[Terminé] Bal Hivernal - ouvert à tous et toutes

Hector eut du mal à laisser filer la rousse. Elle était charmante et le cœur qu'elle mettait à rentrer dans le jeu du baron lui plaisait au plus haut point.

- Ce verre vous sauve la face ma petite dame ! Répondit Hector. Pour cette fois !

Lorsque le frère de la tenancière arriva, Hector lui demanda quelques explications au sujet du concours de boisson. A Sombrebois, l'on ne buvait que du vin ou de l'eau-de-vie alors les mélanges, le baron serait bien incapable d'en faire un appréciable...

- Bien sûr que je participe ! Nous autres, sorcières, mélangeons moult ingrédients toutes les nuits et depuis la nuit des temps... alors prévenez les autres concurrents qu'ils n'ont aucune chance, commença-t-il d'une horrible voix nasillarde, et souhaitez bon courage à qui devra juger de la saveur de ma mixture ! Ha ha ha ha ha aaaah !

Lorsque la sœur revint avec le vin chaud, Hector la remercia et en but une gorgée sans attendre.

- Pas mal ma ptite dame ! Pas mal ! Mais ma cape n'est point déguisement ! Continua-t-il de sa voix chevrotante tout en fronçant les sourcils.

Un instant plus tard, le frère de la rousse l'emmenait - à contre-cœur semblait-il - sur la piste. Hector, lui, s'en fichait bien. Si la disparition de sa bien aimée était actée, son cœur était encore "pris" - autant, du moins, qu'il pouvait l'être...

- Vous dansez vraiment bien, mon garçon ! Fit la sorcière en s'approchant un peu plus du frangin qui semblait pour le moins gêné ! Si gêné, d'ailleurs, que la première chanson à peine finit, il guida la sorcière vers l'interlocuteur de la patronne. Il s'agissait d'un autre homme... un homme au masque et aux vêtements luxueux, un noble de toute évidence. Voilà qui n'était guère amusant pour le baron. Il connaissait la noblesse de Marbrume et savait que pour la noce, à de rares exceptions, elle était plutôt du genre... guindée. Mais puisque le destin l'avait mené dans les bras d'un membre de sa caste, il ne fit point d'esclandre et continua de jouer son rôle :

- Oh que monsieur est plaisant ! Ces yeux, ce parfum... je crois que je vais vous transformer en statue et vous ramener en ma forêt !

Hector entama quelques pas de danse, courbant son dos pour mieux jouer son rôle.
- Et qu'il danse bien ! Je vais rougir ! Ajouta-t-il en baissant légèrement la tête.

Il attendit alors la fin de la danse, jetant quelques regards discrets aux personnes présentes. Il lui sembla en reconnaître quelques unes...

La remarque fort éclairée de la maitresse des lieux m'arracha un sourire amusé. En effet, une fois dans la grande rue des Hytres il n'y avait qu'à faire quelques pas pour se retrouver assis sur un tabouret une coupe de vin chaud dans une main et de quoi se sustenter dans l'autre. Mais, tout établissement n'avait pas le cachet de celui-ci. La Choppe sucrée était de l'avis général populaire comme noble la meilleure taverne de la cité. Je le fis donc naturellement remarquer à la tenancière aux cheveux de feu sans me départir de mon sourire. En effet, mais pour trouver le meilleur il faut visiblement ètre attiré par votre inaltérable beauté comme un papillon fasciné par la lumière. Tournant la tète dans la direction de son frère, je sentis mon sourire s'élargir devant le spectacle incongru et hilarant de cette voluptueuse dualité de piste. 


Je ne savais alors pas que je trouverais la situation un brin moins cocasse dans quelques instants et que mon escorte chevaleresque ne manquerait pas de me tanner avec cet évènement durant des jours et des jours. Un modeste rire rauque et franc s'échappa de mes lèvres closes alors que je contemplais le frère de la gérante valser avec son ou sa cavalière. Il n'a guère l'air de gouter à l'ivresse de la danse. Sa partenaire est pourtant très douée...La danse en question s'acheva finalement bien trop tot tant elle était un régal pour les yeux. Je fis mine de ne pas remarquer le regard en coin échangé entre les deux membres de la fratrie lorsque ce dernier revint auprès de nous avec une moue toujours aussi teintée de déplaisir. Le gredin alla jusqu'à déposer courtoisement la paume de la gente sorcière dans ma paume. Je le défiais du regard quelques instants comme pour le dissuader de perdurer dans cette voie mais en vain. Le masque devant masquer une bonne part de ma moue la plus agressive. 


Le frangin déclara d'un ton plein de morgue et un brin moqueur que sa belle souhaitait une autre danse. A dire vrai, c'était un soir de fète et mon sens de l'humour était parfaitement capable de s'accoutumer d'une telle plaisanterie. Je m'inquiétais plutot pour les grivoiseries que ser Francis ne manquerait pas de me pondre. Mais, mon acolyte de toujours savait que je trouverais un moyen de me venger de lui. Un regard vers la sublime rousse gérant les lieux m'indiqua bien son hilarité contenue. Eh bien j'ai coutume de dire que ce qu'une dame souhaite d'un gentilhomme elle l'obtient. Ce serait un honneur. Puis, me tournant vers l'homme déguisé en sorcière je portais une main au coeur devant son compliment en arborant un sourire canaille. Gageant qu'aucun membre de la petite troupe et surtout pas mon entourage ne s'était attendu à ce que je prenne la cocasserie avec un tel flegme. Rapprochant la paume masculine de mes lèvres je déposais dessus un léger baiser avant de relever la tète. Madame me fait bien trop d'honneur. Qu'elle soit prompte car face à une telle beauté renversante je pourrais bien plutot l'emmener en ma demeure. 


Avant de me laisser entrainer sur la piste par ma cavalière, je reportais mon attention sur Estelle et capta tant le clin d'oeil pétillant que la promesse de la coupe de vin aussi je suivais finalement la sorcière des bois tandis que mes hommes et gardes du corps laissaient éclater leur hilarité. A l'issue d'une valse mené avec brio des deux cotés me prouvant que l'homme masqué s'y connaissait autant en danse que moi ce qui prouvait soit une existence de saltimbanque soit une ascendance bourgeoise voire noble, je laissais un rire amusé franchir mes lèvres. Madame excelle elle aussi. Ne sommes nous pas le couple de la soirée ? La danse toucha enfin à sa fin et je me séparais courtoisement de ma cavalière. 


M'inclinant devant mon partenaire de danse, je dus réprimer l'envie de balancer quelque chose à la face de mon escorte déchainée perdue entre sifflements et applaudissements féroces. Je vous remercie bien bas pour ce moment mémorable sorcière. Je m'excuse de prendre congé mais mon gosier m'appelle au bar. Mais ne vous en faites pas l'un de mes hommes sera ravi d'offrir une délicieuse boisson à une si charmante personne. Ser Francis soupira et leva les yeux au ciel mais retrouva vite un sourire sous son masque. C'était de bonne guerre. Pour ma part, je m'approchais de la table de la tenancière d'un pas nonchalant. Je participe ! Et vous me devez toujours un verre de vin chaud ma chère. Mais quel est donc le grand prix de ce concours ?

Hector fut heureux de voir que le noble derrière le masque d'or n'était pas "coincé" et qu'il se prenait au jeu avec bon cœur.

- C'est trop d'honneur que vous me faîtes là jeune homme ! Fit-il d'une étonnante voix de crécelle.

Quelques pas de danse, d'autres compliments sous les regards pour le moins amusés de la suite du noble et Hector ajouta, cette fois sans jouer :

- Le couple de la soirée, oui sans nul doute, mais, s'il vous plait, avant que je ne retourne en ma forêt, pourrais-je connaitre votre nom, vous m'êtes bien aimable ?

Ça changeait des Terresang, des Ventfroid, des Brasey...

Eut-il le temps et l'envie de lui révéler son noble patronyme ? la maîtresse de cérémonie invita les concurrents au jeu de création alcoolique. Et Hector, à l'annonce des noms, ne put que sentir son cœur accélérer la cadence. Lyanna et Gisèle, deux prénoms qu'il connaissait bien. Etait-ce possible ? Il s'approcha du comptoir et laissa exploser sa joie !

- Mesdemoiselles !

Avec l'une il avait partagé un rêve, avec l'autre un mystère. Leur offrant une forte accolade, Lyanna dans son bras gauche et Gisèle dans son droit, il les porta contre son poitrail. Nul doute qu'il serait démasqué... même avec son maquillage et sans sa barbe. Il n'avait pas eu le talent de grimer sa voix ni son sourire. Rares étaient les moments où il rencontrait d'amicales connaissances.

Desserrant l'éreinte, il fit un pas en arrière, ne sachant pas vraiment par qui commencer. De nombreuses questions lui venaient en tête... mais il allait tout de même laisser ces gentes dames lui répondre et, qui sait, lui faire part de l'heureuse surprise que constituait pour elles aussi - peut-être !? - cette nouvelle rencontre.

Lyanna la regarda d’un air surpris lorsqu’elle révéla qu’elle travaillait dans une taverne. Était-ce si étonnant ? Elle travaillait là-bas depuis si longtemps, elle en oubliait parfois que ce n’était pas écrit sur son front. Elle voulut lui demander pourquoi elle semblait si surprise, mais se ravisa. Elle n’avait pas tellement envie de parler d’elle-même et elle avait l’étrange impression qu’il en était de même pour son interlocutrice. Elles n’avaient de toute façon pas besoin de connaître leurs plus terribles secrets pour partager un moment amusant ensemble.

« Tant mieux, je suis davantage créative que consommatrice, répondit-elle, une lueur amusée venant pétiller dans son regard. Faut croire qu’on se complète ! »

Vivant dans une taverne où l’on trouvait bien plus facilement du vin que de l’eau, Gisèle n’était pourtant pas une grande amatrice d’alcool. Elle en appréciait peu les sensations : elle avait vécu suffisamment longtemps à la taverne pour se rendre compte que, sous les effets de l’alcool, les gens ne se montraient pas sous leur meilleur jour. Ce soir aussi elle comptait se modérer, mais cela ne signifiait pas qu’elle se priverait de participer au concours : on leur demandait de mélanger, pas de tout boire.

Les deux femmes se précipitèrent vers les tables où se déroulait le concours. Les clients curieux s’étaient approchés de la tenancière qui annonçait les concurrents. Lyanna et Gisèle feraient donc équipe avec la sorcière, et affronteraient deux hommes qu’elle ne reconnaissait pas. La brune et la rousse s’étaient déjà installées derrière leur table et commençaient à se familiariser avec leur plan de travail. Dès que la tenancière eut terminé son annonce, elles furent rejointes par l’imposante sorcière, qui était de toute évidence un homme. Un homme dont le visage lui était familier d’ailleurs…

« Mesdemoiselles ! »

Ce ton enjoué, ce grand sourire et cette franche accolade : il n’était finalement pas si difficile de reconnaître le baron de Sombrebois, même sous cette perruque et ce maquillage. Gisèle affichait également un grand sourire, heureuse de retrouver un visage amical. C’était un client de l’Effeuill’Âge certes, et tout juste un peu plus tôt elle en avait fui un autre, mais la différence était que la compagnie d’Hector lui était agréable. Le respect avec lequel il avait traité Astrid et elle-même lors de leur soirée à l’Effeuill’Âge l’avait marqué : elle gardait une très bonne impression du baron.

« Baron ! s’exclama-t-elle en le reconnaissant, son ton révélant un réel plaisir de le revoir. Je m’attendais pas à vous voir ici ! Pas avec une telle couche de maquillage en tout cas, je ne vous ai presque pas reconnu ! »

Elle était surprise de voir qu’Hector et Lyanna se connaissaient également. L’homme étant un habitué des bordels, elle se demandait si la jeune femme ne l’avait pas rencontré dans des circonstances similaires… Cependant elle se garda bien de poser des questions sur leur lien, elle ne souhaitait pas mettre Lyanna dans une position inconfortable : elle-même n’avait pas très envie de s’étendre sur sa profession, elle comprenait si Lyanna n’avait pas envie d’en parler elle non plus.

Les bouteilles furent rapidement posées sur les tables des concurrents. La variété d’alcools était impressionnante, et Gisèle devait admettre qu’elle n’en connaissait pas la plupart. Entre le vin coupé à l’eau et le tord-boyaux dégueulasse du vieux Claudin, il n’y avait pas énormément de choix dans la taverne où elle travaillait : seule la bière était buvable.

« Alors, par quoi commence-t-on? Je me dévoue comme votre assistante ! »

« Je propose qu’on commence par goûter un peu de tout, puis on garde le meilleur, dit-elle en tendant une bouteille à chacun de ses coéquipiers. Et j’ai dit seulement goûter, y a pas besoin de terminer la bouteille pour dire si c’est bon ou pas, » ajouta-t-elle, un sourire amusé se dessinant sur ses lèvres.

Après avoir applaudit l'inscription plutôt remarquée du jeune homme aux fleurs, Hermine le pria de bien vouloir l'excuser car la musique devenait entraînante et ses jambes avaient besoin de se dégourdir. Entraînant son frère sur la piste de danse pour quelques pas sautillants, ils virevoltèrent ensemble tandis que les appels aux inscriptions retentissaient, incitant d'autres personnes à participer. C'était une excuse tentante pour s'alcooliser à moindre frais, cependant le duo de roublards s'était promis de se tenir aussi sage que possible, ce qui n'était pas compatible trop de liqueur dans le sang.

Lorsqu'elle quitta la piste de danse à la recherche de quelque chose à manger et libérant son frère pour qu'il puisse aller roucouler auprès d'une jolie demoiselle, Hermine croisa un bien étrange couple barbu prêt à mettre le feu aux planches. Voilà qui n'était pas banal ! Mais c'était exactement pour cela qu'elle était venue ce soir. Toute cette joie, toute cette musique, les costumes et les masques, les rires et les voix qui se hélaient les unes les autres, voilà ce qui lui manquait le plus dans son quotidien. Il était douloureux de se rappeler qu'il y avait peu encore, elle partageait la même joie qui animait tout le monde ce soir avec une famille qui ne manquait de rien. Les choses avaient changé si vite qu'elle avait encore parfois l'impression d'être déboussolée. Certaines nuits elle craignait même que ce changement ne soit permanent et s'imaginait vieillir entre les murs de la cité, ce qui lui donnait des sueurs froides. Pourvu que plus de bals comme celui-là fleurissent en ville.


Débout non loin du buffet pour lequel elle avait consentis, avec moult grincements de dents, à débourser de quoi prendre une part de tarte, la drôlesse ne manqua pas de remarquer l'attitude agitée d'un convive. Le bonhomme au masque de loup avait cet air coupable qui désigne les honnêtes gens en train de commettre un forfait : les épaules un peu voûtées, le regard bondissant de droite à gauche et des gestes malhabiles se voulant discrets. Il sursauta même lorsque la voix de la patronne des lieux retentit une nouvelle fois et fila sans demander son reste, laissant tomber quelque chose au sol. Curieuse de nature, Hermine se fraya un passage jusqu'à l'endroit où il se trouvait et n'eut qu'à poser les yeux sur le pain à terre pour comprendre qu'il y avait parmi les convives un affamé qui avait essayé de profiter de la situation.
Il existait un genre de code entre de voleur qui voulait qu'on ne désigna pas un compère si ce dernier ne convoitait pas le même butin que soit. L'acrobate ne convoitait pas la nourriture présente, cependant elle savait pertinemment qu'elle n'avait pas affaire à un vrai voleur, juste à un homme un peu trop émacié. Que faire ?

Se faufilant comme une souris parmi les convives qui se rassemblaient désormais pour participer ou assister au concours de boisson, elle remonta tant bien que mal la trace du masque de Loup en mordant avec appétit dans le pain qu'elle avait ramassé. Pourquoi gâcher de la bonne nourriture alors qu'elle se faisait si rare ? Ses papilles en étaient toutes retournées, ce n'était pas tous les jours qu'elle pouvait plaisir à son estomac. Lorsqu'elle arriva enfin à sa hauteur, sa main trouva tout naturellement le chemin pour se mettre au bras de l'inconnu à qui elle adressa un regard pétillant de malice.

— Alors, messire loup, on tente de regagner sa tanière avec son butin ou est-ce que vous attendez simplement que les regards se détournent du buffet pour y rafler un deuxième service ?

S'amusant innocemment du léger flottement entre eux qu'avait instauré sa question, elle prit rapidement les devants pour rassurer le voleur en herbe.

— Ne vous effrayez pas, je dois être la seule à vous avoir remarqué. Et puisque j'ai pu picorer les restes, je me tiendrai coîte ! Elle lui adresse un clin d’œil et lui libéra le bras. Mais laissez-moi vous dire qu'avec vos talents discutables pour la discrétion, vous risquez d'avoir quelques problèmes pour sortir d'ici avec le magot.

Allons bon, voilà qu'elle se mettait à donner des conseils pour la rapine ?

Ulysse de Sombreval avais-je tout juste eu le temps de souffler à ma superbe cavalière improvisée avant de rejoindre la tenancière debout sur son tabouret. La danse m'avait quelque peu fatigué par le bon coeur que j'y avais mis. Quitte à rire de soi-mème autant ne pas le faire avec demi mesure et je pensais avoir plus que prouvé que l'auto dérision ne m'était nullement odieuse. Nous avions du offrir un bon moment de cocasserie à l'ensemble de la taverne à ne point douter cependant je ne regrettais rien. En dépit des futurs plaisanteries de mes hommes présents dont l'hilarité avait cédée la place à la mesure suite à la séverité de mon regard bien que je pensais que les crampes de machoire devaient avoir plus de mérite que moi à ce niveau ainsi que de celles des camarades qui entendraient ce récit des milliers de fois à la caserne je savais que lorsque je repenserais à ce moment incongru un franc sourire amusé se peindrait sur mes lippes. Que diable ! Je pouvais mourir demain si une opération m'appellait à l'extérieur de Marbrume et que la fange prélevait enfin son du en vainquant ma témérité chargée d'adrénaline m'envoyant ainsi rejoindre celle qui hantait mes nuits et le ferais certainement à jamais. Ce qui ne serait probablement que justice. Fin que j'acceuillerais à bras ouverts le moment venu mais l'instant n'était nullement à la mélancolie ou la tristesse mais bien la réjouissance et l'esprit festif. Et en cet instant précis, je comptais bien récupérer cette coupe de vin chaud dont avait parlée l'habile et chaleureuse aubergiste. La jeune femme tint parole et se retourna avant de saisir une coupe sur un plateau qu'elle me tendit dans la foulée. Je saisissais la coupe avec douceur avant de répondre. Et c'est tout à votre honneur. Je vous remercie bien bas. Cette danse a aiguisée ma soif. Rejoint par mes hommes, je portais la coupe à mes lèvres et en savourais le contenu tout en écoutant la présentation de la jeune femme. Ces derniers s'étaient entre temps également servis en rafraichissements et nous écoutames les règles avec attention. Un sourire amusé étira mes lippes lors de la présentation de l'équipe féminine. Ainsi ma cavalière se trouverait dans l'autre camp. Quel dommage. L'un de mes hommes imita le hurlement du loup suite à la remarque de la propriétaire. Nous verrons bien. Il s'agit d'une meute bien modeste. Me tournant vers mon partenaire de concours, je lancais d'une voix chaleureuse. Enchanté monsieur. Ulysse de Sombreval. Je n'aurais jamais cru que mon amour de la boisson serait un jour qualifiable d'utile. Cette table ci m'a l'air parfaite. Concluais-je. Aucune pour ma part. Répondais-je à la belle rousse lorsqu'elle passa de nouveau dans les rangs pour s'assurer que tout le monde eut compris les modalités.

Ces retrouvailles étaient chaleureuses.

- Je préfère parfois me montrer... incognito ! Voilà pourquoi vous me découvrez ainsi sous un tout autre jour ! Vous semblez aller bien et j'en suis ravi ! J'espère que nous aurons le temps d'échanger un peu après ce jeu...

Hector, tout à sa joie, ne se rendait pas compte que les deux demoiselles pouvaient avoir des choses à cachées... et non des moindres ! Enfin il n'était pas spécialement là pour "parler boulot". Il verrait bien comment les langues se délieraient...

Il approuva du chef la décision de Gisèle de goûter chaque alcool. Il avait une bonne résistance à ce genre d'activité et, l'une après l'autre, goûta chaque bouteille, à la suite de Lyanna, en tentant d'en deviner la nature :
- Liqueur de mûres, pas terrible. Liqueur de miel, intéressante.

Quant à la troisième bouteille, Lyanna la réservait à Gisèle. Mmmh. Alors, pendant que cette dernière goûtait, Hector s'approcha des cinq petites fioles bien alignées qui étaient restées inviolées sur leur table.
- Vin de sauge, mmmbof. Vin... d’anis, faut aimer... . Ça... diantre ! je n'en ai aucune idée... mais c'est plutôt bon ! Et cette dernière... Mmmh de l'hypocras ! J'adore ! Bien épicé, parfait !

Il tendit la mystérieuse petite bouteille à Lyanna.
- Auriez-vous une idée de ce que c'est ? De ce que ça peut contenir ?

Hector prit un verre et, en attendant les avis de ses consœurs, mélangea hypocras avec la liqueur de mûre et la liqueur de miel. Il espérait que le fruit donne un peu de "couleur" aux épices, et que son acidité légèrement atténuée par la douceur du miel. Il trempa ses lèvres dans le mélange.
- Trop sucré cette fois !
C'en était presque un peu écœurant. Il ajouta encore un peu de mûre et, assez satisfait du résultat approcha le verre de ses amies.

- Goûtez donc... Je pense qu'on peut encore l'améliorer mais je ne sais point trop comment !

Bien qu’elle invitât ses coéquipiers à goûter les alcools, Gisèle ne posa ses lèvres sur le goulot d’aucune bouteille. Elle observait la couleur des liquides, s’osait parfois à les sentir, mais pas plus. Elle ne put s’empêcher de rire lorsqu’elle vit la grimace de Lyanna, qui venait tout juste de goûter la boisson qu’elle lui avait tendu. La rouquine l’éloigna d’elle et s’empara d’une autre bouteille pour se débarrasser du goût de ce terrible breuvage. Par curiosité, Gisèle approcha son nez de la bouteille que sa coéquipière venait de boire. Par les trois, que c’était fort ! Cette seule odeur avait la capacité de faire tourner la tête aux moins habitués. La brune la reposa très vite, l’odeur lui rappelant certains des alcools de Claudin : ceux qu’il s’enfilait quand il ne pouvait pas dormir.

« Vous aussi, ma belle ! Il n'y a pas de raison que Hec... notre amie ici présente... et moi-même soyons les seuls à prendre des risques ! »

Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de Gisèle, même si elle montrait tout de même une certaine hésitation. Elle tenait très mal l’alcool : déjà le vin chaud lui montait à la tête, et l’odeur de la bouteille qu’elle venait de lui tendre ne lui disait rien qui vaille. Malgré tout, elle saisit la bouteille qu’elle lui tendit, non sans observer le liquide avec une certaine perplexité. C’était la première fois qu’elle voyait cet alcool, épais et d’un marron très foncé. L’odeur lui rappelait ces mixtures que la vieille Gerberte (l’herboriste de son quartier) préparait pour soigner les rhumes. La brune prit son courage à deux mains et en avala une gorgée. Un goût de plantes saisit son palais, d’abord agréable, puis dès que le liquide traversa sa gorge, celle-ci lui donna l’impression d’être en feu. Tout comme Lyanna quelques instants auparavant, elle fut secouée d’une forte toux, sans pouvoir arrêter la désagréable sensation dans son œsophage.

« Vite, quelque chose de doux… » parvint-elle à articuler entre deux quintes de toux.

Peu importait la boisson qu’on lui tendit, l’atroce sensation dans sa gorge ne passa pas. Elle grimaçait encore un peu, mais avait retrouvé un demi-sourire malgré tout en se tournant vers Lyanna, qui était celle qui lui avait proposé de goûter cette bouteille :

« C’est pour vous venger que vous m’avez fait goûter cette horreur, avouez-le ! » dit-elle sans pour autant qu’il n’y ait le moindre reproche dans sa voix. Elle était même plutôt amusée de la situation, maintenant que le pire était passé.

Hector de son côté était plus productif qu’elles : il avait déjà commencé à effectuer quelques mélanges, et semblait connaître la plupart des alcools qui leurs étaient exposés. De tout évidence Il prenait son rôle de mixologue très à cœur. Une fois qu’il eut terminé, il leur tendit un verre de son propre mélange. Gisèle fut la première à goûter, et elle devait avouer que c’était plutôt réussi. C’était doux, les arômes se mariaient parfaitement, il n’y avait vraiment rien à redire. Quoique…

« Mmm… C’est vraiment délicieux ! Je vois pas ce qui peut être amélioré… Elle réfléchit un instant, sentant qu’il manquait peut-être un petit quelque chose. C’est assez sucré, et si on rajoutait encore un peu d’acidité pour équilibrer ? Un peu de citron devrait faire l’affaire, qu’est ce que vous en pensez ? »

Au contact soudain et inattendu de la jeune inconnue, Ascelin se retint de hurler. Le coeur du vieux domestique bondit dans sa poitrine. Il sentit alors des fourmis dans les jambes et des crampes dans l’estomac. Ses mains rachitiques et sèches se crispèrent convulsivement et n’eut qu’une seule et unique pensée : fuir au plus vite. A cela succéda une angoisse profonde, irréprimable. S’il venait à se faire attraper, si quelqu’un ici le dénonçait à la milice, il devrait affronter les fers, la prison, la pendaison, et cela, sans ne jamais revoir, au moins une dernière fois, le doux visage de son épouse. Ce dénouement tragique, à une vie parsemée d’aventures, de tourments et d’étonnements, le terrifia.

- Je n’ai pas besoin de vos conseils pour sortir d’ici, gamine, marmona le vieil homme.

Cette jeune farceuse avait tout au plus une vingtaine d’années, si ce n’est pas moins. Elle était plutôt petite, menue, et avait de longs cheveux noirs qui frisaient jusqu’au pointes, à coup sûre à cause de la météo peu clémente de ces dernières semaines. Et surtout, elle avait ce genre de caractère joyeux et outrecuidant, qui donnait à Ascelin une irrésistible envie de lui flanquer un coup de poing dans la figure. Ce qu’il aurait gracieusement fait, pour lui avoir caus” l’une des plus terribles frayeurs de sa vie, si elle ne lui avait pas semblé être ici la seule porte de sortie de cet établissement.

- Vous êtes une petite fouineuse qui se mêle de ce qui ne la regarde pas. Vous dites être la seule à m’avoir remarqué. Et bien sans doute ne suis-je pas aussi mauvais voleur que vous semblez le croire.

Il lui attrapa fermement le bras, pour qu’elle l’écoute avec attention.

- Mais bon, maintenant que vous y êtes, vous allez m’aider.

En fin de compte, il était sans doute plus sage de fuir cette petite auberge au plus vite. Le vieux domestique avait les poches remplies à craquer de petits pains chauds et autres gourmandises alléchantes. Plus il traînerait dans le coin en espérant une bienheureuse opportunité, plus ses chances de se faire attraper la tenancière, ses employés ou les miliciens assurant la sécurité de l’établissement grandiraient. De quoi ruiner tous ses espoirs d’offrir à sa petite famille un avenir plus serein.

Mais c’était sans compter sur sa participation inopinée au concours de création de boissons. Il n’espérait pas y concourir, contrairement aux autres participants, visiblement ravis de l’organisation d’un tel évènement à la Choppe Sucrée.
Comment continuer à passer inaperçu en s’adonnant à une telle démonstration ?
Son regard se perdit un instant dans le vide, avant de se poser sur les visages des quelques dizaines de clients présents ce soir au bal. On pouvait y lire de la joie, de l’égaiement, mais aussi de la peine, de la douleur, de l’ennui et parfois de l’épuisement. Ils ne représentaient aucune menace. Mais il en était tout autrement pour les gérants de l’auberge et son partenaire.

- Enchanté monsieur. Ulysse de Sombreval. Je n'aurais jamais cru que mon amour de la boisson serait un jour qualifiable d'utile. Cette table ci m'a l'air parfaite.

- Enchanté également, monseigneur. Ascelin Grisregard.

Sombreval. Un nom connu, parmi la noblesse. Tout du moins, était-il certain de l’avoir déjà entendu dans les conversations ou missives de son maître. A moins que cela ne soit auprès du Baron de Rombey, bien plus prompt que Zéphyr d’Auvray à parler des uns et des autres sur le ton de la raillerie. Quoi qu’il en soit, le vieux domestique rejoignit la table de son compagnon de création, bien décidé à faire bonne figure jusqu’à la fin de ce maudit concours.
Pour autant, il ne put s’empêcher de chercher un instant le regard de la jeune blanc-bec qui lui avait gracieusement offert ses services.

La table des concurrents fut rapidement jonchée d’une multitude d’alcools : clarets, ales, vins, bières, sirops et liqueurs en tout genre. Fleurs, épices et fruits vinrent s’ajouter progressivement à ce savoureux choix d’ingrédients. Avec une telle variété de saveurs, même un débutant avait de quoi laisser libre court à son imagination.

Le vieux domestique n’était pas expert en la matière. Mais il avait pris l’habitude de préparer pour ses maîtres une multitude de recettes, essentiellement à base de vin blanc. Mais sans doute ce vin ne conviendrait-il pas aux exigeances des clients d’un taverne.

- J’ai quelques idées, mais je n’ai aucune connaissances des attentes des clients d’un tel établissement. Nous pourrions éventuellement associer le vin blanc, l’eau, les fraises ou le cassis, le miel et la menthe. Ou pour plus âpreté, la sauge et le miel avec un vin blanc sec.

La saveur encore apre du vin chaud sur mes lippes, je laissais mon regard sombre bien qu'encore étincelant eu égard aux réjouissances cocasses passées se porter sur l'homme avec lequel je devrais faire équipe dans ce fameux concours. De bien deux décennies mon ainé sa posture dorsale comme son maintien m'indiquait une origine populaire qui ne me dérangea guère. Ulysse de Sombreval savait apprécier à sa juste valeur un joyeux drille pour compagnon. Le problème ici étant que l'homme d'age mur n'avait rien du joueur insolent avide de chatoiments gustatifs et généreux de sourires comme de rires. La mesure ainsi que la crispation de mon partenaire me dégrisèrent de l'éclat précédent et je luttais contre l'envie féroce de dérider le vieil homme. Il eut été naturel de mon point de vue que d'offrir de quoi chasser cette triste mine cependant quelque chose dans son attitude me dissuada de me laisser aller à l'étalage coutumier de mon bon caractère. 


Après tout, nous ne venions pas tous à la taverne pour les mèmes raisons et si celles de mon compère étaient trop éreintantes pour lui permettre relache qui étais-je pour le contraindre à embrasser mon humeur flamboyante. Je m'introduisis néanmoins avec courtoisie et un brin de dérision. Le dénommé Ascelin me fit l'honneur réciproque de manière laconique. Un fin sourire dansa sur mes lèvres tandis que j'inclinais légèrement du chef pour le saluer tout en notant bien le fait que mon patronyme l'avait semble-t-il ramené à des informations ultérieures. Peut-ètre que monsieur Grisregard oeuvrait au service chez l'un de mes pairs et que je m'étais rendu par le passé chez celui-ci. Extrapolation que tout ceci mais la conversation n'allait point se montrer très débridée au cours de cette collaboration. Du moins, ce fut ainsi que je le percus. Le regard de l'homme aux cheveux grisonnants se détourna de la table sur laquelle étaient en train de se voir disposer une floppée de divers breuvages allant de différents alcools à des substances en tout genre. Laissant également les commis de la Chope faire leur ouvrage, je cherchais ma suite du regard et croisais rapidement celui de ser Francis qui se fendit d'un haussement d'épaule nonchalant avant de lever sa chope à mon intention. 


Lorsque mes yeux émeraudes se posèrent de nouveau sur la tablée, je ne pus réprimer un sifflement approbateur. Différentes teintes d'ale, du vin rouge comme blanc, des liqueurs par dizaines, de l'eau de vie plus pure que celle d'un torrent et plus brulante au palais que la morsure de la flamme... Et des senteurs aux dizaines de couleurs. Epices, fleurs comme fruits s'ammoncelaient sous les yeux. En jetant un regard de biais, je pus constater qu'Ascelin analysait les ressources d'un air connaisseur et critique là ou je n'y voyais qu'une succession de douces rasades potentielles inninterompues. Laisser glisser sur le gosier ne necessitait aucun effort tandis que composer un chef d'oeuvre spiritueux relevait du talent. Je poussais un infime soupir en me rendant compte qu'une vie de beuverie ne m'avait guère donné les clefs de cette compétence. Humble, j'écoutais mon compagnon m'exposer son point de vue. "Je dois dire que le rouge semble plus se préter aux gouts des habitués de la Chope de mème qu'une pinte d'ale brune. Cependant, cela peut se révéler une chose intéressante que de déjouer l'attendu. Je vous suis mon brave. Laissez-moi donc me charger de la besogne. Guidez-moi."

Les roles se trouvaient par la mème certainement inversés mais je n'en avais cure. Je souhaitais me rendre utile et au vu de mon manque d'imagination face à ce défi préparer la boisson idéale le serait tout autant. Oh bien sur j'aurais pu arguer en fonction de mes gouts. Une pointe d'eau de vie, de l'alcool de marin le tout noyé dans de l'ale blonde et saupaudré de canelle comme d'une larme de cassis et le tour était terminé. Mais, le coup d'oeil du Grisregard m'avait conduit à lui accorder du crédit en la matière. Aussi, je versais une coupe de vin dans un bol prévu à cet effet avant d'interroger l'homme sur la marche à suivre. "La fraise ou l'eau à présent ?"

Gisèle proposa d'ajouter de l'acidité... C'était une bonne idée.

- Oui, tout à fait ! c'est ce qu'il faut, de l'acidité !

Par un tour que seule une sorcière pouvait expliquer, Hector sortit de sous sa cape le petit fruit jaune bien connu des amateurs de poissons et de fruits de mer. Avant même qu'il put en verser quelques gouttes, Lyanna avait elle-même chapardé un citron sur la table voisine et en avait versé une partie du jus dans la mixture. Hector goûta le cocktail et son sourire trahit vite sa satisfaction.

- Excellent, mes chères amies ! Nous avons fait du bon travail !

Il leur tapota l'épaule avant de se tourner vers la maîtresse de cérémonie, cette rousse à la poitrine volontaire et aux yeux de ciel délavé.

- Mademoiselle, nous avons fini ! J'espère que notre poison ravira vos douces lèèèèèvres ! Prononçait-il de sa voix la plus malicieusement maléfique.

Il lui tendit la bouteille comme s'il s'agissait de la plus sacrée des reliques Trinitaires. L'instant suivant, il s'en était retourné vers ses deux amies, leur demandant naïvement comment se déroulaient leurs affaires.