Marbrume


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 Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:

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Merrick LorrenCoutilier
Merrick Lorren



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MessageSujet: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyVen 27 Mar 2020 - 18:39
Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: Ouvert11

◈Jusq'à ce que la mort nous sépare◈


La journée avait été aussi longue que morne, aussi froide que pluvieuse. Pour autant, la garde de Merrick Lorren était enfin terminée. Il ne lui restait plus qu'à effectuer le chemin du retour, en dessous de cette pluie diluvienne qui s'abattait sur le dernier bastion de l'humanité. Suivi par les âmes éparses qui constituaient sa coutelerie, ils cheminaient en silence, dans la même direction, recroquevillé sous leur pelisse et autres manteaux dorénavant alourdis par l'averse. La tête basse, l'eau s'infiltrant à la moindre bourrasque du vent, le groupuscule continuait son chemin. La route était boueuse et glissante, tandis que chaque pas pouvait amener à la chute. Le passage trop nombreux des charrettes avait creusé de leurs essieux des sillons devenus trou. Ces mares s'étaient remplies d'eaux stagnantes, devenant des pièges qui partaient à l'assaut des pieds au moindre faux pas des quidams et autres manants en mouvement. Ici et là, les quelques grognements ou injures proférés par les hommes laissaient présumer lorsque l'un ou l'autre glissait malencontreusement et que l'eau s'infiltrait dans ses bottes. Cheminant face au crachin, les précipitations sapaient la moindre velléité de conversation ou de bonne humeur. Oui, leur période de guet à la porte du Crépuscule était enfin terminée. Mais comment s'en réjouir sur l'instant, mouillé des pieds à la tête comme ils l'étaient, harassés par une journée trop longue et une nuit qui s'annonçait probablement trop courte ?

Pour autant, cette ligne droite au milieu de la tempête et du tumulte était la dernière étape. Bientôt, les miliciens se retrouveraient respectivement devant une bonne flambée, et pourquoi pas, avec un quelconque tord-boyaux pour les réchauffer. Du moins, c'est tout ce à quoi ils aspiraient et espéraient. Jusqu'à demain, rien ne serait attendu d'eux, eux qui venait d'accomplir leur devoir, surveillant d'un œil las et fatigué le passage des quelques braves ou idiots se risquant à l'extérieur.. Depuis déjà quelque temps, les heures s'enchaînaient et défilaient sans presque le moindre temps mort pour ces hommes d'armes. Enfaîte, cela était leur nouvelle réalité depuis la perte du Goulot. Bien qu'en sous-effectif depuis les morts du couronnement, les patrouilles et gardes avaient été doublés. Dorénavant et durant quelque temps, ils avaient dû surveiller à la fois les ruelles et venelles de la cité, faisant respecter un couvre-feu martial, et l'extérieur des murailles, luttant contre la fange, mais surtout contre la frayeur de les voir débarquer de nouveau. Mais qu'importe la truculence de ces récents événements. Ce soir, aucun d'eux n'était de garde. Ce soir, ils pourraient redevenir de simples habitants insouciants de cette cité, de simple lascar profitant de quelques instants glanés ici et là de répits dans ce monde décadent et répugnant. Maigre sursis dans cette mer de tourment qui constituait leurs existences...

Au loin, Merrick pouvait déjà voir l'enseigne de la Chope Sucrée, secoué sous les rafales et ballotté au gré du vent. Il n'était plus qu'à quelques enjambées de sa salvation. Soupirant à la fois devant le chemin qu'il lui restait à parcourir sous l'averse et de contentement d'être presque arrivé, Lorren suspendit sa course l'espace d'un infime instant. Suffisamment longtemps pour être éclaboussé par le passage d'une charrette qui défilait en direction de la porte d'où sa coutelerie venait d'être relevée. Baissant les yeux sur les traces de boues qui maculaient désormais ses frustes frusques, l'ivrogne ne dit rien, essuyant du revers de la manche la fange qui était venu marquer son faciès. Il préférait encore être recouvert de cette dernière que de rencontrer sa compagne de nom, nettement plus monstrueuse et mortelle. Ces monstres qui portaient le diminutif des salmigondis des marais, de la pestilence de la terre devenue cloaque. Il cracha pour s'enlever le goût de fange qui lui montait à la gorge...

-"Et meeeeeerde !"

Se retournant sur l'exclamation et le fracas qui s'était fait entendre, Lorren vit la charrette qui l'avait dépassé en vitesse renversée et son conducteur étendu dans la bauge du bouge qui constituait le passage sans pavage dans lequel ils se trouvaient. À l'arrêt comme le reste de sa troupe, l'homme d'armes resta silencieux quelques instants, sentant le regard de ses camarades peser sur lui. Il devait donner l'ordre d'aider cet incapable. Mais en avait-il réellement envie ? Et puis, tous étaient aussi fatigués que lui-même. Ils pourraient continuer leur pérégrination et... le regard plus appuyé d'Eugène, son sous-fifre qui possédait de réelles capacités de meneur d'hommes, mais non le stupide et insipide honneur d'avoir survécu à l'offensive dans le Chaudron, le foudroyait du regard. Telle sa conscience, il le morigénait silencieusement, le forçant quasiment à prendre la bonne décision. Soupirant de nouveau, il finit par acquiescer avec lassitude. "Ça va, ça va. Les gars, aidez-le." Eugène fut le premier à se mouvoir, bientôt suivi du reste de la troupe. Aucun ne parla ou ne rechigna. En avait-il encore seulement la force, alors qu'ils étaient tous sapés par la fatigue et le temps ?

Soulevant la tête, le regard attiré par l'éclat de lumière de la foudre suivit par le craquement caractéristique du tonnerre, Merrick laissa la pluie recouvrir son visage avant de s'approcher à son tour. Non pas pour trimer tel une bête de somme, comme les miliciens qui s'échinaient à redresser le moyen de locomotion, mais plutôt pour calmer le cheval harnaché qui tirait tout l'attirail. Déposant une main sur le museau de la bête, l'autre au niveau de l'encolure, il se mit a murmuré d'une voix calme quelques mots à l'équidé, le regard plongé dans ses yeux intelligents en quête d'une lueur d'apaisement. Lorren n'avait pas prêté la moindre attention au maître de l'attelage, mais du coin de l'œil, il pouvait voir que ce dernier était finalement en train de se relever, tentant maladroitement d'épousseter une boue pugnace et tenace. Au milieu du brouhaha intempestif de la pluie, du tonnerre et des hommes trimant pour rétablir le chariot, il put entendre quelques jurons bien sentis sortir de la bouche de ce stupide quidam. Relevant les yeux, ce dernier finit enfin par parler pour dire quelque chose d'intelligible.

-"Vous avez la main avec cette carne ! En possédez-vous une aussi ?"

-" Ce n'est pas une carne, mais un cheval." Répondit-il en continuant à caresser le quadrupède sans se retourner. Une bête nettement plus intelligente que son propriétaire, eut-il envie de prononcer, mais se retint-il au dernier instant.

-"Un cheval, une carne...qu'importe ! C'est à cause de lui que..."
-"Il n'aime pas l'orage." L'interrompit-il.
Pardon ?"
Soupirant, Lorren pointa un doigt vers le ciel. "L'orage, le tonnerre. Ça semble l'effrayer."

Son vis-à-vis resta interdit devant la tournure de cette conversation incongrue. Ne sachant plus que faire ni ou se positionner, le jeune homme apprécia le voir patauger, aussi métaphoriquement parlant que littéralement, dans son incompréhension et dans le trou d'eau qui devait dorénavant s'infiltrer bien insidieusement dans ses bottes élimées. Finalement, l'inconnu qui l'avait aspergé lors de son passage en vitesse décida de dévier le dialogue vers un terrain plus neutre et probablement plus compréhensible. "Merci pour votre aide à vous et vos gars."

-"Ah !" S'exclama le coutilier en se retournant finalement, tapotant une dernière fois le cheval. La charrette avait retrouvé sa position et sans le moindre signalement ou mot, les miliciens se dispersèrent à nouveau en direction de la caserne. Pour eux, il en était terminé des heures supplémentaires. "Vous auriez dû commencer par ça." Réagit-il comme pour lui apprendre les bonnes manières. Ce qui au vu de la trogne et du comportement dudit personnage, était peine perdue. "D'ailleurs, vous alliez beaucoup trop vite au milieu de la cité." Continua Lorren en se passant une main dans la barbe. Ses derniers propos sous-entendaient un quelconque châtiment. Après tout, il était de son devoir d'en arriver là. Mais en avait-il réellement envie, lui qui n'aspirait qu'à rentrer se réfugier ? Hésitant, et n'ayant plus Eugène sur son dos pour lui faire flancher sous le poids de sa morale de preux milicien et "saint" homme, le laxiste coutilier, plus ivrogne que milicien et plus insipide que stupide, se laissa influencer par le plaidoyer de celui qui voyait une chance de s'en sortir à bon compte.

-"Soyez sympa ! J'ai fait une erreur, mais qui n'en fait pas, non ?" Voyant que ses mots n'amadouaient aucunement son homologue, ledit lascar poursuivit. "Laissez-moi vous remercier d'une manière un peu plus convenable ! Je vous offre un verre à mon prochain passage, tiens ! Il ne me reste qu'une cargaison à aller chercher et ramener. "

-"Un ?"
-"Vous êtes dur en affaire, ma parole !" Réagit-il en riant. Voyant que son hilarité était loin d'être contagieuse, il se racla la gorge et se corrigea. "Deux ?"
-"...".
-"D'accord, d'accord. Je vous en offrais trois ou quatre, voilà !"
-"Va pour quatre."

-Top là !" Éructa l'incongru inconnu en se crachant dans la main et en la tendant vers l'ivrogne. Lorren ne fit aucunement mine de tendre la sienne, regardant plutôt d'un air dégoûté la patte de son vis-à-vis.

-"Vous pourrez me retrouver à la Chope Sucrée, juste là." Finis par répondre Merrick, pointant mécaniquement par-dessus son épaule la propriété d'Estelle de Chantauvent.

-"La Chope Sucrée ? Drôle de nom pour une auberge !" Cracha-t-il en plissant les yeux pour bien voir l'enseigne dudit lieu."C'est plein de gonzesses, c'est ça ?"

-"Bien." Le coupa-t-il. "Je vous y attendrais pour que vous puissiez me payer cinq verres." Termina-t-il en se retournant et continuant -enfin- son chemin.

-"Hey, hey ! On n’avait pas dit quatre ? Hey !"

Évidemment, Merrick Lorren ne prit pas le temps de lui répondre.

◈◈◈

Même à l'intérieur, la pluie ne lui laissait aucun répit, tandis que le claquement des gouttes venait désormais se faire entendre en s'écrasant contre les vitres et la toiture de l'établissement plutôt que sur les casques et les épaules de la soldatesque. Ses vêtements imbibés laissaient dégoutter les résidus de l'averse qu'il avait apportés à l'intérieur. Rabattant son capuchon vers l'arrière, se passant une main dans la chevelure pour tenter de lui redonner un volume dont elle manquait cruellement, Merrick souffla de contentement de se trouver à l'abri. Estelle n'était pas dans son champ de vision et l'auberge semblait complètement vide. Pour autant, un feu brûlait déjà dans l'âtre et même à cette distance, l'homme d'armes pouvait ressentir sa chaleur doucereuse et rassérénante. Probablement que la jeune femme se préparait pour le service du soir. De fait, le couvre-feu avait été levé il y avait de cela quelques jours. Dès lors, il était grand temps que les affaires reprennent, et potentiellement que la couleur de l'argent face son retour dans l'auberge, elle qui s'était faite aussi manquante que sa clientèle au lendemain de l'invasion. Le coutilier ne connaissait pas particulièrement bien la situation financière de sa future femme, mais il pouvait se laisser aller à imaginer quelques difficultés en cette période de "vache maigre" et où il avait fallu rénover l'endroit après que celui-ci fut devenu l'espace d'une journée une position retranchée pour les humains luttant contre la mort.

Chassant ces tracas de son esprit pour l'instant, l'ivrogne accrocha son manteau en sifflotant doucement. Cette aise qui l'étreignait, n'était-ce pas là, le genre de sentiment qui s'emparait de toute personne qui retrouvait son foyer après une dure journée de labeur ? En quelque sorte, oui, bien que la Chope Sucrée reste une sorte d'inconnue pour lui, dernier bastion de souvenir puissant, dernière forteresse d'un amour ayant succombé dans la mort d'un malheureux époux. À chaque fois qu'il mettait les pieds ici, à un autre titre que celui de client, il se sentait un peu comme un voleur spoliant les droits d'un autre. Bien évidemment, les efforts de la dame de Chantauvent pour le faire sentir chez lui avaient porté ses fruits. Pour autant, impossible d'effacer complètement la réminiscence de ce précédent amour tragiquement disparu dans l'exercice de ses fonctions.

Se dirigeant vers le bar, le jeune homme prit enfin la parole pour s'annoncer. "Je suis rentré !" D'où il était, Merrick n'entendait aucun bruit en cuisine. Était-elle à l'étage ? Passant derrière le comptoir, il se permit de se servir une chope de bière. Alors que son regard croisa immanquablement Brigitte, Lorren déposa quelques pièces de ses poches sur la surface polie et lustrée du bar, saluant la "gardienne des lieux" d'un bref hochement de tête et en soulevant son contenant et son contenu en signe de respect à "l'arme" en question. Qu'importe les raisons, le jeune homme ne se permettait pas de spolier le gagne-pain d'Estelle en tombant dans ses réserves d'alcool. Client comme un autre, il désirait et payer -la plupart du temps- ses consommations. Peut-être était-ce puéril, mais l'ivrogne ne voulait aucunement laisser présager le moindre instant, à la principale concernée ou à leur entourage, qu'il la côtoyait simplement pour avoir accès à ses spiritueux et autres tord-boyaux. D'où sa diligence à s'acquitter de toute dette et laisser son ardoise aussi vide que sa maigre escarcelle.

Sur le point de se diriger vers l'étage pour se changer, mais aussi pour partir en quête de la femme qui régnait en ces lieux, Lorren se retourna lorsque la porte s'ouvrit. Était-elle partie faire une quelconque course ? Sous ce temps ? "Bon retour, Princ...".

-"Merde, merde, merde, merde !" Telle une tornade, amenant à sa suite intempéries et bourrasques à l'intérieur, l'inconnu endetté envers Merrick fit irruption dans l'établissement. Son intrusion faisait se tordre de douleurs les flammes de l'âtre, qui précédemment dansaient et léchaient allègrement les bûches devenues combustibles pour leurs appétits dévorants. Désormais battues en brèche par ce fort vent, elles étaient quasiment réduites à de simples tisons. La sensation de bien-être du coutilier s'envola avec l'apparition de cet oiseau de malheur. Dehors, l'orage gagna en ardeur, se faisant entendre à chaque fois que le tonnerre tonnait tel un coup de fouet sur le dos d'un condamné.

-"Fermez la porte, bon sang !" Cria Merrick pour se faire entendre, avançant à grande enjambée pour s'en occuper lui-même. Une fois sa tâche accomplie, le jeune homme se retourna pour se voir être agrippé par l'homme qui n'avait pas encore déclamé son identité.

-"La Chope Sucrée, la Chope Sucrée !"


Repoussant vivement le lascar, Lorren secoua la tête en proie à une colère qui allait crescendo. "Par la Trinité, oui, vous y êtes. Plus rapidement que prévu d'ailleurs. Maintenant, payez-moi votre dette et foutez le camp !"

-"Non, non, non... vous ne comprenez pas, vous n'y étiez pas..." Continua-t-il en s'emparant de son odieux chapeau de paille, le triturant et le malmenant au point de le déchirer, alors qu'une goutte d'eau cristalline perlait de son nez crochu.

-"Qu'est-ce que vous me dites ? Êtes-vous devenu fou ?" Le milicien ne comprenait rien à rien. Oui, l'énergumène lui avait semblé être un personnage guère reluisant dès son apparition sur son chariot. Mais dans la ruelle, il n'avait aucunement eu l'air d'un idiot. Lui qui braillait plus tôt des insanités en était maintenant rendu à répéter des inepties. Secouant la tête, le regard de l'ivrogne fut attiré par l'écoulement de l'eau qui se rependait aux pieds de celui qui semblait s'être transformé en aliéné. Décidément, l'homme en question était très mouillé, alors que l'eau était de couleur carmine...

-"Merde..." C'était à son tour de proférer ce simple mot qui voulait à la fois tout et ne rien dire. Au moment où cela fut dit, comme s'il attendait se signal pour s'affaler, le blessé chuta au sol. "Estelle ! ESTELLE !" Cria en panique Merrick Lorren pour que la jeune femme lui vienne en aide. Avait-elle des connaissances pour effectuer un soin ? Lui n'en avait pas le moins du monde. D'ailleurs, il ne savait même pas où ce foutu salop était meurtri ! Était-ce grave ou pire; mortel ?

Se laissant glisser au sol, relevant le haut du corps du moribond le coutilier se mit à déblatérer, tentant de découvrir la blessure sous la couche de tissu sale. La panique et sa précipitation rendaient la tentative bien vaine... " Vous ne pouvez pas crevez, là, maintenant ! Debout, vieillard ! Vous me devez encore cinq bières, vous m'entendez ? Ce n’est pas le moment d'aller voir les Trois ! En plus, ils ne voudront sûrement pas de vous, alors autant rester avec nous, hein ? Allez, du nerf...!" Sa tirade fut coupée par la main de son homologue se refermant sur son poignet, et par ce regard fiévreux qui rencontra le sien. Ses pupilles étaient-elles vrillées de douleur ou de peur ?

-"Il est sorti de l'eau stagnante du marais tel un spectre aquatique, pieds nus et arborant une pléthore de cicatrice tels des trophées de ses macabres guerres. Oh oui, certaines proviennent probablement de déboires depuis que son périple de non-morts à commencé... mais ce n'est pas tout, non... D'autres balafres semblent être des souvenirs de son vivant, de ses derniers instants. Il...il était incapable de proférer le moindre murmure ou borborygmes, condamné au silence par sa langue devenue aussi flétrie que sa chair. Mais ses yeux... ses yeux promettaient l'enfer, alors qu'il s'extirpait de la tourbe de son tombeau. Un... un pan de sa cage thoracique était en partie visible, bien que ses os soient recouverts de limon. Il...il devait être tapi dans ces marais depuis une longue période, oui...attendant les imprudents qui se risqueraient sur le chemin pour les entraîner dans les bas-fonds des marais, dans les abysses du marécage, dans les abîmes de la mort..."

Estelle était arrivée. Avait-elle entendue l'ensemble de l'histoire, ou une partie seulement ? difficile à dire, tellement Merrick Lorren avait été aspiré par les mots de l'individu qui avait rencontré la fange. C'était un miracle qu'il ait réussi à revenir jusqu’ici. Par les Trois, pourquoi ne s'était-il pas arrêté à la porte de Mabrume, quémandant de l'aide en amont avant d'arriver ici ? Laissant glisser ses doigts jusque dans la poigne du blessé, sans réellement connaître la gravité de son état, le coutilier se voulut rassurant. "Ne vous inquiétez pas, nous allons vous aider..." puis glissant un regard à la rouquine ne sachant que faire et dépassée par les événements; "...non ?"

-"M'aidez ?" le blessé se mit à rire rauquement. Son esprit divaguait-il à cause de la perte de sang ou de la peur ? "Oh non, vous ne m'aiderez pas. C'est moi qui l'aide lui...La Chope Sucrée, vous comprenez ?"

Ouvrant sa main libre, il laissa apparaître un morceau de tissu effiloché et déchiré en de multiples endroits. Ternis par le temps, maculé de sang, les couleurs de la Chope Sucrée et l'emblème trônant au milieu était pourtant parfaitement reconnaissable.

Glissant de la paume moite de son porteur, le textile tomba entre Estelle de Chantauvent et Merrick Lorren, linceul d'un passé qui revenait faire surface de bien macabre manière...
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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: Empty
MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptySam 28 Mar 2020 - 21:17


Il pleut. C’est une horreur, la pluie n’a pas cessé et Estelle c’est affairé toute la journée. Les convois ont du mal à parvenir jusqu’à Marbrume, cela l’inquiète, mais elle n’en laisse rien paraître. Aujourd’hui était une journée presque commune Merrick à quitter la demeure aux premières lueurs du jour, elle s’est rendue au port pour acheter des poissons, faire une soupe lui semblait être une bonne option, que ce soit pour le soir, ou le service du midi. La doute, la peur, si il est difficile de dire qu’elles ne font plus partie de ses pensées, elle peut en revanche affirmer qu’elle n’y songe plus aussi souvent, elle est heureuse, elle se reconstruit et c’est tout ce qui semble compter pour la rouquine qui abandonne petit à petit le passé pour se concentrer uniquement sur l’instant présent, le moment présent. Dans une tenue brune habituelle, de nombreux jupons, une chemise doublée et renforcée, sa crinière rousse surélevée elle a pu faire ses achats, échangeant un repas tout fait, contre les poissons, l’argent ne coule plus à flots, elle troc désormais elle aussi. La tenancière n’en parle pas à Merrick ne souhaite pas qu’il s’inquiète, mais depuis que son frère lui a intelligemment coupé les vivres, elle n’a plus grand-chose. Néanmoins, de nature plutôt enjouée et positive, la jeune femme ne s’en alarme pas outre mesure, elle va se marier. Estelle rêve d’une magnifique robe, avec des dessous que Merrick prendre goût à retirer, elle rêve d’une cérémonie au temple, avec de nombreux clients présents, d’une fête jusqu’au petit matin avant de s’abandonner dans les bras de celui qui était désormais son fiancé et qui devrait son mari.

C’est le cœur gorgé d’espoir qu’elle s’est rendu à la taverne, déposer un repos pour son fiancé, on reconnaît maintenant la chevelure de feu, qui fait ça chaque jour que les Trois offrent. Elle amène toujours un peu plus, pour celui qui n’a pas la chance de pouvoir manger à sa faim, elle invite toujours les miliciens à venir boire un verre et s’autorisa toujours quelques plaisanteries avec eux, les remerciant sincèrement pour tout ce qu’ils font pour la ville, elle pense que la population l’oubli trop souvent, mais qui pourrait reprocher à son voisin de penser plus à sa propre satisfaction, qu’à ce que réalise les hommes et femmes d’armes pour permettre au plus grand nombre de poursuivre. Comme souvent, après cette petite habitude, elle quitte la caserne, va prier au temple avant de rentrer. Elle va puiser de l’eau au puits, fais ainsi plusieurs aller et retour pour astiquer l’ensemble de l’établissement, il doit briller, il doit sentir bon, elle chantonne, place des bûches dans l’astre tout en grimaçant sur la diminution de sa réserver. Trouver des bûcherons c’est comme prétendre avoir vu un des membres de la Trinité, presque impossible. Alors la rousse essuie ses mains sur son tablier, lâche un soupir, ça aussi, c’est quelque chose qui l’inquiète. Manquer de bois, c’est ne plus pouvoir ni chauffer ni cuisiner. Un coup d’œil derrière son comptoir lui rappelle qu’elle n’a pas reçu la livraison de ses alcools, dont la quantité diminue aussi. Nouveau soupir, pincement de lèvre. S’il faut, elle ira chercher la commande elle-même et couper du bois toute seule dans les faubourgs.

D’ailleurs, c’est ce qu’elle fait, la jeune femme remonte sa chevelure en une queue de cheval haute, place un morceau de tissu sur l’ensemble pour la protéger de l’ensemble enfile des bottes, s’emmitoufle dans un manteau imposant, puis quitte la demeure. La dame de Chantauvent traverse simplement la ville, sous une marche rapide : sortir sous la pluie c’est suicidaire et c’est finalement les miliciens aux portes de la ville qui l’arrête.


- « On ne sort pas » qu’ils affirment en la dévisageant, fragile, sans arme
- « Je veux juste quelques brindilles… S’il vous plaît ! » tente-t-elle d’insister
- « On ne sort pas »
- « Et comment voulez-vous que je cuisine si je n’ai pas un peu de bois à mettre dans l’astre de ma cheminée ?! Mh ? » elle a glissé une main sur ses hanches, offert ses yeux les plus dociles dont elle est capable
- « Juste là alors… On veut voir, compris ? »

La dame opine vivement, avise l’arbre que les deux gardes lui ont montré du doigt, sauf que couper un arbre… C’est beaucoup plus complexe que retirer une marmite du feu et si elle n’a pas réussi à faire céder le tronc, elle aura au moins offert un énorme fou rire aux deux surveillants de la porte, qui l’ont vu malmener ses mains avec une hache qu’elle ne tient pas bien. Pour sur, elle se souviendra des moqueries, après plusieurs heures sans franc succès, le corps complètement trempé, elle sera rentrée, dépitée, des ampoules sur les paumes de ses mains. Les deux miliciens l’ont regardé partir, se promettant bien évidemment de raconter à son cher futur mari à quel point sa tenancière était têtue et lui indiquant sans aucun doute qu’il serait grand temps qu’il s’occupe de sa femme comme un homme doit le faire. Couper du bois pour commencer serait une bonne option.

A l’intérieur de la chope sucrée, Estelle a fini par se changer, les clients n’étaient guères nombreux durant la journée. Alors avant que le nouveau service s’engage elle s’est autorisé un bain à l’étage, après avoir suffisamment transpiré pour remplir l’énorme bassine, pour avoir fait chauffer les pierres sous le contenant. Elle y était restée un long moment, pensive, avec cet empressement étrange au fond du ventre, Merrick allait rentrer et cette simple pensée la rendait joyeuse. L’homme semblait se porter mieux, mais conservait-elle toujours une part d’inquiétude. Les cauchemars semblaient encore présents, son goût pour l’alcool aussi, n’allait-elle pas réellement le changer après tout. Elle a entendu la cloche de la porte, puis la voix de son amant, un fin sourire s’est dessiné sur ses lèvres, alors qu’elle réalise enfin que l’eau est froide. Combien de temps est-elle resté ainsi ? Difficile à dire. Rien n’est prêt, absolument rien. Alors c’est un vent de panique qui l’anime. Elle sort de la bassine, passe brièvement une serviette autour de sa silhouette féminine, manque de glisser sur le sol humide avant de se rattraper.

- « Inutile de te presser, c’est fait, c’est fait » se murmure-t-elle finalement pour se rassurer, elle passe ses doigts dans l’imposante chevelure rousse pour la relever.

L’ensemble de sa tignasse se plaque à cause de l’humidité, mais elle semble n’en avoir cure, du moins, elle ne s’en soucie pas plus que ça, de toute façon elle n’a pas le temps de sécher quoi que ce soit, elle enfile une robe, passe un petit tissu sur ses épaules pour ne pas prendre froid et descend sagement les marches. Elle semble percevoir une discussion, que la distance l’empêche de pleinement percevoir, puis c’est le hurlement de Merrick qui la fond se presser. Ses pieds toujours nus manquent de glisser sur le bois des marches, alors qu’elle enchaîne l’ensemble, le cœur tambourinant soudainement dans sa poitrine. Elle craint une catastrophe, une blessure, pire, le renvoie pour ivresse de son milicien. Lorsqu’elle arrive en bas, le souffle malmené par cette soudaine accélération dans ses mouvements, elle s’immobilise. Merde. Ses lèvres ont formés le mot sans qu’il ne s’échappe réellement elle se précipite vers le comptoir pour attraper des morceaux de tissu, prend une bouteille d’alcool par réflexe, parce qu’elle n’a pas d’eau salée sous la main puis se laisse tomber à genoux aux côtés de son amant.

- « Tiens, prend ça, appuis où ça saigne je vais essayer de trouver la plaie ! Appuis, tiens le réveiller »

La chope sucrée… Taverne et auberge, moui… Elle commençait à se dire que cela allait finir par devenir une annexe du temple lui-même pour apporter des soins. Ses lèvres se pincent alors que ses doigts inspecter le corps de celui qui semble agoniser dans les bras de son presque mari. Fais chier, rien n’y fait, elle voit le sang en quantité impressionnante, sans parvenir à trouver la source, ce n’est que quand elle ouvre la chemise, qu’elle comprendre. Ce n’est pas une source, mais plusieurs. La suite, c’est beaucoup plus flou dans l’esprit de la jeune femme qui se retrouve prise dans le récit sans trop savoir pourquoi, la main rougeâtre qui tient celle de Merrick, la peur, les mots… Un fangeux, elle avise la plaie, les lacérations sur son torse qui semblent déborder sur son dos, elle ose défaire son pantalon qu’elle constate seulement déchiqueté sous cet imposant manteau qu’il tient contre lui. Les jambes aussi. Étrangement, la jeune femme reste calme, si le saignement est important, cela lui semble sans doute moins pire que ce qu’elle a vu durant le couronnement du Roi. Elle ne l’exprime pas, mais elle se demande comment il a fait pour arriver jusqu’ici… Ici et pas au temple. C’est Merrick qui la fait sortir de ses pensées alors que ses mains couleur carmin tâchent toujours de trouver la source la plus importante.

- « Oui, oui évidemment ! » fit-elle avec le bout des doigts tremblant, elle attrape de sa main libre celle de Merrick, lui enfourne le tissu pour l’obliger à appuyer sur le torse « Reste là-dessus, ok ? »

Le soin, ce n’est clairement pas un domaine de compétence de la jeune femme, recoudre une petite plaie peut-être, mais ça, ça dépasse largement ce qu’elle est en mesure de faire ou ne pas faire. Et puis, l’ensemble de son monde s’écroule, une nouvelle fois. Un infime instant, plus rien n’existe, elle a même abandonné ses compressions, elle n’entend plus les paroles de Merrick, elle n’entend plus les gémissements de la victime. Son regard est fixe sur l’objet qu’il vient de relâcher, ses doigts tremblent cette fois-ci pour une tout autre raison. Elle s’est écartée, les fesses sur le sol, reculant légèrement, son cœur c’est emballé soudainement alors que sa respiration a semble-t-il cessé dans le même temps de coopérer. Se penchant, elle est venue récupérer ce vestige du passé, peu importe les demandes de son milicien, peu importe les paroles, de l’inconnu, elle n’écoutait plus.

Comme isolé, suspendu dans un moment qui ne lui appartenait qu’à elle, la rousse laissait ses doigts définir le pourtour, son regard s’imprégner du symbole qu’elle pensait avoir oublié. Elle ne parvenait pas à y croire, ne pouvait pas y croire, c’était tout simplement… impossible. Aucune larme n’était venue inonder ses joues, aucun cri, aucune rébellion. C’était comme mourir une seconde fois, comme si on venait de lui enfoncer un poignard dans le cœur pour la deuxième fois, comme si Eude était fort encore, juste là. Puis venait le temps des questions, alors qu’elle était toujours, là, immobile sur le sol, les yeux rivés sur le morceau de tissu. Enfin, elle reprit le sens de l’instant présent, était-ce parce que Merrick l’avait secoué, était-ce parce que l’homme s’était mis à tousser, peu importe. Son regard d’un vide profond s’était porté sur Merrick, il n’y avait plus rien, plus d’étincelle, plus de joie, plus de tristesse, plus de colère, c’était comme si Estelle était soudainement devenue une coquille vide, dont le visage était aussi pâle que si elle avait rencontré un fangeux en personne, un fantôme. Était-ce peut-être le cas finalement.

Et puis, il y eut cette rébellion soudainement, la crispation de ses bras, avant qu’elle ne se jette comme une furie sur celui qui agonissait presque là, le secouant, les mains autour du col de son haut, le secouant avec une force qu’elle ne se connaissait pas, ignorant les blessures, ignorant le besoin de soin, la priorité n’était plus là à ses yeux, elle devait savoir, il fallait qu’elle sache.


- « » hurla-t-elle « Où est-ce que vous l’avez vu » enchaîna-t-elle en malmenant toujours avec plus de force celui qui se trouvait désormais sous elle, gémissant cette fois-ci et fermant parfois les yeux signe de perte de connaissance légère.

Le bruit de la gifle sur sa joue l’avait ramené à lui, sans que le geste ne semble à aucun moment déplacer, sans qu’elle… Et elle avait sans doute senti des doigts sur sa propre silhouette, était-ce Merrick qui tentait de l’empêcher d’agir, était-ce un rêve, une illusion.

- « Ne me touche pas » hurla-t-elle en direction de cet homme qu’elle aimait pourtant « Ne me touche pas » reprit-elle avec faiblesse alors que l’homme sous elle avait sombré dans l’inconscience.

Son emprise s’était faite plus forte, secouant toujours désespérément ce visage qui ne se réveillait pas, le suppliait-elle de lui répondre de se réveiller avant de réaliser qu’il ne devait pas mourir. Pied nu toujours, elle s’était relevée, détaillant Merrick Lorren pour la première fois comme si il était un parfait inconnu, comme si il ne représentait rien. Sa tenue était recouverte de sang, son visage aussi et pourtant, rien, il n’y avait rien à définir à observer, à contempler, hormis ce vide de douleur qui émanait de ce frêle corps.

- « Réveille-le, empêche-le de mourir Merrick, empêche-le de mourir ! T’entends ?! » debout elle reculait comme terrifiait, comme si son plus grand cauchemar se trouvait devant ses yeux « Je vais chercher de l’aide… Je vais… j’y vais ! Promets-moi Merrick… Promets-moi qu’il ne va pas mourir ! Il n’a pas le droit, t’entends ?! »

Estelle avait encore reculé, jusqu’à rencontre la porte de son dos, elle l’avait ouverte avant de disparaître pied nu sous la pluie battante, laissant derrière elle son milicien et celui à qui elle avait interdit de perdre la vie. Entre ses doigts, fermement maintenu se trouvait encore le vestige du passé, d’un souvenir lointain qui était redevenu bien trop présent pour qu’il ne chamboule pas entièrement son présent. La rouquine avait tambourinait à chacune des portes des guérisseurs qu’elle connaissait, avant d’en voir une souffrir, avant qu’enfin on accepte de l’écouter, elle son regard proie au tourment, elle recouverte de sang, elle dont les larmes avaient fini par se perdre sur la pluie inondant son visage. C’est à deux qu’elle était revenue, avec un guérisseur qui avait accouru se jetant sur l’homme au sol pour apporter les soins, ordonnant aux deux autres de s’éloigner. Les bras croisés, grelottant de froid, de peur, de colère et de tristesse, elle attendait, elle attendait d’avoir la certitude qu’il allait vivre. Estelle ne voulait savoir qu’une chose : où, parce que son cœur lui dictait de se rendre, parce qu’il y avait la moindre chance de le revoir elle devait la saisir. La raison n’était plus présente, la représentation du danger non plus et c’est dans cette optique qu’elle posa cette étrange question à Merrick Lorren :

- « Tu avais l’air de le connaître, sais-tu où il devait se rendre, d’où il vient dans cet état ?! »

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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyDim 29 Mar 2020 - 5:06
Tout avait été trop beau, trop parfait pour Merrick Lorren. Certes, aujourd'hui, la météo n'avait pas été clémente. Pour autant, ce n'était pas suffisant. Sa routine et sa nouvelle existence auprès d'Estelle de Chantauvent étaient trop idylliques pour que tout reste en l'état. Après tout, comment pouvait-il espérer avoir droit à une vie toute en simplicité, où son unique bonheur quémandé était de retrouver chaque soir les bras de la femme qu'il aimait ? C'était hautement impossible, fortement impensable. Que pouvait-il bien avoir, lui, l'indigeste coutilier, l'insipide lâche et le stupide ivrogne ? Ineffable vaurien et indicible moins que rien, que pouvait-il réellement attendre de la vie, alors qu'il avait abandonné plus que rapidement autrui lorsque la mort s'avançait, impavide et terrible ? Au final, tout ce que Merrick pouvait escompter, tout ce qu'il méritait, était de rester indéfiniment et à jamais navré, marqué et balafré par ses échecs. Son histoire s'inscrivait dans le moribond passé et non point dans un futur empreint de promesses.

Comment le savait-il ? En l'instant présent, il lui suffisait de plonger au fond des yeux de la dame de Chantauvent, vide, et spolier de toute joie de vivre pour concevoir la déliquescence de leur existence commune. Ayant trop souvent côtoyé la mort, ayant trop souvent croisé la fange, il reconnaissait ce regard qu'offraient les victimes lors de leur dernier instant, alors que la peur laissait place à la résignation, tandis que la bête supplantait l'homme et que le trépas devenait inéluctable. Certes, le coutilier comprenait la cause de cet émoi chez celle qui représentait tout pour lui. Après tout, il n'était pas qu'un sombre idiot. Pourtant, son esprit ne voulait et ne pouvait le croire. Comment était-ce simplement possible, que par delà la mort revienne celui qui, aux prémices de l'âge adulte, avait réussi à faire Estelle de Chantauvent sienne ? C'était inimaginable. Or, comment réfuter ce morceau de tissu, cet élément venant pourtant corroborer cette déliquescente réalité ?

La Trinité les foudroyait encore de leur sens de l'humour retors et monstrueux. Mais n'avaient-ils pas déjà suffisamment souffert ? Qui plus est, pourquoi faisaient-ils pâtir la propriétaire de la Chope Sucrée; elle qui était l'une de leurs plus ferventes ouailles ? Il n'y avait qu'une raison possible pour expliquer cela; les Trois étaient aussi monstrueux que la fange, aussi bestial que le désormais retrouvé Eude de Chantauvent... "Estelle, il meurt...!" Tenta-t-il pour la faire sortir de la gangue de cette macabre découverte qu'elle venait de faire. Le milicien était en proie à la panique la plus totale, certes pour le mourant, mais surtout à ce qui allait survenir alors que la jeune femme concevait l'ignominie de la réalité . "...Merde." Ne put-il que proférer en la voyant reculer, s'éloigner et créer de la distance entre le moribond et lui, bien qu'elle prenne tout de même le temps de récupérer le bout de tissu, ce vestige de son passé auquel elle s'accrocha comme une naufragée à un morceau épars de son épave disloqué par des récifs restés cachés par la bruine et la brume. "Estelle, je t'en supplie..." S'entendit-il prononcer, comme de loin, alors que ses mains restaient appuyées sur les plaies saignantes du torse de l'inconnu. Quant à lui, son regard resta vrillé en direction de la rouquine qui semblait ailleurs, trop loin de lui et inatteignable. Pourquoi la suppliait-il aussi vivement et aussi lamentablement ? Pour avoir son aide pour sauver cet incapable ? Pas le moins du monde. Lorren avait peur de ne plus pouvoir l'atteindre, de ne plus faire le poids face à ce défunt époux qui n'était pas encore tout à fait mort. Pourquoi se sentait-il comme le second choix ? Pourquoi sentait-il que la fange venait encore de lui ravir ce qui lui était le plus cher ?

Un grognement de douleur de celui qui oscillait déjà entre conscience et inconscience força l'ivrogne à se concentrer. "Hey le vieux, reste réveillé, bon sang !" Cria plus fort Merrick, ne faisant rien de plus pour l'aider, en ayant déjà plein les bras et la tête avec son inquiétude pour Estelle. Pourquoi ne pleurait-elle pas, ne criait-elle pas ? Par la Trinité, ce manque de réaction était pire qu'un hurlement à fendre l'âme. Ce silence mortuaire, comme s'il se trouvait dans une crypte, le glaça d'effroi, le faisant grelotter alors qu'un frisson lui parcourait l'échine. Il était gelé. De peur ou de froid ? Probablement un peu des deux... "Estelle, je t'en prie." Encore ce ton larmoyant et pitoyable. Le lamentable Merrick Lorren rampant telle une larve, tandis qu'il voyait s'éloigner celle qu'il ne méritait pas. Misérable et méprisable, abject et infect être qui perdait pied à mesure que la dame de Chantauvent s'enfermait dans son propre enfer, dans la monstruosité de sa découverte.

Finalement, que ce soit grâce à ses supplications ou à cause d'un énième borborygme de douleur de l'être lacéré qui baignait dans sa marre de sang, la jeune femme sortie de sa torpeur, reprenant pied dans la réalité, pour le meilleur et pour le pire. La voyant se rapprocher de nouveau, croyant qu'elle revenait pour sauver un humain sur le point de connaître une lugubre finalité, Lorren poussa un soupir de soulagement qui finit bien rapidement par se transformer en hoquet de stupeur. "Que fais-tu ?!" Cria le coutilier, tout d'abord trop éberlué devant l'agression de la propriétaire des lieux sur le presque macchabée pour réagir. De fait, cette dernière avait enserré le devant de sa tunique, le secouant de droite à gauche pour le maintenir réveillé et pour avoir des réponses. La gifle qu'elle distilla à l'endetté réveilla à la fois ledit scélérat et le coutilier. Lâchant finalement les tissus imbibés, laissant de nouveau suinter le sang, Merrick tenta de doucement retenir Estelle. Ses mains s'approchèrent lentement et craintivement des épaules de sa tenancière. C'est à cet instant qu'il reçut la deuxième gifle.

Claquant comme un fouet, l'ordre de la dame de Chantauvent le vrilla de douleur. Ainsi donc, il n'avait plus ce droit. Relevant ses mains, les laissant suspendus entre ciel et terre alors que son visage se crispait de douleur devant ses mots, mais aussi devant les maux contre lesquels elle luttait, Merrick finit par laisser retomber ces dernières, résigné. "Très bien." Que dire de plus ? Il fallait savoir s'avouer vaincu. "Lâche-le. Il ne se réveillera pas comme ça." Poursuivit-il déconnecté, presque effacé. Se déplaçant sur les genoux, il retourna prendre position à la gauche de l'agonisant, revenant faire pression sur les plaies de son torse. Avisant la bouteille d'alcool qu'elle avait amené, probablement pour désinfecter les blessures, Lorren la souleva d'une main, débouchant ledit contenant à l'aide de ses dents, avant d'en prendre une grande rasade et de laisser couler une faible quantité sur les blessures apparentes. L'alcool lui brûla le gosier et la trachée, sans pour autant le réchauffer le moins du monde. Il était transi.

Puis, Estelle s'adressa à lui. Enfin, était-ce réellement à lui, à son futur époux, qu'elle parlait, ou bien ne faisait-elle qu'ordonner et quémander ? "Je ne suis pas une sorcière Estelle, bordel !" Lui répondit-il sur le même ton, la voyant reculer, ne pouvant lui promettre de sauver ce qui peut-être ne pouvait l'être. Que pouvait-il faire ? Le jeune homme était complètement démuni ! "Je...je vais essayer !" Merrick ne pouvait rien lui offrir de plus. "Je ne suis pas sourd !" proféra-t-il lorsqu'elle le fustigea un peu plus vertement. Ne prenant plus la peine de parler, la regardant partir, Lorren se concentra sur l'inconnu qui lui devait encore cinq consommations. "Ce n’est pas l'heure de mourir, le vieux. Pas encore, pas maintenant !" Ne sachant pas que faire de plus, l'homme d'armes fut sur le point de laisser couler à nouveau le tord-boyaux sur les balafres. Or, au dernier instant il releva la bouteille, ne laissant tomber qu'une seule goutte du précieux liquide.

De fait, est-ce que Merrick Lorren devait réellement sauver cet incapable ?

L'ivrogne avait peur. Infiniment peur de la suite des choses. Qu'allait entreprendre Estelle de Chantauvent ? Que chercherait-elle à faire à propos d'Eude, l'ancien homme devenu monstre, celui qui était maintenant transformé`en un danger et un fléau à même de tuer la rouquine ? Se jetterait-elle à sa recherche à ses risques et périls ? La connaissant, probablement. Alors, que faire pour l'en empêcher, pour s'assurer de sa sécurité et du moindre risque ? C'était si simple; que celui qui connaissait sa position meurt, là, sur le sol froid de la Chope Sucrée, sans témoin pour voir que le coutilier l'avait abandonné. "Dé...désolé." Lentement, il releva les mains, laissant le sang s'écouler à nouveau, tombant sur ses fesses et reculant avec la bouteille en contemplant la vie quitter le corps qui lui faisait face. Il n'avait pas le choix, non ? C'était elle ou lui. C'était l'amour de sa vie ou un inconnu. "Tu avais une dette envers moi, non ?" Proféra-t-il dans un murmure, d'une voix atone qui n'était plus que le souvenir d'une tonalité, le murmure d'un son. Il se savait déjà monstre, ayant continuellement fait les pires choix par le passé. Dès lors, qu'importe un sacrifié de plus ou de moins, non ? Il n'était qu'un indigeste sicaire ayant toujours mérité le bagne. Ainsi, de toute façon, son âme était condamnée depuis bien longtemps. C'était peut-être horrible et immonde, mais Estelle de Chantauvent passait avant toute chose.

Déjà, le sang revenant s'écouler. Ce n'était plus qu'une question de temps. Se mordant la lèvre inférieure pour retenir un cri guttural de le déchirer, Merrick attrapa ses cheveux, tirant sur ces derniers d'une main et jetant la bouteille contre le mur de l'autre. Cette dernière se brisa, volant en éclat et rependant ses tessons et son contenu aux alentours. Les quelques gouttelettes du spiritueux qui rencontrèrent la flambée non loin redonnèrent un peu d'ardeur au feu qui périclitait dans l'âtre. "Qu'est-ce que je suis en train de faire ? " Se rapprochant rapidement, il recommença à appliquer une pression sur les stigmates saignants du livreur. "Ne crève pas, d'accord ? Je prenais qu'une simple pause, OK ? Ce n'était rien de plus ! Rien de plus, je le jure ! " Argua-t-il rapidement, essuyant du revers de sa main la sueur froide qui perlait sur son front. Ce qui eut pour effet de répandre le sang de l'individu sur son faciès. Bien évidemment, il n'eut aucune réponse.

Comment avait-il pu penser à abandonner la vie de cet inconnu ? Comment avait-il pu encore imaginer laisser mourir quelqu'un, être de nouveau coupable du trépas d'un homme ? Merrick s'était promis de s'améliorer pour Estelle, de devenir quelqu'un de plus respectable, de moins mortel pour son entourage. Pourtant, il avait été sur le point de succomber, d'abandonner cette résolution au premier écueil. Il n'était qu'un infâme monstre, qu'un salopard ! "Ça va aller, ça va aller..." À qui parlait-il ? À lui ou à son patient ? Son changement d'idée, son renoncement à laisser décéder le badaud meurtri était survenu, car l'ivrogne avait compris qu'il agissait pour lui et non pour Estelle. Oui, il avait peur de sa réaction, de ce qu'elle ferait lorsqu'elle découvrirait où se trouvait Eude. Pourtant et pour autant, la solution n'était pas de laisser mourir un innocent pour enterrer le secret avec lui. C'était à lui de préserver celle qui se jetterait potentiellement au-devant de la mort, au-devant des griffes de son défunt époux. C'était son devoir de s'assurer qu'elle ne commette pas l'irréparable.

Enfin, avant qu'il n'ait eu le temps de commettre le pire, Estelle réapparut avec un guérisseur. Se reculant sur les fesses, jusqu'à ce que son dos heurte les pieds du comptoir, Merrick Lorren resta muet, le regard rivé sur celui qu'il avait peut-être tué indirectement en suspendant son aide durant de précieuses secondes. Les jambes repliées vers lui, les bras déposés sur ses genoux, il souleva ses mains et les regarda. Elles étaient pleines de sang. Du sang de l'homme qu'il allait avoir sauvé ou condamné ? Ses doigts se mirent à trembler, prisent de soubresaut incontrôlable. Formant des poings et forçant jusqu'à s'en faire blanchir les jointures, Merrick laissa sa tête tomber entre ses bras, vaincu. Puis, la dame de Chantauvent prit la parole. Positionné à contre-jour, devant la porte qui était restée ouverte devant l'empressement du guérisseur et de la veuve, qui ne l'était plus vraiment, il releva la tête, la regarda en restant muet, laissant son crâne s'appuyer sur le bar. Les cheveux roux de la jeune femme étaient écrasés, collés à ses tempes par la pluie qui faisait rage à l'extérieur.

Se relevant lentement, s'appuyant sur un pilier, comme si c'était lui qui était blessé, l'homme d'armes se mit à éviter le regard de sa partenaire. "Je ne le connais pas plus qu'il faut." Commença-t-il en haussant les épaules et en passant derrière le comptoir. "Pourquoi ?" Il le savait parfaitement. Mais il oulait l'entendre, espérant presque qu'elle se ressaisisse, qu'elle passe à autre chose. La vie n'était-elle pas plus importante que la mort ? Puis, hésitant, que ce soit à cause du regard de la tenancière, ou bien à cause de ses mots, il se mit à ouvrir la bouche avant de la refermer. Il était évident qu'il cachait quelque chose. Probablement encore plus aux yeux de celle qui le connaissait plus que la plupart des gens. Continuant à tout faire pour éviter les yeux de la rouquine, le coutilier prit une bouteille et un verre. En cette heure et en cet instant, qu'importe le besoin de payer ses consommations. Remplissant le godet jusqu'au rebord, il le vida d'une rasade, fronçant et plissant les yeux sous le passage de l'alcool. N'attendant pas plus longtemps pour s'en couler un deuxième, il lui fit subir le même traitement.

-"Elle tentait de couper un arbre avec sa hache...hahahaha ! Une chance qu'elle est meilleure tenancière ! Hey, Merrick ! Est-ce..." Sur le pas de la porte, trois miliciens venaient d'arriver à la Chope Sucrée. L'un d'eux était l'un des quidams qui avaient vu la dame de Chantauvent esquinter ses forces en tentant de couper du bois. "...wow." En mettant les pieds dans l'auberge, ceux-ci s'étaient arrêtés, contemplant la scène qui s'offrait à eux. Interdits, les yeux agrandis par la surprise et la bouche entrouverte sous la stupeur, la soldatesque ne bougeaient plus.

Les voyant comme de trop, en proie à une sourde colère, troublé par les douleurs d'Estelle et par ce qu'elle escomptait probablement faire, l'ivrogne explosa. Agrippant son verre à pleine main, il le jeta sur le bord de la porte, là où les nouveaux arrivants se tenaient. "Dégagez ! Foutez le camp !" Hurla-t-il. Sans plus attendre, les hommes d'armes se bousculèrent pour disparaître. Son action lui fit malencontreusement croiser le regard de la femme qui lui faisait face. Que ce soit par lui-même ou à cause des dires de sa tenancière, Lorren n'y tint plus, livrant ce qu'il savait. "Je sais juste qu'il se dirigeait vers les faubourgs sur un chariot. Son cheval avait une tâche sur l'épaule, juste là." Termina-t-il en tapant sur son épaule droite. "C'est la vérité et c'est tout ce que je sais." Il ne mentionna pas que les hommes en faction à la porte devaient avoir vu la direction qu'il avait prise. Elle en viendrait probablement à la même conclusion que lui, mais il n'allait pas lui offrir sur un plateau d'argent un élément qui pourrait l'aider à fomenter le risque d'une rencontre avec la mort, la rixe d'une rencontre avec la fange.

Soupirant et sortant de derrière le bar, il s'approcha d'Estelle. Levant une main, qu'il finit rapidement par redescendre, ne se rappelant que trop bien sa rebuffade lorsqu'il l'avait touché, il s'arrêta à un mètre de distance de cette dernière. " Écoute-moi. Il est mort que tu le veuilles ou non." C'était peut-être difficile à entendre, mais c'était mieux ça que de la laisser être tenté par la folie de le retrouver. Qu'elle le frappe, qu'elle l'attaque si ses mots étaient trop vils. Tant qu'elle restait là, où elle serait en sécurité, il était prêt à n'importe quel sacrifice. "Tu l'as entendu toi aussi, la description qu'il en a faite." Poursuivit-il en pointant celui qui allait peut-être trépasser. "Tu peux aussi voir ce qu'il lui a fait. Il n'est plus l'individu qu'il était, il n'est plus un homme."

Avant qu'il n'ait eu la chance de parler plus longtemps, le guérisseur se releva et prit la parole. "Sa vie n'est plus en danger. Pour le moment du moins." Se retournant, Merrick soupira de soulagement. Il ne l'avait pas tué. Si tel avait été le cas, il n'aurait pu se le pardonner. "Il a perdu beaucoup de sang, il a besoin de repos. Impossible de le transporter sous ce temps. Il doit bien y avoir une chambre de libre à l'étage, non ?" Glissant un regard vers la dame de Chantauvent, qui restait la propriétaire des lieux, le jeune homme finit par hocher la tête. "Bien. Jeune homme, aidez-moi à le monter là haut."

Laissant son regard glisser de nouveau vers la rouquine, Merrick alla fermer la porte pour couper une bonne fois pour toutes la Chope Sucrée de l'extérieur. "Je reviens rapidement." Voulait-elle réellement le voir revenir ? Dur à dire. Mais lui, il ne voulait point partir. S'approchant de celui qui risquait d'en réchapper, Lorren se pencha pour le soulever avec l'aide du soignant.

-"Doucement, doucement." Répéta ce dernier devant la fébrilité plus qu'apparente du milicien. Ensemble, ils le traînèrent à l'étage, rentrèrent dans la première chambre et le glissèrent dans un lit. " Je ne peux pas rester, j'ai d'autres patients. Il va falloir le surveiller. À tout moment son état pourrait s'aggraver. Si cela arrivait, il faudrait venir me chercher, compris ?"

-"Oui, oui. C'est bon." Répondit rapidement le coutilier, pressé de redescendre, tandis que le guérisseur restait statique, hésitant devant l'empressement de son homologue. Puis, finalement il hocha la tête et partit en direction de l'étage inférieur. Coupant ce dernier dans l'escalier, descendant les marches quatre à quatre, allant jusqu'à sauter les dernières, le milicien déboula dans la pièce principale de la Chope Sucrée, une couverture à la main. "Tu ferais mieux de te réchauffer sinon tu risques d'attraper froid..." Se rendait-il compte qu'il faisait face aux mêmes risques, lui qui était aussi mouillé qu'elle ? Pas le moins du monde. De fait, son esprit ne fonctionnait plus très clairement, trop concerné par les états d'âme de la jeune femme, trop obnubilé par les moindres actions ou mots qu'elle pourrait dire.

Éperdu quand à la marche à suivre, Merrick Lorren savait simplement qu'il était perdu si la jeune femme allait au-devant de la mort. Mais que ferait Estelle de Chantauvent ?
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Estelle LorrenAubergiste
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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyDim 29 Mar 2020 - 10:54


Estelle n’avait jamais pensé à elle-même, jamais, les autres avaient toujours été prioritaires, fallait-il un tant soit peu qu’elle éprouve de l’affection pour une personne pour qu’il se dresse soudainement sur un piédestal. Or, pour certainement la toute première fois de sa vie, la rouquine était incapable de passer outre sa douleur, outre l’information qu’elle venait de percevoir. Aussi fou et inconscient soit-il, la tenancière n’avait retenu qu’une seule et unique chose : Eude était vivant. La fange lui semblait lointaine, la réalité des informations aussi, son cœur, son âme meurtrie n’avait pu tirer qu’une unique traduction pour survivre, pour éviter la suffocation pour tenter de ne pas succomber à cette lame s’enfonçant dans sa chair encore et encore et encore, Eude était vivant. Son cœur était donc tiraillé, tiraillé entre le passé et le présent, Entre Merrick Lorren, futur mari parfaitement et réellement envie qui faisait tous les efforts du royaume pour la satisfaire et…. Eude de Chantauvent, défunt mari plus réellement défunt qui l’avait abandonné contre sa volonté et dont le départ morbide ne semblait soudainement à ses yeux plus qu’une pluie de mensonge. Aussi violent que cela pouvait être, la rousse semblait bien incapable de choisir. Elle qui réagissait dans la spontanéité, qui prenait les décisions dans l’instant, était tout simplement incapable d’arrêter une décision, aveugle de la souffrance de son presque mari, aveugle de sa douleur, de sa peine, de sa peur, elle ne restait focalisait que sur une seule et unique chose : Eude était vivant.

Néanmoins et parce qu’il le fallait bien pour obtenir des informations, elle s’abandonna à une question en direction du coutillier. Immobile, le vent soufflant dans son dos, l’eau ruisselant de ses cheveux, de ses habits, les pieds noirs de la grasse des pavés de la ville et se tortillant sur place de froid. La tenancière n’en ressentait même plus les effets, elle dont l’intérieur de son âme s’était frigorifiait à la simple vu de ce tissu revenant des morts. Menteur. C’est le mot que les lèvres de la rouquine avaient dû former, sans pour autant le prononcer, alors que ses prunelles avisaient celui qui semblait désormais la fuir. Puisqu’il en était ainsi, puisque lui-même ne semblait plus vouloir être honnête avec elle, la jeune femme ne put que jouer sur la même ligne de départ. Pourquoi. Elle eut ce léger rictus, qui devait trahir ses pensées, il n’avait rien d’agréable, de doux, de bienveillant, de joyeux.


- « Simplement pour récupérer ses affaires, le pauvre homme a dû tout perdre en fuyant. »

Estelle avait-elle sauvé Merrick de son passé, de ses doutes, de ses peurs ? Avait-elle réussi à l’apaiser, lui et son envie de conquêtes de jupons, de descente de bouteille, en partie très certainement. Maintenant que les rôles étaient échangés, la dame n’était pas convaincue que Lorren puisse devenir celui qui l’a sauverait. Pour être sauvé, fallait-il le vouloir et comme cela semblait devenir une habitude en cette fin de journée, elle n’était plus certaine d’avoir envie d’être sauvé des griffes douloureuses de son passé. Eude était en vie. Pour autant, restait-il cette once d’espoir, cette infime lumière presque divine. Malgré son mensonge, malgré cette volonté de « voir » là où pourtant la vision serait sans aucun doute plus destructrice que réparatrice, elle eut ce geste, ce simple geste trahissant sans aucun doute à quel point elle pouvait tenir à Merrick Lorren. Le percevant boire, elle s’était approchée, silencieuse, lentement, passant derrière le comptoir pour déposer cette main gelée sur la sienne, l’empêcher de s’enivrer pour sa sécurité, pour l’obliger à s’exprimer plutôt que de se fermer. Le geste fut aussi furtif, que particulièrement tendre, alors que des doigts tremblants entrelaçaient un infime instant une main chaude et rougit par le sang. Ce fut une hésitation, aussi rapide que ce geste tendre, aussi douloureux pour celle qui s’était complètement perdue dans l’instant.

Ce fut cette troupe de miliciens qui mit fin au doute, ou tout du moins l’empêcha de réellement réaliser à quel point il était infiniment plus important que le passé, pénétrant dans cette hilarité désagréable, enfonçant davantage les maux de celle qui aurait dû dans un autre contexte s’amusait de la moquerie. Sa main c’était retiré de celle de Lorren, beaucoup plus brusquement qu’elle n’était arrivée, alors qu’elle instaurait de nouveau cette distance, qu’elle avait manqué de récupérer Brigitte pour partir comme une furie calmer ses nerfs sur la tête des imbéciles qui auraient pu l’aider au lieu de la regarder s’épuiser. Son futur mari avait réussi à prendre les devants, balançant le récipient sur ceux qui avaient reculé pour refermer brusquement la porte, laissant derrière eux, un homme derrière le comptoir, une femme non loin du soigneur qui tentait l’impossible. Immobile. La pièce s’était plongée dans cet étrange silence, rompu uniquement par les murmures de celui qui porter secours avec cet acharnement si grand. Et puis, ce fut une nouvelle gifle alors que les grands yeux de la rousse s’écarquiller sur les nouvelles paroles de celui qui était monté en grade. Il savait. Il sa-vait. Pivotant légèrement pour le détailler, ressentant cette trahison inexpliquée, elle ne put que se mettre soudainement à douter : jusqu’où Merrick Lorren était-il au courant ? Que savait-il d’autre qu’il ne lui disait pas ?

Écoute-moi, il est mort. NON. L’idée était impossible à encaisser, pas maintenant, pas tout de suite alors qu’elle venait d’apprendre le contraire, alors que cet homme agonisant l’avait vu, avait pu récupérer le tissu qu’elle enserrait toujours d’une main, sans jamais le quitter un seul instant. Eude était vivant. La suite elle ne voulait pas l’entendre ni l’imagine et lorsqu’il évoque en preuve l’homme qui gisait sur le sol, elle n’eut que ce mouvement d’épaule, cette certitude aussi enfantine qu’illusoire que jamais Eude ne lui ferait le moindre mal.


- « Eude ne me ferait jamais ça à moi. » rétorqua-t-elle en le fusillant du regard.

Non, Estelle avait définitivement perdu la raison de cette manière aussi insensée que stupide. Ce besoin de savoir, de le voir, de lui parler était plus fort que tout le reste, de tous les ont dits, de toute l’expérience qu’elle avait pu entendre sur la fange. Si il était vivant, il ne pouvait pas être mort, il était peut-être désormais un monstre, mais un monstre qui avait été son mari, qui avait partagé tant de choses avec elle : non, il ne lui ferait aucun mal, elle en était convaincue, aveuglé par la révélation, par sa douleur, par l’ensemble. Elle DEVAIT savoir. Néanmoins, dans cette étrange confirmation, restait un élément perturbateur : Merrick Lorren. Si Estelle était têtue, elle ne pouvait repousser ses sentiments pour lui, ni les ignorer, non, Merrick avait su capturer son être, le faire vibrer et lorsqu’elle porta son regard sur son visage, lorsqu’elle percevait ses yeux, le mal et la colère qu’elle lui infligeait… Elle eut cette hésitation, cette hésitation lisible sur les traits de son visage, elle avait alors une nouvelle fois fait ce pas vers lui, tendu cette main vers celui qui se devait de la sauver, sans savoir elle-même s’il avait véritablement ce pouvoir.

- « Merrick, je. »

Elle n’eut pas le temps de terminer, pas le temps d’y réfléchir qu’un nouvel élément perturbateur venait interrompre la conversation. Le guérisseur. Une nouvelle fois, la Chantauvent abandonna ce pas vers l’avant qu’elle avait fait pour reculer, laissant de la place à celui qui nommait les faits. L’inconnu était vivant et si en temps normal cela aurait dû la rassurer, maintenant qu’elle avait eu des informations, cela ne lui semblait plus si important. Elle s’était néanmoins pincé les lèvres un infime instant, fermant les yeux pour chercher à se reprendre, des décisions elle en avait à prendre sans aucun doute et le plus difficile était de savoir si le plus important était le passé, le présent ou le futur. On lui avait adressé la parole, elle ne l’avait même pas perçut, aucunement, Merrick s’était déplacé, elle n’avait pas bougé le moins du monde, la porte avait été fermée. Encore un soir où elle ne gagnerait rien. Tant pis, dans le fond cela ne semblait plus être la priorité. La gorge étrangement nouée, elle avait profité du déplacement des deux hommes et du malade pour passer derrière le comptoir, pour se servir un verre de son alcool plus fort. Estelle avait finalement laissé le tissu sur le bord du bois, avant d’avaler le premier cul sec, puis le second qui n’avait pas tardé à être rempli lui aussi. Cela ne la soulageait pas et hormis lui donner cette immédiatement démangeaisons dans la gorge et dans le ventre, rien ne semblait aller mieux pour autant.

Percevant les bruits du bois du plancher de l’étage, elle avait eu cette nouvelle démarche, presque automatique, traversant la ‘cuisine’ pour passer dans la petite cour, remontant de l’eau du puits, puis revenir, prendre un tissu et entamer le nettoyage du sol. Astiquer, frotter avec toute la rage qu’elle pouvait éprouver. Même à cet instant, elle était incapable de prendre une décision et avait même hésité longuement à partir immédiatement. Quand Merrick avait fini par descendre, Estelle était toujours sur le sol, elle lui adressa un bref regard, avant de se concentrer une nouvelle fois sur la flaque de sang. Le guérisseur avait finalement lui aussi réussi à retrouver l’étage inférieur et avait fini par disparaître sans davantage d’explication, insistant néanmoins sur l’importance du repos et sur le fait de ne pas hésiter à venir le chercher.

La porte s’était ouverte, la clochette s’était fait entendre, la porte avait fini par être refermée et la Chantauvent se retrouvait de nouveau immobile, le tissu humide et ensanglanté entre les mains. Si une certitude venait de la frapper, c’est que jamais Lorrent ne la laisserait partir, jamais elle n’accepterait qu’il se mette en danger, du mal, elle lui en avait sans doute suffisamment fait. Alors, parce qu’en ce jour n’était pas coutume, Estelle choisit de mentir, encore. Merrick la connaissait pour autant, nul doute qu’elle allait devoir s’appliquer. Se redressant lentement, laissant retomber dans le seau d’eau le tissu, elle pivota vers lui, pour l’aviser. La dame était hésitante dans ses gestes, hésitante dans ses besoins, en réalité elle était terrifiée à l’idée de le perdre avec cette impossibilité pourtant de renoncer à Eude, pas maintenant, pas comme ça, alors qu’elle venait de découvrir qu’il était vivant. Pour autant, fallait-il donner le change, car dans la manière que Merrick avait de la regarder, elle avait cette confirmation que jamais il ne la laisserait faire.


- « Excuse-moi… » murmura-t-elle finalement, sans réellement savoir si elle s’excusait pour son comportement passé ou à venir, sans doute les deux « Pardonne-moi» répéta-t-elle en venant s’engouffrer dans ses bras. « Merrick je. »

Il n’y avait pas toujours les mots pour exprimer ce qu’on ressent, elle aurait pu lui dire la vérité, partager ses pensées, ses doutes, exprimer ce besoin de voir, de comprendre. Pour construire un avenir, fallait-il comprendre le passé, hors dans cette situation dont elle n’aurait jamais imaginé l’aspect, Estelle avait eu une nouvelle fois l’impression d’être manipulé. Glissant ses doigts sous la chemise de Merrick, collant sa poitrine contre son torse, relevant le nez et se hissant sur la pointe des pieds pour enfouir la tête dans son cou, Estelle émettait cette pression aussi forte dont elle était capable pour qu’il reste contre elle, le plus possible contre elle, humant son odeur. Ce n’est qu’après un long moment, ou sans aucun doute l’un ou l’autre avait fini par tenter de s’enrouler mutuellement dans la couverture, qu’elle remarqua qu’il était froid, qu’il avait froid. Aussi releva-t-elle le nez vers lui, l’avisant réellement pour venir capturer ses lèvres des siennes, l’embrassant comme si finalement c’était la dernière fois. Oui, Estelle avait pris sa décision, si elle voulait pouvoir vivre avec Merrick, devait-elle dire adieu à Eude, mais jamais ne prendrait-elle le risque de mettre en danger son coutilier. Elle ne risquait rien, elle en avait la certitude, non, elle ne risquait rien, il ne lui ferait pas de mal… Non ?

L’enlaçant toujours plus fort, alors que ses lèvres avaient fini par trembler dans les sanglots, que les larmes dévaler de ses yeux, offrant un goût salés à ce baiser dont elle aurait voulu qu’il ne prenne jamais fin, la dame avait fini par se détacher, essuyant d’un revers de main ses joues humides. Il fallait être forte, il fallait être convainquant, la moindre hésitation, le moindre doute….


- « S’il te plaît… Je ne me sens pas la force d’en parler » murmura-t-elle presque lèvres contre lèvres « Ne m’oblige pas… » enchaîna-t-elle « C'est toi qui a raison de toute façon… »

Manipuler par les sentiments, mentir en se basant néanmoins sur des éléments de vérités, détournant habillement l’ensemble. Estelle se détestait déjà pour ça, mais pour le protéger, elle était prête à tous les sacrifices, se pressant contre lui, la gorge encore nouée, les larmes encore au bord des yeux. Elle esquissa ce drôle de sourire qui disparaît rapidement, son visage est devenu pâle, tâché par endroit des perles carmin qui parcourent à la fois son visage, ses mains et ses vêtements…

- « Tu devrais… On devrait monter se changer… On va prendre froid, tu as raison » murmure-t-elle lentement en laissant ses mains descendre le long du corps de Merrick pour attraper ses doigts entrelacer ses doigts « Merrick, tu penses que tu me pardonneras un jour ? »

Cette fois-ci parlait-elle clairement de ce qu’elle allait faire et non ce qu’elle avait fait, néanmoins l’ambiguïté des actions, des faits pouvaient laisser le doute et cela suffirait à la tenancière pour soulager sa conscience. Contre lui, toujours, de légers tremblements sur le corps, elle ne parvient pourtant pas à se détacher, à envisager se détacher. Elle reste ainsi simplement, tâchant d’occuper l’esprit de son milicien, tâchant de l’aveugler sur d’autres points pour qu’il ne puisse pas voir, pas comprendre, lui laisser un peu de temps simplement.

- « Tu as sauvé une vie aujourd’hui… J’ai de la chance d’avoir un futur mari comme toi… » une certitude, une phrase qu’elle pense sincèrement, alors que ses mains abandonnent les siennes pour se presser sur sa peau pendant qu’elle glisse l'ensemble sous le tissu de son haut « Montons avant que je ne sois dans l’obligation de m’occuper de toi des jours durant à t’écouter te plaindre d’être malade… » enchaîna-t-elle avec une certaine pointe de vérité.

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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyDim 29 Mar 2020 - 20:58
Il était debout au milieu d'une scène s'apparentant à un carnier issue d'un champ de bataille. Au sol, l'eau rejoignait le sang pour ne former plus qu'un, marquant de son passage le bois du plancher, s'écoulant sans s'arrêter, encore et encore. Trace fugace, mais pugnace, de la présence macabre de la mort, du retour de celle qui ne s'était pourtant pas éloigné bien longtemps des tracas et déboires constituant l'histoire de Merrick Lorren et d'Estelle de Chantauvent. Ainsi, peut-être que le sombre idiot à l'étage était dorénavant en partie sortie d'affaire, bien qu'oscillant toujours entre vie et trépas. Or, ce n'était point son presque décès qui flottait encore dans l'air, qui semblait s'agripper et attirer l'âme de la jeune femme, la déchirer de l'intérieur même. Eude, le défunt époux de sa tenancière, n'était plus vivant. Pourtant, il était de nouveau présent, revenus d'entre les morts pour devenir un monstre bestial, un être abject et ô combien mortel.

Droit, mais peu fier, interdit et indécis quant à la marche à suivre, à ce qu'il devrait dire ou faire, et surtout à comment la dame de Chantauvent réagirait, le coutilier ne fit que prononcer l'impératif, le besoin qu'elle avait de se réchauffer. Sa joue pulsait encore de la gifle qu'elle lui avait octroyée. Non pas celle apportée par ses mots et maux, mais bien celle qui avait été une violente attaque par sa main qui avait plutôt l'habitude d'être douce et aimante. Sans bouger, il avait encaissé le coup. Il s'y était préparé, mais l'agression faisait quand même mal, distillant certes une douleur au point de contact où le soufflet avait rencontré son visage, mais surtout dans son cœur et son esprit, aucunement habitué à ce genre d'action chez celle qui se trouvait face à lui. La prochaine étape serait-elle une offensive soutenue à l'aide de sa fidèle Brigitte ? Si tel était le cas, il se défendrait, non pas pour vaincre, mais simplement pour éviter de tomber dans l'inconscience, pour être certain de l'empêcher de s'éclipser. Estelle avait-elle vu son regard craintif voltiger en direction de la poêle de combat ? Avait-elle perçu que l'homme d'armes se préparait potentiellement aux risques d'une rixe avec celle qu'il aimait ? Par la Trinité, qu'étaient-ils en train de leur arriver, eux qui dressaient désormais les armes, prêts à s'affronter et à en découdre si besoin était ?

Merrick tremblait. De peur ou de froid ? Dur à dire. Estelle était encore au sol, nettoyant et frottant le sang qui semblait ne pas vouloir partir. Devait-il s'en réjouir de la voir essayer de rendre à la Chope son lustre d'antan ? Il n'en était pas certain. Avec le temps, il avait appris que lorsque l'endroit était trop propre, c'est que l'esprit de la dame de Chantauvent se trouvait face à un écueil à même de saborder son existence. Transpercé l'espace d'un infime instant par un regard qu'il ne lui reconnaissait plus, Lorren ne bougea pas ou ne dit rien de plus. Le guérisseur, éduqué pour guérir les souffrances des corps, mais non des âmes, s'éclipsa sans demander son reste. Son travail était de sauver un blessé, non de réparer ce qui semblait ne pouvoir l'être. C'est-à-dire, selon sa perspective, ce couple qui volait en éclat. Enfin, il la regarda se mouvoir, se relever et se déplacer avec hésitation. Finalement, Estelle s'excusa et vint se perdre dans ses bras, qu'il referma rapidement sur elle, autant par besoin de cette promiscuité que pour l'enfermer, comme dans une cage, pour la retenir. Pouvait-il la garde là, à tout jamais ? "Il n'y a rien. Ce n'est rien." Commença-t-il, refusant d'accepter des excuses qui n'avaient pas lieu d'être. L'ivrogne comprenait simplement trop bien la douleur occasionnée par le retour d'un être cher en monstre.

Ne disant rien de plus, Lorren attendait, encore perdu quant à ce qu'il devait faire pour la consoler. Et puis, le pouvait-il vraiment ? Avait-il cette force en lui, ce pouvoir de l'aider à sortir de cette horreur dans laquelle elle baignait désormais ? Il ne serait que justice que l'ivrogne soit en mesure de la secourir. Après tout, Estelle avait été et était encore sa planche de salut, l'unique chose qui lui permettait de ne point se noyer dans la mer d'ignominie qu'il avait commise. Or, il doutait de pouvoir lui rendre l'appareil. Inapte à endiguer ce flot de tourment qui s'abattait sur la propriétaire de la Chope Sucrée, le coutilier semblait n'être qu'en mesure de la regarder sombrer dans les profondeurs abyssales de l'angoisse. Il n'était qu'un incapable... L'enserrant plus fort dans cette étreinte, une main derrière sa tête qui s'était réfugiée dans son cou et l'autre dans son dos, Merrick finit par les enrouler tous les deux dans la couverture qu'il tenait encore. Tel un déclic, cela entraîna une réaction, amenant la Chantauvent à venir trouver ses lèvres, y répondant à ce rapprochement avec empressement et diligence. Finalement, avait-il une chance de la garder avec lui ? Où était rendue la Estelle hargneuse qui semblait vouloir partir en quête d'un fangeux ? Elle semblait disparue, envolée. Se pouvait-il qu'elle se soit fait une raison ?

Sa réflexion fut coupée par les sanglots plus prononcés de sa tenancière, par la rupture et la fin de ce baiser fortement salé par les pleurs. Venant perdre une main sur la joue de la jeune femme, l'ivrogne se mit consciencieusement et doucement à essuyer du revers de la main les larmes qui dévalaient sur le visage d'Estelle. " Il n'y a pas de problèmes." Elle ne voulait pas en parler ? Très bien. Tout ce qu'il comptait, c'était de ne pas la voir prendre la mauvaise décision de courir retrouver la mort elle-même. Puis, telle une délivrance pour ses sens, Estelle de Chantauvent lui avoua qu'il avait raison. Fermant les yeux un bref instant, laissant tomber son front contre celui de sa partenaire, Merrick poussa un soupir de soulagement, avant d'ouvrir à nouveau les yeux. Enfin, il avait eu la confirmation qu'elle se résignait à la triste réalité. Enfin, elle était hors de danger. Toutefois, tout n'était pas joué. Merrick Lorren devait maintenant tenter le mieux possible d'endiguer ce déferlement de douleur et de peine qui menaçait encore de submerger celle qu'il aimait. Dès lors, désormais concentré sur l'apaisement des tourments plutôt que sur la sécurité de la Chantauvent, le coutilier l'embrassa de nouveau. Comment supplanter la mort ? En lui imposant la vie.

Le milicien ne le savait pas encore, mais il n'était qu'un sombre idiot. Se laissant bercer et berner par la passion, par des preuves de sentiments de la tenancière, il s'aveuglait. Ainsi, sa bêtise risquait d'amener Estelle au dénouement de son existence. Or, cette accalmie qu'elle lui présentait, ce calme après la tempête, était trop belle pour qu'il ne s'abandonne pas à lui. Lâche et couard, Merrick avait toujours peur de devoir lutter contre la propriétaire de la Chope Sucrée pour circonvenir à sa folie. La connaissant, il avait tout de suite compris qu'elle tenterait de retrouver Eude. Faible, il avait tout de suite sauté sur l'occasion d'enterrer la hache de guerre, croyant dur comme fer les dires de la rouquine. La peur était la plus grande faiblesse du coutilier et en ce jour, elle venait de lui dicter de baisser sa garde.

-"Oui, nous devrions faire ça." Dit-il en mentionnant l'idée de monter et d'aller se changer. En cette heure, il ferait tout ce qu'elle voulait. Même le ménage. "C'est déjà fait, Estelle." Murmura-t-il au niveau du pardon. "Je te pardonnerais toujours." Lui promit-il sans réfléchir, n'ayant peut-être pas conscience que ses mots pouvaient potentiellement encore plus libérer la conscience de celle qui préparait un acte empreint de folie, où seuls le vice et les sévices se succéderaient. Lentement, il se mit à lui caresser les cheveux, cette crinière flamboyante reconnaissable entre mille, et qu'il cherchait continuellement à entrapercevoir à chaque instant où il la savait dans les parages. Même mouillée de la tête aux pieds, même avec des vêtements imbibés d'eau et des émotions à fleur de peau, elle restait à ses yeux la plus belle femme de Marbrume.

La suite le glaça d'effroi. Avait-il réellement sauvé une vie ? Il l'avait plutôt presque sacrifié, oui... secouant la tête, il repoussa pour le moment ces réflexions. L'inconnu était encore vivant et ce n'était pas le temps de se morfondre et de morigéner sa propre conscience. La tenancière de la Chope Sucrée traversait l'enfer comparativement à lui. Il devait se focaliser là-dessus. "Je...je n'ai rien fait." C'était affreusement vrai. Il n'avait rien de spécial pour le sauver, il était même allé jusqu'à suspendre son aide durant un temps. "Je te suis tout de suite. Je vais faire des infusions et j'arrive, d'accord ?" Puis souriant doucement; "Comment pourrais-je me plaindre d'être malade, si c'est toi qui es à mon chevet ?" Déposant ses lèvres sur son front, le coutilier se détacha de la jeune femme, prenant soin de l'enrouler elle seule dans la couverture. "Vous voilà fin prête pour votre voyage à l'étage." Lui dit-il en hochant la tête. Puis, juste avant de la laisser partir ou de s'en aller lui-même vers la cuisine, il agrippa ses doigts, entrelaçant leurs mains l'une dans l'autre. " Je suis là pour toi, si besoin...pour tout. Vraiment." Peut-être qu'elle ne voulait pas en parler présentement, mais Merrick voulait lui faire comprendre qu'il serait là pour la supporter, pour supplanter la truculence de l'instant, le machiavélisme de l'affreuse découverte. Il lui offrirait tout l'appui qu'elle désirerait, d'une quelconque façon. En l'affirmant, il croyait vraiment être en mesure de traverser cette affliction à deux. Mais l'insipide ivrogne n'avait pas compris que la dame de Chantauvent avait déjà commencé à entreprendre son voyage en solitaire, le laissant seul sur le rivage...

Finalement, il gagna la cuisine, suspendant un chaudron d'eau au-dessus du feu pour réchauffer une eau qui se transformerait en infusion. En faisant cette action, le jeune homme réalisa que la réserve de bois était basse et il comprit finalement les rires de ses collègues. Soupirant et secouant la tête, il se promit de s'en occuper le lendemain. Puis, gagnant les devants de l'âtre, il récupéra les herbes qui constitueraient le breuvage réconfortant que la Chantauvent appréciait. Regardant les contenants alignés sur le manteau de la cheminée, le milicien laissa ses yeux fixer plus longtemps le pot contenant les herbes soporifiques. Par chance, Estelle lui avait fait comprendre qu'elle ne se jetterait pas au-devant de la mort. Ainsi, il n'aurait pas besoin de les utiliser, bien qu'il y ait pensé pour l'abrutir dans le sommeil et la garder là, en sécurité. Attendant que l'eau chauffe, puis que le tout infuse, le coutilier déposa les deux tasses sur un plateau pour monter le tout. S'arrêtant derrière le comptoir, il se permit de laisser couler quelques gouttes d'alcool dans sa tasse pour rendre son breuvage un peu plus...attrayant. Puis, récupérant le manteau du moribond à l'étage, le déposant sur son épaule, il se mit à monter l'escalier. Entrant dans la première chambre, là où l'inconnu luttait pour sa vie, l'ivrogne alla s'assurer que ce dernier n'était pas en train de périr. Satisfait de le voir respirer de façon régulière et de voir que ses pansements étaient encore blancs, il déposa son manteau aux pieds du lit et sortit de la pièce.

-"Ta tasse est prête." Dis Merrick en déposant le plateau sur une chaise juste à côté de la porte de leur chambre. Avant de rentrer, il se dirigea vers la salle d'eau, sa propre tasse bien en main. Avisant que la bassine était encore pleine d'eau, Merrick murmura un remerciement silencieux à Estelle. Une tâche de moins à effectuer. Oui le liquide était froid. Toutefois, il suffisait de réchauffer les pierres en dessous pour que l'eau gagne à nouveau une température adéquate. Œuvrant à rendre cela réel, il finit par se relever. Satisfait une fois sa tâche accomplie, il hocha la tête, prit une gorgée de sa mixture et sortit de la pièce. Dans le couloir, l'ivrogne remarqua qu'Estelle n'avait pas encore pris sa tasse. Récupérant cette dernière, le coutilier entra dans la pièce. "J'ai de nouveau fait chauffer l'eau de la bassine, si jamais..."Lorren marchait encore sur un fil, ne sachant plus trop comment agir pour réconforter la rouquine. La porte de la grande armoire était ouverte, lui obstruant la vue derrière laquelle la Chantauvent devait se changer. Se dirigeant vers un autre meuble, Merrick se pencha pour l'ouvrir et prendre une chemise certes propre, mais surtout sèche, après avoir déposé le plateau sur le meuble. "Je pense qu'il serait plus logique de fermer la Chope pour ce soir." Il ne voulait aucunement la voir travailler dans ces conditions, dans cet état. "Je pourrais aussi prendre une journée de repos demain.je pens...." Il ne finit pas sa phrase. Il prendrait cette journée de repos, qu'importe les conséquences. Eugène réussirait très bien à se débrouiller avec la coutelerie. Même probablement mieux sans sa présence qu'avec... En outre, bien la de Rivefière serait du genre à refuser, s'il lui expliquait les raisons, elle accepterait peut-être. Après tout, sa sergente était infernale, mais elle ne détestait pas pour autant la Chope Sucrée et sa propriétaire. Au contraire de l'énergumène qu'il était. "Demain je rapporterais du bois." Continua-t-il en passant la tunique par-dessus sa tête. Oui, voilà. Lui offrir le confort de la routine, la vie, au détriment de cet appel macabre qui devait sonner dans son esprit en direction des marais, de la fange et de la mort. L'impératif et l'objectif étaient de la détourner du passé pour tenter de l'arrimer dans le présent. Était-ce envisageable ? Était-ce seulement possible ?

Muni d'un nouveau haut, le milicien prit enfin dans ses mains la tasse d'Estelle et s'approcha de l'armoire. "Nous pourrions aussi aller prier demain, si tu veux. Voir un prêtre ou une prêtresse..." Il ne l'accompagnait jamais, ayant perdu en quelque sorte la foi auprès des Trois. Or, si cela pouvait l'aider, il irait jusqu'à prier Etiol si nécessaire. Refermant lentement le battant de sa main libre, parlant en même temps et tendant l'infusion, il poursuivit ses dires; " Si tu veux quelque chose d'autre, n'hésite pas. Je pourrais aussi m'occuper du service, ici, demain si tu veux ouvrir..."

C'était tout ce qu'il avait à lui offrir; sa présence. C'était si peu et si faible. Or, l'homme d'armes était complètement désarmé face à cette situation, inapte à trouver les moyens à même de rasséréner celle qui venait sûrement de mettre les pieds dans son pire cauchemar. C'était une chose d'affronter une situation à risque, un moment d'égarement ou la fange vous guettait au tournant. Ça en était une autre de lutter contre les tourments de l'âme. Dans les deux cas, Merrick Lorren n'était aucunement l'homme de la situation. Toutefois, lorsqu'il était question d'une lutte opposant les monstres à l'humanité, la ligne directrice était claire, simple et précise; tuer avant d'être tué. Or, contre un esprit périclitant et ployant sous les affres des désuétudes, s'égrenant suite aux complications d'une effroyable existence, aucun chemin balisé, aucune marche à suivre ne semblait être tout indiquée. Ainsi donc, le coutilier naviguait à l'aveugle, tentant de sortir Estelle de Chantauvent de ses tourments.

Était-ce peine perdue ?
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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyJeu 2 Avr 2020 - 23:49


Je te pardonnerais toujours. La phrase ne fit qu’un tour dans l’esprit de la rouquine, qui en tira un profond vent de réconfort, elle aurait voulu le croire à cet instant et se renferma même dans cette idée, parce qu’il était plus simple de rester sur cette phrase, que de voir la réalité. Pour l’instant, la jeune femme préférait simplement laisser cette idée de côté, sa souffrance, profiter simplement d’un instant d’apaisement, d’agréabilité aussi éphémère puisse-t-il être. Contre lui, respirant cette odeur qui avait à la fois le don de l’apaiser, de l’envoûter, elle se sentit faiblir, trembler de tout son corps. Elle aurait pu éclater en sanglot, le repousser, le frappe de ne pas comprendre ou ne pas vouloir comprendre et même dans cette situation si inespérée, le fait qu’il lui offre cette confiance aveugle. Estelle lui en voulait. Étrange, subitement. Lassant simplement ses doigts parcourir un corps qu’elle affectionnait, elle sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, s’emporter, se faire violence. La tenancière avait la sensation de sombrer, de tomber dans un gouffre sans fin, sans limites aucune. La Chantauvent, avaient finis par accepter les larmes, alors qu’elle écoutait sagement les propos de son presque mari, presque seulement, car l’avenir venait à nouveau de s’écarter sous ses pieds.

- « Tu es trop modeste, sans toi il serait mort tout de même. Tu as étais plus efficace que la sauvage qui s’est jetée sur lui en le secouant » fit-elle dans cet étrange détachement.

La conversation ne lui importait peu finalement, comme pour chercher à se retenir de son propre choix, la dame était à la recherche de cette proximité, ce besoin d’être prisonnière alors qu’elle n’attendait qu’une chose, le moment propice pour fuir et s’engouffrer dans les faubourgs, en pleine nuit. Néanmoins, elle ferma les yeux lorsque les lèvres du milicien vinrent effleurer son front, prenant cette étrange inspiration. Ses doigts avaient dû s’enrouler sur sa chemise lorsqu’il s’était éloigné, comme pour le retenir, comme un appel silencieux d’un inconscient qui agonisait dans son cri. Pinçant ses lèvres, elle s’enroula simplement dans la couverture, immobile en le détaillant de ses grands yeux gris/bleu, cherchant à exprimer ce qu’elle ne parvenait pas à dire. Dans un geste second, elle était venue effleurer le bout de doigt sa propre gorge qui lui semblait nouée, se faire malaxer dans un étranglement violent. Offrant un nouveau sourire qui devait faire pale figure vis-à-vis de ceux qu’elle laissait parfois, elle se contenta de murmurer :

- « Je sais… », mais parfois certains voyages doit être fait seuls, se disait-elle « Les infusions, c’est une très bonne idée, t’ai-je déjà dit que tu étais l’homme parfait ? »

Une comédie, un personnage, un pantin, voilà ce qu’elle s’appliquait à être en tentant de donner le change, camoufler son choix, ne pas l’inquiéter. Ne l’abandonnait-elle pas à ses yeux, n’allait-elle aucunement en train de le trahir, non, elle devait juste dire adieu, pour mieux revenir. Clore un passé, pour mieux s’engager dans l’avenir, comprendre un mal, pour le transformer en bien. Eude était vivant. Dans un dernier regard un peu incertain, elle était montée à l’étage, abandonnant son cher te tendre naïf dans la cuisine. Estelle était terrifiée sans réellement se l’avouer et en ouvrant la porte pour détailler l’inconnu assoupi, elle eut cette étrange envie de l’étouffer. Peut-être que cela lui aurait permis de revenir en arrière, de ne rien découvrir, de ne pas être mise au courant. Revenir dans l’instant bien, savourer la présence de son fiancé rentrant, lui murmurer une multitude de propositions indélicate à l’oreille en servant les clients, s’abandonner dans ses bras au petit matin pour mieux savourer son départ et son retour du soir. Oui, tout aurait dû se dérouler ainsi, mais tout ça, c’était fini, à cause de lui. Refermant délicatement la porte, elle avisait ce bac d’eau au loin, ce bain qu’elle avait eu la chance de prendre jusqu’à s’y endormir, de ce moment d’apaisement, il ne restait là aussi plus la moindre trace. S’enroulant davantage dans la couverture, elle s’engouffra simplement dans leur chambre, détaillant l’intérieur comme si elle le redécouvrait, culpabilisant d’y avoir retiré la moindre trace d’Eude, merde, il était vivant, elle allait se marier, l’avait-elle de ce fait trahi ? Cette pensée reste un long moment dans son esprit, alors qu’elle était immobile sur le seuil de la porte, avant de réaliser sa stupidité, il était mort vivant, mais pas vraiment mort, ni même vraiment vivant. C’était différent.

Laissant ses doigts effleurer l’imposant bureau, elle en sortit une petite boîte, contenant une lettre dont si elle en connaissait le contenue, n’avait pas été rédigé de sa main, ne savait-elle ni franchement lire ni écrire, non. Était-ce son cadeau de mariage, un peu en avance, mais l’instant lui semblait bien choisi, le moment parfait pour le protéger, lui. Ouvrant les pans de son armoire, toujours emmitouflée dans sa couverture, elle écoutait ce qui se déroulait à l’étage inférieur, attentive. Ses doigts tremblaient, mais pas de froid, son cœur tambourinait, mais pas d’amour, elle était anxieuse, anxieuse de le faire souffrir avec cette certitude que c’était la bonne solution, le bon choix. Retirant sa tenue qu’elle laissa glisser le long de ses courbes pour être abandonné sur le sol, elle enfila un pantalon, des bottes et une chemise un peu plus épaisse, une tenue qui ne lui ressemblait aucunement. Sa chevelure fut remontée sagement en une queue de cheval haute, sans doute un peu mal faite, un peu brouillonne, avant qu’elle ne s’immobilise en entendant les pas de Merrick. Retenant son souffle l’espace d’un instant, elle se contenta d’une petit « mh,mh » discret lorsqu’il évoqua avoir déposé une infusion. Laissant l’ensemble ouvert, elle sanglota silencieusement, debout devant cette armoire impressionnante, alors que le coutilier semblait bien occupé à la tâche au vu des bruits qu’elle percevait. La rouquine ressentait ce besoin de hurler, de hurler sa peine, son mal, ses doutes, sa colère, mais rien ne sortait de ses lèvres qui tremblaient, les larmes inondaient ses joues encore et encore, alors que rageusement, elle jetait sur le sol l’ensemble des vêtements qui lui passaient sous les doigts. Combien de temps était-elle resté ainsi, à vider sa penderie, à crier sa peine en silence. Long, très long, puisque ce fut une nouvelle fois la voix de son homme d’armes qui l’a ramena à la réalité.


- « Tu as quoi ? » répondit-elle en s’essuyant les yeux nerveusement et en ramassant quelques affaires sur le sol pour engouffrer le tout à l’intérieur « Ah ? Oui, tu as bien fait, c’est une bonne idée. » elle l’écoutait d’une oreille peu attentive, l’esprit ailleurs « Oui, tu as raison… Demain, ça ne va pas ? Tu as des responsabilités désormais, non ? D’accord. » elle fit silence à l’évocation du bois, comme si elle aurait pu soudainement se retourner vers la porte, pour venir le secouer comme un pommier, comme si la colère qu’elle avait ressenti l’instant d’avant venait simplement de ce simple mot : bois. « Tu n’es pas obligé tu sais, on a encore de quoi tenir un peu et puis, c’est dangereux dehors… »

Prenant une intense respiration pour se donner du courage, fermant les portes de son placard un peu brusquement alors que tout tenait en équilibre à l’intérieur dans un miracle des Trois. Elle fit silence, encore, sans se retourner alors qu’il évoquer le clergé, qu’il lui proposait d’aller rencontrer un prêtre, ou une prêtresse. Elle sentit les larmes monter, violemment, mais ravala l’ensemble dans une force qui ne lui ressemblait pas. Se tournant elle lui offrit un sourire avant de rapidement s’approcher pour le capturer de ses bras, déposant sa tête contre son épaule et le serrant avec une force presque surprenante. Estelle respirait fort, comme lorsqu’elle était proche d’une crise d’angoisse, elle grelottait encore alors qu’elle était vêtue de vêtements secs.

- « Je t’aime » cela lui avait échappé, sans que cela ne sonne comme ce mot gorgé d’amour, à faire vomir les plus éloignés des romances agréables, non, cela sonnait plus comme un fait concret, comme une claque, comme un appel à l’aide qu’elle n’exprimait pas « Merci » souffla-t-elle simplement « J’ai quelque chose pour toi… » ajouta-t-elle en s’extirpant douloureusement de lui.

Estelle avait fait quelque pas pour récupérer la fameuse lettre bien fermé, elle la secoua devant lui, comme si elle espérait qu’il comprenne, ce qui n’était que très peu probable. S’approchant, ouvrant sa main de celle libre pour déposer l’ensemble, elle reprit la parole, relevant ses yeux pour plonger dans les siens :

- « C’est mon cadeau de mariage, je sais bien que c’est l’homme qui doit… Mais on n’a pas toujours respecté les principes… Alors c’est plus symbolique qu’autre chose, puisque en m’épousant tout ce que je possède d’appartiendra, mais…. » elle se pinça les lèvres « C’est le titre de propriété de la chope sucrée, à nos deux noms. Adrien n’a plus rien à voir là-dedans… » elle hésita, cherchant du bout des doigts ce buste qu’elle appréciait « J’ai dû jouer un peu de mes beaux yeux avec le clergé et les membres de la milice responsable du suivi, je dois bien te l’avouer, mais c’est tout ce qui a de plus légal.. Tu es donc le propriétaire de la chope sucrée, avec moi… »

Elle fit silence, cherchant à trouver une réaction sur son visage, cherchant à définir si cela lui faisait plaisir. Si elle lui donnait maintenant, c’était parce que son inconscient lui soufflait de le faire, comme une ultime perche déguisée, comme un sauvetage presque échoué, alors que dans un sens, là encore, elle le protégeait. Si il devait lui arriver quelque chose, Merrick aurait toujours un toit, en embauchant quelqu’un pourrait-il avoir une source d’argent supplémentaire, Estelle n’avait jamais pensé à elle, là aussi pensait-elle à lui, même si devrait-elle le faire en renonçant à son choix égoïste plutôt qu’en envisageant à demi-mot le pire.

- « Je voulais attendre le mariage, mais… j’ai besoin de me sentir vivant, là tout de suite et… j’avais besoin de te le donner… Tu ne m’en veux pas ? »

La tenancière était venue capturer ses lèvres, alors qu’une flopée de larmes envahissait encore ses joues, elle le serrait contre lui, cherchait à trouver un contact de leur bouche plus poussée, plus intime. C’était à la fois, joué sur la corde sensible de Merrick Lorren, sans pour autant jouer réellement, elle en avait besoin, réellement besoin, ressentir autre chose que ce vide qui s’emparait d’elle, qui l’attirait dans le doute, le désespoir et la peur, la tirait encore encore et encore sans jamais faiblir. Mettant fin cependant rapidement à l’ensemble de ses gestes, de cette pression physique qui ne lui ressemblait pas, de ses doigts défaisant essayer de retirer un tissu de trop, capturant ses lèvres, sa langue avec passion. Non, elle mit fin à l’ensemble presque brutalement, trop sans doute, sans pour autant abandonner ce contact physique, restant là, sanglotant encore sans trop parvenir à s’arrêter.

- « J’ai besoin de me sentir vivante » murmura-t-elle comme un supplice, un énième appel à l’aide « Mais, tu as raison… » tenta-t-elle de se reprendre en revenant déposé un baiser chaste sur sa bouche « Maintenant que l’eau est chaude… Il serait dommage de ne pas en profiter » fit-elle en laissant un doigt après l’autre remonter le torse de son amant « Je te propose de t’aider à retirer tout ça… » souffla-t-elle dans deux envies complètement contradictoires « De te laisser plonger dans la cuve… Pendant que je vais verrouiller la porte de l’établissement, au moins vérifié que tout est bien fermé… D’éteindre les bougies et de te rejoindre, tu es d’accord ? »

Dans le fond, elle ne lui laissait pas réellement le choix, s’écartant simplement pour prendre une gorgée de son infusion, elle était venue se coller à lui, l’embrasser de nouveau, savourer sa présence, son souffle, laisser ses doigts venir trouver ses mains pour l’entraîner dans le couloir, puis dans la salle d’eau, entrer avec lui, l’embrasser encore, savourant le contact de ses paumes sur le torse chaud du milicien avant de se détacher pour l’aviser.

- « Je t’abandonne peu de temps, promis… À peine que tu seras dans l’eau, que je serais déjà là… » souffla-t-elle en se reculant « Je ferme la porte pour pas que le froid rentre » annonça-t-elle en laissant sa tête disparaître vers la porte qu’elle fermait.

Sur la pointe des pieds, elle retourna dans la chambre, récupéra la chaise pour revenir tout aussi doucement, bloquer l’ensemble tout en s’exprimant en parlant un peu plus fort en s’éloignant.

- « Je fais vite, tu es déjà dans l’eau ? »

Elle avait dévalé les marches, récupéré son manteau le morceau de tissu si précieux à ses yeux et avait disparu dans l’obscurité de la nuit en laissant comme unique bruit derrière elle, la clochette qui teinta deux fois. Une fois lorsque la porte s’ouvrit et une autre fois lorsque la porte se referma dans cette lenteur presque détachée du temps et du moment présent. La crinière rousse disparue dans les ruelles de la ville, emportée par les monstres du passé, les yeux rougis et les larmes dégringolant le long de ses joues, prenant la direction de la sortie de la ville. Elle devait savoir. Eude était presque en vie.

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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyVen 3 Avr 2020 - 3:38
Dans quelques instants, Merrick Lorren s'en voudrait de n'être qu'un idiot, de ne pas avoir remarqué le drôle d'accoutrement de la Chantauvent, ainsi que la détresse qui la submergeait, véritable mer de tourment dans laquelle elle se noyait. Rentrant dans la chambre en étant toujours plus stupide, le coutilier ne remarqua aucunement la multitude de vêtements sur le sol, ou du moins, son nombre plus conséquent qu'habituellement. Il manqua cette occasion de faire lumière sur la noirceur qui déchirait l'âme et le cœur d'Estelle, tandis qu'elle s'évertuait à cacher ses peines au plus profond d'elle et son linge dans son armoire. Merrick était tellement obnubilé par la volonté de la croire sur parole, de laisser cette macabre découverte derrière eux, qu'il s'aveuglait de façon éhontée. Il agissait comme la mule faisant tourner la meule, répétant inlassablement la même action, celle de balancer des banalités sur la vie quotidienne, bien que la mort vienne pourtant de faire son apparition avec violence dans leur quotidien. Mais, il ne découvrirait cela que plus tard. Mai, il ne découvrirait probablement que trop tard...

L'avisant enfin, voyant son sourire empreint de chagrin, le milicien ne fit plus qu'un avec le silence, regardant sa partenaire. Cette dernière creva cette discussion qui ne menait à rien, ce dialogue de sourds, alors que l'un ne disait véritablement rien et que l'autre n'écoutait véritablement pas, en venant se perdre dans ses bras. Enserré avec force, même presque trop, Merrick ne dit rien, préférant encore souffrir de cette promiscuité que d'être malmené par son départ qu'il pensait somme toute avorté. La sentant instable et tremblante, bien que pourtant changée, l'ivrogne tenta de la calmer comme il le pouvait, déposant l'une de ses mains derrière sa tête, et l'autre dans son dos, la rapprochant encore plus de son corps et de son cœur. Qu'elle lui fasse mal, qu'elle l'étreigne jusqu'à lui couper le souffle si cela pouvait l'aider. Qu'elle fasse tout ce qu'elle voulait, tant et aussi longtemps que cela lui permettrait à elle de moins souffrir.

Goûtant la sonorité quasiment gutturale de la déclaration d'amour de la dame de Chantauvent, restant encore muet pendant un bref moment, Lorren finit par déposer ses lèvres au milieu de la crinière fauve encore humide de la jeune femme. "Je t'aime aussi, Estelle de Chantauvent". Cette déclaration, plus douce et sans diminutif sarcastique, tel que "Princesse", essayait d'être la plus réelle possible, la plus efficace possible pour cet homme préférant généralement se tenir loin de ses émotions et proche de la bouteille. Mais encore là, cela était en vain, sans qu'il ne le sache encore. "Je n'ai rien fait de spécial. Et puis ce que je propose, je le fais pour moi aussi. Je veux être là, avec toi, aujourd'hui comme demain. Je veux partager tes moments de peine et de joie, alors..." Se raclant la gorge de gêne, il tenta de clôturer cela mieux qu'il se savait en mesure de le faire. "Alors, ne me remercie pas simplement pour ça."

Sur cette entrefaite, la voyant lui parler d'un cadeau qu'elle voulait lui faire, il la laissa s'émanciper de ses bras et se diriger pour récupérer une lettre qui n'avait aucunement attiré son attention. De fait, ne sachant aucunement lire, le papier n'avait jamais été un détail attirant son œil. Et puis, à quoi bon ? Merrick connaissait le menu complet de la Chope Sucrée. Dès lors, il n'avait aucune nécessité de connaître l'art de la plume et des mots pour pouvoir savoir ce qu'il voulait commander, non ? Toujours est-il qu'il la regarda agiter cette lettre devant ses yeux, réellement intrigué par son contenu. L'écoutant lui expliquer ce qu'il en était, Lorren fut submergé par une vague d'amour et de tendresse. Enserrant plus doucement les feuillets qu'il avait dans les mains, comme s'il tenait un véritable trésor -ce qui était le cas-, il la laissa terminer, regardant tour à tour sa future femme et les papiers le désignant désormais lui aussi comme le propriétaire de la Chope Sucrée.

L'homme d'armes comprenait à quel point ce geste signifiait beaucoup. Pour la rouquine, la Chope Sucrée était tout ce qui lui restait de son passé qui lui manquait autant qu'il la déchirait. Encore plus aujourd'hui, avec les récentes découvertes. De fait, couvant son auberge comme son propre enfant, la femme qu'il aimait lui donnait son bien le plus précieux, devenant, pour le coup, le second élément le plus important aux yeux de Merrick. Soit juste après son amour pour la tenancière. Dans ses mains, il ne voyait que le futur, pensant qu'Estelle de Chantauvent venait de lui offrir leur avenir à deux, qu'elle délaissait Eude et son souvenir imprégnant la Chope pour lui laisser la place. Lorren était finalement trop stupide pour comprendre que ce qu'elle lui léguait n'était pas une preuve de renoncement à son passé, mais plutôt son testament, alors qu'elle fomentait la pire hérésie de sa vie, le risque d'une rencontre avec son défunt époux.

-"Estelle, je..." Que dire d'assez fort pour lui faire comprendre ? " C'est vrai que nous n'avons jamais vraiment respecté les principes. Navré." Dit-il, sachant pertinemment qu'il était l'engeance qui forçait la morale pieuse de sa partenaire à s'effacer au détriment de sa nonchalance et de ses désirs. "Mais cette fois-ci, j'en suis plus qu'heureux de notre tendance à faire fit des convenances et recevoir cela de plein gré plutôt que par les liens qui nous uniront." Poursuivit-il en levant la lettre qu'il tenait du bout des doigts, comme pour éviter de la salir. "C'est le plus beau cadeau que tu pouvais me faire, sachant à quelle point l'endroit compte pour toi." Entendre le nom de son frère, de celui qui était plus monstrueux que son ex-époux, le fit plisser les yeux, mais il préféra ne pas en parler. " Je suis l'homme le plus heureux de Marbrume." Puis, Merrick ria avec émotion lorsqu'elle mentionna qu'elle avait fait "jouer ses beaux yeux". "Personne ne peut leur résister. Et puis, même si tel était le cas, ton caractère et Brigitte suffiraient à faire changer d'avis n'importe qui, non ?" Continua-t-il avec un brin d'ironie. "Pourquoi t'en voudrais-je ? Tout ce qui compte, c'est la signification du geste. Qu'importe le moment, non ?" Poursuivit-il plus doucement, avant de terminer dans un simple murmure; " Qui l'aurait un jour cru; Merrick Lorren propriétaire d'une auberge avec Estelle de Chantauvent, et Estelle de Chantauvent, propriétaire du cœur de Merrick Lorren."

Leur sens déjà malmené fut cette fois-ci embrasé, dans la peine pour l'une et dans la tendresse pour l'autre, alors que leurs lèvres se retrouvaient, que leurs langues recommençaient un ballet leur étant propre, tandis que les mains du coutilier s'insinuaient facilement sous la chemise de la rousse, vêtement nettement plus facile à prendre d'assaut qu'une robe. Déjà, ses doigts parcouraient doucement son échine, et ses côtes. Il la pensait en quête d'une preuve qu'elle était vivante contrairement à Eude, et non que cela signifiait son au revoir, l'adieu qu'elle lui adressait. Encore un geste mal compris, encore un élément qui aurait dû lui faire réaliser qu'il allait peut-être la perdre à tout jamais. Suspendu dans ses gestes brutalement par la fuite de la Chantauvent, Lorren n'en démordit pas, se rapprochant de nouveau. Attrapant son visage doucement de ses mains, essuyant les sanglots de son pouce, ramassant les perles salines une à une comme s'il voulait les conserver à tout jamais, il hocha la tête à la suite des dires d'Estelle.

-" Tout ce que tu voudras."
Il était facile de lui promettre cela, bien heureux d'être l'individu qui serait là pour la faire se sentir vivante. Non pas qu'il profitait de la situation, sachant pertinemment que la jeune femme oscillait entre l'envie de vivre et les souvenirs de son passé, qui n'étaient plus si morts ni enterrés. Pour autant, il désirait ardemment être sa planche de salut, celui en mesure de la faire se raccrocher à la vie. Le tout s'enchaîna très vite sans qu'il n'ait besoin de contredire le moindre dire de sa partenaire. Oui, son plan lui semblait judicieux, prêt à se laisser déshabiller et rejoint dans la cuve. Dans l'ensemble de ses actions, des élans de tendresse se dessinaient, alors que leur lèvre se retrouvait bien souvent. Finalement, Estelle lui signifia qu'elle allait fermer la Chope, avant de remonter bien rapidement. Insouciamment, il acquiesça avec un bref sourire. "Je t'attends. Pas de problème pour la porte." Puis terminant d'enlever ce qui lui restait, il se glissa dans l'eau et répondit à la jeune femme "Oui !" Merrick Lorren ne savait pas que son assentiment avait peut-être fait sonner le glas sur l'existence d'Estelle de Chantauvent.

Plongeant la tête sous les flots, le coutilier manqua le résonnement révélateur de la clochette. Émergeant dans une gerbe d'eau, soufflant et s'appuyant au rebord du bassin, l'homme d'armes attendit tout d'abord tranquillement le retour de sa promise. Au bout d'un certain temps, il se demanda si tout allait bien pour cette dernière. Aucunement habité d'un mauvais pressentiment, l'ivrogne pensait simplement que la propriétaire des lieux pouvait s'être arrêtée quelques parts pour une quelconque raison, ou bien que le chagrin l'avait rattrapé. "Estelle ?" Cria-t-il, histoire de se rasséréner. N'entendant aucune réponse, il fronça les sourcils et sortit de la cuve dans son plus simple appareil. Sans passer une serviette autour de sa taille, il se dirigea vers la porte, ayant pour objectif de l'ouvrir et de recommencer son appel. Or, en posant sa main sur la poignée et la faisant tourné, il fut interloqué de voir la porte ne pas bouger. Recommençant tout aussi infructueusement, Lorren eu enfin un frisson qui lui couru le long de l'échine. Se pouvait-il que... non, impossible ! Elle lui avait dit qu'elle ne partirait pas...non ?

-"Estelle ! Par pitié... Par pitié, tout sauf ça. ESTELLE !" continua-t-il en secouant vainement la porte. Paniqué se mettant à frapper la porte de son épaule, prenant toujours plus d'élan, il finit par réussir à l'ouvrir, la faisant sortir de ses gonds au passage et lui faisant ressentir un élancement à l'épaule. Voyant la chaise disloquée qui l'avait retenu prisonnier, ainsi que le silence révélateur, Merrick Lorren fut pris d'une sourde frayeur. "Non,non,non,non...".

Le lâche avait toujours cru que la peur était le pire des maux. Il avait raison, lui qui avait abandonné la vie de sa famille au profit de son abjecte survie. Aujourd'hui, sa vision des choses n'avait aucunement changé; la terreur restait sa pire ennemie, fidèle maîtresse de sa conscience, vile traîtresse de son existence. Pour autant, tout n'était plus à l'identique. Désormais, la frayeur l'embrassait certes à bras le corps, mais non plus pour sa personne, mais plutôt pour sa promise. Cette dernière était en danger et il ne l'abandonnerait pas. Pas elle. Pas cette fois. Pas encore. Du moins, c'est ce qu'il se forçait à croire..."Pourquoi ?!" sa voix déchira le calme mortuaire de la place et se fêla sous la hargne.

Toujours est-il que son esprit était torturé par la décision de la rouquine. Comment avait-elle osé jouer sur ses sentiments pour s'enfuir, pour partir en quête du monstre qui avait été son époux ? "Ne suis-je rien ?!" Cria-t-il pour un public absent, faiblissant sous le contrecoup de la tristesse. Elle s'était jouée de lui, déchirant son cœur en lui mentant et crachant sur ce qu'il croyait les unir. Quel idiot il avait été. Elle lui avait même présenté un "cadeau de mariage", affirmant qu'il deviendrait propriétaire de la Chope Sucrée ! lui avait-elle menti, sachant qu'il ne savait pas lire ? S'était-elle amusée à endormir sa conscience et à gagner sa confiance ? Probablement, elle qui avait tablé sur sa faiblesse et son désir insatiable d'ébats charnels... Estelle le connaissait trop bien. Elle en avait profité, faisant fi de ce qu'il ressentait, croyait-il. Après tout, cela lui semblait logique, alors que Merrick continuait à s'estimer comme un moins que rien, ou du moins, nettement inférieur à cet Eude qui bien que mort continuait à régir et diriger les aléas de l'âme d'Estelle.

-"Saloperie !" cette rage le vivifiait, tandis qu'il savait que le voyage de la rouquine s'annonçait n'être qu'un aller simple. Ne le voyait-elle donc pas ? Ou pire, le savait-elle, mais l'acceptait-elle, préférant son ancien époux et la mort plutôt que son nouveau promis et la vie ? En rage et en peine, Lorren resta interdit et indécis durant quelques instants. Ses mains se crispèrent, tandis que ses jointures devinrent blanches. Sa lèvre inférieure, mordue avec force, laissa couler une infime perle de sang. Ce n'était point très important, tandis que sa bouche était déjà empreinte du goût du fer. Qu'importe ce que voulait la dame de Chantauvent. L'homme d'armes ferait le bon choix pour elle, ne lui laissant plus la chance de s'enfoncer encore et toujours plus dans le supplice et le vice de vouloir rencontrer ce fangeux. Elle ne réalisait pas l'hérésie de son action ? Très bien. Il serait le félon qui l'entraverait et la contiendrait, l'acculant au détriment de ses choix empreints de folie. Il ne lui laisserait pas la moindre chance de rentrer en contact avec le monstre. Du moins, s'il n'était pas trop tard et s'il avait vraiment encore le temps d'agir...

En effet, maintenant que le pire était survenu, que la vie de celle qui venait de l'abandonner était en jeu, enjeux d'une rixe sentimentale entre lui et une bête, qu'elle serait son coup, son offensive pour tenter de triompher et de la sauver ? Il ne le savait pas encore, mais il avait conscience qu'à rester fixe et sur place, il perdrait sans même avoir la chance de porter sa première attaque. Du moins, il lui fallait encore croire et tenter de concevoir que la victoire était encore à sa portée, bien qu'il doutait horriblement. Ainsi, c'est face à cette peur et ce nouveau désespoir de ne pouvoir agir que trop tard que Merrick Lorren apprit que l'espoir serait la plus grande des forces humaines si le désespoir n'existait pas.

Secouant la tête pour oblitérer ses pensées qui avaient traversé son esprit en quelques instants seulement, le coutilier se décida enfin à agir. Non, il ne l'abandonnerait pas, bien qu'elle ait décidé de l'abandonner lui. Se dirigeant vers la chambre en courant, passant une chemise en vitesse et un pantalon, il récupéra son baudrier, sa courte lame ,son arc ainsi que son carquois. Dans l'obscurité de la nuit, peut-être que l'arme serait inefficace. Toutefois, s'il arrivait sur les lieux du futur crime au dernier instant, peut-être pourrait-il tirer un trait pour ralentir la vile créature. Enfilant son équipement en ressortant de la pièce, Lorren chuta dans l'escalier, tomant de quelques marches avant de sauter au premier étage. Les genoux écorchés par sa chute, il oblitéra rapidement de son esprit ce premier échec. Ce n'était guère important. Attrapant sa lourde cape, encore mouillé de la journée, il l'enfila et partit sous la pluie ventre à terre en direction de la porte du Crépuscule. Il était plus rapide, plus vif que la dame de Chantauvent. Mais, avait-elle beaucoup d'avance sur lui ?

Avait-elle trop d'avance sur lui ?

◈◈◈
Sous la tempête qui faisait rage, les miliciens en faction à la porte du Crépuscule se cachaient sous la guérite, tentant de se cacher d'une pluie qui tombait en biseau sous les rafales du vent. C'était un temps horrible, un temps à ne pas mettre un pied dehors. Ça, presque tout le monde l'avait compris, tandis que personne ne se présentait à la porte à cette heure avancée de la nuit. Du moins, jusqu'à cet instant. "Stop maint'nant, crétin !" Cracha un milicien en soupirant en voyant une ombre se dessiner. Prenant Estelle de Chantauvent pour un homme, à cause de sa tenue, il la traitait avec flegme et désintéressement. Désigné pour s'approcher, le lascar se glissa sous la pluie en grommelant et réajustant le col de son manteau, s'approchant de la tenancière "Qu'voulez-vous foutre dehors à c't'heure ?" Plissant les yeux puis crachant au sol, sa moue se transforma lorsqu'il remarqua les traits efféminés de son homologue. "Vous allez r'trouvez un client mam'zelle ?" Se corrigea-t-il en passant ses pousses dans sa ceinture et en bombant le torse. "P'têtre que vous pourriez, faire un p'tit détour avec moi ? Juste là dans c'te ruelle... je s'rais rapide et vous s'rez même pas en retard... d'l'argent facile, non ?" continua-t-il en se pourléchant les lèvres.

Le milicien prenait Estelle de Chantauvent pour une belle-de-nuit. Son raisonnement n'était pas stupide. Après tout, quelle femme se risquerait dehors sous ce temps ? Qui plus est, même la plupart des catins ne s'y risqueraient point en ce jour. À moins d'être réellement dans le besoin. Chose que l'homme d'armes croyait être le cas pour la rousse qui lui faisait face. Ainsi, sa proposition indécente visait à tabler sur le manque d'argent de celle sur qui il se trompait. "J'mords pas, et si vous non plus, y'a moyen de s'entendre. Par contre, décidez-vous vite, faudrait pas qu'mon chef nous voie !"Termina-t-il dans un sourire lubrique.

◈◈◈

Déboulant devant la porte du Crépuscule en ahanant sous l'effort, le coutilier ne vit aucune trace de sa promise. Était-elle déjà passée de l'autre côté, vers les faubourgs ? "Estelle, Estelle !" Aucune réponse...

-" 'Tain, un autre ? Bordel...!" Sans plus attendre, Merrick Lorren se dirigea au pas de course vers la guérite et le milicien au ton morne. Qu'allait-il lui apprendre ? Est-ce que la dame de Chantauvent était passée par là ? Il était mieux de parler vite...

Il entendait le sang battre à ses tempes, tandis que son cœur qui haïssait la guerre par peur battait soudain pour le combat et la bataille qui risquait de survenir...
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Estelle LorrenAubergiste
Estelle Lorren



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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyVen 3 Avr 2020 - 11:21


- « Je n’aurais jamais agressé un prêtre » fit-elle en écarquillant légèrement les yeux « Les poivrots dans ton genre peut-être » le taquina-t-elle en oubliant l’espace d’un instant ses sombres projets « Mais un membre respectable du clergé, jamais. » Elle lui offrit ce triste sourire, alors que son cœur s’était mis à battre avec force dans sa poitrine « Pour ton cœur, personne, mais pour le fait que tu sois propriétaire…. Moi. Tu es un homme bon Merrick Lorren, sincère… Si seulement tu pouvais te voir comme je te vois moi » elle lui offrit un sourire tendre « Tu ne l’oublieras pas cette lettre hein, c’est important Merrick. Tout ce qui est ici est à toi, juste à toi à personne d’autre.»

Un murmure, un simple murmure alors qu’à cet instant précis elle prenait sans doute conscience de la douleur qu’il allait vivre, mais aussi de son infériorité si présente à ses yeux face à celui qui avançait qui progressait chaque jour. Merrick Lorren était un coureur de jupons, qui avait fini par rester à ses côtés –peut-être avait-il de nombreuses conquêtes à côté, mais pour l’heure elle n’en avait ni connaissance ni certitude, ni même quoi que ce soit-, l’ancien milicien était devenu coutilier et gérait une troupe, il n’était plus si peureux que ça et se positionnait régulièrement comme un homme sur lequel elle pouvait se reposer. Estelle n’était rien de tout ça, chaque fois qu’elle réalisait un pas en avant, faisait-elle trois à six pas en arrière, cette soirée venait encore de le prouver. Prenant une légère inspiration la culpabilité avait fini par l’envahir si fortement que les larmes avaient coulés le long de ses joues alors qu’elle s’engouffrait dans ses bras, alors qu’elle succombait à un besoin primaire de réconfort, d’appel à l’aide. Merrick était aveugle, sentait-elle cette rancœur émerger alors qu’elle avait la sensation de lui hurler au visage de cette manière silencieuse l’acte ignoble qu’elle allait réaliser. Pourtant ses nombreux signaux ne furent pas récupérés ni effleurés du bout des doigts. Son cœur se serrait dans sa poitrine, alors qu’elle sentait les doigts qui l’enivraient parcourir sa peau, alors qu’elle avait cette envie de s’abandonner de lui prouver son amour, de lui prouver qu’il était le seul et l’unique.

Hélas, Eude était là et maintenant tout était différent. Cela ne changeait rien à son amour ni à ses lèvres capturant sa bouche, ni à a sa langue dansant cette danse connue avec la sienne, ni à ce bas ventre qui se tortillait de désir malgré les circonstances… Mais c’était différent, parce que l’homme qu’elle avait cru coupable de l’avoir abandonné ne l’avait peut-être pas fait de sa volonté, parce qu’il était là et qu’elle avait enfin la possibilité de lui dire au revoir, dignement, pour abandonner définitivement son passé. Le pensait-elle naïvement, parce qu’elle avait ce besoin de le revoir, une dernière fois, une toute petite et minuscule dernière fois. Égoïste pour la première fois de son existence, n’avait-elle cependant nullement conscience de la souffrance qu’elle provoquerait dans le cœur de Merrick Lorren.

Les échanges furent tendres et pressants à la fois, rien de doux comme leur moment pouvait l’être généralement, non, c’était plus passionnel, plus sauvage, tout du moins de son côté, alors que les nombreux baisers lui offraient cette sensation de manquer d’air, parfois. Cependant, elle ne pouvait renoncer à son idée, a ce murmure qui n’avait de cesse de lui susurrer un prénom, elle devait savoir, c’était son histoire, son besoin, à elle, uniquement elle. Alors la belle rousse s’était détachée, pour l’entraîner dans la salle d’eau, puis pour l’abandonner avec cette boule dans le ventre qui n’avait plus rien du désir, de l’envie, ou de la passion. La Chantauvent l’avait regardé une dernière fois, mémorisant les traits de son visage, mémorisant sa silhouette qu’elle connaissait déjà sur le bout des doigts. Si il y avait d’une chose dont elle était convaincue à cet instant précis, c’est qu’elle l’aimait, elle l’aimait d’une force sans précédent et c’était bien pour cette unique raison qu’elle se devait de faire un trait définitif sur ce passé encore trop présent.
La porte fut bloquée, un manteau fut porté et celle qui n’avait rien d’une belle-de-nuit, hormis l’apparence furtive d’un instant, disparue dans l’obscurité de la nuit, de la pluie, laissant derrière elle tinter la clochette du désespoir.

Estelle ne sortait pas lorsque l’obscurité venait à poindre, avait-elle toujours eu trop de choses à faire et accessoirement un établissement à faire tourner. Aussi ignorait-elle, même si en soi, la situation était plus que logique, que les grandes portes de la ville allaient être fermées. Alors qu’elle se précipitait le soufflet court, le corps déjà alternant entre froideur et chaleur, elle ne put que s’immobiliser avec déception en arrivant devant les grandes portes du crépuscule. Fermé. Ses lèvres s’étaient pincées, se déformant dans une grimace de colère mélangée à de la tristesse, son cœur avait dû louper un battement désagréable, alors qu’elle s’approchait dans une lenteur presque inhumaine, déposant ses mains sur les imposantes portes, puis sur les grilles qui se trouvaient justes devant. Les portes étaient fermées. Elle sentit un frisson glacé remonter sa colonne vertébrale, alors que l’ensemble de ses espoirs venaient de s’envoler, alors que les perles salées dévalaient de nouveau de ses prunelles grises pour s’évader le long de ses joues, de son nez, d’effleurer ses lèvres. En aurait-elle presque oublié la présence des gardes, si une voix masculine n’était pas venue la faire sursauter, la ramenant dans la réalité et la faisant percevoir un nouvel espoir, naïf espoir.

Pivotant vers lui, elle s’immobilisa devant l’autre du milicien, comprenant rapidement qu’elle était prise pour un homme, elle qui en avait la tenue. Aurait-elle dû être honteuse de se présenter ainsi devant un homme représentant le Roi, mais sa priorité et ses inquiétudes étaient bien loin de ce type de préoccupations sur le moment présent, écartant les lèvres pour laisser un souffle chaud s’y échapper prête à le saluer pour lui expliquer la situation, elle comprit néanmoins rapidement qu’une nouvelle problématique allait s’imposer à elle. Reculant d’un premier pas méfiant a son crachat et son interrogation, la Chantauvent se sentit cette fois-ci rougir de honte, alors que l’homme d’armes la prenait pour une fleur de trottoir. Reculant encore, plaçant ses mains devant-elle, secouant l’ensemble négativement elle ne put que la balbutier sa première phrase :


- « Je… Non… Je ne suis pas… »

L’homme s’était approché, proposant d’aller dans la petite ruelle, où la rousse ne put s’empêcher de jeter un regard, sombre, étroit, non fréquenté à cause de l’obscurité. Cette fois-ci la réalité la frappa alors qu’elle reculait une nouvelle fois, lançant un regard derrière elle, tout en soulignant la silhouette masculine qui lui faisait face, se lécher les lèvres et maintenait sa ceinture pour se faire plus imposant qu’il ne l’était. L’était-il pour autant déjà beaucoup plus que la jeune femme, qui réalisa que dans la précipitation, elle était sortie : sans Brigitte, sans couteau, sans dague, sans la moindre arme… Prise aux dépourvues, choquée et comme tétanie par les mots, la rousse était incapable de prononcer quoi que ce soit, pire, elle sentait son cœur battre si fort qu’elle avait la sensation qu’elle allait défaillir. Celui qui lui faisait face devait prendre son silence pour une acceptation, alors qu’il s’approchait encore et qu’elle reculait encore, lui proposant de s’arranger sans morsure évidente. L’unique chose que la tenancière parvint à articuler, fut cette menace presque innocente :

- « Navré j’ai tendance à mordre très fort et je ne suis pas… »
- « Les sauvages, ça m’plait aussi. »

Une main s’était posée sur son épaule et cette fois-ci, celle qui ne pouvait revivre un souvenir profondément enfoui fit l’unique chose qu’elle était capable de faire, l’attraper par les épaules, plier le genou pour venir offrir un coup violent dans l’entrejambe de celui qui semblait avoir les bourses bien trop pleines à ce moment présent. L’homme l’a relâcha un instant, s’éloignant une main sur son précieux entrejambe, avant de jurer, la rouquine avait reculé, prête à fuir, mais ce fut une gifle qui l’a fit s’écrouler au sol, faisant immédiatement rougir sa joue alors qu’elle sentait cette fois-ci des doigts empoigner sa crinière pour la traîner dans la fameuse ruelle. Tétanisé une nouvelle fois, sonnée par le geste, tremblant de cette peur inhumaine, elle ne parvenait pas à se débattre, pas à hurler, pas à crier, non rien ne s’échappait de ses lèvres, seuls ses yeux s’humidifiaient une nouvelle fois, inondant ce visage, alors qu’une pluie d’insulte venait recouvrir son esprit. Elle fut projetée contre un mur, sonné une nouvelle fois, alors que ses paumes tentaient de repousser un assaillant bien plus fort qu’elle physique et sans doute mentalement à cet instant. Gesticulait-elle en tous sens, suppliant, pleurant, expliquant, tentant néanmoins :

- « Je suis la future femme de Merrick Lorren » articula-t-elle entre deux sanglots alors que ses bras se retrouvaient immobilisés au-dessus de sa tête avec une force ou elle était incapable de lutter, alors qu’elle percevait une ceinture se défaire « Il ne va pas… Vous entendez!! »
- « Et moi j’suis l’amant de la Reine» ricana l’homme « T’prendra autant de plaisir que moi ma jolie, allons, soit gentille, tu m’as fait atrocement mal… Tu dois bien me payer les réparations de mes couilles… »

Non… Elle sentit le pantalon tomber, les doigts s’insérer sur sa peau humide inonder par la pluie, le stress, la sueur de peur, alors que des lèvres s’approchaient de son oreille pour l’inciter à ne pas crier, ne pas luter, sans quoi, un corps en pleine nuit pourrait rapidement disparaître derrière les remparts. Sa gorge se noua, alors qu’elle tentait aussi bien que possible, alors que la tissu recouvrant sa peau se relevait vers cette poitrine qui se faisait déjà entreprendre de manière violente, alors qu’elle pleurait, encore et encore et encore, jusqu’à ce qu’une nouvelle fois fit son apparition, jusqu’à une quatrième voix fit son apparition : Merrick.

- « Putain, mais qu’est-ce que… » grommela celui qui revenait de sa pause

Profitant de l’instant c’est un véritable coup de tête digne des plus grands qu’Estelle offrit à son agresseur, qui la lâcha immédiatement pour se maintenir le nez, jurant, la laissant glisser sur le sol. Rampant comme la pauvre chose qu’elle était à cet instant, remontant, descendant les tissus pour recouvrir sa peau… En larme, elle tenta de fuir, oui, stupidement, avant de sentir un pied se déposer sur son dos, l’écrasant de tout son poids, pour l’immobiliser.


- « Bordel de merde, tu ne peux pas rester seul sans faire de connerie » fit toujours ce deuxième qui l’empêchait de respirer sans doute involontairement « Agression sur la milice ma bonne dame, ça va coûter ch… » détaillant cette chevelure rousse, ce visage désormais défiguré par la pluie, la boue des pavés de la ruelle, les yeux du milicien plus futé que le premier s’écarquillèrent.

Il l’a retourné, l’agrippa brusquement au niveau de l’épaule pour la relever, alors que celle qui était soudainement épuisée ne parvenait que faiblement à se débattre. Ce fut le nouveau cri de cette fois familière, ce nouvel appel qui provoqua la rapidité de l’action.

- « Merde, merde, merde, espèce de gros con, c’est la Chantauvent ! » grogna-t-il « Ferme ta gueule toi » ordonna-t-il en direction de la rousse « Agression sur la milice, tentative de fuite et de meurtre ma bonne dame, c’est le cachot. »
- « Que…quoi… » parvint-elle enfin à exprimer, tremblotante
- « Démerde toi avec Merrick t’entend, invente ce que tu veux, gagne du temps, j’vais la foutre en geôle, dis-lui qu’elle était hystérique ou n’importe quoi, qu’elle t’a agressé, a voulu passer comme une folle les portes, n’importe quoi, t’entends ?! »

L’homme opina simplement, brusquement, se redressant le nez toujours en sang, légèrement dilué par la pluie. Estelle fut embarqué, traîné de force alors que ses lèvres tremblantes encore tentaient de murmurer un prénom, des excuses, convaincu que cette nuit, elle ne rêverait, ni Eude, ni Merrick Lorren.

◈◈◈

Essuyant son visage pour avoir l’air un peu plus fier, Bernard, dont l’œil droit commençait à virer au noir, dont le nez ruisselait encore du liquide pourpre attendait, attendait avec la certitude que Merrick n’allait pas trop tarder à arriver. Néanmoins, ce fut un peu plus long que prévu, si bien qu’il fut presque surpris de le voir débouler, grommelant un encore qui ne laissait aucun doute. Sortant de son minuscule abri qui lui permettait d’éviter la pluie, il détaillait celui qui semblait étouffer. Faisant mine de ne pas savoir grand-chose, passant une main derrière sa nuque, il reprit le plus sereinement du monde.

- « Halte là, ce n’est pas la journée mon gars, on ne passe pas, on ne sort pas, c’quoi ce soir, la pleine nuit. Deux en pleine nuit, non pas, franchement, la journée c’presque plus calme » il détailla celui qu’il reconnaissait évidemment, mais préféra jouer la carte de la stupidité, ce qui n’était pas loin de la vérité « On va décliner sagement son identité hein… Sinon je t’embarque, deux agressions en une soirée, ça va bien, déjà que l’autre traîné m’a pété le nez. »

Comme pour attester ses dires, il vient se frotter le milieu de son visage qui saigne encore, vient attraper Merrick avec force pour le plaquer contre le mur de la ville histoire de le fouiller, fallait-il bien admettre que cet acte-là était plus un plaisir personnel qu’autre chose… Avoir manqué de s’immiscer dans sa femme et là le ridiculiser en le fouillant, avoir le dessus sur celui qui n’avait pas su protéger et maintenir sa catin d’épouse à la maison… Jouissif, sans aucun doute. Il retira l’arc, l’épée.

- « Dis donc c’est qu’il est bien armé pour une p’tite sortie chez les putes le gaillard» enchaîna-t-il « Ca va s'retrouver au cachot tout ça, on ne sort pas en pleine nuit comme ça, aussi dangereusement vêtu mon gars… » bon là il s’emportait un peu fallait-il bien l’admettre, mais c’était tellement bon de ridiculiser un coutilier qui ne méritait même pas de l’être « C’comme la rouquine là hein, hop, alors fais pas le con toi, agresser un homme d’armes en fonction, ça n’a rien de bon. » railla-t-il dans un rire sordide « Bon, alors, ton nom, s’que tu viens foutre dehors et une bonne raison de pas t’enfermer parce que franchement ce soir, c’pas ma soirée et que si je pouvais éviter de devoir encore gérer un danger, ça serait pas mal. »

Cette fois, il retrouvait la raison, alors qu’il le relâchait légèrement, il avait le plan en tête, fallait-il maintenant la jouer fine.

- « Non c’pas que je veux me plaindre hein, mais des nanas comme ça bordel, j’ai jamais vu, on aurait dit une fangeuse, une folle, j’plein bien son mari franchement, quoi qu’elle ne doit pas en avoir, faudrait être inconscient » enchaîna-t-il « Ta vue mon pif mon gars… Ta vue mon œil, elle m’a menacé, m’a frappé, elle m’a même tué mes bijoux de famille Eh, si ça c’pas ce qu’on a de plus précieux, tout ça pourquoi ? Sortir… Sortir en pleine nuit ! Je n’ai jamais vu ça… On a du s’mettre à deux pour la calmer, hop dans les geôles pour la nuit, qu’elle se calme, c’est qu’elle a tenté de me tuer… J’ai cru que j’allais y rester… Alors toi, hein, s'teplait… Soit pas con… Une part nuit, ça suffit. »

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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyVen 3 Avr 2020 - 22:09
-"Estelle, Estelle !"

Aucune trace de la dame de Chantauvent. Tentant de reprendre son souffle en avisant la porte du Crépuscule fermé, Merrick Lorren continua à avancer, sachant pertinemment qu'il pourrait trouver plus de réponses en questionnant les hommes d'armes en faction. Ceux-ci seraient en mesure de lui dire si la jeune femme était passée, s'ils lui avaient laissé l'occasion d'aller mourir au-devant de la fange. Entendant la voix d'un milicien qui se dirigeait vers lui, l'ivrogne avança, avalant les derniers mètres qui les séparaient au pas de course. Encore trop épuisé par sa cavalcade effrénée, comme s'il avait eu la fange sur ses talons plutôt qu'au-devant de la Chantauvent, le coutilier n'arrivait pas encore à parler et se faire entendre convenablement. "Je...je sui..." Par erreur, il crut qu'il n'avait pas été entendu, pas assez rapide pour gorger ses poumons d'air et parler clairement.

Dès lors, la réaction plus violente du sous-fifre qui le poussa contre le mur ne le surprit guère. Pour autant, cela lui occasionna une vive colère, réfréné par ses élans de couardise qui le minait depuis le début de son existence. Par la Trinité, il perdait du temps ! Repoussé contre la pierre, perdant ses armes et écoutant déblatérer l'insipide milicien, Lorren en profita pour regagner un peu de fierté. S'il avait bien compris entre les lignes des racontars de cette enflure, Estelle n'était pas sortie de la cité, mais plutôt partie en direction des geôles. Autant que l'idée le révulsait et le torturait, celle-ci était plus en sécurité qu'à l'extérieur de la cité. Mais que lui disait-il ? Qu'elle avait fait preuve d'agressivité à l'encontre d'un milicien ? En un sens, il était prêt à le croire. Après tout, celle-ci avait été plutôt violente avec le presque-mort qui dormait désormais à la Chope Sucrée. Pour autant, quelque chose clochait. Le visage tuméfié et le nez sanguinolent de Bernard n'allaient pas. La rouquine n'était pas assez brutale pour frapper ainsi. En outre, un homme entraîné à la rixe et à ses risques ne pouvait perdre aussi simplement, non ?

Par ailleurs, la blessure semblait trop large, tandis que le dessous des yeux de son homologue se marbrait déjà de mauve à cause du choc. Ainsi, ce n'était pas la main ou le poing de sa future épouse qui l'avait marqué. Mais quoi ? Sa...tête ? Impossible. Elle était trop petite pour pouvoir le frapper au visage. À moins que... à moins que le crevard soit penché ou au-dessus d'elle.

Lui-même étant un membre de la milice et ayant été un simple soldat, il connaissait bien évidemment l'existence de cette ruelle ou la perdition des hommes en faction s'effectuait à la nuit tombée. Dès lors, il avait un mauvais pressentiment sur ce qui était arrivé. Glissant un regard dans cette dernière, sondant les ombres de l'endroit, il fut heureux de ne discerner aucun mouvement. "Ta fini maintenant ?" Commença-t-il avec rage. "Agresser un homme en faction ça n'a peut-être rien de bon, mais agresser un coutilier, c'est cent fois pire, raclure." Bombant le torse, se passant une main dans la chevelure, le jeune homme poursuivit. "Merrick Lorren, coutilier." Se présenta-t-il.

-"Ah... j'pouvais pas savoir, hein ? Pardon." Lui répondit son homologue en récupérant ses armes et en les lui tendant, tentant un maigre sourire. "Vous appeliez une femme, vous cherchiez la rousse ? Elle est partie vers les geôles, elle a perdu un peu la tête, j'pense. Elle racontait n'importe quoi, ça n'avait pas de sens, un vrai charabia !" promulgua-t-il, tentant de se dédouaner si Estelle se mettait à parler par la suite. Ainsi, il espérait que l'ivrogne ne la croirait pas si elle se mettait à parler d'une tentative de viol.

-"Êtes-vous toujours autant un tel incapable ?"
-" Que..."

-"Vous désarmez un coutilier, vous faites arranger le portrait par une femme et vous semblez maintenant sourd. Seriez-vous stupide en plus d'être un incapable ? Je vais vous reposer la question, et je m'attends à une réponse, maintenant." Le fiel et l'acrimonie de ses dires se percevaient à son ton hargneux. "Êtes-vous toujours aussi médiocre, milicien ?" Lorren avait détaché chaque syllabe, chaque mot comme s'il parlait à un idiot. Serrant de la mâchoire, plissant des yeux de colère, mais se contrôlant, Bernard ne fit que secouer la tête à titre de réponse. "Bon..." Regardant vers le sol, le jeune homme releva vivement le visage et envoya son point en direction du nez déjà malmené de sa cible. Ce dernier, sentant le danger arrivé, eut le temps de reculer d'un pas pour esquiver habilement l'agression.

-"Vous... vous foutez quoi ?!"
-"Alors vous êtes capable d'éviter l'attaque d'un homme entraîné, mais pas d'une femme ?!" S'approchant au plus près de la trogne de son vis-à-vis, Merrick plongea son regard dans les yeux de celui qu'il estimait avoir commis l'irréparable. " Elle n’arriverait même pas à atteindre votre visage. Qu'avez-vous fait, salopard ?"

Peut-être était-ce la lueur craintive dans les yeux de l'ivrogne qui donna trop de confiance à Bernard. Regardant sur sa droite et sur sa gauche, s'assurant que personne n'était à portée d'oreille, il sourit de voir qu'ils étaient seuls et que le reste de sa coutelerie se trouvait encore dans la guérite. En outre, suite à l'offensive du coutilier, il était convaincu de pouvoir esquiver le reste de ses frappes. Le gradé n'était pas de taille, alors il pouvait bien parler un peu, juste un peu, non ? Ça serait sa parole et celle de son camarade contre celle d'une femme à la chevelure digne d'une sorcière... "J'savais pas que c'tait elle. Mais avoir su, je lui aurais fait la même proposition. Elle est toujours fougueuse comme ça avec vous ? J'en bave d'envie encore. P't'être qu'elle reviendra demain, hein ? Pour retrouver un vrai homme..."

L'esprit de Merrick Lorren vrilla, chutant dans une mer d'amère colère. Cet énergumène était la preuve que l'humain était un monstre aussi immonde que la fange. L'homme d'armes voulait réparation, désirant vengeance au nom de la rouquine. Mais, là, entre l'envie et la peur du combat, il doutait de pouvoir triompher. Aucunement une fine lame, meilleure à la bravade qu'à être brave, le coutilier hésitait. Bernard était un lascar qui semblait être en mesure de prendre des coups et d'en donner. D'ailleurs, s'il le voulait, il pourrait probablement simplement éviter les coups du coutilier en se gaussant, sans risquer d'être traîné dans la boue pour insubordination. Pour autant et pourtant, l'ivrogne ne le laisserait pas s'en tirer. Agrippant, sa dague et la tirant de son fourreau, très lentement, et continuant à fixer Bernard, Merrick attendit une réaction de son vis-à-vis devenu opposant.

-"Eh, vous voulez m'couper ?" Demanda-t-il en souriant, sortant lui aussi sa courte lame, probablement plus pour dévier les attaques que pour en porter une. Se défendre et se moquer de l'incapable, sans entreprendre le risque d'attaquer un gradé.

-"Vous couper, vous ? Pas le moins du monde." Retourna sa propre arme, Lorren se balafra la joue jusqu'à ce que son sang coule, laissant son regard vrillé dans les yeux de son ennemi. Se rendait-il compte qu'au travers de ses iris délavés, ou l'on voyait la peur ou la tendance à l'ivresse, se cachait aussi une véritable folie, écrite dans le sang de ses proches et la mort du Chaudron ? "Que faites-vous ?! Garde, GARDE !" Se mit-il à crier, en rangea son arme et en se laissant tomber aux pieds de Bernard.

-"Que..."
-"Que se passe-t-il ici, bon sang ?!"

Merrick Lorren avait eu raison. Bernard n’était peut-être point un incapable, mais il était bel et bien un idiot, manipulé par l'ivrogne qui aurait sa vengeance pour lui, mais surtout pour elle. "Il... m'a agressé !" Le milicien avait sa lame au clair et un inconnu au sol avec du sang sur le visage devant lui. Le bourreau était tout trouvé et la victime toute désignée.

-"Coutilier, ce n'est pas..."

Plissant les yeux pour bien voir le nouvel arrivant, Merrick eut la chance de reconnaître son homologue. Après tout, le nombre de personnes occupant leur rang était un peu plus réduit que celui de simple troupier. En outre, les deux hommes s'étaient salués au changement d'affectation, tandis qu'il quittait la surveillance du lieu au profit de l'autre coutelerie pour la nuit. "Coutilier Alder." Le coupa Lorren en se remettant debout. "C'est moi, Merrick Lorren."

-"Vous foutez quoi ici ? On vous a relevé il y a déjà un bon moment. Que s'est-il passé ?"
-"Je n'ai ri..."
-"Ta gueule, Bernard. Je parle au coutilier Lorren. Bordel, il t'es arrivé quoi au visage ? "

Se relevant et s'approchant du gradé en faisant comme s'il évitait son "agresseur", le jeune homme continua à dresser sa mascarade, rapportant l'attention du plus vieil homme en sa direction. " Je suis arrivé en suivant une femme. Elle l'aurait agressé et voilà qu'elle est en route pour les cachots avec un autre de vos sous-fifres. Il n'a pas voulu m'écouter, et il m'a attaqué dès que je suis arrivé."
-"Ce n'est pas...!"
-"Ta gueule, Bernard !"
-"Je m'attends à un châtiment exemplaire, Alder."
-"Comptez sur moi. Il sera fouetté jusqu'au sang et jusqu'à ce qu'il pleure en appelant sa mère à l'aide. Voulez-vous rentrer un instant ? Histoire qu'on regarde votre l'écorchure à la lumière du feu ?"

-"J'ai malheureusement à faire ailleurs. Je compte sur vous pour cet énergumène. Si j'entends que la punition fut...très adéquate, cette petite histoire pourra rester entre nous sans remonter à la sergente." De fait, cette prise de parole n'était pas banale. Merrick Lorren l'avait appris à ses dépens; le coutilier était responsable de diriger un groupe, mais devait aussi rendre des comptes lorsque les membres de ce dernier faisaient une erreur. Attaquer un supérieur hiérarchique était l'une d'entre elles. Logiquement, le chef du milicien qui avait tenté de violer Estelle de Chantauvent risquait lui aussi de connaître un quelconque châtiment si l'histoire remontait aux oreilles de la sergente.

Finalement, s'approchant d'un Bernard sans voix, Lorren se mit à murmurer tout bas. " Je n'aurais même pas à me salir les mains..." Puis, il s'en alla, alors que le milicien tentait en vain de défendre sa version des choses. Il avait déjà trop traîné sur place, devant rattraper la Chantauvent avant qu'elle ne s'éclipse de nouveau ou pire; que ses déboires continuent.

◈◈◈

-"Avance !" Grogna-t-il en la tirant plus vivement par le bras et en accélérant le pas. Bordel, Bernard avait vraiment fait une énorme erreur en s'en prenant à la Chantauvent. Oui, celle-ci était la future épouse d'un stupide ivrogne, mais ce dernier était aussi un coutilier. Par ailleurs, la Chope Sucrée avait bonne réputation chez les hommes d'armes. Même sans son mariage en devenir, celle-ci restait une personne qu'il ne valait mieux pas tenter d'agresser, était-il convaincu. Pour autant, il ne pouvait abandonner aussi facilement son frère d'armes. "Écoute-moi bien. Ton Merrick là, il va venir te chercher assez vite. Je pense...Eh, tu m'écoutes ?" Dit-il en la secouant, arrêtant sa marche pour s'assurer qu'elle plonge ses yeux dans les siens. "Bon. Il va venir te chercher et tu vas rien lui dire sur ce qu'il est arrivé, d'accord ? Parce que sinon... " Que pouvait-il réellement lui dire pour la faire flancher ? Pour la faire retenir la vérité et lui faire mentir à son ivrogne de compagnon ? Évidemment, le milicien ne savait pas que le coutilier avait déjà deviné en partie l'histoire. "Parce sinon, "couic"." Fit-il en mimant le passage d'une lame sur la gorge avec son pouce. Qui menaçait-il ainsi ? Elle ou lui ? Franchement, il n'en avait rien à faire. Si cela pouvait lui faire assez peur pour enterrer l'affaire, cela serait parfait... "Tu ne voudrais pas ça quand même, hein ? Et bien, tu gardes ta gueule fermée et tout va bien aller, pigé ? Allez, avance maintenant !"

Débouchant sur la place des Chevaliers, passant ironiquement devant le lieu de départ d'Estelle, soit la Chope Sucrée, le milicien força la Chantauvent à prendre la direction des cachots. Ouvrant la lourde porte en bois et descendant les marches qui tournaient en spirale, semblant s'enfoncer dans les profondeurs de la terre, ils débouchèrent sur une alcôve d'où partaient plusieurs corridors. Protégé par une grille reliant les geôles à l'extérieur, un lourd individu dormait derrière un bureau. "Eh, réveille-toi, ta de la visite !"

Grognant, le surveillant ouvrit un œil, avisa la tunique de milicien et se leva lentement en soupirant avant d'ouvrir la porte. Jaugeant la jeune femme d'un œil morne, il prit enfin la parole. "Dans une cellule ou une oubliette ?" Mieux valait la cellule si l'on espérait sortir rapidement. Pour autant, la cellule pouvait aussi être synonyme de torture ou d'agression, sachant qu'elle était facile d'accès s'il fallait passer à la question les détenus, ou tout simplement profiter d'eux...

La jaugeant, le milicien qui l'avait amené finit par trancher. "Une cellule fera l'affaire. Tu vas faire tout ce que l'on attend de toi et tout va bien se passer, non ?"

◈◈◈

Merrick déboucha dans les cachots en descendant la cage d'escalier quatre à quatre. Par chance, cette fois-ci il ne chuta pas dans l'escalier comme précédemment à la Chope Sucrée. Si tel avait été le cas, les contusions auraient été nettement pire. Déboulant devant la grille, il s'y accrocha en la secouant, alors que le surveillant était en train de se rasseoir. "Ouvrez ! Coutilier Merrick Lorren. Ouvrez, bon sang !" Suspendant son mouvement, grognant le garde des geôles se dirigea vers la grille. "On ne voit presque personne d'habitude et là vous arrivez à la chaîne sans me laisser le temps de m'asseoir." Cette tirade eut l'effet de soulager Merrick. Il parlait sûrement d'Estelle et du scélérat qui l'avait amenée ici. Une fois la grille ouverte, il attrapa son homologue au collet. "Elle est où ? La rouquine qui vient d'arriver. Où ? C'est un ordre, dites-le-moi !"


-"Par là, par là !"

Prenant les devants, suivant la direction dictée par l'énergumène, Merrick passa devant chaque cellule, regardant les pauvres habitants de cet enfer, en quête d'une crinière rousse qu'il reconnaîtrait. Au bout de quelques instants seulement, il tomba sur celle pour qui il n'arrêtait pas de s'inquiéter. "Estelle ! Ouvrez la porte !" Une fois que le gardien des clés le rattrapa et qu'il eut ouvert la porte, l'ivrogne se jeta sur la rousse, l'enfermant dans une étreinte et oubliant son amertume contre elle sous les contrecoups de la frayeur. Attrapant son visage de ses mains, la regardant sous toutes les coutures en quête de blessure, réellement paniqué, devant s'assurer par lui-même qu'elle allait physiquement bien, Lorren lui parla plus doucement, mais encore craintivement. "Tu vas bien ? As-tu mal quelques parts ? Que s'est-il passé à la porte ?"

Attendant une réponse, d'entendre la vérité -ou les mensonges- par sa bouche, Merrick finit par souffler, heureux d'avoir rattrapé celle qui avait risqué sa vie. Fermant ses yeux, ses mains avaient fini par tomber le long de son corps, inerte. Si elle s'accrochait à lui, lui ne la touchait plus. Si ses doigts s'agrippaient à ses vêtements, il la forcerait à le lâcher, aussi douloureux cela soit-il pour elle comme pour lui. "Garde, apportez-moi une chaise et fermez derrière nous."

-"...Pardon ?" Lui qui avait assisté à leurs retrouvailles ne comprenait pas trop bien.

-"Vous avez compris. Une chaise et la porte."Haussant les épaules, il respecta les demandes de Merrick qu'il prenait pour un fou. Puis, les enfermant de nouveau et les laissant, il repartit en direction de l'entrée.

S'asseyant sur le tabouret qui lui avait été apporté, Merrick appuya ses coudes sur ses genoux, enfermant sa tête entre ses mains, tirant ses cheveux de ses doigts. Puis, relevant le visage, cachant sa bouche derrière ses mains, il finit par crever le silence de l'instant, continuant à instaurer cette distanciation entre lui et Estelle. "Le milicien à la porte sera fouetté jusqu'au sang." Si elle lui avait menti, ses mots seraient prononcés avec amertume, lui faisant réaliser qu'il savait en partie ce qui était arrivé. Si la rousse avait priorisé la vérité au détriment des menaces, les dires furent proférés sur un ton atone. Par ailleurs, qu'importe sa décision, la hargne et la rage envers le salopard serait hautement perceptible.

-"Pourquoi ?" La question n'était pas claire. Il devait mieux choisir ses mots pour espérer avoir une réponse satisfaisante. "Comment as-tu pu ?" Impossible. Sa gorge se serrait sous la montée de sa peine. "Tu me mens aussi facilement ?" Il pouvait parler des événements précédents sa fuite, mais aussi des récents événements qui venait de se jouer, là, dans ce cachot, si elle avait récidivé. " Comment je peux te faire confiance, maintenant ? Y a-t-il seulement quelque chose de vrai dans tout ce qu'il y a entre nous ?" S'en était trop. Penser à cela lui faisait mal. Le dire l'écartelait et le torturait. Se levant sous un amalgame houleux de colère et de tristesse, le tabouret chavira et tomba. Une main sur son front l'autre sur sa hanche, il se tourna pour faire dos à sa peut-être future épouse. Il avait envie de hurler, mais restait muet.

-"C'est vrai, hm ?!" Poursuivit-il en se retournant. "Ta lettre était vraiment ce que tu as dit qu'elle était ? Qu'elle faisait de moi le propriétaire de la Chope Sucrée, ou tu as juste profité du fait que je ne sache pas lire, comme tu as pu profiter de mon désir pour toi pour t'éclipser ? " Puis riant amèrement; "Je ne sais pas ce qui est le pire... que tu m'aies menti là-dessus, ou que tu m'offres ton testament avant d'aller mourir au-devant de la fange." Puis, après quelques instants de silence; m'as-tu menti pour autres choses ?"

-"Bordel, Estelle..."Vidé de toute haine, Lorren finit par se laisser glisser le long des barreaux, tombant assis au sol. Appuyant sa tête contre le métal qui lui offrait un support, Merrick se mit à parler dans un murmure, comme s'il n'avait plus la moindre force. "Je ne peux pas imaginer à quel point ça peut être difficile d'apprendre que Eude...qu'il soit maintenant un fangeux. Mais si tu n'as encore qu'une once de sentiment pour moi, tu ne peux pas prendre ce genre de décision, d'aller le retrouver, seule. Nous ne sommes peut-être pas mariés, mais je pensais qu'on valait mieux que...qu'on pouvait penser à deux. Et merde..." Conclut-il en fermant les yeux, tentant de chasser une vague de larme d'inonder ses yeux.

C'est là, enfermé six pieds sous terre, entourée de criminel coupable de bassesse en tout genre, étreint par l'odeur infecte de la déchéance humaine et en cachot que le duo se retrouvait. Tel un enquêteur, Merrick Lorren posait ses questions à sa prisonnière. Finalement, il la laisserait bien évidemment sortir après qu'elle ait répondu à l'ensemble de ses dires, qu'il soit satisfait ou non par ses propos. Toutefois, l'ivrogne la surveillerait de près, l'empêchant de retourner renouer avec sa folie de retrouver son défunt époux et ne lui faisant plus confiance.

La soirée et le début de la nuit s'étaient déroulés en s'articulant autour des supplices de l'âme et les supplices de l'homme. Qu'annonçait la suite ? Pardon ou parjure ?
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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptySam 4 Avr 2020 - 18:30


Silence. Ce ne fut que l’unique réaction de la dame de Chantauvent à l’ensemble des faits, une absence de bruit aussi froid, aussi violent que l’ensemble de son être. Se faisait-elle malmener encore de cette manière vive, se faisait-il tirer pour aller plus vite, pour se retrouver rapidement. Accusée d’agression et de tentative de meurtre, deux contre elle. L’idée faisait son chemin dans son esprit, rapidement balayé par ses deux préoccupations principales : elle n’avait pas réussi à rejoindre Eude, elle allait sans aucun doute perdre Merrick Lorren. Estelle avait froid, Estelle avait mal, mais Estelle ne pleurait plus. La tenancière dont la boue de son visage était parcourue de l’ancien sentier des perles salées semblait comme disparue, absente du moment présent. Incapable de comprendre comment elle en était arrivée là, percevait-elle parfaitement les menaces à son encontre ou à celle de Merrick, sans véritablement comprendre, sentait-elle cette main masculine sur son bras qui émettait cette pression qui provoquerait sans aucun doute un nouvel hématome. Oui, ressentait-elle absolument chacun des éléments, sans offrir la moindre réaction, elle était tout simple vide, vide de tout, vide de cette réalité qui la rongeait désormais. Couic. C’est ce qu’il avait dit et l’espace d’un infime instant, la rouquine s’étonna à penser que tout aurait été tellement si simple si on avait commencé par là. Si cela avait été elle plutôt que Eude, si le survivant se trouvant dans son auberge avait été tué avant d’arriver dans son établissement, si Merrick ne s’était pas attaché à elle. Si, si, si, elle aurait voulu refaire le monde, pour ne pas faire souffrir le coutilier, elle aurait voulu disparaître pour s’assurer de ne plus jamais le décevoir. Qu’allait-il penser, lui, en la découvrant condamner après avoir soi-disant agressé un milicien juste après l’avoir enfermé dans une pièce de la chope sucrée.

Tout allait bien se passer si elle faisait ce qu’on attendait d’elle. La rousse resta un unique instant immobile, avisant celui qui l’a traîné encore dans la direction qu’il avait choisi. Devant la cellule attendait-il la réponse, hésitant entre une cellule seule, ou avec un homme dont le regard qu’il offrait à celle qui était si faiblarde était sans équivoque.


- « Alors, ta décision ? » l’interrogea celui qui laissait parfaitement sous-entendre les deux options qui s’offrait à elle « Tu ne voudrais pas que Merrick soit le dernier à te passer dessus quand même ? »

Ses prunelles s’écarquillèrent, prouvant à l’homme d’armes qu’elle comprenait très bien la situation. Il l’agrippa, ouvrit la cellule seule avant de la balancer à l’intérieur, non sans un dernier regard appuyé. Il avait choisi pour elle qu’elle serait sage, à elle de bien se comporter désormais. A genou sur le sol froid et humide du lieu, la rousse se sentait trembler de tout son être, avec cette sensation d’être poisseuse, d’être une immondice, ses bras, ses jambes, chacun de ses membres semblaient vouloir la lâcher, sans qu’elle ne s’écroule. Conservant cette position, elle avait fini par ramper jusqu’à a un coin, se recroquevillant sur elle-même comme pour se réchauffer ou se consoler. Une étrange colère l’animait, une colère dangereuse, silencieuse, qui inspirait à la vengeance, à un besoin complexe de se soulager du mal qui la rongeait. Le menton en haut de ses genoux, les yeux rivés vers l’entrée de la cellule, surveillant, s’attendant sans aucun doute à voir entrer un nouvel homme souhaitant se vider les bourses. Estelle restait dans cette position observatrice, défensive, une coquille vide. Peu à peu l’esprit malmené ou trop surchargé de la dame de Chantauvent finissait par succomber, l’empêchant de réfléchir, de percevoir pleinement les éléments, alternait-elle entre vision du passé, du présent et le plus profond des espoirs. Imaginait-elle volontiers Merrick rentrer, la prendre dans ses bras, lui murmurer qu’il était là avant de l’emporter loin d’ici, loin de tout ça, oui loin de tout ça. Mais cet instant semblait impossible, d’une part parce qu’elle l’avait enfermé dans la salle d’eau avec une chaise, d’autre part parce que jamais il ne pourrait lui pardonner, la retrouver. Lorsqu’il découvrirait les accusations, elle serait peut-être pendue, fouetter en place publique, ou agonissant dans une ruelle sombre.

Par les Trois, qu’est-ce qui s’était passé dans son esprit. Lorsque la grille s’ouvrit, elle eut ce réflexe humain de survie, comme pour se protéger tout éventuel coup, refermer sa prise autour de sa jambe, engouffrer sa tête dans ses genoux, bloquer la totalité de son corps pour être une boule difficile à transporter, déplacer. Elle ne reconnut par Merrick, ou se persuada trop rapidement qu’il s’agissait d’un fantasme de son imagination. Ce ne fut qu’après un temps, un temps où elle sentait la chaleur de son corps contre le sien, ou sa voix semblait trop réelle pour être inventée qu’elle releva le nez.


- « Merrick ?» elle détaillait ce visage proche comme si c’était la première fois qu’elle revoyait après un nombre incalculable d’années « Je… » sa voix sembla refuser de s’exprimer alors qu’elle était soudainement tétaniser par la peur, alors qu’en avisant la plaie sur son visage, elle repensait aux menaces.

Si les menaces ne s’adressaient pas à elle, mais à Merrick et si la marque sur sa joue était un rappel à l’ordre de ce qu’il risquait si elle venait à dire la vérité. Estelle était tiraillée entre cette envie de foudre en larmes, de lui raconter de lui expliquer toute la vérité et celle de le protéger, de ne pas prendre de risque. La Chantauvent semblait tout du moins incapable de s’exprimer et ce fut finalement son silence qui dû achever l’homme qui se trouvait si proche. Le sentant s’éloigner et elle avait essayé de l’accrocher de l’empêcher, mais Merrick l’a repoussé encore et encore, si bien que la rousse renonça, elle renonça avec le déchirement intérieur que cela provoquait. Il s’était éloigné, demandant une chaise, s’éloignant, l’abandonnant. Lui aussi. La rousse eut la sensation d’être assassinée dans cette cellule, à cet instant précis, de recevoir un coup de poignard si fortement qu’elle n’était pas sûre de pouvoir s’en remettre. Alors, elle avait fini par retrouver ce silence et sa position initiale, par refermer cette main tendue vers lui, pour la ranger autour des jambes qui étaient rabattues contre elle. Aucune larme, aucune grimace, aucun sourire ou pincement de lèvres. Estelle était définitivement vide, abandonnée par tous. C’est ce qu’elle ressentait. Un instant, elle eut un regard vers le haut de la cellule, un instant elle aurait voulu prier, pardonner ou se faire pardonner elle ne savait plus très bien.

Il était là, face à elle, hésitant, les coudes sur les genoux les mains sur le visage. Elle était là immobile, brisée, trahie autant qu’elle avait dû trahir. Puis il y eut cette étrange révélation, la condamnation du milicien de la porte et si ses prunelles durent trahir un instant sa surprise, son visage resta immobile, sans expression. Un souffle avait dû s’échapper de ses lèvres, alors qu’elle sentait encore sur son corps des mains non désirées la parcourir et puis… Puis il y avait Merrick Lorren et sa colère sourde, froide, la distance. Ce fut ensuite un pourquoi, un pourquoi qui lui fit furtivement relever la tête, puis une question, qu’elle n’interpréta pas de la bonne manière, pensait-il qu’elle s’était offerte à l’homme de la porte ? Comment pouvait-il… Un nouveau coup silencieux, un nouveau visage qui se perd entre ses jambes et son corps, alors qu’elle ne le regarde plus, lui qui semble décider à la fuir. Ce fut ensuite un gouffre sans fond, où chaque phrase prononcée fut d’une violence sans pareille, celui pour qui elle avait tout donné l’accusait de la pire des horreurs, d’avoir joué. Elle qui lui offrait son établissement, elle qui acceptait de le voir ivre si souvent, elle qui ne le jugeait jamais, elle qui avait organisé cette petite soirée, elle qui était patiente… Une erreur, une simple erreur et tout était ainsi terminé.

Les coups ne semblaient pas vouloir s’arrêter à aucun moment et celui qui dans ses songes les plus fous était son sauveur, devenait peu à peu son bourreau et ce fut presque naturellement que les larmes qu’elle ne parvenait plus à retenir inondèrent de nouveau de ses joues, enfouissant sa tête dans ses bras, cherchant à se reculer encore dans cet angle ou elle ne pouvait pas davantage se cacher, Estelle sombrait. Les reproches, les accusations, les questions s’alternaient avec des temps de silence et celle qui était sujette aux crises d’angoisse qui sentait pourtant son cœur et sa respiration se faire difficile, n’en fut aucune. Il avait fini par se taire, non pas sans lui reprocher une dernière fois d’être partie seule avait-il sans aucun doute raison sur ce point, mais Estelle était incapable de le mettre en danger. Maintenant, dans le fond, peut-être que tout avait changé, elle ne savait plus très bien.


- « Parce que quand on est marié on protège l’autre » cela semblait être venu d’un autre royaume, alors qu’elle offrait ses premiers mots, de cette manière si fébrile, si lente, si désabusé « Une femme se doit de protéger son époux… je n’ai pas réussi avec le premier, je ne voulais pas échouer une deuxième fois »

Elle était sincère, Estelle n’avait pas voulu prévenir Merrick parce qu’elle était certaine que Eude ne lui ferait rien, que ferait-il en revanche à celui qui partagerait désormais sa vie ? Elle ne bougea pas, incapable de s’exprimer davantage, tirant légèrement sur des vêtements, grattant cette peau qui lui semblait impure. Merrick l’avait accusé de n’avoir que simulé une relation, depuis le départ et celle qui retenait cette colère, qui retenait sa souffrance semblait sur le point de céder, semblait sur le point de s’en prendre à celui qui ne le méritait pas.

- « Ce que tu m’as dit » commença-t-elle « C’est… » non, elle ne parvenait pas « Tu as raison, suis-je une idiote Merrick » poursuivit-elle « Une idiote qui t’a attendu, que tu sois prêt à t’engager, qui t’as regardé succomber, te perdre en essayant de te faire remonter, une idiote oui… Tu aurais mieux fait de me laisser mourir là, plutôt que de me dire tout ça » cracha-t-elle finalement, elle aurait pu se faire du mal à cet instant présent, elle aurait pu si elle en avait eu les moyens « Tout était vrai, tout… Je voulais juste lui dire au revoir… Je voulais une bonne fois… laisser mon passé. Renoncer, pour être avec toi… Je ne voulais pas que tu souffres, que tu sois en danger, je ne voulais pas voir Eude te faire du mal… Comment pourrais-je me pardonner, alors que lui visiblement… Comment tu peux penser que j’ai menti… » elle ne termina pas sa phrase, ni son discourt.

Estelle aurait pu lui dire encore tellement de choses, mais rien ne voulait plus sortir, elle était désemparée sans savoir à quoi se rattacher. Incapable d’être lucide, elle n’était pas certaine que sa première erreur justifie cette remise en doute complète. Et puis finalement, elle eut cette conclusion étrange, comme pour lui montrer que même son second mensonge, n’avait été encore là, que pour le protéger.

- « Je ne sors pas de là » conclut-elle « Je ne veux pas qu’il t’arrive plus que cette cicatrice sur la joue. » affirma-t-elle « Alors laisse-moi là, il paraît que j’ai agressé un homme de la milice et que j’ai tenté de le tuer et que si conteste, tu seras… » elle fait le même geste que l’autre lui avait fait « couic. Alors je ne bouge pas. »

Têtue, elle l’était sans aucun doute, incapable de comprendre que Merrick savait tout, incapable de voir au-delà des reproches la peine et l’amour qu’il avait à son encontre, incapable oui. Estelle ne voyait que cette distance, que la force des mots, que le fait qu’il la repousse. Les larmes ni changeaient rien, ses propres larmes non plus. Elle était convaincue de l’avoir perdu et ne parvenait pas à passer outre sa remise en question de leur couple. Elle ignorait ce qu’elle risquait, elle ignorait ce qu’il pensait, ce qu’il voulait, ce qu’il allait arriver.

- « Et puis, je ne sais pas lire et écrire correctement non plus espèce d’idiot » piqua-t-elle avec cette colère qui semblait la submerger petit à petit « C’est un prêtre qui a rédigé l’acte, tu n’as cas vérifier. Tu es le propriétaire principal désormais, fais en ce que tu veux. » non elle ne parvenait pas à pardonner, à comprendre « Comment tu peux croire que notre relation ne vaut rien et que j’ai menti depuis le départ… Après tout ce qu’on a surmonté ensemble, après tout ce que j’ai fait, j’ai même bafoué certaines croyances pour toi… Comment… »

Aurait-elle sans aucun doute préféré recevoir les coups, endurer un viol, se retrouver au milieu de la fange, que d’être face à l’homme qu’elle aimait et de ne voir qu’en le regardait les prunelles d’un homme qui ne lui faisait plus confiance et dont sa première erreur lui coûtait une remise en doute globale de tout ce qu’ils avaient pu traverser. Immobile, toujours, elle se renfermait dans son silence, dans sa présence de cette cellule, se concentrait sur cette peau crasseuse qui lui semblait si sale, si répugnante, se dégoûtait-elle sans le moindre doute. Mais non, elle n’en démordrait pas il n’arriverait rien à Merrick à cause d’elle et si cela voulait dire aller à droit à la corde, il en serait ainsi. Parce qu’Estelle était terrifiée, parce qu’elle était perdue et parce que pour la première fois de son existence elle avait renoncé. Si Merrick n’était plus là, alors il n’y avait plus aucune raison de lutter, elle était tout simplement épuisée.

Evidemment qu’elle le suivrait si il venait à se déplacer, évidemment qu’elle ne pourrait pas lutter physiquement à son emprise ou sa manière d’agir, mais sur l’instant présent : Estelle restait recluse, dans son angle de la cellule, les jambes repliées contre son buste, le visage enfoui dans ses bras.


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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptySam 4 Avr 2020 - 22:33
Loin de la lucidité, mais proche de ses émotions, Merrick Lorren tentait vainement de discuter, de comprendre les agissements d'Estelle de Chantauvent. Or il était campé sur ses positions, engoncé dans les erreurs qu'ils avaient tous deux commises. Au milieu de cela, la peur et le désarroi l'étreignaient encore à bras le corps. Ainsi, en cet instant, dialoguer était futile et vain, alors que l'émotivité prenait le pas sur la rationalité. De fait, il ne s'écoutait pas vraiment déblatérer ses insanités, tourmenté par ce qui avait failli arriver à la tenancière. Entre la mort qui l'avait guetté au tournant et l'agression qu'elle avait subie, Lorren n'arrivait point raisonner convenablement. Par ailleurs, il s'en voulait d'avoir été aveugle aux désarrois qui avaient désarmé Estelle de toute réflexion logique. Il se détestait de n'être qu'un incapable, de n'apparaître continuellement qu'après que le pire se soit déjà produit pour la rouquine. Alors qu'un monde existait entre sauvetage et vengeance, Merrick n'avait été qu'en mesure de lui offrir le second, bien plus maigre et bien moins profitable que la première finalité.

Ainsi, toujours arrivé second dans les pires moments, Lorren se sentait aussi comme le deuxième choix, derrière Eude, le foutu défunt époux qui, bien que mort, continuait à gagner le cœur de la Chantauvent. Par la Trinité, que lui faudrait-il déployer pour faire ployer ce cadavre et le faire descendre de son piédestal ? Que lui faudrait-il faire pour ravir sa prééminence et sa place prédominante ? Ne pouvait-il pas crever en paix dans son marais comme tout le monde ? Ses pensées n'étaient plus raisonnées ni bien raisonnables...

Dès lors, qu'il ait osé tout remettre en cause, prêt à faire table rase de son passé avec Estelle pour ne relever que la truculence et la malveillance de la récente réalité étaient explicable, bien que difficilement compréhensible et bien stupide. Or, hautement puéril et rongé par la crainte, l'homme d'armes s'évertuait à s'enfermer dans ce marasme d'ambivalence. Ainsi, leurs discussions ressemblaient plutôt à une confrontation, tous deux campés sur leur position, s'attaquant à coup de mots et cherchant, en quelque sorte, à savoir qui était le plus dans son droit d'être en colère, d'être triste ou de ressentir ces deux sentiments simultanément.

Toujours est-il que cet âpre conflit ne commença pas par une effusion ou une profusion de mots, mais plutôt par un long et lourd silence qui résonnait comme le glas dans l'esprit de Merrick Lorren. En effet, questionnant la Chantauvent sur ce qui lui était arrivé à la porte du Crépuscule, cette dernière ne prit même pas la peine de lui répondre." Très bien..." commença-t-il avec aigreur, s'apprêtant à agrainer son ressentiment. C'est ainsi que le coutilier emprisonné avec sa future épouse avait commencé son déraisonnable plaidoyer. Le lieu était hautement incongru et inopportun pour ce genre de palabres. Sans l'ombre d'un doute, si certains condamnés aux alentours tendaient l'oreille pour tenter de capter quelques bribes de cette causerie, il n'y comprendrait rien, jugeant que c'était la première fois qu'un condamné à un quelconque supplice était soumis à la question de la sorte. Pour autant, Merrick Lorren continua jusqu'à être submergé par le chagrin qu'il réussit à circoncire en retenant son souffle. C'était le moment idéal pour la contre-attaque de la rousse, qui survint comme prévu.

-" Et un homme ne devrait pas protéger sa femme ? " Répondit-il rapidement. "Je devrais accepter de me laisser protéger et te regarder aller affronter la mort en te souhaitant bonne chance et bon courage ?" Merrick se demandait si elle se rendait compte que ce qu'elle affirmait était plus que contradictoire. De fait, Lorren ne pouvait savoir qu'Estelle présumait qu'Eude n'était pas un danger pour elle, sachant que cette idée était tout bonnement trop saugrenue pour qu'il puisse imaginer que la jeune femme croit cette drôlerie. " J'ai échoué avec ma famille, je n'échouerais pas avec ma femme." Lui aussi pouvait jouer à cela; prôner la sécurité de la Chantauvent par rapport à ses échecs passés.

La suite eut le mérite d'être savamment placé par la tenancière de la Chope Sucrée. En effet, l'ivrogne se sentit coupable durant un instant, tandis qu'elle lui rappelait tout ce qu'elle avait fait pour lui. Pourtant, au lieu de s'assagir et de se replier, de lui concéder cette évidente réalité, Merrick s'accrocha aux quelques mots qui pouvaient servir de combustible au brasier de sa colère. Pour autant, cette flamme se tarissait de plus en plus, ployant sous la justesse des propos d'Estelle. "Oui, c'est ça, et moi je ne suis qu'un ivrogne, qu'un être stupide qui laisse passer l'incroyable chance qu'il a de pouvoir te côtoyer. Je le sais, Estelle. Je le sais déjà ! Pas besoin de le répéter." Ce n'était pas réellement ce qu'elle avait fait, signifiant plutôt des éléments démontrant son attachement pour l'homme d'armes et non pas forcément ses défauts, mais en cet instant, il n'entendait bien que ce qu'il voulait...

-" Comment peux-tu dire ça ?!" D'un bond, il se releva, pointant sa partenaire de l'index. " Comment peux-tu me demander de te laisser mourir, alors que tu m'as refusé là même chose ?!" Merrick faisait référence à leur escapade avortée vers le Labret, tandis qu'il avait renoué avec l'infamie, sacrifiant De Marais et laissant mourir Harmonie. De nouveau habité par cette peur viscérale qui lui faisait abandonner ses proches, et qui les menaient à leur trépas, il avait voulu se sacrifier, se suicider pour protéger la dame de Chantauvent de la mort qu'il semblait être en mesure d'octroyer à l'ensemble de son entourage. Chose qu'elle lui avait refusée, et qu'il avait fini par mettre de côté. Même après sa descente aux enfers, suite aux événements du Goulot devenu Chaudron et l'invasion de la fange, le milicien n'avait jamais commis l'irréparable, sachant qu'Estelle le lui avait refusé. Et pourtant, là, maintenant, elle parlait de son décès, disant qu'il aurait dû la laisser mourir ? C'était tout bonnement impensable. C'était tout bonnement impossible pour celui qui s'accrochait à la vie pour la voir vivre. "C'est ignoble."

Échec et mat, Merrick Lorren. Avec cette tirade, Estelle l'avait sapé de ses dernières forces, éteignant les feux de sa hargne en proférant une infamie qu'il ne pouvait accepter, qu'il ne pouvait oblitérer de son esprit. Ce qu'il lui avait dit avait-il réellement le même poids que la mort ? L'avait-il suffisamment blessé par ses paroles pour la faire préférer le trépas ? Si oui, il était un monstre et ce qu'il avait fait était horrible. "Désolé" murmura-t-il doucement, n'articulant quasiment pas. Avouer son erreur n'avait jamais été le fort du milicien. En outre, il ne l'acceptait pas encore complètement. Redressant le tabouret il reprit assise dessus, serrant de ses doigts ses genoux. "Je...je te crois, Estelle." Dit-il, après quelques secondes de réflexion. "Je comprends aussi ton besoin de dire adieu à ton passé, à Eude. Vraiment. Mais par la Trinité, comment peux-tu te dire qu'aller au-devant d'un fangeux peut-être la solution et une bonne idée ?" Puis, riant avec amertume faiblement, et levant les mains pour montrer qu'il parlait de ce qui les entourait. "Je ne sais pas si tu as remarqué, mais Marbrume est la dernière cité encore debout. Ces monstres ont tué tous les humains qui se dressaient sur leur passage. Femmes et enfants, proche comme inconnu. Tu pensais pouvoir t'approcher de ce cadavre ambulant sans risque ?" Puis, tentant de percevoir ce qu'elle pensait de cela au fond de ses yeux, le coutilier eut un doute. Non... elle ne pensait point être en sécurité auprès d'une de ces bêtes ? " Quand même pas !...Non ?" Il voulait entendre Estelle lui dire qu'elle voulait monter sur les murailles pour tenter de l'apercevoir, et non se jeter entre ses griffes au milieu des marais. Il voulait entendre la jeune femme faire preuve de logique et non d'aveuglement.

-"Tu ne sors pas de là ? Très bien, c'est ton choix. Au moins comme ça tu ne tenteras pas de te retrouver au-devant de la mort." Était-il sérieux ? Plus ou moins. Reste que ce n'était pas sans fondement. Si la jeune femme était enfermée ici bas, elle ne pourrait jamais suivre une quelconque envie déraisonnable. La suite le rongea d'amertume, tandis qu'elle lui expliquait pourquoi elle restait silencieuse sur ce qui lui était arrivé, en l'occurrence pour les protéger. Soufflant pour évacuer le trop-plein de tracas qui le submergeait, Merrick tenta de rectifier le tout, d'expliquer ce qu'il y en était, en cette heure, de tout cela. "Estelle, il ne nous arrivera rien. C'est plus qu'une promesse, c'est un fait." Ses doigts vinrent toucher sa blessure qu'il s'était lui-même infligée. Voilà à quoi ressemblait le preux chevalier Merrick Lorren ! Un être incapable de triompher pour sa tenancière, obligé de se meurtrir pour faire justice. Pitoyable..."Il est trop tard pour s'enfermer dans le silence maintenant, alors que je me suis assuré que le milicien qui a...tenté de t'agresser soit punit sévèrement. Comme son comparse, il ne pourra rien faire. L'un est voué au fouet pour ses agissements, l'autre n'a aucun réel pouvoir." En plus d'être pitoyable, elle le croyait incapable de les protéger ? Le croyait-elle trop faible pour circonvenir au machiavélisme de deux stupides et insipides hommes d'armes ? Ça en était blessant de voir que même sa future épouse n'avait aucune confiance en lui..."Mais bon, tu peux ne pas me faire confiance si tu veux. Après tout, tu sembles croire que je suis démuni contre le chantage de deux simples miliciens." Certes, la colère de Merrick à l'encontre des agissements de la dame de Chantauvent s'était tarie. Pour autant, il n'en restait pas moins que l'ensemble des paroles de sa vis-à-vis pouvait être détourné de leur sens véritable, alors qu'ils n'étaient encore aucunement sur la même longueur d'onde.

Puis, le sujet revint sur son idiotie par rapport à la lettre le désignant comme l'un des propriétaires de la Chope sucrée. Se passant une main dans la chevelure avant de répondre, préférant laisser quelques secondes passer plutôt que de réagir trop vivement aux propos d'Estelle, Lorren prit le temps de mûrir sa réponse. De fait, l'ivrogne tentait de calmer l'échange, bien qu'une partie de lui n'acceptait toujours pas d'être fautif d'un quelconque problème. Cette ambivalence le faisait hésiter, guère aidé par l'amalgame de sentiment contradictoire qui l'habitait encore. " D'accord, d'accord." Accepta-t-il en levant les mains pour se dédouaner et lui faire comprendre que sur cet élément, il était prêt à la croire. Puis, au bout d'un moment, cherchant à s'expliquer en partie; "Ça aurait pu être n'importe quoi d'autre..." La suite lui fit mal. Certes les mots de la Chantauvent étaient blessants, mais ceux-ci prenaient racine dans ses propres propos, lui faisant réaliser qu'il était le principal coupable de cela. Toutefois, il ne pouvait laisser passer quelque chose trop simplement. "Bafouer certaines croyances pour moi ?" Le jeune homme répéta la fin de sa sentence; "pour moi ?" Il ria avec amertume. " Oui, il est évident que tu t'es sacrifié pour moi uniquement. Ou que sais-je encore; que je t'ai forcé la main ou que je t'ai mis dos au mur, face à un ultimatum quelconque entre moi ou ta foi." Se rejetant en arrière sur son assise, Lorren poursuivit. "Penses-tu être la seule à avoir fait des... "efforts" ? Penses-tu être la seule à avoir changé pour que nous puissions avoir l'infime chance de créer quelque chose à deux ? Je t'ai fait la cour, bon sang ! Ça ne signifie peut-être rien pour toi, et ça te semble peut-être anodin, mais pour moi, c'était une première. J'étais prêt à le faire et je ne le regrette pas, mais... et puis merde." Termina-t-il sans avoir le courage ni la force de continuer.

Se relevant -encore-, Merrick s'approcha d'Estelle, s'asseyant devant elle sans pour autant la toucher. "Mes mots ont dépassé ma pensée et je m'en excuse." C'était vrai et difficile à dire pour lui. " Je ne pensais pas vraiment ce que je disais. Je ne remets pas en doute tout ce que nous avons bâti entre nous, mais..." Se redressant sur les genoux, il s'avança encore. " Mais je t'aime Estelle de Chantauvent et j'ai peur. Infiniment peur de te perdre. J'ai cru que... j'ai cru que tu avais choisi de retrouver Eude, de le rejoindre dans la mort plutôt qu'embrasser la vie à mes côtés. J'ai eu tort de penser ça, non ?" Merrick voulait se faire rassurer, voulait entendre de nouveau qu'elle n'escomptait pas l'abandonner. Pas elle. " Tu ne peux pas l'approcher. Il te tuerait." Ça aussi, il voulait que ça soit bien clair. "Je ne peux accepter que tu désires le revoir. Ainsi, même si tu n'es plus prisonnière de ce cachot, pouvant le quitter lorsque tu le voudras, je resterais ton geôlier, refusant de te voir prendre le risque d'aller au-devant de ce monstre."

Levant une main pour la toucher, craintivement en se demandant si le pire était derrière eux ou devant, Merrick finit par suspendre son geste, réalisant -enfin- à quel point le lieu était inhospitalier et humide. Mouillée comme ils l'étaient, la fraîcheur du cachot les étreignait à bras le corps, tandis que la froideur de la pierre se ressentait au travers de leur vêtement collé à leurs peaux. Se retournant pour crier et se faire entendre du gardien à l'entrée, Lorren proféra un "ordre"; "Amenez-moi une couverture !"

-"Bordel, ce n’est pas une auberge ici !" Pour autant, Merrick entendit la chaise dudit personnage glisser sur le sol et sa lourde démarche au bout du corridor. Attendant patiemment, se levant pour récupérer ce qu'il lui avait demandé au travers des barreaux, son homologue reprit la parole. "J'ouvre ?" Hésitant, Merrick se retourna, avisant du coin de l'oeil la jeune femme qui était toujours recroquevillée sur elle. Il finit par hocher brièvement la tête, se détournant et retournant vers la Chantauvent en prenant assise à sa droite et en s'appuyant contre le mur. Plutôt longue, la couverture était rêche et sentait l'humidité. Pour autant, cette dernière permettrait de couper un peu le froid de l'endroit. S'enroulant à l'intérieur et déposant cette dernière sur sa compagne, il resta muet. Bien qu'il ne soit pas l'un sur l'autre, il était quelque peu étrange de retrouver cette proximité avec Estelle, alors qu'il venait de s'envoyer attaque sur attaque. Pour le coutilier, ça n'en était pas désagréable, bien qu'il ne savait pas encore parfaitement comme agir auprès de la tenancière. En outre, peut-être était-ce qu'une accalmie avait la reprise des hostilités, tandis que tout n'était peut-être pas dit entre eux.

Face à eux, la porte de la cellule était grande ouverte, semblant presque les inviter à s'éclipser pour de bon et à tout jamais de cet endroit fétide et des souvenirs de la journée. En un sens, ça aurait même été la meilleure idée dès le début. Fuir, la monstruosité du lieu et se retrouver devant un feu pour le reste de la nuit. Mais Merrick Lorren voulait réellement et véritablement laisser l'ensemble de ses ressentiments et tracas dans cette cellule. En libérant la Chantauvent, il espérait abandonner à sa place les maux qui s'immisçaient dorénavant entre eux. Ne pouvait-il pas revenir à cette idylle qu'il vivait ? Il en demandait probablement trop, lui qui avait été plus qu'acerbe dans ses propos pour que tout s'efface sans laisser des traces. En outre, il en doutait aussi, sachant pertinemment qu'entre le monstre de frère et la bête qu'était devenu le défunt époux, trop de maux rongeaient la jeune femme pour simplement les oblitérer.

-"Pouvons-nous y aller ?"
Laissant le temps à Estelle de répondre à l'ensemble de ses dires, d'y aller de ses propres aveux ou critiques, de le couvrir d'opprobre ou de considération, l'homme d'armes ne dirait plus rien, las et fourbu de tout cela. Il l'écouterait, hochant la tête si besoin était, mais lui-même avait affirmé tout ce qu'il avait besoin de lui faire comprendre. Il avait souffert de son mensonge pour s'enfuir, mais il l'aimait et lui faisait confiance pour le reste de l'histoire. Mais surtout; il ne la laisserait jamais retrouver Eude. Ainsi donc, qu'importe qu'elle soit restée silencieuse, ou bien qu'elle l'ait inondé d'insulte, la finalité serait la même; il partirait de cet endroit avec elle, peut-être contre son gré, la prenant dans ses bras.

Se levant, l'enroulant dans la couverture et la soulevant comme une mariée en route vers le lit nuptial, Merrick se mit lentement en marche. Elle pouvait se débattre, il ne la laisserait pas s'échapper. Peut-être qu'ils tomberaient, là, sur les pierres du cachot, ou bien dans l'eau de la place des Chevaliers, mais il finirait par la ramener à la Chope Sucrée. En la traînant par un bras ou en la portant doucement. Traversant le couloir et la salle de garde sans saluer le surveillant, Lorren obliqua vers l'escalier qui lui permettrait de remonter à la surface. La grille était ouverte, lui cédant le passage. Remontant et mettant le pied dehors il rentra le cou dans les épaules pour s'abriter de la pluie et atteindre l'établissement qu'ils avaient quitté un peu plus tôt dans la nuit. Une fois arrivé, il poussa de l'épaule la porte de la Chope, rentrant dans la salle principale qui était plongée dans le noir, froide et vide. À peu de choses près, elle était identique à une crypte mortuaire.

-"Vous voilà chez vous." Et maintenant, chez lui aussi, par la même occasion. Estelle regrettait-elle de lui avoir offert ce papier qui le rendait propriétaire à présent ? La déposant au sol ou la lâchant, il verrouilla la porte derrière lui et reprit la parole, tentant de renouer avec la banalité d'un discours plutôt que la méchanceté de ses précédents mots. "C'est étrange, de se retrouver de nouveau dans ce silence. Après la pluie et les bruits du cachot." Lentement et presque inconsciemment, ses yeux allèrent trouver l'escalier et une réalité le rattrapa. Une réalité qu'il s'empressa de nommer, sans pour autant oser bouger, par peur de ce qu'ils risquaient de découvrir. " Le blessé à l'étage..." Était-il mort à cause de leur départ ? Avait-il tué un autre innocent ?
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Estelle Lorren



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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyDim 5 Avr 2020 - 0:31


Dialogue de sourds. Même celle qui était ailleurs semblait le remarquer blessant autant qu’elle pouvait l’être. Comme un animal à l’agonie, Estelle montrait les crocs de cette manière silencieuse, une guerre froide ou les armes étaient les mots. Fallait-il être aveugle pour ne pas constater, pour ne pas s’apercevoir qu’elle allait trop loin, qu’elle était maladroite, fallait-il être volontairement ignorante de l’impact de ses paroles. Pourtant, elle ne bougeait pas le moins du monde, prostrée dans cette même position, tremblante, cette sensation d’immondice lui collant à chaque parcelle de peau. Aussi insensée que cela pouvait l’être, Estelle avait la sensation d’avoir bafoué Merrick, en ne parvenant pas à éviter des mains de s’aventurer sur son corps qui lui était destiné à lui. Elle avait aussi la sensation de se bafouer elle-même, parce qu’il était là, lui, parce qu’il prétendait que tout était un tissu de mensonges, parce qu’il était blessé, parce qu’il ne comprenait pas ou ne voulait pas comprendre. La rousse retenait ses soupirs, retenaient ses gémissements plaintifs et cette colère luisant de cette colère si vive contre le royaume entier. Chacun semblait compter les points, chacun semblait se renvoyer cette balle de culpabilité, alors que dans le fond, la tenancière la première avait conscience qu’elle était tout aussi responsable que lui.

Resserrant son emprise sur elle-même, sur ses jambes douloureuses, sur cette faiblesse si présente, elle sentit une nouvelle fois les coups, ne percevait pas la sincérité qui hurlait des reproches de Merrick. Comment pouvait-elle exiger une chose de lui, sans lui offrir le même pouvoir sur elle. C’était soudainement, comme si elle réalisait pleinement ce que le mariage à venir évoquait. Elle en avait déjà eu conscience, en partie, via la joie, via l’amour, la tendresse, mais certainement pas dans les difficultés. Pas à ce point-là. Mais cette banalité qui venait de la frapper, qui la faisait réduire sa colère, venait de s’embraser une nouvelle fois. Comment pouvait-il prétendre qu’elle pense tout ça ? Cette fois-ci elle grogna, elle grogna sans pouvoir le retenir, sa voix montant dans cette aiguë étrange qui ne lui était pas franchement propre.


- « Oh c’est vrai, je pense ça, tu es gros con, un putain de gros con d’incapable, de stupide, qui passe sa vie à boire, pas foutu de mettre un pied devant l’autre. Ça doit donner envie à toutes les femmes d’épouser un homme comme ça !!! »

Le nez en dehors de ses bras, le fixant dans cette rage folle, elle aurait voulu lui sauter dessus, le secouer tel un pommier en tous sens, le faire ouvrir les yeux sur ce qu’il était, sur ce qu’il représentait, mais rien. Non, elle était incapable du moindre mouvement, trop enfermé dans son orgueil, dans son ressenti, dans ses blessures, cette fois-ci la Chantauvent ne semblait pas en mesure de faire un pas vers lui. La suite s’enchaîna brusquement, prononçant des mots qui dépassaient plus que largement sa pensée dans cette douleur presque sans limites et en un instant Estelle semblait préférer le pire à la raison, la mort à la vie. Lui en voulait-elle de ne pas l’avoir laissé mourir, ou peu importe la signification et quand il évoqua que ce chantage était ignoble, ne put-elle murmurer que c’est ce qu’elle était ignoble. Après tout, comment pourrait-elle se qualifier, elle qui avait eu des rapports avec son propre frère, forcé ou non n’avait pas la moindre importance, elle qui avait manqué une nouvelle fois de sentir un homme qu’elle ne désirait pas contre elle. Comment une femme digne pouvait se retrouver aussi souvent dans ce genre de situation ?

La conversation avait fini par offrir un semblant d’apaisement, étrange, furtif, alors que Merrick comprenait, s’excusait sans qu’elle n’en fasse de même, pas encore, pas maintenant. Estelle était encore sur des positions parfaitement ancrées. Puis il comprit, il comprit et sembla s’en offusquer, elle n’osa pas démentir qu’elle était convaincue que Eude n’était pas ce type de monstre, qu’il ne pourrait pas la blesser, l’attaquer. Non, elle ne parvenait pas à le croire, à l’entendre… Et la rousse ne put que détourner le regard, s’imprégnant un instant de la triste réalité de laquelle elle essayait de s’éloigner. Peu à peu elle s’éteignait à nouveau, se détachant de la conversation relevant le nez à l’évocation des miliciens à la promesse étrange. Lui qui remettait en doute sa confiance, ne voyait-il pas qu’elle avait simplement peur ?

Au fond reportait-elle sa propre colère contre elle, sur son futur époux, sans savoir s’il en avait toujours envie. Là était la véritable problématique des liens hors mariages, c’est qu’il y avait toujours un retour en arrière possible, contrairement au lien sacré du mariage où le changement d’avis n’était plus une option valable. La calme puis la tempête, la tempête puis le calme, quand elle avait la naïveté de penser que tout allait s’arranger, la conversation s’enflammait et la responsable de la chope sucrée ne pouvait s’empêcher de remuer chacune des braises.


- « C’est ça, excuse-moi de t’avoir privé de tes nombreuses putes ! » avait-elle craché le nez dehors, les yeux devant briller de multitude d’étincelles.

Puis l’homme d’armes s’était retrouvé là, à côté d’elle, sans qu’elle ne le touche, sans qu’elle ne le regarde, avisant un point imaginaire exactement où il se trouvait par le passé. La rousse semblait une nouvelle fois bouillonner, alors qu’elle ne retenait qu’une seule et unique chose : regrettait-il les fleurs de trottoir dont il avait dû se priver pour la fréquenter. Qu’il y retourne, grand bien lui fasse. Idiote qu’elle était. Puis ce fut sept lettres et deux mots qui la ramenèrent dans la réalité, alors qu’elle tournait la tête vers lui. Estelle sembla s’apaiser lentement, de cette manière incertaine, si légère et sans doute prête à éclater aux moindres faux pas, mais elle l’écoutait de nouveau, sincèrement.

- « Je suis désolée » enfin l’avait-elle dit « Je suis désolée » répéta-t-elle les lèvres vibrantes « Je… » suis désolée on avait bien compris « Je n’arrive pas Merrick… » elle allait lui admettre, formuler réellement qu’elle ne parvenait pas à entendre le danger, à avoir peur de Eude, mais une nouvelle fois, ce fut cet unique étrange silence. « Je ne bougerais pas d’ici. » Affirma-t-elle de nouveau. « Je n’en veux pas de ta couverture » grogna-t-elle

Les émotions d’Estelle étaient exactement comme une tempête, alternant douceur puis colère, contrôle et perdition. Alternait-elle entre cette envie de se faire emporter par l’homme qu’elle aimait et par cette peur inexplicable qui l’animait de sortir à nouveau, de croiser le regard d’un des deux hommes. Elle se retrouve néanmoins dans cette couverture, sans le repousser, dans cette proximité face à cette porte qui était ouverte. La suite, elle était presque prévisible, alors qu’une restait dans cette rancœur mitigée, l’autre souhaitait avancer pour reprendre le contrôle d’une vie. A la condition de Merrick, Estelle répondit sans grande surprise : Non. La lutte débuta donc entre Merrick Lorren et Estelle Chantauvent qui n’avait pourtant plus tant de force que ça à offrir dans le combat.

- « Tu m’enlèves ! MERRICK c’est un enlèvement » gesticula-t-elle « Lâche-moi, je veux rester ici ! Je vais porter plainte ! » tenta-t-elle en le bousculant sans jamais parvenir à ne serait que le déséquilibrer

Puis peu à peu avait-il dû sentir son épuisement, lentement, la rousse cessait de se débattre, cesser de gesticuler, de l’insulter de la plus ridicule des manières, sa tête avait fini par se déposer dans le creux de son épaule, alors que son souffle venait effleurer la peau de son cou qu’il tentait de protéger de la pluie. La Chantauvent ferma les yeux un instant, succombant à une nouvelle série de larmes qui devaient se confondre avec les gouttes de pluie. Dans un murmure, un simple murmure elle s’autorisa à un aveu d’une sincérité désarmante :

- « C’est dur Merrick, je ne suis pas capable d’oublier… » elle parlait de tout absolument tout, de son frère, de Eude, un mélange complet, sans trop savoir elle-même ce qu’elle englobait réellement dans l’ensemble « Je suis désolée… »

Elle eut ce premier mouvement de rapprochement ce moment de tendresse alors qu’elle venait se blottir contre lui, alors que la rousse aurait réellement voulu s’ouvrir, lui parler à cœur ouvert, lui dire tout ce qui venait s’entrechoquer dans son esprit, dans ses pensées. Chaque fois qu’elle effleurait du bout des doigts les aveux, elle renonçait. Simplement. Le retour à la chope sucrée, dans cette obscurité étrange ne sembla pas la soulager, retrouvant pied-à-terre. Merrick s’appliquait pour redonner un semblant de normalité à l’ensemble, sans que la réciprocité ne soit véritable. Immobile et de nouveau silencieuse, la rousse faisait ses premiers pas dans ce qui avait toujours été chez elle. Retrouvant son comptoir, ses chopes, ses alcools, elle se servit un verre, sans oublier d’en remplir un pour celui qui partageait sa vie. Il lui parlait du mort, enfin du survivant peut-être mort et elle l’intima au silence.

- « Pas maintenant s’il te plaît »… c’était fou de reporter ce type de préoccupation, mais c’était la réalité « Pas maintenant »

Elle avala une gorgée, prenant la peine de sentir le verre sous ses doigts, la sensation de froid se détacher d’elle un instant. Elle devait lui parler, c’était une obligation.

- « Écoute. Non. Ne parle pas. S’il te plaît. » Maintenant que le début était amorcé, Estelle avait eu la naïveté de croire que cela serait plus simple, mais ce fut un nouveau silence, alors qu’elle aurait voulu disparaître dans cette obscurité si présente « Tu as raison » ce n’était pas suffisant, aucunement « Je n’arrive pas à voir peur de Eude, je n’arrive pas, je le vois pas monstre, je le vois… Je n’arrive pas Merrick, à aucun mot il y a un risque dans mon esprit… Comment pourrait-il ne pas me reconnaître, comment pourrait-il m’attaquer ? Comment est-ce possible ? Ce n’est pas possible »

Elle prit une nouvelle gorgée, s’essayant à faire une pause alors qu’elle se sentait libérée en partie d’un poids, elle partageait, elle essayait, communiquer un peu, prendre ses responsabilités, un peu.

- « Je m’excuse, Merrick, j’ai largement dépassé les limites et mes pensées, je n’aurais pas dû t’enfermer, mais l’idée qu’il puisse t’arriver quoi que ce soit par ma faute, c’était insurmontable, je n’arrivais pas à te parler, à te dire… Je n’arrive pas Merrick. » il n’était pas responsable, c’est qu’elle avait toujours eu l’habitude d’intérioriser « Tu es arrivé dans ma vie comme un fracas, tu as remis en cause tout ce que je pensais savoir, tout ce que je voulais savoir… Et là… Je sais que je t’ai déçu, que je t’ai fait plus de mal que je ne t’en ferais jamais et je n’arrive pas à me pardonner… Pourtant je suis incapable de te promettre de ne pas recommencer, j’ai besoin de savoir, de le voir, de comprendre Merrick… » la Chantauvent cherche à trouver son regard « Est-ce que je suis responsable de sa mort Merrick ? »

Cette question, elle hante l’esprit d’Estelle depuis qui lui a semblé comprendre que Eude avait été tué, depuis qu’elle réalisait que tout ce qu’elle avait cru savoir s’effondrer petit à petit, depuis qu’elle essayait d’avancer en oubliant un passé qu’il fallait accepter.

- « J’ai besoin de toi. Parce que si tu n’es pas là, si tu ne me raisonnes pas, si tu… je ne vais pas arriver à ne pas succomber à ce besoin de comprendre et je te fais la promesse Merrick, vraiment, je ne sais pas comment te le prouver, mais pourtant, je t’assure que notre avenir et l’unique chose qui me fait encore tenir debout. »

Cette fois-ci elle ne pouvait pas être plus sincère avec lui, il n’y avait pas de mensonge, pas de faux-semblant, Estelle était rongeait par une culpabilité qui ne lui appartenait pas, elle craignait de voir l’ensemble se réaliser de nouveau.

- « Si Eude est mort par ma faute, je ne pourrais pas supporter de te perdre par ma faute… Tu comprends Merrick… Regarde-moi… Regarde-moi » répéta-t-elle dans un murmure « Je, Adrien a… Puis Eude, et ce milicien… et… je ne sais pas qui est la plus pitoyable dans cette pièce, mais crois-moi, ce n’est pas toi… »

Elle s’achevait toute seule, abandonnant son verre sur le comptoir, repoussant toute approche alors qu’elle ne rêvait que des bras de son presque futur mari. Estelle était vacillante, épuisée, humide, dans un état physique particulièrement discutable, elle avait cette nausée étrange multiple alors qu’elle sentait encore des mains mal intentionnées sur sa peau, alors que d’autres mains trop proches n’auraient jamais dû par le passé l’effleurer non plus.

- « Et maintenant il y a cette ordure à l’étage qui a tout ruiné que je rêve d’étouffer ou de défigurer avec Brigitte… Suis-je devenue un monstre Merrick… »

Et puis, elle avait craqué, elle avait craqué en cherchant à s’engouffrer dans ses bras, en le capturant, en l’emprisonnant. Elle, son odeur nauséabonde ses doutes, ses peurs, ses pensées elle avait quasi tout dit, sans que le poids dans sa poitrine ne s’allège. Pour autant, cette fois-ci, elle était honnête, presque entièrement, elle ne pouvait le relâcher, elle ni parvenait pas, elle le maintenait si il se débattait, si il cherchait à la fuir, elle s’accrocherait à ses jambes rampantes si il le fallait, mais elle le lâcherait pas, pas cette fois et dans un murmure, dans un supplice, elle tendit cette main vers lui :

- « Aide-moi, s’il te plaît… Aide-moi et dis-moi ce que je dois faire… Tu es mon mari, il n’y a que toi… »

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Merrick LorrenCoutilier
Merrick Lorren



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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyDim 5 Avr 2020 - 16:20
Pour une des rares fois dans ce miteux cachot, au milieu de cette calamiteuse nuit, Merrick Lorren pouvait avouer qu'Estelle avait parfaitement raison. De fait, il était complètement d'accord avec elle. Ce qu'il faisait était tout bonnement et simplement un enlèvement, séquestrant de ses bras une jeune femme qui ne voulait point y être enfermée. Drôle de réalité s'il en est, alors qu'il venait la tirer de sa cellule contre son gré. Après tout, qui ne voudrait pas rentrer chez soi après ces malveillantes péripéties ? La Chantauvent, visiblement. Elle n'avait pas voulu de sa couverture, mais la jeune femme était désormais drapée dans cette dernière comme dans une cape...ou une camisole de force. Elle avait fini par l'accepter, elle accepterait l'idée de se faire transporter par son mécréant de futur époux, ou comme elle l'avait si bien dit; "par ce putain de gros con". Charmant. "Tu as tout à fait raison. C'est un enlèvement pur et simple." Répondit-il à ses gesticulations et ses lamentations sans la moindre once de tristesse pour elle. Serrant plus fort sa prise au creux de ses jambes et dans son dos, il passa la grille de l'alcôve dans laquelle il s'était entre-déchiré avant de s'arrêter et de faire mine de réfléchir. "Mais tu ne pouvais pas t'attendre à mieux de moi, non ? Après tout, je suis un con, un incapable, qui passe sa vie à boire et qui n'est pas foutu de mettre un pied devant l'autre." Haussant les épaules, il termina sa tirade. " Rajouter kidnappeur à la pléthore de belle qualité dont tu m'as affublé, Princesse, ne sera qu'un moindre mal."

À dire vrai, le coutilier dressait le sarcasme et l'ironie aussi bien pour ne pas renouer avec la colère, vile traîtresse lui ayant fait dire des choses qu'il aurait préféré ne jamais révéler à celle qu'il aimait, que pour éviter de trop ressasser avec amertume les critiques de la rouquine. Évidemment, elle avait raison en le qualifiant d'alcoolique et d'incapable. Pour autant, ce n'était jamais plaisant à entendre. Encore moins en provenance de celle qui était le pilier et le fondement de votre existence. Ah, et la voir revenir à la charge sur son passé de frivole fripon et de coureur de jupons, en déblatérant sur les "putes" n'était guère plus satisfaisant pour son ego. Par chance, Lorren avait réussi à se restreindre au plus grand des calmes, retenant une vile agression des mots, alors qu'il avait été sur le point de mettre en évidence que lui n'avait jamais été traîné dans la ruelle aux abords de la Porte du Crépuscule... Cette répartie aurait sûrement fait mouche et lui aurait sûrement coûté quelques dents, en plus de le torturer lui aussi.

-"Tu peux porter plainte si le souhaites. Je connais d'ailleurs un coutilier qui sera en mesure de t'écouter te plaindre aussi longtemps que tu le voudras. Veux-tu que je te le présente ? " continua-t-il en sortant à l'extérieur des cachots et en marchant dehors. "Il sera probablement difficile à trouver sur le moment, il doit être chez les putes, à croire sa réputation que certaines personnes lui prêtent..." Bon, il restait avant tout un homme aussi stupide que puéril. Dès lors, difficile pour lui de ne pas relever un tant soit peu les propos injurieux d'Estelle. Pour autant, Merrick cherchait véritablement à acheter la paix, en faisant quelques concessions, mais en restant tout de même sur la défensive et dans la futilité coutumière de son caractère.

Vaincu par la fatigue de leur rixe et des risques de sa fuite, Estelle finit de se calmer, que cela soit de sa propre volonté ou à cause qu'elle se trouvait à court de velléités acrimonieuses à lui dire. Sa tête vint se poser dans le creux de son cou et l'homme d'armes pouvait sentir le souffle hachuré de sanglot de sa future épouse. Relâchant quelque peu son étreinte sur celle-ci, maintenant qu'il estimait qu'elle ne tenterait point de s'enfuir, Lorren déposa ses lèvres sur la chevelure de sa partenaire. Il n'était pas dupe; la dame de Chantauvent finirait par renouer avec l'agitation et le goût de la confrontation. Mais en cet instant de quiétude, cette véritable accalmie entre la colère et le désespoir qui s'immisçait entre eux, il avait besoin de marquer son attachement profond pour cette dernière. En se penchant, il capta son murmure. Toutefois, il était bien incapable de définir de quoi elle parlait. Du retour de son défunt époux, ou de ce que son frère lui avait fait ? Des récifs ayant mainte fois failli disloquer leur relation, comme il y avait de cela quelques instants, ou de son passif de coureur de jupons ? La vie de la Chantauvent semblait tellement empreinte de difficulté, que tout ou presque aurait eu la nécessité d'être oblitéré de sa conscience, sans qu'elle n'en ait la possibilité...

-" Moi aussi je voulais oublier."
Parler de lui avait toujours été plus simple pour ce narcissique quidam. Peut-être que cela lui permettrait d'être plus clair et de secourir celle qu'il s'évertuait à aider, mais qu'il noyait de remontrance plus qu'autre chose en ce jour. "Après avoir abandonné ma famille, je voulais simplement oublier. Partir loin de ces souvenirs. D'où l'alcool." Il ne lui apprenait rien, tandis que le couple avait déjà eu cette conversation et qu'Estelle avait déjà eu la malchance d'apprendre cette confidence sur son tortueux passé. "Oublier, c'est impossible. Peu importe les moyens, rien ne pourra effacer le malheur qui s'agrippe à nos existences." C'était sombre, certes, mais vrai. Dans un monde ou l'humain n'était plus au sommet de la chaîne alimentaire, où il était passé du chasseur au chassé, comment entrevoir le meilleur dans toutes situations ? Impossible. "C'est là que je t'ai trouvé, c'est là que j'ai réussi non pas à oublier, mais plutôt à avancer." La pluie continuait à tomber sur eux, alors qu'ils cheminaient en direction de leur point de départ. Étrange de voir qu'ils avaient si peu avancé, qu'ils avaient couvert si peu de distance avec tout ce qui était arrivé . " C'était la même chose après l'invasion de la fange. Je voulais oublier, et toi tu es venu me chercher alors que je n'étais plus que l'ombre de moi-même, me permettant encore une fois non pas d'oublier, mais de continuer à vivre." Se penchant alors qu'il était arrivé devant la porte de la Chope Sucrée, Merrick ne poussa pas encore le battant, restant dehors quelques instants pour qu'il puisse finir ses dires. "Laisse-moi être ta planche de salut comme tu as été la mienne. Je ne suis peut-être pas le... mari idéal. Probablement même que tu as déjà connu ce dernier." Dit-il en faisant référence à Eude. Il ne le connaissait pas, mais à voir l'attachement de la rousse, il estimait que ce devait être un chic type, bien loin de lui-même. À moins qu'Estelle ait toujours aimé les mauvais garçons, mais là n'est pas la question..."Reste avec moi et tentons non pas d'oublier, mais plutôt de faire face et d'avancer. À deux."

Est-ce que son charabia était clair ? Dur à dire, même pour lui, alors pour une femme au comble de la détresse, ça risquait d'être compliqué à entendre. Enfin, dans le pire des cas, il aurait tenté. Pour autant, même si l'ivrogne avait potentiellement manqué d'éloquence pour faire passer son message, il n'en croyait pas moins à la teneur de son message. La vie au côté d'un être aimé était la seule chose à même d'apaiser les chagrins de l'âme et les tristesses macabres du passé. Ça n'effaçait rien, mais ça aidait à continuer à vivre plutôt que de simplement survivre ou attendre la mort.

La porte ouverte les ramena dans leur lieu de vie, dans cet endroit qui les voyait vivre leur quotidien. Or, ce dernier semblait emprunté, disloqué à jamais par leur découverte sous la pluie et l'astre lunaire. La noirceur de la pièce, le silence et le froid y régnant n'arrangeait rien. Rapidement, Lorren eu une pensée pour le blessé possiblement macchabée, celui qu'il avait presque sacrifié pour protéger Estelle. Avec du recul, il aurait probablement dû le laisser mourir. Du moins, peut-être qu'en ce moment, celui-ci était mort à l'étage et que le sauvetage ultérieur n'avait en rien changé le dénouement de son existence, ne faisant que retarder l'inévitable. Se sentant coupable pour plusieurs raisons, le jeune homme avait voulu se jeter ventre à terre à l'étage. Toutefois, la demande d'Estelle, celle de repousser cette échéance à plus tard, le fit s'arrêter, stupéfait, puis soufflé. Il ne pouvait lui refuser cela, trop attaché à elle pour s'enfuir auprès d'un inconnu, trop amoureux pour ne pas l'écouter et tenter de l'aider.

Mais il fallait s'attendre à une chose; si l'énergumène trépassait, Merrick Lorren s'en voudrait, et potentiellement, il en voudrait aussi à Estelle de Chantauvent.

-"D'accord, d'accord." Concéda-t-il en rebroussant le semblant de chemin qu'il avait fait vers l'étage, soupirant et jetant un dernier regard vers le plafond avec inquiétude. Si la Trinité voulait avoir une infime chance de récupérer le milicien dans le girond de ses ouailles, il était temps de faire preuve de magnanimité. S'approchant du comptoir, mais laissant la surface séparer lui et sa tenancière, Merrick s'empara de la Chope qu'elle lui avait remplie. "L'amour de ma vie..." Dit-il en amenant le contenant et son contenu à ses lèvres, avant de s'abreuver du liquide comme un homme ayant traversé un désert sans la moindre goutte d'eau. Déposant le récipient, prêt à l'écouter, Lorren ne put s'empêcher de remarquer qu'ils occupaient les mêmes places que lors de leurs premières rencontres. Lui, appuyé sur le bar en train de la courtiser, elle de l'autre côté voltigeant habilement pour éviter ses sous-entendus graveleux. Avec le retour de cette distanciation entre eux les choses semblaient n'avoir pas changé. Or, au lieu d'une méconnaissance de l'un et de l'autre, c'était désormais l'ombre de la mort et du ressentiment qui les déchiraient et les séparaient.

Lorsqu'elle lui demanda d'écouter et de ne rien dire, Merrick ne fit que hocher la tête, lui donnant son accord, son assentiment par son acquiesce. Déjà, il replongeait dans le fond de sa chope, alors que la Chantauvent commençait les prémices de ses dires, pour trouver du courage pour faire face à la suite du discours. Enfermé dans un silence qu'elle ne semblait aucunement prête à briser, le duo était face à face, mais distant comme jamais. Puis, le début de son monologue commença. Tout d'abord faible débit, le tout se transforma en torrent, véritable ouragan de mots décrivant les maux qui s'arrimaient à sa conscience. Dès le départ, il avait eu envie de répondre à ses dires. Toutefois, il se restreint et la laissa poursuivre. Sa propre répartie arriverait après, au bon moment. L'ivrogne devait se faire violence pour écouter, pour n'être qu'un muet spectateur plutôt qu'un volubile acteur. Ce silence forcé avait autant de positif pour elle que pour lui. L'introspection quasiment en solitaire d'Estelle permettait à cette dernière de mettre des mots sur ses sentiments et ses réactions, tandis que Merrick pouvait enfin la comprendre sans s'aveugler dans un quelconque discours agressif. Pour autant, ce n'était pas facile de la voir présenter l'immensité de sa peine sans pouvoir ne rien faire, ni l'approcher ou la toucher, ni parler pour tenter vainement de la rassurer.

Baissant la tête, submergée par la déclamation de sa compagne, le coutilier fut rappelé à l'ordre lorsqu'elle lui demanda de la regarder. Relevant la tête à la seconde interpellation, Lorren ne se laissa plus la chance de s'enfuir de ces yeux bleus qui semblait couler et crouler sous le désespoir. S'il avait du mal à l'écouter sans détourner la tête, comment Estelle pouvait-elle parler de tout ce qui la torturait ? Le couard lui devait au moins ça; faire face et front devant ses mots. Enfin, il comprit cette distanciation physique qu'elle instiguait entre eux avec le comptoir. Elle se sentait salie par les mains des hommes ayant tenté d'attenter à son corps par force. Quel sombre idiot il avait été, de la toucher et de la soulever après ce qui lui était arrivé... formant deux poings de ses mains, serrant la mâchoire à s'en faire crisser les dents, Merrick Lorren ne put s'empêcher de laisser quatre mots briser le silence dans lequel il s'était enfermé pour laisser la chance à la Chantauvent de parler. "Je vais le tuer." Violent, puissant et agressif. De qui parlait-il ? D'Adrien, ce monstre qui avait abusé de sa soeur ? D'Eude, cette bête qui attachait Estelle dans son passé et qui l'entraînait vers la mort ? De Bernard, ce salopard qui avait attenté au corps de sa promise ? Probablement et potentiellement des trois. Voyait-elle cette lueur de folie danser au fond de son regard pâle et délavé ? Sous la couche de peine, de peur et d'ivrognerie qui le caractérisait ? Si Estelle représentait son salut, son mal-être pouvait le pousser à commettre l'irréparable pour la venger, véritable chemin vers sa propre perdition...

Estelle rajouta son envie d'étouffer l'individu au second étage. Merrick était peut-être moins vilipendant contre ce dernier, mais il était prêt à le sacrifier lui-même de ses mains si cela pouvait ramener le calme sur les sentiments de sa vis-à-vis. La suite, il n'était pas prêt, ne s'y attendant aucunement. De fait, l'insipide et ô combien stupide milicien fut emporté dans un tourbillon roux, dans une mer de tristesse, dans un océan de tourment, alors que la propriétaire de la Chope Sucrée venait s'engouffrer tel un raz-de-marée dans ses bras, l'enserrant à l'en faire manquer d'air. Loin de s'enfuir ou de tenter de s'échapper de cet assaut, il rendit les armes, prêt à s'assujettir aux désirs de celle qui avait triomphé depuis déjà bien longtemps sur son cœur. Pour autant, ce rapprochement et cette promiscuité ne signifiaient pas que tout était résolu. De fait, les dernières phrases de sa partenaire étaient peut-être les pires d'entre tous. Elle lui demandait son aide et ce qu'elle devait faire à lui, l'incapable, l'ivrogne et le puéril énergumène. Tenait-il vraiment l'avenir d'Estelle, là, maintenant, entre ses doigts ? Ses mots auraient-ils réellement prééminence sur le futur ? Si oui, il ne devait pas faire une erreur maladroite et malheureuse.

Mais avant de se focaliser sur le futur, il lui fallait répondre aux doutes, aux peurs et aux maux présentés ultérieurement par la Chantauvent alors qu'il était tenu au silence. Les bras, l'un par-dessus l'autre dans son dos, l'enfermant comme s'il cherchait à l'étouffer, Merrick se mit à parler tout bas, alors que sa tête reposait non loin de son oreille droite. Les dires qu'il proférait n'étaient que pour elle, et bien qu'il n'y ait personne aux alentours pour les entendre même s'il criait, Lorren voulait que son allocution soit plus intimiste, faite uniquement pour la femme qui se trouvait pressée contre lui. "Eude ne te ferait pas de mal, même aujourd'hui. Mais ce n'est plus lui, Estelle. C'est un monstre qui a pris son corps et son apparence, et la plus grande erreur que tu pourrais faire c'est de le prendre pour ton ex-époux." Laissant ses mains remonter, il emprisonna le visage de la jeune femme pour être certain que leur regard se croise. "Crois-tu qu'Eude puisse blesser un homme jusqu'à la mort ?" Dit-il en faisant référence à l'inconnu au second étage. "Si la réponse est négative, c'est la preuve que ce n'est pas lui. Ce n'est plus lui." Est-ce que cela suffirait ? Dur à dire, difficile à savoir. Or, que pouvait-il prononcer de plus pour la faire abandonner ses idées suicidaires ?

Relâchant son visage, glissant une main dans son dos et l'autre dans sa crinière, Merrick passa à la seconde étape de son discours. "Comment pourrais-tu être responsable de sa mort ? Il est décédé en effectuant son devoir de milicien, non ?" Tout cela n'était qu'hypothèse, alors que le coutilier n'avait jamais été assez brave ou fou pour parler du trépas de son dernier fiancé. Est-ce que Eude était mort dans l'exercice de ses fonctions ou non ? Par ailleurs, Lorren ne pouvait oublier une chose; l'inconnu qui avait rencontré le monstre avait parlé de sévices et de balafre qui semblait être là avant le trépas de l'homme revenu en fangeux. Cela signifiait-il qu'Eude avait été tué ? Toujours est-il que, bien qu'il soit habité par le doute sur cette question, le jeune homme n'en dit rien, sachant pertinemment que la rousse avait déjà suffisamment d'éléments auxquels faire face. "Tu ne peux rien te reprocher pour sa mort, Estelle."

-"Je te crois." Souffla-t-il doucement en caressant sa crinière rousse qu'il adorait tant. En cet instant, il ne doutait plus de son importance aux yeux de sa promise. Or, cela avait été différent auparavant. Il lui avait déjà expliqué d'où cette incertitude l'avait égratigné, tandis que l'homme d'armes avait pensé qu'elle préférait retrouver dans la mort Eude plutôt que vivre avec lui. "Il ne peut être mort par ta faute." Répéta-t-il, tentant de la convaincre. "Estelle de Chantauvent, tu es la femme la plus incroyable que je connaisse et tu es loin d'être pitoyable. Tu es aimante et aidante pour ton prochain." Dès leur première rencontre, elle le lui avait prouvé, l'embrigadant dans une livraison de nourriture pour les miséreux. "Tu es affreusement belle, et hautement vive d'esprit." Il n'était pas le seul à avoir succombé aux charmes de la veuve. Lissandre ou les autres habitués de la Chope Sucrée en étaient la preuve. En outre, l'ivrogne avait aussi eu vent d'un quelconque domestique qui avait tourné autour de sa tenancière. Preuve qu'elle était désirable et pas seulement sur le plan physique. Parlant de sa vivacité d'esprit, il sous-entendait sa réactivité à circonvenir à ses tentatives de charmes vilipendante, lui qui se targuait pourtant d'avoir une répartie plus acérée que sa lame. "Tout mon entourage t'apprécie, même peut-être plus que moi-même." Ses camarades de la milice, ceux ne tentant pas de violenter une femme dans une ruelle, ne comprenaient pas comment une femme de qualité comme la Chantauvent pouvait se retrouver attachée au boulet de Merrick. Eugène le premier, qui avait beaucoup plus de points en commun avec la tenancière qu'avec son supérieur hiérarchique. "Si toi tu es pitoyable, moi je suis quoi, mmh ?" Il ne reviendrait point sur les éléments avec lesquels elle l'avait décrit dans les cachots, mais ils restaient véridiques. "Et puis finalement, nous en avons déjà parlé, mais ce que les autres ont tenté de te faire, ou... ou t'ont fait ne te caractérise aucunement à mes yeux, Estelle. Leurs ignominies les rends monstrueux, mais ne te transforme pas, toi, ne te rends pas pitoyable. Être victime n'est pas quelque chose qui peut changer l'opinion que j'ai de toi. Jamais." C'était faible, mais vrai. À ses yeux, Estelle de Chantauvent n'avait point changé. Comme il l'avait dit, elle était aussi bonne, désirable et adorable qu'elle ne l'avait jamais été.

Si elle lui permettait sans chercher à le fuir, il l'embrasserait. Doucement et tendrement, presque avec gêne et malhabilement. Le contact serait court dans le temps et léger. Si elle refusait ses lèvres, ils les déposeraient sur son front pour lui démontrer son affection sans la brusquer et la faire se retrancher dans son désespoir. "J'aurais aussi préféré ne jamais le croiser. Cela ne fait pas de toi un monstre, Princesse..." Finalement, le dénouement fatidique survint. À lui de se prononcer, de l'aider et de tenter de la guider vers le bon chemin, en direction de ce qu'elle devait faire. Or, que dire ? Soufflant, jusqu'à ne plus avoir d'air dans ses poumons, Lorren se passa une main sur le visage pour reprendre contenance. La suite s'annonçait compliquée...

-"Tout d'abord, il est interdit de mettre ta vie en danger." Merrick commençait par un "ordre". Elle voulait de l'aide et lui offrait un impératif. Ce n'était pas ce qu'elle cherchait, mais ça, c'était non négociable à ses yeux. "Maintenant..." il soupira de nouveau. Dirait-il vraiment cela ? "Une étape à la fois. Si tu as besoin de le voir, si tu ne peux laisser aller cette...chose sans un dernier au revoir, peut-être pourrions-nous regarder avec le blessé à l'étage où il l'a croisé. Si c'est suffisamment proche des murailles, peut-être que nous pourrions le retrouver à partir des hauteurs, de cette position sécuritaire ?" Acceptait-il qu'elle retrouve Eude ? C'était d'une stupidité de chercher un fangeux... Mais par la Trinité, si cela pouvait la calmer, oui, il était prêt à le faire. Toutefois, seulement à partir des fortifications de Marbrume. Est-ce que cela lui suffirait ? Probablement que non. Toutefois, Lorren faisait la moitié du chemin en acceptant de rechercher la mort elle-même. Estelle pouvait-elle faire de même en assurant sa sécurité ? " Je voudrais que tu oublies toute cette soirée, que tu vives et que nous continuions à cheminer ensemble jusqu'au mariage. Mais c'est impossible, j'imagine, après cette découverte." Enchaîna-t-il, hésitant et oscillant entre interrogation et information. "Connais-tu sa dernière affection avant sa mort ?" Le sujet était difficile, mais si elle voulait le retrouver sans risque, il devait savoir. "Était-il de faction à la Porte du Crépuscule ? Était-il en patrouille dans les Faubourgs ? "As-tu parlé à ses anciens camarades ?" Merrick ne pouvait imaginer que le quidam soit mort sans être en train d'effectuer son devoir. Or, si tel était le cas, cela en dirait long sur ses doutes quant à sa mort...

Porté par ses questions, voulant l'aider et voyant que les prémices d'un plan, certes stupide, se dessinaient, Lorren voulut aller voir à l'étage. "Allons voir le blessé, non ? S'il est réveillé, il pourra nous dire où il a croisé le monstre !" Il était incapable de l'appeler par son prénom de vivant, ne le voyant plus comme un humain, mais comme un prédateur. Emballé par sa volonté d'agir pour le mieux, d'être son allié même dans l'hérésie plutôt que son ennemis dans le dialogue, même s'il s'aveuglait probablement, Merrick entraîna lentement Estelle à sa suite. Montant lentement l'escalier, tenant la main de sa tenancière et puis passant un bras sur ses épaules une fois à l'étage, il la mena jusqu'à la porte et l'ouvrit. L'odeur lui offrit la réponse qu'il ne voulait pas, lui donnant un haut-le-cœur et lui étreignant la gorge. L'odeur de la mort, l'exhalation du trépas. Figé sur le seuil, alors que la porte finissait de s'ouvrir dans un grincement, le milicien resta interdit. Les effluves laissaient présager qu'il était mort depuis longtemps. Trop longtemps pour que leur discussion en contrebas ait changé quoi que ce soit. Était-il décédé quelques instants après son départ, ou alors qu'ils étaient à la Porte du Crépuscule ou dans les cachots ? Impossible à savoir, toutefois, le coutilier l'avait sur la confiance.

-"Il...il a mal choisi son moment pour mourir. Il devait me payer une tournée..." Tenta-t-il de dire avec un brin d'ironie, bien que la moitié des mots lui resta en travers de la gorge. Lâchant la main d'Estelle doucement, Merrick prit assise sur une chaise de la pièce, réfugiant son visage dans ses mains durant quelques instants. Puis, descendant ses dernières pour ne plus cacher que sa bouche, pour que son regard puisse regarder cette masse immobile dans le lit, il continua à parler. "Peut-être que les miliciens à la porte sont au courant de ce qu'il faisait, d'où il allait ou d'où il venait. Il semblait travailler dans la livraison. Ça peut-être un début de piste..."

Lessivé, éreinté par cet énième échec qu'il s'imputait, par tous les événements de la nuit, la course folle d'Estelle vers la mort, son presque-viol et leur dispute, l'homme d'armes voulait simplement et seulement que le jour se lève. Blême, il détacha son regard de cette vision morbide pour tenter un maigre sourire à la rouquine. "Il va falloir le brûler." Voulant se passer une main dans la chevelure, il suspendit rapidement son geste en voyant ses doigts trembler, refermant le tout sur un poing et se levant rapidement. "Je...je vais le descendre dans l'arrière-cour. Je le décapiterais pour ce soir et demain je...je m'en occuperais." Dans quel monde vivait-on pour parler d'un démembrement comme s'il était question de la pluie et du beau temps ? Sûrement dans la fin des temps...

-"Je reviens sous peu."
Termina-t-il, prêt à se mettre à sa nouvelle tâche bien morbide, déposant un baiser froid comme la mort sur le haut du crâne d'Estelle de Chantauvent.
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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyDim 5 Avr 2020 - 17:22


- « En plus tu plaides coupable ?!» s’offusqua-t-elle avant de se renfrogner « Il doit en manquer d’autre des qualités, je te rassure. Je ne veux pas le rencontrer ce coutilier, qu’il reste chez ses putes. »

La guerre de l’Amour était une guerre en plusieurs batailles, oh, il y avait bien des tranchées entre l’ensemble des batailles, provoquant quelques accalmies agréables parfois, mais la lutte devait se dérouler chaque jour. Il y avait bien évidemment les altercations du quotidien, les objectifs de ne pas tomber dans une routine agréable, il y avait même sans doute un peu de jardinage dans l’amour, pour cultiver passion et sentiment… Parfois la guerre passait de froide à active, d’active à froide… Le couple semblait actuellement, exactement dans cet entre-deux. Estelle le repoussait, se débattait, autant qu’elle ne rêvait que d’une chose : rester dans ses bras. Fort heureusement, la faiblesse d’un corps et d’un esprit pousse obligatoirement la raison et si dans de multiples efforts la jeune femme n’avait aucunement réussi à se débattre, à s’échapper, à le faire tomber, elle avait fini par rester contre lui, dans cette proximité agréable/désagréable, dans cette respiration saccadée par cet air chaud qui venait effleurer le cou de Merrick Lorren. Le fameux coutilier aimant soi-disant les putes avec la fameuse tenancière au tempérament aussi flamboyant que sa chevelure, oui, ensemble, sans bruit avançaient-ils cette fois, vers la chope sucrée. Néanmoins, le calme venant toujours après la tempête –et quelle tempête, Jean Édouard, le gardien s’en souviendra certainement-, Estelle s’autorisait à quelques murmures, quelques aveux d’une réalité lointaine, mais présente.

Fermant les yeux, percevant un battement irrégulier suite à la colère sans aucun doute, la rousse ne pouvait qu’écouter, écouter une histoire qu’elle connaissait, mais qu’elle n’avait peut-être pas nécessairement analysée de la même manière. Ses lèvres se pincèrent à l’évocation de sa défunte famille, ouvrant la porte à cette nouvelle version de culpabilité : elle cette nouvelle famille l’avait abandonnée aussi. L’alcool ne pouvait pas résoudre les problèmes, pourtant lorsqu’il l’admit qu’en la trouvant, il avait trouvé une raison d’avancer, elle ne put qu’être touchée de cette drôle de manière, si profonde, si intense. Merrick lui proposait d’être son sauveur à sa manière, d’avancer ensemble. Toujours les yeux clos, elle eut un fin sourire sur les lèvres, comme une acceptation silencieuse, pas si silencieuse :


- « J’ai juste besoin de toi, pas de la perfection »

Pied à terre, dans cette obscurité sombre qui ne ressemblait pas habituellement à la chope sucrée, la responsable des lieux avait abandonné sa position pour retrouver ses repères. Derrière le comptoir, une bouteille à la main, un verre dans l’autre et face à elle un autre plein. Intimant dans une supplication le coutilier d’abandonner le mort ou pas mort ou pas encore tout à fait mort, elle distingua difficilement la silhouette masculine rebrousser chemin pour venir face à elle. L’image était frappante, comme il y a quelques mois en arrière, alors que l’ambiance était ô combien différente. Récupérant le récipient qui lui était destiné, le nommant de cette façon qui tira un léger pincement au cœur d’Estelle, elle se contenta d’opiner, brièvement, simplement.

- « Le seul et l’unique. »

Ce fut ensuite un mélange de courage, de peur, d’inconscience et de sincérité qui anima l’ambiance du lieu. Révélation, sentiment, perception, drôle de cocktail, drôle de soirée. Elle qui sentait à la fois son cœur palpiter, puis se calmer, sa respiration se couper, puis reprendre, son ventre se tortiller en un sens, puis dans l’autre, poursuivait sans trop hésiter, sans trop savoir où elle allait, tout dire et ne rien dire à la fois, tout expliquer sans réellement le faire, survoler, effleurer du bout des doigts l’ensemble des éléments ayant traversé son esprit, tout en cherchant un écho dans un visage qu’elle ne distinguait pas très bien. L’obscurité sans aucun doute, mais aussi les larmes qui animaient une nouvelle fois ses joues. Ne fallait-il ni la toucher ni l’interrompre, si s’approcher, elle était enfermée dans ce besoin d’aller au bout, d’aller au bout de ce qu’elle avait décidé sans en connaître elle-même la finalité. L’ensemble fut prononcé, interrompu qu’une unique fois par une menace de mort qui lui glaça le sang, faisait remonter lentement un frisson le long de son dos. Puis ce fut enfin, ce besoin de proximité, ce gouffre presque obligatoirement, aurait-elle été prête à lutter parfaitement accrocher à sa jambe sans jamais relâcher sa prise, peu importe les coups. Mais non, ce ne fut ni du rejet ni de la colère, ni les coups qui rien de négatif, juste des membres venant l’enfermer dans un cocon, un cocon ou elle aurait voulu étouffer. Ce n’était jamais suffisamment, le sentiment de chaleur, le sentiment de présence, il fallait plus tellement plus dans son besoin de réconfort, mais ni la pression de Merrick, ni la sienne ne semblait la soulager réellement, convenablement. Immobiles, les rôles venaient de s’inverser, car cette fois-ci, la Chantauvent était dans une posture d’écoute attentive. Étouffée dans des bras, contre un corps qui lui semblait aussi froid que le sien, elle restait là, l’oreille discrète, mais captant le moindre mot. Des doigts étaient venus capturer son visage, l’obligeant à plonger son regard dans le sien. Eude n’était pas Eude, oui elle l’entendait, mais non, elle ne parvenait simplement à oublier cette possibilité infime et suicidaire, que peut-être, derrière le monstre restait-il encore un peu de l’humain.

Les lèvres mordillées comme un appel au silence, comme un supplice de son propre corps de se raisonner, elle se contenta du silence, alors qu’une main glissait dans son dos, l’autre dans sa chevelure. La suite était tout aussi complexe à entendre, elle n’était pas responsable, pour Merrick, elle n’était pas responsable, il avait été tué durant son service. Estelle tenta vainement de s’accrocher à cette idée, avec force. Mais si cette bonne volonté était mensonge, nul doute qu’elle aurait du mal a pardonné à celui qui tentait pourtant de le sauver. Son visage fit ce bref mouvement pour confirmer les dires, alors que mentalement l’ensemble se répétait. Avait-elle fait preuve de paranoïa, imaginer le pire, alors qu’il ne pouvait s’agir que de ça, que de la réalité, que de ce qui lui avait été dit, il était mort en protégeant les autres, parce que c’était son métier. Furtivement, elle eut cet éclair d’angoisse au fond des yeux, furtivement, elle eut cette envie de le supplier lui, Merrick Lorren de renoncer à cette voix, de ne pas rester dans la milice, de devenir tenancier, de partir où il voulait, de transformer même l’établissement en taverne aux putes si il le voulait. Mais. Rien ne s’échappa de ce petit corps fragile et épuisé, qui subissait l’affront d’une nouvelle angoisse si différente des précédentes.

Pourtant, une pluie légère venait étouffer les flammes qui animaient l’esprit de la dame de Chantauvent. Des mots, des explications, une manière d’agir, comment ne pourrait-elle pas le croire lui, comment ne pouvait-il pas voir ce qu’il était. Un homme parvenant à calmer une femme, sa femme avec une douceur sans précédente. Bien loin de l’incapable, bien loin de l’idiot, bien loin du con et de toutes les choses qu’elle avait pu prononcer dans cette colère sourde. Ses doigts s’agrippèrent à sa chemise, tortillant légèrement l’ensemble dans cette nervosité étrange. Cela ne changeait pas grand-chose à sa vision d’elle-même, faudrait-il sans aucun doute du temps, mais de savoir qu’elle ne le répugnait lui apportait un soupçon de réconfort. Le mot victime avait quelque chose de dérangeant, elle qui s’imaginait souvent comme une guerrière prête au combat, la réalité était parfois bien différente des songes… Avait-elle peut-être finalement plus de la faiblarde princesse, que de la redoutable guerrière.

Les doigts de celui qui la maintenait encore dans le moment présent avait fini par relever son visage, venant l’espace d’un instant déposer ses lèvres sur les siennes dans cette hésitation touchante. L’échange ce fut en deux temps, d’abord le recul, recul provoqué par une peur devenue viscérale d’être touché, d’être effleuré, d’être embrassé, puis l’activation de la raison, de la réalité. Alors que Merrick ne la brusquait pas, ne la forçait pas en venant déposer sa bouche sur son front. Fermant les yeux, prenant une inspiration, elle avait fini par provoquer l’échange, dans cette même démarche qu’il avait amorcée, mélange d’hésitation, de maladresse, de peur. Le laissa-t-elle sans aucun doute la guider, comme si elle l’embrassait pour la première fois, comme si elle n’avait jamais fait ça. Ce fut en effet léger, furtif et délicat, un premier pas là où les derniers événements semblaient avoir ramené la Chantauvent à un point de départ.

La conversation reprit en lenteur, dans cette proximité dont elle ne souhaitait aucunement se détacher et lorsque l’invité indésirable revint une nouvelle fois au centre de la conversation, elle n’en sentit que davantage cette révolte, ce rejet à son égard. Y avait-il une différence entre vouloir l’étouffer ou l’assommer avec Brigitte… Et ne l’avoir jamais rencontré, néanmoins, elle ne le souligna aucunement, préférant simplement taire cette information qui lui prouverait bien que le pire entre eux deux, était-ce sans doute bien elle. L’interdiction première fut plutôt bien reçue, elle opina simplement dans un mouvement à peine perceptible, ensuite, ce fut plus délicat, plus complexe, comme une plaie qu’on malmène sans la moindre délicatesse. Son nez disparu dans le torse de son milicien alors qu’elle semblait de nouveau proie aux doutes, à l’inquiétude, elle qui avait tant voulu converser ne semblait pas nécessairement prête à tout entendre, à programmer la suite des événements. Estelle aurait voulu disparaître un instant, dans un endroit calme où il n’y aurait rien de tout ça derrière elle, derrière eux.


- « Je ne sais plus très bien » murmura-t-elle dans un désarroi profond alors que sa mémoire semblait lui faire défaut « Je crois qu’il, non, je ne sais plus… On n’est pas trop venue me voir, Adrien leur avait demandé de me laisser, j’avais besoin de repos… Je dormais beaucoup… Je ne me souviens plus. »

Il y avait bien des brides de souvenir, des éléments, des indices, mais elle ne parvenait pas à déterminer s’il s’agissait du fruit de son imagination, de la réalité ou de toute autre chose. Difficile pour elle d’avancer des éléments, il lui semblait que Eude était affilié à l’intérieur de la ville et des faubourgs, mais qu’il allait souvent aux portes oui, peut-être, mais ce jour-là… Elle ne parvenait pas à se souvenir et lorsqu’elle essayait, ne lui revenait en mémoire que le hurlement de son propre désarroi alors qu’un homme en tenue de milicien lui indiquait qu’il était mort au combat. Le souvenir était bien trop brutal pour celle qui tentait depuis si longtemps et maintenant qui avait besoin de se rappeler, qui avait tant besoin de se rappeler. Puis Merrick détourna la conversation s’inquiétant une nouvelle fois de celui qui était en haut.

- « De Eude… » reprit-elle en lui agrippant le bras « De Eude, s’il te plaît Merrick… » elle l’implorait, réellement, le timbre de sa voix était hurlant de faiblesse. « Je ne veux plus revoir ceux qui étaient à la porte aujourd’hui… »

Merrick fit néanmoins les bons gestes, les bonnes choses, celle qui n’aurait pas supporté le détachement physique, fut entraîné dans l’idée par la main, montant les escaliers au rythme qu’il lui imposait sans aucun doute. Devant la porte, elle sent une main se glisser à son épaule, dans cette pression réconfortante et quand celle-ci s’ouvrit, elle ne put retenir un gémissement avant de porter sa main à sa bouche, couvrant son nez. Elle eut un mouvement presque naturel, il y avait un monde entre souhaiter la mort de quelqu’un et…. Le retrouver mort. Néanmoins, Estelle ne supporta guère longtemps l’éloignement que les deux réactions différentes avaient provoqué : l’un s’était reculé, l’autre avancé pour mieux voir le corps. La rousse l’avait rapidement rejoint glissant sa main dans la sienne avant qu’une nouvelle vision d’horreur déformât les traits de son visage, alors que passé et présent ne semblait ne faire plus qu’un.

- « Merrick… » souffla-t-elle à celui qui ne devait sans aucun doute pas comprendre, ou penser qu’elle était simplement choquée de la découverte d’un corps –ce qui en soit n’était pas faux non plus-

Il y avait parfois des journées de merde, qui se terminait de la même manière qu’elle avait débuté dans la merde. Estelle était immobile, alors que celui qui se devait d’être fort pour deux semblait bien décidé à prendre les choses en main. Deux problèmes allaient néanmoins s’annoncer : il n’y avait quasiment plus de bûche et… déplacer le corps ne serait pas si simple. Ce qui en soit aurait été préférable, si seulement cela s’arrêtait là. Merrick s’éloignait, annonçant son plan, la laissant dans la pièce avec le mort… Elle sentit une boule d’angoisse, elle avisa une nouvelle fois ce visage qui semblait tellement coïncider… Tellement… C’était impossible.

- « Merrick » répéta-t-elle avec plus de force comme pour l’obliger à se concentrer sur elle, pour l’empêcher de faire quoi que ce soit « C’est lui. »

Alors pour le milicien, cela ne devait pas avoir le moindre sens, pour Estelle l’affirmation était aussi complexe à admettre que difficile à croire. Cet homme était celui qui lui avait annoncé que son mari était mort. C’était lui qu’elle avait vu en milicien, bien qu’il avait vieilli un peu, bien qu’elle doute que son esprit malmené par les événements –et peut-être était-ce le cas-, elle était presque convaincue à 100% qu’il s’agissait du même homme. C’était lui. Attrapant un bras durci par la mort et le temps, elle remonta les manches de la tenue de l’inconnu, d’abord du bras gauche, puis du bras droit, avant de laisser ses doigts effleurer cette marque qu’elle ne reconnaissait désormais trop bien… Un banni… Comment un banni avait-il pu réussir à passer les portes de la ville, deux fois… Elle se pinça les lèvres, retourna légèrement ce même bras, alors que sous la marque, se trouvait le symbole représentant les Trois qu’elle ne reconnaissait que trop bien. Relâchant l’ensemble, elle eut la sensation d’être folle, un instant, un pas en arrière un autre, elle eut réellement cette sensation de croire n’importe quoi, elle était terrifiée, elle devait se faire des idées, il le fallait.

- « Je vais t’aider » murmura-t-elle finalement « Seul tu ne vas pas y arriver… Et puis… autant mettre le feu au drap aussi, je n’aimerais pas qu’un client dorme avec l’âme errante d’un mort qu’Anür a refusé » cette phrase devait être étrange pour Merrick, elle qui affirmait qu’il n’avait pas retrouvé le royaume des Trois « Aide-moi ! »

Elle avait tiré le drap avec le corps, faisant tombant l’ensemble dans un boom désagréable et déroutant, ses doigts avaient ouvert la fenêtre pour aérer, respirer un air plus pur alors que chaque mouvement que les gestes provoquaient sur le corps la replongeait dans ce passé étrange. Je suis désolée qu’il avait dit en se tenant sur le devant la porte, Eude Chantauvent a perdu la vie dans l’exercice de ses fonctions. C’était lui. Quoi qu’il en soit, une nouvelle fois que Merrick l’interroge ou pas, Estelle se renferma dans son silence. Elle était bien décidée à descendre le corps dans l’arrière-cour, même si cela signifiait le laisser dégringoler les escaliers. Avec ou sans l’aide de Merrick après de nombreux efforts, l’ensemble se retrouve dehors, dans l’extérieur se trouvant entre les bâtisses de l’établissement. Là encore, la rousse n’imaginait pas un seul instant se détacher de son amant. Incapable d’apprécier la solitude ou de la tolérer. Assister néanmoins à ce type d’acte était tout sauf anodin. Alors compréhensive, bien que terrifiée à l’idée de succomber à des envies de fuites, de céder une nouvelle fois à la tentation de s’évader, elle avoua enfin.

- « C’est lui qui est venu m’annoncer la mort de Eude. »

Merrick pourrait penser qu’elle délirait, que les événements l’avaient traumatisée, qu’elle n’était pas en état pour être en certaine ou convaincu. En un sens n’aurait-il sans aucun doute pas entièrement tort, après tout, aucun esprit ne pouvait vivre une soirée aussi violente et ressortir parfaitement performent. Il était fort probable que tout soit imaginé, que présent et passé se mélangeaient pour former cet espace de brouillon où elle arrivait à cette conclusion. Pourtant, Estelle, elle, en était convaincue, complètement.

- « Je vais rester derrière la porte… préparer deux infusions et faire chauffer l’eau du bain » finit-elle par proposer avec une hésitation « Promis… Je ne disparais pas » ajouta-t-elle comme pour le rassurer « Mais je ne veux pas te voir faire… Juste… Je ne veux pas m’éloigner de toi, mais je ne suis pas sûr de… Pas encore. » ajouta-t-elle sincère.

De toute manière pour lui prouver sa bonne foi, Estelle avait laissé la porte ouverte, ainsi pouvait-il la voir préparer l’ensemble des infusions, vers chauffer l’eau, rajouter les plantes. Son regard avait un instant vagabondé sur les différentes plantes qu’elle possédait, y compris les plantes libérant un peu les esprits, le genre de drogue dont Merrick avait déjà utilisé sans très franchement en avoir conscience… Une fois, par erreur. Elle pivota vers lui, avant de rapidement détourner les yeux, se faisant entendre, par une voix légèrement plus présente :

- « Merrick ? Tu as déjà usé de plante… comment dire… qui t’aide à te détendre ? Tu penses que ça m’aiderait à dormir pour ce soir ? Et toi ? » l’interrogea-t-elle sans en mettre dans le mélangeant qui chauffait encore « Je laisse le tout là, tu pourras servir et monter quand tu auras… terminé ? »

En outre, elle lui laisser un choix, un choix particulièrement étrange et déroutant, mais un choix tout de même. Estelle s’imaginait que cela pourrait l’aider à se souvenir, ou a contrario, à oublier un peu, l’espace d’un instant, se sentir soulager du poids qu’elle percevait dans sa poitrine. Peut-être n’était-ce absolument pas une bonne idée, peut-être que cela permettrait au couple de se retrouver, ou bien de s’enfoncer dans des tourments ou des discussions plus improbables les unes que les autres, ou peut-être, peut-être oui que cela lui permettrait de se souvenir. Elle n’en savait rien, ou ne voulait pas le savoir non plus. Hésitante, parce qu’elle angoissait de s’éloigner de lui, elle fit un pas vers la porte de sortie, puis un en arrière avant de s’élancer.

- « Je monte faire chauffer les pierres. »

Elle attendit une autorisation, une confirmation avant de s’éclipser, si en sortant ses yeux s’étaient arrêtés vers la porte principale, si elle eut une infime hésitation, elle rebroussa rapidement l’idée. Être une déception par jour, c’était largement suffisant. Montant les marches, elle passa dans un premier temps devant la chambre ouverte sans y prêter attention, faire chauffer les pierres ça prend du temps, ça lui occupe les mains, l’esprit, elle ne pense pas durant ce temps-là et c’est tout ce qui compte. L’occupation principale faite, elle revient sur ses pas, retourne dans la chambre pour défaire et nettoyer le sang présent –c’est qu’elle devient douée la bougre, dans la disparition du sang-, elle fait une boule de ce qui n’est pas récupérable et referme la fenêtre.

- « Je suis là » souffla-t-elle pour ne pas inquiéter Merrick qu’elle entendait remonter avant de sortir de la chambre, récupérant la tasse pour en avaler une longue gorgée « Atch c’est chaud » fit-elle simplement avant de faire quelques pas en direction de la salle d’eau.

L’eau justement, elle n’était pas encore complètement chaude, sans pour autant être froide. Estelle avait quelque douleur au niveau du corps qui semblait enfin émerger, maintenant qu’elle s’écoutait un peu plus. C’est vrai qu’en y réfléchissant, être traîné dans une ruelle par les cheveux, puis jeté contre un mur puis presque… Ça laissait des traces. Elle se pinça les lèvres, comme prise de culpabilité, elle était presque prête à lui demander de sortir, pas certaine d’assumer son regard sur un corps qu’elle ne supportait plus. Pourtant elle prit sur elle, violemment.

- « Est-ce que tu veux bien regarder… mon dos, j’ai un peu mal, je crois… » souffla-t-elle maladroitement pour l’inviter à rester, peut-être discuter, elle avait abandonné sa tasse sur un meuble, emprisonnant ses mains dans les siennes « Peut-être que je me fais des idées… Mais si c’est lui, tu voudras bien m’aider à retrouver sa monture ? Et… Est-ce que tu envisagerais un jour de renoncer à la milice ? »

Cette dernière phrase lui avait échappé, comme si elle avait fini par mélanger pensée et ce qu’elle devait dire, son visage dû se parer de surprise, étrangement, avant de s’empourprer de cette gêne étrange.

- « Je.. Non, ce n’est pas ce que je voulais dire… » souffla-t-elle en défaisant son vêtement, puis pivotant pour qu’il regarde son dos, à partir de l’instant où elle se retrouvait nue, elle fuyait son regard.

Le corps d’Estelle était exactement comme à son habitude, bien qu’en effet de multiples petites plaies et hématome semblaient faire leur apparition un peu partout, des petites traces de sang, de griffures lorsqu’elle s’était débattue pour se défaire d’une emprise qu’elle ne voulait pas. Elle ne lui offrit pas longtemps pour aviser tout cela, puisque rapidement la honte reprit le dessus et elle s’engouffra dans l’eau tiède.
- « J’ai l’impression de te contraindre à faire toujours des choses que tu ne veux pas… Je sais que… » elle se pinça les lèvres « J’ai de la chance de t’avoir Merrick, tu peux penser ce que tu veux, mais j’ai de la chance et je te prouverais que tu es un homme bien et pas… un gros con, idiot, ivrogne qui ne sait pas mettre un pied devant l’autre. Et crois-moi hein, crois-moi ! SI JAMAIS tu vas aux putes… je te noierais de mes mains. »

C’était très étrange d’arriver à ce type de conversation après l’enchaînement des événements, pourtant, la Chantauvent essayait simplement de se faire violence pour oublier, pour le soulager, pour penser un instant à autre chose, parce que les jours à venir seraient sans aucun doute complexes.

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MessageSujet: Re: Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]:   Jusqu'à ce que la mort nous sépare [Estelle de Chantauvent]: EmptyLun 6 Avr 2020 - 0:22
C'était comme si une tempête avait soufflé ses tourments sur leur relation. Leur couple, tel un frêle esquif, avait subi plusieurs avaries en ayant rencontré les récifs du machiavélisme de l'homme et les écueils de la malveillance des monstres. Plus épave que vaisseau, le duo avait voyagé d'épreuve en épreuve, s'enfonçant dans des abysses de noirceur sans faire la moindre escale. Du moins, jusqu'à maintenant, là, à l'intérieur de la Chope Sucrée. Tels des naufragés accrochés aux derniers morceaux épars de leur embarcation, Merrick Lorren et Estelle de Chantauvent tentaient de réparer ce qui pouvait l'être, de redonner un semblant de gloire à leur histoire qui semblait péricliter et sombrer. Disloquée par la houle du ressentiment, écartelé par le ressac de la peine et de la haine, la tâche n'en était guère facile. Pour autant, les récents événements qui s'étaient déroulés sous la bruine et la brume ou dans la misère des tortueux cachots de la cité n'avaient point effacé une chose qui semblait désormais immuable; leur attachement respectif l'un à l'autre.

Ainsi donc, c'est tout d'abord par une distanciation et une écoute attentive du milicien que la tenancière s'était livré tentant de mettre des mots sur les maux l'habitant. Respectant sa demande de silence, Lorren n'était revenu sur sa parole qu'une seule et unique fois en coupant la parole à la dame de Chantauvent en mettant de l'avant son désir de tuer, de punir, de venger. Horrible, mais à la fois empreint d'une sincérité alarmante, cette allocution s'avérerait peut-être prophétique pour l'avenir. Toujours est-il que la rouquine avait continué, jusqu'au tarissement complet du flot de ses propos. Puis, leur position avait changé, l'ivrogne avait eu sa chance de s'expliquer, de tenter de définir ce qui allait en être et surtout, de disculper de toute faute la jeune femme qui était victime et non bourreau de sa propre existence. Les vices et sévices qui constituaient son existence, couplé aux immondices et autre supplice de cette nuit n'étaient aucunement de son ressort, de sa faute. Merrick y croyait dur comme fer et voulait lui faire comprendre. Or, l'homme d'armes était bien démuni face aux dégoûts que pouvait ressentir Estelle envers elle-même, ou bien le rapprochement physique depuis l'agression qu'elle avait subie. Doucement et tendrement, il tenterait de repousser cette malveillance qui devait torturer son esprit, prenant d'assaut cette forteresse à mains nue s'il le fallait.

C'est dans ce silence attentif, qu'ils s'échangeaient lorsque l'autre parlait pour éviter une escalade d'aigreur et d'incompréhension comme dans la cellule, que l'ivrogne lui donna la chance de répondre à ses questionnements concernant Eude de Chantauvent. Elle voulait le voir ? Lui avait besoin de la savoir en sécurité et de comprendre. Mener l'enquête était en quelque sorte son moyen pour contrebalancer l'hérésie de cette rencontre avec la fange en y important une forme de logique à cette irrationnelle volonté de se retrouver au-devant de la mort. "Adrien, hein ?" Peut-être que le milicien s'aveuglait à cause de son antipathie plus que prononcé pour ce véritable salopard. De fait, simplement entendre son nom le mettait dans un état de profonde colère. Pourtant, tentant de rester le plus avisé possible, il ne pouvait s'empêcher de relever la présence de l'infâme frère et le fait qu'Estelle dormait beaucoup. L'avait-il drogué pour la garder endormie ? Dans tous les cas, ce n'était pas le temps de creuser une quelconque piste menant à son frère. L'infamie de l'instant se suffisait à elle-même sans nécessairement avoir besoin de se replonger dans la malveillance du passé. En outre, Lorren ne voyait aucun lien probant entre Adrien et la mort d'Eude. Ce dernier devait simplement avoir profité de la disparition du milicien pour se rapprocher vilement de sa sœur...

-"D'accord, d'accord. Eude." Accepta-t-il d'appeler le monstre. Au final, qu'il lui donne un quelconque diminutif humain ou non, le résultat restait le même aux yeux du coutilier; c'était une créature qui devait mourir ou être oubliée pour le bien d'Estelle. "Nous ne les rêverons plus." Au besoin, il irait voir son homologue Alder pour poser quelques questions, sans s'approcher des hommes en affectation. Et puis, le risque de les recroiser restait minime si la rouquine ne tentait pas de nouveau de sortir de la cité durant la nuit, soit durant leur prise de garde à la Porte du Crépuscule.

Mais la suite pouvait encore attendre un peu, repoussée pour un temps alors que le supplicié à l'étage se rappelait avec force à son esprit, lui qui ne s'inquiétait point réellement pour le blessé, mais craignait plutôt de le retrouver mort et donc de s'en vouloir à cause de cela. Ainsi, cette inquiétude était complètement tournée vers lui-même, par crainte de sa propre réaction, sachant pertinemment qu'il n'avait pas le moins du monde aidé le salopard en suspendant son aide durant quelques instants. Faible comme il l'était, est-ce qu'il vrillerait, plongeant dans un abyme de ténèbres, comme à son retour du Goulot devenu Chaudron ? Serait-il de nouveau plus qu'une pâle copie de lui-même, un être sur le bord de la déchéance. Glissant un regard à cette main qu'il tenait, à cette femme qu'il aimait, il se promit qu'il résisterait à la tentation de se recroqueviller sur ses propres émotions si le pire devait s'être produit. Lorren lui devait bien cela, être là pour Estelle, alors que la jeune femme l'avait toujours supporté et sauvé de ses pires vices. Offrant une pression un peu plus conséquente sur ces doigts aussi froids que la mort, l'homme d'armes les entraîna vers l'étage. Il était heureux de voir que ce simple contact ne la dérangeait pas aussi fortement que celui de ses lèvres, tandis qu'elle l'avait en quelque sorte fui, puis retrouvé, en revenant les chercher. Triste dualité, engoncée et arrimée autour de la douceur et la peur du contact, s'il en est.

Gravissant les marches puis déposant son bras sur ses épaules, Merrick finit par l'entraîner jusqu'à la porte et à l'ouvrier. L'odeur qui leur monta à la gorge ne laissa plus aucun doute sur la finalité de celui qui avait été sauvé pour simplement trépasser quelque temps plus tard. Parlant peu et trouvant refuge sur une chaise durant un infime instant, l'ivrogne retrouva peu à peu contenance. Ce n'était pas le temps de s'apitoyer sur son sort, il devait bouger, se mouvoir, agir. Tout d'abord se débarrasser de ce corps. Oui, c'était un bon début, celui de privilégier la sécurité. Ensuite, se concentrer sur la dame de Chantauvent elle-même. Voilà, le plan. Entendant son nom prononcé par la rouquine après avoir dressé ce qu'il allait faire, Merrick se fourvoya devant son désarroi. "Oui il est mort, mais ce n'est pas de notre faute." Tenta-t-il un peu stupidement, comme pour se déculpabiliser, alors qu'ils avaient tout fait sauf l'aider. "Ce n'est pas grave..." Ouais, la mort d'un homme était chose commune depuis quelque temps. Alors, un quidam de plus ou de moins, ça ne dérangeait pas, non ? Pensa-t-il en hochant la tête pour lui-même. Lorsqu'Estelle prononça à nouveau son nom, il tenta de se montrer plus convaincant. " Ce n'est vraiment rien ! Ça va aller !" Enchaîna-t-il rapidement, le ton plus perché qu'habituellement. De fait, il espérait que l'esprit de la propriétaire des lieux n'allait pas se torturer pour ce badaud, alors qu'elle était déjà aux prises avec de pires tracas. " Il a quand même osé dire que la Chope Sucrée était un endroit de femme ! Et puis, il a failli me frapper avec sa charrette et il traitait mal son cheval, alors..." Bordel, mais que déblatérait-il rapidement, comme pour dresser les mots face à un potentiel remords de la rousse ? Il ferait mieux de se taire plutôt que trouver une raison pouvant expliquer pourquoi sa mort n'était point préjudiciable pour eux...

Finalement, la suite des dires d'Estelle survint. Que voulait-il par c'était lui ? Après sa prise de parole hautement stupide, Lorren préférait rester silencieux et attendre la suite de la part de sa partenaire. Toutefois, il était soucieux. Estelle perdait-elle la tête ? Le prenait-elle pour un autre ? Impossible qu'elle connaisse ce lascar, non ? "Tu...tu vas bien ?" La réponse ne risquait aucunement d'être positive avec tout ce qu'elle avait traversé. Mais l'homme d'armes faisait plutôt mention de sa santé mentale, tandis qu'elle disait reconnaître le cadavre. La suite le fit encore douter, alors que sa future épouse se dirigeait vers le corps, remontant ses manches l'une à la suite de l'autre. "Qu'est-ce que tu fai...ah." Prononça-t-il lorsqu'il vit ce qu'elle avait cherché à découvrir, lorsqu'il découvrit à son tour que le macchabée était un banni. S'approchant lui aussi, fronçant les sourcils et en proie à une pléthore de question sans réponse, il tenta de réfléchir sur la signification de tout cela.

Comment un banni pouvait-il passer continuellement la sécurité de la Porte du Crépuscule ? C'était impossible...à moins qu'il soit de mèche avec la coutelerie d'Alder ? Ça, c'était saugrenu, quasiment impensable, mais pas impossible. Ou alors, l'homme en question utilisait un autre chemin pour entrer et sortir de la cité... mais lequel et à quelle fin ? Tant de question sans réponse, tant d'interrogation qui ne menait à rien. Pour le moment, il repoussa ce tracas, sachant qu'il devait plutôt se concentrer sur le macabre travail de descendre le corps et de le décapiter pour leur sécurité. D'ailleurs, l'aide proposée par la tenancière l'aida à reprendre pied dans la réalité plutôt que de rester enfermé dans ses réflexions. Jetant son regard vers le cadavre, il ne put qu'hocher la tête. Il aurait besoin d'aide, alors que l'énergumène n'était pas une brindille. "Merci. À trois. Un, deux, trois !" Ainsi, l'inconnu fut soulevé avec le drap, recouvert de ce dernier comme un linceul mortuaire. Merrick grogna sous l'effort et se mit à faire le chemin à reculons. "Il va encore avoir besoin de changer quelque chose." Dit-il en parlant des draps. "Décidément, ça n'arrêtera jamais..." Il fallait dire que depuis l'invasion de la fange, la Chope Sucrée semblait coûter plus cher à entretenir que ce qu'elle rapportait. Entre les réparations et le couvre-feu qui l'avait privé de ses clients, puis ce cadavre qui venait tacher la literie, les dépenses augmentaient sans que le moindre revenu ne rentre dans les coffres. S'en était troublant et potentiellement inquiétant. Nouveau propriétaire dudit endroit, Merrick ne connaissait aucunement la situation financière de l'auberge. Mais il espérait qu'elle n'était pas trop critique, car il ne manquerait que cela pour rendre leur vie encore plus difficile.

Après de nombreux efforts, et ayant failli l'échapper quelques fois, le mort se retrouva à l'air libre et le couple -encore- sous la pluie. Soupirant et s'essuyant le front d'où perlait la sueur après l'effort déployé pour descendre le moribond, Lorren laissa la pluie couler sur son visage. C'était la première fois de la journée que celle-ci était la bienvenue. Récupérant la hache qu'Estelle avait trimbalée jusqu'à l'intérieur un peu plus tôt dans la journée, pour tenter vainement de couper du bois, Merrick regarda son tranchant. À peine aiguisé. Il devrait frapper encore et encore pour espérer décapiter le lascar qui ne lui rendait aucunement la vie facile. Au fond de lui, une partie de son être se questionnait, cherchant à définir quand il était devenu aussi insensible à la mort, s'attristant plus de devoir forcer pour couper séparer la tête d'un corps, plutôt que de rechigner à effectuer la macabre action. Mais après tout, on ne pouvait pas trop lui en vouloir pour son détachement, lui qui avait passé les jours suivants l'attaque de la Fange sur le Goulot à décapiter des cadavres et à brûler des cadavres, que ce soit ceux des monstres, des hommes de la cité ou de leurs femmes et enfants...

-"...Pardon ?" Que venait-elle de dire ? Merrick fronça les sourcils en la regardant plutôt qu'en observant son arme de bourreau. Non, il avait mal entendu. Après tout, impossible qu'elle prenne ce quidam pour le messager de la mort de son ancien époux. Après tout, il n'était même pas dans la milice, alors comment était-ce possible ? Non, c'était insensé ! Mais, ça il ne pouvait pas réellement lui dire, sachant pertinemment que s'il lui montrait qu'il ne lui faisait pas confiance, Estelle pourrait renouer avec la hargne et la colère plutôt rapidement, pensait-il. "Tu...tu es certaine ?" Bien qu'il ne l'accuse pas de folie, il restait difficile de cacher ses doutes. "Enfin, la mort, ça change un homme...je crois." Il n'avait jamais essayé, alors il ne pouvait être sûr..."Tu ne l'as pas reconnu alors qu'il était vivant, ne penses-tu pas que tu peux faire une erreur, maintenant qu'il est blême et sans expression ?" L'ensemble de ses dires s'articulaient autour de questions pour éviter d'être trop tranchant avec une position ambivalente ou contraire à ce la dame de Chantauvent pensait. Par la Trinité, il marchait véritablement sur des charbons ardents pour ne pas faire une erreur... "Je te fais confiance, pour ne pas t'enfuir." Lui dit-il après un moment de silence, alors qu'il avait hésité et qu'il avait scruté la tenancière. Au final, il la pensait trop chamboulée, trop impacté, aussi bien physiquement que psychologiquement pour renouer avec l'impensable. En outre, il la voyait difficilement tenter de retraverser la porte de la cité en cette nuit. Et puis, d'ailleurs, Lorren n'avait-il pas offert de nouveau sa confiance à la rouquine après la leur confrontation ? Dès lors, l'ivrogne serait bien mal avisé de déjà la lui enlever, bien qu'il n'escomptait point arrêter de la surveiller... " Je comprends, laisse-moi faire. Ce n'est pas un problème pour moi." C'était un peu horrible à dire, de présenter cela comme une banalité, mais passons. " Bonne idée pour le bain."

C'est ainsi que tous deux se mirent au travail. La dame de Chantauvent était rentrée en cuisine pour se mettre à préparer les infusions, tandis que Lorren commençait à soulever la hache pour l'abattre sur le cou du décédé. Dès le premier coup, il sut que la tâche serait ardue et plus longue que prévu, tandis que le cou résistait à sa frappe, libérant certes un flot de sang et marquant le malheureux, mais sans pour autant déchirer les muscles suffisamment proprement et profondément. "Même dans la mort tu es un foutu fardeau, hein ?" Relevant l'arme et ahanant sous l'effort, l'ivrogne crut entendre quelque chose entre le bruit de succion de son arme dans la masse de chairs, la pluie et sa propre respiration. "Tu as dit quelque chose ? Pour me détendre ?" Il laissa sa tête passer le cadre de porte pour croiser le regard de la Chantauvent. Que devait-il lui dire la vérité ? "Oui, ça m'est arrivé." Il ne savait aucunement que son aveu était déjà connu d'Estelle, sachant pertinemment qu'elle l'avait elle-même drogué lorsqu'il était avec de Rivefière. Pourtant, lui ne parlait point de cette histoire, n'étant aucunement au courant qu'elle avait malencontreusement échappé des herbes dans son breuvage. Ainsi, Merrick mentionnait plutôt ses tentatives de s'abrutir dans les mixtures de Flore de Maisonfort au lendemain de sa participation à l'offensive du Chaudron. "Je...je ne sais pas trop. J'ai rapidement arrêté." C'était presque comme perdre connaissance, alors que les contrecoups le lendemain étaient pires qu'une gueule de bois. Après tout, pour soigner un mal puissant, la mesure se devait d'être tout aussi forte..." Je m'en occupe, tu peux y aller." Termina-t-il lorsqu'elle l'avisa qu'il serait responsable de monter le tout et potentiellement de..."pimenter" les infusions.

Travaillant jusqu'à ce qu'enfin la tête roule un peu plus loin du tronc, Merrick lâcha la hache, la laissant tomber au côté du macchabée. Au moins, la pluie entraînerait au loin de l'arrière-cour le plus gros du sang. Cette arrière-cour de malheur qui voyait passer cadavre sur cadavre, d'ailleurs... rentrant dans la cuisine, avisant le breuvage qui était prêt à être servir, il regarda les herbes "défendues" de la Chantauvent. Et puis merde, ça ne pouvait pas être une si mauvaise idée d'ajouter à la mixture des herbes à même de l'assommer pour la faire dormir plus calmement, décida-t-il en soulevant le pot. Par contre, le coutilier n'oserait pas le moins du monde s'infliger le même traitement. Trop inquiet pour Estelle, il désirait veiller sur elle, sur son sommeil. C'est ainsi qu'il ajouta les herbes dans l'infusion de la jeune femme. N'étant pas trop certain de leur force, il décida d'en mettre trois cuillérées. Était-ce trop, pas assez, ou le dosage parfait pour la rouquine ? Il risquait de s'en rendre compte plutôt rapidement, mais sur le coup, ça ne lui semblait pas trop être mauvais...

Au final, sans qu'il ne le sache, il en avait trop mis. Que se passerait-il dès lors ? La rousse tomberait endormie dans la cuve, ou bien se mettrait-elle à déliré ou imaginer des choses ? Seul l'avenir serait en mesure de le lui révéler... (échecs...)

Montant à l'étage et entrant dans la salle d'eau, il lui tendit sa tasse. "J'ai peut-être un peu trop laissé chauffer l'eau, pardon." Dit-il à titre d'excuse lorsqu'elle sembla se brûler la langue. Entre la décapitation qui avait été plus longue, son hésitation a incorporé ou non des herbes pour faire dormir, puis le moment ou il avait tergiversé pour savoir qu'elle quantité incorporée, Lorren avait probablement laissé l'eau montée à une température trop élevée. La suivant comme son ombre, dans cette pièce déjà plus chaude que le reste de la Chope, le coutilier enleva enfin sa cape mouillée jusqu'à la trame, la jetant simplement sur une chaise. "Approche, je vais regarder." Lui dit-il doucement, préférant la laisser avancer vers lui plutôt que le contraire. "Ça ne ferait pas de mal de retrouver sa monture, en effet. elle semblait être une brave bête comparativement à son maître." Continua-t-il sur un ton anodin, la regardant se mouvoir.

Puis, ce fut la surprise d'une prise de parole qu'il n'avait aucunement prévue. "Abandonner la milice...?" Interdit devant pareil sujet de conversation, il resta muet jusqu'à ce que la propriétaire des lieux lui disent d'oublier ça. "Non ! non je... je suis juste surpris par ta question, c'est tout." Répondit-il rapidement, voyant la gêne prendre les rênes des traits de sa future femme. À dire vrai, il n'y avait jamais pensé, devant sa survie à son incorporation dans la milice. De fait, il vivait grâce à son salaire et avait profité par le passé de la caserne pour pouvoir se loger. Or, Merrick n'avait jamais été amoureux de son travail, ni particulièrement heureux de le faire. Ainsi, logiquement, il devrait être en mesure de l'abandonner, non ? "Que pourrais-je faire d'autre ?" En quoi pourrait se transformer un ivrogne de coutilier ? En aubergiste maintenant qu'il était l'un des propriétaires de l'établissement ? Est-ce que la Chope Sucrée faisait suffisamment de bénéfice pour leur assurer la sécurité financière ? "Peut-être un jour, Estelle..." Il ne pouvait dire oui ou non, ne sachant pas trop bien ce que l'avenir leur réservait. Mais aucunement dupe, il pensait savoir pourquoi elle lui posait sa question; probablement pour ne pas le voir disparaître comme Eude. "Le meilleur des mondes serait de devenir sergent, non ? Un salaire plus important et rester assis derrière un bureau toute la journée, au chaud et en sécurité...le rêve." Enchaîna-t-il avec un maigre sourire. Peut-être qu'il exagérait un peu la tranquillité du poste. Toutefois, de son œil extérieur, c'était la position idéale. "Mais bon, je crois que ce n'est pas poss...pour bientôt." Corrigea-t-il finalement. Déjà qu'il était incompréhensible qu'il soit coutilier, mieux valait oublier le poste suivant. En outre, il ne savait ni lire ni écrire. Chose qui semblait plutôt importante pour les sergents. Mais l'espoir faisait vivre non ?

Dos à lui, Merrick Lorren se concentra sur le dos de sa vis-à-vis. Même s'il n'y avait rien à y percevoir, cette vision le fit tout de même souffrir, là où hématomes et griffures étaient perceptibles sur cette peau d'albâtre. Levant la main pour toucher sa peau, le milicien suspendit son geste lorsqu'elle s'enfuit en s'immergeant dans l'eau. Le coutilier se racla la gorge, laissant retomber sa main, mais sans êtres capables de détacher son regard de sa silhouette, qu'elle soit dos à lui ou à moitié caché par la cuve. " Il y a quelques hématomes et griff...enfin, rien d'excessivement grave. Probablement que tes muscles seront fourbus demain. Je pourrais te faire un massage. Enfin, seulement si tu veux ! Ne te sens pas obligé à quoi que ce soit. Ça serait normal que...bref. Tu me diras ce que tu voudras." En un sens, l'ivrogne comprenait pourquoi elle évitait de son contact. Pour autant, il ne pouvait dire que cela lui plaisait. S'approchant du bassin, il s'assit au sol, dos à la cuve, s'appuyant sur cette dernière. Ainsi, aussi proche de la Chantauvent que possible sans rentrer dans l'eau, il restait dos à elle, lui laissant son intimité qu'il connaissait, certes, par cœur, mais qu'elle avait failli se faire spolier par ce salopard de Bernard. Qu'elle se retrouve elle-même avant de s'ouvrir de nouveau à la proximité et la promiscuité du coutilier était normal. Dorénavant, à lui d'être patient dorénavant d'attendre son signe.

-"Arrête, ce n'est pas vrai. Je ne suis pas contraint de faire ce que je ne veux pas. Regarde, le ménage n'avance jamais grâce à moi !" Tenta-t-il pour la dérider. "Et puis, je préfère que tu me parles de tes doutes et tes hésitations plutôt que de te voir t'enfermer dans le silence, ou pire; le mensonge, par peur de me contraindre à faire quelque chose." Continua-t-il plus sérieusement. Puis, calant sa tête sur le rebord de la cuve, alors que certaines de ses mèches trempaient dans l'eau, Lorren étendit ses jambes, les croisant l'une par-dessus l'autre. Puis fermèrent les yeux en souriant. "Et puis, personne ne peut contraindre Merrick Lorren à faire ce qu'il ne veut pas, Princesse. Tu devrais le savoir, alors que j'ai charmé une certaine tenancière, bien que les règles de la maison interdisent ce genre de prouesse..." Peut-être qu'il se hissait un peu trop sur un piédestal, oblitérant probablement Brigitte de sa réflexion, mais qu'importe. Même si cela était dans son esprit, être un puéril héros avait du bon parfois. Ouvrant un œil pour observer sa compagne, il le referma aussitôt. Oui, il connaissait cette silhouette, son physique et les courbes de son corps. Mais cela ne voulait point dire qu'il ne l'électrisait pas toujours autant. Ainsi, difficile de se restreindre à l'obscurantisme volontaire.

Riant doucement à la suite des paroles de la Chantauvent, plus par habitude que par réel amusement sachant qu'il était difficile de repousser la malveillance des récents événements, Lorren permit de corriger deux ou trois faits. "Oh, je suis probablement un gros con et bien évidemment un ivrogne. Mais même avec ça, il ne serait pas possible d'être un homme bon ?" La question était peut-être ironique, mais pourtant, elle avait un fond de vérité. Était-il condamné à n'être qu'un ignoble ignare à cause de ses mauvais penchants ? "Tu sais que je ne suis jamais allé aux putes ? Enfin, jamais pour consommer, j'entends." Mettre les pieds dans un bordel avec ses frères d'armes, certes, il l'avait fait. Mais payer pour une femme ? Jamais." Payer l'alcool a toujours été plus important que payer pour la chaire." Dit-il en haussant les épaules. De fait, il n'avait jamais roulé sur l'or, et buvant plus que de raison et perpétuellement, l'ensemble de sa maigre richesse était dilapidé dans l'argent. Ainsi, comment payer pour une femme ? Impossible. D'ailleurs, attraper sa proie sans chasser était nettement moins intéressant. Joueur dans l'âme, le coureur de jupons avait toujours préféré tenter de charmer pour gagner les faveurs de la gent féminine. Cela ne faisait pas de lui quelqu'un de plus respectable, loin de là d'ailleurs, mais préférait-il mettre cela au clair. "Mais promis, je n'irais pas me risquer auprès d'une autre femme. Je ne suis pas assez bon nageur pour prendre le risque, alors..."

Prenant une autre gorgée de son infusion, Merrick soupira. La chaleur apaisante de la salle, en plus de celle de la cuve qu'il pouvait sentir contre son dos lui faisait du bien, l'alanguissant peu à peu. À ne pas y réfléchir, c'était comme s'ils avaient laissé leur problème et tracas à l'extérieur de la pièce. Or, s'était trop simple pour être vrai. À partir du moment que son esprit dérivait du calme de l'endroit, celui revenait rapidement s'arrimer à la truculente réalité de leur découverte en cette nuit. Ainsi, mieux valait détourner la conversation de ces maux et problèmes. Du moins jusqu'à demain, jusqu'à la lueur du jour et non pas au milieu de la noirceur de la nuit. Était-ce trop demandé ? "Je voudrais corriger quelque chose, Princesse." Commença-t-il en se retournant, appuyant ses bras sur le rebord du bassin et son menton contre ceux-ci, les yeux toujours fermés. "Tu sais tout à l'heure, tu avais dit avoir besoin de moi et non de la perfection ? Je ne suis pas sûr de comprendre...l'un n'est pourtant pas dissociable de l'autre, à mon..."humble" avis !" Était-il sérieux ? Pas vraiment. Était-il sarcastique ? Pas complètement...

Souriant sans rien voir, tâtonnant en quête de sa tasse, fronçant les sourcils jusqu'à la retrouver, Merrick l'amena à sa bouche, réussissant admirablement à échapper la moitié de sa rasade sur le devant de sa chemines. "...Bordel ! " Se relevant et se tournant pour enfin voir quelque chose, il enleva sa chemise qui était déjà bien mouillée, attrapant une serviette pour s'enrouler dedans et revenir s'asseoir à sa position de départ. "Ça, ça ne change rien à ma perfection !"

Retrouvant le silence et se perdant dans celui-ci, le coutilier finit par le briser par une vérité. Il avait hésité à pousser l'investigation sur la transformation d'Eude en fangeux, mais cela pouvait attendre à demain, ne voulant crever de lui-même cet accalmie dans cette soirée tourmentée. "Je suis aussi chanceux de t'avoir, Estelle. Tu es probablement la seule femme assez folle pour t'attacher à...celui que je suis. Mais quand bien même, tu es la seule avec qui je voudrais être et avec qui je compte les jours avant notre mariage." C'était nettement plus une métaphore que la réalité, tandis qu'aucune date n'avait été fixée. D'ailleurs, le couple vivait quasiment déjà comme des époux. Oui, il valait mieux rapidement normaliser la situation, surtout pour éviter les ragots de mauvais goût, pour calmer une quelconque critique du clergé et pour ne pas fâcher la Chantauvent avec sa foi. Quand bien même, le milicien était heureux de pouvoir la présenter comme sa future femme et pouvoir vivre à ses côtés. Ce qui était arrivé ce soir n'y changerait rien, ne transformerait aucunement l'affection qui lui portait, bien qu'il la surveillerait sans discontinuer.

Au bout d'un moment de silence, Merrick Lorren du questionner sa partenaire; "Tout va bien ?" S'inquiétait-il pour elle, ou pensait-il qu'elle s'endormait, là, dans l'eau chaude et potentiellement bien aidée par les herbes en trop grande quantité présente dans son breuvage ? Potentiellement un peu des deux, lui qui se forçait à garder les yeux fermés. Et puis, il fallait aussi espérer que d'avoir raté le dosage endormirait la Chantauvent plutôt qu'autre chose... Au bout d'un moment plus ou moins long dépendant de ses prises de parole ou de son discours ni tenant plus, il finit par ouvrir les yeux doucement pour la regarder. À première vue, celle-ci semblait dormir dans l'eau. Se mettant sur les genoux, doucement, il toucha son bras. Dormait-elle ? "Ce n'est pas vraiment le lieu pour une sieste, Princesse..." Retirant la serviette dans laquelle il était enroulé, il glissa ses bras dans l'eau pour la soulever et la sortie de la cuve. Déposant sa promise dans le tissu, refermant ce dernier sur elle, il se leva et se mit à marcher en direction de la chambre. Il murmura faiblement, pour ne pas la réveiller ou pour ne pas la brusquer, elle qui semblait bien comateuse en cet instant..."Ça va devenir une habitude de me voir te porter !"

Se glissant dans le couloir, ouvrant la porte d'un bref mouvement d'épaule, il se dirigea vers le lit pour la déposer. En chemin, dans le noir, il tenta d'éviter de marcher sur le foutoir qui recouvrait le plancher. En vain, alors que son pied nu depuis qu'il avait enlevé ses bottes rencontra un objet solide non identifié. "Pu..." Retenant un cri et un juron, il laissa son regard frustré se poser sur le visage de sa vis-à-vis, lui en voulait pour ce capharnaüm. Toutefois, simplement la regarder le calma, le rassérénant aussitôt. La déposant sur le lit et sous les couvertures, Merrick déposa ses lèvres sur son front. "Bonne nuit..."

Avait-il réellement raison de parler de nuit ? Avait-il bien compris qu'elle était en train de s'endormir ou de dormir ? L'idiot n'avait après tout pas pris en considération son mauvais dosage des herbes qui avait peut-être assommé durant un instant Estelle de Chantauvent. Ainsi, tout pouvait encore arriver, et celle-ci pouvait encore le surprendre. Toutefois, si c'était vraiment le sommeil qui la rattrapait, il se coucherait à ses côtés, la couvant du regard jusqu'à ce que les bras de Morphée se referment aussi sur lui, et ce, jusqu'à demain, jusqu'à la clarté du jour...
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