Marbrume


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 Renaître de ses cendres [Grayle]

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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyMar 25 Juin 2019 - 0:01
La nouvelle aurait dû être un cadavre : elle se serait contenter de l’enfouir profondément et, après un court labeur, plus personne n’en aurait jamais parlé. Il aurait été oublié. Et l’érudite aurait ainsi préféré que cet incident soit bien vite chassé de sa mémoire.

Mais l’image restait accroché à sa rétine, fiché là ; si bien que, même en fermant les yeux, elle pouvait encore voir le voisin au milieu de toutes ces créatures dévouées à la luxure. Avec des corps pleins de courbes et de promesses de douceurs. L’image lui remuait le fond des entrailles et la touchait jusque dans sa dignité et son reste de fierté périmée.

Comment avait-elle pu tomber si bas ? Après avoir perdu sa maison, elle avait perdu sa famille. Sans sa famille, elle avait dû se résigner à trouver du travail. Elle avait commencé à se salir les mains alors que rien ne l’avait jamais préparé à un tel sort. Sans encombre, elle s’était accommodé de cette dégringolade et n’avait jamais rechigné jusqu’à vendre la totalité de ses biens. Sa chute se devinait partout ; autant dans son corps devenu maigrelet à souhait que dans son cœur endurcit par la misère. Un cœur qu’elle avait finir par ouvrir à un bon samaritain au sourire tendre et aux bonnes intentions. Si fait, un bon samaritain qui jouait les putains.

La jeune mère ne savait pas quoi faire des idées tourmentées et hasardeuses qui la traversaient toutes mélangées et confuses. Impossible de les classer, les ranger et les trier tellement la mélasse devenait épaisse à mesure qu’elle filait dans les rues qui la ramenait jusqu’à chez elle et chez eux. Impossible de rationaliser pour l’heure parce qu’il n’y avait rien de rationnel dans ce sentiment entrecroiser d’angoisse, de résignation et d’une tristesse immense.

Elle ne trouvait pas la force d’en vouloir au voisin. Par-dessus tout, elle s’en voulait à elle et à sa volonté étrange de tenir à construire une histoire simple et douce, faite d’entraide et de soutien réciproque et mutuel dans ce monde qui se réduisait en cendre, de jours en jours, à cause de la Fange. Il n’y avait rien de raisonnable et, maintenant, cette envie sotte lui apportait un chagrin dont elle se serait bien passé.

Rentrer à la maison. Serrer son enfant dans ses bras tendres. Lui donner tout l’amour qu’elle avait et qu’il était le seul à vraiment mériter. C’était tout ce qu’elle voulait. Elle en avait besoin, même. Là. Maintenant. Tout de suite.

Quand l’homme déboula dans son dos, saisissant son épaule tendue, elle sursauta, trop perdue dans ses pensées pour comprendre que c’était lui. Par réflexe, elle se dégagea de son emprise. Et il tomba à genoux devant elle pour lui barrer la route. Toute gênée et virant au cramoisie, elle s’arrêta sur le coup, trop intimidée par cette situation qu’elle trouvait troublante autant pour elle que pour lui.

La maigrelette avait l’impression qu’il parlait trop fort et que tous les passants les dévisageaient maintenant.

Re… Relevez-vous, balbutia-t-elle.

Ses joues étaient rouges et ses yeux un peu humides. Elle tira sur la manche de l’homme pour l’aider à se relever et posa avec douceur une main sur sa joue. Pour l’apaiser. Pour le rassurer. Pas une seule once de colère en elle ne débordait là parce que ce n’était pas sa place. Ses traits étaient tirés dans une expression dure mais sa voie était tendre. Le même ton qu’elle avait utilisé la veille. Sans la moindre trace d’amertume quelconque malgré les mots qui s’étranglaient un peu et restaient coincés dans sa gorge.

Elle se mordit la lèvre inférieure parce qu’elle savait qu’elle avait quelque chose à dire et elle ne savait pas comment sélectionner les bons mots au milieu du marasme qui rebondissait dans sa caboche devenue momentanément creuse. Face à lui, elle se sentait plus que tout misérable.

Grayle, je… tenta-t-elle mais les mots ne sortirent pas sous la pression de tous ces regards étrangers. Je… Je n’aurais pas dû. Toutes… Toutes les mes excuses, monsieur.

Elle essaya de reprendre son chemin mais, instinctivement, il lui barrait la route. Il ne pouvait pas la laisser partir comme ça, si vite alors qu’elle n’avait pas mis le moindre mot sur ce qu’elle ressentait alors que voilà la première fois que l’homme faisait référence à des sentiments.

Les sentiments. L’érudite détestait par-dessus évoquer ses choses. Pas en pleine rue. Et pas après tout ça. Alors elle essaya de se dépêtrer de la situation comme le font les gens lâches : elle remit poliment cela à plus tard.

Je… Je ne sais pas quoi dire. On peut se voir plus tard ? Je vous rejoins chez vous plus tard, d’accord ? Et on … On parlera de tout ça. Ce n’est pas le lieu ni le moment.

Poliment, elle lui sourit de ce sourire courtois que l’on a quand on veut cacher le trouble qui nous habite. Et elle jeta un œil autours d’eux, croisant celui d’une femme qui les regardait de travers et celui d’un homme qui essayait de les dépasser dans la rue étroite.

Sans plus d’explication, elle fila jusqu’à chez elle, montant les escaliers en trombe. Quand elle entra chez elle, l’enfant ne comprenait pas l’affolement de sa mère. Son premier instinct fut d’ouvrir les bras et la jeune femme se lova à l’intérieur. Elle le serra ce petit corps contre le sien pour étouffer le tambourinement dans sa poitrine. Au fur et à mesure, les battements de son cœur en détresse retrouvèrent une bonne rythmique. Celle de l’amour. Du vrai. Qu’on ne pouvait pas substituer à coup de révélations effrayantes.

Avec son petit, elle trouva des jeux à faire, des histoires à raconter. Ils sortirent à la nuit et rentrèrent quand le vent commença à se lever. Lorsqu’ils commencèrent à sentir leurs carcasses trembler sous les bourrasques. Ensemble, ils se réchauffèrent et l’érudite mit l’enfant au lit.

Tu ne te couches pas, maman ?
Non, pas tout de suite.
Tu vas où ?
Pas loin, promis. Je vais parler un peu avec le voisin.

Le petit eut un sourire ravi qui tranchait avec la mine grave de sa mère.

Dis maman ? Tu l’aimes quand même bien, le voisin, avoue ?

Difficile de cacher la vérité aux enfants. Tant et si bien qu’elle bave parfois de leur bouche

Je l’aime bien, oui, c’est vrai. Mais je ne peux pas l’aimer de trop, tu sais ?

Le gamin hocha lentement la tête. Il sentait qu’il ne fallait pas qu’il s’aventure trop sur cette pente glissante. Trop de fois, sa mère lui avait expliqué que c’était là des choses d’adultes et qu’il apprendrait tout ça en vieillissant.

S’il avait eu la chance de vieillir.

Une dernière fois, l’érudite glissa ses doigts dans les cheveux roux de son fils. Elle l’embrassa dans sur le front et l’aida à s’endormir en lui glissant des mots rassurant : s’il avait un gros cauchemars, il pouvait toujours la trouver chez le voisin. Mais la nuit était douce et il n’y aurait pas de mauvais rêve.

Cette nuit-là, c’étaient les grands qui devaient se dépêtrer avec leurs démons.

Elle resta jusqu’à ce le petit se soi enfoncé profondément vers un sommeil dont il ne reviendrait pas avant le petit jour. Pendant ce temps, elle avait le temps d’avoir une discussion avec le voisin. Lentement, elle s’extirpa de chez elle avec un dernier regard bienveillant pour la petite silhouette enveloppé dans les couvertures de laine. Et elle songea à la promesse qu’elle avait faite : elle allait devoir s’engager dans une conversation dont elle n’avait pas encore pensé le moindre mot.

Même quand elle toqua à la porte, elle ne savait pas si elle allait être reçue et encore moins les mots qu’elle trouverait à dire. Dans sa caboche, le brouillard était toujours aussi épais. Mais il avait refroidi et elle avait l’espoir de ne pas avoir des mots qu’elle aurait regretté tout de suite, quasiment sur l’instant.

Grayle ? C’est moi… elle chuchota.

C’était bête mais, pour la première fois, elle songea qu’il aurait pu être avec une autre. Pour le travail ou autre chose. Et cela ficha dans sa tripaille une épine inconfortable de culpabilité.

Et puis, quand il ouvrit la porte, qu’elle vit la tendresse qui s’émanait de lui, comme instinctive, et qui la concernait elle, elle n’eut pas envie d’utiliser des mots. Sa cervelle était trop épuisée à force de penser alors elle écouta ce que son corps lui réclamait. Elle se glissa dans les bras de l'homme d’une façon étrangement naturelle. Elle posa sa tempe sur sa clavicule et écrasa un soupire là qui voulait exprimer toute la lassitude qu’elle avait pour la situation. Naturellement, les bras de l’homme se refermèrent sur le corps de la femme qui paraissait minuscule et d’une fragilité maladive. Ils restèrent un moment-là, sans que l’un ou l’autre n’ose briser ce moment. Une étreinte douce qui venait balayer la piteuse révélation.

Au fond, qu’il travaille dans un bordel, comme marin ou comme boucher, ça ne changeait rien sous le soleil des enfers. Quelque part, l’érudite avait laissé tomber la simple idée de pouvoir contenter les instincts les plus primaires d’un homme et, maintenant, elle savait que celui-ci avait de quoi se satisfaire ailleurs.

Elle avait juste besoin de lui signifier la reconnaissance qu’elle avait dans cette manière de prendre soin d’elle et de l’enfant au quotidien. Ce n’était pas un mauvais bougre, loin s’en faut, et la lettrée était suffisamment intelligente pour juger les gens sur ce qu’ils étaient dans leur globalité.

Alors, oui, probablement qu’une horde de fantôme serait bien offusqué de la voir ainsi blotti dans les bras d’un homme sans le moindre honneur. Mais qu’avait-elle à faire de la dignité aujourd’hui quand, plus que tout, elle avait besoin d’une protection ?

Dans ses bras, à ce moment, elle se sentit protégée de tous ses monstres. Que ce soient des bras qui aient enlacés d’autres femmes lui trottait dans la tête sans qu’elle ne puisse s’en émouvoir.

De toute façon, il n’y avait plus rien de raisonnable et le monde avait déjà commencé à être fou.

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Grayle



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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyMar 2 Juil 2019 - 0:15
On aurait pu entendre son coeur se briser en millions de morceaux lorsqu'elle l'appela "monsieur". Une douzaine de badauds auraient pu se ramener et lyncher Grayle en public avant de le balancer du haut d'une falaise que le prostitué n'aurait pas ressenti la moitié de la douleur qu'elle venait de lui causer. Alors qu'il se résignait déjà de voir une relation à peine construire partir en fumée, sentir la main de la frêle érudite sur sa joue le ramena à la réalité.

Une réalité peut-être plus douce, plus lumineuse, et moins désespérante qu'il ne l'avait craint au premier abord. Une promesse de se revoir, ce soir. Une seconde chance, peut-être. C'était tout ce qui lui fallait. Alors, incapable d'émettre la moindre parole cohérente, il hocha la tête, se releva, et la laissa partir. Il resta immobile, la regarde s'éloigner et disparaître entre les rues.

Un passant âgé et déjà aviné regarda Grayle d'un air hostile. Il avait vu toute la scène. Il cracha par terre, le glaviot s'écrasant à ses pieds.

- Tapette.

- Va chier.


Sur ces bonnes paroles, il rentra au bordel, où il fut accueillit par des rires, des quolibets, et quelques paroles compatissantes. On essaya même de lui faire penser à autre chose en lui collant dans les bras Marina, une des nouvelles prostituées du bordel, une petite orpheline de 13 ans qui n'y connaissait pas grand chose. Mais rien n'y faisait. Grayle était trop distrait, et lorsqu'il commença à épousseter les plantes avec une serpillière humide, on le renvoya à la maison, avant de lui rappeler qu'il était là pour penser avec sa bite et rien d'autre.

Trainant sa morosité et ses pieds derrière lui, imaginant quarante-sept façons différentes pour Louise de lui dire que oui, désolé, mais ca n'était plus possible entre eux, il monta les escaliers, entra chez lui et s'effondra dans son lit, les bras le long du corps, restant ainsi immobile pendant au moins une bonne heure. Prostré, silencieux et immobile comme un mort, il ne se leva que lorsqu'il entendit Louise et le petit rentrer. Ils n'avaient pas besoin de s'annoncer : il reconnaissait leurs pas.

Lorsqu'elle toqua, il lui ouvrit, et ils se retrouvèrent l'un contre l'autre. Les soucis de Grayle s'envolèrent aussi vite que la jeune femme s'engouffra dans ses bras. Il la serra contre lui, ses doigts parcourant lentement son dos osseux, glissant sur ses omoplates, avant de revenir à ses cheveux. Leurs respirations s'unirent en une seule, alors qu'ils coordonnaient instinctivement leurs souffles. Il resta silencieux, pour ne pas gâcher le moment, et l'embrassa sur le front, avant de l'attirer à sa suite, prenant doucement son poignet.

- Viens

Il ferma la porte.

- Je vous dois quand même des explications. Il la poussa légèrement sur un siège : celui qu'elle avait occupé lorsqu'ils avaient partagés un verre de vin.

- Je.. j'ai caché ce que j'étais. C'était... pour éviter ça justement.

Par quoi commencer, et par quoi finir ?

Par le début.

Pas le tout début, toutefois.

- J'ai quitté Marbrume lorsque j'avais 14 ans. Une déception amoureuse. J'ai cru pouvoir aimer une fille de noble, et elle s'amusait bien à me mener en bateau. Alors je suis parti. Je suis devenu marin, puis corsaire.

Il se baissa, et fouilla sous son lit, avant d'en tirer un fourreau. Et de ce fourreau, un grand et beau sabre d'abordage, en croissant de lune, à la lame encore aiguisée. Il fit quelques mouvements de poignet, avant de le ranger, un air de nostalgie sur son visage.

- Je pensais que l'aventure allait m'exciter, mais je me suis trompé. J'aime trop le confort et la prévisibilité du quotidien. La mer et les combats marins n'étaient pas fait pour moi. Quand je m'en suis rendu compte, et que je n'étais pas encore balafré, je suis rentré. J'étais mignon, et je pouvais faire trois fois plus d'argent en couchant avec des femmes qu'en travaillant plus durement.

Il rangea le sabre sous son lit, y rangea ses souvenirs de carnage et ce qu'il était alors. Il se retourna vers elle.

- Ce que j'essaie de dire tout en tournant autour du pot... je n'ai jamais eu de relation Louise. De vraie. Je connais les femmes, leur corps, leurs désirs, mais que ce soit en tant que gosse, en tant que corsaire, ou en tant que... catin, je n'ai jamais eu de femme tombant amoureuse de moi. Et c'est normal, qui tomberait amoureuse de moi ? A part naviguer, grimper, tuer et baiser, je ne sais rien faire. Du coup, lorsque j'ai senti que peut-être, avec un peu de chance, quelqu'un comme... toi, intelligente, sensible, responsable, mature, commençait à éprouver des sentiments pour moi... je ne voulais pas tout gâcher.

Un petit sourire.

- Et au final, j'ai failli le faire.

Il s'agenouilla devant elle, lui prenant les mains, jouant nerveusement avec ses doigts.

- Louise... si jamais j'ai le droit à une seconde chance, et que notre relation débouche sur quelque chose de sérieux... ce que j'aimerais... je suis prêt à reprendre un travail honnête. Pour toi, pour moi, ou même pour le petit. Je le promet.


Dernière édition par Grayle le Mar 2 Juil 2019 - 14:16, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyMar 2 Juil 2019 - 3:38
Ses lèvres sur son front, cette hymne que trouvaient leur corps l’un contre l’autre, l’érudite s’en délecta, s’assurant de la même façon que rien n’avait volé en éclat. Il l’attira à l’intérieur et elle ne résista pas et retrouva cette place qui était la sienne. Un fauteuil où elle avait bu un verre de vin.

Il voulut se lancer dans des explications et elle le laissa faire. Parce qu’elle n’avait pas le cœur à le couper dans cette histoire qu’il lui comptait. Depuis toujours, elle aimait les histoires et cette faculté des hommes à surmonter leurs les pires situations pour les conter raisonnablement encore et encore.

Il avait été amoureux avant. Une fille argentée, probablement plus que ce que sa famille avait été par le passé. Un amour déçu comme ils le sont souvent. Et son cœur brisé avait mené le voisin en mer où il avait été marin puis corsaire. Une histoire qu’il prouva en cherchant à dégainer une arme. Cependant, la présence d’acier mettait mal à l’aise et il rangea le sabre avec une pointe de nostalgie. L’un comme l’autre avait eu leur époque glorieuse. Un temps de superbe dont les vestiges étaient, au mieux, pitoyable et, au pire, haïssable. Finalement, il avait fini par détester son infortune. Et il savait qu’avec sa gueule il serait facile de faire de fortune en pratiquant le plaisir. Pourquoi s’en gâcher, alors ?

Mais, à faire de la débauche son métier, il n’avait guère connu d’amour entier et concret. Quelque chose qui dépassait la couche pour atteindre l’âme et la maintenir éveillée avec une tendresse bienveillante.

L’érudite se pencha sur l’homme à genoux, qui tenaient ses mains et ses chevilles comme s'il avait peur qu’elle disparaisse. Elle descendit de son assise sur le fauteuil pour le rejoindre au sol, sur ce plancher gémissant. Et elle encadra son visage entre ses paumes décharnées et froides. Tendrement, elle embrassa ses lèvres à nouveau. Juste pour qu’il se taise et qu’il la laisse parler.

Par deux fois, il avait insisté sur l’amour qu’il avait pour elle aujourd’hui. C’était à son tour de mettre des mots sur ce qui ne se disait pas.

Le petit a un père. Tu en as conscience, n’est-ce pas ?

Elle avait lâché la phrase avec une douceur étrange, mais la vérité semblait moins facile dans la bouche de la jeune mère. Elle remontait par à-coup, comme un cadavre pudique qu’on découvre.

Tu m’as raconté ton histoire et c’est maintenant je vais te dire la mienne. Pas parce que tu dois la savoir mais parce que je ne veux pas te la cacher.

Elle prit une longue inspiration.

Il y a longtemps, j’ai été belle. Riche aussi. Mais j’avais la tête trop bien faite pour ne pas faire peur aux hommes. Sur le tard, mon frère m'a choisie un mari dont je ne voulais pas. Alors, pour ne pas avoir à célébrer l'union, j’ai fait un enfant avec celui que j’admirai le plus pour sa science. Je l’aimais d’une façon dont je ne pourrais pas t’aimer toi : on l'a exécuté sous mes yeux alors que mon ventre était déjà rond pour des choses que, toi, tu trouverais futiles. Des histoires d’étoiles et d’orbites.

D’un coup, la réfugiée revit les flammes du bûcher et entendit à nouveau les cris de celui qui fut son précepteur. Des sons qu’elle n’arrivait pas oublier, même dans ses pires cauchemars. Qui revenaient fredonner à ses oreilles pour la hanter les nuits où elle dormait alanguie tout contre la chair de sa chair.

J’ai enfanté un monstre.

Sans le regarder, elle avait dit ça en fixant le vide. Plus que tout, elle détestait ce mot dans la bouche des autres et détestait encore plus se l’entendre dire. Elle baissa les yeux et contempla ses mains dont les doigts s’entremêlaient soigneusement avec ceux de ce voisin d’une vérité touchante.

Alors tu comprendras que je ne veux pas de ça. Pas de toi de la façon que tes clientes t’aiment. Je ne veux pas de toi de cette manière alors, quelque part, je suis heureuse que ton travail puisse t’apporter ce que je ne saurais te donner sans mourir de honte de te montrer ce corps décharné et la peur brûlante de donner naissance à une autre cruauté des Trois.

Les larmes lui montaient aux yeux mais elle les chassa en se blottissant à nouveau dans ses bras.

Je me fiche que ton travail soit honnête. Il n’y a plus d’honnêteté de toute manière. Parce que le monde s’écroule et qu’on ne tardera pas à tomber avec lui.

Elle lui sourit avec la douceur qui était la sienne : un mélange calculé et mesuré de douceur et de bienséance. Et elle l’embrassa encore une fois du bout des lèvres.

J’ai été si seule. A la fois pour élever mon garçon et pour me démener dans cette ville de damnés. Alors, je t’en supplie, Grayle, ne disparait pas. Ne t’envole pas comme un oiseau migrateur, pressé de trouver une terre plus accueillante à la bonne saison.

Passant les doigts dans la barbe naissante du voisin, elle devint soudain songeuse. Une dernière fois, elle vint souder ses lèvres à celle du bougre pour prendre un peu possession de son souffle qui se coupa net. Doucement, elle rompit le baiser en croisant ses poignet derrière sa nuque. Ses yeux claires se plantèrent au fond des prunelle de l’homme pour ne pas lui laisser la possibilité de fuir.

Donne ce plaisir à qui est prêt à te payer pour que tu lui donnes. Je n’ai pas d’argent à mettre là-dedans, tu le comprendras vite. Laisse-moi juste cette exclusivité-là, s’il te plait. Tes lèvres. Tes baisers. Donne-leur tout ce qu’elles veulent. Mais, si tu m’aimes, accorde-moi ce petit privilège. Je m’en contenterai amplement.

Aussitôt ses mots avaient fusé, aussitôt le doute envahie la jeune mère. Qui était-elle pour réclamer pareille traitement de faveur ?

Elle relâcha un peu son emprise et se tint assisse sur les talons devant lui. La situation lui était insupportable parce qu’elle avait trop peur de l’avoir blessé avec l’un ou l’autre de ses mots. Même si elle en lisait toute la journée dans toutes les langues et sur tous les supports, elle se trouvait idiote dans sa façon de les manier.


Dernière édition par Louise Ochaison le Ven 5 Juil 2019 - 7:24, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyMar 2 Juil 2019 - 15:10
Un baiser, une commande, un ordre. Il se tut alors, écoutant la jeune femme.

Un monstre, est-ce ainsi qu'elle considérait son fils ? Il en doutait. Elle répétait ce que les autres en avait dit. Jusqu'à y croire peut-être ? Il sentait le poids de la culpabilité en elle. Alors qu'elle pleurait, il la reprit dans ses bras. Il n'était pas naïf. Il savait qu'elle avait été une femme. Elle était donc une noble déchue, une dame de la haute maintenant veuve et dans les bras d'un prostitué batârd.

Dur.

Elle l'embrassa encore, avant de se retirer. Il lui sourit et revint l'embrasser, la plaquant un peu contre le siège derrière elle. Les lèvres de la jeune femme étaient toutes tremblantes et chaudes. Il posa sa main sur la joue de Louise, la caressant, avant de lui faire une petite tape.

- Louise. Crois tu que les clients des bordels sont des canons de beauté ?

Son corps, décharné, gros, obèse, il s'en fichait. Elle était belle à ses yeux et ca lui suffisait.

Une autre petite tape, suivie d'un baiser.

- Crois tu vraiment que tu a besoin de me payer pour partager notre couche ? Ce que tu appelle "un privilège", j'appelle ca le minimum.

Deux mains glissèrent sur le corps de l'érudite, caressant la chair comme les os. Il la frôlait avec un soin presque maniaque, continuant de la couvrir de baisers. Il était souriant.

- Je suis juste là, en face de toi, et à côté de vous. Je ne vais pas partir,d'accord ?

Il se leva, et l'aida à faire de même. Par terre, ce n'était pas confortable. Il s'assit sur le siège, et l'invita à s'asseoir sur ses genoux, contre lui.

Parfois, un simple calîn, c'est tout ce qu'on demandait.

- Ton mari, ton enfant, ton corps, tes démons, je les accepte. Merci d'accepter les miens... mais je vais quand même essayer de te les épargner...


Dernière édition par Grayle le Mer 10 Juil 2019 - 15:46, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyMar 2 Juil 2019 - 18:33
Sa façon de lui tenir tête était d’une douceur déroutante et l’érudite se laissa porter par cela. Parce que depuis la Fange, elle prenait à elle seule le poids de toutes les décisions et devait donner des réponses à toutes les questions. Faire des choix qui amenaient une conception de mauvaises idées sous pression d'un isolement malsain.

Il la questionna sur ce qu’elle avait dans la tête au sujet de son métier, sur les corps qu’il devait voir passer et cette notion de privilège. Jamais avant elle ne s’était interrogée sur ces choses. Parce que jamais avant ça elle n’avait cru finir là. Avec un enfant malade, une fortune disparue et dans les bras d’un homme qui vendait ses charmes.

Elle avait eu la journée pour interroger ce qu’elle ressentait face à cette situation et se demander ce qu’il y avait à penser de cela. La vérité, c’est qu’elle n’en pensait rien. Elle n’éprouvait pas d’envie ou de jalousie face à ces primaires, dont elle s’était trop éloigné par l’esprit. Qu’importe les corps qu’il voyait passer entre ces bras : elle était soulagée que le sien ne le repousse guère même si la santé l’avait déserté. Tout ce qu’elle voulait, c’était d’avoir l’exclusivité de ses baisers parce qu’il n’y avait pas de plus belle façon de mélanger leurs âmes et qu’imaginer qu’il laisse accès à d’autres l’insupportait grandement.

Il était trop tard pour épargner quoi que ce soit à la jeune mère. Le bout de femme pouvait en endurer bien plus que le commun des mortels et elle venait de lui livrer la raison.

Rien à dire : les mains de l’homme étaient celle de professionnel. Elles savaient où se faufiler sur son corps qui n’avait pas connu une telle tendresse depuis des lustres. Ça se comptait en années. C’était avant la naissance de l’enfant. Les souvenirs remontaient doucement. Quelque part, elle s’en protégeait parce qu’elle se remémorait aussi la douleur du vide que ces moments laissaient quand ils disparaissaient. Sans un mot, elle se lova contre lui, sur ce fauteuil, la tempe posée sur sa clavicule. Ses yeux clairs étaient pensifs. Machinalement, elle massait la nuque de l’homme. Juste pour lui signifier que les choses lui allaient ainsi.

Inutile de mettre des mots dessus. Parfois, une étreinte suffisait. C’était comme si elle avait déjà tout dit, avare en mots qu’elle ne trouvait maintenant plus. Elle poussa un grand soupire et attendit que le silence se fasse et ramène avec lui un peu de honte. Celle de se tenir là où tant d’autres s’étaient tenues avant et étaient prête à dépenser de l’or pour une tendresse qu’elle n’aurait même pas osé réclamer.

Les doigts qui étaient sur sa nuque descendirent sur son torse qu’elle tapota du bout de l’index, là où la chemise s’ouvre un peu. Elle se força à sourire.

Je ne sais pas ce que j’ai à t’apporter, Grayle, murmura-t-elle. Probablement beaucoup d’ennuis, si fait…

Le futur lui donnerait raison, par la suite, même si elle ne le savait pas encore.

Elle parlait d’une voix un peu blanche, comme si ce n’était pas elle qui parlait vraiment. Les mots qui se formaient dans son esprit franchissaient ses lèvres sans qu’elle n’y ait exercé assez de modération. Elle se racla la gorge.

Tu es bon avec l’enfant et avec moi. Comment tu gagnes ta croûte, ce n’est pas important. Nous sommes tous en sursis de toute façon…

Dans un geste d’une tendresse désarçonnante, elle captura la main de l’homme pour porter ses phalanges à ses lèvres et les embrasser comme celle d’un roi. Elle ferma les yeux pour essayer de ne pas songer où ces doigts avaient été toute la journée ; celles qu’ils avaient touchées.
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyMer 10 Juil 2019 - 16:54
Ce qu'elle lui apportait.

- Tu me regarde et tu m'écoute. Personne ne fait ca, en dehors de mes heures de travail.

Il se mit à sourire en la voyant, mais surtout en la sentant, embrasser sa main. Il se laissa faire, savourant autant la sensation que la vision, avant que son pouce ne caresse la joue de la jeune femme. Rapidement, la main que Louise embrassait se mit à bouger, les doigts pianotant et caressant doucement son visage, son cou et ses cheveux.

L'érudite resta coite, avant de réagir et, d'un air qui semblait presque boudeur et ombrageux, pris la main de l'homme entre les siennes comme pour la maintenir en place et l'embrasser comme elle le faisait. Avant qu'elle ne s'en rende compte, Grayle avait transformé ce qui n'était qu'un baiser chaste et respectueux s'était transformé en un échange aux doux accents érotiques. Les doigts à la fois puissants et graciles de Grayle courait sur son visage, en explorant la peau, caressant parfois le visage fatigué du dos de sa main, tandis que les lèvres de la femme faisait de même découvrant la paume, les doigts, le poignet et les marques de l'organe qui savait si bien ce qu'il faisait.

La douce chaleur émanant du couple était presque écrasante, montant encore lorsqu'il se redressa et embrassa la fausse ingénue, collant son front contre elle. Il était évident que le malicieux jeune homme était capable de profiter et d'exploiter chaque pensée, chaque contact, chaque regard, même les plus bénins, pour faire glisser doucement n'importe quelle situation sur ce terrain qu'il maîtrisait si bien et dont elle voulait si peu s'y trouver.

- Tu es une bonne personne Louise. Intelligente, sage, forte, polie...et les épreuves que tu subis ne t'ont pas corrompue. Je veux redresser ce sourire, faire disparaître ces cernes et faire revenir ces rondeurs dit-il avec un sourire carnassier. Mais tu mérite mieux qu'un catin.

Enfin... le sujet avait déjà été abordé, et il ne voulait plus remettre ca sur la table.

Il se remit à la câliner, et elle ne le repoussa pas. Ils allaient finir par s'y habituer. Mais, bien qu'il était probablement celui profitant le plus de la situation, ce fut l'homme qui se montra raisonnable. Car l'heure tournait.

- Je ne veux pas inquiéter Maël... tu devrais y aller souffla t-il à regret. Il était si facile de lire dans ses yeux qu'il l'aurait probablement gardée toute la nuit si tout cela ne dépendait que de lui.

Alors, tristement heureux, ils se séparèrent, se quittant sur le pas de la porte par un chaste baiser et des doigts se glissant contre les autres. Mais si les corps furent séparés par un mur, les esprits restèrent ensemble toute la nuit.

Le temps comme les jours passèrent.

Grayle et Louise continuaient de se voir. Le jeune homme faisait l'effort de ne plus revenir parfumé, ni de recevoir qui que ce soit chez lui. De l'extérieur, plus rien ne laissait présager de son métier honteux mais ô combien rentable et bénéfique. Leur volonté -renouvelée- de faire corps contre les malheurs du monde et de rester ensemble, au moins pour un temps, se traduisit par des effets concrets. Des escapades de la mère en solitaire un peu plus nombreuses. Un peu plus longue. Des repas un peu plus consistants, alors que le catin insistait pour qu'elle et le petit mangent plus.

La vie suivit un cours tranquille...

Jusqu'à un incident de toit.

Un grand craquement se fit entendre, troublant le silence nocturne. Un enfer de bois, de paille et de tuiles se déversa sur le sol du dernier étage. Ou plutôt, d'une des chambres du dernier étage.

Après le fracas, le silence. Suivi d'un nombre impressionnant de jurons, dont le responsable sorti de la petite montagne de tuiles qui lui était tombé dessus.

Grayle se gratta la tête, qui gonflait d'une belle bosse sur le front. Une partie du toit s'était effondré... juste au dessus de sa tête. Un trou d'un bon mètre de diamètre donnait un accès direct au ciel étoilé et à la lune ronde et blanche.
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Louise OchaisonErudite
Louise Ochaison



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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyJeu 11 Juil 2019 - 2:05
Dans ses bras, elle lui accordait une confiance aveugle. Il était le professionnel ici. Et cette façon qu’il avait de parcourir son corps, ses joues, son menton, ses tempes, sa jugulaire et sa nuque réveillait une tendresse en elle, qu’elle avait eu le temps d’oublier et d’enterrer avec les années. Le petit avait grandi, son corps avait tellement changé. Elle se savait plus qu’il pouvait encore frémir sous des attentions aimantes.

Peut-être qu’il n’était pas celui qu’elle avait rêvé d’avoir. Son métier était sans gloire alors qu’elle restait incorruptible et digne même sans fortune et sans protection. Cependant, il avait le mérite d’être là, de prendre soin d’elle et de l’enfant. Au moins, il était là ce soir, et leur étreinte était douce ; et raisonnable, car l’homme finit par lui donner le droit de partir. Il était tard et il y avait le petit et une mère ne devait pas dormir loin de l’enfant. D’un battement de cil, elle le remercia. Il ne voulait pas la voir partir et elle voyait combien il se faisait violence pour s’accommoder de la chose.

Quelque baisers sur le palier. La promesse de se revoir bientôt. Et la mère alla glisser dans le petit lit où l’enfant d’un autre dormait aussi sereinement d’un petit ange assoupi.

Et la ronde reprit plusieurs nuits de suite. Plusieurs fois, la mère suivi le voisin pour quelques promenades. Elles avaient une autre saveur parce qu’elle craignait toujours de tomber nez à nez avec une de ces femmes à qui il offrait ses services ; mais rien de la sorte ne se produisit. Prévenant et protecteur, l’homme emmenait aussi plus souvent l’enfant sur les toits, ce qui accordait un peu de repos à l’érudite qui travaillait tantôt pout la comtesse aux fleurs ou qui préparaient un repas qu’ils partageaient ensemble. Pour la plupart, c’était le tendre voisin qui offrait les victuailles et le garçon de la jeune femme tomba moins malade le mois qui suivit. Elle aussi, elle commençait à paraître un rien moins décharné. Ses hanches paraissaient moins creuses, sa colonne moins à vif et son teint moins hâve.

Elle avait toujours fort à faire et beaucoup à penser, mais les attentions de ce protecteur au grand cœur lui permettaient de retrouver un équilibre. De prendre une grande respiration qu’elle n’avait pas eu le temps de prendre depuis la naissance du petit, la fuite vers Marbrume et toutes les odieuses péripéties qui avaient suivies. Enfin, elle n’était plus seule. Enfin, elle pouvait accorder un peu sa confiance. Pas parce qu’il avait un beau sourire et des gestes tendre, mais parce qu’il était consciencieux et bon dans son fond.

Et puis, les choses eurent à évoluer vite parce que la chance est une femme volage : elle ne se capture point longtemps dans des draps de soie.

En plein milieu d’une nuit anonyme et sans histoire, il y eu un craquement. Un bruit énorme. Comme un millier d’os qui se cassent en même temps. Un chêne fendu en deux et emporté dans une tempêtes de pierres qui ricochent. Par reflexe, la mère avait attrapé l’enfant et ils avaient roulé ensemble sous le lit pour se protéger. Le garçon pleurait mais, une fois le silence revenu, l’érudite sécha ses larmes. Les choses avaient un peu tremblé par ici, mais, visiblement, aucun dégât n’était à prévoir. Alors, le cœur de la jeune femme fit un bond. Du mieux qu’elle put elle rassura l’enfant et le recoucha en lui assurant qu’il n’y avait rien de grave. Que c’était dans la rue.

Et, très honnêtement, elle aurait préféré que ça le soit. Dès qu’elle put, sans même prendre le temps de se couvrir ou renfiler son corset, elle accourut chez le voisin. L’homme ne laissait plus la porte de chez lui fermée et elle le trouva, là, au milieu de son chez lui recouvert de poussières. Des toiles et des morceaux de charpentes venaient de s’écrouter. La toiture ouverte bavait toutes ses échardes et sa poudre de granite au milieu de la pièce endormie. Un morceau de poutre avait atterri juste à côté du lit où l’homme devait dormir l’instant d’avant. Maintenant, il fixait les étoiles et la lune d’un air benêt.

Grayle ? elle appela.

Tout penaud, à peine sorti du sommeil, il tourna la tête vers elle, comme plongé dans un étrange rêve. Il ne la voyait pas vraiment et le brin maigrelet de femme le tira par le bras pour qu’il ne reste pas sous le trou. Il n’y avait rien à faire.

Grayle, ne reste pas là !

Elle l’enlaça tendrement et le guida vers le pallier en lançant un dernier regard inquiet à la toiture. Il n’allait pas pleuvoir et, en jugeant rapidement l’ampleur des dégâts, ils devaient être les deux seuls à avoir entendu le vacarme : les bâtisseurs n’arriveraient que le lendemain. En attendant, elle ne pouvait pas décemment le laisser là, au milieu des décombres alors, tendrement, elle le guida chez elle pendant qu’il avait encore un peu la tête dans la lune.

Honnêtement, il n’y avait rien à faire et les nerfs exténués de la lettrée jaugèrent très vite la situation.

Viens te recoucher, elle murmura tout bas. Viens.

Chez elle, le lit était minuscule. Et il y avait déjà l’enfant à l’intérieur. Mais en se serrant tous les un contre les autres, ça passerait peut-être. Alors elle passa la première, enlaçant l’enfant et, laissant de la place sous la couverture, elle attendit que l’homme les rejoigne. S’il se serrait tout contre elle, il pourrait écrouler sa tête sur le même bout d’oreiller.

Il n’y avait guère assez de place dans cette chambre de bonne pour trois mais la jeune femme n’avait guère mieux à lui offrir. Et ça serait la première nuit qu’elle dormirait dans ses bras.
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GrayleGarçon de passe
Grayle



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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyJeu 18 Juil 2019 - 2:14
- Gné ?

Ce fut la réponse la plus intelligente qui vint à l'esprit de Grayle lorsque sa voisine fit irruption dans sa chambre. Il la fixait avec un regard dénué d'intelligence, encore sonné par ce qui venait de se passer. Docile tel un ruminant, il la laissa le tirer par le bras, répondant à ses inquiétudes.

- Zog.

En temps normal, le jeune homme l'aurait probablement détaillée du regard, ne l'ayant jamais vu ainsi, ou aurait lancé une petite remarque afin de la titiller un peu, mais il semblait encore trop dans la lune pour ce faire. Son esprit revenant peu à peu, il répondit toutefois à son accolade, la prenant dans ses bras, mais sans l'affection ou la chaleur typique qui caractérisait chacun de ses gestes envers elle.

- Lou... Louise ?

Que s'était-il passé ?

Comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, et pas vraiment en état de discuter ou de protester, il la laissa la mener chez lui. Et l'inviter à dormir avec elle ? Il cligna des yeux, l'air encore un peu ahuri. L'enfant, réveillé et silencieux comme une tombe, le regardait, son beau regard tranchant avec son repoussant visage. Il regardait Grayle avec curiosité, un peu de crainte, et... une sorte d'émotion que seul un enfant voyant un homme s'approcher de sa mère pouvait avoir.

Louise ne semblait pas plus en état de discuter que lui, puisque, soulevant les couvertures, elle se glissa sous le lit. La situation redevint clair pour le prostitué, qui se souvint de tout. Le toit qui s'effondre, le choc sur la tête, Louise venant dans sa chambre et...

* C'est pas vrai, pourquoi est ce que j'ai dit "Zog" ?! *

A travers l'obscurité de la pièce et ces deux pairs d'yeux fixées sur lui, il ne se sentait pas en mesure de résister ou protester. Ni même de se réjouir. Ses yeux clairs coulaient sur la silhouette de la femme, sous la couverture.

Il aurait aimé être juste avec elle...

- Oui...

Il s'avanca vers eux, et, faisant de son mieux pour ne pas croiser le regard du petit, passa au dessus de la mère et de l'enfant, avant de se faufiler sous les draps. Le lit était glacial, tiède au mieux. Petit aussi. Enfin, plus grand que le sien. Mais a trois, on était serré.

Très serré...

Il sentit la gêne de la jeune femme lorsqu'il se retrouva derrière elle. Le corps du jeune homme était brûlant. Il était presque nu aussi, ne portant qu'un simple pagne. Il aurait aimé qu'elle le voit ainsi dans d'autres circonstances... pas au milieu de la nuit, fatigués... et disant "zog".

Par pudeur, par honte presque, il avait calé ses deux bras entre eux, séparant les deux corps de tout contact. Il resta ainsi, pendant une bonne minute, avant de se traiter d'idiot.

Un homme et une femme qui s'aiment ne devraient pas se limiter ainsi.

Aussi, il se rapprocha d'elle. Ses jambes se enlacèrent les sienne, son torse musclé se plaqua contre ce dos maigrelet, et il sentit un petit sursaut chez elle, lorsqu'elle put sentir la vigueur dure et brûlante du mâle excité contre elle. Plus petite et fine que lui, elle se retrouva englobée par le gabarit de l'homme. Lentement, son bras droit caressa avec tendresse le corps de l'érudite, qui ne pouvait pas lui échapper. Puis, il s'allongea, se déploya jusqu'à dépasser l'enfant, un bras protecteur dressé entre eux et le reste du monde. L'autre se glissa entre le cou de la demoiselle et le lit, la main finissant juste devant le visage.

Sa respiration s'écrasait contre la nuque de la veuve, faisant voleter ses cheveux. Elle sentait bon. Il aimait son odeur. Il se colla un peu plus contre elle. Oh, quelle épreuve, de faire preuve de retenue ici... il n'avait jamais dormi avec une femme. Chaque fois qu'il partageait une couche avec une d'entre elle, c'était pour faire l'amour. Et là, il était en plus avec un enfant, et il devait simplement dormir ?

- Bonne nuit dit-il en essayant de se convaincre lui même qu'il allait réussir à s'endormir, s'exprimant d'une voix mielleuse, assez forte pour qu'il s'adresse aussi à l'enfant. Et, se redressant, il embrassa son aimée, dans le cou. Puis la joue, jusqu'à atteindre ces lèvres pincées, soucieuses, sèches souvent, qu'il avait tant et pas assez embrassé.

Il n'avait plus mal à la tête.
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MessageSujet: Re: Renaître de ses cendres [Grayle]   Renaître de ses cendres [Grayle] - Page 3 EmptyLun 29 Juil 2019 - 18:06
Le voisin tomba dans le lit avec la lassitude des gens qu’on a tiré des bras du sommeil injustement. Trop tôt et sans raison. Avec une certaine crispation ajoutée par l’impossibilité de se rendormir dans son propre chez lui. En perte de retard, la cervelle de l’homme fonctionnait alors à contre sens. Il erra hagard jusqu’au lit minuscule où on lui fit une place. Juste assez de quoi se coucher sur le flanc. Contre la femme qu’il tenait comme sienne. Difficile d’analyser la situation.

Malgré son réveil tout aussi en sursaut, l’érudite avait, elle, le privilège de se rendormir dans ses propres draps. A trois, tout devenait simplement plus exigu. Alors, elle se lovait davantage contre l’enfant qui n’avait même pas laissé tressauté une paupière, trop habitué à ne point rompre ses rêves pour un bruit de l’extérieur ; un de ces cris, un de ces pleurs que gémissait Marbrume en continu.

Quand l’homme s’allongea dans son dos, quand elle sentit son torse contre ses vertèbres rachitiques, quand son souffle s’écraser dans ses cheveux, descendre le long de sa nuque et son désir pointer contre ses cuisses, un frisson étrange la parcourut. Un mélange fait de surprise, de gêne et de braverie. Voilà une demi-éternité qu’aucun homme n’avait partagé sa couche. Alors, elle en avait oublié toutes les sensations. Cette façon tendre et gauche de l’enlacer après une hésitation, son souffle qui s’écrasait contre sa nuque et, de la même façon qu’elle tenait l’enfant pour lui offrir la tendresse des bras maternels, il partageait une protection rassurante. Un endroit où elle se sentait un peu moins vacillante. Et, pour la première fois depuis longtemps, elle eut une impression douillette. Celle qu’on a quand on rentre à la maison.

Parce que, parfois, une maison, ce n’est pas un toit et quatre murs. Même à la belle étoile, elle se serait sentie enrobée par un leurre d’invincibilité doucereuse.

Des souvenirs d’autrefois revinrent parce qu’il y avait trop de choses qu’elle avait déjà vécues et qu’elle n’aurait pu oublier. Car l’esprit est fait de cette matière étrange onirique et désobéissante : la mémoire a des failles quand elle peut se montrer utiles et les souvenirs sont des épingles qui savent piquer le cœur pour le blesser cruellement. Pendant un instant, alors qu’il glissait son bras sous son crâne, la jeune mère laissa les images remonter, affluer par vagues entières et rouler sous ses yeux clos.

Dans ses bras, l’enfant s’emmitoufla davantage. Elle vint chercher la main au bout du bras de l’homme pour entrelacer ses phalanges avec les siennes avec la même douceur dont il avait usé pour entortiller leurs jambes ensemble. Du bout du doigt, elle caressait la peau fine du poignet comme elle l’avait tant de fois fait avec l’enfant pour le guider vers une douce nuit de rêve.

Un « bonne nuit ». Un baiser. Un accord pour rester. Une délicatesse inestimable.

Comme lui, elle mit un temps infini à glisser à nouveau dans un sommeil de plomb. Il y avait ce désir pour elle toujours écrasé sur ses cuisses et qui faisait poindre le sien inopinément. Epuisée, elle préféra se concentrer sur la respiration de son fils qui ne s’était pas du tout réveillé pour plonger à son tour dans cette douce torpeur. Les bras de l’homme, ainsi noués autours de son corps malade, la retenaient de plonger vers un énième cauchemar.

Les couvreurs mirent un temps incroyable à remplacer et reconstruire la charpente écroulée et qui partait en charpie. L’érudite en avait tellement la peur au ventre qu’elle perdit du temps à calculer les risques qu’ils avaient à dormir encore dans cette pièce. Elle déplaça le lit pour qu’il se tienne sous une des plus grosses poutres. Pendant tout le temps des réparations, le voisin rejoint sa voisine maudite et ils vécurent ainsi dans cet espace minuscule. Cela dit, ils étaient tous heureux de se retrouver ici, où chacun en la présence des autre retrouvait un peu une joie de vivre oubliée sur leurs routes respectives.

Aucun ne se doutait qu’un espace aussi minuscule paraitrait aussi immense après la disparition de l’un d’entre eux.
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