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 Visions crépusculaires

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Grisold FolépineBannie
Grisold Folépine



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MessageSujet: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyMer 16 Oct 2019 - 21:33




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166


A l’heure où les hommes se barricadent dans leurs chaumières et où les animaux se serrent les uns contre les autres pour affronter l’obscurité qui vient accompagnée de tous ses dangers, elle marchait. Silhouette ténue parmi les ombres grandissantes, elle avançait sans faillir, droit devant elle, suivant un parcours connu d’elle seule parmi les herbes hautes de ces jours avant-coureurs d’été. Nulle frayeur ne se lisait sur ce visage anguleux, seulement une calme détermination de ceux qui savent, ou s’ignorent eux-mêmes. Le grand chêne l’attendait, majestueux dans sa grandeur et ses frondaisons fières. Ses feuilles semblaient rouges dans le soleil mourrant, frémissant au contact de la brise du soir, comme une promesse d’éternité. Elle marqua un temps d’arrêt, respectueuse et humble, et inclina un genou dans la terre, ses doigts venant frôler ses lèvres avant d’atteindre l’écorce de l’arbre. Il était temps.

Elle avait marché trois jours pour arriver là, patiente et vigilante dans cette nature dénuée de toute route humaine, cette lande désolée presque arpentée d’elle-seule. Elle avait guetté les signes des jours durant, et cette année, l’astre solaire s’était timidement résolu à revenir grignoter les nuits pour apporter sa lumière sur les hommes tardivement. Elle n’en était que plus déterminée à l’honorer. Le combat était acharné entre les ténèbres et l’aube, et elle ne pouvait qu’apporter sa maigre contribution aux efforts des Trois pour lutter contre le Mal qui rongeait cette terre. Cela serait fait, en dépit de tout. Rien ne pouvait la retenir, rien ne pouvait la raisonner. Elle devait rejoindre le grand chêne et honorer les esprits quand l’heure où le jour dévore la nuit était venue.

Déposant sa besace sur le sol, elle extirpa sa dague à manche d’os de son étui de cuir, et avec des gestes presque maternels, commença à graver le tronc d’un énième symbole sous la forme d’une tête de cerf. En réalité, il s’agissait plutôt d’une sorte de triangle dont les extrémités allongées évoquaient les bois du noble animal. Elle parcourut du bout des doigts tous ceux gravés au fil des ans, se rappelant de chaque année, chaque saison passée ici, entre le mois de mai et le mois de juin. La chair mise à nu de l’arbre prenait une teinte rosâtre à certains endroits, et elle ne tarda pas à s’entailler le pouce de sa lame pour venir rougir le nouveau symbole qu’elle venait de graver.

Passant ensuite la chair entamée dans sa bouche pour endiguer le saignement, elle admira son travail pensivement. Elle adressa son offrande à Serus, qui officiait à cette cérémonie plus que tout autre de la Trinité, l’implorant de baigner le monde de sa lumière, et d’offrir aux paysans des récoltes suffisantes. La survie de l’humanité en dépendait, et elle y mettait toute sa ferveur, les mains dans la terre, et le visage tourné vers la cime du chêne. Finalement elle se redressa et commença à rassembler le bois sec qui lui tombait sous la main. Elle ne mit pas longtemps avant de constituer un brasier suffisant pour ce qu’elle escomptait. De vieilles pierres l’attendaient, noircies par les usages, recouvertes des cendres de l’année précédente. Elle contempla le feu dévorer les branches et les broussailles qu’elle avait placées au dessous, perdue dans une fascination mystique. Elle jeta un chapelet d’herbes de feu dans les flammes - et qu’on appelait couramment Artémise, dégageant une odeur forte et aromatique. Elle annona entre ses lèvres :

— Que les esprits s’apaisent, que Serus nous bénisse, que l’obscurité recule tandis que le jour s’éveille.

Sa diction hachée rendait ses bénédictions peu compréhensibles, répétées inlassablement pendant plusieurs minutes à mesure que les herbes se consumaient. Quand les mauvais esprits furent repoussés, elle se redressa et se défit de sa pelisse, puis de ses oripeaux qu’elle laissa tomber au pied du feu, sans vergogne. Elle plongea les bras dans les cendres de l’année précédente, des mains jusqu’aux coudes et traça quelques sillons grossiers sur son visage. Ainsi parée, elle s’enivra des fumées, laissant son esprit s’échapper avec les flammes et son corps se tordit dans une danse étrange et envoûtante autour du feu sur une mélodie qu’elle seule semblait connaître, fredonnant d’une voix chaude et rauque entre ses lèvres. Ses mouvements s’accéléraient à mesure que les fumées du feu lui montaient à la tête, et que le soleil descendait à l’horizon. Infatigable, elle s’approchait et s’éloignait du feu comme pour communier avec cet ardent cavalier. Bientôt, elle s’élançait au dessus des flammes pour retomber accroupie de l’autre côté du brasier, provocante et joueuse, tantôt elle revenait, lascive et douce, à tournoyer toujours, bras en l’air, et rejetant sa tête en arrière, insoucieuse de l’obscurité qui guettait.





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EdmurMilicien
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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyVen 18 Oct 2019 - 15:42
Putain de merde de connerie de saloperie de chiure de raclure de catin sale et sentant le vieux bouc crevé et purulent...
...

Par les roubignoles de Serus !

J'en avais plein le cul de tout ce merdier !
Déjà au moins cinq heures que j'avais perdu le reste de l'équipe ! C'était bien simple, depuis que j'avais quitté Marbrume tout foutait le camp ! Je devais au départ rejoindre mon unité pour aller patrouiller, porter assistance autour du plateau du Labret, relever des tocards qui en avaient assez de faire le planton loin de leurs familles. Prévenir des mouvements de hordes de fangeux, et chercher toute personne ayant à voir de prêt où de loin avec le drame du Roi. Ce jour noir avait marqué un changement profond chez tout le monde.
Et les supérieurs avaient à cœur de se faire mousser en foutant le grappin sur les responsables.

Alors on larbinait au travers du pays cherchant les fils de putes qui avaient permis aux fangeux de rentrer dans la capitale. Pourquoi les cherchait-on si loin des murs ? J'en avais foutrement aucune idée, mais les têtes de nœuds qui nous dirigeaient devaient bien avoir leurs raisons ? Non?

Et v'là t-y pas que je me retrouvais à me faire ouvrir le bras par un fangeux sur le chemin ! Et v'à t-y pas que je perdais mon temps à battre la campagne à la recherche d'indices introuvables de fouteurs de troubles, ou de présence de quelques secteux à la noix.

Avec le putain de bras ouvert quoi ! Merde ! Le fangeux avait envoyé un grand coup de griffe, et j'avais pu détourner l'attaque de mon visage, mais le bras avait prit cher.
Une fermière somme toute sympathique, à la cuisine fort gouteuse avait fait ce qu'elle pouvait pour moi.
Singeant de mémoire les gestes de soigneurs, elle s'était essayée gentiment à nettoyer la plaie, coudre les bords et envelopper le tout dans des tissus propres.

Mais j'avais encore le bras en feu ! Par les Milles écailles de Rikni, et ça me tapait sur les nerfs. Il ne s'agissait pas de souffrance aiguë mais d'un mal sourd qui jamais ne se s'estompait, mais empirait dans de mauvais mouvements.

Et pour ne rien arranger, nous avions repris route, et j'avais tapé un roupillon la halte. Je ne sais si c'est parce que je m'étais écarté pour avoir la paix, si c'était parce que je n'étais pas forcément bien intégré,mais à mon réveil, la troupe était reparti, et manifestement, ils ne s'étaient pas aperçu qu'il manquait un type.

Quel bande de trous du c...
Quoi qu'il en soit, j'avais erré, d'abord en les cherchant, puis en tentant de me repérer dans ce foutu pays. J'avais beau marcher vers l'est, à partir de la course du soleil... Je ne connaissais nullement ce coin là. Aucun paysage, aucune colline ne me parlait, je ne savais simplement pas du tout où diable je pouvais bien me trouver.

Un simple chemin de terre courait devant moi et s'était aventurer dans un petit bois et je l'avais suivi, car il semblait se diriger dans la même direction que moi, mais il s'était effacé dans le sous bois, disparaissant entre les racines, les herbes.
La nature bruissait doucement sous le vent, la chaleur estivale s'estompait au fur et à mesure que la lumière déclinait.
Il allait devenir urgent que je trouve un abris, une veille maison, un refuge. La nuit voyait trop de mystères et de créatures s'envelopper dans les ténèbres pour surprendre les honnêtes âmes.

Il n'y avait maintenant plus chemin, ou sentier, ou balisage quelconque.
J'avançais tout droit, simplement espérant trouver de quoi m'abriter pour la nuit, les jambes lourdes.
J'étais inquiet.

Tandis que j'évoluais entre les troncs, alors que je la visibilité allait bientôt être réduite à néant, je me figeais soudain. Un son qui n'avait rien à faire dans une forêt comme celle-ci avait trouvé mes oreilles.

Une voix... déroutante, qui fredonnait, des frottements de tissu. Des pas lestes.

Mais qu'est-ce que...?

Tâchant de me montrer prudent et discret, je m'avançais en direction de la voix. Une voix signifiait un humain, un humaine, et donc, un toit voisin, un abris. Cependant, dans un endroit comme ici, loin de tout, j'étais loin d'être certain de la fiabilité de l'humain.
Et vu l'état de mon bras, je pourrais constituer une cible... Malgré ma stature.

Approchant doucement, ma tête se dressa au-dessus d'un buisson d'épineux. Je pus embrasser du regard un une scène totalement singulière qui me laissant quelques temps sans voix, incapable de réagir.

Une femme évoluait autour d'un arbre massif et ancestral. Un feu l'éclairait, jetant des lumières sur chaude sur ses formes, sur sa parure qui virevoltait derrière elle en suivant le balancement de ses mouvements. Il y avait quelque chose d'envoutant, d’intrigant et de terriblement incompréhensible dans la 'danse' qu'exécutait la femme inconnue.

Je penchais la tête sur le côté, suivant du regard les déplacements de la danseuse, ne comprenant rien, sinon qu'elle ne s'appartenait plus.

Et cela était déroutant, incroyable, voir, au vu du contexte, un peu effrayant. Était-ce une sorcière ? Devais-je la passer par la lame séance tenante ?

Mais ma mère elle-même subissait les à-priori. On la traitait de sorcière et on l'emmerdait pour cette identité qu'elle n'avait pas. Le jugement hâtif n'apportait rien de bon.

Je voulais soudain mieux voir tout cela. Poser des questions, m'informer, comprendre qui était cette femme, ce qu'elle faisait. Pourquoi elle faisait ça ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi comme ça ?

Je me redressais totalement, sortant de mon couvert, prenant soin de bien agiter les feuillages afin de doucement annoncer ma présence. Je ne souhaits pas la surprendre. En fait, je ne souhaitais même pas qu'elle s'arrête.

Sorti de ma cachette, je venais m'assoir vers le feu, hors du cercle qu'elle traçait autour dans ses pas pour ne pas gêner dans le passage. M'asseyant en tailleurs, subjugué par l'étrange de la situation, je débouclait le baudrier de Fureur pour poser l'arme au sol devant mes genoux, afin de montrer que je n'étais pas belliqueux.

Restant en silence, je détaillais la femme à la lumière des flammes, maintenant plus proche, alors qu'elle ne me tournais plus le dos, je pouvais mieux épancher ma curiosité. Désireux de ne rien briser, j'attendis patiemment en silence qu'elle cesse tout mouvement de rituel, ou qu'elle me parle.
Quelque chose me disait que c'était important, du moins pour elle, et je n'avais aucune envie de la brusquer...
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Grisold FolépineBannie
Grisold Folépine



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyVen 18 Oct 2019 - 21:10




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166



Elle atteignait la phase finale de sa transe. Les lumières projetées du feu et la fumée des herbes spirituelles lui brûlaient maintenant la peau et les os, et elle semblait ne faire qu’un avec les flammes, se tordant dans ce même rythme, s’élevant vers les cieux de ses mains tendues. Sa mélopée avait pris des accents plus marqués, et les sons qui s’extrayaient de sa gorge n’étaient plus dictés par une quelconque volonté humaine. Le soleil projetait encore des rayons violents au ras du sol, quand la luminosité atteint son apogée avant que les ténèbres n’envahissent peu à peu le monde. La poussière volait autour de son corps en même temps que la cendre, dans les mouvements qu’elle accomplissait, de plus en plus saccadés, bien qu’empreints d’une étrange volupté.

Mais alors qu’elle s’essoufflait peu à peu, que la chaleur du feu faisait transpirer sa peau, traçant sillons et fossés à travers la cendre et la poussière qui la recouvraient, elle perçut une ombre à contre-jour, monumentale, qui s’avançait derrière le rideau de flammes. Elle cligna tout juste, emportée par sa transe, les pupilles dilatées. Les Trois lui parlaient. Etait-ce la vision de Serus, ou l’avatar de Rikni ? L’esprit était silencieux, il s’assit non loin d’elle alors qu’elle achevait sa danse et le rituel qui devaient honorer le Père de toute chose. Allait-il s’exprimer d’une manière ou d’une autre ? Allait-il disparaître comme un aperçu fugace d’un autre monde ? Etait-il seulement tangible ? Malgré sa fascination, elle était dirigée par cette mélopée qui n’en finissait plus, par le rythme de ses pas dans la poussière, volant toujours, elle ne prendrait fin que lorsque le soleil serait passé sous l’horizon. Alors seulement, son corps se calma, ses gestes ralentirent, elle cessa d’onduler autour des flammes, ses bras retombèrent le long de son corps nu et blanchi par la cendre. Seul son visage était marqué de ce noir charbonneux qui formait comme un bandeau sur ses yeux translucides, dans un brusque contraste de couleurs.

L’esprit n’avait pas bougé, ombre parmi les ombres, seulement visible à la lueur du feu qui descendait peu à peu, privé de son combustible. Elle s’accroupit, et ajusta sa vision encore trouble de la transe. Elle avança prudemment jusqu’à lui, à hauteur de son visage, puis s’arrêta tout près, avant d’effleurer ce visage de ses doigts pour en tester les contours. Penchant la tête, elle murmura de cette voix rauque et un peu éraillée qui était redevenue sienne :

— Qui es-tu, toi ?

Elle accrocha son regard au sien et ajouta en notant la singularité de ses yeux :

— Un oeil de mer pour la douceur d’Anür, un oeil de glace pour la malice de Rikni.

Ses yeux glissant jusqu’à la solide charpente qui supportait cette face si particulière, elle ne pouvait que remarquer la similitude avec le chêne qui les dominait de sa présence.

— Et les épaules de Serus.

Elle sourit. C’était un sacré présage des Trois. Restait à savoir ce qu’il avait à lui dire, et pourquoi il lui était envoyé maintenant.

— Qu’as-tu à dire, esprit ?





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EdmurMilicien
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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyDim 20 Oct 2019 - 3:34
J'étais comme fasciné par ce que je voyais. Et en même temps je me disais que c'était bizarre. En fait, c'était intriguant, pour être franc. Comme... Stupéfiant. Et en même temps je me sentais un peu couillon de rester planter là comme tu tocards face à ce que je ne comprenais pas.
Je restais assis, me demandant ce que je faisais au milieu de nul part, assit en face de cette demoiselle ondulant au rythme d'une musique qu'elle seule semblait en mesure d'entendre. Elle chantait une quantique d'un autre âge, au rythme désuet. On ne composait plus musique ainsi de nos jours. Mais celle-ci sonnait particulière. Elle variait d'un calme et d'une douce mélancolie, au un rythme plus effréné, plus trépidant, forçant la voix de la femme à aller chercher les notes aux écarts parfois les plus extrêmes. Il s'en dégageait une certaine puissance. Et... Hum... c'était délicat à observer mais... Mh. Voilà.
Il semblait que la personne ne portait comme parure que le gris poivré de la cendre. Et une bande noire sur les yeux, ne laissant qu'un éclat de lumière blanc trahir la prunelle de ses yeux dans toute cette obscurité environnante.

C'était une scène surréaliste et l'irréel me gagna tout à coup lorsque la femme sembla atteindre la fin de son étrange ballet solitaire. En fin de compte, j'aurais été tout à fait infoutu de dire si l'étrange demoiselle avait bien pu sentir ma présence. Ce qui normalement aurait dû-t-être évident putain !

Mais ici, maintenant, tout semblait défier même les règles définies par les Trois. Le temps demeurait figé, et il ne reprit son cour naturel que lorsqu'elle acheva sa danse spirituelle.

Je penchais la tête sur le côté, détaillant le visage, les pommettes, la force de ses membres, ses formes, ainsi que le maquillage dont elle s'était paré.
Jamais je n'avais pu observer telles bizarreries. Et je n'étais pas au bout de mes surprises.
Oh non !

Est-ce que je rêvais ? Peut-être étais-je toujours assoupi à l'ombre de la charrette et tout ceci n'était que le fruit des visions que Rikni avait prévu pour moi ?
La femme s'adressait à moi comme à un esprit !! Elle me détailla cherchant ; et surtout trouvant; des points de ressemblance avec les Trois, ce qui me mit tout à fait mal à l'aise.

Moi, un esprit ?? Ed', mon vieux, cette fois c'est sûr, tu as un pète au casque...

Je frémis alors que les doigts de la femme cherchaient les lignes de ma face, et j'eus un léger mouvement de recul. Je ne savais pas du tout si cette vision, qui devait être une illusion de Rikni, me testais, si elle cherchait la pureté de mon cœur, ou si j'avais là en face une allumée qui méritait de s'éteindre dans les flammes de son propre feu de joie.
Par le Nez de Serus !!

Je baissais la tête humblement, posait ma main droite sur le baudrier de Fureur devant moi. Le dos rond, les épaules en avant, j'étais comme courbé face à cette créature peut-être messagère des Trois.
Le cadre s'y prêtait en tous cas.
Dans tous les cas, prudence ! Rikni était maligne et perfide ! Elle savait se jouer des âmes crédules et des imbéciles. Fureur pourrait parer à toute fourbe velléité.

-"Que non, par les Trois ! Edmur, ainsi serviteur du Temple des Trois, et du Roi qu'ils ont choisis va là. Qu'êtes vous ? Une vision ? Une Oracle ? Une ermite ?"

Je me redressais retrouvant ma posture assise de départ. L'obscurité sous laquelle des yeux m'observaient peut-être était insondable alors qu'elle était en contre-jour sous le peu de lumière qui la révélait. Et ça me faisait même peur. Dans l'obscurité de la nuit tombante, je pouvais tellement facilement imaginer des fangeux des défunts tout autour. Des visions affreuses se tordaient dans les ombres et je ne me sentais pas du tout en sécurité.

"... Je... Que se passait-il donc ici ? Quel était le sens de vos chants ? Que signifiait votre danse ?"

Puis je grelottais. De froid cette fois. Rester assis sous la bise nocturne m'avait refroidi. Le fond de l'air était de plus en plus frais. Non qu'il faisait très froid, mais le fais de rester sans bouger n'était pas bon.
Sachant pertinemment qu'il s'agissait d'une femme ou d'une vision, il fallait que j'offre une aide ou un présent pour me montrer avenant, ou tout du moins que j'avais le cœur conforme à la volonté d'Anür pour sa création.

J'ouvris donc mon baluchon, en tirant ma peau de daim. Je me levais alors complètement pour en parer les épaules de la femme, fixant son front, ne pouvant trouver son regard.

-"Ne prenez pas froid. Quel est votre message ou votre enseignement. Qui vous envoie ? Je ne souhaite qu'apprendre."

Gardant Fureur à la main, j'étais perplexe.
Qu'est-ce qui m'arrivait ? Quelle était la bonne réaction à entreprendre ?
Je ne savais même pas si je pouvais relancer le feu qui s’éteignait doucement emportant dans ses dernières braises le souvenir de la danse crépusculaire.

-"L'arbre est-il sacré?"

Demandais je soudain inspiré par une idée venue d'ailleurs, comme chuchoté au coin de mon oreille par quelque volonté Supérieure de me guider pour me sortir de mon désarroi.

Où étaient donc les putains de culs bénis quand on avait besoin d'eux?!!!
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Grisold FolépineBannie
Grisold Folépine



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyDim 20 Oct 2019 - 16:23




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166



Grisold s’ébroua. L’esprit n’avait pas vraiment réagi comme elle s’y attendait. Les vapeurs de l’Artémise commençaient à se dissiper dans son esprit, et en palpant la figure qui lui faisait face, elle devait reconnaître qu’il avait l’air plutôt fait de chair et sa peau était chaude, bien vivante et tangible. Il portait un bandage à l’épaule, preuve supplémentaire qu’il n’était nullement désincarné. Les esprits ne saignent pas. Quelle étrange découverte. Cependant, elle savait que la volonté des Trois pouvait s’incarner dans tout ce qui était sur terre. Quelle que soit la raison pour laquelle il était là, les Trois lui avaient sûrement envoyé pour une raison qu’ils ignoraient tous les deux. Scrutant son visage, elle cligna des yeux. Il semblait tout autant pris au dépourvu qu’elle-même, un peu effrayé aussi. Elle ne connaissait que trop bien cette lueur. Il se mit à débiter mille questions à la fois, ce qui tira un sourire à la guérisseuse.

— Je suis Grisold Folépine. Tu poses beaucoup de questions pour un messager des Trois.

Il y avait désormais de la douceur dans ses pupilles trop claires et elle tenta de l’apaiser, à sa manière.

— La volonté des dieux est obscure. Tu sembles perdu, Edmur du Temple et du Roi. Mais ça ne veut pas dire que les Trois t’ont oublié.

Elle s’interrompit en le voyant poser une nouvelle pelisse sur ses épaules, et nota les frissons de son dos. Il avait froid et il la couvrait, elle, qui se sentait encore habitée de la présence du feu sous sa peau. Peut être était ce un signe de salutation dont elle ignorait l’existence ? Elle se saisit de sa propre pelisse, mélange de fourrures cousues ensemble, qui gisait dans la poussière et la posa sur les épaules de l’homme. Elle était largement assez grande pour elle, mais fit une simple cape sur ses épaules à lui.

— C’est toi qui as froid.

Elle se redressa cependant, prenant ses mains dans les siennes pour l’inviter à faire de même, doucement. Elle désigna le feu et le grand arbre.

— Tu veux tout savoir, mais tu ne regardes pas. L’arbre est sacré si tu le décides. J’ai choisi celui là car il se trouve au croisement de trois villages que les hommes nomment Monpazier, Sarrant et Traquemont. Vois comme il est fort, solide, et ancien. Ses branches voient loin. Alors c’est pourquoi je l’ai choisi pour honorer Serus, chaque année où la lumière mange la noirceur de la nuit et remporte la bataille.

Elle évitait de préciser qu’il n’était pas loin également du village des bannis. Certains secrets devaient le rester. Elle marqua une pause, elle qui n’avait pas tant l’habitude de parler autant. Elle sentait néanmoins que l’homme en avait besoin. Il était peut être bâti comme un colosse mais il lui semblait vulnérable à cette heure, démuni. Tout juste si sa gigantesque épée parvenait à lui tirer une quelconque crainte. Le guerrier n’avait pas l’air féroce, et du reste il exprimait davantage la douceur d’Anür que la vindicte de Rikni à ce moment. Elle le guida vers l’arbre et lui montra les nombreuses gravures au symbole de Serus.

— Chaque année je danse pour lui, pour chasser les mauvais esprits de la terre, pour qu’Il bénisse les récoltes des hommes, pour attirer la Lumière du feu sur le monde. C’est pourquoi je danse, Edmur le guerrier.

Comme l’homme avait semblé plein de défiance à son égard, elle se tourna vers lui, et attendit qu’il ait fini d’observer le tronc de l’arbre pour l’interpeller à son tour, de son ton grave et calme.

— Maintenant, regarde-moi dans les yeux. As-tu des raisons d’avoir peur de moi ? Je n’ai n'ai pas le bras d'un guerrier, et voilà toute ma magie. Je suis nue sous ta pelisse et je n’ai pas d’épée. Certains ont voulu me brûler, d’autres me pendre. Que feras-tu ?

Elle ajouta ensuite, désignant l’obscurité qui descendait autour d’eux.

— Tu dois décider vite, la nuit tombe et il faut trouver un abri.





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EdmurMilicien
Edmur



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyVen 25 Oct 2019 - 17:20
J'écoutais cette étonnante femme.
Plus je l'écoutais, et plus elle me faisait penser à ma mère. En fait non, pas même à elle, mais au prêtre. A l'ami de Virgil qui venait lui parler des Trois. Elle avait cette prestance, cette profondeur, ce côté... ailleurs.
Comme mystique. Cette façon de s'exprimer si particulière. Je sentais le poids de son regard sur mon cœur, sur mon âme. Comme si elle pouvait sonder en moi, le bien comme le mal, la justesse de mes agissements et pensées.

Ouaip voilà !

Mais voilà qu'elle fit quelque chose auquel je ne m'attendais pas : Elle me posa sa cape de peaux sur les épaules.

...

Mais qu'est-ce qu'elle foutait ??

Je restais un instant indécis. Est-ce qu'une ermite à l'étude des Trois, venait bien de me couvrir de sa cape, tout naturellement, comme ça, sans se poser plus de question?!
Par les Trois !

Je partis d'un grand rire incontrôlable. C'était irrésistible. Ma grosse voix venait percuter les arbres alentours, se perdant dans les méandres de la nuit, chassant pour un temps les illusions difformes qui se cachaient dans la pénombre.
Ce contact naïf, cet agissement que j'avais trouvé si amusant venait de casser une forme de mur. Celle de l'homme et du divin. Tout du moins la barrière que je pouvais bien dresser naturellement entre elle et moi.

Secoué de quelques soubresauts incontrôlables, un sourire barrait mon visage, difficilement dissimulé sous ma barbe broussailleuse. La journée avait été longue, et Rikni déesse de la nuit, des songes, et de la malice semblait m'avoir envoyé une drôle d'énergumène.

Ce rituel étonnant prit sens lorsqu'elle m'invita à me relever, alors qu'elle me faisait remarquer que j'avais froid. Mh. Un échange de bons procédés donc.

Elle avait de plus petites mains que moi qui cependant montraient une certaine poigne. Le mouvement était doux, mais je sentais à sa paume qu'elle devait avoir ses propres labeurs. Aux champs ? Découpe du bois ? La simple cuisine ne suffisait pas. Du reste une ermite ne devait-elle pas subvenir à ses besoins par elle-même ?
Sans doute.

J'écoutais l'enseignement tiré de sa sagesse, suivant le doigt qui me désignait tour à tour le feu et l'arbre. Elle s'exprimait calmement et la régularité de sa voix profonde, son intonation avait quelque chose de rassérénant.

Puis je posais mes yeux dans les siens, à sa demande. Il faisait trop sombre pour que je n'y discerne quelque chose, le maquillage noir n'aidait en rien. C'était une étrange sensation de chercher un point du visage, quelque chose d'aussi élémentaire que des yeux, mais de ne pas les trouver. Cela pouvait ajouter quelque peu au malaise. Quand bien même elle ne semblait pas dangereuse.

Point sur lequel elle jugea bon de revenir.

Je secouais la tête doucement. Voilà donc une première énigme que l'on m'adressais. Et la question était aussi profonde que le fond. Il était vrai que je ne réfléchissais déjà plus outre mesure à ce que je devais faire ensuite. Ce test envoyé par Rikni me monopolisait complètement. J'étais un serviteur des Trois, et plus précisément de la Femme Serpent. L'heure était aux secrets, à l'intelligence et aux sournoiseries.
Je devais en prendre compte dans ma réponse.

-"Le bûcher n'appartient qu'aux cadavres de fangeux, ou à leurs victimes. La potence aux fous, et aux aux criminels. Tu n'es ni l'un ni l'autre, aussi je ne ferais rien de cela. Mon bras de guerrier appartient au Temple, au Roi, à la veuve et l'orphelin, l'opprimé et le démuni."

Je me couvris les épaules de ses peaux qui commençaient à glisser. Une odeur un peu sauvage de terre, d'herbes, et d'animal en émanaient, mais il faisait frais. Et puis je montrais ainsi que ma collaboration avec elle commençait.

Je rajustais mon baluchon sur l'épaule et cherchait un chemin dans les ombres.
Ce mouvement me permettait aussi de ne plus observer cette femme qui avait si justement évoqué sa nudité présente. C'était gênant. Oui, gênant ! A voir sa maturité, son visage, elle devait déjà depuis bien loin être mariée.

...

Deux secondes Ed', mon con, reprend toi ! C'est une ermite. Elle ne peut pas être mariée. Cet état de fait me produisit un effet d'autant plus inconfortable. La femme était mince, élancée, avec un corps montrant des signes de malnutritions latentes. Je n'avais jamais vraiment été homme à laisser courir mon regard sur les femmes. Enfin.... Jusqu'à récemment, mais à l'origine, non. J'avais pu noter que l'ermite portait aussi des marques aux bras, malgré les cendres dont elle avait bien pu s'envelopper, j'avais aussi noté des tatouages ou des scarifications. J'avais tant de questions à lui poser...

Mais pas maintenant, la situation état vraiment trop bizarre.
AUTANT QUE SA NON PUDEUR 0 POIL FACE A UN HOMME, MERDE !!!

"Je me méfies des femmes nues sous la lune. Mais m'ame, il ne faut guère rester dans les environs maintenant que la brune s'est abattue sur nous. Malheureusement je n'ai nul repère par ici. Guerrier ou non, je ne puis rien contre ce que je ne vois pas. Et si tes intentions étaient mauvaises, je ne serais déjà plus. D'où viens tu ? Ce soir, je me contenterais de m'assurer que tu rentres chez toi en sécurité."

Et ainsi j'assurerais aussi la mienne. Un point de chute !
Hé hé ! J'avais assuré sur ce coup.


Je me tournais vers elle, l'interrogeant du regard. Alors ? C'était par où?
Tient donc, le côté mystérieux de tout cela me faisait perdre mon langage grossier...
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Grisold FolépineBannie
Grisold Folépine



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyVen 25 Oct 2019 - 20:36




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166


La sauvageonne avait écarquillé les yeux. La montagne s’était mise à trembler, d’un rire énorme et communicatif… Mais qui savait ce qu’elle pouvait réveiller avec elle lorsqu’elle sortait ainsi de son immobilité ? Elle plaqua sa main sur la bouche du géant avec un froncement de sourcils. Pourtant, malgré elle, la gaieté simple du guerrier l’avait touchée et elle s’efforçait à son tour de ne pas sourire. C’était idiot. Et dangereux. Aussi, tâcha-t-elle sans grand succès de le faire taire, tout en chuchotant à son oreille :

— Ton rire va réveiller les morts, Edmur des Trois !

Elle soupira finalement quand il se calma, avant de poursuivre leurs échanges. Il avait le regard curieux et ouvert. Peu commun pour un guerrier, mais il était digne de Rikni. Il pouvait apprendre et il avait du coeur. En d’autres circonstances, elle n’aurait jamais commis la folie qu’elle s’apprêtait à faire. Mais on lui avait envoyé ce bon géant pour une raison. Elle ne pouvait douter de la volonté des Trois en un soir pareil. Il avait fait son choix. Elle devait faire le sien.

— Le bûcher n'appartient qu'aux cadavres de fangeux, ou à leurs victimes. La potence aux fous, et aux aux criminels. Tu n'es ni l'un ni l'autre, aussi je ne ferais rien de cela. Mon bras de guerrier appartient au Temple, au Roi, à la veuve et l'orphelin, l'opprimé et le démuni.
— J’ai pourtant risqué les deux. Mais je ne suis ni mordue, ni dangereuse. J’ai été orpheline, je suis veuve du passé, mais plus jamais opprimée ni démunie.

Lisait-il vraiment quelque chose en elle ? Pouvait-il comprendre ? Elle n’avait pas encore de réponse mais cela viendrait. Elle devait faire confiance à son instinct. Il ferait le reste du chemin, s’il était prêt à le faire. Elle rassembla ses quelques affaires sous la forme d’un baluchon qu’elle cala sur son épaule, avant d’étouffer les dernières braises du feu. L’air était frais mais doux sur sa peau, et la pelisse sur ses épaules l’enveloppait d’une chaleur bienfaisante. Elle avait l’odeur d’un autre, mais cet autre lui devenait familier. Comme les sillons de son visage quand il avait ri et souri, détendant ce faciès de pierre taillé au burin. Il était prêt à la suivre désormais, résolu et ferme comme la montagne qu’il semblait être.

Une montagne somme toute bavarde, sa bouche déversant tant de mots sur ce ton volubile, comme une joyeuse cascade au printemps. Il lui en rappelait une autre, mais ici la rivière de ses paroles était différente. Protectrice, portée par le devoir et le désir de bien faire. Elle sourit :

— Tu veux me protéger alors que tu es aveugle et sourd en ces lieux. Laisse moi passer devant et garde toi d’agir avant d’être sûr. Quand nous serons dans les bois, tu seras silencieux.

Elle renfonça la tête dans ses épaules, se courbant légèrement en avant dans les herbes, l’incitant à faire de même bien qu’il lui serait difficile de se glisser aussi facilement qu’elle vers la proximité du sol. Elle l’entraîna vers les bois en direction du sud, scrutant la nuit de ses yeux de lynx. Et Rikni joua de sa malice. Tout occupée qu’elle était à choisir où poser ses pieds, elle ne le vit pas. Elle était pourtant chez elle en ces lieux. Edmur avait-il soufflé à son oreille ou seulement posé sa main sur son épaule ? En tout cas, il avait été le premier à voir ou à entendre. Ce qui était plutôt remarquable pour un aveugle et un sourd. Grisold n’eut pas le temps de se morigéner à cette pensée. Le Mordeur ne les avait pas encore vus, il était assez loin d’eux dans les bois mais il furetait, sa faim jamais satisfaite. Grisold s’immobilisa complètement l’espace d’un instant pour observer son environnement le plus proche.

Ils étaient encore trop loin de son refuge pour y courir et la course erratique du fangeux le ramenait déjà bien trop vite dans leur direction. Elle se plaça instinctivement contre la brise, et attrapa Edmur par le bras, avant de les entraîner vers les grosses souches d’un arbre qui pataugeait encore dans une sorte de boue humide. Elle ne réfléchit pas davantage et y poussa le guerrier, le forçant à se tasser dans le sein de l’arbre comme il le pouvait. Avec sa carrure, elle ne voulait pas le faire grimper en hauteur. Il était blessé, et lourd. Nul doute qu’il ne parviendrait pas à temps dans les branches avant de se faire repérer. Elle se pressa derechef contre lui, les recouvrit des peaux qu’ils portaient sur leurs épaules, et ils disparurent ainsi dans l’arbre dans une parfaite déclinaison de bruns et d’ocre. Elle glissa sa main dans la glaise fraîche sous ses doigts et en couvrit le bandage d’Edmur. Le sang attirerait la créature aussi sûrement que la vue.

Là dans cette proximité forcée, ils attendirent. Grisold n’avait pas besoin de ses yeux, elle était toute entière concentrée sur les bruits de la forêt, sa forêt. La bête rôdait dans de larges cercles irréguliers, ses sifflements se répercutant dans l’écorce de l’arbre où ils étaient. S’il les trouvait, leur fin était proche. Le temps passait dans une immobilité muette. Elle sentait la chaleur du souffle du guerrier contre son cou, elle sentait les battements comprimés de son coeur contre son dos nu. Leur destin était-il de mourir là ensemble ? Elle serra presque malgré elle la main du guerrier entre ses doigts. Elle ne pouvait croire que les Trois lui avaient envoyé le guerrier pour lui épargner une mort solitaire. Le guerrier était synonyme de force, il avait prévenu le danger. N’avait-il pas dit lui même qu’il la protégerait ?

Une heure entière passa. Une heure au goût d’éternité. Mais pas de celle qu’on attend avec joie. De celle silencieuse et angoissée qui laisse l’âme sur le bord du précipice avant que le danger s’éloigne enfin, retirant son emprise sur les deux vies blotties dans le creux d’un arbre. Grisold lâcha enfin les doigts d’Edmur qu’elle avait comprimés si fort que ses jointures en étaient devenues blanches. Elle passa la tête sous sa pelisse avec prudence, comme le hibou sort la tête de son trou au crépuscule et constata que tout était redevenu silencieux et calme. Paisible. Ainsi, le guerrier venait-il de lui sauver la vie par sa prévoyance. Elle se pencha vers lui et hocha du menton, toujours silencieuse, lui indiquant que la voie était libre.

Le trajet jusqu’à la cabane se fit rapidement et tout aussi silencieusement, la sauvageonne pressant le pas, désormais, forçant le guerrier à la suivre dans la semi-obscurité des bois. Bientôt ils débouchèrent sur une petite clairière, et en bordure de là, consciencieusement cachée entre trois troncs solides, chacun portant un petit signe à l’effigie d’un dieu de la Trinité, une cabane à près de quatre mètres de hauteur. Il fallait réellement chercher l’endroit pour le trouver, son toit conique recouvert de mousse et de végétation, si bien qu’on venait à la prendre pour une excroissance végétale naturelle. On ne distinguait aucune échelle et aucune corde et Grisold n’en avait pas besoin. Néanmoins, elle ralentit le pas et indiqua à Edmur de rester où il était pour le moment. Elle grimpa de ses genoux et de ses mains jusqu’à une hauteur vertigineuse sans même sembler en souffrir.

Depuis combien de temps cette cabane était-elle là ? Peut être des années à voir l’usure du bois des murs qui la constituaient, terni par les intempéries. Elle grimpa, grimpa, la sauvageonne, et soudain une échelle de corde dégringola au beau milieu des trois arbres soutenant la cabane. Lorsque le guerrier aurait fini de grimper, il découvrirait une trappe ouverte et une main tendue.

Et l’antre de la sauvageonne que nul autre avant lui n’avait jamais découvert.



Récap des jets de dés effectués a écrit:
Sur le chemin, Grisold et Edmur :

Jet 1 à 5 : ne rencontrent rien ni personne
Jet 6 à 10 : croisent la route d'un animal sauvage
Jet 11 à 15 : croisent la route d'un bandit ou d'un banni
Jet 16 à 20 : croisent la route d'un fangeux en goguette
Résultat : 18

Grisold et Edmur :

Jet 1 à 5 : parviennent à se cacher à temps dans la cabane
Jet 6 à 10 : ne sont pas repérés mais pas en sécurité
Jet 11 à 15 : se font repérer par le fangeux
Jet 16 à 20 : le fangeux se rapproche
Résultat : 10

Combien de temps devront-ils restés cachés ?

Jet 1 à 5 : très peu de temps le fangeux détale en direction d'une autre proie
Jet 6 à 15 : une heure d'une parfaite immobilité
Jet 16 à 20 : plusieurs heures
Résultat : 12

Qui a repéré le Fangeux :

Jet 1 à 3 : Grisold
Jet 4 à 6 : Edmur
Résultat : 5


Dernière édition par Grisold Folépine le Dim 27 Oct 2019 - 20:18, édité 1 fois
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EdmurMilicien
Edmur



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptySam 26 Oct 2019 - 20:02
Mon rire fut couvert par la main de la mystique.
Cela mit un terme à l'humour du moment. Elle avait raison, ça n'était pas raisonnable.


Cette... femme était vraiment étrange.
Je l'observais de mon regard si fixe alors qu'elle répondait, cherchant la sincérité et le fond de ses motivations dans son ton, dans sa gestuelle, dans ses tournures de phrases.

Si elle décida de ne pas se fier à mon côté ours guerrier, et préféra prendre la tête et assurer la sécurité à ma place, je n'en fus pas vexé outre mesure. Mon bras en écharpe ne me permettait pas de faire grand chose pour le moment. Être lucide.

Rester lucide. Je ne savais toujours pas qui était cette drôle de femme, ni où elle comptait m'emmener. Peut-être que personne n'entendrait plus jamais parler de moi après cette nuit. Mais de toutes les manières, je n'avais pas franchement de meilleures options à ma disposition.
Autant composer avec les cartes que j'avais en main.

La mystique s'avançait ensuite dans les bois. Je la suivis prudemment. Mes rires, ses chants, la nuit, le feu... Il y avait moult signes de notre présence, et quitter cet endroit devait se faire en toute discrétion. J'étais sur le qui-vive. L'obscurité régnante je devais me montrer vigilant pour ne pas que nous ne nous fassions surprendre. Souvent sur les routes, j'avais pris l'habitude d'écouter la forêt, le vent, me repérer aux étoiles, ou à la torche. Mais beaucoup plus souvent, je préférais un bon cruchon de bière, une paillasse à peu près propre, ainsi qu'un toit au-dessus de la tête.

J'évoluais donc, en seconde place, alerte, d'autant plus aux aguets que j'étais une proie facile, avec mon bras fort en moins, ainsi que mon déficit de vision. Nous avancions depuis quelques temps. Tout le temps semblait se dilater, s'allonger. Suivre quelqu'un dans le noir, sans avoir connaissance de l'objectif, ou de qui regarde donnait une sensation gênante. C'était comme... angoissant. Un malaise me tenait sans que je ne su d'où cela pouvait bien me venir.

...

Et tout à coup je compris. Ici, on entendait rien. Nul déplacement furtif d'animal. Nul campagnol furetant, nul écureuil grimpant, aucune souris se faufilant entre les troncs. Et pourtant. Ça n'était pas le cas partout, ici. Il y a encore quelques instants avant, je...

Mon sang ne fit qu'un tour. Fangeux. Putain de cadavre errant de mes couilles ! Quelle saloperie !
Où? Où pouvait-il être ? Devant, ma guide s'avançait, toujours aussi prudemment. Elle progressait en direction du cœur de la forêt, les foutus troncs se resserraient, la végétation me semblait plus dense. J'observais par-dessus son épaule, essayant de voir où diantre pouvait-elle bien m'emmener. Si je ne vis nulle maison proche, je vis très bien une lueur blafarde mouchetée d'ombres de feuilles éclairer la peau grise du cou et de la clavicule d'un homme ne guenilles, avançant hagard.
Il était là l'enculé ! Et on se dirigeait sensiblement vers sa route. Je posais une main ferme, mais mesurée sur l'épaule de ma guide et murmurait doucement

-"Fangeux. En face, sur la gauche. Douze mètres environs."

Grisold Folépine marqua une pause et sembla inspecter ses options. Les sourcils froncées, lèvres pincées, elle devait chercher le meilleur itinéraire pour nous faire parvenir en lieu sûr. C'est aussi ce qui commença à me faire penser qu'il ne s'agissait VRAIMENT pas d'une épreuve ou d'une malice de Rikni. Si piège il y avait eu, elle m'aurait guidé droit vers une horde de ces connards. Et n'aurait pas chercher à esquiver un pauvre mordeur solitaire.

Soudain je me fis attraper par le poignet droit et tirer entre les sillons d'un arbre. Complètement surpris par ce changement subit de rythme, aucun son ne s'échappa de ma bouche. Un fangeux qui nous avais contourné ? Non, la mystique qui m’ happait à son côté au fond d'un arbre. Quelle force pour me tirer moi et tout mon poids avec autant de facilité ! Je me retrouvais sur le cul, serré contre la demoiselle, les épaules rondes, la joue contre un champignon et de la mousse. Quelque chose grimpa en cliquetant contre le bois non loin de mon oreille. Exactement ce que je n'aimais pas.

j'avais beau être souvent sur les routes, j'avais un caractère plutôt douillet, et si j'aimais crapahuter dans la nature, je n'appréciais nullement tous les insectes grouillants et les textures spongieuses.
Qu'est-ce que je foutais ici, moi ?

En pleine nuit, au milieu des bois, sous un arbre, avec un mort qui nous traque, la mystique nue sous la cape pressée contre moi, et moi...

AH OUI MERDE !!!

J'aurais bien eu un mouvement de recule. Mais ici, ça n'était pas possible. Nous étions ramassés en boule dans un endroit bien trop exiguë et son dos était contre moi, elle était tournée de trois quart, la cape simple rempart entre son corps, et moi.
Je grimaçais, le mouvement soudain ayant tiré sur les muscles de mon bras.

Mais putain ! Rikni ! Anür! Serus ! Qu'est-ce que vous pouvez bien vouloir me dire à la fin ?!!


Je ne savais absolument pas ce qu'il se passait dehors. Je commençais à sentir des fourmis vibrer dans ma jambe gauche. Un peu de terre tombait de notre toit lorsque je dansais d'une fesse sur l'autre pour tenter de trouver meilleure posture. La garde de Fureur appuyait contre ma cote !
Je passais un bras autour des épaules de la femme songeant que si on était découvert par la bête, il vaudrait mieux que je prenne d'abord, pour qu'elle puisse espérer fuir pendant que je me faisais bouloter la gueule.

Le temps fut long, là. J'étais gêné d'une façon indéfinissable. La prudence dictait la situation du moment présent. Mais cette situation était tellement... Tellement... Je ne sais comment d'où ou depuis quand, mais je sentis la main de la femme sur la mienne. Elle était tendue. Elle craignait comme tous ici bas la menace des fangeux. Visiblement même sa foi qui semblait si grande ne la protégeait pas de la crainte de la mort, de l'agonie. Elle qui avait parut d'abord si calme, mystérieuse posée, j'avais l'impression d'entre-apercevoir une toute autre femme, derrière le masque. Mais l'ouverture était bien trop étroite. Nulle autre information ne filtrait, sinon qu'il. avait une face recto, et au moins une face verso.
Dans le froid de la nuit, alors que les bruits gutturaux de la goule s'éloignait, je me pris à trouver quelques instants que son dos était chaud. Que sa chevelure un peu rêche et emmêlée présentait un intérêt que les femmes n'avaient pas à la ville.

Ces pensées, cette accalmie ne dura qu'un temps. Restés silencieux sous l'arbre, il fut enfin temps de nous remettre en route. C'était un soulagement. Vraiment.
Était-ce les prières et la vie sainte de la mystique qui nous avaient sauvées ? Le message des Trois était-il que rien de mauvais ne pouvait advenir si l'on s'en tenait à leurs Écrits ? Peut-être. Après tout, elle m'avait guidée dans la nuit, et pour ma part, je lui avais évité la rencontre désagréable d'un fangeux. J'avais besoin d'un guide, et elle d'un homme de terrain ? Était-ce cela ? Non, ça me paraissait bien trop simple.
Alors quoi ?

Nous arrivâmes alors en vue d'une maison haut perchée. Je levais les yeux vers la construction biscornue, imposante, mais en même temps étrange sous tous rapports. Déjà, elle était juchée haut en hauteur et j'avais beau chercher dans les ombres, je ne vis aucun moyen de gagner la zone habitable. L'endroit semblait étroit mais cosy vu du dehors. D'un autre côté, comment avoir de l'espace dans un arbre? La structure semblait s'appuyer sur des branches, et mêmes des autres arbres !
Mh. Vivre là-haut devait lui permettre de rester en sécurité. Ici nul sanglier, fangeux, ou autre nuisible ou prédateur.

Quand l'échelle de corde se déroula jusque devant moi je me hissais, tant bien que mal, poussant sur les cuisses, trouvant difficile l'ascension à une main. Je mis plus de temps que je n'aurais bien voulu.

Un bras se tendis pour m'aider à finir la séance d'escalade. Transpirant à grosses gouttes sous l'effort, j'acceptais l'offre, saisissant dans ma grosse patte son avant bras. Cependant, je me hissais, prenant garde à ne pas peser de mon poids sur elle. J'étais lourd, j'avais toutes mes affaires de voyages. Elle pourrait sans doute m'aider, me guider, porter mon poids, non. Je finis de grimper avec son aider, et roulais sur le dos contre le bois qui servait de plancher. Pfiouu !

Enfin en sécurité ! Étendu de tout mon long, soucieux de savoir où je me trouvais maintenant, je cherchais à détailler l'endroit du regard. Ma poitrine se soulevait et s'abaissait énergiquement, pour retrouver mon souffle.

-"C'est donc ta retraite... Hhhh... Grisold Folépine, l'ermite ? Par les larmes salées d'Anür... HHH... Dans la mer ! Comment fais tu pour grimper ici et descendre tous les jours sans te vautrer ??"

Un sourire léger détendit mon visage.
Autant j'étais impressionné par ses pratiques religieuses, par la pureté de ses motivations et actions... Autant je devais admettre aussi que j'étais impressionné par ses qualités physiques ! Ça n'était pas n'importe quelle femme, voir même homme citadin qui étaient capables de tel exploit!
Cette femme était intéressante.
Très intéressante...

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Grisold FolépineBannie
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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyDim 27 Oct 2019 - 2:28




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166


L’intérieur de cette curieuse cabane incroyablement perchée était à l’image de la maîtresse des lieux : étrange et bigarrée. Vraisemblablement étroite, surtout pour un géant tel qu’Edmur, elle n’était pas très haute de plafond et encore moins large, coincée comme elle était entre trois grands et solides arbres. C’était tout simplement un écrin de bois, dont la seule ouverture sur le jour était une petite trappe vaguement ronde qu’on pouvait relever et dont la rebouteuse s’était amusée à sculpter les contours patiemment pour lui donner une forme relativement artistique, et qui devait faire jouer la lumière sur les planches de bois mal jointes du plancher. Des branches des arbres se mêlaient à l’architecture du refuge, comme intriqués étroitement les unes aux autres, mêlant bois naturel et bois ouvragé. Ici rien que des matériaux bruts. Seule une odeur d’huile forte venait indiquer à l’invité que la guérisseuse passait un certain temps à enduire les planches pour éviter qu’elle ne sèchent et ne finissent par se fragiliser.

Des peaux de multiples animaux venaient recouvrir le sol pour former comme des tapis moelleux ou rugueux selon la peau qui se trouvait étendue là, afin de renforcer l’isolation précaire du lieu. Des herbes séchaient tête en bas en bottes le long des murs ou des poutres, envahissant la cabane d’odeurs aromatiques diverses. Nul chauffage d’appoint ne venait réchauffer les lieux mais l’atmosphère confinée et l’accumulation des peaux devait suffire à ne pas trop souffrir de la fraîcheur surtout en cette période de l’année où les nuits étaient douces. Quelques casseroles récupérées, des objets de seconde main voire plus patiemment glanés au fil des maraudes de la sauvageonne venaient compléter un équipement rudimentaire qui devait servir à la fois de matériel de cuisine, de bol à décoction, et de bassin pour la toilette. Nul approvisionnement d’eau régulière, mais la sorcière avait veillé à garder un seau qui lui permettait d’aller puiser à la rivière et faire remonter son chargement à l’aide d’une petite poulie astucieusement dissimulée sous un bout de toit, si on pouvait l’appeler ainsi.

Une petite couche de paille tressée se tassait contre un mur laquelle était noyée sous un amas de peaux plus douces et mieux traitées que le reste des fourrures qui garnissaient le plancher. La guérisseuse avait placé un large coffre sous ce lit d’appoint qui servait de cadre à ce dernier, et qui devait receler encore quelques trésors cachés. Grisold avait déjà allumé quelques lampions tressés à la main diffusant une lumière douce dans l’habitacle et qui oscillaient doucement sur des crochets suspendus, suffisante pour y voir sans être repéré de l’extérieur. Qui pourrait les voir du reste, ces lueurs, mis à part les Trois ? Quelques symboles gravés dans le bois venaient encore rappeler la dévotion de la guérisseuse à cet égard, discrets mais visibles, et dont on pouvait toujours sentir la présence du bout des doigts, même dans l’obscurité la plus totale. Combien de temps avait-elle mis à construire ou remodeler cet endroit à son image ? Probablement des années. L’odeur de poussière indiquait seulement qu’elle n’y vivait pas en permanence, mais y faisait de fréquentes haltes.

La sauvageonne plia l’échelle de corde qu’elle coinça dans un coin de mur pour leur faire gagner de la place, et indiqua à Edmur un petit tabouret pas bien solide qui supporterait tout de même son poids pour le peu qu’il accepte de s’y risquer, non loin d’une table qui ressemblait plutôt à une étagère un peu large directement fixée dans une cloison de la cabane. Grisold sourit au géant, récupérant un peu de sa tranquillité intérieure avec l’éloignement du danger et la certitude que rien ne viendrait plus les déranger ici. Elle prit alors le temps de chercher quelques provisions dans son coffre sous la paillasse et les rassembla sur ce qui servait de table avant de se plier au sol en tailleur face à son invité. Un peu de viande séchée et des baies pour l’essentiel, rien de très nourrissant mais qui donnerait un peu de force aux deux voyageurs nocturnes.

— Je ne viens pas ici tous les jours, Edmur le guerrier. Et je ne suis pas une ermite. Seulement guérisseuse.

Elle doutait un instant du mot dont il avait usé. Er-mite. Elle était à peu près sûre qu’il ne désignait pas cette sorte d’insecte qui dévorait les peaux et les tissus qui servaient à couvrir les hommes. Dans tous les cas, elle n’en était pas une. Elle apporta un peu d’eau de son seau dans une petite bassine et commença à nettoyer son visage et ses bras de la cendre dont ils étaient couverts, tandis que le guerrier se servait sur la table. Se faisant, elle n’était pas plus couverte qu’à leurs débuts, mais semblait toujours aussi peu s’en formaliser, lui offrant seulement son profil dans la semi-pénombre de la cabane.

— Je peux refaire ton bandage. Il ne faut pas que la plaie s’infecte. J’ai des herbes et des cataplasmes, ça apaisera la douleur.

Avant qu’il ne puisse répondre pour accepter ou refuser son offre, elle tourna la tête dans sa direction en interrompant ses ablutions.

— Tu m’as sauvée du Mordeur, cette nuit. Je te le dois bien. Donnant donnant.

Ayant formulé ce rappel important, elle poursuivit sur sa lancée et termina de nettoyer sa peau, pour les parties les plus visibles : visage, bras et pieds. Elle passa un bout de drap rêche sur son corps humide et enfila finalement une tunique rapiécée et sans manches qui devait vaguement porter le nom de robe. L’étoffe fine couvrait à peine ce corps mince, dévoilant son cou et ses épaules, mais suffisait apparemment aux yeux de Grisold à contenter sa pudeur. Elle attrapa à son tour quelques baies au goût sucré et doux, et ajouta deux gobelets taillés dans le bois qu’elle remplit d’eau avant d’y ajouter une sorte de poudre d’herbes. Elle ajouta pour Edmur :

— C’est pour fortifier le corps. Bon pour toi et moi.


Elle devait récupérer de sa danse. Les herbes qu’elle avait inhalées lui avaient fait perdre de son acuité et émoussait la sensation de fatigue. Demain, elle sentirait dans tout son corps les tiraillements résultant des efforts qu’elle s’était imposés. Les herbes l’aideraient à passer ce moment sans trop de mal. Elle but sans sourciller, bien que le mélange reste un peu amer en bouche, attestant par là même que sa mixture n’avait rien d’un poison. Une fois fait, elle contempla le guerrier avec grande attention de ses yeux trop clairs. Etait-il toujours anxieux ici ? Il semblait tout empli de questions encore non formulées, comme un trop plein de son esprit qui se lisait dans ses yeux. Elle étira un fin sourire.

— Pose tes questions, Edmur. Je soignerais ton bras, si tu veux bien. Et je répondrais, si je peux. Les mots ne sont pas mon fort.



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EdmurMilicien
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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyLun 28 Oct 2019 - 20:10

Les yeux au plafond de mousse et de branches, allongé sur le dos, je reprenais mon souffle, calmement.
L'endroit était petit mais extrêmement travaillé. Me redressant sur mon séant, la main droite au plancher, j'observais toute cette foule de petits détails qui donnaient une âme à la cabane dans les arbres.
Tout était gravé, tressé, taillé avec soin. Tout avait un sens et malgré le petit fouillis sauvage de l'endroit, la pièce respirait le confort. Non, pas le confort, la liberté.

En ville, nous les citadins entassions les meubles, les objets. On les trouvait chez des artisans, des marchants, qui pratiquaient leur art à leur guise, et cet art se retrouvait ensuite dans nos maisons, perdant l'éclat de leur authenticité, pour ne trouver qu'un terne usage utilitaire. Utilitaire pour confondre d'envie les invités, ou simplement avoir un intérêt purement pratique.

Ici, rien de tout cela !
Tout ce que je pouvais voir était soigné, fait pour louer les Trois. Tout était doté d'une utilité précise, mais aussi avait été fait avec un soin tout particulier. On pouvait noter l'attention aux détails. La petitesse de l'espace habitable excluait qu'il y ai trop de bibelots qui trainent. Aussi, tout ici avait un sens, un intérêt et pouvait avoir une sinon plusieurs fonctions.

J'avais soulevé une fine couche de poussière en m'affalant, confirmant l'affirmation qu'Isold ne résidait pas ici continuellement. Posant mon épée toujours dans son baudrier contre un mur pas tout à fait droit, j'observais, pensif les lampions.
Mais je ne pus m'absorber plus longtemps dans la contemplation du quotidien de la guérisseuse. Car comme d'un rien, elle s'attela avec application à une toilette de chat. Ma présence ne semblait nullement gêner sa pudeur et j'étais tout à fait surpris de tant d'aplomb. Moi qui à la ville appréciais de jouer de vilains tours à mon monde en créant des situations embarrassantes, pour le coup, c'était à mon tour de ne plus trop savoir où me mettre.
D'ordinaire j'aurais soutenu le regard de la femme jusqu'à ce qu'elle rougisse, se détourne. Mais ici tout cela paraissait tellement naturel que je n'eus pas même l'idée de taquiner.

-"Peut-être t'ai-je sauvé guérisseuse. Peut-être aussi que non. Tes pas nous ont mené sur la route de ce fangeux à ce moment, à cet endroit parce que tu a modifié tes habitudes par ma présence. Peut-être que sans moi, tu ne l'aurais même pas croisé."

Ma voix de basse emplit l'endroit. Je baissais alors d'un ton, ayant dans cette petite cabane l'impression de m'exprimer très fort. Avec la nuit, la lumière douce, il était de bon ton de revenir au calme, à la sérénité et s'exprimer dans la quiétude du secret de la nuit.

-"Je n'arrive pas à lever le voile sur les intentions des Trois. Rikni me parait à l’œuvre ce soir mettant sur ma route qui est perdue une guérisseuse qui sait précisément où aller. Blessé d'un fangeux, alors que je protégeais la ferme d'une jeune femme, je me faufile cette fois au nez et à la barbe d'un autre, cette fois sauvé par une femme."

Je l'observais faire disparaitre la cendre, sans un désir pour son corps, mais un intérêt pour les marques sur la peau. Blessures cicatrisées, scarifications la recouvrait, donnant à cette guérisseuse des airs de quelque fière guerrière farouche. Comment ces blessures avaient trouvés son corps ? Pourquoi ?
Tant de mystères pour un corps si fin, mais, d'une certaine manière, plus intéressant que les pimbêches de
Marbrume.

Puis je me secouais la tête.
Ed' mon gars, tu es un débile tocard stupide! Refous donc tes putains d'billes qui te servent d'yeux en face de tes orbites ! Le temps des badineries et batifolage n'est pas encore venu. Tu n'es pas encore le guerrier de valeur que tu veux être. Tu n'es pas encore prêt à cela. Ça n'est pas pour toi.

Ça doit être vrai. Mais lorsque ce jour viendra. C'est une pieuse de cet acabit que je veux. Ou une femme aussi forte. Et pure.

En es tu sûr ? Les demoiselles de la ville goûtent bien plus la vie. Elles se pavanent et dévoilent leurs atouts, désireuses de jouir de leur vie au maximum avant que la maladie ou la fange ne les attrapent.
Que fais tu de Lyanna dans tout cela? N'avais tu pas pensée qu'elle devrait-être ta femme?

Il est vrai. Mais je ne savais pas encore qu'il existait des demoiselles capables de danser pour Serus chaque année à la tombée du jour.


Terminant là mon monologue intérieur, je décidais d'étouffer toute voix intérieure, ou dissidente pour ne plus laisser parler que la mienne. Celle qui venait du fond de ma poitrine, grave mais adoucie par un ton curieux.

-"J'accepte de bon cœur ta proposition de me soigner, Grisold. Ce bras me brûle depuis hier. Pour ma part, je souhaiterais que tu m'instruises. Tu dis vrai, j'ai des questions. Et comme les mots ne sont pas ton fort, je te proposes cela : A chaque réponse que tu me fourniras, je te parlerais en retour des nouvelles des contrées alentour, de Marbrume, de ma famille, ou de moi-même. À ta guise."

Observant avec un faim nullement dissimulée la nourriture révélée, je me servis respectueusement que d'une seule tranche de viande séchée. Parce que j'étais toujours prudent avec la nourriture, je humais le parfum de ma part. Elle avait simplement dû sécher au vent, ou à la fumée. Comment Grisold pouvait-elle se procurer du sel par ici de toutes façon ?

Je sortis aussi de mon propre baluchon une mirabelle trouvée en route, ainsi qu'une pomme. Les fruits allèrent rouler parmi les autres pièces du repas. C'était simple. Mais je trouvais tout cela très positif ! J'aurais tout aussi bien pu errer dans les ténèbres jusqu'à croiser un fangeux. J'aurais tout aussi bien pu établir un camp, et manger seul, sans feu, et résolu à ne pas dormir de toute la nuit afin de garantir ma sécurité.

Je m'assis en tailleurs, fermais les yeux et ramenais mes bras sur mes cuisses.

-"Par mon coeur, moi Edmur, fils d'Adrianelle adresse une prière aux Trois. Serus, je te béni, toi qui donne à la terre de quoi produire nos repas. Ce soir encore, tu réponds à ma faim, et celle de mon amie en nous faisant don de tes biens. Rikni, ma sainte Déesse que ton Intelligence soit louée de m'avoir guidé ici, là où ma soif de théologie peut-être étanchée, au moins en partie. Soit remerciée de m'avoir guidé là où je puis dormir sans craindre les ombres. Anür enfin, Veilleuse des morts, que ton calme et ta sérénité se répande dans nos cœurs en cette nuitée."

Je rouvris les yeux doucement. Grisold avait bougé. Qu'importe. Il s'agissait maintenant de manger.

-"Bon appétit dans les chaumières. Et voici venir ma première question, guérisseuse. Que représentent ces marques sur tes bras? "

Je faisais références à ses tatouages. J'avais les miens, mais ne sachant nullement lire, et moins savant des Écritures que je ne l'aurais voulu, je voulais savoir ce qu'elle avait choisit d'afficher aux yeux du monde. Pour que ses bras arborent des textes ou des dessins, c'est qu'ils résonnaient dans son coeur, et qu'elle avait choisit ces œuvres là, plus que d'autres.

Et je voulais savoir...
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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyLun 28 Oct 2019 - 21:26




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166


Grisold avait attrapé ses herbes et commençait à les moudre dans un bol de bois pour former une pâte mêlée d’un peu d’argile qui viendrait apaiser les douleurs du guerrier tout en lui épargnant une potentielle infection. Elle avait écouté les prières qu’il avait si bien formulées, elle qui vivait dans un monde plus intérieur, peuplé d’images le plus souvent dépourvues de mots. Elle avait hoché de la tête en souriant légèrement, puis avait mangé quelques morceaux de viande et des fruits qu’il avait ajoutés. Il connaissait la règle implicite de ceux qui partagent. C’était bon et elle appréciait le ton grave de sa voix comme l’expression d’un coeur sincère. Edmur était pur comme la pierre, non sans défauts mais avec cette rugosité naturelle et franche. Une voix qui ne dérangeait pas ses pensées intérieures. Elle lui évoquait étrangement celle d’une autre, Ma’, celle qui l’avait élevée. Jamais sa voix ne la dérangeait à l’époque. La sauvageonne inclina la tête, écrasant d’une main rapide l’humidité soudaine dans ses yeux. Pourquoi maintenant ? Peu importait, ce n’était pas si douloureux, bien au contraire. Cette cabane était emplie de ses souvenirs, et de ce qui la constituait dans le fond. Son seul trésor : sa mémoire.

Et voilà maintenant qu’il lui proposait un nouveau marché, de ceux qu’elle aimait bien. On échangeait une information contre une autre, une histoire pour une autre, et elle aimait cet équilibre entre toutes choses. Voilà qu’il voulait qu’elle l’instruise, une demande suprenante, elle qui avait plutôt l’habitude de recevoir des coups de pied et des regards méfiants pour ne pas dire dégoûtés. Que pouvait-elle lui apprendre qu’il n’ait déjà en lui ? Elle s’approcha avec sa mixture verdâtre qui dégageait pourtant une bonne odeur de plantes fraiches et elle retira avec précaution les bandages salis autour de sa plaie. Elle prit alors la parole sur le même ton bas qu’ils avaient adopté naturellement pour lui répondre tout en commençant à inspecter et nettoyer la plaie à l’eau pour commencer. Les griffures de fangeux étaient aussi dangereuses que leurs crocs, en ce qu’elles pouvaient apporter la mort bien plus insidieusement. Il avait réchappé au pire, et ne semblait pas à sa première bataille contre la mort incarnée.

— On ne peut jamais vraiment savoir ce que les Trois nous réservent. On peut imaginer ce qu’ils auraient pu nous donner, mais mieux vaut se concentrer sur ce qui est, vrai ? Veillons à ce que ton bras puisse continuer son oeuvre contre le Mal.

Se faisant, une fois la plaie nettoyée à l’eau claire, elle épongea l’excédent d’eau d’un linge propre, observant ses contours et ses boursouflures, avant d’y déposer sa pâte du bout des doigts avec délicatesse, couche après couche, formant une épaisse protection de plantes.

— Les plantes vont absorber le mal et sécher la plaie. Éviter la fièvre. Il faudra recommencer demain, ça apaisera la douleur. Mes marques racontent mon histoire. Il y a celles qu’on m’a faites, et celles que j’ai tracées pour conjurer le passé. Il y a celles que je dédie pour les dieux, pour la protection, pour la force. Pour éloigner les mauvais esprits. Celles autour de mes chevilles guident mes pieds hors du danger.

Elle sourit à cette évocation, montrant les marques comme des bracelets rouges autour de ses chevilles juste en dessous du mollet. Elle poursuivit, tout en montrant parfois les parties de son corps.

— Celles sur mon bras droit, pour guider ma main, c’est celle d’Anür, celle qui soigne. Tu vois ces courbes ? Elles rappellent la mer. Je n’ai jamais vu la mer. Mais je suis sûre qu’elle ressemble à ça. C’est aussi un remerciement. Parce que la déesse m’a sauvée de la mort et du jugement des hommes.

Elle retourna cette fois son avant-bras droit. L’avait-il remarquée ? Elle en doutait. Mais elle le regardait désormais dans les yeux, digne et paisible. La marque des bannis était bien là, une de celles qu’on lui avait faites, qu’elle avait acceptée bien avant qu’elle ne soit inscrite au fer rouge sur sa peau.

— J’étais bannie bien avant que les hommes ne dessinent un symbole pour ça.

Elle n’avait pas besoin d’ajouter quoi que ce soit à ce sujet, elle lui raconterait s’il le souhaitait. Elle montrait seulement qu’elle ne lui dissimulait rien. Il avait posé une question, elle y répondait de son mieux. Les mots lui tiraient un effort mais elle continuait, avec une expression teintée de mélancolie. Celle qui venait de cette profonde tristesse qui engendrait la solitude. Mais lui peut être, comprendrait-il, du moins elle y mettait de sa foi, comme en toute chose. Elle poursuivit d’une voix calme.

— Celles-ci sont nées de la douleur. Elle est mieux à l’extérieur qu’à l’intérieur, pas vrai ?

Elle montrait désormais son bras gauche, celui sur lequel elle avait gravé ou plutôt scarifié des marques aux symboles plus durs, en entrecroisement de lignes brisées autour du biceps.

— Une pour celle qui m’a élevée et qu’on m’a prise par le feu. Une pour l’enfant que j’ai porté mais qu’on m’a arraché. Une pour celui qui m’a rejetée. Une pour les hommes, que je pardonne. Et les autres chaque fois que j’ai pensé que la mort était préférable à la vie.


Il y en avait d’autres, sous sa tunique, mais cela faisait déjà beaucoup pour une seule histoire. Elle n’était pas sûre qu’il était entièrement prêt à tout entendre ou à tout voir, mais du moins elle avait fait sa part. Elle prit une longue inspiration avant de reposer son bol d’onguent et nettoya ses mains à l’eau claire avant de conclure.

— Je ne suis pas une sainte, Edmur le guerrier, ma vie a été parsemée d’embûches et de malheurs. Je ne sais pas si j’ai grand chose à t’apprendre que tu ne sais déjà. Mais je ne regrette pas t’avoir rencontré cette nuit. Parle moi de toi et d’où tu viens. Si tu penses toujours que j’en suis digne.

Son regard ne déviait pas du sien, bien que son coeur révélé avec toute la franchise dont elle était capable battit un peu plus fort contre ses côtes, comme dans l’attente d’un jugement dont elle ne craignait pourtant rien.



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyMer 30 Oct 2019 - 0:08
Grisold, avec délicatesse, s'escrima à exposer mon de bras blessé à la douce lumière des lampions. Alors que mon foutu bras se découvrait, je grimaçais en observant la chair mal en point. Les contours de la plaie étaient gonflés, plusieurs teintes de violet et de rouge brunâtre tâchaient la peau autour de la blessure.
Quelques points de sutures fais de mains de néophyte avaient sautés. Une partie de mes prières tatouées sur le bras n'étaient plus lisibles.

'Ô Rikni, guide mon bras à (...) et permets moi d'accomplir Ta volonté'.

Seuls ces mots étaient déchiffrables maintenant. Et même si je ne savais pas lire, j'avais tant et tant récité ces mots après qu'on me les ait tatoués que je savais exactement comment écrire ces mots, ou tout du moins reconnaitre ceux qui manquaient.

Avec plus de douceur que Mathilde, la guérisseuse usa de ses talents pour inspecter ma patte folle. La peau était extrêmement sensible mais les mains de travailleuses de Grisold, trempées d'eau glissèrent sans trop de mal le long de mon biceps et de mon avant bras. Le contact me paraissait frais. Autant que mon bras était chaud.
De la pommade vint s'ajouter ensuite sur toute la longueur de la blessure. Le froid qui en résultat ne dura pas bien longtemps, mais je remuais mon bras bien involontairement pendant que la femme passait ses doigts sur les chaires malmenées.

La douleur remontait, refluant subitement, explosant dans mon bras et refluant à ma tête comme une tempête en furie. Fermant les yeux et fronçant les sourcils, je fermais le poing par réflexe et tentais de m'absorber à autre chose, pour me permettre de fuir la souffrance.
Alors je choisis d'écouter la voix de la femme. Il n'était pas temps de la détester de faire remonter tout ce mal qui s'était assourdit depuis deux jours. Elle faisait cela pour que je m'apaise et que je ne souffre plus, un jour.
Alors j'écoutais sa voix. Elle qui m'emmenait ailleurs au gré de ses mots qui me décrivaient des scènes terribles. Je m'envolais presque loin de cette maison pour observer des fragments de la vie éclatée de la femme mince.

Ouvrant les paupières à nouveaux pour observer ce qu'elle me désignait, je ne pus que constater les marques la souffrance provoquée par l'ignorance et la haine des hommes.
Dans ce tableau recomposé, dans cette fresque recollée à partir de morceaux différents de vies, et d'expériences difficiles, je compris, au moins en partie qui était Grisold Folépine. Je compris quel courage ou force de caractère il fallait pour ainsi poursuivre sa vie, s'en remettre aux Trois, sans tourner le dos à son héritage.
Elle avait dû endurer, endurer, visiblement seule ou presque en ce monde sans personne pour entendre ses cris de détresse.
La marque des bannis semblait avoir comme une place centrale, liant l'ensemble.

Je fus choqué cependant de la découvrir, et mes yeux se durcirent en croisant ceux de la guérisseuse. M'avait-elle trompée la garce ?! Usant de stratagème pour m'attirer là ? Et puis quoi ?
Ses copains allaient débarquer et m'égorger, moi leur ennemi mortel de toujours ?


Oui, des bannis on en cherchait dans la milice ! Depuis la Fête Rouge du roi, on les suspectait d'être pour quelque chose dans l'incident macabre qui coûta la vie à tant d'âmes innocentes. Et oui, je les aurais passé par le fil de ma Lame sans délai si j'avais pu en croiser.

Mais voilà que je me retrouvais chez l'une des leurs, la vie marquée de plus d'horreurs que je ne semblais pouvoir en vivre sans perdre la raison. Mon épée n'était pas prête et acérée, mais sagement rangée, posée contre un mur, et mon bras armé sensé guider ma main pour répandre le juste courroux du Temple et de la justice du roi, lui, était hors de service.

La glace qui avait prit place dans mes pupille disparu, laissant place à un regard plus amical. Un regard teinté de respect. Seuls peu d'élus se l'étaient vu adressés.
La vérité était que trop de signes envoyés par les Trois me montraient qu'elle n'était pas mon ennemi.
Et malgré ma moralité variable, je me sentais véritablement peiné pour son enfant. L'Humanité en avait cruellement besoin, les hommes mourant trop vite face aux fangeux, ou en conflits internes inutiles, sans même compter les maladies qui ravageaient les rues des villes périodiquement.
Tout enfant était un espoir. Celui d'un futur meilleur à mériter. Celui que nous devions nous saigner à obtenir pour que justement, nos enfants n'aient pas à subir le poids de nos échecs.

Je commençais à avoir chaud, et comme une envie de dégobiller quelque chose. Surement les manipulations du bras qui s'en venaient me rappeler qu'avoir mal n'était jamais une mince affaire.

-"Tu es dignes Grisold Folépine, guérisseuse fantomatique au pied leste. Plus que cela tu es forte, et je t'admire pour cela. Moi qui parait fort de chair et de sang, tu me révèles une autre face de la force que je ne connais que bien peu. Et dans laquelle je me sens bien démuni, face à toi. Je.. Je suis désolé pour ton enfant."

Je pris de ma main droite sa main, son poignet. Je laissais ma paume, mes doigts courir sur sa peau irrégulière, suivant les tracés qu'elle avait produit. Je caressais du pouce la marque qu'elle avait raccordé à l'enfant en la regardant. Sur ce bras fin, le fantôme d'un enfant, le souvenir impérissable d'une vie éteinte demeurerait à jamais, poids bien plus lourd que celui de mon épée.

-"Pour ma part, comme tu le sais, je suis Edmur le milicien fils de fermière. J'ai une petite sœur dont je m'occupe à Marbrume. Ma vie oscille entre les territoires extérieurs où se situe mon devoir, et la ville où réside ma famille. Je combat la fange et les ennemis du roi, ou de sa justice."

Je marquais une pause. J'avais toujours ma main sur son bras et cela me troubla. J'aurais dû le retirer il y a de cela quelques secondes. Je laissais donc reposer ma main sur la table, préférant m'absorber dans ce qui avait réellement un sens. Ma blessure m'embrouillait l'esprit...

-"Les hommes semblent avoir été bien cruels avec toi Grisold. J'en suis navré. Parfois, j'ai l'impression que mon devoir de protéger les hommes n'est qu'une gigantesque mascarade..."

Le ton fatiguait indiqué pour la première fois depuis que je lui parlais une forme de lassitude. Je portais mon morceau de viande séché à ma bouche, mastiquant longuement la viande rigide sous la dent. A la ville, la barbaque coûtait extrêmement cher, aussi je goûtais avec bonheur cette saveur qui me manquait au quotidien.

-"Ici tu me parait à l’abri de la folie des hommes guérisseuse. Les Trois t'apportent ce dont tu as besoin. Je suis heureux que tu ais pu trouver un équilibre dans ta vie. Qui sait, peut-être même que tout ce dont on t'as privé finira par t'être rendu. Je pense qu'Anür a un plan pour toi."

J'étais sincère. Moi qui ne recherchais que les combats, que la gloire pour que l'on arrête de déshonorer ma mère en la traitant de sorcière, je n'avais eu que des combats dans ma vie. J'étais loin de pouvoir comprendre tous les tourments de la guérisseuse, mais au moins, je pouvais essayer de me les figurer.

-"... Et je ne regrette pas non plus de t'avoir rencontré. Mais... Tu me troubles, guérisseuse."

Lâchais-je d'une voix quelque peu perdue.
Des premiers mots comme un appel à l'aide. Aide moi. Fais moi parler que je puisse mettre des mots sur mes pensées. Car maintenant, elles sont trop obscures pour que moi-même je ne puisse les lire convenablement...

Il y avait trop de bizarreries qui entouraient cette femme. J'en comprenais mieux l'origine maintenant. Mais ses coutumes n'avaient jamais été celles que je connaissais. Même après avoir perdu un enfant, ou après avoir perdu un mari on ne dansait pas autour d'un arbre la nuit avec pour seul compagnie un feu !
C'était insensé.
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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyMer 30 Oct 2019 - 2:42




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Premiers jours de Juin 1166


La souffrance se lisait dans la crispation de ses muscles et de ses mâchoires, dans la chaleur de son bras. Grisold manquait souvent de mots, mais ceux de la douleur, elle les connaissait bien. Elle bourra une pipe de bois de quelques feuilles de chanvre et de sauge séchées et les enflamma avant de tirer dessus doucement et la tendre au guerrier.

— Le chanvre et la sauge peuvent éloigner la douleur. Mais la souffrance n’est pas toujours une mauvaise chose. Elle nous rappelle qui nous sommes, pourquoi nous aimons, sans elle, nous ne sommes que des morts en sursis.

Dans l’air légèrement enfumé de la cabane, elle s’en était remise à lui à son tour, à son jugement et à ce coeur qu’elle devinait juste et bon, tout autant que son bras pouvait s’avérer implacable. Il aurait même pu l’étrangler que toute sa dextérité ne l’aurait pas sauvée de la poigne du géant. Mais elle ne cilla pas. Anür avait déjà rendu son jugement pour elle, et quoi qu’il fasse ou dise, elle était sûre qu’il restait l’un des enfants de la déesse et saurait prendre la bonne décision. Elle douta l’espace d’un instant lorsque son regard se durcit mais elle tint bon, sans dévier, et vit la glace céder sous la douceur du printemps.

Il avait étendu la main non pour la saisir ou la frapper, mais pour caresser les lignes de son bras gauche, comme pour mieux comprendre les contours de sa propre souffrance, celle qu’elle exorcisait jour après jour. Elle frémit légèrement de ce contact inattendu mais qui diffusait une chaleur rare sous sa peau. Comme si elle retrouvait les flammes du feu qu’elle avait allumé pour Serus. Elle demeura immobile, les yeux mi-clos, lui laissant tout le loisir de parcourir les lignes sensibles de son passé. Il était désolé et bien qu’elle ne comprit pas d’emblée pourquoi - après tout il n’était pour rien dans les malheurs qui l’avaient frappée - elle sentit le fardeau invisible qu’elle portait s’alléger un peu à son contact, comme s’il tentait d’en supporter une partie, à sa manière. Il y a de ces charges qu’on oublie porter jusqu’à ce que quelqu’un vous en soulage d’une partie. Grisold était de ceux-là. On ne l’entendait jamais gémir ni pleurer. Pas qu’elle soit plus fière ou plus forte, mais résiliente elle l’était. Elle avançait parce que les Trois en avaient décidé ainsi. Mais était-ce seulement la volonté des dieux ?

— Ne sois pas désolé, Edmur. Mon fils n’est pas perdu, je le sais. Il vit quelque part au temple de Marbrume, il vit, comme je sais qu’il y a des étoiles dans le ciel même quand je ne les vois pas. Une mère doit savoir ces choses-là. Il doit avoir atteint son deuxième printemps. Je sais que les Trois veillent sur lui.


Elle y mettait la force de sa conviction, alors même que sa voix n’était plus si ferme. Elle en regretta presque le moment où il écarta sa main pour la replacer sur la table. Lorsqu’il parla, la réalité de ce qu’il était et de ce qu’il faisait refit surface. Mais ici, milicien ou banni, les statuts n’avaient pas plus de sens que ces noms qu’on leur donnait. Ils étaient tous identiques sous le regard des dieux. Et libres sous le parage des arbres. Cependant, la sauvageonne comprenait qu’il était guerrier avant d’être milicien. Qu’il était fils et frère avant que d’être serviteur du Roi ou du Temple. Elle le laissa poursuivre cette présentation avant de l’imiter :

— Je n’avais pas de nom. Ma’ m’a trouvée lorsque j’étais dans mes langes. Les hommes me trouvaient étrange, pensaient que j’étais folle, mais pas elle. Ca ne l’ennuyait pas que je ne parle pas. Elle m’a appris tout ce que je sais. Elle m’a nommée Grisold, à cause de mes yeux gris et de ce jour d’hiver où elle m’a trouvée. Les hommes m’ont donné le nom de Folépine, pour se moquer. Moi je l’ai adopté. Ce contre quoi tu ne peux pas lutter, autant l’accepter. En faire une fierté. Conjurer le mauvais sort.

Elle ajouta après une pause et quelques bouffées de sa pipe, qu’elle reprit à son invité :

— Les hommes sont cruels quand ils ne comprennent pas. Ou ne veulent pas voir. Mais la haine n’est pas la réponse. C’est ainsi que le Mal germe. Tu dois suivre la loi des Trois, avant d’obéir aux hommes, Edmur le guerrier. Celle-là n’est écrite nulle part, elle est en toi. Si tu suis ce que te dicte ton instinct, alors tu ne peux pas te tromper. Sois juste, quoi qu’il en coûte.

Elle lui rendit la pipe encore fumante, en l’observant à travers les volutes d’une légère fumée. Elle était paisible, la souffrance semblait absorbée par la présence de l’autre qui la comprenait. Toute sa vie, elle avait lutté pour communiquer. Et ce soir, elle n’avait jamais tant déversé de mots, ses pensées prenant forme en une suite continue de paroles qui s’extirpaient d’elle-même comme un collier de perles colorées. Était-ce la faveur de ce jour si particulier ? C’était la première fois pourtant qu’il en résultait une telle rencontre. Et c’était l’une des rares fois où elle ne se sentait pas bizarre et déplacée en compagnie d’un autre. Anür avait-elle un plan comme il en semblait convaincu ? Et pourquoi elle ? Elle n’était q’une vagabonde, une âme errante des forêts et des marais. Mais elle garda ses doutes pour elle. Elle ressentait ce trouble elle aussi, en écho du sien, elle ne voulait rajouter davantage de questions sur une foule d’autres interrogations qui n’avaient pas encore trouvé de réponse.

Il avait l’air aussi fragile que fort, ce guerrier au bras fatigué. Et cédant à la première impulsion qui la saisissait, elle avança à son tour ses mains sur les marques qui parcouraient ses bras, effleurant les tracés :

— Raconte-moi ces motifs. Les inscriptions, que veulent-elles dire ? Qui les a faites ?

Etait-elle seulement curieuse de ces marques ? Ou tentait-elle de reproduire cette sensation qu’il avait fait naître lorsqu’il avait touché son bras ? Il avait l’air confus, peu assuré, et elle allait vers lui, gardant ce lien ténu qui les reliait, comme une lueur dans la nuit.


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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyMer 30 Oct 2019 - 16:14

J'acceptais la pipe allumée qui m'étais tendue.
Si d'ordinaire je n'étais pas un consommateur de ce genre de choses, la soirée était sous le signe de l'ouverture, et de la curiosité. Et puis dissiper le mal qui me mangeait le bras n'était pas un signe de faiblesse.
Je pris l'objet et le portais à mes lèvres, et inspirais laissant la fumée s'insinuer dans la gorge, puis les poumons avant d'expulser le tout dans une légère quinte de toux.
Pour une première fois, qu'elle drôle de sensation que celle ci ! De chauds chatouillis venaient naitre au fond de ma poitrine, et une tiédeur nouvelle venait s'insinuer dans mon corps. Un sentiment de bien-être cotonneux se substitua à la fièvre de la douleur et du malaise.
Après cette troisième journée de souffrance persistante, la paix qui s'installait dans ma tête et dans mon corps était un comme un don des Trois.

Mais c'était plus vraisemblablement le présent de Grisold.

Elle-même qui continuait à parler de son expérience de la vie, et des conclusions qu'elle en tirait. Sa réflexion concernant la souffrance, la cruauté des hommes, ou le berceau du mal, tout cela, elle en parlait avec le ton assuré de celle qui a vu, qui a vécu, qui a médité sur ces choses, et qui a trouvé la réponse à ses questions.
Ce qu'elle affirmait semblait plein de bon sens, et guidé par les Textes Sacrés.
C'était une vrai chance pour moi que de bénéficier de tout le poids de son expérience de la vie, et d'en bénéficier ainsi, m'épargnant tant de temps à cogiter.

Je hochais la tête doucement, les yeux dans le vague au bout de ma main gauche. Je lui rendis la pipe, aussi.

-"Tu parles sagement Grisold. Je comprends pourquoi tu gardes ton nom de Folépine, portant ce sobriquet comme d'une armure. Mais dans l'état actuel des choses, je le trouve bien peu à propos. Je te trouve aussi saine d'esprit que moi."

Je ne voulais nullement la mettre sur un piédestal ou la flatter. J'exposais simplement d'une voix posée mon avis. Du reste, je savais qu'on ne me considérait pas non plus comme quelqu'un de très sociable.
S'agissait-il ce soir de la rencontre de deux marginaux ?
Enfin, non. Je ne me considérais pas comme un marginal. Je différais simplement des autres dans ma façon d'appréhender certaines choses.
La guérisseuse solitaire me paraissait faite du même bois. Elle avait sa propre logique, sa propre échelle de valeurs, et elle s'y tenait comme elle pouvait.

Mon bras eu un léger mouvement de recul lorsque la bannie passa ses doigts, ses mains dessus. Ce rejet n'était pas dû à son état de bannie, ou qu'elle puisse m'inspirer une forme de crainte.
Non, ce mouvement de retrait venait d'ailleurs. En fait, je le percevais comme un risque de rapprochement inconsidéré. Je rejetais les familiarités tactiles des femmes par pudeur, mais aussi pour me protéger de la faiblesse de ma chair. Chose que je n'avais encore jamais eu à faire. Après tout, aucune ne m'avait jamais spécifiquement approché... À bien y réfléchir...
Dans ce genre de situations, il était aisé pour un homme de flancher.
Hors, dans ma condition d'homme célibataire, il n'était absolument pas question de se laisser aller, ou même d'avoir des idées déplacées. D'autant plus face à une bannie qui devait avoir une bien piètre image de la milice ou des gens de la ville.

Je devais être I - Ré - Pro - Chable.


Mais mon mouvement avait été un peu brusque. Et je ne voulais pas briser l'ambiance feutrée qu'avait réussi à créer la guérisseuse dans sa maisonnée. Ce genre de moment simple était bien trop rare de nos jours.
Je mettais une distance trop importante trop brusquement.

-"Pardon... Réflexe..."

Je tendis ma grosse main droite vers sa main. Je la pris doucement dans les doigts, joignant les siens et les miens, posant mon regard dans ses yeux gris pour lui signifier de suivre mon mouvement.
Je posais sa main contre mon bras gauche. Sur mon épaule, plus exactement où était visible le blason de
Marbrume. Une lame croisait derrière le blason une plume.

-"Ce tatouage a été fait par ma mère le jour de mon engagement dans l'armée du Roi. Avant que la fange ne s'abatte. Tu vois ? Ce sont les couleurs de Marbrume, au centre. L'épée derrière témoigne de ma vie de combattant. Mais la plus, ici, c'est pour toujours rappeler que tout combattant émérite que l'on puisse être, l'intelligence et les valeurs restent les qualités premières du guerrier."

Ma main sur le dos de la sienne, je descendis sur mon bras, arrivant aux premières marques de tatouages sur le haut du biceps, de simples bâtons qui se suivaient. Lorsque je contrôlais le contact physique avec la guérisseuse, je me sentais mieux. Mon choqué par la proximité que cela pouvait engendrer, car je savais que je pouvais la contrôler.

-"Ici, ce sont les hommes que j'ai vaincu en combat. Gontrand, à la taverne, Pierre, qui me cherchait des poux à la caserne, et d'autres encore. Ce trait là est plus grand. C'est un fangeux que nous avons tué."

Je revis l'espace d'un instant cette sordide nuit. Les fangeux attaquant dans le noir. Les gars qui disparaissaient les uns après les autres. Les voix qui s'éteignaient dans les ténèbres.

-"Il faudra que ma mère me fasse un autre bâton, d'ailleurs. Il y a de cela deux jours, j'ai passé par le fil de ma lame un autre mordeur."

Je faisais encore descendre la main de la femme sur mon bras. Cette fois sa paume courait le long des lignes de prières ondulées entourées de lignes de décorations et de serpents représentés.
Je ne serais pas trop, si elle voulu rompre le contact, ce que j'aurais parfaitement compris. Un tel contact prolongé entre homme et femme était bien osé aux yeux de la morale et de la bien-séance.

-"Ici ma mère avait écrit : Ô Rikni, guide mon bras à la victoire. Veilles sur mes songes comme sur mes combats. Fais de moi Ton serviteur dévoué et permets moi d'accomplir Ta volonté'. Mon combat a caché des mots. Je crois qu'il y a un sens à cela, mais je ne l'ai pas encore trouvé."

Je relâchais sa main ensuite. De mémoire d'homme, c'était bien la première fois que j'expliquais à quelque ce que mes tatouages signifiaient. Et cela me poussait à apprécier la guérisseuse. Forcément.
Ne pas se sentir jugé, mais simplement avoir des différences qui apportaient quelque chose. Un sens.

Je me gardais bien de poursuivre. D'autres explications viendraient en temps et en heure.
Je piochais un second petit morceau de viande séchée. Il disparu assez vite au fond de ma bouche.

-"Dis moi Grisold, parle moi de Ma'."

Je me reculais quelque peu de ma position de départ. Les fesses glissant sur le plancher inégal, je cherchais à aller reposer mon dos contre le mur auquel s'appuyait la couche. Une couche, deux adultes, honneur aux femmes. Je reprendrais des forces là, au sol.

Ah, mais c'était ma guérisseuse qui avaient mes peaux pour dormir!

-"Pourrais tu me rendre mes effets du soir, je te prie. Je compte m'emmitoufler pour la nuit. Demain, il faudra bien reprendre la route. Je sais que je serais las sous peu, autant me préparer en amont."

Je posais la tête contre le mur, le regard plus ou moins tourné vers le toit. Peut-être que l'histoire qu'elle allait me narrer là allait me permettre de m'assoupir quelque peu. Non par notion d'ennuis. Mais d'un sentiment d'aisance.
Ou je me sentirais concerné, intéressé, et je ne m'endormirais point. Je ne saurais qu'en écoutant la femme...
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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires EmptyJeu 31 Oct 2019 - 2:09




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166



Grisold avait tressailli lorsqu’Edmur s’était reculé brusquement. Elle avait été tirée de ses pensées et de cette tentative de maintenir le lien ténu entre eux, comme désarçonnée. Pourquoi ? Elle ne formula aucune question mais bien vite, il reprit sa main et elle avait compris. Peut être n’aimait-il pas être touché ou craignait-il le contact qu’on pouvait lui imposer ? Elle connaissait ce sentiment. Elle même avait mis bien du temps voire des années avant d’accepter les gestes envers elle. Pourtant elle en avait besoin. Le guerrier en avait-il besoin aussi ? Toujours était-il qu’elle ne se refusa pas au contact de sa main, lorsqu’il décida de lui montrer ses marques.

Il lui racontait ses combats, sa dévotion pour la ville et le roi. Elle devina qu’il était un homme d’honneur, chose qu’elle ne connaissait que peu, les hommes surtout les bannis ne fonctionnaient pas à l’honneur. Ils fonctionnaient selon une loi plus primitive, qui régissait tout : la survie. Il fallait manger ou être mangé, donner pour recevoir. L’honneur était une ancienne notion, qu’elle-même appréhendait mal. A moins que son sens de l’équité soit une sorte d’honneur à sa manière. Elle demeurait songeuse. Il avait connu maints combats, c’était un fait certain et il en connaîtrait d’autres. Elle sentait son sang pulser sous sa peau alors qu’il promenait sa main sans la lâcher, et elle senti que le combat était non seulement dans ses cicatrices mais aussi dans son sang. Il était vraiment l’enfant de Rikni, il aimait combattre et elle l’entendait dans son récit autant que dans les pulsations sous ses doigts. Elle pour sa part, ne se battait que lorsqu’elle y était vraiment contrainte, pour survivre, pour ne pas être dominée. Pour défendre son territoire ou le produit de ses récoltes ou de sa chasse.

Comme pour confirmer ses pensées, il fit courir ses doigts sur la prière que sa mère avait inscrite pour lui, cette prière à Rikni qu’elle l’écouta prononcer attentivement. Grisold sourit un peu :

— Ta mère veille sur toi en te rappelant aux yeux de la déesse. L’intention d’une mère compte plus que les mots qui sont sur ta peau.

Elle y croyait. Peu importait la façon de prier, de rendre hommage aux dieux, le plus important était celui qui priait et invoquait la volonté des Trois. Mais déjà, il relâchait sa main. Etait-ce de la méfiance qu’elle lisait dans ses yeux, lorsqu’il s’écarta un peu pour venir s’appuyer contre le mur ? Elle n’en savait trop rien. Mais il n’avait pas l’air prêt à fuir, au contraire. Les herbes semblaient avoir un peu apaisé les tensions et la souffrance, il était seulement fatigué. Aussi le laissa-t-elle s’installer où bon lui semblait. Elle chercha la peau qu’il lui avait donnée et la déposa à ses pieds avant de tenter de remettre de l’ordre dans ses souvenirs. Il voulait qu’elle parle de Ma’. Elle n’avait pas parlé de Ma’ depuis si longtemps. Elle inspira et s’installa non loin de lui, sur la paillasse, en tailleur et ferma un peu les yeux.

— Ma’ était une grande guérisseuse. Certains disaient qu’elle était une sorcière. Pour moi elle était mon univers, pendant longtemps. Elle m'a trouvée dans un tas de fumier, dehors un matin d'hiver. Et elle a décidé que je serai sa fille. Elle a été le premier mot que j’ai prononcé à mon dixième printemps. J’aimais l’odeur de sa peau quand elle me tenait dans ses bras, petite. Elle était déjà ridée quand je l’ai connue. Je me souviens de ses mains quand elle travaillait. Elle vivait seule au village, et elle disait que j’étais sa fleur sauvage. Elle me défendait. Je croyais être en sécurité pour toujours quand elle était là, je traînais derrière elle, bien à l'abri dans ses jupes. Je me souviens de sa voix quand elle chantait au coin du feu, l’hiver, ou quand je me réveillais en hurlant, à cause des cauchemars. Elle m’a tout appris. Les herbes, les soins. Ne pas craindre mon ombre. Les gens la respectaient autant qu’ils la craignaient. Mais ils ne m’aimaient pas. Les enfants me pinçaient ou me poussaient dans la boue quand je ne prenais pas garde.

Elle soupira longuement avant d’essuyer ses yeux et poursuivre, tranquillement.

— Mais Ma’ disait que la boue est utile, et que la souffrance apprend. Pas comme les idiots qui n’écoutent pas et ne voient pas. Eux n’apprennent pas. Un jour, j’avais presque l’âge de me marier, les bêtes du village sont tombées malades. Ma’ ne comprenait pas. On a essayé de les sauver, mais les bêtes mouraient quand même. Alors les villageois ont commencé à penser que c’était la faute de la veuve et de sa fille sauvage. Qu’on leur avait jeté un mauvais sort. J’étais partie au loin parce que Ma’ voulait que je trouve d’autres plantes pour les bêtes. Quand je suis revenue, j’ai vu les flammes au loin. L’odeur du brasier de la maison. J’ai su qu’ils avaient brûlé Ma’. Ils ont lâché les chiens et lancé des battues dans les bois, je me suis enfuie. Je suis restée longtemps dans les marais et je ne suis pas revenue au village. C’est là que j’ai trouvé cette cabane. Elle était en ruine, comme moi, une vieille cabane de pêcheurs. Alors je l’ai réparée, planche par planche.

Elle se tut un instant, se mordant un peu la lèvre inférieure de ce soudain afflux de souvenirs enfouis. C’était douloureux et bon à la fois de pouvoir parler de Ma’. Elle revivait un peu à l’intérieur de la cabane, alors qu’elle l’invoquait de nouveau dans sa mémoire. Elle revint au visage du guerrier, tâchant de savoir s’il était toujours éveillé ou s’il avait sombré dans le sommeil. Elle demanda doucement :

— Tu dois toi aussi raconter une histoire, tu te souviens ? Je t’ai parlé de Ma’, tu veux parler de ta mère ? Ou une autre histoire si tu veux.

Elle ne savait pas s’il était d’accord pour donner tant de détails sur sa propre vie, après tout il avait reculé une fois et elle ne voulait pas le contraindre à trop se dévoiler. Elle restait une bannie et peut être avait-il des raisons de la craindre. Elle restait là, sur son coin de paillasse, immobile, son corps plié ne prenant que peu de place dans l’espace confiné. Elle replia ses jambes vers sa poitrine, enserrant ses genoux de ses bras. Elle attendit. Pour une fois, la nuit ne paraissait pas si longue. Demain, le guerrier repartirait et elle ne voulait pas manquer un détail de cette nuit.


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