L'art de tenir ses engagements [Odomer] [Terminé]

« Mais je comprends pas pourquoi, pourquoi on est obligé de mettre ça dans de la graisse, ça va pas mal se conserver ? »

Denea se passa la main sur le visage, Beth était mignonne et volontaire, mais parfois s’était vraiment pas une lumière quand elle s’y mettait.

« Certes, l’huile d’est plus délicat, ça se conserve moins longtemps, surtout si il fait chaud, mais les bienfaits apaisants de la camomille passent mieux dans l’huile que dans l’eau, puis c’est mieux d’appliquer sur la peau de l’huile, ça pénètre mieux parce que ça sèche pas. »

La rouquine sembla comprendre d’un coup ce qui fit lever les yeux au ciel de son professeur improvisé. Il y avait des jours comme ça, où elle aurait bien aimé ne rien faire, prendre une pause. Malhreusement, elle ne pouvait pas se le permettre. Néanmoins, quelque chose semblait avoir entendu ses prières silencieuses quand un gamin se présenta dans la boutique. Il était essoufflé, avait visiblement fait un bout de chemin en courant.

« C’est vous la rebouteuse ?
C’est l’milicien Siger qui m’envoie m’dame. Il dit qu’il est libre pour la … p'tite crapahute aux herbes qu’il a dit et qu’il vous attend à la porte. »

Autant le nom ne fit pas tout de suite tilt dans l’esprit de la jeune femme, autant, la crapahute aux herbes lui revint très vite en mémoire. Le gosse parlait du Milicien qui était passé il y a quelque jour pour un hypothétique problème de chaude-pisse, tout un programme. Elle fut presque surprise de voir qu’il semblait désireux de tenir son engagement d’autant plus qu’il avait payé la totale.
Enfin au final s’était tant mieux.

Donnant une piécette au mioche, Denea le congédia et passa sans l’arrière-boutique. Elle devait se changer Aller courir la campagne en robe ça aurait été pas trop stupide avant, mais maintenant, s’était pas très conseiller, on pouvait se prendre le pied devant et avec un fangeux mieux valait ne pas tenter le diable. Pendant qu’elle enfilait un pantalon et une chemise d’homme au-dessus de son corset, l’herboriste donnait ses directives à son apprentie pour qu’elle garde la boutique pendant son absence.

Elle attrapa ensuite une besace de vieille toile épaisse et résistance, qu’elle mit en bandoulière. Dedans se trouvait un peu de toile et un couteau pour faciliter la récolte de plantes les plus récalcitrantes et de quelques écorces. Pour les produits un peu plus délicats elle avait un panier d’osier pas de première jeunesse.

Le froid se faisant sentir malgré le fait que le soleil soit encore haut dans le ciel. Pour se protéger de la fraîcheur la jeune femme portait une étoffe de laine grossière et usée autour des épaules.

En arrivant près des portes de la ville elle reconnut vaguement la haute silhouette du Milicien.

« Bonjour !
Je vous ai pas trop fait attendre ? »

Il y a parfois des impulsions étranges, subites, du genre a vous faire vous demander pourquoi après coup. C'était une de ce genre la qui avait saisi Odomer le jour précédent au soir, alors que venait de se finir son service. Pour le coup, il préparait son infusion du soir, suivant scrupuleusement les prescriptions de l'herboriste concernant la prévention des petits problèmes situés sous la taille, quand l'impulsion l'avait saisi. Sans crier gare. L'envie subite d'honorer sa parole, suite a l'absence notable de tracas de chaude-pisse et pourtant les dieux savent a quel point il avait mit a l’épreuve le traitement.

Une envie presque dérangeante en fait, surtout que cela voulait dire se montrer sage le soir pour être d'attaque avant le lendemain, si il fallait sortir en dehors des murs et aller dans des coins pas forcement jouasses pour trouver des plantes avec la demoiselle. Une idée qui l'avait laissé perplexe toute la soirée, mais ce genre d'impulsion ne se laisse jamais repousser, malheureusement. Pour une très rare fois alors que le lendemain était jour de repos, Odomer s'était donc couché de bonne heure, sobre et sans dépenser une seule piécette. Un comble qui avait fait sacrement hausser les sourcils des collègues et fait fuser autant de remarques amusés sur son comportement inexpliqué, s'étant contenté de hausser les épaules pour refuser de faire le tour des tavernes et bordels usuel, que d’inquiétudes presque sincères de vieux compagnons de débauche. Un pic d'humanité peut-être?

Il n’empêche, se lever le matin de bonne heure de sa propre volition, sans résidu de gueule de bois avait quelque chose de particulier, un petit gout d'exceptionnel étrange. On ne pourrait pas dire pour autant qu'il en était a sourire, plutôt pestant contre les idées stupides qui lui arrivent parfois, sans pour autant se refréner de faire quérir un des gamins qui traînait dans le coin une fois équipé comme a son habitude, hallebarde de service et armure de cuir au cas ou, pour l'envoyer signaler a la rebouteuse son intention de tenir parole.

Une piécette et une taloche derrière le crane avait suffit a faire s’égayer le moineau avec son message, précisément renseigné sur la boutique a aller voir, tandis que le milicien prenait le chemin des portes de la cité, s’arrêtant juste en route pour récupérer de quoi manger pour la journée, parfaitement ignorant du temps que prendrait de la cueillette d'herbes. Oui, récupérer. Pas acheter. Ce n'est parce qu'on est dans un presque bon jour qu'on se permet des dépenses somptuaires non plus. Et on a vite ses petites habitudes chez certains commerçants quand on passe 20 ans dans la milice. Une petite tourte fourrée a une viande indescriptible chez un type qui vendait a coté de la caserne, une demi-miche de pain, quelques oignons, un fromage aussi sec que dur... bref de quoi se sustenter au cas ou ça prendrait un peu de temps.

De fait, il avait même bien failli arriver après la demoiselle, a quelques minutes près, alors que petit a petit, les doutes quand a cette idée farfelues revenaient. Sérieusement, pourquoi diable avait il fallu qu'il accepte un marché pareil? Des idées qui l'avait presque fait tourner talons, pas plus dérange que ça a l'idée de poser un lapin a l'herboriste. Du moins, presque fait tourner talons si il n'était pas déjà arrivé aux portes, planté comme un piquet sur un des cotes sous les regards un poil suspicieux des passants de voir un milicien en tenue rester la sans bouger, visiblement perplexe, un baluchon sentait bon le pain chaud sur l'épaule. Étrange occurrence pour le moins. D'autant plus vu l'air patibulaire de l'individu.

"Faire contre mauvaise fortune bon cœur" comme on dit. Au résultat, quand la demoiselle avait finie par le héler, il avait finit par se décider que quitte a être la, autant aller jusqu'au bout, trouverais bien un truc intéressant a faire durant la sortie après tout.

"B'jour.
Nan, j'suis pas arrivé y'a longtemps"

Odomer avait jeté un rapide coup d’œil sur la tenue de l'herboriste, détaillant de manière appréciatrice la tenue robuste, adaptée pour l'idée qu'il se faisait d'aller cueillir des trucs dehors, idée vague pour le moins. Il serait con que ça tourne mal a cause d'un ourlet et d'une racine non? Bon certes, il y avait aussi de l’appréciation pour la demoiselle dedans aussi, mais ceci tenait du détail pour le coup.

"Bon, vu qu'j'y connais rien, j'pense qu'j'vous suit non? Comptez pas nous faire aller pourrir du Fangeux pour chopper certains trucs spéciaux, rassurez moi?
Pensez qu'y'en a pour longtemps?"

Il s'était décollé du mur sans enfiler le casque, pendant a la ceinture, mais en récupérant sa bonne vieille hallebarde, aussi adaptée comme bâton de marche, fouille-vase que repousse-péquenots et tranche-fangeux, réajustant le baluchon de vivres sur l'épaule, fin prêt a partir, les doutes mis de coté. Un des avantages d'avoir un esprit limité après tout que de pouvoir se délester de ses questions sans problèmes.

Si la jeune femme était heureuse de pouvoir échapper un peu à la routine exiguë de la boutique, elle n’était pas pour autant ravie de sortir dehors, risquer sa peau et celle de quelqu’un d’autre pour espérer maigrement renflouer les stocks qui s’amenuisaient toujours plus.
Elle se donnait bonne conscience en se disant que s’était pour le bien de tous. Peut-être qu’elle avait pas vraiment tort au fond, mais il ne fallait pas oublier que dans son cas, pas d’herbes, donc pas de remèdes, voulaient dire pas de revenus et pas nourriture.

Au moins, elle ne l’avait pas fait poiroter, s’était déjà ça, il serait peut-être plus souple et indulgent, savait-on jamais.

« On va déjà suivre les chemins, pas mal de plantes poussent dans les espaces défrichés autour des routes. »

C’était déjà un bon début, même si clairement s’était pas assez, mais au moins pas permettait de commencer doucement sans partir directement courir e campagne et chatouiller d’un peu trop près les marécages.

« A ce que je connais, on ne tire pas grand-chose des fangeux… A part le risque de mourir. Promis, si vous estimez qu’il y a un risque trop grand on fera tout de suite demi-tour, j’essayerais même pas de discuter.
Je sais pas trop combien de temps ça va prendre, ça dépend de ce qu’on trouvera et des … Imprévus. Dès que le soleil va commencer à trop décliner on rentrera. »

Surtout que Denea était plutôt courageuse, parfois un peu butée, mais pas vraiment téméraire. Dès que la situation tournait méchamment au vinaigre, elle préférait prendre du recul et dans les cas le plus grave carrément prendre la tangente. Il fallait savoir calculer les risques à prendre, s’était peut-être une déformation professionnelle, qui savait vraiment.

Le milicien et l’herboriste se mirent en route, passante les porte de la ville. Cela faisait une sensation étrange à la jeune femme, passer de la protection de haut mur, du cadre familier des ruelles au grand vaste et cruel monde s’était pas rien. Présenter comme ça, la situation était légèrement caricaturale, certes, puis qu’avant l’apparition des fangeux, elle arpentait seule, ou moins souvent accompagnée, les environs à la recherche de ses outils de travail, mais tout de même.

« Je dois avouer avoir douté que vous teniez parole, mais je suis plutôt contente d’avoir eu tort. »

Dit-elle avait un léger air moqueur, rien de bien méchant.

La journée n’était pas très claire, mais plutôt lumineuse, une fine couche de nuage recouvrait le ciel. Avec un peu de chance ça allait être un bon jour.

"J'vois. J'imaginais ça différent la cueillette. Genre a devoir franchir les pires coins.
Et puis, on peut dire qu'c'est plutôt pas mal qu'j'ai pris d'quoi becqueter tiens. J'me vois pas tenir jusqu'au crépuscule sans un bout de pain a s'mettre sous la dent tiens."

Les explications, même courtes avait largement suffis au milicien, de toute façon n'y ayant surement rien compris a plus technique, se contentant d'opiner du chef tranquillement, la hallebarde posé sur l'épaule.

Il fallait bien reconnaître, Odomer était un poil perplexe au fond de lui de se retrouver dans cette situation. Pour sur qu'il n'avait pas l'habitude de partir a la cueillette aux herbes comme a une petite balade champêtre, enfin, ce qui y ressemblait avec l'apparition des fangeux. Et encore moins de le faire pour respecter une parole et profiter d'un peu de compagnie qu'il devait bien reconnaître être plutôt agréable de neutralité.
Pour le coup, il en était presque a profiter de la quiétude de la marche, observant les premiers passants croisés aux abord populeux de la ville avant de quitter les faubourgs débordants de réfugiés en eux-même pour s'aventurer plus loin dans la nature bien plus sauvage des environs.
Et même si on peut avoir du mal a le croire, une part d'Odomer avait toujours aimé les fleurs (sisi, je vous jure, c'est dans la fiche), prenant un plaisir tranquille a contempler les choses en état, marchant en régulant ses enjambées pour suivre le rythme de l'herboriste.

Même la remarque, pourtant moqueuse, n'avait réussi qu'a lui tirer un sourire amusé, bien qu'il lui fallut un petit moment avant de répondre, sous la forme d'une certaine dose d'introspection étonnée, couplée a attendre d’être sur d’être hors de portée d'oreilles pour livrer sa réponse.

"M'en fait, j'vous rassure, j'suis tout aussi étonné qu'vous. Ça m'a pris comme une envie de pisser, donc voila. Faut croire qu'dans un sens, j'dois plutôt bien vous apprécier pour aller faire des trucs pareils sans grogner."

Ça tirait moins a ses yeux de l'aveu que de l’évidence, se contentant de statuer les faits platement, avec une certaine gêne il est vrai. Bon sang, un peu plus et il allait bientôt sembler mièvre.

"Allez pas vous imaginer des trucs, mais j'vous ai plutôt a la bonne et c'pas si mal de lâcher un peu la caserne pour des trucs calmes. Mais j'vous pète les dents si vous vous amusez a raconter ça a quiconque.

Dans un autre sujet que mes états d’âmes, vous comptez récupérer quoi comme type d'plantes dans l'coin?"

Il désignait les fourrés bordant le chemin emprunté, veillant tout de même a un minimum a éviter de se faire surprendre par un truc. Même si dans un sens, l'intervention d'un fangeux lui aurait été bien utile pour faire oublier cette embarrassante discussion. Ou une racine rare, n'importe quel truc pour détourner l'attention de l'herboriste. Quelle idée stupide de répondre honnêtement tout de même. Il en avais même renfiler le casque pour garder la tête a l'ombre.

Il attendit qu’ils se soient éloigné des murs et des faubourgs, comme si il ne voulait que personne ne puisse entendre ce qu’il avait à dire. Pourtant, il ne dit rien de si extraordinaire ou si sentimentale.
Mais soit, pour les hommes l’image de gros macho sans cœur était quelque chose de très prisé et particulièrement protéger.
Par contre la jeune femme n’avait pas très moyennement aimé le passage qui parlait de lui péter les dents si elle parlait.

« J’espère que le truc avec mes dents s’est façon de parler …. Je dirais rien, avec les années de pratique j’ai appris à être aussi muette qu’une tombe. »

Annonça-t-elle légèrement contrariée, même si ce n’était pas ça qui allait la contrarier en profondeur. Il essaya de changer ce sujet en montrant un arbuste, demandant si il faisait partit des plantes médicinales. L’herboriste regarda le végétale, parfaitement inconnu. Du moins, pas connu pour ses propriétés sur les différents troubles que peuvent avoir les êtres humains.

En revanche, cela faisait quelque mètre qu’elle scrutait les abords proches de la route à la recherche de feuille en forme goutte assez grandes et nervurée. Il se trouvait qu’il y avait ce qu’elle cherchait face au dit buisson.

Elle s’approcha alors.

« Non ça c’est rien de particulier, mais ça par contre c’est très utile, ça aide les plaies à se refermer plus vite et plus mieux. »

Dit-elle en s’agenouillant à côté des petites plantes dans l’herbe. Ouvrant sa besace elle en sorti un sac en toile. Elle préleva avec une précaution les feuilles qu’elle mit dans le sac de lin.

« Vous êtes pas très doué pour faire diversion, mais s’était bien tenté. Je vous remercie pour vos paroles même si s’était pas très poétique, c’est l’intention qui compte, non ? »

Elle se releva rangeant sa trouvaille dans sa sacoche. Cependant, Denea ne revint pas vraiment sur le chemin restant à quelque pas du Milicien, les yeux river sur la zone d’herbes plus ou moins hautes partiellement défrichée et piétinée. C’était vraie qu’avec les afflux massif des dernier mois, les abords des allées avaient été malmenée et la végétation qui y poussait aussi par la même occasion.

Le temps de faire quelque enjambée qu’elle trouva à nouveau ses feuilles.

« Je ferais pas grand-chose avec ça, mais ou moins, on peut déjà dire qu’on sera revenu bredouille.

C’est comment, d’être dans la milice extérieure ? »

Il y avait des fois, ou la demoiselle laissait libre cours à sa curiosité, malgré le fait que souvent, elle la réprimait assez bien. Mais là elle cherchait surtout à éviter le long sourire gênant.

Pour le coup, il s'était contenté de hausser les épaules platement pour toute réponse a la question sur le cassage de dents. Visiblement, la demoiselle n'avait pas besoin de savoir qu'il était parfaitement sérieux et littéral dans la menace, ayant une règle simple. On ne menace quelqu'un que si on peut mettre a exécution son avertissement.Une règle qui permet en général qu'on vous prenne au sérieux sans trop de soucis.

Et de fait, même si sa diversion était foireuse, elle avait visiblement réussie a voir la jeune femme cueillir quelques feuilles en lui expliquant leur utilité. Pratique en effet, il n'y avait pas a dire. Mieux valait se graver la tronche de ces feuilles en mémoire, pourrais toujours servir en cas de blessures, même si visiblement, il fallait tout de même un certain soin dans la cueillette, il avait donc suivi l'affaire avec un certain calme, pour ne pas déranger, même les rustres estimant a leur juste valeur le travail de collecte des remèdes.
Dans un sens, ça aurait même pu le faire sourire de voir ce petit bout de femme dans une tenue robuste en train de cueillir avec soin des feuilles au milieu d'un coin pas mal massacrés par les allées et venues massives et incessantes des réfugiés.
On se distrait comme on peut.

En revanche, la question sur la Milice Extérieure lui avait fait perdre de manière presque instantanée toute bonne humeur. Si il y avait bien un truc a lui taper sur le système, c'était bien son assignation dans cette saloperie en punition. Sans rire, qui voudrait ainsi décemment risquer sa vie tout les jours ou presque?

"D'la merde. Purement et simplement. Passer mon temps dans les alentours, a devoir se coltiner des fangeux sournois, des paysans butés et des connards de bannis quand on en croise, très peu pour moi.."

Pour tout dire, il en avait même lâcher un glaviot dans l'herbe a coté, un raclement de gorge qui en disait très, très long sur ses sentiments profonds envers ses missions.

"On passe not'temps a marcher, souvent dans cette foutue fange de marais, a s'faire attaquer par les bâtards fangeux et comme si ça suffisait pas, les péquenots locaux font des emmerdes quand vient l'heure d'payer l'tribut en matériaux et bouffe pour la Cité.

Sans déconner, faut être complètement taré pour vouloir rester dans c'te merdier, j'vous l'dit. Et les Dieux savent a quel point des tarés y'en a dans nos rangs pourtant, du genre a tenter de trucider du fangeux pour venger un gamin ou une petite amie... Foutus malades, du genre a creuver pour un putain de souvenir.

Et l'plus casse-couilles ça doit être tout les traînes-patins la, les réfugiés sans un sou qui attendent qu'on les protègent, qu'on crève pour leurs sales gueules et qu'en plus, on leur file a bouffer. Conneries de parasites, comme si on était pas déjà assez."

La tirade était sacrement amère, avec un dégoût plus que visible envers son poste ou les problèmes rencontrés, balançant un coup de pied maussade dans une souche défoncée avant de s'y asseoir en grommelant une série d'insanités inarticulés a faire rougir une rombière expérimentée. Une façon comme une autre de se détendre.

"Putain, j'ai hâte d'en finir avec l’extérieur quand même, j'ai assez d'foutus points d'suture pour tout l'restant de mes jours comme ça. Connard d'sergent tiens."

Et en toute franchise, les combines étaient bien meilleures dedans et plus agréables. Ça ne demandait pas de fréquenter des fangeux affamés après tout.

Au moins comme ça s’était clair, pour lui la milice extérieure était visiblement une purge. Denea préféra ne pas relever, elle comprenait très bien que les personnes viennent se réfugier ici, malgré tous les problèmes que cela pouvait bien poser. Avoir une chance de survivre s’était suffisant pour tenter sa chance, s’était plus attrayant de la perspective d’un mort quasi-certaine.

Cependant, elle n’en dit rien, ne préférant pas s’engager dans ce sujet sensible. La plupart des Natif de marbrumes avaient la même opinion sur les réfugiés. Vu dans la mauvaise disposition dans laquelle elle avait mis l’homme, elle ne voulait pas risquer de le contrarier encore plus, son but était d’éviter les dangers et pas de se mettre à quelqu’un qui était bien plus fort qu’elle.

L’écoutant ragé sur ce qui était son métier, la jeune fille récupéra toute les feuilles qu’elle voyait dans un rayon d’un dizaine de mètres autour du milicien. Une fois qu’elle leva le nez de la pelouse elle crut voir quelque chose de très fort intéressant un peu plus haut dans un arbre.

« Je pensais pas que s’était si horrible pour vous… »

Dit-elle s’approchant de l’arbre qu’elle avait repéré au bord du chemin. Elle tourna rapidement autour pour trouver un point d’appui correct et posa à son panier à ses pieds. L’herboriste n’était pas une très bonne acrobate, mais quand il s’agissait de monter à un arbre elle arrivait à se débrouiller assez pour ne pas risquer de se briser la nuque à chaque instant.

Elle posa un pied sur l’écorce pour prendre appuie et pris son élan afin d’attraper la première branche. Elle n’était pas trop solide et elle pensa un instant qu’elle allait céder sous son poids quand elle y posa son pied. Encore un peu d’escalade et elle arriva à porter de ce qui l’intéressait, une touffe de gui. La branche était assez épaisse pour que la jeune fille puisse s’asseoir dessus. Sortant le couteau de son sac elle entreprit à récolter le parasite. Elle préférait ne pas trop regarder en bas, ce n’était pas qu’elle avait le vertige, mais elle n’était pas particulièrement rassurée. Avant de tout ranger dans sa besace, elle décrocha quelque fruit blanc restant les jetant en contrebas.

En descendant, le pied de Denea glissa, heureusement, elle réussit à se rattraper comme elle put.

« Je voudrais pas vous déranger plus que ça, surtout que je l’ai un peu cherché, mais … Je pourrais vous demander un coup de main ? »

Les bras bien accrochés autour de la branche et le reste du corps pendant dans le vide. Elle ne pouvait pas bien estimer la distance qui la séparait du sol. En vérité, il devait y avoir un espace d’environ sa taille entre ses jambes et la terre ferme.

"C'pas qu'c'est horrible, c'est que... bah, laissez tomber, comprendriez pas."

Le haussement d'épaules était un peu moins furieux, étant a court de mot pour expliquer simplement l'ignominie de la situation, son animosité envers le sergent ou le sentiment d'injustice de se retrouver ainsi assigné a risquer sa peau pour un simple partage dont il avait tiré avantage. Saloperie tiens.

Observant placidement la demoiselle s'agiter avec ses feuilles, en cueillant une sacré quantité quand même a ses yeux, il avait laissé filtrer un petit sourire en l'observant s'essayer a la grimpette. Tranquillement assis sur sa souche, faisant un siège plutôt confortable, il l'avait observé monter a l'assaut de l'arbre, avec une agilité forcement née e l'habitude. Comme quoi, la demoiselle, en plus de parfois irritante comme une armée de morpions avec ses remarques pouvait aussi se montrer être un intéressant spectacle, extirpant un oignon rouge de son sac pour assister a la prise d'assaut déterminée de l'arbre en croquant dans ce dernier. Y'a pas a dire, une vision pas banale.

"M'aviez cachée le coté artiste de foire tiens. Ça vous arrive souvent la grimpette sauvage aux arbres ou c'est juste une pulsion?"

Le ton était revenu de belliqueux a amusé, juste ironique sans être blessant, surement une propriété de l'oignon pour apaiser les aigreurs liés a son travail. Il n’empêche ça paraissait tout un art d'en bas d'observer la demoiselle assise sur sa branche en train de cueillir ce truc qu'il ne voyait pas bien, avant de s'attaquer a la descente. Enfin, la descente foiré.
Ce qui avait fini par le faire éclater d'un rire gras en observant la glissade puis la posture de la demoiselle en détresse avec sa branche, sans pour autant bouger le petit doigt pour l'aider, ayant manqué de s’étouffer avec un bout de son casse-croûte.

"Héhé, j's'rais pas loin d'vous d'mandez ce que j'ai a y gagnez a vous aider, après tout, c'vous qu'avez voulu jouer l'arbuste hein. Faudra penser a l’échelle la prochaine fois.

D'autant qu'c'est pile la position pour marchander hein?"

Pour autant, c'était juste une pique, sans grand sérieux, se relevant en déposant son morceau d'oignon de coté tranquillement avant de se placer sous le point de chute de la demoiselle, pour reprendre la parole, bien campé pour la réception au cas ou elle lâcherais prise.

"M'w'allez, disons qu'j'suis dans un jour rare, j'vais vous aider par bonté d'coeur. Laissez vous tomber, j'vous rattrape, v'z'en faites pas. Bien qu'ca serve les biceps.

Et puis, pas tout les jours qu'les donzelles tombe du ciel!"

Oui, le sourire était plutôt gras, finissant de mâchonner sa dernière bouchée d'oignon cru, mais l'intention était la non?

Fatalement, il avait bien rit aux dépens de la pauvre fille qui essayait de ne pas se briser une cheville bêtement. Elle ne s’en formalisa pas, il fallait dire que s’était bien normal et qu’il avait simplement l’air gentiment moqueur. Si les situations avaient été inversées… Elle n’aurait surement pas vraiment plus prétendre aider le Milicien, mais surtout elle ne serait surement pas privée non plus.
Puis dans le même temps elle n’était pas vraiment en position pour mal prendre quoi que ce soit.

« Z’êtes sûre ? »

Manquait plus qu’il change d’idée au dernier moment.

Bon de toute façon ça servait à rien de tergiverser pendant cinquante ans. La jeune fille respira profondément avant de lâcher la branche. La réception ne fut pas très douce, mais il avait tenu parole. Retrouvant la terre ferme Denea ne put s’empêcher de souffler de soulagement.

« Encore en un seul morceau ! Ça aurait pas été malin de me casser une cheville. Merci de m’avoir rattrapé. »

Remettant son étole qui avait fini par tomber, l’herboriste, expliqua, en quelque sorte, ce qu’elle était allé faire là-bas.

« Les gui c’est très utile, surtout les tiges et les feuilles. Enfin le baies aussi, mais ça s’est plus si vous voulez tuer quelqu’un … ce qui n’est certainement pas mon but. »

Certainement pas, après ça l’empêchait pas savoir qui en préparer certains. Du moins, elle avait su il faut un temps, mais à force de ne pas pratiquer, elle commençait à oublier.

Après avoir récupéré son panier, elle retourna sur la route avançant doucement pour être sûre de ne pas louper une plante qui aurait pu lui servir. Un peu plus loin sur le chemin, un groupe d’environs cinq personnes marchait sans grande détermination, surement des réfugiés qui avaient tout perdu et qui espérait retrouver une vie.

« Au fait, vous m’avez pas dit si le traitement fonctionnait ? C’est pas trop dur l’ail à la bruyère trois fois par jours ?
J’imagine que ce matin ça doit pas être terrible.
Vos collègues vous regardent pas trop bizarrement ? »

La demoiselle s’amusait de la situation sachant parfaitement que ce n’était pas forcément une partie de plaisir. Sans compter le principal effet secondaire, qui, si minime soit-il pouvait être embêtant sur le long terme.

Beh non, bien entendu, il allait laisser tomber la demoiselle pour se peter un truc en bougeant au dernière moment... il avait secoué la tête de dépit devant cette question plus que stupide, bien content de sa posture son expression soit pas visible avant réceptionner le colis volant. Pas en toute finesse, c'est vrai, mais bon, la finesse et la réception de demoiselle tombée du ciel....

"J'vais quand même finir par croire que vous vous attendiez a un sale coup tiens."

C'est vrai quoi, il n'était pas si pourri tout de même non?

M'enfin, toujours est il qu'autant d'acrobaties pour du gui, fallait en vouloir quand même. Même si fallait noter le truc des baies, pouvait toujours servir un jour ou l'autre a son sens, au cas ou dirons nous... Une vieille habitude de crapule que de mettre dans un coin de mémoire le moindre truc pouvant servir a se débarrasser des ennuis. Apres tout, rien n'est jamais sur dans not'monde.

Il avait récupéré rapidement son morceau d'oignon trainant dans sur la souche avant d'emboiter le pas a la demoiselle, profitant presque commodément de la balade, laissant faire son travail a la petite pour s'occuper de surveiller les environs, les chemins se faisant un poil plus tortueux en s'éloignant progressivement des zones habitées en permanence.

Au résultat, il n'y avait rien d'étonnant a ses yeux que de croiser la petite bande de types en marche vers Marbrume, dans un état plutôt parlant sur leur niveau de richesse actuelle... Refugiés, traîne-patins ou indigents, une chose était sur, dans ces conditions, il n'était pas forcement très recommandé de sourire paisiblement en admirant le ciel.
Il avait donc discrètement chopper un bras de l'herboriste pour l'écarter du passage avant de lui répondre, une manière très nette de la renseigner autant sur son avis quand a la rencontre avec le groupe que d'un avertissement clair aux 5 types.

"Ah ca... l'est parfaitement dégueu vot'truc et j'vous dit la tronche que je me paye le matin a boire ma p'tite infusion quand les collègues attaquent a la bière le p'tit déj'.
Et puis, bons dieux, j'passe un temps fou les parties a l'air pour vidanger, z'aviez prévenue, mais quand même, j'ai l'impression d'être devenue une foutue laitière.

Mais c'est semblerait qu'c'est efficace, j'ai testé avec rigueur et méthode, ca parait bien prévenir les petites complications. Et pas le moindre problème niveau mécanique, c'parfait. Parce que bon, les herbes et la levée du corps... Bref."

De fait, il n'avait regardé que partiellement la demoiselle pendant sa réponse, le regard rapidement revenu sur la troupiale de désargentés, méfiant par nature, prudent par profession et surtout foncièrement paranoïaque, légèrement a broyer le bras de l'herboriste le temps d'être sur que rien ne se passe mais bon... Prudence est mère de sureté comme on dit. Ca et les regards méchants en direction du groupe en faisant bien voir le surcot de la ville.

« Vous me faites mal »

Se plaignit Denea pendant le passage des pauvres gens. Le milicien lui pressait fort le bras avec un air de vieux cabot agressif. Au moins, il donnait le ton de l’ambiance qui régnait dans Marbrume au grand regret de la jeune femme, mais on ne pouvait pas aller contre la nature humaine.

Le petit groupe jeta seulement un regard sur les deux personnes, puis ils baissèrent la tête pour forcer le pas. Visiblement, l’allure du milicien avait fait son petit effet.

« Je suis heureuse que vous preniez votre rôle très à cœur, mais c’est des pauvres miséreux, en plus vous leur faites peur, qu’est-ce que vous voulez qu’ils nous fassent ? »

Il y avait une toute petite pointe d’agacement dans la voix de Denea, elle n’avait pas pu la retenir, pourtant, elle n’était pas vraiment adressée spécialement à son garde du corps du jour, s’était plus un agacement face à la situation actuelle.

Elle finit par se dégager, essayant d’être le moins brusque possible pour ne pas qu’on se méprenne sur ses intentions. Une fois fait elle se frotta le bras qui était quelque peu endolori. Elle était certaine que si elle regardait là tout de suite à l’endroit ou pressait la main de l’homme quelques instants plus tôt il y aurait une marque rouge du plus bel effet.

« Quelle poigne »

Ironisa-t-elle en reprenant sa marche. Les abords du chemin se faisaient plus sauvages moins net. A quelque mètre devant, la jeune femme repéra une aire d’orties. Ces dernières semblaient tirer sur leurs dernières réserves et faisaient un peu grise mine. En temps normal elle ne se serait pas attardée dessus, mais on faisait un peu avec ce qu’on trouvait et l’ortie était trop prisée pour se permettre de passer à côté.

« Les orties ça soulage les articulations, ça aide le corps à supporter les tâches pénibles. »

Expliqua-t-elle en s’agenouillant à côté des gerbes de tige et de feuille. Il fallait user d’astuce pour récolter ces petites choses qui piquaient assez horriblement. De sa sacoche, elle sortit son dernier sac en tissu qu’il lui restait et enfila sa main dedans. Elle se servit de ce gant de fortune pour attraper une bonne grosse poignée de l’herbe. A travers le tissu ça picotait légèrement, mais s’était supportable. Avec sa main libre, elle coupa le pied de tiges avec son couteau. Elle réussit à en couper une autre poignée non sans un peu d’embêtements. Une fois qu’elle en eu assez elle garda les tiges en main et retourna le sac mettant les orties dedans sans avoir trop eu à se frotter à leur pouvoir urticant.

« Les bourges aussi l’aiment bien … mais c’est parce que ça soigne la goutte. »

Conclut-elle sur une note plus légère.

Odomer n'avait de toute façon pas prévu de la garder accrochée par le bras plus longtemps que le strictement nécessaire, pour une raison simple, la hallebarde, ca se manie a deux mains. Il l'avait donc laissée se dégager sans mal, des le petit groupe passé, se contentant de hausser les épaules avec une certaine dérision.

"Faudrait voir a vous r'mettre au gout du jour hein. Justement parce que c'est des miséreux qu'c'peut mal tourner. Les problèmes avec les traîne-patins de leurs genre vous sont passés au dessus du chapeau? Envie d'finir étranglée dans un fourré par 4 types pour les avoirs sous-estimés? Vous qui voyez hein, c'pas mes oignons au fond.

Par contre, faudra l'préciser si vous voulez ressortir, si c'est juste fangeux ou la totale que vous voulez faire."

Il n'avais pas fait de commentaire sur sa poigne, l'ayant simplement choppée sur l'instant sans y réfléchir, s'en contrefoutant un peu au final de lui avoir fait mal ou pas. Elle allait pas jouer les fragiles après s'être limite pétée la gueule d'un arbre pour deux bourgeons non plus? Ah les femmes... Elle était décidément plus agréable en parlant plantes et remèdes de rebouteuse, avec une langue un poil trop casse-noisettes a son gout sinon.

Aussi tomber sur des orties avait été vu comme une petite bénédiction par le milicien qui avait soufflé un petit merci a Serus pour son intervention en occupant la partiellement de plus en plus mégère. Bon, il fallait reconnaître, ca l'amusait un peu en plus de voir la demoiselle dans un massif d'épineux avec un pauvre sac en tissu en guise de gant pour chopper cette saloperie, tout en écoutant les explications. Comme quoi, même la pire saloperie pouvait être utile... Ah, les plantes...

"J'vois... J'pensais pas que ca pourrait servir a un truc cette saloperie, fin, a part en soupe j'entend. Ah, une bonne soupe d'orties avec de la crème...

M'enfin, en parlant gonflement, si vous permettez, j'vais aller lâcher du lest, a cause d'vot'infusion."

Une manière "élégante" de se détourner pour aller pisser dans un fourré proche, avec un soupir de plaisir très masculin, bien campé sur ses deux jambes pour arroser la végétation... Un inconvénient acceptable au final pour pouvoir lutiner les catins a son gré.

"D'ailleurs, z'auriez pu demandée hein pour les orties. J'ai du cuir v'z'avez, au lieu d'vous abimer les mains."

Une petite minute pour se réajuster l'équipement et reboucler le ceinturon et il était prêt a repartir, plus léger d'un coup.

Il disait ça maintenant, maintenant que ça lui piquait sévèrement les mains. Les hommes et leur sens pratiques ! Tout ce que cela lui inspira était un soupir las.

Attendant que son garde du corps du jour finisse la « vidange » La jeune femme regarda autour d’elle si il n’y avait pas quelque chose d’utile, mais non, il n’y avait rien de particulière. Elle se fit rentrer tant bien que mal le sac d’ortie dans sa besace. Ils avaient eu plus de chance qu’elle ne l’aurait pensée, il n’y avait pas grand-chose au final, mais plus que ce à quoi l’herboriste se serait attendue. S’était surtout qu’elle ne pouvait pas forcément en porter plus. Il faudrait qu’elle pense à emmener Beth avec elle une fois.
Pourtant, cette idée n’était pas vraiment pour lui plaire, dehors s’était trop dangereux pour une gamine d’une quinzaine d’années qui n’avait rien connu d’autre que son quartier pourrit.

Une fois que le milicien fut revenu, ils reprirent leur marche, à pas plutôt lent, mais il n’y avait rien. Le froid commençait à se faire vraiment mordant la nuit endormant la nature. Seul les plus résistantes des plantes vertes restaient.

Le nez levé vers le ciel, la jeune femme était plongée dans ses pensées. Il fallut qu’elle trébuche sur un petit caillou au milieu du chemin pour qu’elle revienne à la réalité. Ce non sans un petit « merde » de circonstances.

Le silence n’était pas particulièrement confortable, mais elle n’avait rien à dire et de toute façon, elle avait bien compris que le papotage n’était pas le fort du milicien. On entendait tous les bruissements de la vie dans les bois.

Elle s’emmitoufla un peu plus dans son étole.

« Vous savez ce qu’il y un peu plus loin dur la route ? »

Fut la seule phrase qui brisa la quiétude du moment.
Si ce n’était pas la première fois qu’elle courrait la campagne à la recherche de plante, elle ne se souvenait pas de tous les chemins qu’elle avait pu prendre.

Ah, qu'il était agréable de marcher tranquillement sur le plateau, la ceinture légère de s’être vidangé, la demoiselle a ses cotés ne pipant mot. Bon, elle avait certes eu l'air de mal prendre la remarque sur le fait de demander de l'aide mais après tout, il en savait rien de la cueillette de l'ortie, elle faisait peut-être ça d'une façon spéciale, ou avec une technique qui demandait de ne pas avoir de gants épais... Comme quoi, la donzelle était pas dégourdie parfois et en plus elle allait lui faire retomber la faute dessus... Tss.

Il était d'autant plus agréable de marcher maintenant qu'il n'y avait personne, le soir tombant doucement, dans un coin tranquille ou personne ne serait venu lui casser les roustons. A part peut-être un petit fangeux nocif, mais bon, on ne peut en être a l'abri en dehors des murs. Il gardait donc juste la part "garde" de son attention aux alentours, la demoiselle ayant stoppée de vouloir faire causette, ce qui lui allait très bien, pour s'immerger dans ses rêves. Elle était tout de même plus fréquentable en parlant boulot ou pas du tout.
Enfin, rêves... Un bien grand mot pour parler de sa planification de sa tournée des bars en rentrant et des bordels. Ah, que de chaudes images a percer a travers son esprit, tout a fait a même de vous faire oublier a un homme ou il se trouvait. Ça et le fait d’être habitué de toute façon a passer la nuit dans la froidure, la jaque de cuir tenant chaud, bien rembourrée comme il faut. En somme les fantaisies usuelles.

Malheureusement pour lui, alors qu'Odomer se sentait proche de la révélation quasi-mystique, une idée géniale a deux doigts de frapper soudainement, il avait fallu que la demoiselle se décide a briser le confortable silence. Bon sang, on ne pouvait donc pas être tranquille deux petites minutes avec cette bonne femme? Quelle idée d'accepter de lui servir de garde tiens.

"J'pense qu'on doit pas être loin du bout du plateau, ça commence a sentir la fange. J'pense pas que ce soit une super idée d'aller plus loin, a moins d'vouloir des plantes spéciales. Parce que bon, si la nuit tombe, le fangeux..."

Ça tenait plus du grommellement irrité que de la réponse propre sur soi, mais bon, l'homme d'armes venait d’être tiré d'agréables élucubrations mentales. Et la révélation avait finie par arriver. Comme une envie de pisser de fait, ayant un peu la même source, le mot plante.

"Couilles de Serus... Dites, plutôt qu'passer mon temps a pisser vot'infusion la. C'pas possible plutôt qu'vous traitez les filles directement pour la chaude-pisse? Devez bien avoir un truc cont'ca non l'herboriste? Genre au bordel carrément. Tout le monde y gagnerait!"

Étrangement, on aurait presque pu percevoir une lueur d'espoir dans le visage du véreux combattant. Apres tout, avec un peu de chance, il pourrait bien arrêter de s'enfiler de l'ail et de la bruyère et de devoir se vidanger cinq fois par jour les petits jours. Pitié, faites qu'elle ai un truc...

Foutrement pas le moment qu'une bestiole se décide a sortir de son trou pour casser l'instant, pour le coup... la réponse lui importait. Vraiment. Au point d'en avoir les mains serrés sur sa hallebarde, un peu comme un gosse espérant un cadeau. Spectacle étrange pour le moins.

Pour le coup, il aurait presque été reconnaissant d'un oui.

S’était pas un agréable à vivre le bonhomme. À peine avait-elle ouvert la bouche pour poser une question purement anodine et informative, qu’il avait répondue sèchement, ouvertement agacé. S’était peut-être pas une si bonne idée que cela d’essayer de nouer un partenariat sur le long terme avec lui.

Puis il posa une question à laquelle il voulait visiblement que la réponse soit oui au vu de son air de gamin impatient.

Cependant …

Elle lui répondit en revenant sur ses pas afin de retourner vers Marbrume. Elle aurait bien poussé un peu plus, mais le soleil qui déclinait et la proximité du marécage l’en avaient dissuadé.

« Théoriquement, c’est possible. Le traitement c’est que ce vous prenez. L’ail ça tue le mal et la bruyère ça aime à le faire sortir du corps si on peut dire ça comme ça.
Mais si l’ail c’est encore pas un problème, la bruyère si, après n’importe quelle plante qui fait pisser ça peut servir, mais même comme ça il en faudrait beaucoup trop.

Un bordel ? De combien de filles ? Une vingtaine ?
Sans compter qu’il faudrait qu’elle arrête de bosser pendant de prendre le remède si elles sont malades, ça prend une semaine. Je connais pas mal de filles et aucune a les moyens d’arrêter de bosser une semaine si elles peuvent bosser. Et surtout le ou la gérante du bordel sera surement pas d’accord, trop de pertes.

Et même si par miracle on arrive à mettre tout ça en place que le traitement fonctionne bien, que les filles soit guéries. Si un client d’un autre bordel ou la chaude-pisse est présente, vient les visiter, les filles, elles seront à nouveau malades. Qu’est-ce qu’il faudrait faire ? Les faire prendre le remède tout le temps ?

Mais les plantes utilisées ont pas seulement pour priorité de faire pisser, certaines sont très utiles à d’autres personnes… ça serait pas juste de drainer toute les ressources juste pour… Ça. »

Fallait savoir être pragmatique parfois. Et là s’était le moment de l’être. Malgré le fait qu’elle savait bien que la chaude-pisse n’était pas une sinécure, cela restait moins grave que beaucoup de choses.

L’herboriste avait plus réfléchi à haute voix que vraiment essayer d’expliquer posément au milicien. S’était une idée intéressante en soit, pas dénuée de sens, loin de là, mais ce n’était pas le bon moment pour cela. Même si on mettait de côté les fangeux, avec l’hiver qui arrivait, on ne pourrait plus rien récolter à part quelques écorces et quelques racines, ce n’était pas le moment de gaspiller pour du « confort ».

La jeune femme attendait avec une certaine appréhension la réaction du milicien. Car après tout, ce n’était pas vraiment un oui, mais complètement un non.