[Terminé] Eloigne la pluie (Madelyne & Aeryn)

10 avril 1166
Marbrume, Quartier de la Hanse.

Il pleuvait ce jour-là. Suffisamment pour rendre le sol de la cour d'entraînement boueux et glissant, mais pas assez pour y échapper… Même si certains avaient préféré passer ce temps-là assis bien au chaud et au sec sur les bancs de la taverne du coin. Mais pas moi… J'avais besoin de ce moment pour tromper l'ennui. Il me fallait absolument me défouler pour simplement éviter de devenir folle. Marbrume assurait notre sécurité, certes. Grâce à ses épaisses murailles, la cité nous préservait de la menace extérieure. Néanmoins, je ne pouvais m'empêcher de la trouver étouffante. Je supportais bien mal ses hautes bâtisses, ses rues trop étriquées pour cette population surchargée. J'avais besoin d'espace pour évoluer, d'air pour respirer, de liberté pour m'épanouir… Mais Marbrume n'offrait rien de tel…

Je rentrais à l'auberge, couverte de boue et trempée jusqu'à l'os. Il me faudrait passer par la porte de derrière pour éviter de salir le plancher ou simplement effrayer la clientèle. J'empruntais donc un chemin différent de mon habitude, contournant volontairement la petite place du marché, pourtant désertée à cause des intempéries. Je ne croisais d'ailleurs pas un chat, ce qui rendait la cité encore plus sombre et monotone qu'à l'accoutumée. Mais c'est en arrivant aux abords de l'auberge que je compris que je n'étais pas la seule âme à me perdre sous la pluie. J'en trouvais une autre, assise sur une marche cabossée. La jeune femme devait avoir mon âge, à peu de chose près. Elle était tout aussi trempée que moi, mais ce n'est pas ce que je trouvais étonnant. Car outre sa présence singulière, cette dernière affichait une mine bien plus effacée…

Mais tant pis, je n'avais pas de temps pour cela, je passais simplement devant elle avant de regagner mon domicile où je pris un bain avant d'enfiler quelques vêtements propres et secs. Je pris largement le temps de me détendre, mes muscles endoloris se défendaient peu à peu au contact de l'eau chaude. De quoi me faire regagner un peu d'énergie pour affronter le reste de la journée. Néanmoins, en passant à côté de la petite fenêtre de ma chambre, je me rendis compte que la jeune femme n'avait pas bougé d'un pouce… Bizarre. Attendait-elle quelqu'un ?

Cette fois, je décidais d'intervenir, je ne pouvais pas la laisser dehors par ce temps de chien. J'attrapais un drap propre dans mon armoire et descendis jusqu’elle. Là, je plaçais le linge sec sur sa tête pour la protéger du froid apporté par l'humidité.

-Ce n'est pas un temps à traîner dehors, lui dis-je lorsqu'elle releva la tête vers moi.Viens avec moi, si tu ne veux pas attraper la mort.

Sans attendre de réponse de sa part, je l'aidais à se relever avant de l'entraîner dans l'auberge. Il n'y avait que peu de client à cette heure-ci, je n'avais donc pas à rejoindre Geneviève pour lui prêter main forte et pouvais encore profiter du calme. Aussi guidais-je mon invité jusqu'à ma chambre, je croisais Céleste dans le couloir et lui demandais de préparer un autre bain. Celle-ci bredouilla quelque chose dans sa barbe, mais obtempéra tout de même. Tant mieux, je n'avais pas la moindre envie de me mettre en colère pour l'instant. Une fois dans ma chambre, je lâchais la main de la jeune femme avant de récupérer quelques vêtements propres que je laissais sur le lit.

-Débarrasse-toi du froid puis change toi, rejoins moi en bas lorsque tu te sentiras prête, déclarai-je avant de l'abandonner dans la pièce.

Eloigne la pluie

Madelyne LaFemelle feat Aeryn Monclar

A quoi bon s’acharner quand Rikni s’évertue à vous faire sombrer ? Je suis épuisée. Après tout j’ai mérité ce destin, mais comment le supporter même si je l’accepte ? Je ne sais pas.
Assise à côté d’une auberge, je regarde la pluie tomber, le regard perdu au loin. Les gens se pressent d’avancer, se protègent comme ils peuvent pour ne pas se faire mouiller. Moi je reste là, trempée par la flotte qui reste constante. Je suis bien trop perdue dans mes pensées pour m’attarder seulement sur la sensation désagréable de mon corps transi de froid. Je ne cherche plus à comprendre.

Je ne ressens qu'un vide effrayant. Je n'ai plus envie de rien, je n'ai plus envie de me battre. La vie, à quoi bon ? Nous ne sommes que des pantins affligeants. De la chair à fangeux. Un amusement divin.

Je sursaute lorsque je sens un tissu sur ma tête et je lève les yeux pour voir une jeune rousse me dire que ce n’est pas un temps pour rester dehors et m’entraîner avec elle.
La suivre si je ne veux pas mourir ? Je voudrais mourir. Mourir pour ne plus avoir à endurer cette vie insupportable où je ne suis maître de rien. Elle me fait rentrer dans l’auberge et me mène dans une chambre et, au passage, demande que l’on me fasse préparer un bain.

Je suis mollement sans trop comprendre pourquoi ni comment tout ça. J’étais juste assise dehors.
Je me déshabille donc une fois qu’elle est repartie et entre dans le bain où je reste sans bouger le temps de laisser la chaleur pénétrer lentement par chaque pore de ma peau. Puis, comme si la vie coulait dans mes veines une fois la froidure chassée, je me nettoie puis ressors, j’enfile les habits qu’elle m’a passé puis je lave les miens dans le bain. Il y a de la boue sur le bas du pantalon et je dois frotter un peu pour la faire partir mais sans grande conviction. Ça m’est complètement égal à vrai dire.

Je les laisse ensuite sécher dans un coin avant de rejoindre la jeune fille comme elle me l’a demandé.

En voyant la grande salle, encore relativement vide à cette heure-ci, je compris que ma vieille logeuse ne s'y trouvait pas. Depuis son agression, Geneviève évitait la grande salle aux premières heures de services. La pauvre vieille était encore grandement marquée par les événements récents. Et même si son visage ridé ne portait plus les marques des coups que le blond et ses compagnons lui ont si lâchement portés, son âme, quant à elle, restait encore fragile et effrayée au moindre bruit. Les éclats de rire la mettaient mal à l'aise, par exemple. Elle se figurait dès qu’elle entendait une chaise grincer contre la pierre.

Je n'aimais pas la voir ainsi, en sachant surtout que je ne pourrai rien faire pour apaiser sa douleur. Néanmoins, j’avais constaté que ma présence, ainsi que celle de mes frères la rassuraient assez pour l'encourager à reprendre sa place derrière le comptoir.

C'est donc sans surprise que je la retrouvais en cuisine, s’afférant auprès d'André, le cuisinier et son apprenti, Pryam. La pièce dégageait une certaine torpeur apportée par l'immense marmite mijotant sur le feu en dégageant une délicieuse odeur de ragoût. Allez savoir de quoi celui-ci était composé, après tout, il était guère aisé de se fournir en viande. Mais je ne m'en inquiétais pas plus que cela puisque les repas servis à l'Ours Blanc étaient toujours délicieux.

Je pris le temps de discuter avec ma logeuse, histoire de la distraire un peu sans pour autant m'attarder inutilement. Je n'étais en réalité venue jusqu'ici que pour une seule raison… Sans prononcer un mot, j'attrapais l'un des bols propre se trouvant sur la table encombrée d'épluchures de légumes. Je le rempli de soupe, celle-ci étant prête depuis un bon moment et restait encore chaude. Cela fait, je retournais dans la grande salle, juste à temps pour voir la blondinette descendre.

-On se sent tout de même mieux au sec, non ? lui dis-je tout en déposant le bol encore fumant sur l'une des tables vides.

J'avisais mon invitée à la mine plus fermée encore que la mienne. Son regard me rappelait un peu celui qu'arborait Geneviève depuis quelque temps… La mélancolie en plus. Elle n’était pas plus grande que moi, bien que plus mince. Elle semblait flotter un peu dans mon pantalon, mais sans pour autant en venir à le perdre.

-Allez, viens t'asseoir. La soupe est bonne. Je peux te trouver un morceau de pain si tu veux… Du vin aussi.

Je doutais toutefois que la belle ait de l’appétit. Ses joues me semblaient bien creuses, même si cela n'était guère étonnant dans une ville où beaucoup crevaient encore de faim. Je me souvins alors des vêtements qu'elle portait avant d'enfiler les miens… Ceux-ci n'avaient strictement rien de féminin… Et bien que sa carrure, bien trop fluette pour une guerrière, ne laissait rien présager d'une quelconque aptitude au combat, je ne pus que supposer que la demoiselle avait fait comme beaucoup de crèves la dalle : rejoindre la milice.

Quelle idée étrange, selon moi, en particulier pour une femme aussi faible que celle-ci. Sans parler du travail en lui-même, probablement difficile et dangereux, je pensais surtout à la compagnie des hommes à l'esprit aussi étriqué que les braies d'un puceau… Alors, il était possible que cette dernière ait subi les brimades de ses collègues, sans parler des coups et aux violences plus ou moins avouables dont les hommes étaient capables. Les hommes… Je les connaissais bien moi aussi, et sans la présence protectrice de mes frères et l'appui du Capitaine et de Finn, nul doute que j'en subirait tout autant… Même si contrairement à elle, je savais me défendre et encore… Même moi, je serais totalement incapable de me battre contre plusieurs hommes, personne ne le pourrait...

-Qu'est-ce que tu fichais sous la pluie, au juste ? lui demandais-je, finalement, avant de m'installer face à elle. Les façons de mourir ne manquent pas de nos jours… Tomber malade n'est ni la plus rapide, ni la plus agréable...

Eloigne la pluie

Madelyne LaFemelle feat Aeryn Monclar

Je descends lentement les escaliers et m’avance à pas incertain jusqu’à la salle principale. Ce n’est jamais très agréable de se faire alpaguer ainsi jusqu’à un endroit totalement inconnu et ce, sans avoir la moindre idées des intentions de la personne. De la pure charité ? Peut-être, qui sait. Je ne suis pas dans un état propice à la réflexion. A vrai dire, si mon corps est ici, mon esprit est resté dans cette cave infernale et de connaître la véritable raison de ma présence dans cette auberge n’est pas ce que je recherche le plus ardemment. Moi, je veux juste oublier ces horreurs que j’ai vécue.

La rousse réapparaît dans la salle avec un bol dans les mains qu’elle vient déposer sur une table à côté de moi en me disant que l’on est mieux au sec. J’acquiesce d’un léger clignement d’yeux à peine expressif. Elle aurait pu dire totalement l’inverse, je crois que j’aurais confirmé exactement de même. Je me rends compte qu’elle porte des habits masculins. Je crois qu’à part les autres miliciennes, je n’ai jamais vu de femme en pantalon. Ça fait bizarre et je me demande pourquoi elle est vêtue ainsi. Sans doute doit-elle se battre, autrement le côté pratique ne vaudrait pas la peine de subir le regard des autres étant donné le monde dans lequel nous vivons ; un monde d’hommes stupides qui ont tous les droits sur les femmes – ou presque.

La jeune rousse me demande de m’asseoir en disant que la soupe est bonne. Je bloque sur ce 'la soupe est bonne'. Merde, comme si on pouvait dire 'allez viens, la soupe est dégueulasse'.
Je me mets à rire. Putain. Je ris jamais et il faut juste que je ris pile quand il ne faut pas. J’essaie de me rattraper maladroitement.

« Excuse-moi, je voulais pas rire... »

Putain de merde. Je tremble maintenant. J’espère au moins qu’elle ne va pas croire que je me suis moquée d’elle.

« C’est gentil, mais j’ai pas très faim, j’explique dépitée en passant une main sur mon visage. Je ne sais pas si je vais arriver à manger. Merci, en tout cas… »

Je commence à manger lentement comme elle s’assied en face de moi. Tiens, elle a les yeux bleus… Bleus comme ceux de la Sergente d’Algrange, bleus comme ceux d’Irène, bleus comme ceux du père Enguerrand, bleus comme ceux de Bérard, bleus comme ceux de Béthanie.

Que cette couleur me perturbe… Une couleur qui fait mal. Tous les gens que je connais qui ont les yeux bleus m’auront apporté du désarroi d’une manière ou d’une autre. Une couleur qui me trouble.
La soupe est bonne effectivement et je ne manque pas de le lui signaler, plus par convenance et reconnaissance que par un quelconque ravissement. En ce moment, plus rien ne me touche vraiment.

« La soupe est bien bonne en effet, c’est agréable. »

Et quand elle me demande ce que je faisais sous la pluie, je hausse les épaules.

« Rien. Je pensais... »

On ne peut pas dire que l'on me connaît pour mon humour. A vrai dire, je pense ne pas être capable de comprendre blagues et autres plaisanteries en tout genre. On ne m'a pas élevé ainsi, on m'a entraîné, ça, c'est sûr, mais personne ne m'a jamais appris à me comporter comme tout être humain normalement constitué. En dehors des entraînements et des missions, je passais le plus clair de mon temps seule. Je n'accompagnais jamais mon père et mes frères dans les tavernes, puisqu’il aurait fallu que j'ôte mon heaume pour cela et toute la supercherie aurait été découverte. Une femme mercenaire, mais cela ne se faisait pas. Une femme se doit d’être douce et servile. Il y a encore quelques mois, elles avaient le droit de manier une fourche pour le labour, mais certainement pas une épée. Et comme Rodrick ne voulait pas que l'on connaisse ma misérable existence, il veillait toujours à me tenir à l'écart.

Ne m'en demandez pas trop. Je ne suis pas un être sociable, même si j'essaie de faire des efforts. La gentillesse, la bienveillance, la charité, personne ne m’a jamais montré l'exemple pour me permettre d'agir de cette manière. Je ne suis pas égoïste pour autant, j’ai l'esprit de groupe… Même si celui-ci s'applique plus naturellement aux batailles qu’aux jeux de dés… Bref…

Voilà pourquoi, je ne compris pas la réaction de la jeune femme lorsqu'elle se mit à rire en guise de réponse à mon invitation. J'écarquillais les yeux, cherchant sincèrement à comprendre ce que j'avais pu dire de si drôle… Jusqu'à ce que mes yeux se posent sur le bol de soupe… Oui bon… Cela n'avait strictement rien de drôle, ce n'était qu'un bol de soupe… De bonne soupe… “Il est où le problème ?”

-Ne t'excuse pas, la coupais-je en balayant ses mots d'un geste. J'avoue ne pas comprendre, mais il n'y a aucun mal à rire.

“Du moins, je ne pense pas.”

Elle tremblait, voilà une autre réaction bizarre… Je n’ai jamais eu l’air particulièrement avenant, il est vrai, mais je ne ressemblais pas non plus à un fangeux prêt à se jeter sur elle pour la déchiqueter en lambeaux… Encore une qui n'était pas à l'aise en ma présence, Finn aussi semblait marcher sur des œufs lorsqu'il voulait me parler. Je n'aimais pas cela. Je ne me sentais pas vexée, mais réellement désolée. Peut-être devrais-je faire comme avec lui et éviter de la regarder dans les yeux jusqu'à ce qu'elle s'habitue.

Je la laissais s'installer, avant de l'imiter. Elle n'avait pas faim, du moins c'est ce qu'elle affirmait avant d'engloutir le contenu du vol, lentement, certes, mais elle l'a tout de même vidé. Tant mieux, elle semblait avoir besoin de se remplumer un peu. Je ne voyais pas comment elle pouvait tenir une arme avec des bras aussi maigrelets…

À l'évidence, l’apprentie guerrière ne voulait pas parler. Je dois bien avouer que cela ne m'étonnait guère, elle ne me connaissait pas… Certaines choses ne sont pas faites pour être évoquées, comme toutes celles entraînant l'humiliation, la honte, le jugement des abrutis. Je savais très bien ce que vivaient ces jeunes femmes ayant, dans un élan de courage ou de stupidité, décidé de s'enrôler parmi les hommes à l'esprit aussi illogique que fermé.

-Dis le moi si je me trompe, mais tu es de la milice, n'est-ce pas ?

Je n'en doutais pas une seule seconde, néanmoins cherchais surtout à la faire parler d'une manière ou d’une autre. Bon d'accord, je m'y prenais peut-être de manière un peu trop directe, mais je n'ai jamais su faire autrement. Rodrick m'a appris bien des choses, néanmoins, la diplomatie ne faisait pas partie de l'enseignement. Kaël savait faire, Elwin aussi… Mais certainement pas moi.

-Comment te traitent les hommes ? C'est ce qui te tracasse ?

Quelque chose clochait chez cette femme, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. Personne ne pouvait se montrer aussi détaché, pas en restant planté sous la pluie sans aucune raison. Son regard éteint en disait long, mais pas assez… Je me levais pour récupérer un pichet de vin sucré et deux coupes que je plaçais sur la table. Je rempli les deux verres avant de pousser l’un d'eux vers la milicienne.

-Tu n'as pas l’air d'être le genre de femme à boire, mais ceci ne peut pas te faire de mal.

Eloigne la pluie

Madelyne LaFemelle feat Aeryn Monclar

La rousse n’a pas l’air spécialement agréable, mais malgré sa mine renfrognée elle ne semble pas s’offusquer que je lui ai ri au nez. Au moins à défaut d’être souriante, elle cherche à m’apporter son aide. Mais que pourrait-elle bien faire ? Rien. La seule personne qui peut faire quelque chose, c’est moi-même. Si moi je ne peux rien faire, personne ne le pourra non plus. Personne n’y est tenu en fin de compte. Aide-toi et le ciel t’aidera, aide-toi et la Trinité t’aidera, en somme. De fait, si l’on a souvent tendance à attendre le secours des autres, on en devient que plus vulnérable.
Chapitre 1 - Verset 2 de l’enseignement de la vie qu’il vaut mieux apprendre rapidement si l’on souhaite survivre.

La jeune femme me demande à présent si je suis dans la milice. Je ne comprendrai jamais tous ces gens à qui je dois apprendre ou confirmer être dans la milice. Ce n’est pas la première à être dans le flou, mais il n’y a pourtant qu’une seule tenue et il me paraît évident que si je la porte, c’est que je suis milicienne. Je confirme d’un hochement du chef. Si je peux économiser ma salive, ce sera toujours ça de gagné.

Elle me demande ensuite comment me traite les autres hommes et si c’est ça qui me met dans cet état. Je fronce un regard perplexe pour chercher à comprendre. Quoi, les hommes ? Non, les hommes ne m’ont jamais ouvert grands les bras – à part pour me passer sur le corps, mais ça, c’est une autre histoire dont j’éviterai de m’étendre en de superflues explications. Et après ? Qu’est-ce que ça peut bien me faire ? Je m’y suis habituée à force d’avoir vécu toutes les humiliations et brimades possibles et ça ne me fait plus ni chaud ni froid.
Je hausse les épaules.

« Ben… », j’entame peu convaincue.

Et puis je réfléchis pour finalement tomber dans une intense réflexion. C’est quoi au juste le problème de ma vie ? Le problème récurent ? Le problème en ce moment ? C’est bien d’être une femme.

Je pourrais aisément gager que dans les plus gros tourments de mon existence il y avait toujours un homme derrière. Voyons si j’essaie de reprendre dans l’ordre ;

Ma naissance ; je suis issue - sans grande surprise, enfin je crois - de mon géniteur.
La mort de ma mère morte en couche il y a quelques hivers ? Mon père qui lui a fait un enfant.
La mort de l’homme que je devais épouser à cette époque ? Mon père qui avait imposé la condition que Thibaud s’enrôle pour avoir une situation correcte.

Mon enrôlement dans la milice ? La mort de mon père.

Ensuite ?

Si je n’ai jamais su m’intégrer dans la milice, c’est bien à cause des hommes qui n’ont jamais rien fait pour m’accepter. Si j’ai reçu tant de coups de fouet, c’est encore celle des hommes à autant de niveaux différents que les ordres de la sanction ont dû venir d’un homme, que c’est à cause d’un milicien qui a fait preuve d’abus et en bout de file du pauvre Meikan que j’ai voulu protéger. La seconde sanction, c’était pour m’être défendue contre un milicien qui avait voulu m’esforcer dans les dortoirs. Et la cerise sur le gâteau, c’est encore un putain de milicien qui m’a séquestrée dans une cave avec l’idée de me torturer et de me faire céder à ses avances et c’est un peu tout le problème du moment ; c’était un peu ça ou la mort me semble-t-il, et dans ce genre de circonstances, le choix est généralement vite fait. Certes, les hommes ne m’ont pas été très agréables lorsque je fais le point.

Et de surcroît, non seulement ce sont toujours des hommes, mais en plus ce sont toujours des putains de miliciens dans la grande majorité des cas cités ci-dessus ; il faut juste exclure Meikan du constat. Ah, et oui, j’oubliais aussi ce chevalier de pacotille qui a disparu dans le pire moment de ma vie et qui, s’il était resté avec moi comme il était prévu, m’aurait évité ce beau tourment. Lui, quand je vais le retrouver – à supposer que je le retrouve - il va se reprendre ma main dans la gueule. N'avais-je pas dit plus haut qu'il ne fallait compter que sur soi-même ? On va passer sur la question.

Je regarde la rousse qui attend toujours plus ou moins patiemment ma réponse.

« Ben ouais », je réponds finalement.

C’est pas vraiment la vision du problème que j’avais de base, mais il faut avouer que c’est une excellente déduction et je rajoute en me grattant la tête dubitative :

« C’est un bon raccourci il me semble… être une femme, c’est vraiment la merde. »

Je n’ai pas vraiment envie de rentrer dans les détails et lorsqu’elle fait glisser un verre de vin vers moi, je ne rechigne pas à le boire d’une traite.

« M’est avis que l’alcool rend surtout minable, mais au point où j’en suis, ça ne changera plus grand chose. »

Je pose ensuite une question à mon tour, histoire de détourner un tant soit peu son attention de moi :

« Et toi, pourquoi tu t’habilles avec des habits d’hommes ? »

“Être une femme, c’est vraiment la merde.”

En voilà un autre de raccourcis, me dis-je en souriant. J'avais beau comprendre son point de vue, je ne pouvais être totalement en accord avec celui-ci. Non, être une femme n'était pas une chose merdique, ce qui l'était en revanche, tenait plus d'être une femme dans un monde d'hommes. Loin de moi l'idée de mettre tous ces messieurs dans le même panier, évidemment, mais beaucoup se comportaient comme des abrutis, comme si le ridicule paquet placé entre leurs cuisses faisait d'eux des être supérieur. Les Trois leur avaient certes octroyé une force supérieure à la nôtre, personne ne pourrait décemment le nier. Ils sont, pour beaucoup, plus imposant en terme de carrure, ils peuvent aussi pisser debout… Mais selon moi, les avantages s'arrêtaient là.

Les femmes savent se montrer bien plus déterminées, résistantes voir même réfléchies. Peu se laissent guider par un instinct destructeur totalement irrationnel. Elles savent jouer autant de leurs forces que de leurs faiblesses pour arriver à leurs fins… Et cela, je pouvais l'affirmer par expérience, la mienne. Elle ne valait peut-être pas grand-chose pour les autres, mais c'est pourtant cet enchaînements d'événements et de ressentis sous fonds de coups et de brimades en tout genre, qui ont fait de moi ce que la femme que je suis aujourd'hui.

-Bof, lui répondis-je en haussant les épaules. Ça ne l'est que lorsqu'on veille à se comporter exactement comme ils le souhaitent. On leur a martelé le crâne avec cette prétendue supériorité masculine, il ne faut pas trop leur en vouloir, non plus. Pourtant, tout à changé en l'espace de quelques mois. L'Humain n'est plus le roi du monde terrestre, mais une proie parmi les autres. Nous n'avons plus ni roi, ni armée. Notre territoire autrefois infini se restreint à présent à un petit lopin de terre peuplé de charogne ambulante… Le cours des choses a été totalement inversé… Mais c'est encore trop récent pour faire évoluer les mentalités… Ça viendra pourtant… Tu verras… Encore faut-il être capable d'accepter d'évoluer soi-même.

Je me saisis de ma coupe, la portant à mes lèvres pour boire une gorgée de ce breuvage décidément bien trop sucré à mon goût. “Une boisson de femme”, affirmait mon père… Pourtant moi, je ne l'appréciais pas du tout, cela faisait-il de moi autre chose ? Certainement pas. Il ne fallait pas s'arrêter là-dessus, ce serait bien trop stupide de juger les gens sur leur sexe plutôt que sur leurs qualités en tant qu’individus.

-L'abus d'alcool rend minable, Je doute que tu en viennes à rouler sous la table après avoir bu une seule coupe de ce vin-là.

Sucré et peu alcoolisé, en réalité même un enfant pourrait en boire et tenir encore debout. Ce vin était doux, peu épicé… Faible en saveur aussi. Le goût du miel nous faisait totalement oublier celui plus âpre de la vigne… M'enfin, ça se laissait boire, malgré tout.

Vint au tour de la milicienne de se montrer curieuse. Visiblement, ma propre tenue attira son attention…

-Une habitude. Je suis bien plus à l'aise ainsi qu'en robe...

Une bien vieille habitude en réalité, puisque l'on m’a soigneusement retiré tout signe extérieur de féminité avant même l’apparition de mes premiers saignements. Tout cela pour des raisons “pratiques”, puisque porter une arme et apprendre à s'en servir était interdit aux femmes…

-On m’a élevé comme un garçon, il me serait bien difficile de me comporter différemment…

Si je retrouvais peu à peu ma nature, certaines choses semblaient vouloir persister, le choix de mes vêtements, comme l'habitude de me bander la poitrine, par exemple. Je portais les cheveux longs depuis bien avant l'apparition de la fange, Rodrick l’avait accepté simplement parce que je n'apparaissais jamais en public… Sauf, évidemment, lors de nos missions, lorsque je portais ce heaume de merde servant plus de cachette que de protection… Hormis sur un champ de bataille, bien entendu.

-Avoue tout de même que c'est bien plus confortable...Surtout, en hiver,lançais-je en souriant.

Eloigne la pluie

Madelyne LaFemelle feat Aeryn Monclar

Mon hôtesse a commencé à sourire lorsque je lui ai dit qu’être une femme, c’est vraiment la merde. Pourtant, elle met un point d’honneur à nuancer le propos en disant que ce n’est pas le fait d’être une femme qui l’est mais de se comporter de la façon attendue. Bien loin de moi l’envie de rentrer dans une quelconque polémique, alors je hausse les épaules.

Moi, je pense que la vie paraît bien plus facile lorsque l’on ne s’amuse pas à aller rejoindre un milieu exclusivement fait d’hommes pour essayer de se montrer leur égal. Ca, c’est merdique. Les coups de fouet que j’ai reçu pour m’être défendue dans les dortoirs, c’était pas vraiment ce qu'on souhaitait que je fasse si je ne m’abuse, et pourtant, ça a été quelque chose de bien merdique.
Chacun son avis après tout, même si nos deux points de vue doivent se rejoindre d’une certaine façon.

Etre une femme, c’est bénéficier de la méprisance des mères et des pères qui attendaient un fils, dés notre naissance. Celle des hommes ensuite, et ce, quoi que l’on fasse ou presque. C’est comme ça.
La jeune fille pense que les choses vont changer, que ça a déjà commencé. Moi, je n’en sais rien, je ne me suis jamais posée sur la question et bien loin de moi l’envie de le faire à présent.

Elle m’explique ensuite concernant ses vêtements que c’est une habitude et qu’elle est plus à l’aise ainsi car elle a été élevée comme un garçon. C’est bien ce que je disais, les parents ne jurent que par les fils. Avoir une fille, c’est un peu comme un déshonneur pour toute la famille.

« Oui, c’est plus confortable il est vrai, réponds-je à sa question comme elle me sourit. Mais est-ce que ça vaut le coup d’endurer le regard des autres ? S’il y a quelque chose de pire que d’être une femme, c’est bien d’être une femme qui cherche à prendre la place d’un homme où personne n’estime qu’elle ne devrait être et pour le vivre au quotidien, je peux bien te l’affirmer. Peut-être ne t’en es-tu jamais rendue compte si tu n’as jamais pu être pleinement ce que les autres attendent pourtant que tu sois. »

Et puis je me permets de lui demander :

« Tes parents, ils n’ont pas voulu de fille ? J’imagine que ça a dû être difficile de mener une telle vie et de devoir supporter leur regard s’ils ne t’ont jamais accepté pour ce que tu es... »

Je soupire. J’espère ne pas la vexer ce n’est vraiment pas le but, mais tant que je peux lui poser des questions et parler d’elle, ça me fera toujours oublier ma misérable existence que je n’arrive plus à supporter.

De mémoire, personne n'a jamais imposé aux femmes de prendre les armes. Personne dans la milice en tout cas, car si mon père a un jour eu l'idée brillante de placer une épée entre les mains de sa fille déguisée en garçon, nul doute que d'autre avait fait pareil avant lui… Voir même après. Seulement, il me paraît évident que ce genre d'éducation laisse ses traces sur ces gamines-là, dans notre caractère déjà. Nous sommes beaucoup moins dociles que ces jeunes filles élevées simplement pour engendrer la descendance de leurs époux. Nous n'y pensons même pas en réalité puisque nous ne sommes même plus des femmes… En théorie et seulement dans l'esprit, évidemment.

Voilà pourquoi je savais que cette femme, assise juste en face de moi, avait fait elle-même fait le choix de revêtir l'uniforme afin d'intégrer un monde qui, jusque-là, n'était réservé qu'aux hommes.

Inutile de lui demander ce qu’elle avait bien pu vivre parmis eux, cela se lisait aisément sur les traits de son visage enfantin. Ce flegme, fort peu naturel, valait mille mots tout aussi explicites… Elle avait morflé, et pas qu'un peu. L'on ne fait pas de cadeaux aux femmes et encore moins lorsque celles-ci prétendent pouvoir faire aussi bien que les hommes. Je le sais, j'ai plus ou moins vécu la même chose, même si la raison était toute autre dans mon cas et n'avait pour but que de m'endurcir...tout en permettant à mes frères de se défouler.

L'on peut aisément dire que cela avait fonctionné à merveille, au point même de faire de moi une femme qui n'en est pas une… Mais qui n'est pas un homme non plus. Je me suis longtemps interrogée là-dessus, les occasions ne manquaient pas, lorsqu’ils me gardaient enfermée pour que la supercherie de Rodrick ne soit pas découverte. Alors, forcément, lorsque l'on se retrouve seule avec soi-même, sans aucune possibilité de sortir, il ne nous reste pas grand-chose à faire d’autre que de réfléchir. Me voilà donc assaillie par une flopée de pourquoi, qui jamais ne trouvaient de réponses. Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je née dans cette famille ? Pourquoi ne suis-je pas un garçon ? Pourquoi est-ce si mal de ne pas en être un ? Pourquoi les filles ne pourraient pas faire la même choses qu'eux ? Et bla bla bla bla…

Quelle importance, finalement ? Je ne suis finalement que ce que les Trois ont voulu que je sois… Ni plus, ni moins.

La demoiselle me répondit alors et ce qu'elle me dit me laissa totalement perplexe.

- Ce n'est pas si simple… et je t'avouerai que je ne l'ai compris que récemment… Après la disparition de mon père, en réalité, déclarais-je avant de boire une nouvelle lampée de ce vin décidément bien trop doux. Quel enfant se préoccupe vraiment du regard des autres ? Aucun… Je n'ai fait que suivre ce que me disait mon père, parce que moi celle que j'étais à l'époque, il équivalait à un dieu… Aujourd'hui, je me rend bien compte que les choses sont différentes, mais je ne me préoccupe pas du regard des autres… Cela ne dérangeait finalement que mon mère… Je suis ce que je suis… Alors que les gens l'acceptent ou non, au fond, ce n'est pas mon problème.

“Je n'ai rien à prouver à personne.” Mouais… C'est ce que je m'évertuais à penser, même si ce n'était pas tout à fait vrai… Voir même totalement faux et je m'en rendais compte à présent.

-Je ne sais pas si c'est une chose qui ne concerne que les femmes et encore, je dirai que c'est juste plus compliqué pour nous. Mais en tout cas, nous devons tous faire nos preuves dans cette vie. Que ce soit pour avoir le droit de porter une épée sans provoquer les railleries, ou pour vendre des fruits sur le marché. Notre valeur n'est pas forcément visible à première vu, alors il nous faut nous battre...

Pouvait-on seulement croire que tout cela allait nous tomber tout droit dans le bec ? Certainement pas. Si je devais prendre sur moi chaque jour passé au quartier général des lames pour ne pas arracher les mauvaises langues de mes “collègues” mercenaires, me jugeant trop petite, trop faible. Ou si je devais travailler plus dur que les autres pour prouver ma valeur, il en allait de même pour chaque nouvelle recrue. La seule différence, c'est qu'en étant une femme, je ne pouvais me permettre de les laisser me voir seulement en tant que tel, sans quoi ils auraient tôt fait de mettre toutes mes faiblesses sur le compte de mon sexe et non de mon inexpérience… Mais cela se retrouve également chez les hommes. Si l'un d’eux est trop jeune, trop petit, trop gros, pas assez poilu etc, il subira exactement les mêmes brimades que moi. Du moins, jusqu'à ce qu'il leur prouve que cette différence ne fait pas de lui un être faible… Et cela, je ne l’avais certainement pas compris toute seule.

-Les femmes s'engageant dans la milice ne prennent pas la place des hommes… Pour cela, faudrait-il qu'il en manque…De place…

Ah ça… Si les places vacantes ne manquaient pas, les volontaires quant à eux se faisaient de plus en plus rare. Et pour cause… Se rendre à l'extérieur signifiait devenir une cible pour les goules ou ces tarés de bannis… À l'intérieur, ils jouaient souvent le rôle de pseudo-justicier véreux, à peine bon à voler le pain des orphelins. On les traitait d'ailleurs souvent de lâches, pour avoir choisi la protection des murs… Ou alors de crétins pour préférer l'extérieur. Les mercenaires ne les appréciaient généralement pas, moi la première.

Encore des questions étranges… Décidément, elle en avait beaucoup.

-Je suppose qu'après avoir eu six garçons, ma mère pouvait espérer avoir au moins une fille. Mais je ne peux rien affirmer, puisque je ne l'ai jamais connue. Je suppose également que pour un homme seul, il devait être plus simple d'élever tous ses enfants de la même façon. Mon père aurait pu se remarier, trouver une femme pour élever toute sa marmaille, mais il aimait bien trop ma mère pour ça… Je pense qu’il a fait ce qu'il a pu… Il voulait nous protéger, mes frères et moi, même si la manière qu'il employait pourrait être qualifiée de discutable.

Honnêtement, je ne saurai dire ce que mon père avait voulu faire ou non. Je n'étais pas dans ses chausses après tout. Le fait est que je suis en vie, même si je ne dois ma vie qu'à ma rébellion contre lui…

-Ce que je suis ? Je suis Aeryn Monclar, fille de Rodrick le géant. Je suis la sœur de six grands gaillards. Je suis mercenaire pour la compagnie des lames, mais je suis aussi serveuse ici, de temps en temps. Je ne suis pas seulement une femme et toi non plus. Il y aura toujours bien assez de gens autour de toi pour te briser ou au moins pour essayer, alors pourquoi vouloir leur mâcher le travail ?

Eloigne la pluie

Madelyne LaFemelle feat Aeryn Monclar

La jeune rousse m’explique n’avoir cure du regard des autres, mais elle n’a pas l’air bien convaincante. Elle pense que nous devons tous faire nos preuves même si nous plus que les hommes et effectivement, c’est une simple question de bon sens.

Elle me répond que pour prendre la place d’un homme, il faudrait déjà manquer de place et que celle que je prenne empêche un homme de faire partie de la milice. Effectivement, ça ne risque pas d’être le cas vu le sous effectif dans nos rangs.

« Certes, il y a bien de la place à la milice et c’est bien pour cela que l’on accepte les femmes actuellement. Jamais on ne remplacerai un homme par une femme... Mais ce que je voulais dire, c’est que de chercher à imiter un homme ne plaît pas. Je ne sais pas, ils doivent trouver ça ridicule et se sentir piqués dans leur virilité... »

Je hausse les épaules et attrape mon godet pour tenter de boire machinalement les quelques gouttes restées au fond.

« Les parents font généralement de leur mieux pour leur enfants, ou du moins, ce qui leur paraît être le mieux », lui réponds-je lorsqu’elle me parle de son père et de son enfance.

Elle se présente ensuite, expliquant s’appeler Aeryn Monclar, être fille de machin, sœur de bidules, mercenaire pour la compagnie de trucs… hein ? Eh ben, en voilà de beaux titres. Elle enchaîne ensuite en expliquant qu’il y aura toujours quelqu’un pour nous briser, et demande pourquoi leur mâcher le travail.

Je hausse les épaules. Peu m’en chaut puisque seule Rikni peut réellement décider de ma souffrance et des épreuves que je dois endurer et si je dois être brisée, c’est que ça aura été sa volonté.

« Belle vie que voilà », dis-je sottement.

Je suis sûre que je peux mieux faire, voyons...

« Moi, je suis Madelyne LaFemelle ! Orpheline des Faubourgs, catin oubliée du chevalier, fiancée martyrisée du monstrueux milicien, milicienne flagellée, péronnelle à plein temps et courtisée très prisée des nobliaux ! »

Je pars dans un fou rire que je ne suis pas capable de contrôler. Putain...

« Mais... tu peux m’appeler Mady. Mady la milicienne, aussi, c’est très bien. On m’a appelé comme ça, une fois... »

J’essaie de calmer mon rire avant de poser mon front sur la table et de l'enfouir dans mes bras.

« Je veux bien encore un peu de vin... »

Je la laissais parler, gardant volontairement le silence afin de l’écouter avec toute mon attention. J’en profitais également pour vider le contenu de ma coupe, contenu qui ne manqua pas de me ressortir par les narines lorsque je l’entendis se présenter en énonçant tous ses titres ridicules dont elle s’était probablement elle-même affublée.

- LaFemelle ? m’offusquais-je en m’étouffant bien lamentablement. Mais qu’est-ce que c’est que ce nom ridicule?! Tu ne vas pas me faire croire que tu es née avec ...

Houla, certainement pas. Des patronymes aussi absurdes et humiliants, nous en connaissons tous, certains trouvent leurs origines dans de vieilles expressions quand nombre de petites gens s’en retrouvent privées. Elle venait des Faubourgs, là où la fange existait depuis bien avant que son nom prenne un tout autre sens. Une gueuse, donc, pour certains… Une anonyme sans intérêt, pour d’autres. Ce nom-là n’avait pu être donné que par une assemblée d’abrutis dépourvus d’attributs virils… Les crétins… Et elle… Quelle abrutie… Depuis quand devons-nous nous satisfaire et accepter ce que les sous-merdes de ce monde nous imposent ? Au bout d’un moment, il allait bien falloir qu’elle se réveille la gamine, sans quoi, elle ne tarderait pas à se faire écraser par des gens qui n’en valent certainement pas la peine.

- Tu n’as donc aucune fierté, Mady ? Aucun courage, aucun amour-propre ? Aucun instinct de survie ?

LaFemelle… Plutôt crever que d’accepter un sobriquet pareil. Et encore, je ne manquerais certainement pas d'entraîner le ou les responsables dans la mort avec moi… Je prendrais même grand soin de les faire souffrir avant. Non mais quelle connerie, putain… Elle voulait du vin, je lui en resservis, mais plutôt que ce truc immonde gorgé de sucre, je lui apportais un pichet de vin bien aigre qui aurait au moins le mérite de la réveiller un peu.

- Dis-moi, Mady, débutais-je en remplissant sa coupe de liquide rouge sang. C’est bien beau tout ça, mais toi, qui voudrais-tu être ?

Mis à part une sorte de loque humaine totalement amorphe, cela va de soi. Ce monde ne tolérait pas les faibles, du moins c’est ainsi que l’on m’avait élevé. On ne pouvait se laisser écraser, pas une seule fois, sans quoi, d’autres ne manqueraient pas de nous écraser comme de vulgaires brindilles. Alors je me demandais ce que pouvait bien faire cette femme-là dans la milice, vraiment ?

- Ne serais-tu pas en train d’attendre bêtement que quelqu’un de plus fort et courageux ne te sauve de la merde dans laquelle tu sembles baigner ?

Oui, bon, d’accord. Je n’étais pas particulièrement douce avec elle. Mais en même temps, je doutais fort qu’elle ait besoin d’une épaule à souiller à coup de larmes invisibles et de morve. Cela ne ferait que la conforter dans son état de faible femelle à peine bonne à servir de paillasson. En revanche, un coup de pied au derrière ne devrait pas lui faire de mal.

- Allez, termine moi ce verre et viens avec moi.

Je l’entraînais à l’extérieur, dans la cours de l’auberge dont personne ne se servait jamais… Mis à part moi. Il ne pleuvait plus, tant mieux, mais le sol était recouvert de boue le rendant glissant et instable. Ce n’était pas l’idéal, mais ça ferait l’affaire, faute de mieux. J’allais récupérer deux manches à balai, avant d’en lancer un à la blondinette.

- Allez viens, attaque-moi. Te défouler te sera bien plus bénéfique que de pleurer sur ton sort. Et qui sait, tu en tireras peut-être même une leçon.

Je fis tourner le bâton entre mes mains avant de me mettre en position défensive. D'un geste de main, je l'invitais à attaquer.

Eloigne la pluie

Madelyne LaFemelle feat Aeryn Monclar

J’entends ladite Aeryn s’ettouffer et je relève la tête pour comprendre ce qui lui arrive. Elle s’insurge sur mon nom.

« Bah… j’ai pas choisi, je l’informe en haussant les épaules. Ils ont rien trouvé de mieux à la milice pour me différencier j'imagine… Je n’avais pas de nom avant, non. Mais je te rassure, je ne l’aime pas non plus. »

Pas de quoi non plus se mettre la rate au court bouillon. La voilà qui me demande si je n’ai aucune fierté, aucun courage, aucun amour propre, aucun… instinct de survie ? J’ai du mal à la suivre. Elle doit exagérer et je repose ma tête sur mes bras sur la table pensivement. Tout m'est égal. Elle part chercher du vin et me ressert. Ah… c’est âpre !

« Je préférais l’autre... »

Quand elle me demande qui je voudrais être, j’ai du mal à saisir sa question.

« Ben… ? Ce que je voudrais être, c’est la fiancée de quelqu’un d’autre », je rétorque distraitement, accoudée sur la table à présent.

Quand elle me demande désagréablement si je n’attends pas que quelqu’un me sorte de ma merde, je commence à être un peu agacée par toutes ses questions.

« Yen a bien qui ont essayé de m’aider je crois bien, mais c’est à moi de me démerder toute seule, j’en ai bien conscience ne t’en fais pas. »

Elle me demande de finir mon vin et je m’exécute, buvant à nouveau le tout d’un trait. Après une grimace je me lève pour la suivre comme elle m’entraîne dans une cour boueuse. La pluie a cessé et elle attrape deux manches à balai semble-t-il dont elle m’en lance un en me demandant de l’attaquer. Je l’attrape de justesse. Je n’ai pas tellement envie de combattre, là… j’ai plutôt envie d’aller me coucher et tout oublier. Et puis je ne voudrais pas la blesser, c’est vraiment la dernière chose que je voudrais faire, même.

Mais puisqu’elle insiste...

J’envoie mollement un coup de bâton sans grande conviction vers le sien.

Aucune force. Aucune volonté. Le coup était aussi faible que la main qui le guidait. Je laissais donc mon bâton glisser le long du sien avant de passer en dessous. Je n'ai même pas à ajouter beaucoup de force pour l'envoyer valdinguer contre le mur… Pitoyable.

-Ramasse.

La voix froide, le ton sec, je ne lui offrir qu'un regard dédaigneux, méprisant, comme celui que m'offrait mon père lors de nos entraînements. “Allez, Mady, tu peux faire mieux que ça …” La petite mollassonne obtempéra bien sagement, alors que rien ne l'empêchait de m'envoyer balader. Elle choisit néanmoins de traîner sa carcasse pathétique jusqu’à l’autre bout de la courette pour aller ramasser ce foutu manche à balai.

-Frappe pour de bon cette fois. Ne te fie pas à mon visage, je ne suis pas une faible et délicate demoiselle…

“D'autres ont eu le malheur de commettre cette erreur et tous l'ont payé d'une manière ou d'une autre…” Je l’observais se mettre en place dans une posture somme toute militaire, mais qui à mes yeux ne valait pas grand-chose… La volonté n'y était toujours pas, son regard éteint en fut la preuve… Bordel, il fallait qu’elle se réveille.

-Tu n'arriveras jamais à rien en te montrant aussi passive, grognais-je en faisant tourner mon bâton avant d'adopter une position défensive. Tu n'as qu'à imaginer que je suis l'un de ces mâles dégénéré qui t'as humilié en t’attribuant ce nom ridicule… Allez, LaFemelle, attaque-moi.

Cette fois, lorsqu'elle frappa, la petite fille sembla y mettre un peu plus de conviction… Mais pas assez… Je parai le coup sans aucune difficulté, néanmoins, elle commençait à sérieusement m'agacer avec son regard de rat crevé. Aussi ajoutai-je une impulsion dans la parade afin de la déséquilibrer et de la faire chuter les fesses dans la boue.

-Pas étonnant qu’on te marche dessus, tu es même trop faible pour survivre ici, grondais-je nerveusement avant de hurler.Réveille-toi, bordel ! Tu tiens tant que ça à leur donner raison ? Lève-toi et frappe !

“Allez Mady, bouges-toi un peu, agis ! Fais quelque chose, mais ne reste pas le cul dans la fange.”

La milicienne, un peu pantoise, se releva, sans mot dire. Mes paroles et mes coups commençaient visiblement à porter leurs fruits, cela se voyait dans son regard, sur son visage. Enfin. Je voulais la voir en colère. Je voulais éveiller sa hargne…

Elle attaqua, avec nettement plus de force et de réflexion. Une fois directement sur le bâton qui résonna entre mes mains sous l'impact, elle pivota ensuite pour viser mon bras… “Pas mal…” Néanmoins, la blondinette était encore bien trop lente, une preuve qu'elle essayait encore de se contenir. Je n'eu donc aucune difficulté à parer le coup avant de riposter. Dans une vive pirouette, le manche cogna le bois si faiblement retenu par le dessous et vola une fois encore.

-Ramasse, répétais-je froidement.

Elle serrait les dents à présent, me lançant un regard noir qui m'arracha un sourire satisfait. Une fois encore elle s'en alla ramasser le bâton avant de me rejoindre.

-Peut-on enfin passer aux choses sérieuses ? la provoquais-je en la toisant froidement .

Eloigne la pluie

Madelyne LaFemelle feat Aeryn Monclar

Il va de soit que si je ne mets pas de bonne volonté dans mon coup, ce n’est pas le cas de la rousse en face de moi qui s’en agace et qui me désarme en un temps un mouvement. Le bâton projeté contre un mur, elle ne trouve rien de mieux à faire que de me dire de le ramasser, des fois que je sois vraiment trop sotte pour ne pas le faire. Je ne dis rien et me contente de récupérer le manche nonchallament et de revenir vers elle.

J’envoie à nouveau un coup avec un peu plus de vigueur cette fois, mais pour toute réponse, la fille ayant improvisé cette séance me repousse pour me faire glisser dans la boue. Je commence à en avoir marre mais je me relève et cette fois après avoir tapé dans son bâton j’enchaîne avec un coup mesuré à l’opposé sans lui laisser le temps de me désarmer ou de me repousser. Mais c’est sans grande surprise qu’elle pare mon coup peu motivé et le bâton fini encore une fois à terre.

« Ramasse » qu’elle répète à nouveau.

Je me mords l’interieur de la lèvre et la voilà souriante alors j’ai juste envie de lui faire perdre ce sourire provocateur et je m’élance pour dans le but d’enchaîner les coups.

Elle veut passer aux choses sérieuses dit-elle ?

Je commence par donner un grand coup dans son bâton qu’elle tient vers le bas afin de lui le faire lâcher comme elle vient de me faire lâcher le mien déjà deux fois, mais je glisse encore dans la boue alors et mon premier coup n’a pas plus de puissance que les précédent et après avoir repris mon équilibre je frappe un coup d’un côté et un coup de l’autre et j’en ai vite marre de taper dans un putain de manche à balai.

Mon petit jeu aurait-il enfin l'effet escompté ? À l'évidence, oui. Elle attaquait avec bien plus de vigueur, avec la ferme intention de me faire goûter mon propre venin. Tant mieux, c'était bien l’effet recherché. Je la laissais faire, me contentant d'absorber le choc de ses assauts en répartissant mon poids sur mes jambes pour renforcer mes appuis. Elle agissait avec hargne, certes, mais aussi avec beaucoup de maladresse. Elle pouvait faire mieux, beaucoup mieux, si elle se donnait la peine d'analyser la situation… D'observer… Bon sang, comment les entraînaient-ils dans la milice.

J'essayais de la guider, au mieux. Me plaçant de manière à ce que son attaque soit dirigée au bon endroit. La milicienne agissait de manière plus bestiale que militaire, mais je n’étais pas là pour lui apprendre à se battre, je voulais simplement lui permettre de se défouler en évacuant tous les sentiments parasites qui se chargeaient de ronger son âme jusqu'à l'anéantir complètement. Je n’attaquais pas, jamais, me contentant d'esquiver par moment afin de l’énerver. Je la faisais chuter de temps à autre pour lui prouver, qu'avec un tant soit peu de volonté, on peut toujours se relever… Tant que les Trois nous prêtent souffle, du moins. “Rien n'est jamais acquis, rien n'est jamais perdu. Même lorsque notre corps nous fait souffrir au point de nous clouer au sol, la volonté et l'espoir nous relèveront toujours.”

Je ne comptais pas la laisser abandonner, chaque fois que son regard semblait couler vers la sortie, je la ramenais à moi en lui crachant quelques mots volontairement piquant et agressif. Je voulais m'approprier sa rage, qu'elle ne la dirige que vers moi.

L'échange durant un long moment. À force d'absorber les coups sans les renvoyer, mes bras tremblaient violemment, perdant ainsi de leur force… De toutes manières, il était grand temps de mettre fin à tout ceci. Mady était couverte de sueur et de boue et je n'étais guère mieux. Son souffle se faisait plus court, comme le mien, ses coups perdaient de leur vigueur, comme je perdais de mes appuis… Alors je la laissais attaquer une dernière fois, sans chercher à tout contrôler. Elle n'était pas si faible, la blondinette, elle ne manquait pas de réserve… Une qualité rare, disait-on.

Son bâton frappa si violemment le mien qu'il se brisa entre mes mains tandis que je fus poussée vers le sol pour atterrir... le séant dans la boue. Satisfaite et amusée, j'éclatais franchement de rire.

-Bien joué! la félicitais-je totalement hilare. Ça fait du bien non ? Comment tu te sens ?

Je me relevais, pour la rejoindre et lui tendre la main en signe de respect. Elle le méritait bien…

-Je pense qu'on est bonne pour reprendre un bain… Qu'est-ce qu’on est boueuses… Il y a plein de chambres livres ici, si tu ne veux pas retourner à la caserne… Tu es la bienvenue, si tu le souhaites.