Noble Escorte pour une fermière VIP [PV Mathilde]

- Va pour la sixième heure. De toute façon, le coq va se charger de nous réveiller en douceur.

En douceur. Mathilde rit doucement, puis se renfrogna en réalisant qu'en étant dans l'écurie, elle serait réellement juste à côté du poulailler et donc du coq. Le réveil serait tonitruant à souhaits. Mais bon, c'était pour la bonne cause. Deux jours de cheval, une rencontre officielle, et puis elle rentrerait à la ferme juste à temps pour lancer le temps des semailles. Elle ne pourrait pas trainer à Marbrume, pas cette fois.

Elle s'immobilisa lorsqu'il la saisit par le bras. Mathilde n'avait pas réalisé à quel point il était grand. Maintenant qu'il la fixait, avec un regard intense et un sérieux qui venait creuser sa ride du lion, elle comprenait qu'il pouvait se montrer intimidant lorsque cela était nécessaire. Jusqu'ici, elle avait eu affaire à un homme avec un certain sens de l'humour et d'agréable compagnie, mais dans les faits, une fois l'entente signée, ils seraient liés par un pacte commercial qui lui assurerait du travail, certes, mais qui la maintiendrait bien à sa place dans la hiérarchie de la société, avec lui tout en haut, et elle tout en bas.

Il la relâcha, et elle fronça les sourcils. Du haut de son mètre soixante, elle tenta de se montrer convaincante.

- Monseigneur, vous êtes mon invité, et il est strictement hors de question que vous couchiez à l'écurie. Dans n'importe quelle maison, où que vous alliez, vous dormirez dans la chambre que le maître vous aura préparée. Je suis la maîtresse de maison, vous dormirez à l'étage sur la paillasse que je vous aurai préparée. Et ne m'obligez pas à vous menacer.

...

- S'il vous plait? ajouta-t-elle sur un ton hésitant, réalisant tout à coup qu'elle avait légèrement outrepassé la bienséance. Vous avez débarrassé la table, j'voudrais pas qu'on sache que Mathilde Dumas ne sait pas recevoir.

Elle fit mine de ne pas lui laisser le temps de répliquer et, bravant une fois de plus l'ordre établi en ne demandant pas la permission de disposer, elle monta à l'étage pour préparer une paillasse pour le Vicomte et en profita pour rapidement paqueter ses affaires en prévision du voyage. L'étage des paillasses étant en mezzanine, elle pouvait néanmoins entendre les bruits de la maisonnée et saurait si le Vicomte en profitait pour contourner sa décision ou non.

- Au fait, s'il pleut monseigneur, est-ce qu'on prend la route? Ça me gêne pas, mais... j'aimerais beaucoup éviter d'attraper la mort sur le chemin.

Il était de notoriété publique que Alexandre était un noble qui n'en faisait qu'à sa tête et que lorsqu'il avait une idée derrière la tête, il était pire qu'un âne … profitant du fait que la demoiselle était partie à l'étage de la maisonnette, il avait décidé de partir sur la pointe des pieds sous la pluie battante pour rejoindre les écuries … évidemment, il se fit houspiller les oreilles mais il n'en avait pas démordit et il était resté dans l'écurie dormant dans la paille en compagnie des chevaux.

Le lendemain, Alexandre était debout bien avant le chant du coq et bien avant la sixième heure … il s'était donc préparé, il avait oublié qu'il avait une miche de pain et du lard dans sa besace fraichement enveloppé et il avait décidé de rentrer dans la maison sans être trempé étant donné que la pluie semblait s'être arrêtée et c'était un bon point pour le retour des deux membres de l'Ordre, du moins de son chef et du futur partenaire de l'Astre, il avait donc partagé son repas avec la demoiselle et après quelques rapides préparatifs, ils reçurent la visite des trois hommes dont Alexandre avait parlé et après quelques conseils, ils partirent pour Usson où la jeune Mathilde allait prévenir son aide-maraîcher.

Cela n'avait pas pris plus de trois quarts d'heure, et aussitôt cela fait, les deux compères partirent sous un soleil radieux mais dont le ciel émanait encore des dangers pluvieux de la nuit dernière … il fallait faire vite pour arriver à Marbrume sinon le temps allait vite changer en leur défaveur et malgré la boue qu'avait formée la pluie diluvienne de la veille, les chevaux allèrent bon train.

Le trajet jusqu'à Saurant s'était passé très bien, mis à part un homme a moitié mort sur la route qui avait failli se prendre un coup de sabot de la part d'Uriel, il n'y avait rien de bien grave même si cela avait alerté Alexandre de voir un homme portant la marque des bannis a moitié dévoré … il ne fallait pas traîner dans les environs au risque de se retrouver face au cadavre réanimé après sa mort ou encore par le responsable de ce macabre spectacle.

Le trajet jusqu'à Conques par contre … ce déroula moins bien que celui d'Usson à Saurant … Alexandre avait fait ralentir la cadence des deux chevaux quand il sentit qu'ils étaient observé et pas par une bête ou un mordeur mais bien un humain, il avait entendu des branches craqueler et des murmures … hm, et ses soupçons furent vite effectif quand il vit quatre hommes en haillons portant des armes rudimentaires telles que des gourdins ou encore des coutelas. Il fit un signe à Mathilde de se cacher et de se préparer avec son arc … il ne fallait pas faire de faux pas, il dégaina alors son épée tout en s'approchant d'eux.

« On n'bouge pas, l'voyageur … or, argent, bijoux, toute la pierraille quoi et range c't'épée papy, t'va t'faire mal. »

Alexandre eut un sourire et dessella certes avec difficulté mais il le fit tout de même, toujours son épée en main, il resta sur place tout en attendant que Mathilde fasse son entrée avec le signal qu'il lui donnerait.

« Le vieillard demande à parler au chef. »

« Ah ! Un nobliau ! Ç'faisait longtemps qu'on avait pas cassé la graine avec l'sous d'un sang-bleu, allez vieillard, l'pépéttes. » Dit alors le roublard tout en s'approchant un peu plus du Terresang, le menaçant de son gourdin.

Le Vicomte eut un demi sourire et regarda l'endroit où pouvait se trouver la jeune fermière qui s'était probablement embusquée avec son arc et changea tel le taureau qu'il n'était pas, il esquiva alors le coup de gourdin que le péquenaud voulait lui adresser dans les chicots, l'esquivant en se collant à lui et ainsi le prendre derrière pour ensuite feindre l'air avec son épée malgré la douleur de son épée, une gerbe de sang accueillit Terresang quand il eut finit son ballet martial et un gargouillis se faisant entendre… la tête du mécréant avait roulée telle une pomme et Alexandre eut un sourire satisfait. Qui l'avait insulté de vieux ? Il se remit en position de combat devant les trois autres et commença à crier.

« Mathiiiilde ! »

Mathilde l'avait entendu partir. Le petit con de noble. Elle était insultée, parce qu'en agissant ainsi, il ne lui reconnaissait pas le rôle de maîtresse des lieux, ce qui la ramenait à son statut de veuve sans mari, autrement dit "personne". Elle était donc sortie sous la pluie battante pour aller porter deux couvertures, en silence, dans l'écurie. Elle se garda bien d'essayer de le convaincre de revenir à l'intérieur, mais, têtue comme elle était, elle dormit elle aussi dans l'écurie.

Levée tôt, alors que le ciel se colorait à peine du rose d'un magnifique lever de soleil, elle quitta les lieux pour rejoindre la chaumière, réactiver les flammes et faire cuire les galettes d'avoine qui, très vite, furent rejointes par un pain délicieux et du lard. Mathilde ne manqua pas de faire part de son mécontentement au Vicomte, tout en prenant soin de rester à sa place de femme de basse condition.

Les préparatifs furent vite faits, et l'on se mit en route pour Usson. Comme à chaque voyage, Mathilde avait enfilé un pantalon sous une jupe ouverte, ce qui lui permettait de monter à cheval comme un homme sans dévoiler ses jambes. En cas de pépin, cela lui permettrait de filer au triple galop sans tomber. Une chemise blanche et une large ceinture de tissu venaient compléter l'ensemble, sous une cape de laine sombre.

Le trajet se passait relativement bien, et de façon agréable. Le Vicomte était de bonne compagnie, ce qui ne surprenait pas Mathilde puisqu'il semblait s'être ravisé et ne la considérait plus comme étant la cause de sa chute, la veille. Elle avait partagé ses galettes, il lui avait raconté quelques épisodes de sa vie, pour peu on aurait dit qu'ils avaient l'habitude de voyager ensemble. Dans le fond, Mathilde songeait que le noble était profondément malheureux, et que cette promenade lui offrait un peu de répit.

Elle allait lui en faire part lorsqu'il les fit ralentir, et l'envoya se planquer. Ce qu'elle fit. Le compagnon de route laissait place à l'homme de guerre, et la jeune femme ne connaissait rien à la guerre. Elle n'avait tué que des animaux, pour manger. Elle grimpa sur le dos de sa jument pour se hisser dans un arbre et s'installer sur une branche qui lui permettait d'avoir une vue imprenable sur la scène. Sous ses yeux, une bande d'amateurs à peine armés bravaient l'épée d'un noble. Elle ne put s'empêcher de soupirer. Ça allait mal se finir.

En deux mouvements, le Vicomte fit rouler une tête. Une flèche encochée, Mathilde attendait le signal qui ne tarda pas à arriver. Elle émit un sifflement et sourit chaleureusement aux trois hommes encore en vie.

- Si monseigneur me le permet, j'aimerais que ces joyeux compères sachent précisément ce qui va se passer dans les prochaines secondes, s'ils ne détalent pas comme des lapins. Je vais décocher une première flèche dans la gorge du petit barbu, qui va se noyer dans son propre sang. Évidemment pas sans douleur. Ensuite, tandis que j'encocherai une nouvelle flèche, monseigneur avancera vers le compère balafré pour lui trancher le bras qui tient ce coutelas mal affûté. Naturellement, puisque monseigneur a toujours connu des entraînements intenses et des guerres qui le sont tout autant, il ne manquera pas son coup. Pendant que la balafre hurlera de douleur en essayant de recoller sottement son membre perdu, notre troisième ami, se voyant en fâcheuse posture, fera demi-tour pour filer dans les bois. Sauf que ma flèche atteindra ses reins, ce qui aura pour effet de le coucher par terre afin que monseigneur n'ait plus qu'à lui fendre le crâne. Nous terminerons enfin par notre ami en pleures devant son bras, avec une lame plantée bien droite dans la nuque. Il aura le temps de la voir sortir par sa gorge, ça va être amusant.

Mathilde battit des cils, affichant un sourire provocateur qui contrastait totalement avec son état intérieur en panique totale. Et si elle ratait son coup? et si le Vicomte était tué? Et si elle tuait un homme? Ses cuisses serraient, plus que nécessaire, la branche qui la supportait. Elle espérait que la décapitation de leur ami, suivie de sa tirade, suffirait à les faire fuir.

- Naturellement vous pouvez aussi fuir maintenant. Tout de suite.

Chose qu'ils ne firent pas. Le premier trait atteint la gorge du barbu, tel qu'elle l'avait prédit, tandis qu'Alexandre portait une deuxième charge sur l'homme au coutelas. Trois morts plus tard, Mathilde descendait de sa branche, avec une solide envie de vomir. La fermière, jusqu'ici, n'avait jamais tué personne. Blessé un voleur, certes, et contribué certainement à une mort certaine, mais jamais tué directement. Debout au pied de l'arbre, son regard, un peu hagard, allait de Terresang au cadavre du barbu, pour revenir sur le noble.

- Pas de bobo?

L'adrénaline du combat commençait à faire son effet et la luxure ne tarderait pas à prendre place si Alexandre ne faisait pas attention … certes, ce n'était qu'un petit combat contre des bandits, il ne lui arriverait rien de bien dangereux mais lorsqu'une bataille a lieu et que l'on se laisser entraîner par cette luxure du combat, vos sens vous font croire que vous êtes invincible et vous virez à la bête sauvage par conséquent vous sautez dans la mêlée et si vous n'y prenez pas garde, vous risquiez de vous retrouver derrière les lignes ennemies mais là ...ce n'était que des coupes jarrets enhardis par le chaos qui régnait.

Il eut un demi sourire, tenant en respect les péquenauds, pendant que la demoiselle Dumas usait d'un discours stratégique et divinatoire à n'en point douter concernant l'issu du combat … malheureusement cela ne donna pas aux bandits restants de déguerpir comme les truies qu'ils étaient et le signal du combat fut donné par le projectile de mort qui se planta dans la peau tendu de la gorge du premier.

Alexandre s'élança alors tel un félin sur sa proie et la prédiction de la fermière s'avérait vraie car le barbu mal fringué eut le réflexe d'envoyer son coutelas vers l'abdomen du Vicomte mais ce ne fut sans la rapidité du vicomte pour s'écarter et l'adrénaline de ce dernier qu'il rata son coup et pire encore, le noble soldat décolla l'avant bras de l'homme d'un mouvement sec et il ne sut éviter la gerbe de sang qui tâcha son armure de cuir.

Le noble se tourna alors vers le cri qui fit écho dans le reste de la forêt, le supplicié n'était autre que l'homme qui avait fuit tel un lâche voyant ses compagnons mourir … Alexandre planta son épée dans la gorge du barbu mettant fin à son agonie puis se dirigea lentement le pauvre homme qui s'était vu affubler d'une queue au mauvais endroit … le noble soupira puis abrégea les souffrances du bandit en lui plantant son épée dans le crâne. Il se retourna alors vers Mathilde qui approchait mais qui s'arrêta net devant le cadavre du barbu qui baignait dans son sang.

« Pas plus qu'eux. »

Il remarqua son air hagard et eut un sourire triste.

« Les premiers morts sont les pires, ils vous poursuivront jusqu'à votre mort mais au fil des ans vous n'y ferez plus attention … c'était eux et ou nous, telle est la dure loi de notre monde désormais et elle l'était déjà bien avant. » Et il savait de quoi il parlait.

Il regarda autour de lui et eut un froncement de sourcils.

« Partons avant qu'un Fangeux ne soit attiré par ce remue-ménage, nous ne sommes plus loin de la Cité. »

Dit-il alors en remontant sur sa monture laissé près de l'arbre où se trouvait la jeune fermière.

Mathilde ravala ses larmes. C'était le premier. Qu'avait-elle fait? Allait-on l'arrêter et l'envoyer au gibet, ou bien reconnaîtrait-on qu'elle défendait un noble? Fallait-il qu'elle se dénonce? A qui? Les Trois la pardonneraient-ils? Les pensées se bousculaient dans sa tête tandis qu'elle prenait conscience de l'ampleur de ce à quoi elle avait pris part. C'est à peine si elle entendit le Vicomte tenter de relativiser les choses. Il fallut qu'il la prenne par le bras pour qu'elle retrouve plus ou moins un semblant de conscience et qu'elle remonte à cheval. Elle dut d'ailleurs s'y reprendre à trois fois avant de remettre son arc au dos et de se hisser correctement sur le dos de Marguerite, en silence. Là, juchée sur sa monture, elle eut un éclair de lucidité.

- J'arrive.

Elle sauta au bas de sa jument et couru vers les cadavres pour récupérer les deux flèches décochées. L'une d'entre elle, celle qui avait traversé la gorge du barbu, était brisée, mais l'autre, planté dans le rein, serait réutilisable une fois nettoyée. Elle l'essuya grossièrement sur les vêtements du mort, et revint à sa monture pour sauter sur son dos. Ne pas gaspiller les ressources. C'était une leçon apprise au Labret. Ils reprirent la route, s'éloignant du sang et des fangeux qui pourraient être attirés.

Qu'as-tu fais, pauvre petite fermière? Je t'avais dit que les nobles n'attiraient que des ennuis. Et te voici en train d'en suivre un vers la grande ville. N'étais-tu pas bien, seule dans notre bonne vieille ferme, à faire pousser les légumes tout au long de l'année? Oui papa, j'aurais du t'écouter, mais... notre ferme peut nourrir bien plus de monde si on lui en donne les moyens.

Elle avait envie de faire demi-tour, de rejoindre sa chaumière, de se rouler en boule sur une paillasse, une énorme couverture de laine par-dessus elle. Elle espérait se réveiller pour réaliser que ce n'était qu'un cauchemar. Mais le petit trot de Marguerite acheva de la convaincre que tout cela était réel. Alors seulement, elle rompit le silence.

- Tout ce qu'ils avaient à faire, c'était de partir. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait?

Au loin, les murs de la ville commençaient à se dessiner. Mathilde se surprit à souhaiter y trouver des bras réconfortant, mais personne ne l'attendait, là-bas. Peut-être pourrait-elle parler à Lance, s'il était arrivé. Sinon elle irait le voir à son retour. Il fallait qu'elle parle, qu'elle soit réconfortée. Elle respira profondément. Ce n'était pas le moment de craquer. Il fallait qu'elle passe outre cet incident et qu'elle aille de l'avant, au moins jusqu'à ce que la rencontre soit terminée. Elle y ferait bonne figure, le Vicomte verrait qu'elle est une femme forte et qu'elle est digne de confiance. L'accord signé, elle regagnerait alors le Labret où elle pourrait enfin relâcher ses émotions.

Elle ne regarda pas Terresang. Elle avait l'impression que la vue du sang qui le couvrait la ferait vomir.

Alexandre attendit donc la jeune fermière, il regarda alors les alentours pensant sentir un fumet de mort mais ce n'était qu'autre la tension qui avait eu lieu dans ce lieu … il fallait faire vite, si l'expédition sur ce maudit navire lui avait apprit quelque chose c'était que les morts ressuscitaient vite … quoique, avaient-ils était mordu ? Ils n'en savaient rien, ils avaient eu autre chose à faire que d'inspecter les corps des coupes-jarrets qui les avaient attaqués. Il eut alors un soupir quand cette dernière lui posa alors la question fatidique.

Tout ce qu'ils avaient à faire, c'était de partir. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait?

Il n'en savait trop rien lui même … oui, il avait déjà vu ce genre de comportement par le passé, bien avant le Fléau, des bandes de bandits terrassées par la faim et omnibulée par l'appât du gain qui forçaient toujours quand il y avait une caravane bien plus nombreux qu'eux ou encore quand leur adversaire était un noble qui savait se battre, il n'avait pas vraiment réponse à cette question mais il décida de répondre.

« L'Homme est un animal, il ne connaît pas la peur lorsque une personne isolée est face à eux, qu'elle soit armée ou non, qu'importe ! L'Homme se verra galvanisé par l'esprit de meute quand il sera en compagnie de ses camarades, si l'un d'eux s'avise d'être faible, les autres le tueront aussi sauvagement qu'ils le feront avec leur victime première. Un peu comme des loups mais même les loups ou les chiens ont une limite … l'Homme n'en a pas, il pensera toujours être le roi des prédateurs, il pensera toujours que ce qui le rend plus fort qu'un animal ce sont ses sentiments et son intelligence mais il a aussi sa faiblesse, il pense trop ou pas assez, à vous de voir. »

Alexandre était devenu un érudit depuis son excursion à la ferme Dumas ou quoi ? Ce raisonnement ne lui était pas familier pourtant mais peut être était-ce la vieillesse après tout. Il remarqua que la demoiselle ne le regardait pas … elle devait avoir honte de ce qu'elle avait fait ou alors elle ne supportait pas la vue du sang qu'arboraient les vêtements du Vicomte.

« Vous ne devez pas avoir honte de votre force, mademoiselle Dumas. Vous êtes forte à l'arc et vous m'avez sauvé la vie trois fois rien qu'à cet instant, sans vous, je doute que j'aurais pu les mettre à mal… vous serez tourmenté par ces hommes mais il y a pire que le tourment de quelques bandits, il y a la mort par la Fange. »

Il se disait qu'il s'y prenait mal … peut être n'était-ce pas ce qu'elle voulait entendre après avoir tué deux hommes.

« Retenez cela, vous êtes maîtresse de votre destin, si vous hésitez à tuer quelqu'un qui vous veux du mal … eh bien, sachez qu'il n'hésitera pas lui, c'est vous ou lui. Nous sommes en guerre contre un ennemi invincible et les hommes qui ne sont pas assez fort d'esprit pour se dire qu'il y a une once d'espoir se mettent à tuer leur congénères. »

Elle l'écouta tandis qu'il parlait, et acquiesça. Il n'avait pas tort, c'était tuer ou mourir. Les temps avaient changé, tout comme les lois. Bien que protégés par la milice, les fermiers du Labret devaient, depuis la Fange, veiller à leur propre sécurité. Mathilde, désormais veuve, était une proie facile et connue. Conclure un accord avec l'Ordre lui apporterait un peu plus de tranquillité. Vous ne devez pas avoir honte de votre force, mademoiselle Dumas. Elle tiqua.

- Je n'ai pas honte, monseigneur. Je suis une femme de la terre, mon rôle a toujours été de veiller au foyer et aux champs. J'ai toujours vécu de la façon la plus paisible qui soit, jusqu'à ce que la Fange arrive. Je sais que seuls ceux qui s'adaptent ont une chance de survie mais...

Elle haussa les épaules, le regard tourné vers l'horizon. Elle avait dénoué ses longs cheveux, une façon pour elle de sentir un poids réconfortant sur ses épaules. Les jointures de ses mains avaient blanchi tant elle serrait les rênes. Elle se tenait, droite et raide, sur sa monture. Sa respiration était maîtrisée.

- Contrairement à vous, je n'ai pas été élevée dans l'art de la guerre. Je ne pensais pas, un jour, prendre une vie.

Elle garda le silence un moment, ruminant les événements. Comment allait-elle gérer tout ça? Mathilde se dit que le mieux était probablement d'oublier. Ne plus ressasser. Le vent se levait. Elle rabattit son capuchon sur sa tête et regarda enfin Terresang.

- Le vent tourne. On va se faire rincer avant d'arriver si on ne presse pas le pas.

Bon, il n'était pas plus répugnant qu'un fermier qui venait de découper le cochon qu'il avait élevé durant la belle saison. Il était même presque propre. Elle lui sourit. Son visage était visiblement plus détendu, sa posture sur sa monture avait changé. Elle n'était plus tourmentée.

- Au fait, rappelez-moi de ne jamais vous contrarier si vous avez votre épée à la main. Je voudrais pas me faire charger.

Un dernier commentaire amical et complice, avant d'entrer en ville. Là, sur le terrain du Vicomte, Mathilde songea qu'elle entrerait dans un monde inconnu où les apparences comptent autant, si ce n'est plus, que les mots. Elle devrait veiller à ne pas se montrer trop familière avec lui, en dépit du temps qu'ils venaient de passer ensemble et d'une certaine forme de complicité qui étaient née. Elle fit une petite moue, et décida d'apprécier le temps qu'il leur restait à sa juste valeur.

« L'art de la guerre n'est pas exclusivement réservé à la noblesse ma chère Mathilde. »

Dit-il avant de rengainer son épée encore pleine d'hémoglobine … il se demandait d'ailleurs comment il avait fait pour monter sur sa monture sans se casser la goule avec son arme dans la main.

« L'art de la guerre s'apprend… nous serions bien idiot si la milice était exclusivement composée de nobles, vous imaginez vous ? Des nobles mondaines avec une épée plus lourde que leur fiole de parfum. »

Il se mit à sourire en écoutant sa propre voix … c'est vrai que ça aurait était cocasse une mondaine avec une épée sur un cheval lancé au triple galop !

Son sourire disparut pour laisser place à une mine des plus sérieuses… elle ne pensait pas à prendre une vie ? Mais Alexandre non plus n'avait pas pensé prendre la vie de son père lors de son attentat raté, il n'avait pas à prendre la vie de ce gamin lorsqu'il est revenu en 1164 de sa campagne dans le Morguestanc, il avait attaqué avec une bande de bannis, le convoi des réfugiés et Alexandre avait réglé cela … mais il y a également tant de chose que le Vicomte regrettait, tant de chose que les gens ne devraient juste pas faire mais ils vivaient dans un monde dangereux et pour vivre, il fallait tuer … cela la jeune Mathilde ne semblait pas comprendre qu'ils vivaient une époque dangereuse mais il s'abstint d'évoquer sa pensée à voix haute lorsque la demoiselle lui annonça qu'il n'allait pas tarder à pleuvoir et il fallait qu'ils arrivent à Marbrume au plus vite … ils n'était plus qu'à quelques minutes et Alexandre avait semble t-il envie de rentrer dans cette Cité qui était le refuge de l'Humanité.

Alexandre de Terresang avait sans doute oublié ce moment gênant où, sans autre alternative, Mathilde avait du le pousser sur son cheval. L'Histoire oublierait bien vite ces quelques secondes incongrues. Mathilde pas, hélas. Mais elle rit à l'évocation d'une noble trop parfumée peinant à lever son épée. L'image avait le mérite d'être amusante.

- Je me contenterai d'exceller à l'arc, et de veiller à toujours rester sur mes gardes. Chacun a un rôle à tenir. Ça ne nous empêche pas de prêter main forte lorsque le besoin se fait sentir, mais jamais je ne serai une combattante. Tout au plus une archère au coeur d'une bataille qui me dépassera complètement.

La mine du noble s'obscurcit. Bon, lui aussi devait sentir poindre l'aura -et l'odeur!- de la ville et la nécessité de reprendre sa place. Elle le laissa prendre quelques pas d'avance et talonna sa jument pour le suivre à travers les Faubourgs jusqu'à la porte principale, où elle présenta un bras vierge de marque. Elle trouvait ce cérémonial un peu ridicule, bien que nécessaire. Y avait-il vraiment des bannis qui se risquaient à passer par la grande porte?

Elle suivait le Vicomte, à une distance indiquant son rang inférieur. Mathilde en profita pour regarder les gens, sur son passage, et guetter les réactions vis-à-vis de Terresang. Elle pensa qu'il faudrait reconsidérer l'entente si elle voyait les cailloux volés. Après tout, la réputation du noble n'était peut-être pas brillante, et Mathilde ne voulait pas que cela lui porte préjudice dans le développement potentiel d'autres ententes.

Ils remontèrent l'artère principale, longeant le quartier des temples où Mathilde songea qu'il serait bon d'aller, ne serait-ce que pour rencontrer un prêtre et profiter des thermes pour la troisième fois de son existence. Ils traversèrent Bourg-Levant et passèrent le rempart ceinturant l'Esplanade, où elle n'avait jamais mis les pieds. Elle fut immédiatement émerveillée par la beauté des lieux qui, en dépit de la Fange, avaient continuer de profiter du soin que tout noble apporte dans l'étalage de sa puissance. Les manoirs et les résidences se succédaient, tous plus beaux les uns que les autres. Avec le printemps, ce serait bientôt une débauche de fleurs qui viendrait rehausser l'architecture grandiose des lieux.

Ils remontèrent encore quelques rues pour finalement arriver devant l'immense manoir des Terresang où, d'après le Vicomte, Mathilde serait hébergée. Il était à l'image qu'elle se faisait du Vicomte : sans fioritures inutiles, sans étalement de luxe, mais de toute évidence animé, à en juger par les voix provenant des jardins. Le Vicomte était attendu. Mathilde se sentit toute petite.

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