me demande si ce n’étaient tout bêtement pas des putes, en fait. T’aurais pas livré chez lui, aussi ? Le pauvre, ayant perdu sa femme des années auparavant, d’après ce que j’ai compris, il devait bien se faire chier. Voilà comment se désennuyer. »

Et le plus simplement du monde, Marwen commença à se dessaper, retirant sa tunique.
« Vu la suite, alors qu’on aura plus rien pour vraiment se planquer, je préfère autant en revenir à ça. Surtout avec nos vêtements puants, là, et déchiquetés par les branches, recouverts de feuilles et de brindilles. A tous les coups, l’autre patrouille aura bien noté d’où on ressort, et on a vraiment l’air de gueux avec ce que l’on a présentement sur le dos. »

S’asseyant sur le lit, il retira nonchalamment ses bottes, puis ses chausses, avant de tendre la tunique et les bas rouges bien devant lui.

« Comment ça se met, ce truc… ? Ah, je vois. »

Se redressant, les couilles à l’air, sans aucune pudeur, il sautilla sur place en prenant garde à ne pas se manger le plafond afin d’enfiler la vêture.

« Allez, fais pas ta mijaurée, enfile-moi ça. Un noble et sa putain, rien de plus normal par les temps qui courent. Bha quoi, t’as jamais vu un homme à poil ou quoi ? Ah, et je te tournerai clairement pas le dos. J’ai cru comprendre que t’avais des aiguilles qui pouvaient me faire gonfler la langue et tout, entre autres, aussi je prendrai définitivement pas ce risque, chérie. »
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