Rencontre inattendue par une froide nuit d'hiver (pv Alfonso)

En descendant les escaliers, je me disais que l'histoire de Morgiane était fort triste. Toutefois, même si je montrais de la compassion, je ne pouvais nier que le fait de voir une noble dans une telle situation, que j'avais connu, m'amusait un peu. Non pas par méchanceté mais plus par le préjugé sur la noblesse et leur relation avec le peuple.
Il fallait dire que de mon côté, la seule personne noble que j'estimais était Madame de Ventfroid et son talent artistique.
Néanmoins le récit de Morgiane m'avait touché, et j'espérais vraiment qu'elle arriverait à prouver l'innocence de son frère et par la même occasion qu'elle pourrait récupérer ses biens.
Même si en étant rationnel, il fallait quand même être costaud pour ne pas se résigner, et croire encore qu'il puisse être vivant.

La foi qu'elle montrait à l'encontre du lien qui l'unissait à son frère était des plus admirables.

Quatre à quatre je descendais les escaliers ensuite. Je me demandais comment Morgiane allait prendre ce que j'allais lui annoncer. Toutefois j'avais la sensation qu'elle était raisonnable, et puis, elle craignait sans doute de mettre les pieds dans la boue comme tout le monde. Qui ne craignait pas la nuit, et les rues dont les murs cachent des poignards. J'avais longtemps vécu dans la rue, et en y pensant, je ressentais encore ces moments d'effrois. Mais aussi le courage que j'avais gagné.

La jeune noble buvait la boisson chaude. Mon pas en s'approchant redevint un peu plus paisible, et digne de mon rang.
-"Je suis désolé Mademoiselle, Madame n'est pas disponible actuellement. Mais vous pouvez l'attendre ici même." Lui dis-je d'une voix flirtant avec le ton protocolaire. En effet, sachant sa condition, le fait qu'elle se trouvait dans le manoir, et le fait que j'étais en fonction m'obligeait à la traiter avec respect.

Ma Maîtresse avait tout de même laissé des consignes, et comme à mon habitude j'étais déterminé à les mener à biens.
-" Toutefois, en attendant, Madame m'a fait savoir qu'elle est sensible et touchée à votre histoire, et lorsqu'elle aura discuté avec vous sera plus à même de vous prêter son assistance."
Je fis une pause, en observant qu'il n'y avait pas de domestiques par ici. Là aussi, ordre de Madame, je devais rester discret.
-" Elle vous prie également d'accepter cette modeste aide en attendant que vous retrouviez vos esprits et une situation stable." Je lui tendis un parchemin. Ou était écrit ce que j'allais dire...
-" Vous pouvez vous installer chez moi, et si vous le souhaitez, Madame peut vous aider à trouver un travail de votre choix et dans la mesure du possible... De plus, elle accède à me mettre à votre disposition si besoin."

Je lui adressai un sourire bienveillant, en essayant de deviner comment elle allait prendre tout cela.

Après qu’Alonso ait gravi les marches de l’escalier quatre à quatre afin d’aller quérir sa maîtresse. Je demeurais seule en compagnie des domestiques qui me dévisageaient avec curiosité. Détournant les yeux, je m’empressais de porter la tasse de thé à mes lèvres et savourait son gout sucré.
Après cette séance de marche matinale, avaler une boisson chaude me fait le plus grand et me permettait de reprendre des forces. Le personnel de maison continuait à s’affairer autour de moi, telle une armée de fourmis, et je percevais les regards mi- intrigués, mi- suspicieux que certains valets me lançaient.

Je n’eus aucun mal à deviner les arrière-pensées qui leur traversaient l’esprit à la vue de ma tenue coûteuse et de mon maintien qui trahissait la noblesse de mon sang. Lorsque j’habitais dans le manoir des Sambrelune, j’avais l’habitude de me retrouver entourée d’une myriade de serviteurs qui demeuraient presque invisibles à mes yeux, tant leur présence m’était familière.
Mais dans cette demeure étrangère, entourée de tant de visages inconnus, je ne pus m’empêcher de ressentir un certain malaise, et j’espérais que le jeune homme ne tarderait pas à refaire son apparition, en compagnie de la propriétaire des lieux.

D’ailleurs que pourrais-je lui dire et comment réagirait-elle en me voyant ? Bien qu’accoutumée à rencontrer les plus grandes dames de la noblesse, je me sentis soudain si insignifiante, comme peut l’être une mendiante qui va quémander une aumône.
Une kyrielle de questions se bousculaient dans mon esprit et je tentais d’ordonner mes pensées, espérant être capable d’exprimer un discours sensé et cohérent.

Quelques instants plus tard, Alonso refit son apparition et je constatais qu’il était seul. Celui-ci s’avança vers moi et me rapporta l’absence de sa maîtresse, ce qui fit naître en moi une vive déception, que je tentais de masquer derrière un calme apparent.
Je ne manquais pas également de remarquer l’attitude cérémonieuse et pleine de déférence qu’affectait le jeune valet envers moi, et qui contrastait avec la spontanéité dont il avait fait preuve jusqu’à présent.

Étonnamment, je ne pus m’empêcher d’en ressentir une légère tristesse, peut-être car elle rappelait la distance qui existait entre nous en raison de la différence de nos rangs. Pourtant, jusqu’à présent un tel fossé m’avait toujours semblé être une chose allait de soi. Calquant mon attitude sur la sienne, je m’apprêtais à répondre d’une voix posée et un tantinet condescendante, comme il sied aux jeunes demoiselles de mon rang.

Tout d’un coup, après avoir vérifié qu’aucun domestique ne se trouvait dans les parages, Alonso s’empressa de me donner un parchemin. Sur celui-ci, un texte était rédigé dans une écriture fine et élégante et après l’avoir lu, je le rangeais dans l’un des poches de ma veste. Il s’agissait d’un message de la dame que je désirais rencontrer et cette dernière acceptait de me venir en aide et en attendant, je pouvais loger chez le valet, ce qui m’évitait l’angoisse de passer la nuit dehors. Je ressentis un profond sentiment de soulagement et je croisais un sourire bienveillant sur les lèvres de ce dernier. Je lui adressais à mon tour un sourire chaleureux et plein de douceur, quand brusquement j’aperçus une matrone qui venait d’entrer dans la pièce et nous espionnait du coin de l’œil.
- Fort bien mon brave, puisque madame est absente, je m’en remets à vous. Je la remercie de sa proposition d'aide et j'ai hâte de pouvoir la rencontrer dès qu'elle sera disponible, dis-je en prenant une mine affectée.
Quand la grosse servante eut disparu, je m’approchais d’Alonso et lui murmurait à l’oreille :
- Et à présent que faisons-nous en l'attendant ?

Les domestiques du comte s'étaient éclipsés, j'avais l'habitude de cette cérémonie qu'ils interprétaient à merveille chaque jour. Néanmoins, je restais prudent en remettant le parchemin de Madame à la jeune femme. Comment allait-elle prendre tout cela ? Le sourire qu'elle me rendait exprimait plus ou moins sa satisfaction, ou du moins son soulagement.

Soudain, je fronçai les sourcils quand elle changea de ton, puis en voyant la matrone je compris, et je me sentais soulagé de constater que Morgiane jouait mon jeu en se doutant que je risquais ma place en agissant de la sorte. Maintenant, je savais que le comte serait au courant de la présence de cette jeune femme ici.

Au moins, Morgiane n'avait pas eu besoin de mettre un costume, elle était noble et en cet instant elle me parlait en prenant en compte la différence de rang social. A cet instant je comprenais bien qu'elle devait vraiment se sentir mal dans sa situation actuelle.
Lorsque la servante du comte s'éloigna, la noble s'approcha pour me parler à l'oreille. Elle voulait savoir ce que nous allons faire en l'attendant.
Madame m'avait donné le temps libre jusqu'à cette fin de journée où je devais la retrouver à l'Effeuill'âge.
-" Elle m'a autorisé à rester avec toi jusqu'en fin de journée." Lui dis-je d'un ton assez bas, en lui montrant la porte de service pour sortir du manoir.
Ceci fait, il fallait se plonger dans une réflexion pour répondre à sa question.

-" Nous pouvons essayer de poser quelques fleurs sur votre malheur pour essayer de l'apaiser." Soufflais-je dans un élan enthousiaste en refermant la porte et en fermant les boutons de ma livrée avec soin.
-" Aussi pourquoi ne pas aller marcher un peu vers l'esplanade, peut-être rencontrerions-nous quelqu'un de votre connaissance, et puis, nous pourrions y observer quelques galeries d'arts." Proposais-je en me disant qu'il y avait là-bas, du moins je croyais avoir entendu que Madame de Ventfroid exposait...

-" Mais je m'en remets à votre désir Mademoiselle..."
Terminais-je avec toujours ce même ton aimable.

Cette visite matinale chez la propriétaire du manoir prenait soudain l’allure d’un jeu et avec une spontanéité et une gaieté enfantine, je demandais à Alonso de quelle manière nous occuperions le temps, en attendant son retour.

En effet, je me doutais que cette dame était sans doute fort prise par ses occupations et que je devrais revenir plus tard afin de la rencontrer. Cette pensée me rappela que ma défunte mère, épouse d’un baron, faisait elle-même attendre certains de ses visiteurs désireux de lui demander l’une ou l’autre faveur. Mais n’était-ce pas le privilège des nobles et des seigneurs que de faire patienter autrui ? Par une cruelle ironie du sort, je me retrouvais dans la position, non pas de celle qui octroie, mais de celle qui implore et ma fierté s'en sentait un peu malmenée.

Je m’empressais de chasser rapidement cette pensée amère, préférant me concentrer sur le déroulement de cette journée passée en compagnie du jeune homme. Aujourd’hui, le soleil brillait dans un firmament sans nuages et je désirais ne garder que sa lumière et sa chaleur à l’esprit.

J’acquiesçais de la tête lorsque le valet me proposa de nous rendre vers l’esplanade, où je pourrais peut-être croiser l’une de mes connaissances. En outre, il était également possible d’admirer les œuvres d’artistes exposées dans les diverses galeries d’art.

- Cela me convient à merveille. Dehors, il fait un soleil radieux et pour un peu j’en oublierais presque que nous sommes en plein cœur de l’hiver, répondis-je à voix basse, soucieuse d’éviter que mes paroles ne tombent dans des oreilles indiscrètes car malgré le départ des domestique je demeurais vigilante, ne sachant que trop bien que le personnel de maison est souvent à l’affût du moindre ragot.

Alonso me désigna la porte de service et je m’empressais de le suivre. Une fois à l’extérieur, j’aspirais une grande bouffée d’air pur et nous nous miment en marche jusqu’à l’esplanade. En chemin, nous croisâmes une bande d’enfants rieurs, occupés à se battre à grands renforts de boule de neige et, à leur vue, je me remémorais ma propre enfance et les facéties auxquelles je me livrais en compagnie de mon jumeau. Un sourire amusé s’afficha sur mes lèvres et je me tournais vers le jeune homme :

- Voir ces enfants jouer de manière si insouciante me rappelle ma propre enfance. Lorsque je n’étais qu’une petite fille je rêvais de pouvoir en faire autant mais ma gouvernante était si sévère que si j’avais le malheur de trop bouger, de vouloir courir ou sauter, elle fronçait les sourcils ou me réprimandait. Selon elle ce n’étaient guère les manières qui seyaient à une demoiselle de mon rang.

Je poussais un soupir aussi de poursuivre :

- Dès lors, j’étais forcée de demeurer de longues heures assises, à me livrer à des travaux de couture ou à lire, contemplant le jardin du haut de ma fenêtre. J’enviais la liberté dont jouissais mon frère car il pouvait se dépenser ou apprendre le maniement de l’épée. Après l’avoir supplié des heures durant, il a finalement consenti à m’en apprendre les rudiments. Si ma mère l’avait appris, elle en aurait été malade, terminais-je en riant.

Alors que nous arrivions sur l’esplanade, je scrutais la foule de passants, espérant y reconnaître quelques visages familiers, mais en vain. Je m’avançais donc en direction des galeries d’art afin de contempler les toiles qui y étaient exposées. C’est alors que mon regard azuré tomba sur l’une d’entre elle et que je sentis mon cœur battre plus vite et une pluie d'émotions m'envahir. Je me sentais émue par tant de beauté, comme si l’artiste était parvenu à capturer un moment d’éternité et à l’immortaliser sous une myriade de couleurs chatoyantes.

- Cette toile est magnifique…dis-je dans un murmure. Pouvons-nous l’approcher de plus près ? J’aimerais beaucoup en savoir plus sur l’artiste qui l’a peint…

J'attendais l'avis de la jeune femme avec une certaine confiance, puis je me demandais un instant comment elle arrivait à accepter d'être de l'autre côté du miroir. Elle était une noble, mais venait de perdre les privilèges de son rang. Je remarquai que sa fierté en avait pris un coup, et qu'admirablement elle faisait preuve de dignité en acceptant sa chute.

Ma proposition illumina son visage, j'en étais ravi. Et puis, je devais reconnaître que j'appréciai particulièrement me balader dans cet endroit. Je peignais de temps en temps, mais mon talent flirtait avec la médiocrité.
Lorsque nous avions emprunté la porte de service, je poussai un soupir de soulagement. Il fallait dire que je devais composer avec un certain malaise en me mêlant aux serviteurs du comte.

En chemin, nous croisâmes un groupe d'enfant qui jouait naïvement. Une scène qui fit naître de la mélancolie chez la jeune femme. Les mots qu'elle soufflait enflamma aussi mes souvenirs du passé. Cependant mon éducation fit que je restais en silence pour l'entendre. Moi je jouais comme eux, plein de joie.
-" J'étais comme eux, puis rapidement je suis tombé dans la misère alors je trouvais le bonheur ailleurs. Alors j'ai du m'en sortir tout seul. Vous ne devriez pas regrettez votre désobéissance, car maintenant vous savez vous défendre. De plus vous devriez être heureuse d'avoir appris tant de choses... Même si je peux comprendre la tristesse de ne pas avoir pu profiter de ces années comme ces gens-là... " Soufflais-je, les mains dans le dos, la figure sereine alors que nous arrivâmes sur place.

Il y avait des gens de tout rapport. J'espérais que Morgiane puisse y rencontrer une connaissance capable de l'aider plus que je ne pouvais. Nous allions directement vers les galeries d'arts, et en particulier de peintures. Je venais souvent par ici, surtout lorsque les toiles exposées. D'ailleurs Morgiane resta figée devant une des oeuvres.
Elle désirait s'approcher, et en savoir plus sur l'auteur. Un sourire discret sur les lèvres, d'un geste de la main je l'invitai à avancer un peu.
Le tableau était hypnotique...
-" C'est une oeuvre de Madame de Ventfroid..." Soufflais-je d'un ton admiratif, rarement j'exprimais ce sentiment, et la comtesse était certainement la seule noble pour qui j'éprouvais un immense respect sans forcement la connaître.
-" C'est ma favorite, elle a un génie qui me semble sacré et unique...Moi qui peint un peu je me sens vraiment ridicule devant elle." Poursuivis-je toujours avec cet air de fascination.

-" Parfois, elle passe par ici, mais elle est assez inaccessible pour les gens comme nous... Néanmoins, elle fait souvent preuve de générosité lorsqu'elle le peu..." Terminais-je en contemplant le tableau de cet horizon radieux.
-" Vous aimiez peindre Mademoiselle ?" Demandais-je simplement...

En voyant les enfants en train de s’amuser dans la neige, des souvenirs de ma propre enfance affluèrent à mon esprit et je m’en ouvrais à Alonso. Ce dernier me confia avoir, jadis, été comme eux, gai et insouciant, avant de tomber dans la misère, ce qui lui avait appris à ne compter que sur ses propres forces.

- Mais alors puisque vous êtes tombé dans la pauvreté si jeune, peut-être avait vous grandi trop vite et perdu une certaine innocence. Hélas, parfois la vie ne nous laisse guère le choix et nous force à nous adapter en nous expulsons hors du doux cocon de l’insouciance.

Je songeais à l’étrange ironie qui faisait que moi et le domestique, hier encore de parfaits inconnus, partagions cette cruelle expérience de vie.

Je souris et mes yeux pers s’illuminèrent d’une lueur malicieuse quand le jeune valet me répondit que je n’avais nullement à regretter ma désobéissance d’antan, car celle-ci était source de nombreux apprentissages.

- Je n’ai jamais été obéissante, même si je faisais les choses en cachette afin de ne pas m’attirer les foudres de ma gouvernante ou de ma mère. Du reste, savoir manier l’épée m’apparaissait comme un jeu interdit, ce qui le rendait d’autant plus attirant…

Puis je plongeais mes prunelles claires dans les siennes :

- Et je ne voulais pas demeurer une simple fleur de salon, incapable de se défendre si nécessaire. Et vous, est-ce que vous savez manier une arme ?

Tout en bavardant, nous arrivâmes sur l’esplanade où je ne croisais aucun visage connu et nos pas nous conduisirent jusqu’aux galeries d’Art. C’est alors que j’aperçus, subjuguée, un magnifique tableau aux couleurs aussi éclatantes qu’un champ de fleurs illuminé par le soleil d’été. Lorsque je demandais le nom de l’artiste, Alonso me répondit qu’il s’agissait d’une œuvre de madame de Ventfroid. Sans quitter le tableau des yeux, je répondis :

- J'avais déjà ouï dire que son talent en la matière était incomparable, mais je n’avais jamais eu l’occasion de contempler l’une de ses œuvres…

Ce tableau était tellement splendide que j’en demeurais ébahie. Le jeune homme semblait avoir une très haute opinion de cette noble dame et j’acquiesçais de la tête :

- Je pense qu’il faut un grand talent et une grande sensibilité pour réussir à transposer tant de beauté sur une toile. J’aimerais tant la rencontrer. Quelqu’un capable de créer un tel chef d’œuvre ne peut-être qu’une belle âme. J’espère avoir un jour cette occasion…

Tout d’un coup, le poids de la réalité parut une nouvelle fois me rattraper et faire exploser la bulle de rêve dans laquelle cette peinture m’avait plongée. Autrefois, il m’aurait été aisé de rencontrer une autre sang bleu et de me promener avec fierté dans les quartiers nobles, de prendre place dans les beaux salons et d’être conviée aux bals les plus somptueux.

Ma nouvelle situation de déshéritée et le stigmate de la pauvreté jetait l’opprobre sur moi, créant une barrière invisible entre les autres nobles et moi. C’était comme si mon enfance venait de mourir, me laissant seule et démunie face à une dureté inconnue.

L’ancienne Morgiane, riche et issue d’une illustre famille avait sa place dans cet univers de lumière, mais qu’en serait-il la « pauvresse » qui désormais la remplaçait ?

Daignerait-on encore me recevoir ou me repousserait-on telle une pestiférée ?
Soudain une question du valet m’arracha à ma contemplation pensive.

- Oui je peins mais je suis très loin d’égaler l’habileté de madame de Ventfroid. Grâce à mon éducation de jeune fille noble, je possède quelques dispositions dans les activités artistiques telles que la peinture, le chant et la danse ainsi que la couture. Toutefois j’ignore si ces capacités me seront utiles de quelque manière que ce soit…

-" J'ai certainement eu le malheur de grandir trop vite en effet..." Répondis-je dans un souffle mélancolique. Ma jeunesse, du moins ma tendre enfance, je l'avais passé dans la peur de mourir, la peur de ne plus manger. La crainte du lendemain aussi. Mon âme possède encore les stigmates de ce temps qui restait présent dans ma tête mais duquel j'essayais de me détacher un peu. J'aurai pu sombrer, basculer vers une vie encore plus triste.
Je m'en étais sorti, souvent en mettant à mal mon orgueil. Même si je ne roulais pas sur l'or, ce que je connaissais actuellement, même en rêve je n'aurai pu l'imaginer il y a de cela quelques années.

Je l'écoutais alors me raconter la manière dont elle se cachait pour apprendre l'interdit. Je la regardais avec un air rêveur. Je ne savais pas pourquoi mais je commençai à l'apprécier, et puis, naïvement, elle me faisait sourire.
-" Je sais plus ou moins manier la dague. Néanmoins, j'ai la chance de maîtriser l'hypnose..." Lui confessais-je en attrapant dans ma veste mon pendule.
-" Je comprends votre souhait Mademoiselle. Et même si mon esprit n'est guère apte de se mettre à votre place, jamais je n'aurai pu accepter de rester enfermé dans un protocole strict." Dis-je avec un grand sourire réconfortant.

Lorsque nous arrivâmes à la galerie d'art, il y avait là de nombreuses toiles. Il y avait de nombreux artistes qui exposaient là. Mais nous nous étions arrêtés devant une peinture de Madame de Ventfroid.
Morgiane me répondit qu'elle avait entendu parler d'elle. Un fait qui ne m'étonnait guère. J'étais ravi qu'elle puisse contempler l'une de ses oeuvres.
-" Que les trois vous entendent et nous donne cette chance un jour... " Clamais-je quand elle affirmait son désir de la rencontrer un jour.
Je n'avais jamais eu cette opportunité encore, du moins, je l'avais parfois vu, mais toujours furtivement et sans avoir vraiment eu le privilège d'échanger quelques mots.

Je sentais dans la voix de la jeune femme le dépit, la lassitude. Etait-elle en train de se rendre compte de son état. Que son costume propre de noble était tombé à ses pieds ? Etait-elle en train de s'inquiéter pour son avenir ? Son souhait concernant Madame de Ventfroid me surpris à retardement. Jadis, il y aurait certainement suffit d'y penser pour pouvoir la rencontrer comme on rencontre n'importe qui. Etait-elle en train de sentir le sentiment des roturiers vis à vis des nobles ? Non pas de ceux qui méprisent, mais de ceux qui admirent et respectent ?
La fin de son intervention me chagrinait.
J'avais l'impression qu'être ici fut pour Morgiane comme un coup derrière la tête.
-" Peut-être pourriez-vous m'enseigner à peindre encore mieux ?" Demandais-je avec une certaine ferveur.
-" Toutefois Mademoiselle, même si mon intention n'est pas de vous obliger à y penser, il vous faudrait réfléchir à une solution pour vous sortir de votre situation. J'imagine le mal que vous aurez à penser à cela, néanmoins, je crois qu'il vous faudra réfléchir à un métier... Ne serait-ce que pour vous vider l'esprit et avoir et chercher un moyen de retrouver votre rang."

Tandis qu’Alonso évoquait son douloureux passé, je vis de la tristesse ternir l’éclat de ses grands yeux marrons et sa voix prit une tonalité mélancolique. Le valet avait dû connaitre bien des moments difficiles ainsi que le découragement ; cependant, ce dernier semblait lutter envers et contre tout afin de surmonter l’adversité. Je songeais que l’existence pouvait se révéler cruelle et tout nous donner mais aussi tout nous reprendre. Était-ce l’une des leçons de l’âge adulte que je devais assimiler ? Certaines choses sont apprises dans la douceur et d’autres dans la douleur.

Au moment où j’interrogeais le jeune homme sur son maniement d’une arme, il me confia savoir se servir d’une dague. J’eus un petit sourire amusé avant de répondre :

- C’est un choix judicieux, il s’agit d’une arme discrète et facile à dissimuler. Grâce à elle, vous pouvez vous défendre ou attaquer par surprise.

En outre, ce dernier maîtrisait également l’hypnose. Je ne pus m’empêcher d’ouvrir de grands yeux étonnés :

- Vraiment ? Voilà qui est très curieux. Est-ce que vous pourriez me faire une petite démonstration ou essayer sur moi ?

Je n’avais jamais eu l’occasion d’être hypnotisée, ni même d’assister et une séance d’hypnose ; dès lors, je ressentais l’envie irrésistible d’en découvrir davantage.

Ensuite, alors que nous admirions les toiles exposées dans les galeries d’art, je fus subjuguée par la beauté d’une œuvre appartenant à Madame de Ventfroid. Et alors que j’avais les yeux rivés sur ce tableau, je sentis naitre en moi le profond désir de la rencontre. Je m’en ouvris à Alonso qui, de toute évidence, partageait mon sentiment.

Quand je lui révélais savoir peindre, le jeune homme me demanda si je pourrais lui enseigner quelques rudiments.

- Cela serait avec le plus grand plaisir.

Puis, avec pragmatisme, celui-ci ajouta qu’il serait préférable que je songe à un moyen d’assurer ma subsistance et de retrouver mon rang. Ses paroles étaient sensées et je savais que je ne devais pas céder à l'abattement et au désespoir. Si je voulais réussir à regagner ma fortune et innocenter mon frère, il me fallait mobiliser toutes mes ressources mentales. En dépit de ma douceur et d’une apparente fragilité, une grande force intérieure et une volonté de fer sommeillaient en moi.

- Je réussirais, dis-je d’un ton plein de détermination. Même si je ne sais pas encore comment, je trouverais le moyen de survivre et de retrouver mon rang, ma fortune et sauver mon frère banni. J’en fais le serment.

Soudain, je m’aperçus que notre promenade et notre conversation m’avait fait perdre toute notion du temps.

- Peut-être devrions-nous partir et voir si votre maîtresse est de retour ? hasardais-je.

La jeune femme se montra surprise lorsque j'évoquai mon savoir faire concernant l'hypnose. Sa curiosité la poussa même à me demander une petite démonstration, allant même à s'offrir comme cobaye.
-" Si Mademoiselle a confiance en moi, alors pourquoi pas, mais nous ferons ça dans le calme lorsque nous seront rentrés." Dis-je avec un sourire aimable. En effet je ne pouvais pas encore totalement forcer un esprit à entrer dans un état de fascination. Toutefois je poursuivais des études pour améliorer tout ça.

Ce fut avec plaisir que je l'écoutais être d'accord pour m'aider à améliorer mon talent de peintre. Elle répondit ensuite à mon air plus sérieux pour son avenir. En effet même si Madame Calderan lui avait donné de quoi vivre pendant un temps, cela ne pouvait-être que temporaire. Morgiane parlait avec beaucoup de détermination.
Je devais avouer que je n'imaginais pas lire un tel sentiment sur un visage si doux. Néanmoins en la voyant ainsi je me disais qu'elle était capable d'atteindre son objectif. Même si cela allait sans doute prendre du temps.

Elle avait tellement à faire pour retrouver son rang. Je me demandais bien comme elle pouvait y parvenir. Et puis j'étais intrigué de savoir comment elle allait accepter cette déchéance, et comment elle allait accepter le fait de perdre des privilèges, et de devoir vivre comme une simple citoyenne du peuple.
Puis, elle me proposa de retourner au manoir afin de savoir si Aalicia était prête à la recevoir. Je regardais l'heure, et à dire vrai, elle n'avait pas tord.
-" Vous avez raison ! Allons-y ! Il commence à se faire tard. "

Nous n'avons pas perdu notre temps ici, et puis j'étais ravi de lui avoir montré mon petit péché. Et je remarquai qu'elle aussi semblait sous le charme de l'oeuvre de Madame de Ventfroid. Quant à la rencontrer, pour l'instant cela resterait un songe.

Nous prîmes alors le même chemin que pour venir.
-" Vous savez j'utilise surtout l'hypnose pour aider les gens à vaincre des souffrances, des peurs. Je n'ai pas encore assez appris pour savoir prendre le contrôle d'un cerveau, même si j'y travaille. Soyez sans crainte, car, votre inconscient vaincra toujours l'état hypnotique." Lui dis-je pour compléter notre dialogue sur mon talent.

-" Peut-être même serais-je capable de vous faire dire des choses dont votre conscience n'a plus connaissance, mais votre inconscience, si." Ajoutais-je pour revenir au dessein de la jeune femme. J'étais prêt à l'aider. Même si mon aide ne serait pas énorme...

Quand je fis la proposition de servir de cobaye pour une séance d’hypnose ; les lippes d’Alonso s’étirèrent en un sourire empli d’amabilité.

- Dans ce cas, j’ai hâte d’essayer dès que nous serons de retour chez vous, dis-je en avec un sourire radieux.

En dépit de ma réserve et de ma méfiance habituelle envers les étrangers, le valet semblait avoir gagné ma confiance en un temps relativement bref. Était-ce en raison de la douceur mélancolique de ses yeux de velours ou de sa silhouette gracile qui lui conférait un charme romantique ? Ou peut-être simplement car lui seul m’était venu en aide alors que je me trouvais aux abois. Je ne saurais le dire mais à présent je ressentais de la joie et de la gratitude envers la Trinité d’avoir permis à nos routes de se croiser. Et je n’éprouvais plus aucune inquiétude à l’idée de demeurer en sa compagnie.

Mais le temps s’écoulait à une vitesse vertigineuse et le moment était venu pour nous de regagner le logis de sa maîtresse. J’espérais ardemment que celle-ci soit de retour car j’avais hâte de faire sa connaissance.

En chemin, le jeune homme poursuivit ses explications au sujet de l’hypnose et je l’écoutais d’une oreille attentive :

- L’hypnose possède donc de telles propriétés ? En l’utilisant il serait possible de guérir certaines blessures de l’âme et nos peurs les plus profondes ? Comment cela se peut-il ? Demandais-je en écarquillant les yeux de surprise.

Jusqu’à ce jour, je pensais qu’un tel pouvoir n’était dévolu qu’aux prêtres de la Trinité.

- Et vous voulez-dire que l’hypnose est en mesure de ramener à notre conscience des souvenirs enfouis dans les tréfonds de notre être, mêmes les plus inaccessibles ?

Tant de choses paraissaient effacées de ma mémoire et, parfois, j’oubliais même mes songes de la veille. Si l’hypnose permettait de les faire resurgir alors ce talent conférait une grande puissance à son utilisateur. Je ris et poursuivis :

- Alors il est possible que sous hypnose, je me laisse aller à certaines confidences de la même façon que si j’étais avinée. Pouvez-vous aussi lire et interpréter les rêves ? Mais pour quelle raison avez-vous décidé d’apprendre l’hypnose et qui vous l’a enseigné ?

Tout en marchant, nous parvînmes de nouveau devant le manoir de Madame Calderan.

Je me demandais si j'étais encore capable d'user encore l'art de l'hypnose. Bien sûr j'en avais les connaissances, mais cela faisait déjà quelques temps que je ne l'avais pas pratiqué. Il était évident que dans le cas de Morgiane, l'usage serait bénéfique puisqu'il servirait d'assistance pour résoudre ses problèmes.

Morgiane était à la fois perplexe, surprise et attentive à mes explications. Un intérêt qui me donnait la belle impression d'avoir une certaine puissance. Evidemment c'était faux.
-" Disons que l'hypnose peut modifier votre mental en le faisant entrer dans un état de transe imaginatif, ensuite il ne reste plus qu'à travailler avec pour soigner certaines phobies. Toutefois, nous sommes loin d'en connaître toutes les vertus. Il n'est déjà pas aisé de faire entrer un sujet dans cet état profond." Répondis-je vaguement. Il fallait dire que tout cela n'était pas simple, et qu'il était compliqué de pouvoir raconter tout ça sans user de mots techniques.

-" Effectivement, il est possible de ramener des souvenirs enfouis dans notre mémoire. Du moins, le sujet doit être réceptif au pouvoir de l'hypnotiseur." Continuais-je avec un sourire aimable. Il fallait avouer que je commençai à m'attacher à cette jeune noble, et ses malheurs. Je ne savais pas si elle arriverait à s'en sortir, mais son courage faisait plaisir à voir.
D'ailleurs je constatais qu'elle trouvais un intérêt à ce que je puisse me faire de mon talent d'hypnose sur elle.

J'écoutais sa remarque ainsi que ses questions avec attention. Les bras croisés je pris un temps de réflexion afin de répondre correctement.
-" Oui je pense que c'est possible. Et je vous confirme que si je parviens à vous faire entrer dans l'état hypnotique il est fort probable que des questions puissent trouver des réponses dans votre inconscient. Malheureusement, je ne suis pas assez doué pour interpréter les rêves." Répondis-je pour commencer alors que le domaine se montrait à nos yeux.
-" Quand on est dans la rue, on s'accroche comme on peut, j'ai rencontré un vieil homme qui accepta à m'aider comme il pouvait, c'était aussi un mendiant, et il connaissait cet art. Alors il accepta de me le transmettre, le pendule fut le sien." Dis-je avec une pointe de nostalgie.

Lorsque nous arrivâmes, on nous annonça que Madame était sortie. Un soupir de dépit en me disant que finalement ce n'était pas notre jour.
-" Bien, il va nous falloir attendre Mademoiselle. Mais si vous le souhaitiez, nous pouvons nous installer dans un salon et mettre à profit ce temps pour savoir si vous êtes réceptive à l'hypnose ?"
Je me dirigeais alors vers une petite pièce tranquille, en sortant d'une poche intérieur de ma veste le pendule. Je l'observais avec une certaine tristesse, mon professeur m'avait toujours dit de l'utiliser à des fins justes et non par avidité, pour une fois son souhait allait s'accomplir.

Alonso poursuivait ses explications et je le dévisageais avec étonnement, buvant presque ses paroles. Décidément, ce jeune valet débordait de ressources et je songeais amusée qu’il était probable que je ne sois guère au bout de mes surprises. Mi- admirative et mi- intriguée, je me hasardais à lui poser encore quelques questions sur cet art ô combien mystérieux à mes yeux et qui paraissait flirter avec l’occultisme.

- Pourquoi n’est-il pas aisé de faire entrer une personne dans cet état imaginatif ? Est-ce que notre esprit oppose une résistance à ce qui lui semble être une sorte…d’intrusion ?
Puis entraînée par mon enthousiasme et ma spontanéité, je ne pus m’empêcher de demander :

- Est-il possible d’hypnotiser quelqu’un contre son gré ou même d’hypnotiser…un animal ?
Mais dès après, je sentis mes joues s’empourprer à l’idée de ce que le jeune homme allait penser de ma stupidité et de ma naïveté. En effet, je ne connaissais rien à l’hypnose et je rougissais de mon ignorance à ce sujet. Par ailleurs, je ressentais une soudaine admiration vis-à-vis d’Alonso pour être parvenu à maîtriser un tel pouvoir et mon désir de participer à une séance d’hypnose croissait au fur et à mesure de notre discussion.

- L’esprit est si complexe et il existe tant de choses qui dorment sous la surface de notre conscience. Elles sont « invisibles » en apparence mais gouvernent nos vies en secret…Il y a tant de choses que j’ignore encore et que j’aimerais apprendre, dis-je avec un soupir. Pour les rêves, peu importe, même si je serais très intéressée de rencontrer un jour une personne possédant une telle capacité et aussi…celle de prédire l’avenir.

Et d’un air empli d’innocence mais les yeux pétillants de malice, je poursuivis :

- Croyez-vous à la cartomancie et au pouvoir des diseuses de bonne aventure ?

Pour ma part, j’ignorais si l’on pouvait prêter un quelconque crédit aux devineresses qui prétendait pouvoir lire le futur d’un individu voire interpréter les grandes lignes de sa destinée et, bien entendu, conjurer le mauvais sort à l’aide de mystérieux rituels. S’agissait-il d’un don réel ou uniquement de sombres superstitions ? Le doute subsistait dans mon esprit, tout celui que je nourrissais concernant l’existence d’un destin qui nous condamnerait à mener une vie déjà écrite avant même notre venue au monde.

Alonso se montrait plein de sollicitude envers moi et je commençais à m’attacher à ce jeune garçon, aux grands yeux de troubadour et à l’allure si paisible et éthérée. A ses côtés, je me sentais en sécurité et emplie d’un sentiment de quiétude, comme si j’étais auprès d’un ami d’enfance ou même d’un frère. Bien entendu, mon ressenti ne pouvait guère être comparé à l’intensité de la relation fusionnelle que j’entretenais avec mon jumeau. Je songeais que tous deux possédaient des tempéraments très dissemblables : Alonso renvoyait une impression de calme et de douceur alors que Johan semblait incarner la force et l’assurance. L’un arborait une chevelure foncée et l’autre des cheveux couleur de feu, identiques aux miens.

Enfin nous parvînmes au manoir et un sourire ravi s’afficha sur mes lèvres ; hélas, celui-ci s’effaça rapidement lors l’on nous informa que la maîtresse des lieux ne pouvait toujours pas me recevoir, en raison d'une sortie. Je baissais les yeux, tentant de dissimuler la déception et l’amertume que je sentais sourdre dans mon cœur. Se pouvait-il que cette gente dame refuse de me rencontrer et que son absence ne soit qu’un prétexte pour repousser notre entrevue ?

Apparemment aussi marri que moi, le domestique tenta de me distraire en me proposant de nous livrer à cette séance d’hypnose dès à présent. Enchantée de pouvoir me dérider et d’oublier ce fâcheux contretemps je le suivi jusqu’à une petite pièce tranquille. L’endroit était calme et meublé avec un mobilier d’une grande sobriété, les rayons du soleil qui filtraient par l’une des fenêtres lui conféraient une atmosphère très intimiste. Une fois à l’intérieur, le jeune homme sortit un pendule de l’une de ses poches et je l’observais avec curiosité :

- Est-ce que vous allez m’hypnotiser à l’aide de ce pendule ?

Je balayais les lieux du regard et aperçut un sofa de velours bleu marine.

- Dois-je m’allonger pour notre séance d’hypnose ? demandais-je à voix basse en plongeant mes prunelles aigue-marine dans les siennes.

Quand Alfonso est venu dans sa chambre avec son petit déjeuner, elle était déjà réveillée, en robe de nuit, occupée à écrire penchée au dessus de son bureau. Elle a simplement levé la tête et a sourit a son valet avant qu'il ne lui parle de Morgiane. Bien qu’intéressée par la situation de la jeune noble qui bien que différente sur la base est assez similaire à la sienne, meme si la veuve a pu trouver un point de chute avant même de poser un pied dans la rue. Malheureusement d'autres taches urgentes attendent la sulfureuse brune et elle laisse une note avec les instruction pour qu'Alfonso puisse s'occuper de Morgiane, le déchargeant même de s'occuper de son bien être, elle peut s'habiller seule pour une fois, une autre a plus besoin d'Alfonso qu'elle pour le moment.

Une heure après, elle a du partir en catastrophe à l'Effeuill'Âge pour régler un soucis là bas, une histoire d'employé qui s'est rompu le cou après avoir dévalé les escaliers. Bien que tout le monde pense que ce soit un accident, Aalicia sait que ce n'en est pas un, elle l'a vu au regard d'une de ses employées qui, au lieu d’être choquée comme les autres, avait un regard vindicatif. Après avoir pu répondre aux questions des miliciens et qu'ils aient emmené le corps de la pauvrette avec eux, elle peut enfin retourner au manoir où on lui annonce qu'Alfonso et Morgiane son revenu et installés dans le salon. Elle arrive au moment où la noble sans le sou demande si elle doit s'allonger pour leur séance d'hypnose.

- Il vaut mieux, vous devez être le plus détendue possible, sinon ça ne fonctionnera pas...

Dit elle avec un chaleureux sourire pour la jeune femme.

- Ne faites pas attention à moi, je ne fait qu'observer pour l'instant. Nous parlerons ensuite mademoiselle.

Elle part s'asseoir confortablement dans un des fauteuil présent dans le salon et elle attend la suite. Elle n'avait encore jamais vu Alfonso hypnotiser quelqu'un et elle est bien curieuse de voir comment il va faire

-" L'inconscience profond d'un être sera toujours plus puissant que l'hypnose... Ce n'est qu'un fantasme que de croire que l'on peut forcer quelqu'un à attenter de sa vie. Peut-être un jour..." Répondis-je presque de suite.
-" C'est une tâche complexe, mais possible... Et il est possible d'atteindre le cerveau des animaux. " Poursuivis-je avec le même enthousiasme que celui que m'exprimait Morgiane.

Elle se lança dans un monologue qui m'amusait, autant qu'il me fascinait. Elle avait raison, tout cela était fort intéressant.
-" Je ne possède guère d'avis, mais j'ai tendance à être naïf et y croire, même si je préfère me fier à mon esprit." Soufflais-je d'un air un peu plus sérieux.
La suite, nous décidâmes de partir pour une séance.

Le salon était paisible, il y avait un canapé juste ce qu'il fallait. En marchant je pensais à mon agissement, en répétant dans ma tête ce que j'allais faire. Mais il y avait là une opportunité de l'aider, d'aider cette jeune femme à obtenir un indice pour accomplir son désir.
Elle me demandait si j'allais faire mon fait avec le pendule, un rictus rassurant sur le visage je lui montrait clairement l'artefact ancien.
-" En effet... Mais vous n'avez rien à craindre, si votre inconscient juge mes recommandations dangereuses pour vous, alors vous quitterez l'état de transe."
Alors que nos regards s'échangèrent comme pour chercher une complicité qui aiderait, la voix de Madame vint répondre. Je tournais ma tête.
-" Oh Madame, c'est vous ! " Dis-je surpris et étonné.
Un sourire sur les lèvres je montrais à Morgiane le sofa confortable.
-" Installez-vous ici. Et surtout videz votre esprit..." La présence de ma maîtresse ne me dérangeait nullement mais me mettait une certaine pression qui allait favoriser mon travail. Je ne lui avais pas trop parlé, car je devais rester concentré...

J'attendais que la jeune femme s'installe.

Alonso et moi étions seul à seul dans cette pièce tranquille, à l’abri des regards indiscrets, et je sentais croître mon impatience. Un sentiment confus jaillit en moi, mélange d’appréhension et d’excitation. Pour la première fois de ma jeune existence, j’allais participer à une séance d’hypnose et ma curiosité était à son apogée.

Entièrement absorbée, comme prisonnière d’une bulle, il me semblait que le monde environnant avait disparu. Lorsque tout d’un coup, le son d’une voix féminine me rappela à la réalité…
En tournant la tête dans sa direction, j’aperçus une jeune femme, debout dans l’embrasure de la porte, en train de nous observer le valet et moi. Cette dernière possédait une beauté glacée, rappelant la froideur lunaire et un visage diaphane, encadré par une cascade de boucles foncées. Ses prunelles d’un bleu foncé m’évoquaient le ciel d’une nuit d’été et sa silhouette gracile était parée d’une robe sombre. Sans nul doute, il s’agissait de notre hôtesse.

A sa vue, je sentis une rougeur colorer mes joues de nacre et mon cœur se mit à battre plus fort dans ma poitrine. Qu’allait-elle penser de moi en me voyant seule dans une pièce isolée en compagnie de son domestique et parlant de m’allonger ?

Je m’apprêtais à bredouiller quelques paroles destinées à me justifier, lorsque d’un ton cordial, celle-ci me conseilla de me détendre afin que l’hypnose fonctionne, et à ne pas prêter attention à sa personne pour l’instant. Alonso lui-même se montra rassurant et m’invita à m’installer, comme je m’apprêtais à le faire avant l’entrée de sa maîtresse dans la pièce. Encore un peu troublée par cette arrivée inattendue, je m’allongeais sur le sofa de velours bleu marine, aux reflets brillants.

Je respirais lentement, tentant de me détendre et de relâcher tous les muscles de mon corps, ainsi que d’oublier la présence de madame Caldéran, et son mystérieux regard azuré, certainement occupée à me détailler ainsi qu’Alonso.

- Je suis prête, nous pouvons y aller, dis-je d'une voix que je voulais la plus posée possible.