Le géant et l'enfant

5 août 1166 :

Finalement le Labret, ce n’est pas si nul que ça. Lorsque j’entendais les gens de Marbrume en parler, ils évoquais une terre peuplée uniquement de paysan inculte, se calfeutrant la nuit tombée et vivant sur le fil du rasoir. Bien sûr, ils n’ont pas tort, mais c’est également un endroit qui ne tombe pas en ruine, où les gens ont un certain optimiste et où il est possible de boire de la bière de première qualité, et ça, c’est un luxe sans prix.

Je suis venu dans la région pour déposer une lettre très importante de la part de Victor de Rougelac, mon allié et je comptais repartir immédiatement après. À la place, je fais une petite enquête sur les diverses femmes nobles et célibataires possédant des terres, car c’est un endroit où je me verrais bien vivre. Il y a bien sûr Apolline De Pessan qui a quelques fermes, mais ce n’est pas la seule et il a quelques autres dames de la haute société présentes.

J’ai donc pris ma liste et fais ce que certaines personnes appelleraient faire du tourisme, alors que pour moi, il s’agit plus de prospection maritale. Après tout je cherche à me marier, il faut donc que j’y mette du mien, je souhaite trouver une femme ayant un titre, belle, douce, sachant se taire quand je lui demande et féconde. Je ne pense donc pas avoir des espérances trop élevées, après tout je suis bel homme, encore jeune, chevalier, natif et allié à une puissante maisonnée, ce devrais donc être faisable.

Je chevauche donc la journée, m’arrêtant dans diverses auberges pour y passer la nuit, la sécurité de l’endroit n’étant pas suffisante pour dormir à la belle étoile et je parcours le pays. Je pense que c’est ce qui me rapproche le plus de mon ancienne existence, il me manque juste une bande de joyeux compagnons et soldats et je me croirais revenu cinq ans en arrière.

J’arrive ainsi devant une charmante propriété et je décide de mettre pied à terre pour recueillir des renseignements sur le ou la propriétaire des lieux. Tenant mon cheval d’une main, je longe la route, cherchant du regard un gueux qui puisse faire quelque chose d’utile de sa vie en me donnant les informations dont j’ai besoin.

Malheureusement, j’ai beau faire le tour de l’endroit, je ne vois aucun représentant du bas peuple, ils semblent être tous partis dans les champs. C’est bien ma veine, le seul jour où ils décident de travailler, c’est le jour où j’ai besoin d’eux. Les Trois ont vraiment un sens de l’humour très particulier et j’allais abandonner, repartant sur les routes quand je vois une petite fille, pas bien âgé qui semble me regarder.

Je décide donc de la rejoindre et une fois à sa hauteur, manière de parler car je dois faire deux fois sa taille, je lui demande :

Hé petite, je cherche des renseignements sur le maître de ces terres, tu connais son nom ?

Voilà, je ne sais guère comment parler à un enfant, je m’adresse donc à elle comme à une adulte, espérant que j’arriverais à me faire comprendre.

Une journée ordinaire au domaine de Pessan.

L'enfant aimait le grand soleil et la chaleur des mois d'été, lorsque tout était paisible à la maison : la servante faisait cuire le repas, son père travaillait aux comptes dans son bureau, et elle-même avait mis la dernière main à un habit pour le petit Alfred, qui grandissait si vite qu'il fallait toujours refaire ses vêtements.

Mais le temps clément lui permettait de coudre dehors, au grand air. Bien protégée par la clôture, elle se sentait en sécurité. Assise sur une chaise en bois apportée par ses soins, devisant gaiement avec un des mercenaires qui gardaient le domaine, la gamine se redressa à l'approche d'un inconnu, un homme d'arme, semblait-il, qui semblait à la recherche de quelque chose.

Intriguée, la petite noble de neuf années aux cheveux blonds se leva, pour s'approcher de l'étranger après avoir ouvert le portail renforcé.

Un brin intimidée par sa taille, elle ploya brièvement les genoux pour lui adresser une courte révérence, ses yeux très noirs fixés dans les siens, avec curiosité.

- "Bien le bonjour, messire."

Des mois durant, l'enfant avait travaillé sa diction afin qu'elle soit plus claire, soignant également sa posture, pour mieux correspondre aux critères de la noblesse - et bien que ce ne fut pas parfait, elle faisait presque illusion.

- "Vous êtes sur le domaine de Pessan. Sa maitresse en est Apolline de Pessan, mais c'est mon père, le comte de Beauharnais, qui en est l'intendant. Que cherchez-vous, messire ? Nous pouvons vous offrir le gîte et le couvert pour cette nuit, si vous le désirez. Personne ne peut se trouver dehors après le couvre-feu... Tout ce qui bouge durant la nuit est exécuté par les sentinelles du bourg. Je suis sûre que mon père acceptera de vous loger si vous en avez le besoin."

Elle lui offrit un sourire doux, enfantin. La détermination dans ses yeux, elle ne semblait pas une pécore - non, désormais, Alix ressemblait à une petite noble, qui avait perdu en grande partie sa naïveté.

Déjà cette petite fille est bien polie et s’adresse à moi avec le bon titre, ce qui me plait. En plus, elle me donne pile les informations dont j’ai besoin, m’indiquant à qui j’ai à faire, ce nom m’est familier et en effet, lorsque je sors la liste des femmes bonne à marier, elle a été mise en bas de la liste. C’est dommage car ce domaine est tout à fait bien entretenu et ce sera une candidate à aller voir, sans aucun doute.

Elle m’invite en plus à diner, avec un peu de chance il y a aura un plat à la citrouille, chose que je ne refuse jamais et je hoche la tête quand elle ma fait part de cette règle du « tu sors, t’es mort » appliqué ici. Je la connaissais déjà et je la comprends tout à fait, j’aurais fait exactement la même chose, si j’habitais dans cette contrée dangereuse, et le Roi devrait appliquer la même chose à Marbrume avec le couvre-feu. Mais le pense qu’il est trop faible pour cela, alors que le chef de la milice d’ici, prend ses responsabilités. Je m’incline donc devant la future comtesse, en me présentant :

Je suis le chevalier Desmond de Rochemont et j’accepte avec plaisir votre hospitalité.

Je m’approche ensuite de la petite fille, qui ressemble vraiment à une adulte miniature avec sa gestuelle et sa diction et je lui demande :

Pouvez-vous m’en dire plus sur Apolline de Pessan, j’ai déjà croisé le chevalier Angusel de Cambaire qui lui prêté allégeance et cela semble être une personne de valeur, j’aimerais mieux la connaître.

C’est le moins que je puisse dire, si je veux lui faire la cour, je vais devoir ramasser le maximum d’information sur elle pour aborder des sujets qui l’intéresse et laisser de côté ce qui pourrais être tabou ou inconvenant. Je laisse donc la fille du comte me répondre et j’écoute avec une grande attention ses paroles. Ensuite, je dois mettre en place une chose importante et j’indique à la fillette :

Il y a une tradition dans ma famille, c’est lorsque nous sommes invités chez une personne de la noblesse, nous jurons de ne pas tirer l’épée. Pour symboliser cette promesse, je mets cette ficelle sur mon fourreau, si je dois tirer ma lame, elle se cassera et j’aurais ainsi briser mon serment. Peut-être connaissiez-vous ce système ?

C’est possible, car c’était assez fréquent avant la Fange, les maisonnées ne se faisait pas de cadeau à l’époque et plus d’une a fini anéantit à cause d’un acte de traitrise. Bien sûr, si je veux jouer au fourbe, je le peux toujours mais ce n’est pas le but de ma visite et je m’en tiendrais donc aux règles. Je vois mon cheval qui s’impatiente, cette pause doit lui sembler bien longue et il doit souhaiter que nous reprenions la route, mais je vais le détromper et je demande à la demoiselle :

Pouvez-vous m’indiquer où sont les écuries ? Mon cheval a besoin que l’on s’occupe de lui, un peu d’eau et d’avoine, lui ferons plaisir j’en suis sûr.