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 Renaître de ses cendres [Grayle]

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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyMar 16 Oct 2018 - 19:10
Renaître de ses cendres
Avec Grayle


En cendres. Le petit immeuble n’était aujourd’hui qu’un immense tat de débris balayé par le vent et oublié des badauds. Rien ne restait du petit repère douillet où la mère et l’enfant avait terminé leur exil, après leur longue route jusqu’à Marbrume. Tout s’était envolé dans un grand orchestre de flammes ne ponctuant la partition de musique que de boules de suifs. De l’enfer, ils n’avaient pu sauver d’un gros baluchon de toile. Leurs économies, des habits et les vieux grimoires de l’érudite s’y entassaient et le tissu sentait encore le brûlé. L’odeur d’un brasier auquel ils avaient échappé de peu.

Un grand chevalier au cœur tendre et sans pantalon était venu à leur secours en temps voulu. Et puis des solutions temporaires s’étaient multipliées afin de les reloger. Pendant deux semaines, la jeune étrangère s’était démenée pour trouver chaque soir un toit pour les accueillir. Et, sa bourse se faisant de plus en plus légère, petit à petit, en ricochant de vieilles mansardes en chambres douteuses, elle s’était éloignée progressivement du Temple et de la somptueuse Bibliothèque. Bientôt, malgré tous ses efforts et ses journées sans fin, elle avait finalement, au terme d’une longue débâcle de travaux de copiage et de reliure, trouvé un endroit moins malfamé que le Goulot. Dans son malheur, elle avait au moins eu la chance de faufiler jusqu’à la Hanse où la misère se faisait moins criarde.

Non loin des ateliers et de la forge, un ami lui avait proposé d’occuper une chambre de bonne, dans les combles d’un petit immeuble miteux et délaissé à cause des relents de fumées grises causés par le chauffage à blanc des métaux. Aux premières vues, il était raisonnable de penser que la chambre de bonne avait été reconverti un temps en chambre de passes. Malgré l’aspect vétuste du mobilier, la jeune mère n’avait pas hésité et avait signé au plus vite. Si on entendait le fer battre toute la journée, ici, au moins, l’ossature de la bâtisse n’était pas que de chaux et de bois.

Elle reprenait donc là la chambre d’une putain. Jamais, l’érudite de l’Ouest n’avait cru un jour tomber aussi bas. Quelque chose s’était brisé en elle lorsqu’elle avait soulevé tous les vêtements qui jonchaient le sol du minuscule espace. En plus d’être peu riches d’étoffes, ils étaient si étroits que seule une enfançonne aurait pu y glisser. La catin était morte. Son lit était resté vacant. Et il planait une odeur d’horreur lorsqu’elle était rentrée la première fois ici.

Pas le choix. Le prix était très raisonnable puisqu’il les escaliers qui montaient jusque dans le nid de l’ancienne colombe tachée étaient fort escarpés ; ce qui éliminait les marchands bedonnant et les forgerons qui n’auraient pas pu s’y glisser. Et puis, on ne devait guère craindre la morsure de la gelure : pas d’âtre ni de fenêtres dignes de ce nom, mais la forge à côté chauffait la pierre des murs. Le vent pouvait s’engouffrer à des endroits, au niveau de la toute petite fenêtre qui surplombait la pierre. Même le bois du plancher bougeait dans la structure de la bâtisse précaire en même temps qu’il craquait comme pour hurler sa peine.

Pour elle et l’enfant, ce serait bien assez. Pas le temps de tergiverser. Elle paya pour cette misère.

Pendant une semaine, armée d’un vieux marteau et récupérant de vieilles planches qui n’avaient pas correctement brûlées sur son ancien logis, elle se démena pour consolider la toiture sous laquelle l’enfant dormirait. Les outils qu’elle utilisait paraissait trop lourds dans sa main aussi malingre que maladroite, plus habituée à tourner des pages qu’à marteler des clous. Qui eût cru que cette fille de bourgeois aille une telle force pour soulever tout cela ?

Personne ne l’aida et le vieil ivrogne qui vivait sous ses pieds vint même l’insulter pour le boucan qu’elle faisait. Il préférait la petite pute qui officiait là avant, à ces dires. Elle était jolie, au moins, pas comme la nouvelle locataire : pas sèche comme une corde pour se pendre. Et parfois, elle faisait quelques tarifs plutôt commodes, en plus.

Pas de ritournelle de la part de la jeune mère. Pas de ristourne du propriétaire. Et pas de compassion pour la femme non plus.

Sur le dernier pallier, en face, elle avait fort heureusement un autre voisin. Trois jours de suite, ils s’étaient croisés alors qu’elle sciait un nouvel encadrement pour la petite fenêtre de toit, tellement délabré que même l’orage devait stagner là, ou alors lorsqu’elle essayait de pousser la porte, encombrée du matelas de paille miteux, les nerfs de ses bras saillants et tendu comme des ficelles. A chaque fois, il avait posé un œil bienveillant sur elle. Même s’il ne semblait pas concerné par sa détresse, il lui avait donné un coup de main efficace et courtois. Et, occupés, ils n’avaient jamais pris vraiment le temps de tenir palabre ensemble et n’avaient point même pensé à se présenter.

Lui, c’était un homme fort discret. A chaque fois qu’elle l’avait croisé, il lui avait paru d’une grande carrure, mais dans cet espace restreint, il n’y avait que son corps plein d’os qui avait sa place. L’homme était, suffisamment fin, pour, comme elle, se faufiler jusqu’au dernier étage de la bâtisse, c’était déjà ça. Il n’avait frappé Louise que par cette force tranquille qui semblait dormir en lui et les sourires chauds qu’il distribuait sans trop de raison. Ce devait être un bon séducteur parce que, plusieurs fois, elle l’entendit rentrer avec une femme. Une différente à chaque fois. D’un côté, il lui rappelait ses hommes de l’ancien monde, celui d’avant la Frange : ceux qui croquent dans la vie à pleine dents et qui n’ont oubliés ni les amabilités, ni les plaisirs de la jeunesse.

Parce que, s’ils avaient sensiblement le même âge, son voisin semblait bien moins marqué qu’elle. La précarité creuse des rides mêmes sur les visages de poupons. L’érudite n’échappait pas à la règle : avec son lot de tracas, elle paraissait bien plus âgée que lui au fond.

En deux semaines de travail, l’appartement fut bien plus douillettement aménagé. Il étant temps de quitter les repères provisoires. L’enfant devait la rejoindre, maintenant. Et pour qu’il vienne, il faudrait braver le couvre-feu.

L’érudite qui aimait les histoires que racontaient les étoiles attendit la pleine lune. Ce soir-là, elle prit le sac de toile et l’enfant se cramponna à sa main aux phalanges osseuses. Elle connaissait le cadrant des patrouilles nocturnes et elle s’appliqua à les éviter soigneusement avant de s’aventurer dans le quartier qui les accueillerait désormais. Là, malgré les interdits, la nuit était plus vivante. Malgré les interdictions, des marchand négociaient encore, les artisans finissaient les œuvres et pliaient leurs outils, les quelques filles de joies appelaient les hommes qui passaient en bas et roucoulaient leurs jolies promesses, des gens avinés et des enfants des rues bougeaient encore comme des ombres. La peur au ventre, elle avançait, tenant la main du petit autant pour se rassurer elle-même que pour l’encourager lui. Engoncés dans ses vêtement noirs comme la nuit, le petits avançait comme un pantin dont on tire les ficelles. Sur son dos, le sac improvisé pesait comme tout l’or du monde.

Enfin, ils se trouvèrent tous deux devant la petite habitation. La nuit vient ricocher dans le sourire de la jeune femme. Elle posa le sac par terre et donna la petite clef à l’enfant comme on offre la plus douce des sucreries. Et il monta à toute vitesse découvrir son nouveau petit monde.

Et, au moment où elle voulut le rejoindre, où elle chargea l’immense baluchon sur son dos, un grimoire tomba lourdement sur le pavé. Un bruit qui dans le silence obscur aurait pu réveiller les morts. Elle s’accroupit, le ramassa, le serrant contre sa poitrine pour vérifier qu’il n’était guère endommagé. Et en levant les yeux, elle reconnut tout de suite la silhouette qui la dévisageait. Elle se releva, lentement.

Le voisin. Fort heureusement, il rentrait seul, pour une fois. Elle, n’aurait pas supporter qu’une autre personne posât les yeux sur le petit fantôme. Ils s’étaient salués exactement comme le veut la coutume entre gens qui vivent sous le même toit : presque sans se frôler du regard, ils avaient gravi les escaliers jusqu’au dernier palier presque sans un mot. A cet instant, la mère n’avait point réussi à cacher son embarras. Une peur s’était fichée dans sa ventraille. Elle aurait préféré que personne ne sache pour l’enfant. L’enthousiasme de l’enfant à la découverte du logis et le regard bienveillant de l’inconnu ne parvinrent guère à lui enlever ce poids. Personne ne devait savoir. Et, maintenant, quelqu’un savait.

Ce n’est que quelques semaines plus tard que l’érudite frappa à la porte d’en face. L’enfant, fragilisé par la famine et les semaines passées soumis à la vulnérabilité des lits qu’ils parvenaient à trouver, était tombé malade. La froidure de la nuit l’avait d’abord pris à la gorge. Et, désormais, une toux atrocement sèche faisaient raisonner le coffre de ses poumons. La mère ne supportait pas de le voir ainsi. D’abord ruinée par le loyer, elle avait dû trouver l’argent pour le remède. Le temps qu’elle réussisse à économiser assez pour un sirop, l’était du petit avait encore empiré un peu. Le laisser seul était devenu impossible. Elle voulait que quelqu’un reste avec l’enfant le temps qu’elle aille trouver une mixture pour apaiser le mal venu avec le début de l’hiver.

C’est souvent le désespoir qui pousse les âmes comme la sienne à sonner aux portes des étrangers. Et la jeune femme toqua fort et plusieurs fois. Elle allait abandonner son idée, croyant que le voisin était de sortie lorsque celui-ci lui ouvrit. Si le chevalier qui l’avait secouru, il y a quelques semaines, ne portait pas de pantalon, celui-là ne portait pas de chemise. Là, elle se trouva bien bête. Parce qu’elle ne trouvait plus ce qu’elle avait à lui dire. Il posa sur elle des yeux clairs comme le fond des rivières et baignés d’interrogations.

Hum, je… commença-t-elle avant de se reprendre : Je suis la voisine d’en face. Je ne voulais pas vous déranger mais j’aurais vraiment besoin de votre aide, monsieur.

Elle se mordit la lèvre inférieure, fort tracassée. La détresse sonnait à chacun de ses mots. Était-ce bien de faire cela ? Confier le gamin à un strict inconnu le temps d’aller chercher un médicament faisait-il d’elle une mauvaise mère ? Pas de meilleure idée ne lui était venue alors elle espérait que ce soit la bonne.
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GrayleGarçon de passe
Grayle



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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptySam 20 Oct 2018 - 20:44
Pour que l'humanité progresse, il faut que de courageux hommes et femmes innovent.

Grayle était un de ces hommes. En cet an de grâce 1166, Grayle était un des premiers garçon de passe à faire du télétravail.
En effet, jamais le jeune homme n'avait eu autant de clientèle. Au point qu'il était désormais risqué, pour la patronne du Boudoir, de laisser autant de femmes venir dans son bordel, sous peine que la présence d'un garçon de passe, chose extrêmement mal vue (en deuxième position derrière les fangeux) soit découverte. Ou du moins, trop difficile à cacher pour que les autorités fassent semblant de n'avoir rien vu.

Il avait été donc décidé que, de temps en temps, Grayle accueillerait ces femmes... chez lui. Avantage : la présence d'un tailleur dans son immeuble, réputé pour son savoir faire et son excentricité à vivre dans un immeuble aussi pittoresque (selon Grayle), qui faisait qu'en cas de découverte, les femmes avaient au moins une bonne excuse.

Ce qu'avait toutefois remarqué Grayle, à son grand chagrin, était le changement progressif de sa clientèle. Autrefois majoritairement composée de femmes délaissées par leurs maris ou à l'appétit sexuel vorace, elle était désormais constituée en grande partie de femmes du peuple. Pauvres, tristes et chagrinées, veuves, orphelines, voir les deux en même temps. Qui ne venaient pas pour un coït doux ou brutal, mais pour parler, se faire écouter, profiter juste un peu de chaleur humaine.

Celà ennuyait Grayle. Avec la guerre qui faisait rage contre les fangeux, de plus en plus d'hommes mourraient, laissant des légions de femmes dévastées derrière eux. Lui, était là pour les consoler et leur remonter le moral. Il s'en occupait religieusement. Mais il y a des limites à ce qu'on peut faire, et même pour Grayle, voir la tristesse s'étendre de plus en plus sur la ville l'affectait.

Sa nouvelle voisine en était une autre preuve. Une jeune femme qui avait emménagée juste à côté de chez lui. Jolie. Ou plutôt, elle l'était sûrement auparavant. Il voyait ses traits fatigués, tirés par l'inquiétude et le manque de sommeil, sa peau pâle, sa silhouette maigrelette, sûrement à cause d'un manque de nourriture. Encore une autre femme qui traînait le poids de ses tourments et de sa solitude sur elle. Encore une qui avait besoin de compagnie et de chaleur. Une autre femme seule, qui serrait avec force la main de son enfant, un petit bambin au dynamisme qui contrastait avec sa fantomatique mère.

Depuis quelques jours, il se surprenait de penser à sa voisine. Que faisait-elle ? Quelle était son histoire ? Il avait imaginé plusieurs manières de même lui proposer ses services, d'homme à femme, d'esprit généreux à âme en peine. Mais il n'avait pas osé. La jeune femme, aussi discrète qu'une ombre mais aussi polie qu'on pouvait le réclamer, ne lui aurait sûrement pas pardonné.

Et puis, un jour, elle fut ici, toquant à sa porte. Il avait ouvert sans réfléchir, ne portant qu'un simple pagne. Grayle avait le corps généralement chaud, et, même en hiver, dans sa chambre qu'il avait eu le temps d'isoler à l'êxtrême, la température était souvent élevée.

Son regard au début surpris s'évanoui pour laisser place à un sourire assez chaleureux pour faire fondre un bonhomme de neige.

- Bonjour voisine ! Vous ne me dérangez pas du tout, mais euh...

Il regarda sa chambre. Par la trinité, à quand remontait son dernier ménage ? Il avisa un haut jeté négligemment sur un tabouret lui même renversé, avant de reporter son attention sur sa voisine. Elle l'avait fixé avec de grands yeux avant de se mordre la lèvre inférieure. Hoho ? Une touche peut-être ? Il chassa rapidement cette pensée parasite de son esprit.

- Attendez un tout petit instant.

Porte qui se ferme, bruit de pas. Ils sont... doux. Ils font craquer le bois, mais pas de manière sinistre. Le son rappelle plutôt celui d'une bûche dans un âtre. La jeune femme peut entendre le bruit rèche du tissu qu'on enfile, un léger moment de silence, et la porte qui se rouvre, devant un Grayle habillé cette fois correctement, et les cheveux remis en ordre. Accoudé sur le mur de son entrée, il la regarde avec un oeil pétillant et curieux.

- Voilà ! Désolé pour l'attente mada... mademoiselle. Vous allez bien ? Qu'est ce que ce bon jeune Grayle peut faire pour vous ?
conclua t-il pour se présenter sans la forcer à faire de même. Il ne la sentait pas à l'aise, et il détestait ca.

Un instant de silence, très léger.

- ... je peux vous servir quelque chose ? J'ai, euh... de l'eau.
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Louise OchaisonErudite
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptySam 20 Oct 2018 - 21:26
Comme tout homme décemment élevé, le voisin renfila une chemise. Il revint et jeta avec précipitation son nom.

Voilà ! Désolé pour l'attente mada... mademoiselle. Vous allez bien ? Qu'est-ce que ce bon jeune Grayle peut faire pour vous ? s’enquit-il.
Louise. Moi, c’est Louise, précisa-t-elle.

Un rictus amer froissa le museau de la jeune mère. Un prénom suffisait parce que son nom avait totalement perdu de sa prestance. Il était comme une vieille statue de cuivre une fois que les pluies l’aient fait tourner au vert d’eau. Madame ou mademoiselle, on ne savait plus bien ce qu’elle était d’ailleurs. Une demi-vivante dans l’état des choses et presque à moitié morte quand elle entendant, de l’autre côté du pallier l’enfant s’époumoner. Elle ne répondit pas tout de suite pour l’entendre tousser. Les yeux fixés sur la main de l’homme posée contre l’encadrement de la porte, elle se concentrait sur la quinte qui lui semblait sans fin.

Il ajouta quelque chose et les yeux de la jeune femme tombèrent dans ceux du voisin. Une folie d’angoisse trainait là. Elle avait peur pour la chair de sa chair. Alors elle s’expliqua vite dans un fort long flot de mots qui ne devaient pas avoir grand sens pour celui qui se présentait sous le nom de Grayle :

J’ai un enfant. Vous le savez parce que vous m’avez vu avec. Je suis seule pour lui et je ne peux pas le laisser seul. Il est malade et sa santé est fragile. Je ne connais personne à Marbrume. Personne à qui je peux faire confiance pour ça. Alors, est-ce que je peux vous le laisser ? C’est juste le temps que je file chez l’herboriste pour prendre acheter quelques remèdes. Je peux vous payer, si vous voulez.

Les mots s’étaient succédé les uns aux autres dans un flot ininterrompu et presque brouillon pour la femme avec trop d’esprit. A la fin de sa phrase, Louise tendait déjà une pièce d’argent à son voisin et ses yeux clairs braillaient pour réclamer de la miséricorde.

Par contre, promettez de ne rien raconter sur lui. Vous allez comprendre qu’il ne faut rien en dire. Jurez juste, s’il vous plait.

La détresse faisait vibrer les cordes vocales de la jeune femme malingre et elle se râcla la gorge. Plantée là devant cet homme, elle n’avait qu’une hâte : ou qu’il accède avec bienveillance à sa demande, ou qu’il l’envoie bien vite sur les roses. Là, le bras tendu, avec la pièce d’argent au bout, elle avait l’air si misérable. Elle en avait marre, elle qui n’avait jamais manqué de rien, d’avoir à mendier de l’aide de la sorte.
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyLun 22 Oct 2018 - 22:44
Louise donc. Un nom plutôt commun. Prudent aussi. Qui va bien aux enfants, aux adultes et aux vieilles dames. Et cette jeune femme avait l'inquiétude de ces dernières. Comme prise d'une inspiration soudaine, elle parla. Vite. Beaucoup même, manquant de noyer Grayle sous un flot d'informations.

Elle lui tendit alors une pièce d'argent. Pas pour le remercier à l'avance de son service non. C'était pour acheter son silence. Ses yeux gris plongèrent dans ceux de la jeune femme, la compassion se disputant à la déception. Une de ses mains se saisit doucement du poignet de la jeune femme. Il pouvait sentir le corps de cette dernière se tendre, se tétaniser sous le contact physique, les doigts chauds de Grayle s'enroulant comme des serpents autour du trop maigre poignet.

- Louise...

Il referma la main de cette dernière, avant de la repousser gentiment.

- Ais-je l'air du genre de personne qui a besoin d'être payée pour rendre un service et prendre soin d'un enfant. D'un ton plus cassant que ce qu'il aurait aimé, il rajouta. Gardez votre argent.

Est-ce qu'elle connaissait son métier ? Était-ce pour ça qu'elle le payait ? Sachant que les femmes payaient pour avoir sa tendresse, sa voisine avait-elle conclue qu'il fallait également acheter sa bienveillance ?

Pour se faire pardonner, il lui fit son plus beau sourire, arborant des dents bien plus propres et blanches que ne le méritait quelqu'un de sa condition.

- Vous n'avez rien à craindre de moi d'accord ? Je ne suis pas du genre à révéler les secrets. Il continuait d'observer les réactions de la jeune femme, aussi craintive qu'un moineau blessé. Elle avait besoin d'être rassurée, mais comment faire ? Il avait l'impression d'être devant un navire en train de couler, avec à sa disposition deux clous et une planche de bois.

* Je présume que ca ne fera pas de mal...*

- Moi, Grayle tout court, jure sur la Trinité et toute autre divinité mineure ainsi que sur la tête de ma mère que je ne dirais absolument rien et ne nuirais jamais à Louise, et encore moins à son enfant.

Il avait pris une pose solennelle relativement exagérée, mais il s'en défit ensuite, retrouvant son attitude paisible.

- Je vous suis. Montrez moi le chemin.

Ce qu'elle fit. Ils entrèrent tous les deux dans la demeure de sa voisine. Il fut surpris de... l'intellect qui s'en dégageait. Son regard gris fut immédiatement pris par le foutoir organisé qui s'en détachait, avec des livres, des vêtements (dont un sous-vêtement féminin qu'il détecta instantanément avec son oeil d'aigle, même si ce dernier ne repérait que ce genre de chose) et même un ou deux sacs par terre, ainsi que des jeux pour l'enfant. Grayle, marchant d'un pas discret, presque aérien, évita soigneusement tout obstacle.

Elle l'amena près de son enfant, à qui elle chuchota quelque chose. Il ne vit au début qu'une chevelure blonde, qui, après ce qui semblait être des encouragements venant de sa mère, se retourna vers lui.

- Bonjour Maël... dit-il avec un grand sourire. L'enfant et le jeune homme se retrouvèrent face à face. Le visage de Grayle ne cilla pas, n'exprimant pas la moindre surprise, ni gêne.

*PAR LA TRINITE QU EST CE QUE C EST QUE CETTE CHOSE ????* hurla t-il intérieurement en découvrant le visage abîmé et parcheminé du bambin, dont le visage pourtant attendrissant était constellé de ce qui semblait être des tâches de rousseurs presque noires, et qui semblaient avoir du relief.

* OK GRAYLE, CALme toi. Voilà. Respire.*

Il allait devoir s'habituer à cet enfant étrange. Et, d'un seul coup, il compris que la prudence paranoïaque de la jeune femme était justifiée. Il n'imaginait pas un seul instant cet enfant foutre un pied dehors au grand jour sans qu'au moins une personne n'essaie de le lyncher.

- Moi c'est Grayle. Je suis le voisin de ta maman. Et le tiens du coup. Je vais te tenir compagnie le temps qu'elle ramène de quoi te soigner, d'accord ?


Il lanca un regard entendu à Louise, suivi d'un clin d'oeil. Elle n'avait pas à s'en faire.

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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptySam 27 Oct 2018 - 14:15
La façon de l’homme de lui rendre sa pièce blessa quelque peu l’érudite. Si elle avait bien appris une chose à Marbrume, c’est que tout se payait et parfois à prix d’or. D’aucune manière elle ne se doutait alors des activités de ce voisin fort serviable – une activité pareille ne lui serait probablement jamais venu à l’idée, si fait – et elle ne comprit pas cette manière de la repousser autant de sourires que de pierres pour charger une fronde.

Pourtant, elle devait lui reconnaitre une certaine merci. L’argent se gagnait durement pour la jeune mère et il lui serait fort utile. La manière du voisin de jurer avait quelque chose de raillard qui la décrispa autant qu’elle se raidit de crainte. Elle se disait qu’il avait agi de la sorte parce qu’il ne savait pas encore. Et il le saurait bientôt.

Moi, Grayle tout court, jure sur la Trinité et toute autre divinité mineure ainsi que sur la tête de ma mère que je ne dirais absolument rien et ne nuirais jamais à Louise, et encore moins à son enfant.

Un sourire inquiet s’étira sur le visage de la jeune femme. Ça sonnait faux, comme une moquerie. Toutefois, elle ne trouva qu'à opiner du chef, la gorge serrée.

Maël. Il s’appelle Maël, précisa-t-elle.

Il lui demanda de lui montrer le chemin, même s’il le connaissait déjà. Ensemble, alors, ils traversèrent le pallier qui les séparaient. C’était étrange de faire ses quelques pas. Ce n’était que quelques coudées à peine qui séparaient cette porte du petit logement de l’érudite. Une toute petite pièce sombre qui constituait le monde restreint de l’enfant.

Partout, des parchemins et des jeux de constructions repoussés contre les murs pour libérer un peu d’espace au sol et permettre une certaine circulation. Tout était rangé autant que la configuration de la pièce le permettait. En vérité, il y avait peu de choses à entreposer parce que la jeune mère possédait peu, tout était si exigu qu’il fallait une certaine ingéniosité pour ne pas vivre au milieu d’un désordre décousu. Fatalement, des vêtements trainaient de si, de là comme les gants du petit, ses écharpes et ses robes de laine mais aussi son corset et ses bottines. Tout ça avait quelque chose de trop intime pour emmener un étranger ici. Et pourtant…

Pourtant, sur le lit, recroquevillé, toussant avec le coffre d’un vieux monsieur, lui qui était encore tout bambin, l’enfant écarquillait les yeux comme si tout son monde tendait à s’écrouler. Aussitôt la mère s’assit sur le rebord du lit et enlaça avec toute la douceur dont une mère est capable. Pour le garder au fond du lit. Pour qu’il ne s’agitât gère, lui qui n’avait aucune énergie à perdre sottement. Inquiet, il s’époumona un moment. Et à chaque fois que la toux reprenait, l’érudite réprimait une grimace. Un doux sourire s’étirait tendrement alors qu’au fond de ses yeux clairs, la détresse était bâillonnée par la tendresse. Elle posa un baiser sur le sommet du front du gamin à la fois pour l’apaiser et pour prendre sa température.

Ne t’en fais pas, Maël, murmura-t-elle.

Pas dessus son épaule, elle chercha le regard de l’homme. Pour le détailler. Le sourire de l’homme était le mélange d’une crispation sordide. Quelque chose de froid, sans relief. Ni effroi, ni surprise, ni gêne. Même s’il n’était pas malveillant, elle savait ce qu’il se passait dans la tête du voisin comme à peu près tout ce qu’il se passait dans la caboche de tous ceux qui avaient posé un jour le visage du fruit de ses entrailles. Elle ne voulait pas creuser trop profond parce qu’elle savait qu’elle aurait trouvé cette terreur pour ce qu’on n’imaginait guère possible. Peut-être même du dégoût. Elle ferma les yeux en posant le menton sur le haut du crâne de l’enfant pour réprimer une larme qui venait de la gorge fermement nouée.

Et le voisin s’avança. La stupeur passée, il prit la parole pour se présenter :

Moi c'est Grayle. Je suis le voisin de ta maman. Et le tiens du coup. Je vais te tenir compagnie le temps qu'elle ramène de quoi te soigner, d'accord ?

Tu l’as croisé le soir où on est arrivé ici, tu te souviens ? murmura Louise doucement. Je voudrai qu’il reste avec toi juste un tout petit temps, mon ange.

Le gamin secoua la tête, faisant valser ses boucles d’un blond qui tirait sur le roux. Il en avait vu d’autres. Il toussa encore un peu et serra les doigts malingre de la main de sa mère. Ils qui semblaient immenses dans sa petite menotte minuscule. Le geste avait cela de perturbant parce que les échelles y était étrange : comment une chose si petite pouvait transmettre une énergie si forte ?

Mécaniquement, l’érudite se redressa, droite dans son allure de statue de marbre décharnée. Elle souffla quelque chose qui voulait dire merci, se saisit d’un sac et sortit de la pièce après avoir embrassé une dernière fois l’enfant. A chaque fois qu’elle le quittait, c’était presque comme si elle n’allait plus jamais le voir. Il valait mieux se concentrer sur toute la tendresse qu’il y avait là plutôt que sur la tragédie que c’était de les voir ainsi.

Une fois sortie, la jeune mère courut. Toute l’énergie qu’elle avait à dépenser y passa. Comme une dératée, elle s’élança, se fichant de la bienséance parce que son cœur battait une chamade atroce. Et elle déboula chez l’herboriste.

Essoufflée, elle se concentra du mieux qu’elle le pouvait pour lire toutes les étiquettes et réfléchir au traitement qu’elle pensait être le mieux. Du miel. Pour la toux, il fallait du miel. Des fleurs de marrube aussi, si elle en trouvait. Ou du thym. Alors, consciencieusement, elle fouilla dans la boutique où le moindre sirop coûtait une maudite fortune. Elle retourna les tout avant de tomber sur des pastilles à l’orme rouge. Et quand elle dégota enfin une botte de marrube blanc, un énorme poids soulagea ses épaule. La prise de décision ne s’éternisa pas : la jeune femme vida l’intégralité de sa bourse sous les yeux de la tenancière. Tout ce qu’elle eut, c’est un regard mauvais parce que le compte n’y était pas. Alors Louise retourna toutes ses poches, cherchant en vain de l’argent qu’elle n’avait point. Quand son doigt se ferma sur une pièce au fond de sa sacoche, elle fut aussi surprise que soulagée. Ce bout de métal, elle s’en rappelait, c’était Azhim Khalil qui lui avait donné. Le domestique qu’elle n’avait plus revu depuis un moment la hantait toujours de la plus bienveillante des façons. La main tremblante, l’érudite finit par aligner la somme complète sur le comptoir.

Une fois tout empochée, elle repartit aussi sec vers la Hanse. Ses jambes la portaient à peine, mais elle voulait courir parce que plus vite l’enfant prendrait le remède, plus vite elle espérait que sont système respiratoire ne s’abîme. Il était si fragile et le monde se montrait si vorace. Il dévorait et la santé, et le temps et l’espoir.

Moins d’une heure après les avoir quittés, la jeune mère était de retour dans le petit immeuble dont elle gravit les marches quatre à quatre. En haut, sur le palier, elle marqua toutefois une longue pause pour se prendre son souffle. Son gosier vide insultait son corps pour l’effort qu’elle venait de fournir et la tête lui tournait quelque peu. Elle ne pouvait pas entrer ainsi alors elle reprit son souffle, étonnée d’entendre, de l’autre côté de la porte, des rires s’envoler au milieu des quintes de toux. Sans mot dire, Louise toqua doucement contre la porte et, comme on ne lui répondait pas, elle l’entrebâilla pour jeter un œil chez elle.

L’enfant avait quitté le lit. Comme tout petit homme de son âge, il bavardait avec le voisin. Avec sa très touchante douceur d’enfant, il déballait ses jeux de construction. Des bouts de bois, des liens en cuir, que des choses qu’il avait construit avec sa mère. Du bric-à-brac qu’il était content d’exposer à lui, qui ne voyait jamais personne.

Assis par terre avec lui, le voisin avait cette présence bienveillante que l’enfant n’avait jamais connu, venant d’un homme. C’était plus fort qu’elle : l’érudite pensa à l’absent de sa vie pour tout de suite chasser ses souvenirs qui l’amochaient, elle qui était déjà vacillante.

Elle poussa un peu plus la porte pour se glisser dans la pénombre de la pièce et se râcla la gorge, presque désolée de les interrompre. Pour la première fois, le sourire sur le visage de l’érudite rayonnait de franchise. Elle jeta un regard reconnaissant au voisin sans savoir le fond de ses pensées. Avec les deux bouts d’hommes, elle s’assit par terre et tendit une pastille d’orme rouge au petit pris d’une nouvelle quinte de toux :

Mets ça sous ta langue, petit ange. Ça va te soulager, tu verras.
D’accord.

L’enfant ne se fit pas prier parce qu’il plaçait une foi aveugle en sa génitrice et glissa le bonbon sucré sous sa langue. Et, imperturbable, le petit reprit ses explications sur la petite tour ronde qu’il avait bâti avec des petits bloc de noisetiers polis. Pendant ce temps, la voisine souffla au voisin :

Merci beaucoup. Il ne va pas vous laisser partir, je crois…

Quand le soucis ne marquait pas ses traits anguleux, il fallait avouer qu’elle avait quelque chose de charmant, l’érudite, au fond. Piètre est la mère qui garde à l'écart du monde un enfant et grande est celle qui ne le fait que pour le protéger de la fièvre tueuse des fous. Ce qu'elle voyait bien, c'est que cet homme là n'avait pas de raison de trahir cette confiance qu'elle avait placé précipitamment en lui. Et cela lui redonnait un bout de confiance en l'humanité.
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyMar 30 Oct 2018 - 20:17
Grayle fut presque déçu lorsque la mère rentra. Il était à genoux sur le sol, avec le petit malade, qui lui montrait ses jeux de construction. Grayle s'était complètement laissé prendre au jeu. Lorsqu'il était petit, il n'avait pas non plus grand monde avec qui jouer. Enfin si, mais surtout des filles, mais intéressées par construire des trucs avec ce qui trainait. Il avait appris à jouer dans son coin, et partageait l'enthousiasme de l'enfant avec un engouement qui était tout sauf fein. L'enfant et le jeune homme avaient ainsi partagés leurs secrets d'architectes, mais aussi de navigateur.

- Et du coup, tu vois Maël, si tu fixe ce morceau avec celui là, et que tu maintiens bien les autres, il peut même flotter ! dit-il en l'aidant à construire un petit bateau en bois à partir de pas grand chose.

Le bateau reposait à côté de la grande tour ronde de l'enfant, qui avait avalé la pastille donnée par sa mère. Cette dernière s'approcha de Grayle et lui chuchota doucement qu'il n'allait sans doute pas le laisser partir.

Il se retourna lentement vers elle, la fixant silencieusement, yeux dans les yeux, avant de pencher son visage en avant, et de chuchoter lui aussi, ses lèvres toutes proches de l'oreille de Louise, une main sur sa taille.

- Ca ne me gêne absolument pas...

Sa voix chaude était devenue doucereuse et pleine de promesses sous-entendues, déformation professionnelle et instinctive du garçon de passe, qui lui fit ensuite un sourire assez chaleureux pour faire fondre un glacier.

- De toute façon, je vais devoir y aller... on m'attend au port.

Mensonge éhonté évidemment. Mais il ne se voyait pas dire qu'il travaillait dans un bordel. Ancien marin, il n'aurait aucun mal à donner le change si jamais elle le questionnait sur son emploi. Et sa maquette de bateau, qu'il n'avait pas sortie auprès de l'enfant sans raison, achèverait de convaincre la jeune femme qu'il était bien un marin.

Il posa sa main sur l'épaule sur garçon, avant de lui ébouriffer les cheveux d'un air affectueux. Son apparence, passé le choc du départ, ne le repoussait plus. Il n'y faisait plus attention à vrai dire.

- Repose toi bien et sois gentil avec ta mère, d'accord Maël ?

Il se retourna vers cette dernière.

- Je vous laisse Louise. Si vous avez besoin de quoi que ce soit.... je suis là.

Il s'en alla, disparaissant derrière la porte dans un dernier coucou.

Il arriva en retard au bordel. Personne ne lui en voulu. La journée de Grayle fut chargée, mais sans aucune cliente, et ne se termina que bien après le coucher du soleil. Laver, repasser, faire à manger, accueillir les clients, il ne pensa pas une seconde ni à sa voisine, ni à son étrange enfant de la journée.

Ce n'est que le soir, alors qu'il montait les escaliers, qu'il repensa à eux


Dernière édition par Grayle le Mer 7 Nov 2018 - 22:07, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyMar 30 Oct 2018 - 22:46
Le petit racontait ses histoires peintes par son imaginaire surentraîné. Parce qu’il n’avait pas pu voir le monde, il n’avait fait que le penser dans ses moindres détails. Si elle avait mieux regardé, l’érudite aurait peut-être reconnu, dans la construction de briquette de bois, cette la tour à l’entrée de la fabrique navale qui s’étendait sous les fenêtres de la chambre du gamin lorsqu’il était tout jeune. Pour le moment, l’œil de la jeune femme rebiquait plus facilement vers le voisin souriant que sur le marmot bavard.

Sa façon enjôleuse de lui souffler que tout allait bien. Sa manière de la trouver au fond de son regard. Sans qu’elle l’ait vu venir, l’homme se pencha vers elle, posa une main sur sa taille et lui glissa l’oreille que se trouver là ne le gênait guère. Ce n’était pas un geste malintentionné ou vulgaire, mais la chaleur de la paume troubla l’érudite. Pas une attitude qu’elle connaissait. Ou alors une pantomime qui appartenait à un passé trop ancien pour qu’elle s’en souvienne. Malgré elle, la jeune femme se tendit comme la corde d’un arc gallois devant cette once de chaleur humaine. Mal à l’aise, elle opina du chef. Et un sourire emberlificoté de gêne barra son museau malingre. Doucement, elle essaya de se détendre. Elle mit son embarras sur le compte de son éducation d’ancienne bourgeoise et tenta de ne pas le prendre comme un affront.

Le voisin ne restait pas, de toute manière. Il prétexta partir au port. Dans son esprit, c’est que l’homme était un travailleur de la mer ; et l’érudite le regarda se lever, ébouriffer son gamin avec une affection simple. Comme s’il n’avait été qu’un enfant et qu’il n’avait rien d’un monstre. Pour cela, l’érudite lui était d’autant plus reconnaissante. Il sortit et il ne resta plus que la mère et l’enfant dans le noir.

Les remèdes servirent à atténuer la toux. Toutefois, l’enfant récupérait mal. A trop tourner en rond dans la petite piaule, la pauvre réfugiée savait que le mal finirait par s’ancrer là. Dans les draps et les couvertures, jusqu’à ramper sur la pierre. Elle faisait de son mieux pour aérer la pièce. Un savant équilibre entre la brise qu’il fallait laisser entrer et le froid qu’il fallait bouter à l’extérieur sous peine d’être davantage mordu par la froidure. Ce qu’il fallait, c’était que l’enfant sorte un peu et remplisse est petites alvéoles pulmonaires d’un air nouveau. Alors, peu après le départ du voisin, la savante et le petit se couchèrent ensemble dans le lit sans confort pour prendre des forces. La nuit tombée, une fois de plus, ils tenteraient de braver le couvre-feu parce que l’enfant ne pouvait pas aller en plein jour.

Quand le soleil plongea à l’horizon, la mère réveilla l’enfant et l’emmitoufla dans toutes les couches de vêtement qu’il possédait. Pressée, le marmot cachait mal son impatiente, tout fébrile qu’il était de pouvoir faire ce qu’un enfant de son âge adorait faire : se dépenser. Si sa mère savait le canaliser en lui proposant toujours de nouveau jeu, l’essentiel pour lui tenait dans son petit corps frétillant qu’il aimait par-dessus tout sentir courir. Il ne pouvait aller le jour, alors ils iraient la nuit.

En à peine une semaine, l’érudite avait bien comprit et retenu les tracés et les habitudes des gardes. Le milicien est une espèce qui aime les choses prédéfinies alors, en se passant de lumière, et comme à peu près tous les criminels de Marbrume, elle avait appris à se faufiler entre les mailles du filet. Sa forfaiture demeurait fort bien douce : rien ne lui mettait plus de baume au cœur que de voir l’enfant de dégourdir les jambes. Dans les espaces les plus vides, elle l’emmenait et jouait avec lui-même si cette compagnie ne valait pas celle des autres enfants. Le problème, c’était que, ce soir, l’enfant continuait de tousser comme un bœuf. S’agiter de trop et rire réveillait les expectorations qui faisait résonner sa cage thoracique comme un coffre. Même si elle n’en avait pas le cœur, la mère décida d’écourter la sortie : plus tôt, elle avait cru voir des torches vaciller vers eux.

Le milicien est une espèce à l’instinct grégaire et aux habitudes rustres mais il suffit d’une étincelle pour le mettre en chasse. Si bien que, sur le chemin du retour, l’érudite et l’enfant durent prendre leur jambe à leur cou pour éviter une horde de soldat jeter à leur trousse. Les hommes en armures poursuivraient encore longtemps les ombres des deux malheureux : à force de fréquenter les ténèbres, la mère et l’enfant en connaissait tous les replis et les cachettes les plus sournoises. Ils rentrèrent dans leur petite bâtisse au beau milieu de la nuit, le souffle court, le palpitant emballé et les joues empourprées. Ils les avaient semés. Enfin. Voilà ce qu’ils pensaient. Alors qu’il reprenait leur esprit dans l’entrée, quelle ne fut pas leur surprise de voir la poignée se tourner dans la porte. Les avaient-ils suivis jusqu’ici ? Qu’allait-on leur faire ? Braver le couvre-feu était interdit et elle ne voulait pas songer à la peine dont les contrevenants héritaient. Le petit, qui partageait les mêmes peurs, se blottit contre les jupons de velours de sa mère, se protégeant le visage et détournant les yeux.

Quand le visage du voisin apparut dans l’encadrement de la porte, quel ne fut pas leur soulagement.

Ventre-Diable ! Grayle ! C’est à cette heure-ci que vous rentrez ?

L’érudite pouffa de sa méprise et son visage moulu d’inquiétude se mit à rire. Le petit rit aussi parce que le quiproquo se montrait fort cocasse. Il ne devait pas comprendre pourquoi ces deux là riaient alors la jeune femme reprit son souffle pour lui expliquer :

On est sorti tard et on nous poursuivait. Nous craignions qu’ils nous aient retrouvé. Enfin voilà...

Pas besoin d’expliquer pourquoi ils sortaient si tard : elle aurait mis sa main à couper que le jeune homme avait compris de quoi il en retournait. Par contre, lui n’avait pas l’air de revenir du travail : il sentait les parfums et les encens. Un mélange qui faisait penser à tout sauf aux effluves de la mer. Peut-être revenait-il de chez une galante ? Cela ne la préoccupait guère parce qu’elle était juste ravie de la croiser ici lui plutôt qu’un autre.

L’enfant qui avait retenu son souffle recommençait à tousser encore et encore. Alors, elle les pressa dans les marches pour qu’elle puisse donner au petit son remède si durement gagné.
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyJeu 8 Nov 2018 - 23:16
- Heinquequoi ?

La remarque de la brune avait surpris Grayle, qui avait l’impression d’être accusé de quelque chose. Il passa rapidement en revue les événements de la journée. Il n’avait rien fait de particulier. Alors quoi ?

Inutile de dire que le pouffement de la mère et du fils le décontenancèrent encore plus, le garçon de passe les regardant comme si ils avaient marchés sur une merde de chien.

- Vous poursuivre ?

Qui diable poursuivrait ces gens ? Il doutait fortement que Louise soit une criminelle, et encore moins son petit fiston tout mignon…

Tout mignon… il repensa au visage de l’enfant, et à ses chances de survie au grand jour si des gens voyaient son visage.

- Oh…

Il comprit. L’esprit de Grayle était plutôt bien fait, comme son corps. Il comprit que la femme et son fils sortaient la nuit, à l’abri des regards. Pour prendre l’air sûrement.

Il la vit le renifler. Avait-elle senti qu’il ne venait pas du porc ? Peste soit les femmes et leur finesse d’esprit ! Enfin. Il n’avait pas à s’inquiéter. Au pire, qu’allait-elle faire ? Le dénoncer ! Ah. Il doutait qu’elle soit ce genre de personne, de toute façon.

- Allez, ne restez pas là, il est tard ! dit-il d’un air joyeux en montant juste derrière eux, juste derrière elle.

-Vous avez de l’énergie pour sortir aussi tard. J’ai juste envie de dormir moi.

Ils se retrouvèrent devant leurs portes respectives. Alors qu’il ouvrait la sienne, il s’immobilisa, plissa les yeux et se tourna lentement vers Louise, avant de s’accroupir devant Maël.

- Hey Maël. Quand tu ira mieux, ca te dirait de voir Marbrume par les toits ? J’ai accès à ces derniers. Il y a une belle vue.


Dernière édition par Grayle le Jeu 6 Déc 2018 - 22:51, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyJeu 15 Nov 2018 - 17:24
La clef dans la serrure tourna subtilement jusqu’à ce que la charnière s’ouvre. L’érudite trainait dans ces pas un sentiment étrange, oublié depuis longtemps : la présence de l’homme avait cela de rassurant qu’il lui rappelait les anges et les démons du passé ; ceux qui composaient sa suite de ce temps où elle avait encore des pièces en poches. Maintenant qu’elle avait perdu jusqu’à son dernier denier, elle se trouvait bien seule et étrangère dans cette ville de damnés. Et il était alors comme un point dans un espace-temps désespérément vide et creux. Comme une tâche sur une tapisserie bien vierge, tenu à l’écart du monde et épuré de tout.

Au fond, elle craignait autant qu’elle appréciait la compagnie de ce voisin de devanture fort aimable. C’est qu’elle ne savait pas encore de quel soutien serait cet homme. Si, pour le moment, il se montrait fort serviable et bienveillant, rien ne pourrait laisser présager qu’il n’aurait jamais l’idée d’échanger quelques vérités avec les miliciens. Quelques mots sur le gamin contre quelques bouchées de pain, avec la faim, voilà qui le chatouillerait peut-être.

La réfugiée était loin d’être une sotte. Si tout son cœur lui criait d’accorder sa confiance devant le sourire enjôleur de l’homme qui n’ignorait pas son charme, elle connaissait mieux que tout le monde les risques qu’il y avait à s’exposer dans ses parures de faiblesse. Là où il règne un ordre précaire, les hommes dévient souvent vers la loi du plus fort. Et à ce jeu, ni la mère, ni l’enfant n’avait ses chances.

Le petit, lui, n’appréhendait pas la complexité des comportements invisibles. Sa jeune femme l’avait toujours protégé du monde. Et il était juste heureux de voir une nouvelle tête dans son entourage. Un homme qui, pour la première fois depuis toujours, ne semblait pas l’avoir en horreur. L’enfant ne comprit donc pas pourquoi sa mère chercha instinctivement à s’interposer entre lui et le voisin lorsque l’homme s’accroupit. Tout de suite, elle se ravisa, se rendant compte de sa méprise ; le voisin s’abaissait à hauteur de marmot pour faire une promesse à hauteur de grande gens :

Hey Maël. Quand tu iras mieux, ça te dirait de voir Marbrume par les toits ? J’ai accès à ces derniers. Il y a une belle vue.

L’érudite lança d’abord un regard noir et piqué de désarroi pour mettre en garde l’homme. Ce n’était pas un serment que l’on tenait sans guides : les paroles n’étaient pas tombées dans l’oreilles d’un sourd, loin s’en faut ! Pourtant, sa façon de faire semblait si spontanée et tendre que les traits sévères de l’érudite s’adoucirent bien vite, trop touchés par une attention qu’elle n’attendait guère.

Avant que la mère n’ait pu émettre un avis, le marmot répondit, l’œil brillant d’envie :

Oh bah oui m’sieur !

Il avait un sourire si pur, si léger et angélique. Comme soudainement débarrassé des tracas qui passaient là. La jeune femme n’eut pas le cœur de le corriger : cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas vu le petit rayonner autant. Jusqu’au moment où une quinte de toux vient étouffer la risette du bonhomme.

Tendrement, elle posa la main sur l’épaule de l’enfant et lui demanda de rentrer pour prendre une autre pastille. Trop énervé par son enthousiasme, le petit entra, laissant les adultes sur le petit pallier. Loin des oreilles ingénues, la savante souffla avec ironie :

Bien le merci ! Je ne vais jamais réussir à le faire dormir après ça…

Ça sonnait comme un reproche mais c’était loin d’en être un parce que la jeune femme souriait, soulevant ses traits atrocement fatigués, comme si la joie intense de l’enfant finissait par déteindre sur son air froid et sec. Elle ne boudait pas son plaisir, même si elle peinait à accorder totalement sa confiance à l’homme. Après tout, elle aurait pu trouver cela suspect ; une petite voix aurait pu lui souffler que le voisin pût être de ses hommes dont les faims de cher ne concerne pas des gens en âge. Mais ça n’allait pas avec ce bougre, elle le savait. Pas avec la manière dont il les regardait.

Jusque-là, elle avait l’impression d’être un fantôme dans cette ville. Invisible et transparente. Et cet homme était le seul à ne pas voir au travers de sa carrure maigrelette. Cette pensée fit un peu de mal à la jeune femme alors elle prit soudainement un air plus sérieux et grave pour murmurer tout bas :

Pensez à honorer vos promesses, monsieur. Parce que, si vous oubliez, il en pâtira beaucoup.

Rien de dur ni d’agressif. C’était la stricte vérité jeté avec douceur. Les mots d’une louve trop éduquée pour ne pas paraître charmante qui visaient à protéger sa progéniture malade d’un chagrin qu’elle voyait venir.
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyLun 17 Déc 2018 - 0:49
Un clin d'oeil complice, un sourire amical, un petit signe d'au-revoir. C'est ainsi que Grayle fit ses adieux au petit Maël, qui disparut derrière la porte, poussé dans cette direction par son attentionnée maman. Elle lui fit un habile mélange de remerciements et de reproches. Il pencha légèrement la tête sur le côté, comme un jeune chien.

- Je tiens toujours mes promesses. Surtout celles avec les enfants. Pas d'inquiétude. Mais vouis, Louise, qu'est ce qui vous ferait plaisir, hm ?

Elle le regarda silencieusement. Quelque chose lui disait qu'elle n'était pas habituée à ce que quelqu'un lui demande ce qu'elle veut.

*Est-ce qu'elle parle à d'autres personnes que moi ?*

Etait-elle une vraie personne de chair et d'os, ou un fantôme que seul lui voyait et interagissait avec ? D'un geste de la main, il chassa une mouche. Elle revint vers lui, et, d'un mouvement rapide et fluide, s'en saisit du poing, serrant ce dernier avant de balancer le cadavre de l'insecte sur le sol.

- Enfin, vous me direz ca une autre fois. Pour moi, c'est l'heure d'aller dormir !

Il la fixa un bref instant, puis s'approcha d'elle, trop lent pour être menacant, trop rapide pour qu'elle puisse réagir. Ses deux bras s'enroulèrent autour du torse féminin et la femme se retrouva soulevée dans les airs, avant d'être plaquée contre le torse du jeune homme, qui l'enlaca avec toute l'affection du monde, avant de la redéposer au sol aussi vite qu'il ne l'avait soulevée.

- Vous aviez l'air d'avoir besoin d'un calin.

Clin d'oeil. Comme un fantôme, il disparut derrière sa porte.

- A demain.
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyLun 17 Déc 2018 - 20:33
Avec un sourire enjôleur, le voisin assura à l’érudite qu’elle n’avait pas à s’en faire : il disait tenir ses promesses ; ce qui portait maintenant l’ardoise à deux injonctions. Un petit clin d’œil et une demande insolite :

Mais vous, Louise, qu’est-ce qui vous ferait plaisir, hm ?

L’étrangère fronça les sourcils sans comprendre. Elle ? Quoi elle ? Existait-elle encore assez pour se préoccuper de son plaisir ? Même le mot semblait appartenir à un autre monde et à un autre temps. Elle ne répondit pas toute suite, ouvrant la bouche sans qu’un seul mot ne se presse au portillon. Peut-être balbutia-t-elle quelque chose, elle qui s’exprimait toujours clairement ; mais, ça, elle ne s’en rappelle plus réellement.

La course d’un insecte vint la détourner de ce drôle de pétrin. Parce que celle qui savait tout, ne trouvait même plus de réponse à cette courtoisie probablement lancée sans grande attention. Malgré elle, ses yeux se fixèrent dans le vide et ses pensées s’agitèrent derrière ses yeux clairs comme le fond des rivières.

Voilà probablement pourquoi l’homme cru bon de la prendre par la taille. Il la souleva un peu comme si elle ne pesait rien. Une tendresse qui la crispa tout d’un coup. Stupéfait par cette tendresse qu’il ne connaissait plus, son corps entier se tendit comme la corde d’un arc. Les souvenirs remontèrent par flopées indécentes. Tour à tour, elle repensa aux mains de son père, mort en mer, à celle du père de l’enfant et de ses cendres, puis celle de son frère qui avait dû être happé par la Fange. Ce fut trop transitoire pour qu’elle puisse y faire quelque chose ou se débattre inutilement. Mais les images la laissèrent le souffle court et les larmes aux bord des yeux.

En plus, il sentait ce mélange de parfum bon marché qui lui rappelait davantage ceux usités par la petite bourgeoisie dont elle venait. Elle se demandait comment il pouvait bien se payer ce luxe : elle ne sentait que le cuir des reliures, le tanin et la sueur.

Vous aviez l’air d’avoir besoin d’un câlin, se justifia-t-il en la reposant au sol, probablement dégoûté.

Et, parce qu’il était l’heure de rentrer, ils se séparèrent derechef.

Le jeune femme venue de l’Ouest ne put pas rentrer tout de suite : ses jambes refusèrent de se mouvoir. Jamais elle n’aurait cru qu’une si petite dose de douceur provoquerait chez elle cette sensation terrible. C’est qu’elle sentait encore la chaleur des mains sur sa taille et son souffle dans son échine. Le dernier à l’avoir tenu de la sorte, c’était son frère ; celui qu’elle ne reverrait probablement jamais.

Si seulement elle n'avait fait qu'effleurer l'idée du vrai métier de l'homme qui vivait en face de chez elle, peut-être - si fait, peut-être ! - aurait-elle jugé avec plus de recul ce petit geste fort anodin. Se serait-elle aussi jugé moins sévèrement ? Qu'importe !

La mère tremblait encore un peu, lorsque l’enfant vint la chercher, ressortant de l’appartement pour tirer tendrement sur ses doigts osseux.

Maman, maman, ‘faut se coucher.
Oui, oui, je sais.
Il est gentil le voisin, hein ?
Oui, oui, il est gentil le voisin.
Mais tu as l’air si triste, maman…
Mais non, mais non, mon bonhomme.

La jeune femme se força à sourire. Elle s’accroupit et prit l’enfant dans ses bras, l’enveloppant comme la terre englobe le centre du monde, et elle le serra fort, glissant les mains à l’arrière de son crâne rond, dans ses fins cheveux presque roux.

Leurs existences étaient assez terribles par leur brutalité pour qu’elle ait aussi à se battre contre ce qu’elle avait de doux. Alors elle ne pensa plus à tout ce qu’elle avait abandonné et elle se concentra sur ce qu’il lui restait : la Fange ne lui avait pas encore pris le petit, alors elle allait continuer de le chérir jusqu’à la fin.

Maman ? chuchota l’enfant, après qu’il se soit habillé pour la nuit et lové ensemble dans le petit lit.
Oui ?
Il se passera quoi si les soldats ils nous ont, à ton avis ?
Rien parce qu'ils ne nous auront jamais, ne t’en fait pas, évita la mère. Et puis le voisin te montrera les toits. Ça sera plus sûr que les rues.

Elle le serra un peu plus dans ses bras nus d’une maigreur inquiétante. Oui, elle priait vraiment pour qu'il le fasse.

Maman ?
Il faut que tu dormes, mon bonhomme, grommela la savante, sans que le petit ne se démonte.
Et si papa il avait été encore là, tu crois qu’il aurait fait comme le voisin et qu’on aurait profité de la nuit ensemble ?

Un sanglot monta dans la gorge de la jeune femme. Heureusement que toutes les bougies étaient maintenant éteinte puisque son visage se chiffonna complètement de douleur. Elle dut se mordre la joue au sang pour ne pas gémir, pour qu’il ne sût point combien ces petits mots débordant d’innocence pouvait la blesser dans le plus profond de sa chair. Elle essaya de déglutir pour ravaler le cris qui montait de ses tripes. Ce n’était qu’un brin de femme, un fétus de paille dans vent, et lui fallut une énergie considérable pour aligner les mots qui vinrent ensuite :

Ton père t’aurait montré le monde sous toutes les coutures. C’est ce qu’il voulait, tu en as ma parole. Ce qu’il ne savait pas, c’est que tu ne connaîtrais jamais nos terres telles que nous les avons connues.

Presque désolé d’avoir posé la question, le petit n’ajouta rien et s’enroula dans les bras de l’érudite. Cette dernière caressa sa petite tête rousse, jouant pensivement avec les boucles. Le petit s’endormit vite et le sommeil ne vient pas tout de suite la faucher. Elle attendit que l’enfançon soit perdu dans le royaume des rêves pour laisser les larmes couler à flots. Tout ce qu’elle avait accumulé dans son âme depuis des mois ruissela sur ses joues : la faim, la peur, l’angoisse, les craintes, les peurs, la fatigue… Une grosse purge qui l’épuisa juste assez pour qu’elle roule à son tour dans les bras d’un Morphée capricieux.

Le lendemain, elle se leva tôt, encore engourdie par les quelques heures de repos qui avaient placées chacun de ses membres dans cet étaux de balourdise. Elle fila à la bibliothèque où elle travailla sur des ouvrages ancien et qui aurait été probablement interdit si on avait pris le temps de les traduire correctement. Dans ses études, elle enfouit imperturbablement tous les remous de la veille. Les émotions qui avaient été les siennes se cristallisèrent pour ne plus s’émouvoir, comme les inscriptions figées dans le marbre que l’on trouve sous les restes des statues burinées par le temps et les colères des hommes.
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyJeu 10 Jan 2019 - 23:39
Alors que l'hiver déroule lentement son manteau blanc sur Marbrume, le temps s'écoule. Les jours passent et s'enchaîne, dans une routine langoureuse qui endort les esprits, qui, une fois réveillés, se demandent ce qu'ils ont fait de leur semaine.

Dans cette routine, Grayle était comme un poisson dans l'eau. Se réveille, aller au travail, revenir chez toi, rêver, dormir, recommencer. Son purgatoire aurait été un quotidien plein de surprises. Mais dans une société vivant la fin du monde, Grayle se réfugiait dans la sécurité, qu'elle soit physique comme intellectuelle.

Et pourtant...

Un petit couple d'âmes misérables avait brisé l'enchantement. Elles n'avaient pourtant rien d'exceptionnel. Elles étaient seules, tristes et torturées, mais les histoires larmoyantes étaient communes à Marbrume. Grayle, en tant que chauffeur de couche et confident, en connaissait beaucoup. Il faisait même partie de certaines. Et pourtant, la maigrelette érudite et son enfant déformé occupaient quotidiennement son esprit, même les jours où ils ne se parlaient pas. Même en pleine... activité, il se demandait ce que devenait l'érudite.

Il alla voir sa mère. Vieillie mais digne, elle continuait, comme toujours, de laver le linge des autres. Comme lorsqu'il était né. Malgré son aventure avec un noble, tout ce qu'elle aurait pu vécu, elle n'avait jamais essayé de sortir de sa pauvre, mais confortable condition. Il était bien son fils. Il lui parla de sa voisine. Sans donner tous les détails.

- Elle n'est pas forcément sympathique, ni belle, ni joyeuse. Mais je pense souvent à elle.
- Souvent ?
- Trop.
- Hoho ! Mon fils deviendrait-il amoureux d'une femme convenable ?

Regard faussement colérique. Il était incapable de reprocher quoi que ce soit à sa mère. Il l'aimait trop pour ca.

- J'aurais cru que tu saurais comment "nous" gérer depuis...
- Le corps, ca va. Mais l'esprit ? Je suis pas plus avancé que lorsque j'avais 10 ans.
- Suis ton instinct va !
- Mon instinct me fait faire des conneries.

Elle s'était illuminé d'un sourire malicieux.

- Demande à ton père ? Il s'y connait en femmes.

*Jamais de la vie* pensa t-i d'un air mortifié.

- J'y penserais.

Elle se mit à sourire à cette réponse. Un pâle sourire devenant franc avec les secondes. Comme ceux de son fils, qui le lui rendit instinctivement.

Elle l'aimait encore. Ou plutot, elle aimait les souvenirs de cet homme qu'elle ne revoyait pas. Elle vivait sa relation par procuration, via son fils qui, régulièrement, revoyait son noble et sévère paternel.

- Tu lui passera le bonjour ?

Il la prit dans ses bras, et ils s'immobilisèrent dans un long calin. Il l'embrassa sur le front, et lui déposa la corbeille de fruits. Cadeau généreux et hebdomadaire depuis de longues années.

- Promis.

Les idées plein la tête, il retourna chez lui. S'allonga dans son lit, fixant le plafond. Il se rassit, fixant le mur. Puis la fenêtre. Ce n'est qu'après s'être assis en face de la porte pendant une heure qu'il décida de passer à l'action, avant qu'il ne devienne fou.

Il y avait quelque chose qui marchait toujours, avec tout le monde, en toute période.

Avec deux bouteilles de vin à la main, il se présenta devant la porte de la voisine. Il connaissait son quotidien, ses heures d'entrées et de sorties.

Il savait qu'elle l'avait évité, pour quelque raison que ce soit.

A cette heure ci, elle était chez elle. Elle ne pouvait pas s'échapper.

Il resta immobile un bref instant, regardant ses deux bouteilles et ses mains prises. Il toqua à la porte avec sa tête, le front de l'homme s'enfoncant doucement, sans agressivité dans le bois.

- Salut voisine. C'est Grayle.

Silence. Coups de tête. Il pouvait sentir l'hésitation, et le bruit de quelqu'un qui s'habille, ou se rhabille, ou de déshabille. Enfin, une porte qui s'ouvre, devant un Grayle souriant, bien coiffé, lavé, et bien habillé.

- Il fait froid ce soir. Ca vous dit de se réchauffer un peu ensemble ?

Il montra le vin.

- J'ai de quoi animer notre nuit.

Envahissant, il pencha sa tête en avant. On aurait pu croire que c'était pour l'embrasser, mais en réalité, il voulait la passer à travers l'embrasure de la porte. Penché presque parrallèle au sol, il cherchait le fiston du regard.

- Maël, ca te dit de sortir ce soir ?


Dernière édition par Grayle le Mer 16 Jan 2019 - 22:31, édité 1 fois
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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyVen 11 Jan 2019 - 0:59
Retour à la maison après l’étude. Ce plaisir de serrer le fruit de ses entrailles dans ses bras. Quelques discussion. Quelques rires. L’érudite avait eu du travail et elle avait pu s’offrir un peu de pain qu’ils avaient rompu ensemble et mâchèrent lentement. Et ce n’était pas le seul trésor que la jeune femme ramenait dans leur petite tanière : elle avait trouvé un jeu de carte sur le marché noir. C’était quelqu’un qui lui devait un service qui lui avait offert. L’enfant accueillit le jeu avec un enthousiasme mitigé : la promesse d’une sortie sur les toits lui trottait encore dans la tête. Même les vieux jeux que lui montrait sa mère n’aurait su l’en détourner. Aussi têtu qu’elle. Sinon plus.

Elle lui montra des vieux tours. L’enfant était intelligent. Il comprenait vite les jeux et sa gratitude était suffisamment grande pour que, à la lumière de la bougie, quelques sourires fleurissent. Ils mettaient du baume au cœur de sa jeune mère et comblaient un peu son âme torturé par les regrets. Mais le voisin était encore dans les pensées de l’enfant. S’il savait que ce n’était pas politesse de se présenter pour réclamer, il en frétillait d’envie. Plusieurs fois, entre deux partie, ses yeux fuyaient vers la porte qu’il mourrait d’envie de voir s’ouvrir.

Contrairement à sa mère, le petit croyait aux Trois. Et les Trois, ce soir-là, réalisèrent ses prières.

On toqua. Un bruit sourd. Étouffé.

Salut voisine. C'est Grayle, il dit au travers de la porte.

Un étrange sourire s’étira sur le visage bourré d’angle de la jeune mère. Qui cela pouvait-il d’autre, après tout ? Le visage du petit rayonnait. Prestement, il ramassa toutes les cartes pour ranger le jeu, laissant tomber derechef la partie entamée. Amusée, l’érudite se leva, resserra son corset qu’elle avait relâché et tourna lentement la clef dans la serrure.

En ouvrant, le parfum de l’homme la prit à la gorge. Elle se demandait bien où diable il trouvait tous ce luxe dans cette ville où on manquait de tout. Il lui souriait et celui de la jeune femme débordait d’ironie. Il tenait des bouteilles dans les mains.

Il fait froid ce soir. Ça vous dit de se réchauffer un peu ensemble ? demanda-t-il en secouant ses victuailles. J'ai de quoi animer notre nuit.

L’érudite fronça les sourcils ne comprenant pas ce qu’il voulait entendre par là. Elle ouvrit la bouche, sans trouver une réponse. Mais le voisin voulait entrer, alors il se faufila dans l’entrebâillement de la porte pour saluer l’enfant encore en train de prestement rassembler le jeu.

Maël, ça te dit de sortir ce soir ?

Le petit frétillait comme un jeune chiot. Il secouait violemment la tête, tout content qu’on ait du temps à l’offrir et une occasion qu’on l’emmène là où sa mère ne pouvait pas aller.

Dis maman, je peux, dis ?

Les deux paires d’yeux réclamaient le consentement de l’érudite. Parce que cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas vu son bonhomme s’enthousiasmer de la sorte, elle mère ne trouva pas la force de les empêcher.

C’est d’accord, souffla-t-elle en jetant un long regard plein de reconnaissance pour cet adorable voisin. Mais couvre-toi bien, mon ange.

Comme l’homme lui tendait toujours les bouteilles, elle se sentit obligée de l’en débarrasser ; même si elle ne savait pas vraiment quoi en faire dans l’immédiat. Elle les posa sur un coffre et se pressa pour aider l’enfant à enfiler toutes les frusques qu’il se mettait sur le dos pour remplir la seule condition posée par l’érudite. Dans le feu de l’action, quelques gilets de laine s’étaient retrouvés mal boutonné et le surcot était à l’envers. Accroupie pour remettre tout dans le bon ordre, la jeune femme ne s’arrêta que lorsqu’elle eut fiché un bonnet sur la petite tête blonde de l’enfant. Sans plus un regard pour elle, le petit fila dans les pattes du voisin.

Lentement, pour éviter les chutes de tensions dont elle était sujette ces dernières semaines, la mère se redressa. Et elle lança une dernière recommandation avant que la chair de sa chair prenne la fuite avec cet homme dont elle ne connaissait rien mais à qui elle accordait son entière confiance :

Pas de risques inconscients, hein ? Faites attention à vous.

Cela valait pour les deux bouts d'hommes.

Ils se glissèrent dans le logis du voisin qui devait connaître un accès au toit. La réfugiée ne voulut même pas les suivre parce que lâcher le petit ne lui plaisait guère. Elle se sentait irresponsable d’agir de la sorte. Et en même temps, au vu du bonheur que cette sortie procurait à l’enfant, elle ne pouvait point les en empêcher.

Alors, elle se trouva seule et un peu sotte dans cette petite pièce qu’elle trouva soudainement bien vide.

En les attendant, elle fit ce que font les mères : elle trouva enfin le temps de ranger toutes les choses qu’elle avait à ranger et suivit cette longue liste de choses à faire qu’elle repoussait sens cesse à la fin du monde. Elle ne vit pas le temps passer. Et quand les hommes de sa vie revinrent, ils la trouvèrent en train d’achever de ranger quelques livres pour désencombrer l’espace. Les joues écarlates et les yeux remplis d’étoiles du petit ne mentaient pas.

La sortie avait dû être intensive parce que, après un récit fort plein de grandes exclamations romanesque, ponctué de ci, de là par une précision du voisin, le petit se mit à cligner des paupières et à bailler aux corneilles. L’érudite finit par le serrer dans ses bras. Par-dessus tout, elle était rassurée de le retrouver en un morceau. Avec toute la tendresse dont une mère est capable, elle l’allongea dans le petit lit qu’ils partageaient et laissa le petit s’endormir. Il roula mollement dans les draps. L’érudite et son voisin écoutèrent la respiration de l’enfant glisser vers un sommeil profond. Précautionneusement, elle se déchaussa et suivit le voisin sur le pallier pour le remercier en bonnes et dues formes. Au passage, elle récupéra les bouteilles.

Elle referma la porte derrière elle et ne parla que lorsque le loquet tinta dans la serrure :

Je n’ai pas de mots pour vous remercier, Monsieur. Il a l’air si ravi… Cela doit faire sincèrement une éternité que je ne l’avais pas vu comme ça.

C’était la pure vérité et, d’un coup, un poids de culpabilité tomba sur elle. Elle se sentit une piètre mère. A cet enfant, elle n’avait vraiment pas donner ce qu’elle aurait rêvé de lui offrir. Ravalant cette idée, elle retendit le vin à son adorable voisin de palier :

Reprenez ça. Après, ça fera trop.

Un doux sourire plissa le minois tendre de cette jeune chose qui aurait pu être belle si elle avait paru moins malade. Voilà une éternité qu’elle n’avait pas bu la moindre goutte de gnôle. Quelque chose au fond d’elle lui soufflait qu’elle se devait de garder les idées claires pour continuer de veiller sur ce qu’elle avait de plus cher.

Et elle resta là, devant lui, les bras ballants, sans savoir que faire de ces bouteilles, avec rien d’autre que sa profonde reconnaissance.
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Grayle



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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyMer 16 Jan 2019 - 23:31
Grayle poussa un éclat de rire en voyant Maël vêtu d'assez de vêtements pour aller en haute montagne. Il était tout mignon ainsi, couvé plus par l'amour de sa mère que par les vêtements. En parlant de mère.

- Pas d'inquiétude. Il sera sain et sauf !

Il ouvrit la trappe de son chez-lui, qui donnait sur le toit, et l'air libre. Il tira ensuite un petit tabouret afin de faciliter la montée. En réalité, il n'en avait pas besoin. C'était pour le petit. Avec agilité, Grayle sauta sur le tabouret, s'accrocha au toit, et se hissa en haut de ce dernier. Il se retourna et tendit ses bras vers Maël.

- Accroche toi... voilà, parfait !

Il le hissa sans problème, puis referma la trappe. Le toit, bien que pentu, ne l'était pas assez pour rendre la marche trop compliqué, même pour un jeune enfant peu sportif. Tendrement, Grayle lui prit la main. Maël pouvait sentir à quelle point elle était chaude et douce. Presque autant que celle de sa mère. Le jeune homme était d'ailleurs à peine vêtu d'un haut en lin, comme s'il ne craignait pas le froid. La nuit tai fraîche, mais moins froide que les précédentes. Il n'y avait pas de neige non plus. Un temps idéal.

En contrebas, on pouvait voir les rues grises de Marbrume. La lumière de la lune, qui était à son firmament, éclairait le tout d'une lueur bleutée surnaturelle. D'autres poches couleur de feu, lampadaires, bougies ou brasero, ponctuaient ici et là un tableau pas aussi sombre qu'on n'aurait pu croire. Ici et là, des toits de toutes formes et des bâtiments de toute taille se cotoyaient. Les bruits de la rue, peu nombreux à cette heure ci, était étouffé.

Il y avait un silence presque complet. Mais loin d'etre pesant, il était apaisant.

- Ne regarde pas trop en bas. Vérifie bien ton équilibre... appuie toi sur une jambe, puis l'autre. Balance un peu ton bassin. Ne sois pas tendu...

Grayle ponctuait leur marche sur le toit de quelques conseils, afin que Maël puisse marcher tout seul sans trop de difficulté sur les toits les moins pentus. Ils tournèrent un peu en rond juste au dessus de l'appartement de Louise, qui pouvait entendre leurs pas. Ceux de Maël était peu sûrs, proches les uns des autres, presque lourds. Ceux de Grayle étaient à peine perceptibles.

- Allez, viens sur mon dos !

L'enfant le regarda d'un air interdit.

- Je... je ne serais pas trop lourd ?

Grayle le regarda et éclata d'un rire clair, gentillet, doux comme une pomme tombant dans l'eau.

- Regarde.

D'un seul coup, il s'élanca. L'homme aux mouvements aériens et légers, qui flottait plus qu'il ne marchait, devint d'un seul coup solide. Il s'élanca du toit où il se trouvait, et sprinta à toute vitesse en direction du vide, à la vitesse d'un carreau d'arbalète. Pour le jeune enfant qui était habitué aux livres, aux jouets immobile, la vitesse de Grayle était inédite.

Il sauta.

Pendant un instant, il resta suspendu en l'air. Puis, il agrippa à la gouttière de pierre du bâtiment d'en face. Bien plus grand que celui où il se trouvait à l'origine. Maël poussa un petit cri.

Grayle était accroché avec ses deux bras, des dizaines de mètres au dessus du vide. Puis, un seul bras. Et enfin, deux doigts. Il se retourna à moitié, lançant un grand sourire à Maël. Sans aucune difficulté apparente, il se hissa à la force d'un seul bras. Et, dans le silence de la nuit, pris son élan, sauta, et atterrit près de Maël.

- Regarde mes doigts.

Ils étaient doux, pas épais. Mais en dessous de la peau douce, Maël pouvait sentir la puissante musculature des doigts. Les minuscule doigts de l'enfant lune caressaient ceux du jeune homme, glissant sur ses poignets épais.

- Je ne suis pas capable de pousser de lourds objets, ou de soulever de lourdes masses. Mais j'ai des mains puissantes. J'étais marin tu sais ? Je sais grimper. Soutenir mon corps avec un seul doigt. Alors...

Il se saisit de Maël, qui vit le monde tourner, avant de se retrouver sur le dos de Grayle.

- Même avec toi sur les épaules, je me débrouille.

Ils marchèrent. Grayle avancait avec lenteur sur les toits, faisant de petits sauts, prenant des chemins sécurisés. Ils descendirent, puis remontèrent, lorsque Grayle trouvait un bâtiment plus grand à escalader.

A la fin, ils se retrouvèrent à un endroit que le jeune garçon n'aurait jamais vu de sa vie normale : les remparts. Ou plutot, le haut des remparts intérieurs. De là, ils pouvaient voir la Hanse, les Bas-Quartiers, Bourg-Levant... toute la ville en contrebas. Et, de l'autre côté, le quartier noble, éclairé, encore vivant, beau et luxueux. Et, encore plus haut, le chateau du duc.

- Je l'ai déjà escaladé. Se vanta Grayle. Il pointa du doigt une bâtisse. Tu connais ce bâtiment ?
-... non.
- Laisse moi te raconter.

Ils restèrent ainsi, pendant un temps infini et si court, à discuter. Grayle montrait des points inconnus et familiers de Maël, n'y racontant pas leur histoire, que le petit connaissait déjà, mais des anecdotes de vie. Les siennes ou celles d'autres, réelles ou enjolivées. Mais le temps passait à toute vitesse et ils durent revenir.

Deux heures s'étaient écoulées en un instant. Et c'est un Maël surexcité et un Grayle un peu frais qui rentrèrent alors. Il se frictionnait avec force en regardant l'enfant de la lune tout raconter à sa mère. Ils le regardèrent s'endormir, et sortirent ensuite de la pièce.

Il souria et fit un clin d'oeil lorsqu'elle lui tendit les bouteilles.

- En effet, pour une personne, c'est beaucoup trop. C'est pour ca que vous allez en prendre avec moi.

Il ouvrit la porte de chez lui du pied, et l'invita à entrer. Ce qu'elle fit, par politesse, sûrement. Il ouvra son armoire, et en sortit deux verres de vin, vieux mais propres.

- Vous n'avez pas de mot pour me remercier ? Moi j'en ai.

Il versa un peu de vin dans le verre, comme le ferait un serveur à la cour du roi.

- Répondez "avec plaisir".

Il tendit le verre à Louise.

- Louise, voulez vous partager avec moi ce petit moment de tranquilité et cette bouteille de vin ?
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Louise OchaisonErudite
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] EmptyJeu 17 Jan 2019 - 0:32
En effet, pour une personne, c'est beaucoup trop. C'est pour ça que vous allez en prendre avec moi.

Le bout de femme fronça les sourcils, perplexe. De coutume, elle aurait probablement décliné l’offre avec politesse, mais le voisin ne lui laissa pas vraiment le choix. Loin de la débarrasser des bouteilles encombrantes, il ouvrit la porte de chez lui, de l’autre côté du pallier.

L’érudite lâcha un soupir amusé, feignant une pointe d’exaspération. Après tout, elle ne prenait guère de risque : l’enfant dormait comme un petit ange et elle n’aurait qu’à passer d’un perron à l’autre pour rentrer chez elle. Elle entra donc dans cet appartement qui faisait fasse au sien avec curiosité.

Le voisin devait être quelqu’un de bien organisé parce qu’elle n’y trouva pas cette forme de rangement approximatif propre à la gente masculine. C’était d’une sobriété assez efficace qui laissait percevoir les dimensions du logis. Il disposait d’une pièce bien plus vaste que celle qu’elle occupait avec l’enfant. Assez pour qu’il puisse avoir un grand lit là où la mère partageait un minuscule matelas avec son fils.

Là-dedans il y planait encore une odeur d’encens et de parfum, et l’érudite se demandait bien comment ce charmant bougre qu’elle prenait pour un marin pouvait se doter d’un pareil luxe. Toutes ses senteurs n’étaient pas des histoires d’hommes alors l’érudite se persuada qu’il devait avoir une galante. Peut-être plusieurs, même. Cela ne la regardait pas.

Les yeux de la jeune femme effleuraient pudiquement tout ce que la flamme de sa bougie pouvait éclairer. Quand l’homme revint vers elle, il tenait de verre de vin entre ses doigts. Il lui en tendit un, en glissant quelques mots :

Vous n'avez pas de mot pour me remercier ? Moi j'en ai.

Impassiblement, la jeune mère le regarda déboucher la première bouteille et remplir les deux verres méticuleusement.

Répondez "avec plaisir", précisa-t-il.

Il lui tendit un verres. Les doigts malingres de l’érudite se refermèrent dessus précautionneusement. Elle le porta à son nez pour se faire une idée sur le degré d’alcool que contenait cette gnôle quand il lui demanda avec un sourire en coin :

Louise, voulez-vous partager avec moi ce petit moment de tranquillité et cette bouteille de vin ?

En toute réponse, la jeune femme lui rendit son sourire. Elle se laissa lascivement tomber au fond d’un fauteuil à peine encombré de quelques frusques sur le dossier et porta le verre à ses lèvres. Voilà une éternité qu’elle n’avait pas gouté à ça. A un peu de calme, à du vin et à la bienveillance d’un protecteur. Le tout coulait dans son cœur une vapeur rassurante formée de souvenirs tendres. Pour tout cela, la reconnaissance de l’érudite pour son adorable voisin était grande.

Elle but et elle se mit à fixer l’homme. Parce que malgré sa détresse et sa fatigue, l’ancienne bourgeoise avait oublié d’être sotte. Quelque chose clochait chez cet inconnu d’il y a quelques jour. Tout ce qu’elle voyait ne correspondait pas à un travailleur de la mer. Le vin aidant, elle se décida à mettre les deux pieds dans le plat après un court silence :

Avec plaisir, lui souffla-t-elle avec innocence. Mais je ne devrai pas m’éterniser, monsieur. Madame ne devrait pas tarder à être de retour, n'est-ce pas ?

En disant cela, elle fixait un petit objet posé négligemment sur une commode. Un joli petit miroir de poche dont les femmes de la haute raffole par-dessus tout. Pratique pour se repoudrer le nez. Pas un attribut masculin. Rien dont un marin aurait pu avoir l’utilité à moins qu’il soit friand de khôlle. Quelque chose qu'on avait peut-être oublié là par mégarde.

L’érudite avait des yeux partout et elle n’eut point de mal à cerner la gêne de l’homme. Après tout, c’était un peu ce qu’elle cherchait : le déstabiliser avant qu’il n’arrivât à la faire chanceler comme il y était parvenu la veille ; dans cette accolade qui avait fait ressurgir bien des démons chez la réfugiée. Elle ne cherchait pas à le piéger pour le moment. Tout ce qu’elle voulait c’était en apprendre plus. Parce que son plus grand secret, il le connaissait. A son tour de faire quelques découvertes sur son compte.

Si il venait à s’offusquer, elle ferait l’idiote et accepterait l’esquive car elle ne voulait pas rendre la soirée désagréable à ce bon samaritain qui avait donné de son temps pour la chair de sa chair.
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