Marbrume


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 Les gens de l'ombre [Marwen]

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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 3 EmptyLun 24 Oct 2016 - 22:19
Un regard suspicieux avait suffi pour que le gus s’explique sur le pourquoi il souhaitait qu’elle joue aux écureuils. Il avait l’air un peu trop sûr de lui et un peu trop heureux pour que ce soit sans danger. La petite histoire vaguement inintéressante lui fit lever les yeux au ciel et elle gravit les échelons sans chercher à tergiverser. Au moins dans le grenier il n’y aurait personne pour les surprendre là où il ne fallait pas. Du moins elle l’espérait.
Le fourbis impressionnant qui avait été entreposé ici aurait été bien utile pour les agriculteurs du Labret, tiens ! Même si la rouille commençait à tout envahir, Eli connaissait un forgeron pas vilain qui aurait pu tout remettre en état pour le revendre. Qui sait, peut-être bien qu’elle parviendrait à lui faire arriver ce matériel par un moyen détourné ? Il ne manquait certes pas de travail, avec toutes les armes à entretenir ou à réparer, mais un bon fourbisseur ne se plaignait jamais d’avoir un peu plus à vendre.

Malgré la faible luminosité, un rayon de lune filtrait assez loin dans la pièce pour laisser entrevoir l’aménagement d’un espace pour dormir, tout au fond du grenier poussiéreux. Voilà donc quelle était la tanière de l’animal… L’information était tout de suite plus intéressante et la jeune femme la nota dans un coin de son esprit, par automatisme. Non pas qu’elle doute de son guide, mais il valait mieux ne pas trop se fier aux nouveaux collaborateurs.
L’Esbigneur la dépassa pour s’intéresser à la commode, rejetant l’idée de passer la nuit ici, ce qui soulagea la demoiselle. Mais juste une demie seconde car celle d’après, elle le vit arborer un large sourire qui n’augurait rien de bon pour elle. Encore une idée à la con, elle en était sûre…

Comme pour lui donner raison, il lui agita des frusques de nobliau sous le nez, l’air ravi, expliquant comment il se déguiserait pour passer la porte. C’était une idée comme une autre, peut-être moins salissante que celle qui consistait à aller voir les fangeux dans les égouts, mais elle n’en était pas moins risquée. Comptait-il vraiment se faire passer pour un châtelain avec sa sale trogne balafrée et ses cheveux courts ? Heureusement que Marbrume comptait son lot d’excentriques.
Mais le pire fut quand il lui présenta ce qu’elle, elle allait porter. Tout d’abord, dans l’ombre, Elisabeth cru qu’il s’agissait d’un vêtement pour enfant. Mais la largeur correspondait à une taille adulte et le trop-plein de tissu au niveau de la poitrine également. Médusée, elle prit l’habit sans se rendre compte, son regard allant du col aux chevrons en bas du vêtement. Et est-ce que les pans de la « robe » étaient fendus ? Mais oui ! Elle avait donc entre les mains une robe de domestique dans les tons bleu sombre, sobrement décorée de chevrons argentés autour du col et en bas du vêtement, lequel se trouvait bien trop haut pour que la décence l’approuve. Sans parler du col ouvert jusqu’entre les seins que seul un minuscule lien tenait fermé. Les bretelles brodées d’argent laissaient les épaules et les bras nus, comme la mode le tolérait. Si l’uniforme avait été plus long et réservé à un usage plus professionnel, il aurait été accompagné d’une chemise à mettre en-dessous ainsi que d’un surcot. Mais il y avait fort à parier que cette robe ne se portait pas avec tout cet attirail et qu’il était même de bon ton de ne rien porter dessus. RIEN.

Le temps qu’Elisabeth analyse un peu plus ce que Marwen voulait lui mettre sur le dos, elle ne remarqua même pas que le sagouin se dessapait tranquillement pour enfiler son propre costume. Mais le regard qu’elle lui lança aurait pu le réduire en cendre, si elle en avait eu le pouvoir. Et à tout ça il ajoutait un petit couplet sur la timidité et la pudeur. Comme quoi, l’humanité pouvait parfois trouver certains spécimens parfaitement dépourvus du moindre instinct de conservation.
L’apothicaire n’explosa cependant pas de colère en lui jetant son torchon au visage et se contenta d’un sourire en coin parfaitement moqueur et de le toiser de la tête aux pieds avant de hausser un sourcil.

« Oh ne t’en fais pas, j’ai déjà vu des hommes à poil. Mais je suis un peu surprise, je pensais que tu en étais un. Comprends-moi, avec ta voix j’ai pensé qu’elles étaient déjà descendues… Il faut croire que les enfants ne font pas leur âge, de nos jours. »

S’il pensait pouvoir la mettre mal à l’aise en se promenant les fesses à l’air, il se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Elle avait vu presque autant de corps nus qu’une catin, métier oblige. Et certains étaient plus difficilement supportables à regarder que d’autres. Heureusement, parfois elle avait la visite d’un client particulièrement bien fait de sa personne et elle pouvait alors apprécier pleinement de faire son métier. Comme avec le chevalier de Nouet, par exemple…
Marwen, c’était un autre genre de bestiau : il ne mangeait clairement pas à sa faim malgré sa grande carcasse et l’œil aiguisé de l’empoisonneuse ne manqua pas quelques cicatrices qui aurait pu bénéficier d’un meilleur traitement avec tel ou tel onguent. Bon, dans les grandes lignes et si elle voulait être objective, elle devait reconnaître qu’elle avait vu beaucoup plus dégouttant que ce tableau. Mais personne ne lui demandait d’être objective à l’heure actuelle et elle préférait enfoncer le clou un peu plus.

« Tu aurais pu trouver autre chose comme excuse pour te rincer l’œil. Tu sais que les thermes du temple sont ouverts ? Si c’est l’anatomie féminine qui t’intrigue mon garçon, je te conseille d’aller y faire un tour. Et profite-en donc pour te laver, tu es peut-être un morveux avec du lait au coin de la bouche, mais ça ne doit pas t’empêcher de racler la crasse qui s’accumule sur toi. »

Est-ce qu’elle avait le choix ? Non, pas vraiment. S’ils restaient dans l’Esplanade, le problème de sortir serait le même et elle n’avait pas vraiment envie de retourner dans les égouts. Restait donc l’option de jouer le jeu pour pouvoir passer devant les gardes.
Faisant la sourde oreille aux propos de son compagnon de galère, elle se tourna pour ne pas avoir à s’infliger la vue de Marwen en train de sautiller pour enfiler un bas, les grelots au vent. Avec un gros soupir elle se décida à dégrafer l’attache de son manteau. Il fallait juste renoncer à toute dignité pour quelques temps, rien de bien compliqué en vérité. C’était comme lorsqu’elle faisait mine de pleurer quand elle était enfant ou quand elle minaudait auprès de certaines brutes pour obtenir ce qu’elle voulait. Sauf que cette fois elle aurait un partenaire de jeu qui profiterait sans doute de son rôle pour la railler. Ou pire.

Accrochant sa cape à un manche de râteau qui se trouvait là, elle défit sa ceinture avec précaution pour ne rien faire tomber de ce qu’elle y avait accroché et s’attaqua ensuite à son corsage. Sans aide aucune, elle parvint à attraper le bout du lacet et tira dessus jusqu’à sentir la résistance du nœud céder. Le pauvre corset avait bien souffert de leur expédition. Avant de s’attaquer à la chemise et au pantalon, elle retira ses cuissardes, en se disant qu’avec un coup de chiffon elles seraient très présentables et qu’elles la couvriraient plus que sa maudite robe.

« Je crois que même les putains de la Hanse ont des vêtements plus longs… Je suis supposée survivre à une pneumonie avec ça, moi ? »

Marmonnant plus pour elle-même que pour avoir l’avis de Marwen, dont elle se fichait complètement, Liz envoya sa chemise et son pantalon rejoindre le parquet sans se retourner et déplia devant elle la robe minuscule pour en trouver l’avant et l’arrière.
La famine ne lui avait pas laissé que la peau sur les os, mais elle s’était un peu déplumé depuis l’arrivée du Fléau, c’était indéniable. Pas de cuisse bien ronde et potelée, pas de gorge généreuse ou de hanches pulpeuses comme ces messieurs aimaient tant en pétrir. Et si, une fois son costume passé, elle constata qu’elle n’avait tout de même pas l’air d’une parfaite planche à pain, il était évident que l’ancienne propriétaire de la robe remplissait mieux le décolleté. En revanche, la coupe avait été savamment étudiée pour marquer la taille et la cambrure du dos, quel que soit le gabarit à mouler.

La jeune femme tira en vain à plusieurs reprises sur le bas de sa liquette pour tenter de cacher un peu ses jambes. Avec le fond d’air frais de ce mois de mars, elle frissonnait et avait la nette impression de se promener complètement à poil. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était resserrer un peu le cordon de son col pour éviter de montrer ses seins au tout-venant.

Son pantalon était dans un tel état de crasse qu’elle était à peu près certaine de ne pas pouvoir le ravoir et elle préféra s’en emparer pour servir de torchon. Ses bottes dans une main, ses frusques dans l’autre, elle s’approcha de la fenêtre et s’agenouilla au sol pour profiter de la clarté lunaire tout en restant hors de vue. Un bras plongé dans une botte, elle entreprit de nettoyer les plus grosses taches. Pas un instant elle ne leva le nez de son ouvrage, se sentant profondément ridicule et humiliée dans cet accoutrement. Et particulièrement vulnérable aussi…

« Je connais mal la milice de l’Esplanade, mais celle de la ville basse n’est pas réputée pour faire la fine bouche si une occasion se présente. Ne compte pas sur moi pour écarter les cuisses en cas de problème. Je peux jouer un rôle, mais je ne suis pas si bonne actrice. »

Elle-même comptait souvent sur son statut de commerçante et de sorcière plus ou moins déclarée pour se préserver des visites intempestives de la milice, mais il n’était pas rare que les garants de l’ordre se payent du bon temps gratuitement en troussant une ribaude qui aurait le malheur de tenir seule sa boutique ou de passer non loin d’une patrouille en manque. Les histoires sordides ne manquaient pas et Elisabeth ne comptait pas ajouter la sienne au lot.

Les traces de vase et de boue sur ses chaussures avaient en grande partie disparues et il ne lui restait plus qu’à arranger sa mise. Si elle voulait passer pour une catin, il fallait qu’elle ait l’air un peu mieux coiffée que ça.
Quittant le sol froid pour revenir vers la commode, elle entreprit de défaire le semblant de tresse qui lui tenait les cheveux.

« Il me faut un peigne. Ça ne sert à rien d’être le cul à l’air si je n’ai pas l’air un peu soignée. Et je te préviens, si tu me propose un râteau pour me coiffer, je te l’enfonce tellement profondément là où le soleil ne brille jamais que tu pourras marcher comme un vrai baron sans avoir à faire d’efforts. Ah et une chose aussi. »

Ses cheveux tombaient désormais en un rideau sombre autour de ses épaules, cachant son expression. Elle avança de deux pas pour se rapprocher de Marwen et lui envoya un coup de genoux entre les jambes, sans crier gare. Après quoi elle lui tapota l’épaule.

« Voilà, comme ça cette situation est inconfortable pour tout le monde. »
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Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 3 EmptyMer 26 Oct 2016 - 0:45
Il y avait des moments qui puaient la merde comme pas deux, tant et si bien que vous ressentiez tout de suite l’envie de décéder sur place. Le passage dans les égouts, en compagnie des fangeux et des brigands qui avaient tenté de s’enfuir avant de se faire écharper en était. Et il y en existait d’autres qui, au contraire, détenait une certaine saveur, vous emplissait de satisfaction et d’amusement. Celle qui se déroulait présentement sous les combles, dans ce vieux grenier oublié, y appartenait justement, et Marwen, fidèle à lui-même, n’était pas prêt d’en lâcher le morceau. Ainsi qu’il l’avait déjà expliqué à Elisabeth, il profitait de chacune des rares occasions que cette putain de vie n’offrait que trop peu souvent pour se gausser, sans penser au lendemain.

Et là, sincèrement, il se payait depuis cinq minutes une bonne tranche de rire, n’en déplût à la sorcière. Il se bidonnait tout seul comme il l’avait déjà fait après avoir singé de la pousser dans les abysses sans fond et verdâtres des égouts, il avait le sourire facile, bien trop facile, et se marrait nerveusement de temps à autre en contemplant l’expression irritée, indignée de sa partenaire. Et il semblait bien qu’au plus il s’en amusait, au plus elle, de son côté, devenait prompte à l’énervement. Tant et si bien que l’apothicaire lui décocha quelques pauvres traits, maigres revanches vis-à-vis de la situation dans laquelle le contrebandier l’avait foutue. Notamment sur ses couilles et son statut d’homme. Cette répartie s’avérait aussi mauvaise que celle dont Marwen s’était fendue après avoir maintenu la sorcière au niveau de la partie callipyge de son corps. Ce fameux moment où il avait prétexté qu’il avait agi de la sorte avec elle parce que, justement, elle était là, et qu’il se serait comporté ainsi avec n’importe quelle autre femme. Il haussa les épaules, préférant, là aussi, s’en amuser plutôt qu’autre chose.

« Tu vaux mieux que cela, sorcière. C’est tellement la réplique typique des grognasses, ça, quand elles n’ont rien d’autre à ajouter. Que ça soit sur l’existence ou la longueur. Fais un effort, quoi. »

Après être parvenu à enfiler ses bas rouges, sautillant en évitant les fourbes poutres qui pouvaient passer par là, il étendit la tunique devant lui, cherchant l’entrée et la sortie de la vêture avant de l’enfiler prestement. Voilà qui le changeait bigrement, et même si ce n’était assurément pas la première fois qu’il se livrait à ce genre d’exercice, cette altération de personnalité et d’apparence le bouleversait à chaque fois. Il s’en amusait toujours autant. A vrai dire, Marwen appréciait les bonnes choses de la vie, y compris, parfois, se tourner en ridicule, alors même qu’il conservait son identité. Lorsqu’il modifiait cette dernière, cela pouvait être pire encore que s’il était soudainement imbriaque, et le déguisement le désinhibait plus que de raison. Là, l’Esbigneur se trouvait presque dans un état second, et rien ne pouvait lui retirer sa bonne humeur, par mêmes les éternelles piques d’Elisabeth. Comme toujours, il en rit.

« Sacrée sorcière, toi et tes damnés pouvoirs. Voilà que tu lis en moi comme dans un livre ouvert. J’avoue, je confesse, je me repends ; je prends le risque d’être jeté en taule, voire balancé à l’extérieur de Marbrume après avoir été découvert dans l’Esplanade, juste pour voir ton petit cul nul. J’ai monté cette histoire de toute pièce pour découvrir ce qu’était une femme. Ah, les hommes. Tous les mêmes, huehuehue. »

Et pendant que sa partenaire maugréait quelques malédictions en se retournant, sûrement à son attention, le contrebandier ne manqua pas une miette du spectacle. Il ne se détournerait pas, ainsi qu’il l’avait promis, et profita bien de la scène qui se déroula sous ses yeux. Il en fallait peu, désormais, dans ce bas monde, pour éveiller l’intérêt de certaines personnes, et lorsque la mort rôdait, jouait à cache-cache avec vous, il fallait savoir se saisir de la moindre petite satisfaction que vous pouviez récolter.

Après tout, une Elisabeth qui lui tournait délibérément le dos, qui retirait son manteau, qui délaçait du mieux qu’elle le pouvait son corset avant de dénuder ses épaules, ça avait un petit quelque chose de lascif, de voluptueux, et le tableau en devenait d’autant plus intéressant qu’ils n’avaient pas arrêté de se taper l’un sur l’autre, constamment. Alors, adossé contre le mur, ajustant sans véritablement s’en rendre compte son liripipion bordeau, Marwen continuait de l’observer en silence. Ouais, définitivement, elle pouvait l’insulter de tous les noms, il s’en acquitterait bien volontiers, et son regard d’acier épiait les courbes de la jeune femme. En fin de compte, cela manquait cruellement d’harmonie et de formes, mais la famine qui ravageait la capitale expliquait cela, et l’Esbigneur, avec sa forte carrure mais ses cotes creuses, presque faméliques à leur manière, ne pouvait que difficilement lui reprocher son défaut de chair aux endroits les plus importants. Et puis, en fin de compte, un fessier dénudé, la cambrure dévoilée d’un dos, et ces longs mouvements élégants et félins dont les femmes avaient le secret, qu’elles empruntaient pour se vêtir, demeuraient fortement plaisants.

Il se secoua malgré tout brutalement la tête ; voilà que l’opinion qu’il portait sur elle menaçait de s’en trouver altérée. Foutue sorcière, sûrement un de ses sortilèges à la con. Après ce doux moment de poésie qu’il ne lui avouerait sans doute jamais, il décida de briser le charme qui s’opérait sur lui en revenant sur un certain sujet, l’un de ceux pas très glamours, capables de vous désenchanter.

« ‘Coûte trop chers, les thermes. Mais t’es pas mieux lotie, niveau crasse, chérie. T’as pas idée de ce que peuvent infliger les égouts et sa purée de pois. Gratte-toi un peu derrière la nuque, à la base du cou, en bordure des poignets, bref, à n’importe quelle peau dénudée, et dis-moi ce qui s’accumulera sous tes ongles. Un vrai petit régal. »

Marwen, depuis le temps, avait terminé de s’habiller, au même titre que la future soubrette en devenir, et il s’amusa de l’inconfort que ressentit assurément Elisabeth. La voilà qui s’observait à son tour sous toutes les coutures, vérifiant son décolleté, tirant dessus pour le refermer, tentant, en vain, d’abaisser le niveau du bas de sa robe qui lui remontait bien trop. Elle ne tarda pas à abandonner cette lutte perdue d’avance pour ravauder son pantalon, accroupie dans l’embrasure du grenier, récoltant le plus de lumière possible d’un ciel sans lune, et cette robe bien courte lui remontait presque au niveau des hanches, tissu plié. L’Esbigneur manqua de le lui faire remarquer, mais, quand bien même n’était-il pas sorcier lui aussi qu’il parvenait déjà à deviner la teneur de la réplique ; c’était un foutu pervers, et s’il voulait mater des culs, il n’avait qu’à aller aux thermes. Aussi décida-t-il bien sagement de demeurer coi et de mater. S’en suivirent malgré tout quelques paroles pertinentes sur la milice de passage.

« Bha, si jamais on se fait trop repérer, au moins, je saurais comment agir. Je te pousserai dans leurs bras pendant que je me barrerai. T’as pas grand-chose à mettre en valeur, en fin de compte, mais bon, tu devrais faire l’office. Surtout si ce sont autant des dalleux que tu l’affirmes. Non ? »

Sourire narquois, qui ne tarda pas à disparaître lorsque, après s’être étendu sur sa chevelure, la sorcière se redressa subitement pour lui envoyer un coup de genou dans les parties. Surpris une fois de plus, le contrebandier ne put que réagir à moitié, tout comme la première fois, et ne parvint pas à esquiver totalement l’agression en opposant sa jambe.

« Putain de… »

Il se plia de moitié en avant, mâchoire serrée, membres crispés, comme pour faire obstacle à cette foutue douleur qui se faisait toujours désirer une ou deux secondes avant de vous envahir l’intégralité du corps. Et plié qu’il était toujours, il chercha un support sur lequel se reposer, et ne trouva rien de mieux, l’esprit quelque peu irrité, que le cou d’Elisabeth. Soufflant comme un bœuf pour évacuer la souffrance, il la harpa de la main gauche, juste sous la gorge, et la ramena bien toute droite contre le mur opposé de l’exiguë pièce, avant de lui redresser le menton, bien en face du sien, pour que leurs regards se croisassent fixement.

« Quoi, faut que l’on en revienne à se coller des baffes une fois de plus ? Te cogner la tronche, étrangement, je m’en passerai bien, désormais. Surtout si ma putain se promène avec un œil au beurre noir, tu vois le genre ? Y’a peut-être des connards dans la milice, mais je suis persuadé qu’il y des saints, trop bons, trop cons, pour voler au secours de la veuve et de l’orphelin dans ton genre. Ou bien ne serait-ce qu’un simulacre pour te bataculer par la suite, qui sait. Cela dit… »

Refoulant ses tourments qui montaient de son bas ventre pour lui vriller dans tout son être, il ne leva pas, cette fois-ci, la main sur elle à proprement parler. A la place, alors que sa senestre monopolisait toute l’attention de la sorcière en lui maintenant le visage, sa dextre, et en particulier son indexe, vint se glisser dans le décolleté bien trop large et opulent pour sa propriétaire actuellement. Avec un détachement et une nonchalance sans pareil, il écarta de bas en haut le tissu du côté droit, dans un arc de cercle, jusqu’à parvenir en son point le plus bas, et le mouvement dénuda sans souci aucun un sein blanc sur lequel il ne porta qu’un bref regard, et un petit ricanement.

« T’es gonflée de parler de mes couilles. Toi aussi, t’as arrêté ta croissance à douze ans, planche à pain ? Eh ouais, moi aussi, je peux me fendre de répliques faciles. Aussi facile que tu ne l’es désormais, soubrette. »

Prévoyant un nouveau coup, un rugissement ou une autre exubérance du même acabit, il se recula brutalement, la laissant là, corsage éventré, mais ne put s’empêcher de lui dédier un petit clin d’œil mesquin.

« Mais non, j’ai rien pour arranger tes mèches. Un râteau, putain. Arharharh. Je regrette de ne pas y avoir pensé plus tôt, juste pour voir ta gueule. »

Il la laissa arranger sa mise une dernière fois si le cœur lui en disait, avant de décider qu’ils pouvaient y aller en lui désignant l’échelle. Soudainement, son port changea du tout au tout, son maintien également ; Marwen venait de rentrer dans son personnage, quoique ne pouvant se départir de son ironie mordante.

« Je gage à ce que la galanterie m’oblige à vous laisser passer, mademoiselle, fit-il en s’inclinant bien bas, exagérant chaque mouvement comme pour lui rappeler, par contraste, la subite différence de rang qui les séparait. Voilà qui aura, en sus, l’avantage de dissimuler votre délicat entrefesson effrontément révélé par votre vêture, entrefesson que je ne saurais voir si, d’ordinaire, j’en venais à relever la tête après être passé en premier. »

Une fois parvenu au dehors, Marwen se frotta les manches. Définitivement, l’habit était passé, dans un genre ancien, démodé, mais, à la faveur de la nuit, l’on pouvait toujours se fourvoyer, surtout lorsque l’on n’était qu’un simple milicien. D’autant plus que la contenance et l’assurance prévalaient généralement beaucoup sur l’accoutrement. Jouant le jeu jusqu’au bout, l’Esbigneur se tint bien droit, proposant diligemment son bras à la sorcière, non sans lui décocher une fois de plus un petit clin d’œil complice.

Et tous deux évoluèrent ainsi dans les grandes allées de l’Esplanade, au vu et su de tous, quoique personne ne trainât véritablement dans les parages pour les admirer. Marwen avait le pas leste et l’enjambée vaste, pressée, mais pas trop. Il marchait tout droit devant, sachant pertinemment où se trouvait sa destination, et sa connaissance de la ville n’ajoutait que plus encore de crédit à sa comédie. Et à ses côtés figurait Elisabeth, pendue à son bras, dans sa vêture indécente et presque vulgaire. Du moins espérait-il qu’elle agît de la sorte, et qu’elle ne fît pas de nouvel esclandre. L’objectif à attendre n’était pas la Porte des Anges, comme avait possiblement pu le penser la jeune femme, mais bien un nouveau réseau souterrain qui menait directement de l’autre côté du Rempart Intérieur. Effectivement, ainsi qu’il le lui avait déjà conté, les contrôles s’avéraient bien plus sérieux à la frontière officielle, à ce corps de garde séparant le peuple de la noblesse, là où les vérifications de routine, au sein de l’Esplanade, demeuraient bien plus insignifiantes, faites à la va-vite. Généralement. En outre, s’il disposait d’un titre de séjour falsifié, il se pouvait que l’on en vienne à discerner son caractère interlope, et si la sorcière lui avait expliqué qu’elle détenait elle aussi d’un permis, Marwen ignorait si elle l’avait justement là, sur elle. Enfin, pour terminer, même après avoir réussi à franchir la Porte des Anges, il leur faudrait encore affronter le couvre-feu qui régnait dans toute partie de Marbrume, et leur accoutrement, noble pour l’un, putain pour l’autre, ne manquerait pas de choquer plus encore les patrouilles.

Se révéler ainsi au grand jour, bien qu’à la faveur de la nuit, leur permettait de progresser bien plus rapidement qu’ils ne l’avaient jamais fait jusque-là, et ils dévoraient les encablures de leurs pas assurés. Ils parcouraient les rues sans avoir à se cacher, sans passer par des chemins détournés qui auraient pu leur accorder davantage d’ombres et d’obscurités, et peut-être même, à un certain moment, crurent-ils apercevoir une silhouette qui cherchait à se dissimuler à eux, dans les ténèbres lointaines. La chance leur avait souri nonobstant, car ils ne virent personne d’autre. Jusqu’à ce couple en question.

Un homme et une femme, de noble naissance assurément, comme en témoignaient leurs vêtements et les riches bijoux qui les ornaient, qu’ils croisèrent au détour d’une allée. Ils ne s’accordèrent qu’un rapide salut, et de petits « messire, damoiselle » et « messire, madame » furent lancés d’un côté et répondu de l’autre. En revanche, le regard de l’homme et de la femme s’appesantirent fermement sur la prétendue catin postée au bras de Marwen, et il leur sembla même que la noble se retourna à leur passage tout en lui adressant une œillade indignée à destination d’Elisabeth. Quelques instants plus tard, et l’Esbigneur se pencha à l’oreille de sa compagne.

« Je n’aurais pas apprécié la façon dont elle t’a dévisagée, la vieille. Un commentaire ? » lui chuchota-t-il, toujours amusé.

Mais les complications firent bientôt irruption dans leur promenade, à deux rues du refuge prévu par le contrebandier. Au recoin d’une artère, ils bifurquèrent, changeant de voie, et tombèrent nez à nez avec une petite patrouille. Les miliciens se révélèrent tout aussi surpris qu’eux, et le coutilier, le plus étrangement du monde, en vint à sursauter et à manquer de dégainer son arme. Apparemment, ils étaient tous sur le qui-vive.

« Qu’est-ce que… Put…. Oh, mer… excusez-moi, messire. »

Voyant en premier Marwen dans sa noble mais dépassée vêture, son visage s’était soudainement adouci, rassuré de constater qu’il ne s’agissait pas des éventuels bandits ou voleurs qu’on lui avait peut-être signalés. En revanche, lorsque son regard se posa sur Elisabeth, il parut troublé, et ses yeux se perdirent là où l’interdisait la décence. Le contrebandier s’amusa notamment, mais quelques secondes durant, de remarquer qu’au lieu de se tenir correctement, en file indienne, les gus commençaient à dépasser leur tête de l’épaule de leur voisin, pour lorgner du côté d’Elisabeth. Un divertissement comme un autre, n’était-il que visuel, ce qui conforta le coutilier dans sa mission de vérification. Le regard toujours porté sur la jeune femme, il demanda :

« Je peux vérifier vos, eh bien, vérifications ? »

Voilà qui pouvait rapidement devenir gênant, en fin de compte, pour Marwen tout comme pour la sorcière. Aussi rentra-t-il définitivement dans ce rôle qu’il se plaisait à jouer.

Il abandonna tout son argot, tous ses tics de langages, toutes ses insultes et des mimiques narquoises pour emprunter l’expression impériale et implacable d’un noble outragé. Son regard gris ne cilla pas, comme à l’ordinaire, mais sa lèvre supérieure se releva en une moue dédaigneuse.

« Je sais que vous autres du vulgum pecus ont coutume que de souffrir d’une impéritie en matière de cataglottisme, mais je vous prierai malgré tout d’adapter votre clabaudage versaudé à ma noble personne », lança-t-il brusquement tout en dégainant presque sans le regarder son titre de séjour falsifié pour lui plaquer presque devant sa trogne.
Ça, le voilà qui pétait plus haut que son cul, mais, intérieurement, il en jubilait tout autant qu’il se chiait dessus. C’était grisant que de pouvoir prendre les autres comme de la merde, mais demeurait toujours le danger que de se faire repérer.

Le briscard, toutefois, de son côté, cilla une fois, deux fois, d’un air bête, stupide. Il paraissait ne pas avoir tout compris du verbiage alambiqué de ce noble qu’il avait intercepté à l’improvisade, action qu’il regrettait peut-être, par ailleurs. Il ne prêtait guère attention au parchemin que lui tendait Marwen, et l’on pouvait sentir une lourde gêne s’appesantir sur ses épaules, comme s’il n’osait plus trop regarder derrière lui, en direction de ses hommes qui, de leur côté, le miraient bel et bien, attendant sa réaction. L’Esbigneur ne connaissait que trop bien cette sensation d’impuissance, surtout lorsque, alors qu’il s’était frayé chez la noblesse, on lui avait présenté de la poésie, ou une autre connerie du genre qu’il n’avait pas pu être capable de lire, ne sachant pas ses lettres. Donner un jugement, quel qu’il fût, devenait dès lors très délicat. C’était assurément la même sensation qu’il éprouvait présentement. Indécis, son regard se tourna une fois de plus en direction d’Elisabeth, comme si c’était à son tour.

Citation :

Contrairement à ce que tu m’as dit dans le post, moi, pour te sortir d’affaire, je me rappelle d’une phrase sur la cb :

[03:51:29] Elisabeth Gardefeu : Eli porterait une robe, j'aurai eut une idée bien clichée x)

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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 3 EmptyMar 1 Nov 2016 - 1:03
Elle était habituée à être traitée sans trop de douceur. Rien dans son quotidien n’était vraiment accueillant et bienveillant, sauf peut-être son lit et la famille Frappablanc. S’écorcher les mains et les genoux, se casser le dos en portant des charges lourdes, jouer les acrobates en haut de son échelle pour aller faire les inventaires des plus hautes étagères, Eli n’était pas flemmarde et elle ne se plaignait pas souvent. Mais le choc de sa tête contre le mur fit exploser une douleur bien trop insistante pour être oubliée et elle serra les dents pour ne rien laisser sortir de sa bouche comme plainte, partagée entre l’inconfort de sa position et la soudaine crainte de ce qui allait se passer.
Ce genre de crainte sourde qui vous attrape par les tripes avant de les tordes, qui vous presse le cerveau en y injectant des hypothèses toutes plus désagréables les unes que les autres sur ce qui va se passer l’instant d’après. Ce genre de crainte que toutes les femmes pouvaient ressentir quand elles avaient le malheur de marcher seule dans certaines ruelles ou à certaines heures, la même crainte que maintenant les hommes pouvaient avoir quand il fallait sortir hors de la ville pour gambader dans le marais. Celle qui étreint toutes les proies qui savent que, même si elles se montrerons vaillantes et vendrons chèrement leur peau, elles perdront toujours le combat.

Les doigts de Marwen lui serraient la mâchoire trop fort et par réflexe, elle s’était agrippée à deux mains à son poignet, y enfonçant ses ongles sans pitié. L’apothicaire n’entendit pas vraiment les piques à propos de son physique, elle n’y accordait aucune importance pour l’instant. Tout ce qui comptait, c’était qu’elle avait moins de force que ce qui la plaquait contre le mur et qu’elle n’aimait pas du tout le petit manège auquel son guide et bourreau était en train de se livrer. Le contact sur sa peau lui tira un frisson glacé qui lui donna envie de se changer en serpent pour pouvoir tuer ce sale type en un éclair !

*Ne. Me. Touche. Pas.*

Si elle avait espéré avoir touché le fond de l’abysse de l’humiliation avec la tenue qu’elle devait porter, ce n’était en réalité rien comparé au sentiment de honte qui lui soulevait le cœur à cet instant. Si elle avait pu quitter son corps pour en enfiler un nouveau, un qui soit propre et qui n’ai pas été souillé par les égouts, cette putain de robe et ce putain de contrebandier, elle l’aurait fait immédiatement. Il y avait une nette différence entre une main au panier en profitant d’un moment où elle ne pouvait pas se plaindre et un déssapage forcé dans le fond d’un grenier sombre. Une différence qui suffisait pour que la jeune femme n’ait absolument plus envie de rire.
La dernière mesquinerie de l’Esbigneur lui fit presque monter des larmes de rage et elle voulut lui envoyer un nouveau coup, dans le ventre ou entre les jambes, peu lui importait, pour qu’il la lâche. Instinct de conservation ou anticipation bienvenue, quoi qu’il en soit son guide n’attendit pas que le coup porte pour s’écarter, la libérant de sa présence indésirable. D’un geste rapide, Elisabeth referma le col de sa ridicule petite robe, tirant sur le tissu pour couvrir le plus de peau possible. Elle n’ajouta rien, ne se mit pas à crier ou à injurier. Elle se contenta de jeter un regard venimeux au contrebandier avant de lui tourner à moitié le dos pour attacher ses cheveux avec un lien en cuir, à la façon de certaines demoiselles de petite bourgeoisie. Les filles de petite vertu copiaient souvent les artifices et la mise des dames qui n’auraient jamais à écarter les cuisses.

L’idée de devoir jouer les putes lui donnait envie de hurler, mais si c’était le seul moyen à sa portée pour rentrer chez elle, alors elle ferait profil bas pendant quelques temps. Et une fois rentrée, elle récurerait le moindre centimètre de peau à la brosse, quitte à se faire des brûlures.
Marwen se coula avec une facilité et un plaisir évident dans son nouveau petit rôle. La jeune femme ne lui fit aucune remarque sur son discours, passant devant lui sans le regarder. Encore heureux qu’il la laisse passer en premier, il n’était pas question qu’elle lui permette de se rincer l’œil plus qu’il ne l’avait fait jusqu’ici. Son seul réconfort était de sentir ses aiguilles, camouflées sous le peu de vêtements qu’elle portait et de savoir que sa cape, qu’elle avait remis sur ses épaules, cacherait un peu dans l’ombre sa tenue indécente. S’il avait espéré pouvoir la trimballer sans rien sur les épaules en pleine rue, il s’était fourré le doigt dans l’œil et heureusement pour lui, il ne demanda pas à ce qu’elle laisse son manteau ou sa ceinture derrière elle. Certaines choses ne pouvaient pas être abandonnées.

*Même si visiblement ma dignité n’en fait pas partie…*

Arrivée au sol, elle se retint de mettre sa capuche et tira une dernière fois sur les pans de sa robe avant de prendre le bras qu’il lui offrait, essayant tant bien que mal de s’habituer à son propre rôle. A l’œillade elle ne répondit que par un rapide coup d’œil, peu encline à retomber dans les chamailleries presque amicales qu’ils avaient fini par échanger.

Cheminer sans avoir à se cacher était un peu stressant, mais bien plus rapide, il fallait en convenir. Malgré l’heure tardive, ils croisèrent un couple en maraude. Bizarre d’être dehors à cette heure-ci… le couvre-feu ne devait pas concerner tout le monde, semblait-il. Parfaitement dans son personnage à présent, Elisabeth parvint à se composer un air tout à fait aimable et courtois, avec un brin d’insolence typique des filles de mauvaise vie quand elles arrivent à harponner un gros poisson. Le regard posé sur elle ne lui fit pas baisser les yeux, ni rougir. Intérieurement elle se félicita d’être habituée à jouer la comédie un peu tous les jours. Marwen ne put cependant pas s’empêcher d’enfoncer le clou, lorsqu’il fut certain que personne ne pouvait plus l’entendre. S’il cherchait à l’humilier encore un peu plus, il s’y prenait très mal. Liz ne lui donna rien pour renchérir, préférant simplement l’ignorer. Qu’est-ce qu’elle pouvait dire de toute façon ? Même elle, elle était d’accord pour dire que cette robe était un outrage aux bonnes mœurs et ce n’était pas étonnant qu’on lui ait jeté un tel regard. Ensuite, est-ce qu’elle se sentait blessée ? Non, elle se fichait de l’opinion de cette vieille dondon sur le rôle qu’elle incarnait.

Un peu plus loin, alors qu’ils arrivaient enfin à destination, le destin leur joua un vilain tour en posant sur leur route une patrouille toute en armure. La jeune femme n’eut pas besoin de feindre la surprise et pensa immédiatement à s’ancrer dans son rôle de putain. La réaction de la petite escouade de sécurité ne tarda pas à arriver et plutôt que de prendre un air offensé, Liz veilla à leur sourire avec une ingénuité parfaitement mimée tout en se raccrochant à deux mains au bras qu’elle tenait déjà pour bien signaler qu’elle n’était pas disponible pour la piétaille.
S’en suivit une scène assez gênante où Marwen fut obligé de sortir le faux passe-droit sous le nez d’un coutilier visiblement inventeur de l’eau chaude. Avait-on idée de confier la responsabilité d’une escouade entière à pareil abruti ? À défaut d’avoir de l’instruction, il aurait au moins pu avoir de la répartie, mais mère-nature semblait lui avoir refusé les deux. Et voilà qu’il se tournait vers la prétendue catin comme pour quérir une aide quelconque. Ridicule.
Bien obligée d’intervenir, Elisabeth s’ingénia à rester dans son rôle et offrit un sourire au milicien avant de prendre sa voix la plus douce possible. Celle que Marwen n’aurait pas pu espérer entendre autrement qu’en rêve s’il ne l’avait pas embarqué dans cette grotesque comédie.

« Nous ne voulions pas vous causer d’inquiétude, messire, mais votre franc-parler peut-être un peu agressif pour des oreilles plus délicates que les nôtres. »

Elle lui désigna d’un très léger mouvement de la tête le noble dont elle tenait le bras pour bien lui faire comprendre que les gens du beau monde étaient d’une autre espèce qu’eux.

« Monseigneur d’Ableÿ ne demande que la courtoisie qui lui est dut, sans remettre en cause votre autorité. Nous sommes navrés d’avoir interrompu votre patrouille, messire, nous rentrions justement. Il se fait tard et la fatigue rend impatient. Milles excuses. »

Avoir assez de langage pour passer pour une courtisane huppée mais rester à un niveau parfaitement compréhensible par un bœuf comme celui qu’elle en face d’elle, c’était un jeu d’enfant. Elle en avait l’habitude, il fallait jouer à ça tous les jours dans sa boutique lorsqu’il s’agissait de rassurer ces bonnes dames sur les effets d’une composition ou d’expliquer, sans trop en dire et en restant compréhensible, comment elle parvenait à obtenir un onguent. Ce qui lui demanda un peu plus d’efforts et d’attention fut de nuancer son discours en flattant un peu l’égo du milicien tout en lui rappelant qu’il avait à faire à un noble et en glissant au passage qu’il ne servait à rien de poursuivre cette rencontre surprise.
Le bonhomme la regarda, ou du moins il regarda avec une insistance assez embarrassante pour la dignité humaine en générale le décolleté de la demoiselle, et hocha la tête avec une sorte d’aplomb exagéré, comme s’il avait parfaitement compris la première fois et qu’il acceptait les excuses de cette traînée qui se raccrochait à son gagne-pain, littéralement. Se sentant très certainement conforté dans son autorité puisqu’elle venait de confirmer devant tout le monde qu’il en avait, il jeta un rapide coup d’œil au papelard avant de revenir à elle, qui s’efforça de rosir en baissant le regard pour faire bonne mesure, et se rengorgea, ragaillardit par la vision d’un corps féminin à moitié nu à cette heure tardive et la certitude de maîtriser entièrement la situation.

« J’vous en prie. Brusquerie militaire, comprenez ? Je vous conseille de rentrer vite fait, on nous a signalé un peu de grabuge, p’t’être bien des voleurs. ‘Dame, Monseigneur. »

Le gus adressa un petit signe militaire à Marwen en claquant les talons et se tourna vers son escouade qui se remit immédiatement en rang, le dos droit et les fesses bien serrées de peur de se prendre une taloche, et sur un ordre sec ils se remirent en route, se retenant à peine de reluquer une dernière fois la jeune femme qui leur adressa un petit signe de la main faussement innocent en faisant un peu plus pigeonner son décolleté. Le bruit de pas et de casserole s’éloigna tandis qu’eux-mêmes reprenaient leur route et ils ne se remirent à respirer normalement que lorsqu’ils tournèrent à l’angle d’une rue, une fois sûr et certains que le coutilier ne reviendrait pas sur sa décision.
Elisabeth lâcha le bras de son soi-disant client et remonta son col, par acquit de conscience, avant de jeter une œillade par-dessus son épaule pour être bien sûre que la patrouille était hors de vue. Sans accorder d’attention particulière à l’Esbigneur, ne souhaitant pas se retrouver face à face avec un sourire grivois ou son éternelle trogne goguenarde, elle poursuivit sa route sans reprendre son bras, préférant refermer son manteau autour d’elle. Il faisait froid lorsqu’on avait rien pour se couvrir les jambes et elle ne se sentait plus la patience de supporter plus longtemps le contact avec le contrebandier. Le souvenir de sa dernière humiliation était gravé au fer rouge dans sa mémoire.

Enfin ils arrivèrent à destination et l’apothicaire arrêta ses pas lorsque son guide le lui fit savoir. La suite du plan lui était inconnue mais cette fois elle ne chercha pas à râler ou à presser les choses. De toute manière, elle avait fait son deuil de l’impression d’avoir le moindre contrôle sur ce qui se passait et avait à présent juste hâte de pouvoir rentrer chez elle se lover dans son environnement familier. Évitant soigneusement de croiser le regard de Marwen, elle s’attarda plutôt sur la bâtisse devant laquelle ils se tenaient.
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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 3 EmptyMar 1 Nov 2016 - 4:09
Si la sorcière n’avait pas paru très encline à jouer au petit jeu de l’Esbigneur et avait soudainement perdu l’usage de sa langue comme de ses réparties, tout juste au sortir du grenier, il lui fallut de nouveaux regards qui farfouillaient son décolleté aberrant et des œillades qui se glissaient sous sa robe trop courte pour, comme par magie, retrouver son verbiage. Pour un peu, Marwen en eût presque soupiré de lassitude, intérieurement. Ces bonnes femmes, il n’y avait que le besoin de reconnaissance qui semblait les motiver, ce qui s’avérait d’autant plus ironique après avoir constaté l’expression offensée, sans doute singée, d’Elisabeth lorsqu’elle avait découvert sa nouvelle vêture. Evidemment. L’on feintait de prendre ombrage que de faire de l’ombre à la décence, mais, au plus profond de soi-même, l’on saisissait avidement cette occasion de montrer son corps et de plaire par des habits aucunement appropriés, et cela tout en rejetant la faute à ce connard de Marwen qui vous obligeait à vous parer de la sorte. Il avait bon dos, le contrebandier, se disait-il.

Si Marwen s’était tu à son tour, espérant bien que la sorcière avait plus d’un tour dans son sac, ou qu’elle s’essayerait à jeter un sort à ce coutilier, quoique de façon discrète, si possible, si ce dernier n’avait eu de cesse que de bégayer en empruntant un air abruti, Elisabeth, elle, adopta un ton fluide et doux, qui charma instantanément l’assistance. C’était peut-être ça, son enchantement ésotérique, alors qu’elle n’avait fait que cracher du venin depuis que Marwen l’avait rencontrée. Ou bien était-ce un des nombreux autres effets de cette robe, en sus d’exhiber ce qui devait demeurer caché. Une petite mine gracieuse, un léger et tendre sourire, et pour un peu, elle aurait presque posé sa main avec délicatesse sur le bras du gus, geste déplacé mais pourtant ô combien maîtrisé, qu’il n’aurait assurément pas repoussé.

En tout cas, l’Esbigneur devait confesser qu’elle savait très bien user de la sensibilité d’autrui, les caresser dans le sens du poil, et ménager leur ego masculin. L’espace d’un instant, il songea à cela, avant de chasser de son esprit tous les calembours et les idées douteuses qui lui traversaient la tête, pour se focaliser de nouveau sur cette étrange scène. Plutôt que d’effleurer la manche du milicien, la sorcière se raccrocha à celle du noble qu’elle se devait de servir, tout en le désignant d’un charmant mouvement du menton. Allons donc. Ni une ni deux, le contrebandier se plia une nouvelle fois au jeu, le forçant même à sa manière, et, pour accentuer cette idée de possession, de couple nouvellement formé, il glissa une main autour de la hanche de la soi-disant putain pour la rapprocher que plus encore de lui-même, tout contre son flanc. Bien des regards n’avaient toujours pas quitté la jeune damoiselle en petite tenue, mais il y en eut un, tout de même, pour suivre le menton de la dulcinée et poser le regard sur le sang-bleu qui se tenait à ses côtés. Et Marwen put presque y deviner les nombreuses interrogations qui tarabustaient ainsi ce milicien du fond, caché derrière ses camarades.

Qui était donc ce foutu noble qui se permettait s’affranchir des règles édictées par le duc et de sortir en garouage ? Pourquoi avait-il le droit de trousser librement cette créature aucunement déplaisante lorsque lui devait faire le plancton à patrouiller dans les rues, à risquer sa vie ? Pourquoi était-il riche pour pouvoir ainsi se l’offrir, et lui pauvre ? Pourquoi, putain, Anür l’avait-il fait noble, et lui simple pécore, ou si peu ? Marwen ne pouvait malheureusement pas apporter de justifications convenables à ce grand mais jeune philosophe qui pourpensait sur le sens de son existence, aussi se fendit-il de la plus simple des réponses, celle qu’il savait transmettre au mieux. Il n’attira que plus encore la jeune femme contre lui, tout en décochant un clin d’œil égrillard et vainqueur au pauvre milicien désabusé. Il réprima son éternelle mine cauteleuse ; assurément, la sorcière allait adorer cette petite mise en scène bien intimiste.

N’en ressortit que la réplique d’Elisabeth fit mouche, là, à jaspiner sur l’autorité aucunement remise en cause et l’importance de l’urbanisme qui seyait à des gens de leur acabit ; le petit général de cette joyeuse troupe hocha de la tête d’un air entendu. Finalement, il avait enfin compris ce qui s’était dit, ce qui demeurait relativement normal dans la mesure où l’apothicaire lui avait parlé comme s’il n’avait pas été autre qu’un grand gosse, pas méchant et bien brave. Et sur une dernière salutation de circonstance, sur une dernière parole, il tourna les talons, et emporta avec lui ses œillades déplacées mais compréhensibles, ainsi que toute sa clique de soldats. La récréation venait de prendre fin.

La milice disparut au loin comme Marwen et Elisabeth faisaient de même au détour d’une nouvelle rue. Et la sorcière, toujours aussi visionnaire, dans sa capacité des plus louches à pouvoir prévoir l’avenir, avait bien entendu deviné le comportement de son joyeux-luron de compagnon. Celui-ci arborait un sourire plus que satisfait, un grand gamin, du genre à qui la jeune femme aurait très bien pu ressortir le discours enfantin de tout à l’heure. C’était l’exultation soudaine de la victoire après avoir tant prié, entre deux autres pensées douteuses ou cyniques, pour son salut, pour se tirer de cette impasse, de cette situation délicate qui, sur un malentendu, un manque de chance, aurait pu très mal tourner. Mais non, il était toujours en vie, son plan avait fonctionné, il avait joué son rôle à la perfection tout autant que la sorcière, et se trouvait dès lors tiré d’affaire. Tout goguenard et bien en verve, le voilà qui s’adressa à sa partenaire.

« Ces sortilèges de sorcière. Ce charisme, ma parole ! Je hurle, je cri, je transpire ! Tant d’attention, j’en suis jaloux, vexé, que dis-je, offensé ! T’as vu comment ils te regardaient ?! Des petits chiens-chiens devant leur maîtresse. Tu crois qu’ils ont remué la queue ? Eh, attends-moi, arharharh. »

Et voilà que ce grand idiot déguisé en noble, tout bien vêtu d’une sade et gente façon, se mit à courir derrière Elisabeth en se gaussant d’elle comme un gros débile, et le tableau ainsi dépeint avait, à sa manière, quelque chose d’assez spectaculaire ou de franchement désolant. Mais rien de bien méchant, cela dit. Cette mascarade n’était forcée que par la subite découverte de la couardise de la sorcière, laquelle refusait soudainement, et avec obstination, de croiser son regard. Et la réaction la plus naturelle de l’Esbigneur était celle d’enfoncer le clou, de rire et de s’amuser parce qu’il était encore vivant, qu’il existait toujours, et que cette situation actuelle, contrairement à celle d’être enfermé après avoir été reconnu par la milice, rendait possible l’allégresse. Là, pour sûr, il avait quitté son rôle de noble, au moins jusqu’à la nouvelle rencontre d’une patrouille.

Alors que la jeune femme s’emmitouflait comme elle le pouvait dans sa cape, forçant le pas, marchant presque tête baissée afin d’éviter tout contact, Marwen se porta à sa hauteur.

« Dire que j’ai hésité, t’sais. J’ai failli partir de prime abord sur un truc du genre… Ouais, t’as vu comment elle est fringuée, à quel point y’a pas grand-chose sur la peau… Eh ben justement, mon gars, tout affamée qu’elle est, elle suce, faut voir ça ! Genre elle a plus rien à se mettre sous la dent. Un bonheur, je te dis. Tu vois, pour attirer le capital sympathie, la connivence, ce genre de truc. Mais bon, en fin de compte, je me suis dit que le cataglottisme et la battologie versaudée, toutes ces conneries, là, c’était quand même plus crédible. Et puis, pour jouer à fond mon rôle de grand seigneur, de type bien, droit, et respectable, j’ai pas non plus trop voulu te froisser en proférant ma pensée première. »

Sourire ravageur, clin d’œil amical mais non moins sarcastique, et, pour un peu, il en eût presque mis ses mains dans ses poches tout en sifflant une mélodie guillerette, le nez dans l’air.
Ce ne fut pas devant une bâtissent que Marwen la guida, mais dans un espace bien plus glauque, bien moins reluisant. De hauts murs de pierre blanche, tout droits, tout bien dessinés, un grand porche fermé par une lourde grille en fer forgé, de celle capable d’arrêter les morts venus d’outre-tombe, et un panorama malsain qui s’y découpait au derrière, en la présence de nombreux monuments funéraires. Cela avait tout l’air d’un cimetière. Pour autant, ladite grille n’était pas cadenassée ; quiconque détenait des ancêtres enterrés là et désireux d’entretenir leur mémoire pouvait s’y recueillir librement, à cette funeste époque où les tombes et les litanies avaient cédé la place aux fournaises publiques et à leurs crépitements dévorants.

Il semblait malgré tout que, dans la pensée populaire, les aîtres n’avaient plus le vent en poupe ; l’on côtoyait déjà bien trop à la mort qui rôdait partout autour de nous pour frayer avec elle que plus encore dans de tels endroits, et la place paraissait bien plus négligée qu’elle ne l’avait été jadis. Les mauvaises herbes partaient à la reconquête des sépultures anciennement creusées, le granit et le marbre s’effritaient, subissant les outrages du temps, et la pluie comme le vent avaient commencé à effacer les noms gravés des défunts, les condamnant à l’oubli éternel. Marwen serpenta entre les quelques stèles abattues en travers des chemins, foulant ce sol désacralisé par la fange sous le regard austère et intimidant de ces imposantes et morbides statues, défigurées par les ombres. Lui n’accordait aucune attention à tous ces gisants, à tous ces cadavres qui reposaient à quelques pieds sous terre ; il n’avait que trop souvent effectué ce trajet, et, ces derniers temps, que trop fréquenté les cimetières, pour diverses raisons.

Il mena la sorcière tout au fond de la nécropole, vers ce qui semblait être les plus vieilles tombes, les plus vieux cénotaphes. Les inscriptions dans cette langue morte avaient définitivement disparu, les figures apotropaïques avaient perdu leurs traits, et quelques caveaux s’étaient partiellement effondrés, la descendance de ces ancêtres inhumés là s’étant éteinte un ou deux siècles auparavant. Ce fut auprès de l’un d’entre eux, en assez bon état toutefois, que Marwen s’arrêta. Se faufilant derrière au travers des hautes herbes, il écarta un fouillis de broussaille à la base du mur du fond. Là apparut alors un trou de souri, comme l’ouverture funeste d’un soupirail, mais suffisamment large et haut pour y laisser passer un homme accroupi.

« Ton guide préféré aurait bien une petite histoire à te raconter dessus, mais bon, j’ai cru comprendre que tu t’en foutais un peu, et que t’étais plus trop dans l’ambiance. En tout cas, ton échappatoire, sorcière, c’est, en quelque sorte, un nouveau rendez-vous avec la mort. Allez, je passe en premier, une fois de plus. Pour les mêmes raisons que tout à l’heure. »

Joignant le geste à la parole, il se mit à genoux, et disparut dans les ténèbres. De là où elle se trouvait, Elisabeth put ouïr sa voix absorbée, diminuée par la paroi glaciale.

« J’espère que t’es pas trop claustrophobe. Ah, putain, où que je l’ai mis, ce truc… Merde… Ah, voilà ! »

Il y eut quelques cliquètements métalliques, du bruit que produisent deux choses que l’on heurte l’une contre l’autre ou que l’on frotte avec véhémence, puis un léger vrombissement doucereux avant l’apparition d’une chiche lueur. Lorsqu’elle fut passée de l’autre côté, à l’intérieur du tombeau, la jeune femme découvrit Marwen faisant quelques pas dans ce lieu exigu, une torche à la main.

L’endroit n’était donc pas bien grand, et il s’agissait là d’un doux euphémisme. En fait, il y avait assez de place pour deux caveaux de pierre dont les bordures avaient accusé, semblait-il, de nombreux coups de burin. L’on avait assurément violé ces sépultures pour vérifier, voire s’emparer de leur contenu. Et entre ces deux cryptes avait été édifié un grabat, une vulgaire paillasse de paille et de foin séchés. Sur un côté s’enfonçait une nouvelle échelle, disparaissant par un trou aux contours inégaux, qui menait assurément vers un étage inférieur.

« Voilà notre destination finale, ma chère. L’échelle, là, mène vers un passage qui conduit sous le Rempart Intérieur, et qui débouche directement, ou presque dans la Hanse. En dix minutes, même pas, c’est fait. Mais bon, y fait toujours nuit. Vaut mieux attendre le levé du jour et du couvre-feu céans même ; au moins y a-t-il un semblant de lit. C’est mieux que rien, et puis, au moins, là, les voisins sont clairement pas chiants. »

Nul doute capta-t-il le regard ou les pensées d’Elisabeth, car il reprit directement, non sans sourire.

« Non, t’en fais pas, il est pas dégueu, et je te le laisse. Je me contenterai de dormir sur cette belle pierre polie que voilà, fit-il en tapotant un des deux tombeaux encadrant la litière. Faut bien tuer le temps, et dormir, y a rien de mieux. Enfin, si tu as la conscience tranquille. Non, non, même pas vis-à-vis de moi. De toi, si si. Et de ta vêture. J’ai déjà vu bien des soubrettes qui, toutes vêtues d’aussi amples atours, se découvraient en deux temps trois mouvements après avoir niescemment remué dans leur sommeil. Tu peux pas lutter contre ça, et j’ai cru comprendre que tu t’étais assez désapée comme ça pour la soirée. Dommage. »

Un dernier clin d’œil, avant de s’allonger sur le caveau, bras derrière la tête.

« Je jetterai un petit coup d’œil de temps en temps, au cas où. N’nuii’t ! »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 3 EmptyMar 1 Nov 2016 - 16:44
Elle aurait peut-être dut s’attendre à quelque chose dans ce genre-là. Après tout ils avaient déjà fait les égouts et le grenier alors à part les marais à l’extérieur des murs, il n’y avait pas beaucoup d’autres endroits glauques à visiter. Marwen avait le chic pour se trouver des passages et des planques aussi sordides que farfelu.

Elisabeth n’avait pas peur des cimetières. Elle avait déjà fait quelques tractations dans la grande nécropole à l’ouest de la ville, profitant de l’ambiance et de la brume pour rendre ses partenaires en affaire plus nerveux et moins regardants. Cependant, l’idée de profaner un tombeau en allant piquer un roupillon avec les morts ne l’enchantait pas du tout. Les cadavres ne risquaient pas de se relever par ici, mais l’idée restait dérangeante et un peu malsaine. Elle ne demanda pas pourquoi ils devaient passer le reste de la nuit ici alors qu’ils avaient déjà esquivé le plus dur, doutant fort que ses protestations soient entendues. Il ne restait plus qu’à se faire une petite place entre les macchabées. La paillasse n’était pas des plus engageante et dans cet espace étroit, entourée par les gisants, Liz n’était pas certaine de pouvoir fermer l’œil. En fait, elle n’avait même pas envie de s’allonger, coincée entre deux sépultures et surplombée par un Esbigneur en qui elle ne plaçait plus qu’une confiance toute relative. Au clin d’œil elle ne répondit que par un froncement de sourcil agacé et s’approcha du trou qu’ils devraient emprunter pour repartir. On n’y voyait goutte, c’était inutile, mais il ne semblait pas s’enfoncer très profondément et de savoir qu’elle n’était plus très loin de la Hanse la rassurait. D’ailleurs, peut-être qu’elle pouvait rejoindre la sortie toute seule ? Ou alors c’était un nouveau réseau de galeries où elle ne parviendrait jamais à s’orienter et il lui fallait encore les connaissances du contrebandier.

Préférant ne pas se risquer à essayer, elle abandonna l’idée de s’engager seule dans les tréfonds de la terre et referma autour d’elle sa cape avant de se hisser sur la seconde pierre tombale. C’était froid et dur, mais au moins elle n’avait pas à se piquer sur de la paille humide et potentiellement pleine de bêtes. Marwen avait beau assurer que c’était propre, l’apothicaire ne faisait pas confiance à un tas de foin laissé à l’abandon depuis des semaines dans un tombeau.
Dissimulée sous les replis de son manteau, elle ramena contre elle ses genoux, essayant de créer un peu de chaleur sous ce chapiteau improvisé où était son corps, à défaut de pouvoir compter sur sa robe. L’air était cru et la fatigue qui gagnait du terrain avait fait baisser sa tension, la frigorifiant complètement. Elle se sentait crispée de la tête aux pieds pour essayer de se réchauffer et savait par avance que si elle parvenait à s’endormir comme ça, elle se réveillerait avec des douleurs partout et des articulations en pierre. Mais elle redoutait surtout la sensation de se réveiller à cause du froid. C’était la pire façon d’émerger qu’elle connaisse et il était certain qu’elle n’y couperait pas ici et dans cette tenue.

Préférant s’occuper à autre chose qu’à la recherche de sommeil, la jeune femme sortit de sa ceinture le petit flacon où elle avait mis les champignons phosphorescents. Leur luminosité avait un peu baissé et leurs bords se flétrissaient déjà mais elle pouvait encore en tirer quelque chose et la faible lueur bleutée qu’ils diffusaient entre ses doigts lui donna une sensation de réconfort. C’était étrange et presque magique… Est-ce que ces plantes étaient l’œuvre d’un sorcier qui aurait expérimenté sous Marbrume ou Serus était-il le créateur de cette curiosité de la nature ? Pouvait-on en tirer autre chose que de la lumière ? Étayent-ils toxiques ou bénéfiques ?
Une idée traversa l’esprit de la jeune femme : si elle parvenait à en récupérer avec leurs racines, elle pouvait peut-être les cultiver dans sa propre cave ! Il suffisait d’un environnement sombre et assez humide pour permettre à de nombreux fungus de proliférer alors peut-être qu’avec un espace dédié, elle pourrait faire la culture de ces plantes… Cela lui permettrait d’en avoir toujours sous la main pour tester différentes formules. Et s’ils se relevaient tout à fait inutile en dehors de leur luminosité naturelle, au moins aurait-elle un moyen de toujours y voir dans sa cave. Et qui sait, peut-être trouverait-elle une utilité à cette lueur bleue pour la commercialiser.

Toute à ses réflexions, elle se décida à s’allonger un peu, rattrapée par la fatigue, le petit flacon toujours entre ses doigts. Roulée en chien de fusil sur la dalle froide, elle ne se rendit même pas compte qu’elle sombrait dans le sommeil. Sous sa cape, un semblant de tiédeur était né du tremblement permanent de ses épaules et elle parvint à s’assoupir deux ou trois heures avant d’être réveillée par la sensation de froid.
Se redresser sur un coude fut une véritable épreuve, le moindre de ses muscles refusant de bouger dans un premier temps. Par le trou dans le mur elle ne vit filtrer aucune lumière et fut bien obligée de se rallonger pour essayer de passer encore un moment à sommeiller. Un instant l’idée d’aller chercher la chaleur auprès de celui qui, visiblement, ne craignait pas ce frileux début de printemps, lui traversa l’esprit mais elle la repoussa immédiatement comme s’il s’agissait d’une chose répugnante et resserra sa cape autour d’elle pour fermer à nouveau les yeux. Trop épuisée, elle sombra une seconde fois malgré ses grelottements et ne se réveilla de nouveau que lorsque le soleil avait pointé le bout de son nez, laissant filtrer une chiche lumière par les fentes et fissure du caveau.

Dépliant avec difficulté ses jambes pour descendre de ce lit de mort inconfortable, Elisabeth prit le temps de se réveiller convenablement et de se frotter les bras pour retrouver un semblant de chaleur avant de s’approcher de Marwen pour le secouer. Il avait le toupet de ronfler… Si elle s’écoutait, elle le pousserait pour faire tomber entre des deux sarcophages et le réveiller à sa façon, mais elle portait toujours sa foutue robe et n’avait rien pour se défendre réellement alors elle opta pour la solution la moins dangereuse pour elle en secouant le contrebandier par l’épaule.

« Marwen. Marwen ! C’est l’heure d’y aller. »
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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 3 EmptyMar 1 Nov 2016 - 20:31
Si ce n’était la voix de Marwen et le crépitement de la torche qu’il tenait, les lieux demeuraient hantés par un silence plombant, et le contrebandier n’était aucunement aidé pour tenter de modifier l’atmosphère pesante de l’endroit. Lui parlait de ci de ça, quel que fût le sujet de conversation, afin d’apporter un semblant de vie au cimetière qu’ils occupaient, mais avec la sorcière, c’était peine perdue. Pour un peu, et l’Esbigneur eût presque pu la prendre pour une locatrice des lieux, confinée dans un mutisme mortuaire, et l’expression chagrine qu’elle lui offrait n’était pas pour donner au change. Un vrai zombie de mauvaise humeur, juste un peu plus animée que les cadavres qui gisaient dans leur tombeau oublié. Que craignait-elle donc, qu’ils en viennent tous à se relever ? Peu de chance. En vérité, ils n’avaient jamais été aussi proches de la fin de leur mission qu’actuellement, jamais manqué à ce point de retrouver leur existence plus ou moins tranquille, leur aroutinement, le train-train quotidien, lequel s’avérait malgré tout bien stable, à l’opposé des séjours en compagnie des fangeux ou de frayer avec la garde en pleine nuit. Et ça ne lui suffisait toujours pas. Marwen leva les yeux au ciel et se renfrogna et laissa tomber. Quoique.

Pire encore, alors que, dans un accès de subite galanterie qui l’avait étonné lui-même, il lui avait de bon cœur cédé le semblant de lit, et voilà qu’elle le refusait, ce qui l’énerva passablement. Car il pouvait le jurer ; eu égard au caractère lunatique de la sorcière, aurait-il pu remonter le temps pour s’approprier le grabat sans même demander l’avis de sa compagne que cette dernière en aurait allégrement profité pour monter à l’assaut en le traitant de tous les noms. Incroyable. C’était peut-être ce qu’il aurait dû faire, en fin de compte ; au moins y aurait-il eu un semblant d’activité, d’interaction, plutôt que de prendre exemple sur les macchabées et se murer dans le silence. Certes, tout était déjà perdu d’avance, oui, dans un an ou deux, mais, dans la mesure où cela ne dépendait pas de lui, ou d’eux, il était hors de question pour abandonner aussitôt, pour se renfermer sur soi-même.

« Bon, bha… » fit-il en haussant des épaules, de l’air de celui qui ne peut expliquer pareille chose. Et il sauta du tombeau pour s’allonger sur la paille, bien plus confortable, bien plus prompte à conserver la chaleur que ne pouvait l’être la pierre dure, froide et humide. Marwen avait volontairement renoncé à une nuit relativement agréable en refusant de s’emparer du grabat, et avait déjà anticipé un réveil ô combien difficile, avec les muscles ankylosés, les os douloureux, et, sans doute, un effroyable mal de gorge. Elisabeth, avec le peu de tissu qu’elle avait sur le dos, en eût bien mieux profité que lui, dont la vêture lui couvrait suffisamment le corps pour garder une once de chaleur, mais, tant pis, il n’allait certainement pas insister. Faire dans le social, se condouloir aux pertes d’une personne, la rassurer sur son sort lorsque tout lui semblait perdu ou même la rediriger sur un chemin plus facile lorsqu’elle-même avait choisi de faire compliqué lui brisaient définitivement les burnes.

L’Esbigneur, à force d’avoir côtoyé la sorcière, ne la craignait plus du tout, ou presque. Le pire, selon lui, demeurait l’inconnu, le fait de ne pas savoir. Là, pour le coup, à vivre de concorde les mêmes dangers, les mêmes expériences et cette étrange aventure, il avait appris à la connaître assez, et même très certainement sous un aspect plus personnel que bien d’autres personnes ; il avait encore en mémoire l’épisode des fangeux, où elle s’était montrée des plus sensibles, ou, sur un tout autre sujet, lorsqu’ils s’étaient tous deux foutus à poil. En fin de compte, il ne fallait craindre que ses maléfices, que ses piqûres maléfiques qui vous tuaient momentanément un membre. Elle avait eu, à ce moment-là, l’avantage de la surprise, ce qu’elle ne possédait plus désormais. Et d’une tout autre façon, Marwen doutait fortement qu’elle profite de la faveur de la nuit, de son état ensommeillé, pour attenter à sa vie ou à ses biens. Ce n’était pas trop dans son caractère, lui semblait-il, et elle avait encore besoin de lui. Aussi se plongea-t-il bien volontairement dans les limbes oniriques, ne prêtant aucune attention à cette étrange nitescence qui illuminait alors légèrement le caveau, juste au-dessus de lui.

Rien ne vint véritablement l’inquiéter ou le déranger pendant son sommeil, et il dormit d’une traite, se retournant peu dans son lit de fortune. L’Esbigneur ne remua que faiblement lorsque sa partenaire vint le réveiller, et il lui fallut un moment pour reprendre ses esprits et avoir conscience de l’endroit comme de la situation dans laquelle ils se trouvaient. Le contrebandier s’étira nonobstant en long en large et en travers, avec l’expression satisfaite inscrite sur le visage de celui qui a bien dormi. Et c’était plus ou moins le cas, d’autant plus que, là, plus rien ne pressait véritablement ; le couvre-feu était levé depuis quelque temps déjà, et plus rien ne les empêchait de se balader librement dans les ruelles de Marbrume.

« Bien dormi ? » demanda-t-il à la sorcière, tout en baillant, question qu’il n’aurait jamais posée la veille en se rappelant le mutisme obstiné d’Elisabeth. Mais là, son esprit embrumé lui permettait d’occulter certains fâcheux détails. D’une façon comme d’une autre, il suffisait de porter un regard sur la jeune femme pour comprendre, au travers de ses différentes grimaces, mimiques, et mouvements du coude, des jambes, du dos et mêmes des fesses, que tout cela lui demeurait fort douloureux.

« Je t’avais bien dit de prendre la paillasse, morveuse. Un petit massage pour soulager tes épaules ? ironisa-t-il, de bonne humeur. Quoique, si tu as des sortilèges pour me priver d’un bras, tu dois bien en avoir d’autres pour récupérer d’une sale nuit, je n’en doute pas. »

Vint le moment de continuer la route, et ils se glissèrent par l’interstice, empruntant l’échelle qui menait à l’étage inférieur. En tout point, le goulot ressemblait au corridor souterrain qu’ils avaient parcouru à la sortie des égouts, juste avant de pénétrer dans l’Esplanade. Mêmes charpentes de bois, même terre, même sol rocheux, et même impression d’écrasement lorsqu’ils franchir par-dessous le Rempart Intérieur. Ce ne fut qu’après que Marwen reprit son rôle de guide, là où commencèrent tous ces carrefours qui se coupaient et s’entrecoupaient allégrement. Contrairement à l’aller, il s’agissait davantage de connaissances plutôt que d’endurance. Savoir où aller plutôt que de marcher bien longtemps. Car après une petite série de couloirs, ils arrivèrent bientôt dans un entrepôt désaffecté, au toit croulant, à la grande porte éventrée, et à la pagaille générale. Le bâtiment, au début de la fange, avait assurément été pris d’assaut et totalement pillé des richesses ou de la nourriture qu’il avait pu autrefois contenir, et les paniers, caisses, amphores et monte-charges s’amoncelaient en petit bois par terre, en poulie dévissée, en débris de tuile et de poterie, et il fallait parfois batailler pour avancer.

« Alors, prête à affronter une nouvelle fois le monde en étant vêtue comme une pute ? lui lança-t-il avec ce même clin d’œil. Eh, réponds, cette fois. Car, si tu veux, tu peux attendre là cinq minutes que j’aille te chercher quelque chose de plus seyant. Promis, je reviens, et promis, pas d’entourloupe. C’est cadeau, ça me fait plaisir, sorcière. »
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Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 3 EmptyMer 2 Nov 2016 - 1:48
L’air particulièrement satisfait de Marwen donnait envie de le lui faire manger à grands coups de savates, mais après presque douze heures en sa compagnie, Elisabeth se découvrait une sorte de lassitude provoquée par l’habitude et la fatigue. Il avait profité de sa paillasse humide, grand bien lui fasse. Qu’il y dorme à poil la prochaine fois, avec un pervers dans les environs et on verrait alors s’il se réveillait frais comme une rose.

« La pierre tombale, je peux faire avec. Tes ronflements, c’est autre chose… Mais merci de t’en inquiéter. »

Enfin ils se glissèrent dans les souterrains qui devaient les ramener vers la Hanse. Comme prévu, le labyrinthe reprit et bien qu’ils ne passèrent pas beaucoup de temps sous terre, il fallait reconnaître que sans une bonne connaissance des lieux le trajet aurait été infiniment plus long et pénible.
Ils débouchèrent dans un endroit que la jeune femme reconnu immédiatement avec un soulagement évident. Enfin elle était de retour chez elle, dans son monde, là où il y avait des rues et des bâtiments connus. Tout à coup, elle se sentait beaucoup moins démunie, même si sa robe qui lui allait aux fraises ne la mettait toujours pas dans la meilleure disposition du monde.
À ce sujet, le contrebandier sembla avoir sa propre petite idée. Méfiante comme un chat à qui on aurait trop donné de taloches, l’apothicaire le toisa avec une moue dubitative en essayant de deviner quel sale coup il pouvait avoir en tête. Qu’est-ce que ça lui apportait de faire cette offre ? Est-ce que c’était une tentative désespérée pour la reluquer à poil mais de jour ? Il n’avait vraiment que ça à faire ? Malgré tout, l’idée était tentante et la demoiselle n’oubliait pas qu’elle avait abandonné une chemise et un corsage dans un grenier alors se faire rembourser avec une robe, pourquoi pas.

« Admettons. Mais si ta robe est un torchon ou qu’elle laisse voir plus qu’elle ne cache, je te jure que je ferai en sorte que tu meurs en t’étouffant avec. Tu as assez joué avec ma dignité pour toute une vie. »

Balayant sa prochaine réplique d’un revers de main, elle se trouva un perchoir où s’installer en attendant que le gus revienne avec ladite robe. Il mit de longues minutes à repointer le bout de son nez, à tel point que Liz commença à avoir quelques doutes sur son retour. Mais finalement il ne l’abandonna pas à son triste sort et lui présenta même une robe tout à fait convenable, sans rapiéçage et à la longueur décente.
Heureuse de pouvoir se débarrasser de l’horrible nippe dans laquelle elle avait été obligée de dormir, la jeune femme prit la robe qu’on lui offrait gracieusement sans faire de commentaire acerbe sur le retard évident de son guide, mais en lui rappelant que s’il voulait conserver ses yeux, il ferait mieux de ne pas la suivre là où elle allait se changer.

« Il n’y a peut-être plus de venin dans mes aiguilles, mais je suis à peu près certaine qu’une fois enfoncées dans tes orbites, tu n’y verras plus grand-chose. »

Disparaissant derrière un empilement de caisses vides, elle ne mit pas plus d’une minute à se changer, trop heureuse de cacher ses jambes et son décolleté maigrichon dans un vêtement plus épais et chaud. Parvenant sans aucun mal à refermer elle-même le laçage dans son dos qui ajustait la robe, elle hésita un moment à garder la robe de soubrette pour pouvoir la brûler avec délectation, mais préféra ne plus avoir cette horreur sous le nez et la roula en boule pour l’envoyer au visage de Marwen.

« Je ne veux plus revoir cette chose, l’Esbigneur. J’espère que tu as bien profité de pouvoir me traiter de catin parce que l’occasion ne risque pas de se représenter de sitôt et je serai moins encline à accepter tes insultes après quelques heures de sommeil supplémentaires. »

*Et la prochaine fois que tes mains se baladent sur moi, je t’enfonce une aiguille empoisonnée tellement profond qu’il faudra y plonger la main pour aller le retirer.*

Après d’être bien assurée qu’elle avait sur elle tout ce dont elle avait besoin – besaces, bourse et flacons – elle enjamba les derniers gravas qu’une foule paniquée avait causé lors du pillage de l’entrepôt et se retrouva près de la sortie. Un bain, un lit douillet et une journée de repos rien que pour elle, voilà qui la faisait rêver. Elle prit tout de même le temps de se retourner, avant de sortir, pour revenir sur l’arrangement qu’ils avaient passé.

« Je n’ai plus besoin qu’on me tienne la main à partir d’ici. Et en toute honnêteté, je n’ai pas non plus envie qu’on m’associe avec ta dégaine de voleur. J’ai encore l’espoir de pouvoir me marier avec quelqu’un de vaguement honnête alors j’évite d’être vue avec trop de mains noires. Inutile de me dire que c’est un espoir vain, merci. Si tu cherches à gagner ta croûte, passe au Crapaud Apothicaire, dans la Grande Rue. Mais pour une fois, témoigne-moi un peu de pitié et ne te pointe pas avant plusieurs jours, s’il te plaît. J’ai déjà une petite idée de ce que tu pourrais faire pour moi en échange d’un salaire. »

Elle hésita à tendre la main pour se dire au revoir et se ravisa finalement. Inutile de se perdre en effusions, quelque chose lui disait qu’elle risquait de le revoir assez prochainement.

« Et te fais pas bouffer par un fangeux d’ici là. »

Esquissant un demi sourire, elle poussa la porte un peu branlante sur ses gonds pour sortir au grand jour, après avoir beaucoup trop rampé dans la boue et le noir à son goût.
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MessageSujet: Re: Les gens de l'ombre [Marwen]   Les gens de l'ombre [Marwen] - Page 3 EmptyMer 2 Nov 2016 - 3:31
Avait-il ronflé, vraiment ? Parfait, c’était la preuve qu’il avait rudement bien dormi, et que la forme qu’il ressentait actuellement n’était pas un effet étrange, une once d’adrénaline provoquée il ne savait comment dans son corps qui lui faisait croire que tout allait bien alors qu’il était sur le point de sombrer. Non, cette sensation de pleine possession de ses moyens s’avérait donc bien réelle, et il l’accueillait bien volontiers d’un sourire. Et tant pis s’il avait bien recouvré sa santé au dépend d’Elisabeth, ça lui allait parfaitement.

Lorsque Marwen avait fait mention d’une nouvelle vêture à lui chercher, il l’avait fait une fois de plus sans arrière-pensée aucune, à l’instar de la cession délibérée du grabat. Et pourtant, là encore, cette galanterie, cette foucade qui le prenait subitement, fut mal perçue par celle qui aurait pu en bénéficier. Ou, à défaut d’être véritablement rejetée, la sorcière l’observa avec méfiance, comme si son dessein premier n’était pas autre que de la fourvoyer. Ce fut à son tour que de froncer des sourcils devant la levée de bouclier et les paroles proférées.

« J’t’ai dit pas d’entourloupe. Tu l’auras remarqué ; si je fais des promesses, je les tiens. »

Il tourna les talons en grommelant quelques malédictions sur la nature féminine, toujours à râler, à être plus faible, à avoir la migraine et à avoir mal au ventre pour rien. Non, l’Esbigneur comprenait tout à fait que la jeune femme pût se sentir des plus mal à l’aise dans pareil accoutrement, et c’était justement ce qui le préoccupait personnellement ; il ressentait la même chose, quoiqu’en étant bien moins gêné malgré tout, et avait dans l’idée d’aller se chercher de quoi se changer à son tour.

Dans la rue, il se sentit parfois observé ; il y avait du monde en ce début de journée où chacun s’en allait vaquer à ses occupations, à son travail quotidien, et la présence d’un noble ici-bas, sorti de son perchoir qu’était l’Esplanade, créait quelques curieux jaspinages dans son sillage. Jouant le même rôle qu’il avait adopté durant la nuit, le contrebandier s’en accoutuma malgré tout fort bien, se rengorgeant, l’allure fière et mondaine, et plus d’un regard se baissa en croisant ses prunelles acier. Il n’en demandait pas davantage en se rendant chez une petite connaissance, non loin de l’endroit où Elisabeth et lui avaient émergé.

Là encore, Marwen avait une historiette à raconter, notamment sur la façon dont il avait rencontré ce tisserand et les moyens détournés qu’il avait usité pour faire passer, autrefois, du tissu d’excellente qualité en contrebande. Mais la sorcière n’était pas là pour l’ouïr, et, même si elle l’avait été, il n’était pas certain qu’elle eût été bon public, comme d’ordinaire.
En poussant la porte de la boutique, le gus affecta un air étonné et des manières que Marwen ne lui connaissait pas, jusqu’au moment où le marchand se rendit compte d’à qui il avait affaire. Il redevint aussitôt lui-même. Alors que l’Esbigneur, en souvenir des différents services qu’il lui avait rendu, cherchait à obtenir gratuitement une robe d’une facture correcte pour l’apothicaire et des vêtements passe-partout pour lui-même, il se heurta au sens commercial de son ancien client. Le bougre ne voulait pas en démordre ; il ne lui ferait rien gratos, l’enculé. Tout au pire, lui dit-il, l’Esbigneur pouvait échanger sa vêture de noble contre une autre de son choix, mais dans le registre vulgum pecus, et non mondain. Evidemment. Cela n’arrangeait aucunement les affaires du contrebandier, lequel tenait à garder son costume fort pratique lors de ses excursions dans le quartier boulevardier de Marbrume. Alors, non sans balancer quelques jurons, il dut mettre la main à la bourse et déverser quelques sous de son escarcelle. Et tout cela pour cette foutue sorcière. De mieux en mieux. Fort heureusement, la crapule de tisserand lui permit tout de même, et sans payer davantage, de pouvoir se changer dans une pièce à part. Quoi de plus normal, vu qu’il était passé du statut de « connaissance » à « vulgaire client ». Et ce fut en maugréant de nouveau qu’il sortit de l’établissement pour s’en aller retrouver Elisabeth.

Marwen s’échauffait lui-même, tout seul. Il en était persuadé, cette putain de robe ne lui siérait pas. Elle serait trop grande, trop petite, trop serrée, trop ample, trop colorée, trop sombre, pas dans les temps de la mode, pas pratique, trop extravagante. Il pariait déjà sur le caractère acariâtre de la grognasse pour lui reprocher le moindre petit truc sur la robe qu’il avait lui-même payée pour elle. Le pire étant, dans cette histoire, qu’il se montait tellement le bouchon qu’il suffisait d’un mot de la sorcière pour exploser subitement, parce qu’elle lui donnerait raison, parce que la moindre remarque avait déjà bien cogité dans sa tête, et qu’elle se montrerait, comme il l’avait prédit, comme une foutue ingrate.

Mais à sa plus grande surprise, non, la jeune femme ne se fendit d’aucun commentaire, et le silence fut, pour la première fois, des plus agréables. Elle accepta somme toute bien volontiers le vêtement qu’il lui tendait, sans remarque, sans mine désobligeante, ou presque. Elle précisa simplement qu’il pouvait aller se brosser si jamais il s’attendait à pouvoir profiter de la situation pour l’observer, une fois de plus, se déshabiller devant lui. Cela arrivait rarement, mais l’Esbigneur afficha un air assez abruti en clignant deux fois des paupières. C’était évident qu’elle eût pu penser cela, et c’était tout à fait dans le genre du contrebandier. Pourtant, en vérité, il n’y avait pas même pensé ; l’offre avait été sincère et sans sous-entendu. Le voilà qui perdait sacrément la main, ce qui lui déplaisait fortement. Il tâcha de faire comme si de rien n’était, comme si cela avait véritablement été son objectif depuis le départ, et lui décocha un petit clin d’œil salace.

« Peine perdue. Je connais l’endroit comme ma poche, et où que tu ailles, je trouverai toujours un moyen de te reluquer, chérie. »

Mais il ne joignit aucunement le geste à la parole, se contentant de laisser planer la prétendue menace, en conservant ce même air ironique qui le caractérisait si bien. De retour dans la pièce après s’être changée, Elisabeth lui balança la robe au visage, qu’il récupéra presque précieusement. Elle n’était pas si mal que cela, en fait, cette fameuse robe, et il y avait toujours possibilité de la refiler à d’autres créatures mieux garnies que la sorcière. Ouais, ce vieux crouton de l’Esplanade, s’il n’avait plus eu toute sa tête, avait eu du goût.

« C’était un plaisir, très chère, pour moi comme pour la milice. Je suis quand même sacrément altruiste, putain, pour penser à les désennuyer de leurs horribles patrouilles. »

Il fit sauter la robe roulée en boule dans sa main, feintant un air nonchalant, en ne cessant de faire des va-et-vient entre le tissu et son ancienne propriétaire. Bien, restait dès à présent à continuer leur route, chacun de leur côté, ou presque. Demeurait toujours leur petit arrangement, et Elisabeth y songeait tout autant que lui. Les termes qu’elle édicta lui convinrent tout à fait ; il ne pensait pas autrement, lui non plus.

« Et moi, je préfère que l’on s’attarde et que l’on commente la présence des formes de ma compagne plutôt que leur absence, alors quittons à tour de rôle ce bâtiment, ça me va tout aussi bien, sorcière. »
C’était de bonne guerre. Une habitude, presque.

« Ouais, le Crapaud Apothicaire, je manquerai pas d’y passer. Il me faut de l’oseille, et ne voudrais pas que tu en viennes à tomber dans l’ennui sans moi. T’en fais pas pour moi, va. Et toi, veille à garder davantage ta langue dans ta poche, je serais triste d’apprendre que tu l’aies perdue. »

Il réfléchit avec une seconde de retard au sous-entendu des plus foireux de sa dernière réplique, alors même qu’il ne songeait qu’à la répartie de la sorcière, mais haussa les épaules et laissa couler. Il n’était plus à cela près. Elisabeth retournait au grand jour, et lui, dans les égouts, une fois de plus. Il avait un sac de ferraille à récupérer.
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