[LIBRE] Inauguration de « la Rose Blanche » (Fev. 1166)

La carte était humble mais néanmoins appétissante et Yann fut heureux d'y trouver une variante sans poisson. Cette chaire blanche sans consistance, il en avait assez. Déjà du temps de sa jeunesse, il ne mangeait presque que ça, profession paternelle oblige. Maintenant que la famine était sur le pays, et que les campagnes s'étaient faites coupe-gorges à ciel ouvert, le poisson était la chaire animale la plus accessible.

« Autre chose que du poisson ! Voilà qui est bienvenue. Du choux-fleur pour moi, donc ! »

Ours, plus pragmatique, choisis la soupe de poisson. C’était chaud et nourrissant, tout ce qu’il lui fallait.

Le gérant s’en retourna alors professionnellement à sa cuisine et en revint peu de temps après ave deux assiettes fumantes. Il les posa devant les deux clients sans oublier d’ajouter les couverts. C’était des instruments rustiques et fonctionnels sans aucunes fioritures superflues.

Yann aimait à s’appesantir en son for intérieur sur ce genre de détail. Ours, par exemple, ne relevait jamais ces petites choses. Il était intelligents, à n’en pas douter, mais il lui manquait cette finesse d’analyse, cette curiosité qui pouvaient faire de lui un homme malin.
Yann était malin, il passait son temps à observer les hommes. Observer et reproduire, se glisser dans leur peau. C’était une question de survie.

Le fumet chaud et délicieux qui s’élevait de l’assiette de choux-fleur fumante arracha le capitaine à ses pensées et le remmena à l’instant présent. Il saisit alors, son verre et , invitant Ours à trinquer pour lui s’exclama ;

« A nos affaires, puissent-elles toujours être si florissantes »

Ours ne se fit pas prier et leva à son tour sa chope. Les deux compagnons mangèrent de bon appétit et au fur et à mesure de leur repas, la salle se remplissait. Dehors, il pleuvait moins mais le ciel restait bas et gris. Il n’invitait pas à la promenade et sans doute la Rose Blanche servait-elle de refuge à plus d’un badaud.

Quoi qu’il en soit, le patron s’affairait de plus en plus derrière son comptoir bien que son regard revienne régulièrement à la belle rousse qui était déjà là quand les deux marins étaient entrés.

Yann finissait de nettoyer consciencieusement son assiette , par ailleurs délicieuse, avec un morceau de pain lorsque de nouveaux clients franchirent le pas de la porte et captèrent son attention.
Ils étaient habillés de couleurs discrètes mais la qualité du tissus était telle qu’on comprenait vite qu’ils n’étaient pas les gens du commun qu’ils prétendaient être.
L’homme qui marchait en tête, notamment, avait de l’allure à revendre. Malgré une démarche nonchalante, on le sentait sûre de son bon droit. Et la petite cours de gros-bras endimanchés qui l’accompagnait ne démentait pas cette première impression.

Par prudence, le capitaine décida de garder un œil sur l’individu et sa troupe. Mais ceux-ci s’installèrent à l’un des rares tables vides et commandèrent à boire. A première vue, ils n’avaient aucune intention belliqueuse. Yann se détendit un peu et Ours, remarquant la légère différence de posture de son capitaine fit de même. Puis, il leva sa chope pour réclamer à boire et qu’on leur débarrasse leurs assiettes.

Lyanna observa les aller et venus de Nath, toujours aussi intriguée par son comportement quelque peu étrange à son égard. En partant, il sembla lui aussi désolé que leur entrevu ne soit écourtée, ce qui surpris la rousse, car jusqu'ici il avait à moitié fuit leur conversation et s'était montré très embarrassé lorsqu'il s'y prêta. La jeune femme se sentait troublée, tant par le tavernier que par elle-même. Ce comportement, qu'elle avait là, ce n'était pas le sien. Depuis quand l'indépendante petite voleuse se laissait elle perturber par les hommes? Enfin, par un homme? Ne s'était elle pas promis de ne jamais se laisser abaisser à ça? Ne s'était elle pas promis d'user des hommes comme de vulgaires mouchoirs, ces bêtes sans cœur, qui avait brisé son enfance déjà pas si heureuse?
Laissant courir son regard au rythme des pas de l'homme, elle se prit à songer et à se souvenir à toutes les épreuves par lesquelles elle avait dû passer pour obtenir sa liberté et tout le chemin qui lui restait à parcourir pour être tout à fait libre de vivre... Et non de survivre. Malgré le caractère illégal de ses activités de l'ombre, Lyanna était très fière de tout ce qu'elle avait accompli jusque là. Rubis était ce qu'elle avait de plus cher. Ce qui l'avait sauvé. Elle avait eu des choix à faire, dans la vie. La réponse lui avait sembler être une évidence. Quoi d'autre que voleuse? Prostituée? Domestique? Ou gentille petite épouse? Mais cela ne serait il pas revenu, à nouveau, a appartenir à quelqu'un, à être priver de toute liberté? La servitude ne lui avait laisser que de vilaines cicatrices, aussi bien mentales que physiques...
Voyant le tavernier revenir vers elle, Lyanna secoua la tête pour chasser ses tristes pensées. Il déposa à nouveau une choppe de vin chaud devant elle, tout sourire. Il semblait bien plus enjoué, à présent que ses affaires s’accéléraient un peu. La rouquine lui rendit son sourire. Après tout, elle s'était sans doute bercée d'illusions. Le mystérieux tavernier avait sans doute eu un comportement étrange, dû au stress causé par l'ouverture de son établissement. Rien à voir avec elle. Si cette constatation avait quelque chose de réconfortant, elle ne saisissait pas vraiment pourquoi la résolution de ce mystère la chagrinait un peu. Nath était quelqu'un de sympathique, bien qu'étrange, et elle avait eu plaisir à leur court échange. Mais il fallait croire qu'elle s'était prêtée à un petit jeu où elle était seule à jouer... Et dans lequel elle avait joué un petit peu malgré elle, comme si elle n'avait plus eu contrôle sur ses propres agissements. C'était un sentiment étrange, nouveau, et elle n'aurait pas su donner un nom à cet intérêt particulier qu'elle éprouvait à l'égard de Nath.

- Vous aviez raison, j’ai eu tord de m’inquiéter autant. Je reviens avec une assiette !

La jeune femme adressa un nouveau sourire au tavernier. Ah oui... L'assiette de soupe aux poissons... Poissons qu'elle n'appréciait guère... Mais qu'elle avait pourtant prétendu vouloir goûter avec un ravissement mal feint. Drôle d'idée, d'ailleurs...
Une nouvelle fois, la porte de l'auberge s'ouvrit, découvrant un individu de toute évidence tiré de la noblesse, accompagné de quelques hommes. Pour le coup, ils avaient un air peu commode... L’instinct de Lyanna lui criait de s'en méfier. Elle détourna les yeux pour jeter un dernier coup d’œil au ténébreux tavernier, mais celui-ci vaquait de nouveau à ses occupations, très afféré. Bien qu'il ne put pas la voir, Lyanna lui lança un nouveau petit sourire. Il aurait eu le mérite de changer sa morne matinée en un début de journée particulièrement agréable, quelque peu étrange. Mais il était temps de revenir à la réalité et de retourner au travail...
Aussi, profitant de l'inattention de Nath, elle finit sa tasse à grandes gorgées, se brûlant presque le gosier dans son empressement. Puis, sans un bruit, elle se leva et sortit de l'argent de sa bourse qu'elle avait gagné un peu plus tôt ce matin là. Elle en posa une somme généreuse sur le comptoir, couvrant largement ses consommations, ainsi que l'écuelle de soupe qu'il s'apprêtait à lui servir. Après un bref regard, elle se détourna et prit la direction de la porte.

- Bonne journée, Messieurs.

La jeune femme ne leur accorda qu'un bref et poli sourire, sans attarder ses yeux azurés sur les convives. Trop d'homme, dans cette salle. Même si elle était habituée à la présence masculine, elle n'aimait pas se sentir cernée par des messieurs, en particulier si elle ne connaissait rien d'eux.
Elle passa la porte sans un regard en arrière. Le temps ne s'était pas améliorer. La pluie tombait, épaisse et drue, trempant aussitôt et à nouveau les vêtements et les cheveux de la jeune femme. Elle en fut si tôt glacée. Il faisait si bon et chaud dans la taverne...
Mais trêve de divertissements, que ce fut nourriture, bavardage, ou charmant tavernier. Il était temps de se remettre en quête d'un travail pour gagner sa pitance.
Durant le chemin qui la menait au port, Lyanna ne put s'empêcher d'avoir une dernière pensée pour Nath, un peu pincée de l'intérêt qui n'avait, de toute évidence, pas été réciproque. Elle se surprenait à ce trouble, tout nouveau pour elle, et se demandait quel en était la nature... Mais qu'importait. Elle balaya ses doutes et ses pensées... Le ténébreux Nath avec.

Il y avait des années qu'elle n'avait pas mis le pied à Marbrume, et Mathilde était à la fois soufflée de voir son évolution, et écoeurée par les odeurs qui l'agressaient et la sensation d'étouffement qu'elle vivait. Tant de monde confiné dans de si petits espaces. Dans les rues, il fallait faire attention à tout : aux attelages qui manquaient de l'écraser sans scrupules, aux passants qui la bousculaient, aux chevaux qui lâchaient leur crottin sans prévenir, et aux détritus qu'on jetait par les fenêtres, directement dans les rues. Le brouhaha était permanent. A tous ces désagréments s'en ajoutait un, non négligeable : une pluie froide qui pénétrait insidieusement sa cape, pour ensuite s'attaquer à sa robe, puis à sa chair.

A n'en pas douter, Mathilde était une femme de la terre, née pour mourir dans son maraîcher, avec l'horizon lointain pour toile de fond, et l'odeur de l'humus encore humide des petits matins d'été. Pas une femme de ville.

Que venait-elle faire à Marbrume? Il était temps pour elle d'ouvrir de nouveaux marchés, et de se faire connaitre auprès de clients potentiels. Elle avait laissé sa ferme ce matin-là entre les mains d'un voisin d'Usson, et avait enfourché sa jument grise pour prendre la direction de la ville. Le trajet s'était, pour une fois, passé sans encombres. Il avait été facile de trouver une écurie à son arrivée, et de laisser sa monture se reposer tandis qu'elle se met en quête de la Rose blanche, dont un palfrenier lui avait parlé. Une nouvelle auberge, c'était bon pour les affaires, ça. Et comme elle n'avait aucune entrées du côté des nobles... Elle approchait de sa destination. Sous sa cape, ses mains serraient une petite besace contenant quelques économies, et sa dague. Son père ne lui avait-il pas dit qu'il y avait autant de voleurs et de gens mal intentionnés en ville que d'étoiles dans le ciel? Elle tourna au coin d'une rue et soupira de soulagement. La Rose blanche, enfin. Elle poussa la porte, et sentit immédiatement la chaleur de l'établissement l'envelopper.

- Quel temps! murmura-t-elle pour elle-même en fermant la porte.

Elle ôta son capuchon et avisa la première table libre, près d'une fenêtre. Voir les gouttes d'eau faire la course sur la surface translucide l'avait toujours fascinée. Elle délaça sa cape, trempée, et la posa sur la chaise, gardant sa besace contre elle, avant de s'installer. Son châle était légèrement humide, mais il sécherait rapidement. Elle regarda autour d'elle. Que fallait-il faire? Crier "Aubergiste"? Lever la main? Aller au comptoir? Elle résista à l'envie de quitter l'endroit. C'était une bien mauvaise journée, elle ne se sentait pas à sa place, elle mourrait d'envie de retrouver ses poules, sa truie et ses semences, là-bas sur le plateau du Labret, mais... il fallait qu'elle planifie sa saison et qu'elle se trouve des clients. Ainsi, elle pourrait engager un aide et agrandir ses jardins.

Une femme, seule, dans une auberge. Te voilà bien loin de mes enseignements, Mathilde. Oui papa, je sais, mais j'ai besoin d'aide à la ferme. Pour avoir de l'aide, je dois pouvoir engager, contre de l'argent. Et je le gagnerai grâce à de nouveaux contrats.

Mathilde rassembla ses longs cheveux sur son épaule droite. N'importe qui, en la regardant, verra à sa tenue qu'elle n'est pas d'ici, et qu'elle est une fermière. Sa robe de lin grise est d'une simplicité folle, tout comme ses chaussures de cuir, chaudes mais usées. Sa ceinture de cuir tressé, nouée autour de sa taille, est sa seule fantaisie. L'espace d'un instant, elle se perdit dans ses pensées. L'endroit était propre, et bien que la décoration soit très sommaire, on avait apporté du soin à de menus détails. Elle aimait ça. Ça augurait un patron minutieux et soucieux du travail bien fait.

De nouveaux clients entrèrent pendant que le tavernier s’affairait en cuisine, des travailleurs lambda venant prendre un repas chaud à première vue, ils s’installèrent au fond de la taverne et commandèrent des bouillons et des miches de pains. La salle commençait enfin à recevoir un nombre de client digne de ce nom, encore quelques uns et Nath pourrait se vanter que son inauguration était une réussite ! Non seulement les lieux se remplissait, mais en plus il était seulement midi, le temps filait drôlement vite. C’est avec enthousiasme que le gérant servit ses deux assiettes, l’une de poisson avec de belles darnes et l’autre de chou-fleur gratiné au four. Aucun doute que les estomacs allaient apprécier.

C’est à ce moment qu’une troupe de soldats firent leur apparition, Nathaniel ne pouvait pas se tromper cette fois, il avait passé trop de temps avec des militaires pour ne pas repérer d’un seul coup d’œil leur allure et posture. Il était évident cependant que ces hommes n’étaient pas comme lui à l’époque, de la simple chair à canon de base, eux c’était du gratin, des galonnés. C’est aussi à cet instant, pendant que Nath était en cuisine que la Lyanna décida de s’esquiver, alors que le tavernier revenait justement avec son plat. Hé bien ça, il avait fait un four tiens. Nath n’avait pas vu la belle rousse quitter l’établissement ! Il n’avait pas eu le temps de lui parler réellement, il savait son nom, il savait qu’il voulait la revoir mais ... déjà, alors qu’il s’était stoppé dans sa course pour la rattraper, d’autre client arrivaient.

"C'est une bien belle taverne que vous avez là aubergiste !"
- Bonjour Messieurs et merci à vous, je vous laisse les tables à disposition, installez-vous, ou vous le souhaitez et Bienvenue. Il ajouta ce dernier mot avec beaucoup d’entrain.

Nathaniel accueillit ses nouveaux arrivant comme des princes, avec un grand sourire et un peu trop de manière mais que voulez-vous, on le changera pas le bougre. Il continua sa besogne en allant débarrasser les deux marins, oui, à force de passer à côté deux, il avait reconnut une odeur familière. Ces hommes sentaient la mer, même en se lavant à la brosse métallique il leur serait impossible de se débarrasser de cette odeur. Peut-être pourraient-ils lui indiquer le nom d’un bon pêcheur pour ses prochains ravitaillements ? Il devrait aussi trouver un autre fournisseur de légume et surtout de la viande, n’importe laquelle, lapins, poulets, pigeons.

Parcourant l’établissement de long en large en exécutant ses tâches, passant de la cuisine à la salle pour apporter des assiettes et du comptoir aux tables pour servir des choppes. Dix sous, trente sous, ce n’était pas cher payé pour le travail accompli mais pour une ouverture, il fallait bien baisser les prix pour inciter la clientèle à revenir. Il n’allait pas se plaindre non plus, sans même avoir à annoncer les prix, ses deux premières clientes avaient été extrêmement généreuse en lui laissant de beaux pourboires. Occupé avec la troupe d’officier, Nath ne vit pas la brunette entrer, elle s’installa directement et c’est après plusieurs minutes qu’il se dirigea vers elle, une serviette propre à la main.
- Bonjour mademoiselle, bienvenue. Il lui tend le linge. Ma mère avait l’habitude de se sécher les cheveux en rentrant à la maison et elle disait toujours qu’elle laissait ses soucis couler. Déclara t-il souriant.

La jeune fille semblait un peu désorientée, hors de sa zone de confort. Nathaniel en gentilhomme essayait de la mettre à l’aise. Il la connaissait, enfin pas Mathilde personnellement bien sur, mais il avait assez parcouru le duché et accompagné les fermiers vers la ville pour savoir qui elle était. Un peu présomptueux me direz-vous. Elle avait de longs cheveux bruns qui laissaient voir l’endroit où elle les attachait pour travailler, Nath lui trouvait un joli visage et quand elle commença à parler il se dit qu’elle avait une jolie voix aussi. Tout comme la belle d’ailleurs. Le gentil tenancier lui laissa le temps de prendre ou de ne pas prendre son présent et continua.
- Je peux vous proposer quelque chose ? Un thé ou un vin chaud, une soupe ou autres ?

Une voix masculine sortit Mathilde de ses pensées. Un homme assez grand se tenait devant elle. Bien que sombre, son regard semblait plein de bienveillance... En témoignait le linge qu'il lui tendait. Mathilde le pris et essora rapidement ses cheveux humides qui commençaient à imbiber l'épaule droite de sa robe.

- Votre mère avait une façon de voir la vie assez intéressante. Je vous remercie.

Et remercie-le d'avoir la délicatesse de t'accueillir, Mathilde. Oui papa. C'est très gentil de sa part de me mettre à l'aise en offrant un sujet de conversation totalement anodin. Très délicat et très attentionné de sa part. On parie que c'est le patron? Pari tenu, Mathilde, si tu gagnes, nous irons chasser ensemble. Papa, tu es mort... Ah, oui. J'ai tendance à oublier.

Elle ne lui rendit pas le linge tout de suite. Elle savait que rapidement, de nouvelles gouttes se formeraient à nouveau pour se regrouper dans les pointes de ses cheveux brun, avant d'imprégner le tissu. Comme à son habitude, elle détailla son interlocuteur d'un rapide coup d'oeil. Il était très propre, cet homme. Mais un peu échevelé. Ses vêtements étaient à peine tachés, mais ils portaient l'odeur de la nourriture que l'on prépare. Quelque chose lui disait qu'il n'avait pas toujours été aubergiste, et qu'elle avait affaire à un homme en pleine reconversion. Mathilde n'avait pas remarqué d'autres personnes dédiées au service, elle en déduisit qu'il était le patron et seul employé. De façon générale, il collait assez bien à l'image qu'elle s'en était fait.

- Je goûterais volontiers à votre soupe, et, si vous êtes bien le propriétaire de cette charmante auberge, j'aimerais en plus vous voler quelques précieuses minutes de votre temps.

Elle sourit. Parler de vol à un commerçant... N'importe quoi ma pauvre Mathilde! Très mauvaise entrée en matière! Oh ça va papa, il a l'air gentil et il ne devrait pas voir rouge pour un petit mot anodin. Franchement. Le langage évolue, vous ne savez pas ça, vous, les morts?

- Mathilde Dumas, je suis maraîchère au Labret.

Le Labret, ça vendait du rêve. Un plateau où l'on cultivait des légumes en abondance pour nourrir la ville. Où le danger, bien que présent, semblait moins terrible qu'en ville. Peuplé de braves courageux sacrifiant leur vie pour nourrir leurs semblables. Aaaah les gens de la ville, ils n'y connaissaient pas grand chose... Elle le salua d'un léger mouvement de tête, et n'ajouta rien. A en juger par la clientèle présente et l'absence de personnel, il avait peu de temps devant lui. Autant aller à l'essentiel, et espérer qu'il ne soit pas de ceux qui font mille courbettes avant de conclure une affaire. Elle était une femme de la terre, elle n'avait pas acquis l'art des beaux discours, qui de toute façon l'ennuyaient profondément.

La chaleur de l'intérieur de la taverne flambant neuve contrastait fortement avec la fraicheur hivernale que nous venions de quitter mon escorte et moi-mème. Aussi, je pris un modeste instant pour savourer cette température bien plus agréable tout en admirant l'établissement sous toutes les coutures. Je ne souhaitais que du bien à ce nouveau commercant pour la simple et bonne raison que voir des commerces ouvrir prouvait que Marbrume n'était pas en train de déperir en dépit de l'ombre macabre et putride de la fange environnante. Ainsi que parce que cela ferait un coin bien agréable pour passer le temps après une matinée d'entrainement à la caserne ou lors d'une soirée moins mouvementée que les plus excessives. Si le service comme la nourriture et l'alcool servi s'averait à la hauteur je n'hésiterais pas à le recommander à mes hommes. La solde des Griffons n'était pas fantastique. Les temps étant durs pour tout le monde y compris les gens d'armes mais savoir manier une lame était précieux dans une telle apocalypse aussi ils pourraient faire de bons clients pour le tavernier de la Rose Blanche. Bien que la Choppe Sucrée avait ses affiliés dans mes rangs un peu de changement ne pouvait faire de mal. A l'issue d'une exclamation enjouée ne pouvant manquer de nous faire repérer à des kilomètres par le reste de la clientèle déjà installée le tavernier apparaissait devant mon cercle. Je notais les regards de quelques clients ainsi que la sortie d'une jolie rousse bien trop rapide pour pouvoir graver son visage dans ma mémoire. Reportant rapidement mon attention sur le propriétaire, je l'écoutais avec attention. Bien le bonjour monsieur l'aubergiste. Merci à vous pour cet acceuil chaleureux. Eh bien nous allons nous installer de ce pas. Entrainant mes officiers dans mon sillage, j'allais m'installer autour d'une table près de la cheminée et retirais mes gants ainsi que ma lourde cape que je posais sur le tabouret avant de m'installer confortablement. Ser Francis s'installa à ma droite tandis que le reste s'acclimatait comme ils le désiraient. L'aubergiste revint prendre nos commandes en nous traitant comme des princes prouvant qu'il connaissait son métier et savait reconnaitre un futur pourboire quand il en voyait un. Je prendrais votre plat du jour pour ma part avec une choppe d'ale. Laissant les autres hommes passer leur commande, je laissais trainer l'oreille et écoutai les conversations alentours avant de reporter mon attention sur mon compère de toujours suite au départ du propriétaire qui alla continuer son service.

- Le propriétaire oui et j’ouvre aujourd’hui pour ma grande première. Si vous trouvez l’endroit charmant alors je ne peux pas vous contredire.

Maraichère au Labret, mais c’était une bénédiction ça ! Quelle chance y avait-il pour qu’elle vienne justement aujourd’hui. Il n’aurait pas à courir les rues ou à sortir de la ville pour se trouver un nouveau fournisseur. Vraiment, sa bonne étoile c’était penchée sur lui.

- Enchanté Mathilde, moi c’est Nathaniel et oui vous pouvez me voler ... un peu de mon temps Dit-il en riant. Mais si vous voulez patienter juste une minute et je suis à vous.

Pendant ce temps sur la scène, le barde avait prit ses aises. Toute cette clientèle, loin de le tracasser, l’avait plutôt enthousiasmée. Il était debout, un pied sur son siège tout en grattant les cordes de son instruments, joyeux comme un pinçon de pouvoir enfin s’adonner à sa passion entouré de tant d’oreille. Bientôt les premières piécettes commencèrent à tomber dans son escarcelle et chacune d’entre elles, ragaillardissait le ménestrel. Au comble de l’excitation il entreprit une chanson des plus entrainante de sa voix de crécelle, qu’il aurait bien dut garder pour une fin de soirée. Nath l’écouta une seconde, juste le temps d’apprécier la performance mais sans réel conviction pour le talent de ce chanteur, certes cela donnait une bonne ambiance à la taverne mais le tenancier n’était pas vraiment fan de son attitude exubérante. La seule raison pour laquelle il l’avait embauché c’est qu’il était le beau frère d’un des commerçants à qui Nathaniel avait acheté ses légumes et qu’il avait du s’endetter un peu pour pouvoir ouvrir en ce jour, impossible de refuser une faveur.

Pour le moment, les commandes n’allaient pas se servir toute seule. Il s’en alla rapidement en cuisine chercher l’assiette de soupe, déjà prête car la belle rouquine était sortie avant de pouvoir y gouter et la servit à la maraichère. Service express ! Les deux plats du jour pour les officiers ainsi que les bières suivirent le même rythme.

- Mes seigneurs bon appétit, j’vous remercie d’avoir choisi mon établissement.

Il s’adressa à celui qui semblait être le plus gradé et fit un signe de tête amical à l’autre. Contrairement à ceux que Nath avait pu connaitre pendant sa période militaire, les deux hommes furent agréables avec lui. En même temps ils n’avaient aucune raison de pas l’être mais les salopards de galonnés étaient légion dans l’armé, alors leur attitude aimable et courtoise fit plaisir au tavernier. Il ne put donc pas s’empêcher d’ajouter dans un élan de zèle :

- Si vous avez besoin de quelque chose n’hésitez pas à appeler, ... Nath.

Puis après avoir poliment prit congé de son interlocuteur, le service dut reprendre. Les hommes d’armes furent servit en bière autant qu’il en fallut et ils gardèrent un comportement respectueux, certain demandaient ou se cachée les jolies serveuses, d’autres si on pouvait en commander pour le dessert, rien que d’habituelles plaisanteries. Une agitation bien venue qui donnaient un surcroit d’âme à une bâtisse comme celle-ci.
Henri et Joseph en profitèrent pour s’éclipser discrètement, maintenant qu’il y avait assez de monde, leur présence pour peupler un peu le bar n’était plus indispensable. Ils avaient pensés à laisser les dés sur la table ainsi qu’un jeu de carte pas trop usé, un cadeau sympa pour leur ami.
Nathaniel quant à lui retourna voir Mathilde, il prit un siège et posa les mains bien à plat sur la table, prêt à entendre la proposition de cette gentille inconnue.

- Si nous devons faire affaire, simplifions la communication et tutoyons nous, tu veux bien ?

Yann avait fini son assiette. Mais il n'avait pas pour autant envie de partir. L'ambiance chaleureuse de l'établissement, ainsi que le contact qu'il voulait établir avec le patron, le retenaient.

Il jeta un regard distrait à Ours qui finissait de nettoyer avec application les derniers semblants de miette de son plat avec un belle tranche de pain. Il enviait son second. Pour ce rock, tout semblait simple. Il lui suffisait d'obéir; de suivre les ordres et parfois de les anticiper. S'il avait des ennuis, ce n'était que ceux qu'il était lui même allé cherché, jamais l'inverse.
Oui, sans doutes la condition d'Ours était-elle bien plus confortable que celle du capitaine, condamné à toujours se méfier de tous et surtout d'elle-même.

Poussant un profond soupir Yann sortit de ses pensés. Son second lui adressa un haussement de sourcil interrogateur mais le capitaine se contenta de se laisser aller contre le dossier de sa chaise.

C'est à ce moment que le patron revint pour ramasser les écuelles.

"Félicitations aubergiste! Pour une ouverture, on peut dire que tu as du succès, ton affaire promet d'être florissante... La mienne l'est aussi, si toutefois tu as besoins de denrées du Labret ou d'ailleurs, dit le moi, je serais ravis d'apporter quelques victuailles à ta table."

- Fantastique! Je vous attends!

Il avait l'air intéressé, et ravi. Avec un peu de chance, elle serait la première à lui proposer ses services et elle obtiendrait de bons prix pour ses produits. Mathilde se sentait chanceuse, et ne put masquer le sourire qui illuminait son visage. Puis elle se souvint qu'elle avait entendu prononcer le mot Labret, juste avant que Nathaniel ne prenne sa commande, et se renfrogna légèrement. Y avait-il de la concurrence? Elle regarda autour d'elle, l'air de rien, et s'arrêta sur deux hommes, une armoire à glace et un plus petit. C'était l'un d'eux qui avait parlé, mais elle ne reconnut aucun visage qui put lui paraître familier. Cependant cela ne voulait rien dire. Depuis l'arrivée des "embrigadés", comme elle les appelait, les anciennes familles du Labret se faisaient rares par rapport à ceux qui s'improvisaient paysans sur des terres qu'ils n'avaient jamais cultivées. Mathilde n'avait pas eu l'occasion de faire connaissance avec le voisinage éloigné. De toute façon, ces deux-là n'avaient pas l'allure de paysans. En fait, personne dans cette salle ne l'avait, sauf elle.

Un dernier essorage de cheveux, et elle plia soigneusement le linge pour le poser sur le coin de la table. D'une oreille d'abord distraite, elle écouta la musique avant de se retourner pour mieux voir l'étrange énergumène responsable des sons bizarres émanant de sa bouche. Il semblait déchaîné, et Mathilde réprima une envie de rire. Il y avait longtemps qu'elle n'avait pas entendu de musique, et ce n'était curieusement pas le souvenir qu'elle en gardait. Elle réserverait sans doute une pièce pour le divertissant personnage, qui avait au moins le mérite de mettre tout le monde de bonne humeur.

Elle suivit Nathaniel du regard lorsqu'il réapparut dans la salle, espérant que la soupe viendrait à elle. Bon sang, quelle veine! Il se dirigea vers elle et déposa l'assiette sous son nez. Elle allait pouvoir se réchauffer.

- Merci! souffla-t-elle du bout des lèvres, tandis qu'elle s'apprêtait à déguster le potage. Elle l'entama tout en suivant le ballet improvisé du tenancier qui court entre les tables et la cuisine. A ce rythme, il ne passerait pas la semaine. Il avait l'air attentionné et très aimable, à n'en pas douter les pourboires seraient bons. Le potage était délicieux, aux légumes de saison, parfait pour réchauffer son corps qui avait eu à lutter contre l'humide journée.

Nathaniel revint s'installer à sa table. L'espace d'un instant, elle se dit qu'elle aurait pu l'amadouer en lui offrant à boire. Mais elle n'était pas là pour amadouer qui que ce soit. Si ses produits ne l'intéressaient pas, elle trouverait un autre client, tout simplement.

- ... tutoyons nous, tu veux bien ?

Eh bien, tout semblait couler avec lui. Le service, impeccable et sans énervement. L'amabilité, toujours juste, jamais exagérée. Et maintenant, il proposait de laisser les courbettes pour les nobles et de parler tout simplement. Il n'y avait plus qu'à le ramener au Labret et à l'épouser. Mathilde rit intérieurement. N'importe quoi. Pas vraiment, Mathilde, voici déjà cinq mois que tu es veuve, il va falloir y remédier. Oh silence papa, ce n'est ni le moment, ni l'endroit pour y penser. Franchement.

Mathilde se redressa légèrement, essuya sa bouche, repoussa l'assiette maintenant vide et croisa les mains sur la table, pour s'appliquer à parler à Nathaniel en le regardant dans les yeux. Depuis son retour au Labret, Mathilde avait beaucoup de mal à fixer quelqu'un. Elle avait toujours ce réflexe, salutaire, de surveiller les alentours, au cas où. Les fangeux ne prévenaient pas avant d'attaquer.

- J'aime la simplicité, alors va pour le tu! Bonjour, Nathaniel. Comme je te l'ai dit, je suis fermière au Labret. On m'a dit que c'était ton premier jour d'ouverture, et je me suis dit qu'avant de retourner à ma ferme, je ferais le détour pour te proposer mes services de maraîchère.

Oui, parce qu'en matière de service aux tables, tu dois être effroyable. Papa. S'il te plait. Arrête. Je vais passer pour une folle, va hanter quelqu'un d'autre.

- Je cultive des légumes tout au long de l'année. Je pourrais facilement te fournir en légumes et en herbes aromatiques, selon tes besoins, et ajuster mes cultures à ta carte, ce qui te permettrait de te démarquer en cuisine des autres auberges de la ville.

Voilà. La perche était tendue, il ne restait plus qu'à voir s'il la saisirait. A moins qu'il ne lui annonce qu'il avait déjà des fournisseurs, ce qui serait bien dommage et viendrait contrecarrer ses projets d'expansion.

La petite brune était intéressante, en la voyant Nathaniel avait pensé qu’elle était perdue et plus il la regardait, plus elle lui semblait à sa place. Assise là près de la fenêtre comme si cette place était la sienne, une habituée qui venait pourtant pour la première fois. C’était une sensation difficile à décrire, rencontrer une personne pour la première fois et sentir que l’on se connait déjà. Enfin non, Nathaniel ne connaissait pas du tout la maraichère, c’était juste une impression.

- Pour les légumes je me suis débrouillé mais il faut avouer avec bien du mal. Des plantes oui, ça pousse pas trop mal en pot mais ça part trop vite, mais surtout de la viande, est ce que tu en as ? n’importe laquelle !

Il mit du temps mais après avoir commencé à parler le tenancier se rendit compte qu’il embêtait surement sa cliente, devant son bol de soupe. Il recula donc un peu la chaise pour faire mine de la laisser tranquille, lui laisser un peu d’espace pour prendre son repas.

- Faut m’excuser, j’étais tellement content d’entendre une si bonne nouvelle que j’en ai oublié les bonnes manières, je reviens quand tu auras fini ta soupe ? C’est mieux.

Et puis quelques instants plus tôt alors qu’il desservait les deux marins, il n’y avait pas accordé beaucoup d’attention mais on lui avait proposé des marchandises ? Avec le service et toutes ses occupations, Nathaniel était passé en coup de vent en écoutant poliment, acquiesçant au compliment du marin. Il faudrait aller les voir pour obtenir quelques détails.

- Un morceau de pain pour aller avec la soupe ? Ou autre chose ?

La chaleur de l'auberge était d'autant plus réconfortante lorsque l'on se trouvait à l'opposé des grandes fenètres donnant sur la rue des Hytres. Car celles-ci étaient les témoins silencieuses de la fraicheur saisonnière. Le froid glacé était mordant et moi qui n'avait que rarement connu la neige dans mon domaine de naissance n'écartais pas que des flocons se mettent à imprégner la dernière cité de vivants d'un voile nacré. Le murmure du vent sifflait chaque fois qu'un client entrait ou sortait de l'établissement et son souffle se répercutait dans les charpentes. Tandis que dans mon dos crépitait les flammes dansantes d'un feu de cheminée. Le contraste était agréable et alors que j'écoutais distraitement mes officiers debattre du temps que notre meilleure lame pourrait tenir face à un Fangeux une autre sonorité attira rapidement mon attention.

Celle caractéristique d'une mélopée artistique. Un barde à n'en point douter qui maniait le luth avec un talent certain. Ser Francis suivit presque naturellement mon regard alors que je cherchais le musicien dans la vaste pièce. Nous le découvrimes à quelques tablées de là près du comptoir dans une attitude notoirement exubérante. Un sourire en coin ne tarda pas à étirer mes lèvres. Que demander de plus ? La Rose Blanche réussissait à mes yeux son ouverture avec un brio certain alors mème que je n'avais pas encore gouté le moindre de ses plats. Des piécettes commencaient déjà à teinter dans son escarcelle alors que la voix de crécelle s'élevait et emplissait les lieux pour le plus grand plaisir des clients rassemblés. Ecoutant la chanson du barde nous ne vimes pas le temps passé jusqu'au retour du tavernier. Mes vassaux rigolaient bruyamment à une plaisanterie de Ser Francis lorsque le propriétaire revint à notre table. Le rythme était de toute manière agréablement soutenu. J'adressais un sourire chaleureux à notre hôte.

"Nous vous remercions pour cet acceuil aubergiste. Ne nous remerciez pas pour cela. De ce que je vois il le mérite amplement."

Ser Francis échangea quelques mots aimables avec le jeune homme tout à fait courtois et travailleur qui s'était lancé dans cette aventure. Alors que mon second discutait avec le tenancier je notais finalement certaines choses à son sujet. Sa manière de se tenir, quelque chose dans sa posture, une certaine rigueur...Nous nous trouvions peut ètre face à une reconversion. Je m'imaginais que le jeune homme avait été soldat dans une autre vie. Peu importe cela ne me regardait pas bien que je sache pertinnement que je ne pourrais m'empecher de l'interroger à ce sujet.

"Nous n'hésiterons pas mon brave. Enchanté Nath. Je vois que le service vous appelle alors je ne vous retiendrais pas plus longtemps."

Une fois Nath reparti s'occuper d'autres clients nous attaquions prestement nos plats apétissants. J'avalais une gorgée de bière avant de lever un toast à la prospérité de la Rose Blanche ainsi que le voulait la tradition plus au sud du Morguestanc, sur nos terres d'origine.

L'ambiance misent par les miliciens dans la taverne contrastait sérieusement avec la tempête qu'il y avait en dehors. Alors que Nathaniel n'avait pas trop aimé voir des officiers débarquer à la Rose au début, il avait bien vite changé d'avis. Il faut bien dire qu'il n'avait pas trop l'habitude de fréquenter les tavernes avec sa garnison, son expérience se limitant à ses souvenirs d'enfant avec sa mère. Mais là, tout lui plaisait, même se maudit luthier qui n'en finissait pas de l'énerver jusqu’à il y a encore quelques minutes.

D’ailleurs il semblait reprendre position pour une de ses tirades. Le luth en main il s’éclaircit la gorge par un toussotement discret puis embrassant l’assistance de son bras, il commença son allocution de façon très solennelle. La mélodie qu’il obtint en pinçant les cordes fut douce mais entrainante, propice au récit, il accentua délibérément et bien volontiers chaque fin de vers sur une note tantôt grave pour la tristesse, tantôt aiguë pour la joie.

- Messires ! Gente dame ! Permettez-moi de vous proposer une petite balade chantée. La mort du Chevalier Andrasté, que nul ne connait mais qui se transmet depuis une éternité.

♪♪ ♫ ♪♪
Il y avait un chevalier, au doux nom de Saint Andrasté,
Il parcourrait les duchés, pour bouter les coupe-jarrets.

Son bai cheval de bataille, un allié sans faille
Piétinait les canailles, sans faire trop de détails.
♪♪ ♫ ♪♪
Un jour dans un village, un bourg de rivage
Arriva tout un équipage, pirates prêt au pillage.

Le cavalier extraordinaire, tirant son épée au clair
Fit gicler de ses adversaires, le sang de leurs artères.
♪♪ ♫ ♪♪
Le drapeau noir si effrayant, infernal le soir venant
Avec le bateau brulant, fanal dérisoire du couchant.

Les habitants du hameau, applaudirent le héros
Qui se battant en dévot, anéantit bientôt le fléau.

Une fête en son honneur, que les poètes et crieurs
Honnête en leurs cœurs, certes trop pour le sauveur.
♪♪ ♫ ♪♪
Lui s’en était déjà allé, avec le côté déchiqueté
Touché par une épée, qui l’avait mortellement défait.

Il partit sur son cheval, et sentit sur l’animal
Une partie de ses entrailles, qui jaillit de son poitrail.

Ainsi mourut le valeureux, en chevalier éternel
Invaincu et chanceux, d’être conté par les ménestrels.
♪♪ ♫ ♪♪

Après cette tirade des plus réussit, Nathaniel ne put s’empêcher de se lever pour applaudir gentiment. Michel le musicien était très content de lui, son visage rayonnant de bonheur il traversa la salle jusqu’au comptoir pour se désaltérer.

L'aubergiste saisissait la perche, mais pas de la façon escomptée. De la viande? Mathilde fit une petite moue. Elle n'était pas éleveuse, et les quelques bêtes qu'elle possédait étaient essentiellement pour son alimentation -une truie, une chèvre et quelques poules qui lui permettaient de fournir des oeufs à la ville. La truie était engrossée, dans l'espoir de pouvoir voir naître quelques cochons à engraisser pour l'hiver prochain, mais elle ne mettrait pas bas avant plusieurs semaines encore.

- Eh bien... j'ai des poules. Je les élève pour les oeufs, mais j'ai une race qui est également bonne à table. Je peux faire en sorte d'en élever pour la viande. Ça ne m'ajouterait pas trop de travail. C'est une question de temps, les premières seraient prêtes dans quelques semaines.

Avait-il écouté? Déjà il se levait.

je reviens quand tu auras fini ta soupe?

- Mais j'ai fini... murmura-t-elle.

Il était parti. Mathilde était dépitée, mais ne laissait rien paraître. Elle regarda son assiette vide, puis Nathaniel qui courait dans tous les sens. Il fallait vraiment qu'il se trouve de l'aide avant de mourir d'une crise de coeur.

Mathilde ne savait pas quoi faire. Elle ne voulait pas accaparer l'attention de Nathaniel plus qu'il ne fallait, mais elle voulait conclure un accord. Ou simplement se faire remercier, et ne plus perdre son temps. S'il refusait sa proposition, elle avait encore le temps d'aller dans une autre auberge. Ensuite, il faudrait qu'elle reparte au triple galop. Elle n'avait pas les moyens de dormir en ville, où elle était obligée de se payer une chambre, faute d'y avoir un ami ou un membre de la famille.

Son attention fut attirée par le musicien qui donnait de la voix. Beurk. Parler d'entrailles alors qu'on mange. Mathilde voyait des images dont elle se serait bien passées. Le chevalier, son torse d'où jaillissaient les intestins, et le sang dégoulinant sur le cheval qui n'avait rien demandé. Avait-elle réussit à cacher son dégoût? Elle applaudit poliment, tout en espérant qu'il ne réitère pas.

Nathaniel s’était levé pour applaudir la prestation du barde après ses excuses pour ses mauvaises manières. C’est à ce moment que la maraichère lui répondit qu’elle avait fini son repas, un coup d’œil à l’assiette lui confirma. Il se rassit donc et continua la conversation qui tournait autour de viande mais à priori ce n’était pas là la spécialité de la dame. Il la regarda et pu voir à la tête qu’elle faisait, elle n’avait pas aimée la chanson et comment lui en vouloir alors que lui-même émettait des doutes, par contre le reste de l’assistance semblait séduite.

- Ha vous n’élevez pas d’animaux pour la vente, ce n’est pas grave, pouvoir me fournir en légume chez vous serait déjà une très bonne chose. Des poules et des œufs se serait merveilleux, voyez se qu’il vous sera possible de produire, de petites quantités suffiront.

Il fouilla sa mémoire pour faire un rapide inventaire de ses provisions et des prévisions d’achat, « Ails et oignons pour trois semaines ; Pomme de terre, carotte, panais, poireau pour deux semaines ; Céleri, navet et radis / pas de réserve »

- Prévoir les légumes de base sera très bien, ce midi par exemple pour une vingtaine de couverts il y avait des pommes de terre, des carottes et des poireaux dans votre soupe. Un bouillon qui m’a servit de base à celle au poisson. En ce qui concerne d’éventuelle fantaisie dans le menu, je ne vais pas faire le difficile, des légumes sains et voilà.

Il faudrait ensuite se mettre d’accord sur les prix, les délais et modalités de livraison. Nathaniel ne sortait plus que très rarement de la ville, il avait développé une peur des fangeux et plus le temps passait, plus cela s’aggravait. Il en était réduit à écouter les commérages plutôt que de vérifier des ses propres yeux comme il l’aurait fait quelques années auparavant, et ces informations non vérifiés faisait état qu’un simple aller-retour du Labret jusqu’à la ville ne se faisait pas aussi facilement que ça. Maintenant est ce que vraiment on pouvait faire de mauvaise rencontre, c’est-à-dire rencontrer les monstres ? Il n’en était pas certain. Il y avait justement ici tout un groupe de soldat aguerri qui devait surement patrouiller à l’extérieur, il suffirait de leur demander mais il y avait encore meilleur source d’information. Après tout Mathilde habitait le plateau toute l’année et avait fait le chemin elle-même.

- La route depuis le Labret n’a pas était trop mouvementé ? J’ai entendu dire qu’il était facile de faire de mauvaise rencontre. Vous pensez qu’il serait possible d’être livrer toute les semaines ou toute les deux semaines peut-être ?

Faudrait-il un surcoût pour payer une protection de convoi ? Nathaniel lui souriait gentiment, heureux de la tournure des choses, la maraichère semblait prête à rendre service et paraissait digne de confiance. Elle ne devait pourtant pas avoir de mal à trouver des acheteurs. Pour Nath le plus embêtant se serait le paiement, pas qu’il fut avare, mais n’étant pas très doué avec les chiffres, il lui faudrait attendre le soir pour vérifier son livre de compte et savoir combien d’argent il aurait de disponible. Il ne pourrait décemment pas commencer cette relation commerciale par un crédit, il verrait alors Mathilde partir, ça il en était sur et il ne le voulait pas.

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Michel J. le Luthier
On dirait bien que cette ballade a eu son petit effet, je devrai remercier le barde qui me la apprise même si aujourd’hui il ne doit plus être vivant. Pourquoi les récits de bataille plaisent ils tant au guerrier je ne me l’explique pas, eux qui on déjà vécu les scènes atroces d’horrible boucherie, à chaque représentation devant ce type de spectateur ces fables de chevalerie font mouche. J’aurai plutôt eu tendance à penser le contraire, que de leur rappeler de mauvais souvenir les décevraient, mais non. J’espère que Nath a aimé pour qu’il me permette de rester plus longtemps, c’est à croire que cette taverne est faite pour la musique. La résonance y est merveilleuse sans pour autant étourdir le public, peut-être est ce le plafond au dessus de la scène qui renvoie de si bonnes ondes sonores au reste de la salle, je ne sais pas mais j’adore.

Oh un client qui me tend une piécette pour ma prestation, moi qui ne m’attendais à recevoir qu’une petite paye me voici les poches presque pleine et en une matinée à peine. Le sieur vêtu de son bel habit, l’épée à la hanche aurait pu m’inspirer ce conte à n’en point douter ; Certainement d’ailleurs que dans plusieurs jours je me mette à écrire mes lignes en pensant à lui comme mon héroïque personnage, sauvant une belle princesse que des brigands agressent.

- Messire, mon grand plaisir est de vous divertir.

Mathilde écouta avec attention. Elle pourrait sans doute convaincre Nathaniel d'être plus imaginatif quant à son menu en lui faisant goûter, plus tard dans l'année, quelques légumes bien apprêtés. Elle ne cherchait pas de grosses commandes, seulement de quoi offrir un salaire à un petit jeune d'Usson pour qu'il l'aide durant l'été.

- Les routes me paraissent moins dangereuses que la mer. Au moins on s'épargne les pirates. Évidemment on peut toujours faire de mauvaises rencontres, mais avec un bon cheval, on s'en sort toujours sans trop de peine. Il suffit d'être attentif.

Elle sourit. Savoir tirer était un atout supplémentaire. Ne jamais s'arrêter, ne jamais faire la route au coucher du soleil, toujours rester à l'affût. Elle avait vu du mouvement, tandis qu'elle faisait la route vers Marbrume, mais sa brave Marguerite avait rapidement mis de la distance entre le potentiel danger et elles.

- Tu devrais venir à la ferme à l'occasion. Le Labret n'est pas si mal, pour qui sait anticiper les problèmes. On voit souvent des miliciens rallier la campagnes, tu peux les accompagner et bénéficier de leur protection. Et puis je pourrais te présenter des amis qui feraient de bons fournisseurs. Les premières poules ne seront pas prêtes avant quelques semaines, mais je peux te fournir en oeufs et en légumes d'ici là.

Elle maîtrisait tant bien que mal son enthousiasme. Cette première négociation semblait bien se dérouler, et même si le contrat serait relativement humble, elle serait attentive à l'honorer avec les meilleurs produits.

- Je peux m'arranger pour que les livraisons soient à la semaine. Elles seront plus petites, ça rend le livreur plus léger et donc plus rapide. S'il y a un problème, on a plus de chances que les produits ne soient pas détournés. Ça ne serait pas toujours moi, mais s'il y a des modifications à faire pour la commande suivante, tu pourras en faire part au livreur et je m'adapterai.

Elle sourit. Ça ne serait pas de tout repos, mais c'était jouable. Ça lui donnerait l'occasion de venir un peu plus souvent en ville, d'y développer des marchés et peut-être de retrouver le chemin de la foi. Les Trois l'avaient perdue le jour où ils avaient décidé de la priver de son père.

- Je crois qu'il y a beaucoup de détails à discuter, mais tu connais l'essentiel de mon offre. Je sais que tu démarres ton affaire, j'imagine qui tu y as englouti tes économies et que tu as probablement contracté des dettes. Je peux attendre la seconde livraison pour un premier paiement, mais je peux difficilement attendre plus.

Un coup d'oeil par la fenêtre. Il ne fallait plus trainer, le chemin était long et elle ne voulait pas moisir en ville.

- J'ai de la route à faire. Réfléchis à mon offre, et quand tu auras pris ta décision, tu n'auras qu'à demander à un milicien qui part en mission d'aller voir la veuve Dumas au Labret. Je m'occuperai de lui remplir l'estomac pour le remercier d'avoir fait le détour par chez moi. Si je n'ai pas de tes nouvelles d'ici un mois, je considérerai que tu te passes de mes services, tout simplement.

Elle le regarda, tout à coup prise d'un doute.

- Est-ce que ça te convient? J't'avoue que t'es le premier à qui je propose mes services.