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| Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] | |
| Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Dim 3 Mai 2020 - 23:09 | | | ◈Réminiscence d'une amitié◈ Fin septembre, 1166 Je courrais jusqu'à en perdre haleine. Subséquemment, je fendais les bosquets, broussailles et buissons, me frayant un chemin au milieu de cette végétation tandis que cette dernière me ralentissait. Les branches venaient à ma rencontre, déchirant mes vêtements et balafrant ma peau. Qu'importe. Je n'en avais que faire, moi qui fuyais pour ma vie, moi qui détalais telle une armée en débâcle après les risques découlant de la rixe. Il était indigne pour un noble de décamper ainsi face aux dangers ? Je n'étais plus de cette engeance, de ceux qui se complaisent dans l'honneur d'une lignée ne signifiant plus rien. Enfin, je voulais le croire tandis que mon nom maudit qui me collait à la peau semblait plus être tombeau que planche de salut... Toujours est-il que ma survie passait et passerait avant n'importe quel honneur. Et c'est ce que je faisais, fuyant en direction de ma survie dans l'indignité et l'opprobre. Après tout, cela ne risquait guère de gâcher encore plus ma réputation dans les cercles mondains du dernier bastion de l'humanité, non ? Toutefois, ces réflexions étaient pour l'heure bien triviales et ô combien futiles. De fait, un point nettement plus important était que moi, Alphonse de Sarosse, je courrais. Moi, le malade incapable du moindre effort physique sur la durée, je cavalais à en perdre haleine. Et justement, c'est ce que je faisais; perdre haleine. Ainsi, bien que sentant une crise arriver, je ne pouvais ralentir tandis que mes poursuivants étaient sur mes talons, se rapprochant à chaque enjambée et comblant le maigre écart que j'avais réussi à créer. L'ensemble des acteurs en présence savaient le dénouement de cette cavalcade effrénée, là, aux abords d'Usson, à proximité du rivage et du littoral. De fait, je ne pourrais m'en sortir, trop lente comparativement à ces gens vilipendant qui avait fait des armes leurs métiers, de leur condition physique leur gage de sécurité. -"On le rattrape les gars !" -" Allez, allez, allez !"Faible, interdit et indécis face à mes maigres possibilités, je ne faisais que retarder l'inévitable. En nage, ployant sous les contrecoups de la peur et déchiré par le manque d'air, tandis que mes poumons s'embrasaient, je finis par chuter lorsque mon pied droit rencontra une racine qui semblait placée là traîtreusement, caché sous le couvert des feuilles de ce morne printemps. Était-ce un énième signe de la Trinité, une nouvelle malveillance des Trois, de ces déités m'ayant abandonné depuis ma naissance ? Je ne le savais guère. Toutefois, peut-être venaient-ils de se décider à me sacrifier, moi, celui qui n'aurait jamais dû survivre à l'affaire de Sarosse, aux Faubourgs en hiver ou à la reconquête du Labret. Entraîné dans une chute fracassante et tonitruante par ma vitesse, roulant au sol et dégringolant d'une pente douce, un arbre vint à la rencontre de mon dos et de l'arrière de mon crâne, suspendant ma course pour de bon. Hurlant de douleur, puis grognant à moitié assommée, désormais affalée les yeux vers les cieux, j'oubliais mes poursuivants et ce qui m'attendait à rester ainsi prostré au sol. La voûte céleste m'aspirait. Si cette journée devait symboliser la fin de mon existence, j'aurais la chance de trépasser sous un ciel infiniment bleu, ou l'azur des cieux ne côtoyait que le soleil à son firmament. Mes maigres forces me quittaient, là, sur le sol boueux et recouvert de feuille du Labret. Pourquoi avais-je tenté de m'enfuir, déjà ? Pour faire face à la disgrâce ? Il était trop tard pour ça, elle qui était déjà devenue l'ignominie de ma vie. Pour éviter de capituler et d'acter ma reddition ? Mon existence était une longue suite d'abandon. Dès lors, qu'est-ce que cela changerait, une fois de plus ou de moins ? Non, autant rester au sol à... -"Debout, Al'...Lève-toi.Avance.Tu es un de Sarosse.N'abandonne pas. "Je devenais fou. Qui me parlait ? Marie, mon père ou Quentin ? Aucun, à tout le moins. Ils étaient tous morts, m'ayant abandonné, me laissant seul, isolé et esseulé dans la survie de cette vie passée à fuir les tourments. J'allais bientôt les rejoindre. Je n'avais pas besoin de m'en inquiéter... -"DEBOUT !"Geignant, le goût du sang dans la bouche, je me mis à quatre pattes, écoutant ces voix dans ma conscience. Devenais-je fou ? Était-ce le choc sur mon crâne qui me faisait entendre des choses aussi impossibles qu'impensables, ou était-ce la malnutrition, ce manque de nourriture qui me tuait à petit feu, qui éveillait en moi une forme de démence ? Je ne le savais guère trop, mais je passais outre en faisant l'effort de bouger. Le monde tanguait et vacillait, lui qui semblait au bord de la ruine. Tout était imprécis, comme si un épais brouillard avait recouvert de sa nappe mes yeux. J'avais envie de vomir, de crier et de pleurer. Or, je continuais à tenter de me mettre debout. En vain. Pourquoi autant d'effort ? Pourquoi autant de souffrance ? Désormais à genoux, fermant les mains et formant des poings, je levai la tête, juste à temps pour voir un individu s'approcher de moi en courant. "Piti..." tentais-je de formuler en vain, les larmes commençant à couler et traçant des sillons au milieu de la crasse qui s'était accumulée sur mon visage. Mon dernier souvenir de cet instant est son genou rencontrant ma tempe, alors que l'obscurité s'emparait de ma conscience et de mes sens. Toute ma vie était une suite d'échec. Cette fois-ci n'avait pas été différente, moi qui n'avais pas réussi à fuir, moi qui n'avait même pas réussi à me relever pour affronter dignement ceux qui allaient devenir mes geôliers, et peut-être, mes bourreaux... ◈◈◈ Je ne pourrais dire spécifiquement quand je repris connaissance ni combien de temps s'était écoulé. Encore plongé dans un marasme comateux, aggravé par le fracas de ce genou rencontrant mon faciès après ma cascade et la rencontre d'un arbre, j'étais paralysé. Traîné au sol, tiré par les jambes, je n'arrivais pas à voir le visage ou l'allure de mes tortionnaires. Quand bien même, ils étaient pour moi bien faciles à imaginer. Des gaillards à la mine patibulaire, aussi féroce et forcenée que des limiers, couturé de cicatrices et prêt à en découdre contre tout forban, bannis ou malandrin se dressant sur le chemin. Avais-je tort ? Peut-être. Toujours est-il que pour moi, mes criminels revêtiraient sans conteste des traits sadiques et tyranniques. Tel que leur maître et seigneur, le despote Sigfroi de Silvur en personne. Sortant des taillis, ayant fini de traverser la lisère des bois, nous arrivions dans une clairière ou d'autres silhouettes se dessinaient. Elles semblaient s'agiter en tous sens. Défaisaient-ils un campement ? Je ne pouvais trop le dire, la vision encore impactée par mes déboires et déconvenues. "Nous l'avons eu, chef !" Les paroles de l'un des deux lascars me traînant me déchirèrent les tympans, me crevant le cerveau et me vrillant le crâne, tandis que j'entendais en double l'ensemble de ses dires. -"Alors, savez-vous pourquoi il fuyait comme ça ?"Mes jambes furent lâchées et je vis qu'une foule d'ombre m'entourait. Combien était-il ? Six, huit, ou plus ? "Vous nous avez dit de le rattraper, pas de l'interroger. Et puis, à cavaler comme ça, il me semble avoir l'attitude d'une personne coupable !"-"Vous ne l'avez pas manqué."-"Il s'est mangé un arbre et mon genou, alors..."Celui qui semblait être le supérieur se pencha sur moi. "Eh oh, tu m'entends ?" Je tentai de produire des mots pour former des phrases, mais cela fut un effort futile et bien vain. Mes propos étaient abscons et je ne réussis qu'à produire des borborygmes aussi indéfinissables qu'incompréhensibles. "Il ne semble pas avoir une marque de bannissement. Il doit être un pirate du Dauphinat. Enfin, il en a la même allure déplorable." Peu à peu, les mots se frayaient un chemin dans ma tête et je commençais à les comprendre. Ils ne me courraient pas après parce qu'il m'avait reconnu, mais simplement parce que j'avais eu l'air louche ? Par la Trinité, il ne savait point que j'étais le rejeton de la famille de Sarosse, potentiellement le dernier homme vivant à avoir attenté à la vie du Duc désormais Roi ? Cette découverte me fit soudain rire. Ma joie fut tout de même entrecoupée par de brefs sanglots, ne sachant point si je devais être heureux ou malheureux de ne pas être reconnu. Étais-je tombé si bas pour qu'on ne voie pas en moi celui que j'étais ? Certes, mes cheveux étaient en pagaille et dans un piètre état. Mes vêtements n'avaient pas meilleure allure, tout déchiré et déchiqueté qu'ils étaient, et mon corps qui avait toujours été émincé était dorénavant rachitique. Le visage creusé par la faim, le manque de sommeil et dorénavant impacté par les coups reçut, je devais avoir l'air de ce que j'étais; un vagabond et un banni, un paria de la société. -"Décidément, vous ne l'avez vraiment pas raté." Répéta celui qui semblait diriger, pensant probablement que j'étais fou a rire et presque pleurer ainsi. "Eh oh ! c'est quoi ton nom, mon gars ?" L'apathie dans laquelle je baignais sembla me jouer des tours tandis que mes pupilles semblaient de nouveau s'habituer à la clarté meurtrière du soleil, arrivant enfin à percevoir des visages plutôt que de simple forme. Cette langueur douloureuse, non pas oblitérée, mais à tout le moins réduite, me permit de discerner un faciès ressemblant fortement à quelqu'un que je connaissais. Enfin, que j'avais connu. Après tout, il me semblait impossible et illogique que ce dernier soit là, devant celui que j'étais devenu, face à la disgrâce que j'avais connue... non ? Et puis, je ne pouvais croire que cet ami se retrouve dans la meute de loups me chassant et me pourchassant pour fomenter mon trépas. Mais...cette crinière quasiment argentée et ces yeux d'un bleu profond me faisaient douter. -"Alors ? Ton nom !"-"...Jacob ?" C'était une question et non pas une affirmation. Cependant, celle-ci fut comprise comme mon diminutif et non pas comme une interrogation. -"Eh bien, maintenant nous avons deux Jacob avec nous les gars ! Allez, on se met en route. Le sergent verra ce qu'il veut en faire !"Pour le moment, mon escorte semblait croire que j'étais un pirate. Ainsi, ma vraie identité était encore un secret. Peut-être était-ce mieux ainsi ? Toutefois, si je n'avais pas été trompé par l'engourdissement de mes sens, et que Jacob de Rivefière était réellement présent, je ne resterais pas longtemps inconnu. À moins que, lui aussi, ne me reconnaissance pas ? Après tout, que restait-il réellement du Alphonse de Sarosse de jadis ? Plus cadavre ambulant qu'être vivant, plus vil bannis que noble mondain, ne serais-je jamais reconnu par ceux que j'avais un jour côtoyés, ou serais-je oublié, à jamais oblitérer des consciences et de l'histoire du dernier bastion de l'humanité ? inapte à panser mon passé ou penser à mon futur, je savais simplement que le présent risquait de péricliter la fin, de pérenniser ma mort lorsque je rencontrerais ce sergent.. Ainsi, qu'arriverait-il d'Alphonse de Sarosse ou de ce qu'il en restait ? Rien n'était moins sûr... - les codes des couleurs des dialogues:
Milicien(s) lambda: color=#578251 Coutilier: color=#00cc00
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| | | Jacob de RivefièreComte
| Sujet: Re: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Jeu 14 Mai 2020 - 16:28 | | | « Là-bas ! »À seulement quelques mètres d'eux, le fuyard détalait comme si la Fange était à ses trousses. Ils l'avaient surpris sur la route du Labret, aux abords d'un bois connu pour parfois abriter la pire des engeances. Bannis, proscrits et autres pirates avaient en effet la réputation d'y trouver refuge entre deux méfaits. Guettant le passage des convois d'approvisionnement qui des fermes transportaient les trésors de nourriture à destination de Marbrume, ils savaient exploiter le moindre buisson pour manigancer leurs guet-apens. Il n'était alors pas rare de voir les caravanes attaquées, les fermiers malmenés et les récoltes volées. Pour ces raisons, les miliciens affectés à l'extérieur se trouvaient en charge d'assurer la sécurité de ces expéditions agricoles nécessaires à la survie de tous. Ce jour là Jacob s'était joint à leur troupe, renouant avec son passé de milicien pour le temps qu'il s'offrait loin de Marbrume et de ses nouvelles obligations. Il n'était Comte que depuis quelques semaines et son titre, comme les responsabilités qui en découlaient, pesaient sur ses épaules comme l'auraient fait cent hommes. Un poids lourd à porter pour celui qui se considérait comme le mouton noir de la trop noble famille dont il avait désormais la charge. Néanmoins, en proie à un soudain sens du devoir – comme quoi tout arrive – il avait choisi de céder à la raison pour tenter de retrouver Serena. Aux dernières nouvelles, sa soeur et sa coutillerie se trouvaient quelques part, entre Marbrume et le village de Sallers. Il n'avait pas la moindre idée d'où, mais il se devait d'essayer. Estimant cependant que cette mission ne méritait pas qu'il se mette inutilement en danger, il avait choisi de profiter d'une escorte déjà formée pour rejoindre le Labret. Un choix plus que judicieux selon son accompagnateur, Hugues de Camaris, ancien maître d'armes et ami fidèle de la famille Rivefière. Jacob le connaissait depuis son plus jeune âge et ce faisait presque toujours devoir de suivre ses conseils. Aussi avait-il admis qu'il valait mieux se joindre à une coutillerie sur le départ. Il n'avait cependant pas pensé que cela puisse être celle formée de ses connaissances la plus proche. C'était étrange, d'ailleurs, de côtoyer certains de ses anciens compagnons d'armes et de n'avoir plus l'opportunité de se fondre dans leur quotidien, ni de partager leurs habitudes. Il n'en demeurait pas moins attaché à participer à l'effort de bataille et alors qu'un des patrouilleurs signalait la présence d'un fugitif, il s'était précipité pour aider à la traque. La perspective d'une probable altercation, comme l'adrénaline drainée par une chasse à l'homme inattendue, avaient cela de bon qu'elles oblitéraient ses tragiques pensées. Dans les bois, alors qu'il courait comme ces miliciens pour rattraper celui qui tentait de leur échapper, il n'était plus question d'étiquette, de bienséance ou de correction. Il fallait seulement mettre la main sur un bandit, lui rappeler comme il était malvenu de s'en prendre à un convoi affublé d'une bonne escorte et pourquoi pas, lui faire regretter le jour de sa venue au monde. C'était là le devoir de tout bon milicien, mais également celui d'un noble qui avait fait serment de protéger les siens. En se lançant à la poursuite du gredin, Jacob ne faisait rien de plus que ce qu'il devait. Il n'en prenait cependant pas moins de plaisir. Il renouait avec ses basiques et retrouvait dans l'exercice un peu de cette liberté qu'un blason lui avait volé. C'était d'ailleurs assez invraisemblable, de se trouver si entravé par des armoiries qu'il devait afficher comme un phare. Un nom pouvait se porter dans l'anonymat – il l'avait fait pendant presque deux ans – et se rappeler à votre bon souvenir, en vous offrant sa panoplie de chaînes héritées du passé. En général, cela arrivait toujours au pire moment. Après quoi, un nom avait cette fâcheuse tendance à vous coller à la peau et tout le monde s'accordait pour dire qu'à Marbrume, il valait mieux qu'elle soit blanche et immaculée. Évitant de justesse une branche qui voulait frapper son visage, Jacob se déporta sur le côté et se trouva forcé d’accélérer sa course afin de ne pas se trouver distancé. La végétation était dense dans cette partie du bois et avide de s'agripper aux jambes. Un poison qui s'agrémentait de pièges, alors que plusieurs racines traîtresses concouraient à rendre la poursuite chaotique. À côté de lui, un milicien chuta dans un juron, mais ils restaient assez nombreux pour se satisfaire de cet avantage. Les plus expérimentés d'entre eux, probablement d'anciens chasseurs ou tout simplement des traqueurs, étaient parvenus à réduire l'écart entre eux et le vaurien. Ce dernier ne pourrait plus leur échapper très longtemps. Il était d'ailleurs évident que la course l'épuisait, tandis qu'il se trouvait ralenti par quelques buissons et fourrés. Lui-même n'était pas très à l'aise sur ce type de terrain, d’autant qu’il avait voulu prendre le fuyard à revers. Il pouvait pourtant se targuer d’avoir un physique entretenu par l’effort et l’entraînement qu’il s’infligeait quotidiennement. Cependant, ici, dans ce bourbier glissant tapissé de feuilles automnales, il peinait à suivre le rythme. C’était que le diable menait un train d’enfer et c’était que ses poursuivants les plus expérimentés le chassaient avec la hargne du divin. L’un d’entre eux, d’ailleurs, s’approcha presque assez près pour pouvoir le happer. Sa main cependant se referma sur le vide, tandis que la gouape roula au sol. Probablement entraîné dans sa chute par la vitesse imprégnée dans sa course folle, le scélérat dégringola et dévala une pente jusqu’à heurter un arbre. Le choc, confirmé par un cri de douleur, le stoppa net. Ne restait plus alors qu’à le cueillir. En haut du talus, Jacob observa la scène d’un oeil critique. Visiblement sonné, le criminel - puisque cela ne faisait aucun doute qu'il en était un - n'était parvenu qu'à se hisser sur ses genoux. Gémissant, pleurnichant presque, il s’avilissait dans le seul espoir d‘obtenir un sursis. Terribles instants où l’homme perd tout ce qu’il lui reste de dignité. Ignobles moments, durant lesquels la peur ronge et dévore la fierté du vivant. La pitié… Ravalant ce que la compassion voulait vomir de ses pensées, Jacob serra les dents. En contrebas, les miliciens procédaient à l’arrestation du malfrat qui ne tenait finalement que du pauvre ère affamé. Maigre à en faire pâlir un cadavre, crasseux, le visage creusé par la fatigue, le redoutable n’était très certainement qu’un simple homme à la dérive. À présent inconscient, alors qu’un coup porté à sa tempe avait achevé de le sonner, il paraissait même à deux doigts de rejoindre la tombe. Tiré par les jambes il se trouvait ainsi traîné sans ménagement par ceux qui s’étaient fait devoir de l’arrêter. Ils avaient donc rebroussé chemin, bardés de leur "redoutable" fardeau, remontant la pente de la butte et passant à côté du noble qui demeurait pensif. Celui qui affame le peuple peut–il prétendre à appliquer une bonne justice, quand le voleur dérobe seulement pour se nourrir ? Tout à sa réflexion, Jacob s’attarda sur la silhouette que les miliciens se faisaient devoir de tracter en direction de leur campement. Il avait les cheveux en bataille, collés par la sueur de son échappée, poussiéreux et emmêlés. Ses mains, abîmées et griffées, balançaient derrière lui au grès de leur rencontre avec les cailloux et les branchages. Elles étaient semblables à celles d’un artiste. Grandes et fines, pourvues de doigts élancés qui auraient fait la part belle au musicien. Quant à son visage émacié, il se trouvait bien loin de porter les stigmates d’une vie de truand. Ses hautes pommettes, ses joues creusées par la malnutrition, les cernes qui accentuaient sa pâleur, sa… Par tous les dieux ! Le choc fut terrible, mais le doute se trouva écarté avec une implacable certitude. Il aurait pourtant juré l’avoir vu parmi les victimes sacrifiées devant les portes de Marbrumes quelques années auparavant… Alphonse de Sarosse. Son ami et presque confident de l’époque. Ils s’étaient rencontrés un peu par hasard, au milieu d’une fête assommante de faste. Lui, le dandy à l’air trop sérieux, l’érudit à l’esprit brillant et son contraire, le facétieux querelleur Rivefière. Leurs physiques s’opposaient, comme leurs caractères, mais ils s’étaient trouvés assez de points communs pour se lier d’une franche amitié. La distance entre les domaines de leurs familles respectives ne leur avait pas permis d’abondantes rencontres, mais ils avaient échangé lettres et pensées couchées sur le parchemin pendant un temps, et jusqu’à l‘arrivée de la Fange. Le tumulte de cette découverte qui le ramena des années en arrière, l‘ébranla si rudement qu’il ne trouva pas à répliquer quand certains de ces "amis" miliciens moquèrent son manque d’efficacité, maintenant qu’il portait un titre. La plaisanterie l’aurait pourtant fait sourire et riposter. Cependant et alors qu’il voyait son ancien ami malmené par ses nouveaux alliés, Jacob resta silencieux tout en marchant dans leurs pas. Ainsi avaient-ils fini par rejoindre le campement qui les avait gardé à l’abri pendant la nuit. Le départ était proche. Il fallait reprendre la route pour rejoindre le Labret au plus vite et éviter de trop flirter avec le danger qui rôdait tout autour. Pour autant, les préoccupations du nouveau Comte de Rivefière étaient bien loin de s’en faire un sujet. Non... Perdu dans la contemplation de la déchéance de son presque frère, Jacob se figurait ses propres démons. Ils avaient été proches au point de se confier d’intimes secrets et se trouvaient présentement si éloignés, qu’il avait l’impression de voir se creuser un gouffre entre eux. Au bord de la nausée, à deux doigts de se trouver submergé par la colère qui voulait quitter sa gorge et maudire le destin, il ne prêta pas attention aux mots échangés entre les miliciens. L'irréel s'était invité dans son regard. L'impossible se jouait sous ses yeux. Alphonse s’était même mis à rire, ajoutant l’ironie au tableau de ce que le jeune Rivefière considérait comme une abjecte soumission. Il aurait voulu crier à l’ignominie, frapper de ses poings tout ce que le monde avait d’épouvantable. Revenir en arrière pour condamner le déshonore du puissant qui s’arme d’une répugnante cruauté. Le coeur en révolte, il sentait comme le sang battait à ses tempes. Ses doigts, engourdis par la hargne, voulaient se refermer sur le pommeau de son arme. Il se trouvait cependant incapable de réagir. Interdit, tandis que son ami dépouillé se faisait le miroir d’un avenir immérité. Un avenir qui l’appelait d’une voix familière. « Jacob ? »Son regard se porta sur le fuyard que les miliciens prenaient pour un pirate du Dauphinat. Fallait-il que la noblesse soit tombée bien bas, pour que ses plus illustres représentants ne se trouvent pas même reconnus. La sentence s’abattit comme un couperet. « Allez, on se met en route. Le sergent verra ce qu'il veut en faire ! »Et tandis qu’il voyait son ami s’éloigner, flanqué de ses geôliers, tandis qu’il demeurait là, à observer ce que le nouveau monde pouvait charrier de déchéance, Jacob se surprit à prier. Ses mots, silencieusement adressés aux dieux, comme une promesse offerte à un frère, tissaient le serment de son indéfectible loyauté. Amitié de cour, foi de renards, société de loups*… Lui n’était pas de ces animaux. - *:
Citation de Nicolas de Chamfort.
Dernière édition par Jacob de Rivefière le Mer 15 Juil 2020 - 23:20, édité 1 fois |
| | | Ansgarde CorvinMilicienne
| Sujet: Re: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Jeu 28 Mai 2020 - 19:55 | | | "Hostile !" lança Baudri à la cantonade d'un air triomphant. Il passait pour le plus cultivé de la coutillerie. "Ouais ! C'est le mot qu'je cherchais. T’as l’air « eaustille » Ans." La jeune milicienne ne sut pas ce qui était le moins crédible : que Gaubert sache réellement ce qu' "hostile" signifiait ou qu'il reconnaisse ignorer quelque chose. "J'allais le dire, mais... Hum." Ah, voilà qui était plus habituel de sa part. "T'as tes menstrues ??"
La remarque provoqua les rires plus ou moins bienveillants parmi la veillée de miliciens qui avait choisi de la prendre pour cible des quolibets ce soir. La faible capacité générale d’attention pour son prochain (ou plutôt l’infime part qu’ils accordaient à leurs camarades féminines) dont ils faisaient preuve leur avait pourtant suffi à déceler un changement de comportement chez leur sœur d’armes. Non qu’elle soit très expansive lorsque la coutillerie partait en mission mais sans qu’ils n’en aient une réelle conscience elle s’occupait à patiemment lisser les liens entre eux, acceptant sans broncher d’être encore la cible de leurs moqueries. Elle savait que cela faisait partie du jeu, que de leur entente dépendrait peut-être leur retour, de leur humeur également. Alors elle s’appliquait depuis deux ans à tous les connaître, à savoir ce qui mettait chacun dans de bonnes dispositions, à émietter les encouragements discrets sans jamais rien en laisser paraître ou à placer quand il le fallait des piques susceptibles d’attiser leur combativité sans les rabaisser.
C’était une tâche ingrate que d’œuvrer dans l’ombre sans jamais recevoir la moindre expression de gratitude. La jeune fille éprouvait souvent au début de tout cela le besoin de chercher des réponses à ses doutes sur les dalles froides du Temple, allant jusqu’à endurer de rudes pénitences lorsqu’elle pensait ne pas être assez digne de l’attention de Rikni. Des longues heures immobiles passées à invoquer le nom de sa Déesse le front contre la pierre Ansgarde avait retiré de précieuses leçons de résignation. Patiemment elle sentait son corps s’engourdir jusqu’à ne plus rien sentir. Ni le froid, ni la dureté du sol, ni les voix des présences autour. Il était alors agréable de se laisser aller à cette paix factice qui devenait authentique avec l’accoutumance. Quand plus rien ne pouvait troubler sa méditation il lui semblait pouvoir commencer à espérer devenir un réceptacle méritoire aux voix des Divins. La jeune fille n’était alors plus rien d’autre qu’une âme oscillant à la vibration de leur appel impérieux comme d’autres âmes transportées. Si peu nombreuses depuis le déclin de l’Humanité, mais ne s’étant jamais pressées auprès d’Eux avec tant de ferveur. Que lui importaient les rudesses de sa condition lorsqu’après de longues heures elle se redressait et que sa chair douloureuse lui rappelait les privations quotidiennes. Si jeune, elle avait réussi à faire de la douleur une alliée. Elle ne l’ignorait pas, ne lui accordait pas plus d’importance qu’une simple information parmi d’autres. La douleur est une bête hideuse qu’on ne peut repousser, alors autant ne pas la craindre. Autant l’apprivoiser du peu qu’on le puisse. Autant la comprendre.
Elle attendit que leur hilarité retombe un peu pour répondre.
« Mais non. J’me disais seulement qu’avec vos gros rires même un fangeux débutant pourrait nous pister à dix lieues. » Pendant un instant sa voix tranquille flotta au-dessus de leurs têtes déconcertées. Bon sang, il ne fallait pas qu’elle montre sa mauvaise humeur maintenant, c’était beaucoup trop dangereux. Elle esquissa un petit sourire en coin qu’elle accentua à mesure qu’elle posait les yeux de visage en visage pour finir par ricaner de concert avec eux. N’attendant qu’une occasion de repartir dans leur marrade ils finirent par se désintéresser d’elle.
Son regard se tourna vers les deux hommes qui discutaient à voix basse. L’un, âgé, dont elle percevait la voix de basse tel un velours apaisant. L’autre, bien plus jeune dont les cheveux dorés se détachaient dans la pénombre semblait écouter son aîné comme on reconnaît la sagesse malgré l’inférieur du rang. Elle s’attarda sur lui bien malgré elle jusqu’à ressentir ce nœud douloureux dans le ventre. Rikni… Rikni… Le souvenir de leur dernier échange provoqua un tel afflux de colère en elle que pendant quelques instants elle n’entendit plus rien hormis le sang qui lui cognait les tempes. Accorde-moi la clairvoyance… Qu’elle avait été naïve de croire que le temps adoucirait le goût de tout ce fiel. L’ennemi est grand mais ma foi est immense… Quel ennemi ? Certainement pas cet ancien compagnon d’armes qui l’avait aidée à affermir la main qui tenait son épée. Même s’il portait alors un autre nom. Alors, elle-même ? Nos bannières contre le ciel sont accrochées… Il avait fallu parmi toutes les coutilleries de l’extérieur qu’il tombe sur la sienne. Les Dieux avaient fait montre d’un sens de l’humour bien particulier pour favoriser ce hasard. Ne nous permets pas d’implorer ni de nous recroqueviller… Elle tentait de se persuader que tout allait bien se passer. Ce n’était qu’une vague impression mais ça lui collait à la peau depuis qu’elle avait reconnu le visage de celui qui les accompagnerait. Comme un mauvais pressentiment que rien ne se passerait comme prévu. Le métal me dit que je ne suis plus chez moi… Elle n’avait oublié aucun des mots qu’ils s’étaient jetés au visage malgré les mois écoulés. Tout ce qu’elle souhaitait à présent était que sa présence ne la perturbe pas dans sa mission. Il n’était pas responsable de sa réaction, pourtant. C’était… épidermique. Tu ne laisseras pas ma lame trembler sous mes doigts… Comme il avait dû souffrir. Est-ce que quelqu’un s’était préoccupé de cela ? Quelqu’un « d’autre »…
La milicienne se leva avec un peu trop de brusquerie pour être réellement en paix et prit congé des autres. Avec un peu de chance elle arriverait à se reposer avant son tour de garde.
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Le groupe était reparti de bonne heure. Entre miliciens et militaires ils pouvaient se permettre de forcer la marche pour rejoindre leur destination au plus vite. C’était elle qui avait trouvé la piste la première. Quelques signes infimes qui n’avaient pas pu échapper à son œil scrutateur. Elle avançait en tête, et personne ne lui disputait ce poste d’éclaireur qu’elle s’était arrogé dès leur première sortie. En cas de mauvaise rencontre ils préféraient que ce soit elle plutôt qu’eux, n’est-ce pas, mais son intuition et sa vivacité se posaient en réels atouts pour cette tâche. Plus encore aujourd’hui où elle se sentait tendue à l’extrême de savoir son ancien camarade trop proche, elle utilisait cet état de nervosité pour aiguiser ses sens autant qu’elle le pouvait. A force d’ascétisme et d’entraînements poussés elle parvenait à concevoir le décor comme un univers de formes et de mouvements logiques, utilisant sa vue non pas comme on embrasse un paysage du regard mais se concentrant sur un détail anodin ; ainsi la périphérie de l’iris n’était plus distrait par les informations bigarrées et inutiles mais seulement par des trajectoires conformes à ce qu’on attendait d’elles : le vent qui remuait herbes hautes et nuages, des passages d’animaux divers, des chutes de branchages, tout cela constituait un ensemble d’imprévus logiques. Elle n’était pas infaillible pourtant, et quelques-uns de ses échecs auraient pu finir de façon tragique au moins pour elle si elle n’avait pas été épaulée par des compagnons réactifs. Mathieu surtout reconnaissait le plus facilement ses qualités et n’hésitait pas à la seconder. Parfois même il avait empêché Ansbert de passer ses nerfs gratuitement sur elle. Ansie s’accommodait de cela et reconnaissait à chacun des qualités au combat qu’elle s’efforçait de copier. Cette fois ce fut à Gaubert marchant juste derrière elle qu’elle signala la piste par des signes convenus. Du regard il lui demanda confirmation de ce qu’elle pensait avoir trouvé, ce à quoi elle répondit par un hochement de tête négatif qu’elle n’en savait pas plus pour le moment. Le coutilier transmit les informations aux autres et aux deux chevaliers et ils avancèrent désormais dans le silence le plus total. Gibier ou créature monstrueuse, l’un pouvait leur assurer un bon accueil à leur arrivée, l’autre… Oh, simplement une mort atroce. La rouquine choisit de distancer ses compagnons et décrivit un léger écart pour ne pas tomber directement sur la chose. Plus elle s’approchait, moins les traces semblaient désigner la pire des options. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle relâchait son attention. A présent que l’être humain ne figurait plus en tête de la liste des prédateurs elle ne tenait pas plus que cela à servir de proie à qui que ce soit. Patiemment elle gagna du terrain sur « lui », laissant les indices semés sur sa droite, à rebrousse vent.
***
Lorsqu’elle était revenue faire son rapport à son coutillier, il ne lui avait fallu qu’un bref temps de réflexion pour décider de n’envoyer que la moitié des effectifs derrière leur lièvre. La milicienne était revenue avec la description d’un homme seul, désarmé, qui progressait lentement. Il avait donc envoyé quatre hommes en laissant Ansie récupérer avec lui et les deux derniers. Gaubert aimait la chasse à l’homme et n’avait pas jugé utile de lui accorder le « plaisir » de débusquer sa proie, mais quand on connaissait un peu notre milicienne on savait qu’elle n’en avait que faire. Elle n’avait pas choisi la milice extérieure pour traquer ses semblables et ne prenait aucun plaisir à obéir aux ordres qui impliquaient combats et mises à mort de ces derniers. Dans sa logique idéaliste dont personne ne savait rien faute de lui avoir jamais demandé, elle avait une certaine conscience que les jours des Hommes étaient comptés. Si le nombre de ses semblables se trouvait suffisamment réduit pour pouvoir être contenu dans une seule cité, alors ôter la moindre vie était pour elle une lourde responsabilité. Ils tombaient déjà si facilement sous les griffes des Abominations, femmes, enfants et guerriers aussi fragiles et sans défense que des oisillons qu’un simple coup achevait, que les protéger lui semblait plus censé. Mais la guerrière savait également qu’aucun espoir ne subsisterait sans cet ordre bien rodé qui ne pouvait être maintenu que par un seul homme couronné. Son obéissance était jusqu’à présent sans faille. Pour ce qui était de sa conscience, elle négociait âprement avec les Trois jusqu’à en perdre le sommeil.
Olier et Baudri jetèrent leur capture aux pieds de leur coutilier et s’ensuivit le dialogue que vous connaissez. La « bleue » s’était approchée elle aussi pour jeter un coup d’œil à ce qu’ils avaient ramené, étonnée déjà qu’ils aient pris la peine de malmener une si maigre prise qui ne ressemblait pas beaucoup à un banni standard. Elle scruta le visage émacié avec attention, les yeux légèrement plissés. Signe indubitable d’une intense réflexion, pourtant elle ne réagit pas. Quand elle entendit son chef émettre une hypothèse elle se contenta de secouer la tête.
« Celui-là, un corsaire ? Depuis quand ils recrutent dans le gabarit « appât à maquereau » ? »
Sans rien ajouter elle chargea son paquetage sur ses épaules. Gaubert voulait qu’ils arrivent d’abord à Usson avant d’envisager quoi que ce soit alors ils repartirent aussitôt le drôle remit debout. La rouquine hésita avant de repartir en première ligne. Ni le comte ni son aide n’avaient desserré les dents de tout l’épisode. C’était inhabituel, hormis lorsqu’ils s’entretenaient entre eux de leur propre mission ils avaient apprécié prendre part à la coutillerie. Parmi tous les doutes qui l’habitaient aucun ne remettait en question l’attachement que le Rivefière portait à la milice. Elle avait eu le temps de voir bien des choses le prouvant. Et même s’il semblait prendre soin de ne jamais la regarder ni avoir à lui adresser la parole, elle entama le geste de se tourner vers eux pour s’enquérir de leur ressenti. Puis le suspendit. Ses épaules s’affaissèrent un peu et elle se détourna pour rejoindre la tête de la colonne au pas de course.
La route ne fut pas bien longue pour pénétrer dans le Labret, où leur humeur se détendit sensiblement et à partir de cet endroit elle put regagner le groupe compact. Un milicien, Mathieu, de tous le plus amical envers elle, voulut même tendre une outre d’eau au prisonnier. Aussitôt la milicienne aux cheveux fauves bloqua son poignet.
« Tu crois qu’on en a trop ? On verra une fois arrivés. »
Sa voix était dure, presque sèche. Le gars haussa les épaules et rangea son eau. Arrivés à destination Gaubert s’entretint avec le bourgmestre local ainsi que les agriculteurs dont ils devaient convoyer les denrées au retour. Sur place leur mission serait toute autre mais ils aborderaient le sujet plus tard.
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| | | Alphonse de SarosseVagabond
| Sujet: Re: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Mar 2 Juin 2020 - 17:23 | | | -"...Jacob ?".Non, c'était impossible. C'était impensable ou à tout le moins incompréhensible. Il ne pouvait être là, être présent devant moi. Pas lui. Les chocs simultanés avec l'arbre puis avec le genou de l'un de mes tortionnaires -ou devrais-je dire de mes bourreaux?- devaient avoir été plus fort que je l'avais cru. Dès lors, mon esprit devait encore me jouer des tours. Après tout, si tel était le cas, cela expliquerait pourquoi je m'étais fourvoyé sur l'identité de celui qui ne pouvait être qu'un milicien. C'était cela. L'élancement de mon crâne m'aveuglait. Ce blond à la mine avenante devait plutôt revêtir un air revêche et patibulaire. Je m'en rendrais compte quand ma vision retrouverait sa pleine acuité. Il n'était probablement qu'un énième homme d'armes sans cervelle qui agissait au non de l'omnipotent despote; ce vil Sigfroi de Silvrur qui siégeait au-dessus des gens importants et des gueux impotent. Désormais, j'en étais convaincu. Celui que j'avais pris pour Jacob n'était qu'un combattant lui ressemblant ! Bien. C'était ainsi qu'il me fallait réfléchir. Je devais éviter de fléchir et de me bercer d'illusion. Par chance, cette espérance avait été fugace et j'avais réussi à y circonvenir rapidement. Après tout, me bercer d'espoir aurait été stupide et d'une puérilité crasse. Le désespoir de réaliser que je m'étais trompé aurait été que plus grand et douloureux. Je n'avais pas à faire à mon ami. Mon esprit alangui me jouait simplement des tours. C'était un ennemi comme un autre. De toute façon, j'en avais conscience. Je me devais de ne plus penser aux macchabées de mon passé. Après tout, les réminiscences de leur existence m'écartelaient et m'empêchaient de me concentrer et d'avancer. Même absent, le poids de leur trépas était tel un fardeau pour le paria et le moins que rien que j'étais devenu. Impérativement, je devais oblitérer de ma conscience ces réflexions sur ces amitiés révolues qui ne m'amèneraient nulle part. Aussi sombre et tortueux que s'annonçât mon avenir, c'était tout ce qu'il me restait. Je devais donc lutter pour ce dernier et non pas m'enfermer dans ces questionnements vides de sens. Je savais qu'à force de ressasser mes souvenirs, je m'étouffais dans les regrets et les remords. Ainsi, je devais m'arrêter. Il me fallait panser mon passé et penser à mon futur si je voulais survivre. Certes, ce dernier était devenu un avenir qui venait de drastiquement se raccourcir avec ma capture, mais qu'importe. Il me restait peut-être une infime chance de m'en sortir. Je ne pouvais abandonner tout de suite. Pas là, pas maintenant. Ainsi, je me refusais d'y croire. Ce n'était pas Jacob. Ce dernier n'existait plus. Au même titre qu'Alphonse de Sarosse, ce dernier était mort. Mort et enterré pour de bon. Pourquoi en étais-je convaincu ? Car je ne pouvais croire que ce dernier soit sur mes traces pour me capturer et me tuer. Je ne voulais pas y croire. Non ! Je n'y croyais pas. Ce n'était pas lui. Le fils du comte de Rivefière ne me trahirait pas...non ? Non ! Après tout, il n'avait pas réagi au diminutif que je venais d'énoncer. Preuve s'il en est que l'individu était un autre être, un quelconque quidam sans importance. Par ailleurs, bien que notre amitié ne soit plus que réminiscence, cette dernière ne s'inscrivait pas dans la malveillance. Dès lors, comment cet ami aurait pu devenir un ennemi ? Pourquoi partirait-il sur mes traces pour me capturer et me livrer à la mort ? Non, c'était impossible. C'était impensable et cela aurait été à tout le moins incompréhensible. Alors...pourquoi avais-je envie de pleurer ? Ma tête me faisait un mal de chien. Que venait de dire le maître de cette meute de limiers ? Une remarque à propos d'un sergent ? Je n'étais pas un sergent, j'étais un de Sarosse ! Ma conscience comateuse me soufflait de régler ce petit quiproquo et de mettre en lumière mon titre de noblesse. " Je ne suis pas un sergent ! Je suis le fils de Cyr..." Un éclair de lucidité traversa mon esprit alangui. Par l'impie Trinité, qu'étais-je en train de faire ? "...Jacob. Je me nomme Jacob."Répétai-je pour étouffer le début de cette stupide révélation que je m'étais apprêté à faire. Je devais taire mon nom. Le présenter n'aurait aucunement été un plaidoyer, mais bien un aveu de culpabilité. J'en avais eu conscience au dernier moment, alors que mes sens me jouaient encore des tours. J'étais nauséeux et étourdi, incapable de réfléchir convenablement. Pour sauver la face et voiler qui j'étais, j'avais de nouveau utilisé le nom qui ne m'appartenait pas. Mes yeux étaient retournés observer la silhouette toujours indéfinie de l'homme d'armes ressemblant à s'y méprendre à Jacob. Vrillant mon regard maladif sur l'énergumène en question, je plissais mes yeux clairs alors que j'avais du mal à déchiffrer son apparence. Sous l'effort, le monde autour se mit à tanguer et vaciller. Je ne pus que secouer la tête et abandonner. La simple tâche d'observer m'en demandait encore trop, alors que ma tête semblait être sur le point d'exploser et tandis que le soleil brûlait furieusement mes pupilles. Je fermais les yeux pour me protéger. -"Un vrai spécimen !" Grogna le gradé quelque peu déconcerté par mes prises de paroles embrouillées. "Bon. Remettez-le debout, attachez-lui les mains et passez-lui une corde autour du cou. Nous le traînerons comme une bête de somme." Avec un peu plus de courage et de volonté, peut-être aurais-je eu l'audace de le corriger. De fait, j'avais conscience qu'ils ne me traîneraient pas comme une bête de somme, mais plutôt comme une bête en route vers l'abattoir. Ce n'était pas mon labeur qu'ils désiraient ardemment, mais mon sang et ma mort. Relevé de force et abruptement par mes tortionnaires, mon univers qui tanguait devint tempête. Suivant cette courbe ascendante, ma nausée se transforma en vomissement alors que le monde chavirait aussi sûrement qu'un esquif aux prises avec le déchaînement des mers. La houle devint ressac, alors que mon cœur faisait une embardée et que je n'arrivais plus à contenir le contenu de mon estomac. Les maigres traces de mes repas beaucoup trop frugales déferlèrent sur les bottes de la personne ayant fait l'effort -ou l'affront ?- de me lever après m'avoir aussi sévèrement malmené. Trop occupé à mener à bien cette tâche avilissante, je n'entendis par réellement la conversation qui eu lieu. Du moins, si les miliciens avaient réellement desserré les lèvres pour sortir de leur mutisme face à mes hauts le cœur... Au bout d'un certain temps, je fus attaché et la troupe se mit en route. Bien que cela soit contre mon gré, je suivis docilement le mouvement. Pour le moment, j'avais conscience que je ne gagnerais rien à me révolter, si ce n'est de me faire rosser vertement. Sur une autre note, bien que j'avais toujours aussi mal à la tête, je pouvais dire que vomir m'avait quelque peu éclairci l'esprit, ramenant une certaine accalmie sur mes sens meurtris. Dès lors, ma conscience se mit à voguer d'alerte en alarme, alors qu'elle sortait peu à peu de sa torpeur maladive et qu'elle réalisait à quel point j'étais près de la mort. Cette embellie avait ainsi la saveur de la défaite. Moi qui avais été chassé, traqué, poursuivi, banni, raillé, conspué, maudit et proscrit, j'étais désormais prisonnier. En outre, nous nous dirigions vers un sergent de la milice. J'estimais que celui-ci serait probablement en mesure de me reconnaître. Si tel était le cas, cela signifiait mon trépas inéluctable. Dès lors, je devais éviter de rencontrer cet homme. Par chance, pour le moment, il semblait que mes geôliers me prenaient pour un pirate du Dauphinat. C'était bien la première fois que j'étais heureux d'être perçu comme un vil forban ou comme un mécréant de la pire espèce... -"Avance !" Hurla hargneusement un milicien en me poussant dans le dos. Sa bourrade au creux de mes omoplates faillit me faire tomber au sol. Accélérant sur quelques mètres, luttant contre la gravité pour ne pas m'affaler face contre terre, je réussis à me maintenir sur mes pieds. Rentrant la tête dans les épaules, sans me retourner, je continuai ma route sans broncher. C'était déjà la troisième fois qu'il me demandait d'avancer de la sorte. À chaque fois, il l'avait fait avec cette douceur qui le caractérisait tant. M'avait-il pris en grippe parce que c'était sur ses bottes que j'avais vomi ? Je n'en étais pas certain. Qu'importe. Toujours est-il que je faisais mon possible pour suivre le rythme, mais mes oppresseurs semblaient ne pas avoir conscience de mon état de faiblesse avancé. Ou plutôt, cela ne semblait aucunement les intéresser. Ne comprenaient-ils pas que je souffrais conjointement de malnutrition et des blessures à la tête qu'ils m'avaient octroyées ? Ne percevait-il pas mon malheur et ma douleur ? N'étais-je bon qu'à mourir ? C'était difficile à dire alors que je ne savais guère ce qui agitait leur esprit. Toutefois, à mes yeux, cela était la preuve irréfutable d'une chose; l'humain était un monstre aussi immonde et terrible que la fange. Comme pour me donner raison, une milicienne me refusa l'unique trace de compassion que l'un de mes tortionnaires m'offrait; c'est-à-dire une bien maigre rasade d'eau après ma cavalcade effrénée et l'ensemble de mes pérégrinations tourmentées. Finalement, était-ce sur ses bottes à elle que j'avais vomi ? Cherchait-elle vengeance ou était-elle simplement une personne amère et aigre de nature ? Aussi défiante que le reste de ces scélérats, celle-ci ne pensait qu'à elle, refusant d'aider son prochain et faisant de sa livrée verte non pas une preuve de sa vertu, mais bien de son ignominie. Lui coulant un regard froid en coin, je ne pus m'empêcher de soupirer et de secouer la tête. Bien malgré moi, mes lèvres se desserrent pour élaborer une bravade. J'étais déjà conspué et honni de tous. Je ne serais pas en plus la risée et la victime de ces bêtes. " Vous êtes une milicienne ? Je ne m'en étais pas douté. Après tout, depuis quand recrutent-ils des "enfants" ?" Dis-je avec une lenteur provenant plus de ma dignité bafouée que de la défaillance de mes maigres forces. Ce faisant, je lui rendais sa propre politesse, usant des mots semblables à la description dont elle m'avait précédemment affublé pour fomenter ma répartie. Si j'étais un "appât à maquereau", elle serait une "gamine". Qu'elle garde son eau et ses propos pour elle. Ma haine à son encontre et envers ses frères d'armes assouvirait ma faim et ma soif jusqu'à l'heure du dénouement. Habituellement, cela n'était pas dans ma nature d'oser proférer une telle rebuffade à l'encontre de quelqu'un en position d'autorité ou de force sur ma personne. Or, à mon corps défendant, je n'avais pas l'esprit complètement clair. En outre, j'étais déjà condamné, alors que pouvait-il m'arriver de pire ? J'avais conscience que bientôt, je rencontrerais la Trinité et que dans peu de temps, je saurais enfin si ma mort serait délivrance ou condamnation. Mais surtout, j'avais besoin d'exacerber ma colère contre ces hommes d'armes pour ne pas sombrer dans les abysses insondables de la peur. À me plier sous leur regard et à me ployer sous leurs menaces, je finirais prostré par la terreur. J'étais déjà courbé par la sentence de mort m'attendant à la fin de notre pérégrination. Je ne serais pas en plus avachi par le désespoir. Je ne deviendrais pas aussi misérable que j'étais miséreux. Ça, je ne pouvais l'accepter. La dernière chose que je pouvais encore défendre en ce jour et en cet instant, ce n'était plus ma vie, mais ma dignité. Bien que bafouée et traînée par terre, cette dernière ne serait pas abandonnée. C'était mon dernier droit, la dernière chose sur laquelle j'avais encore du pouvoir. Je me fis la promesse de ne pas l'abandonner, et ce jusqu'à la toute fin. Ce serait mon véritable baroud d'honneur. La dernière lutte du condamné que j'étais devenu. Or, c'était plus facile à dire qu'à faire, alors que mon esprit était aussi captif que mon corps, lui qui, désormais, ne faisait que ressasser une seule et unique pensée; j'étais condamné. Les larmes montaient à mes yeux. Par l'odieuse volonté des Trois, je n'allais quand même pas pleurer ?! Pas maintenant, pas après tout ces efforts pour me draper dans ce qu'il me restait d'honneur ! Mes yeux chauffaient et piquaient. Mes paupières se fermèrent pour obstruer le passage aux perles salines. Je me mis à regarder le sol pour couvrir cette faiblesse passagère de mes cheveux sales. Mes pieds s'emmêlaient et mon souffle se faisait haché, comme si ma gorge était déjà enserrée dans un nœud coulant. Où était ma force de caractère précédemment présenté à cette rouquine ? Où était ma volonté de ne pas flancher ? Disparue et envolé alors que j'avais vu Usson se dessiner au loin. Voir les toits des chaumières crever l'horizon et apercevoir la demeure de Mathilde venait de m'abattre, de me mener sur le bord de la rupture et de flancher. Est-ce que la fermière et Thomas viendraient assister à mon exécution ? Cette dernière serait-elle publique ? Serait-ce une corde ou une hache qui me tuerait ? Ou alors, m'amèneraient-ils plutôt à Marbrume pour me pendre sur la place des Pendus et devant le regard sombre et froid de Sigfroi ? Ou décideraient-ils plutôt de me tuer devant la cité, là où avait trépassé toute ma famille ? Alors que mon esprit était aux prises avec l'ensemble de ces questionnements tortueux et malheureux, ma marche se fit plus lente et moins pressante. J'avançais en quelque sorte à reculons, aucunement pressé d'arriver à notre destination qui s'annonçait finale pour ma personne. Or, je n'avais aucun pouvoir sur la question. Le milicien qui me semblait le moins avenant de la compagnie vint me le rappeler. -"Bordel ! Avance, chien !" Cette fois-ci, il ne vint pas seulement titiller mon dos de sa main, mais poussa suffisamment fort pour que je n'aie aucune chance de rester debout, droit et fier. Tombant au sol face contre terre, la corde qui était autour de mon cou m'écorcha la gorge, alors que l'air quittait mes poumons sous le choc avec le sol. Mes mains attachées n'avaient pas pu amortir ma chute, lié comme elles l'étaient l'une à l'autre. Le menton égratigné, je toussais alors que la poussière du chemin emplissait ma bouche. Je n'arrivais pas à reprendre convenablement mon souffle avec la corde tendue à son maximum qui me compliquait la tâche, m'étranglant lentement mais sûrement. "D'bout !" L'ordre avait sonné comme un coup de fouet. Avait-il conscience que je n'y arrivais pas, car il ne me donnait pas assez de lest ? En profitait-il pour abreuver sa malveillance dans ma détresse ? Tentant vainement l'effort, alors qu'il tirait sur la corde, je m'affalais de nouveau, tandis que mes mains avaient soulevé mon buste. De l'air, par pitié. Je voulais simplement de l'air... Mon monde devenait sombre et obscur. Était-ce la fin ? Finalement, une bouffée d'air salvatrice vint remplir mes poumons, alors que ceux-ci en avaient cruellement manqué. Roulant sur le dos, respirant fortement et m'abreuvant d'une chose que je n'aurais jamais cru manquer un jour, je fermai les yeux et tentai de calmer la cavalcade effrénée de mon cœur. Pourquoi avait-il arrêté ? Avait-il terminé de se jouer de moi ? Quelqu'un était-il venu me prêter main-forte ou lui demander d'arrêter ? Dur à dire. Tout ce que je savais, c'est que j'étais en vie. Du moins, pour le moment... ◈◈◈ Une fois arrivée à Usson, la nouvelle tomba pour la troupe qui venait d'arriver. Le sergent Langlois qui dirigeait le village était absent, ayant poussé sa route jusqu'à Salers avec quelques hommes pour renforcer l'endroit et observer la situation. De fait, les prédateurs de l'humanité s'étaient faits plus présents dans les environs depuis quelque temps. Ainsi, ce dernier n'était pas attendu à Usson avant deux ou trois jours. Grommelant, le coutilier avait fini par se faire entendre; "Attachez-le-moi à un poteau proche de la caserne !" Proféra-t-il en parlant d'Alphonse.
Pour le moment, ce dernier était encore "protégé" dans son anonymat. Évidemment, il était perçu comme un criminel, lui qui avait pris la fuite devant la milice sans raison apparente. Toutefois, aucun homme d'armes n'avait encore découvert sa véritable identité. Pris pour un pirate plutôt que comme un individu ayant attenté à la vie du duc désormais roi, le mondain déchu avait la "chance" d'être interrogé avant d'être tué sans sommation. "Je veux savoir qui il est ! Bannis ou bandits ? Pirate ou mordu ?" Le coutilier n'avait aucun doute que ce scélérat était coupable d'un crime quelconque . "Interrogez-le ! Et que ça saute. Je veux des résultats !" Peu lui importait la méthode. Tout ce qu'il voulait, c'était des réponses à ses questions. Sans la présence du sergent Langlois, ce serait donc à lui de tirer cette histoire au clair. Le plus rapidement possible, pour pouvoir repartir à Marbrume avec le convoi de denrées lorsque ce dernier serait prêt, il va s'en dire...- HRP:
Si je dois modifier un truc ou douze, n'hésitez pas à me MP ! J'ai tenté de vous donner le plus de jeu possible, mais en étant le prisonnier, c'est un peu plus difficile qu'habituellement... ._. Jacob: Alphonse s'aveugle et ne veut pas reconnaître son ami. Ansgarde: J'ai utilisé un de tes pnj's... dis-moi si ça te dérange ! Libre à vous de jouer le coutilier, évidemment !
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| | | Jacob de RivefièreComte
| Sujet: Re: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Lun 15 Juin 2020 - 18:55 | | | « C'est de la folie Jacob ! - Et que voudrais-tu que je fasse d'autre ? Il est hors de question que je l'abandonne à son sort. Tu sais comme moi ce qui l'attend s'ils découvrent qui il est réellement. »
Le nouveau Comte de Rivefière leva les yeux pour les poser un peu plus loin, sur le présumé pirate dont la carcasse rachitique pendait mollement, attachée à un poteau devant la caserne d'Usson. Ils étaient arrivés au village un peu plus tôt et par chance, le Sergent Langlois se trouvait absent. Cela avait offert un sursis au prisonnier et laissé un peu de temps à Jacob, afin qu'il réfléchisse à la situation. Les questions étaient nombreuses. Elles s'entremêlaient dans son esprit sans qu'il parvienne à en résoudre les enjeux. Pourtant, il espérait trouver un dénouement acceptable. Il voulait intervenir, agir pour n'avoir pas à subir, une fois de plus, l'affront d'une emprise tyranniquement imposée à sa pensée. Alors il se demandait ce qu'il pouvait bien faire pour aider son ancien ami. Il s’interrogeait sur ses drames et les souffrances qu'il avait enduré pour se présenter aujourd'hui, aussi minablement devant eux. Mais plus encore, il voulait savoir comment Alphonse avait survécu au massacre devant les portes de Marbrume. Comment il était parvenu à ne pas se faire prendre plus tôt. Où il avait séjourné. Ce qu'il avait vécu. Se trouvait-il aujourd'hui allié avec les bannis ? Avait-il rejoint un groupe de bandits ou de pirates comme certains le présageaient ? Tout simplement, il voulait savoir comment était sa vie aujourd'hui.
De son regard azuréen, marqué par la peur et une peine sourde, il observait ce pauvre hère qui autrefois avait été son ami. Ils avaient partagé au moins un même verre et confronté leurs idées à l'occasion de plusieurs soirées mondaines. Dans l'intimité d'une alcôve, ils avaient observé et discrètement commenté les tergiversations d'une cour papillonnante dont l'hypocrisie se la disputait à la cancane. Alphonse était brillant, bien plus que lui. Il avait l'esprit vif, le verbe acéré et un humour tout à la fois subtil, mais grinçant. Une vision noire du monde et de ces meneurs, qu'il savait dépeindre avec l'ironie d'un truculent pamphlétaire. Comment avait-il pu en arriver là ? Que lui était-il arrivé ? Ou plutôt... Que leur était-il arrivé à tous les deux ? La Fange ? Sigfroi de Sylvrur ? L'un ou l'autre... L'un et l'autre ? L'ancien Duc et nouveau Roi avait su tirer profit de la situation, mais en était-il pour autant responsable ? Jacob n'aimait pas l'homme. Il avait vomi son comportement, ce soir là, quand il avait laissé les portes de la cité fermées devant un par-terre de gens innocents et suppliants. Bien sûr, il comprenait la décision de celui qui se présentait aujourd'hui comme leur monarque. Cependant, et parce qu'il avait voulu humilier un homme déjà à l'agonie, Jacob peinait à lui trouver la superbe normalement rattachée à son nouveau titre. Un roi triomphe dans l'action, quand le succès d'un tyran réside dans une défaite morale. Sigfroi de Sylvrur avait étouffé la conscience de ces sujets dans un bâillon coupable d'impuissance. Depuis, il avait dirigé la cité d'une main de maître. Les décisions qu'il avait prises et faites appliquer s'étaient montrées efficaces. Et quand certains affirmaient qu'il avait lui-même imaginé l'attaque fangeuse du 1er mai, d'autres se félicitaient de trouver aujourd'hui plus de nourriture dans leur assiette. Rien n'était finalement ni blanc, ni noir, tout se nuançait pour n'être plus que gris.
« Tu ne peux pas réussir Jacob. Ils sont trop nombreux. »
Hugues de Camaris avait raison. Les miliciens étaient trop nombreux pour que Jacob puisse les affronter seul. Il ne pourrait ni triompher, ni libérer son ancien ami. Un ami devenu l'ennemi du monarque à qui lui, Jacob de Rivefière, avait prêté allégeance par trois fois. Trois serments, prononcé à trois étapes différentes de sa vie - à leur arrivée à Marbrume, quand il avait rejoint la milice extérieure et la dernière fois, quand il était devenu Comte - mais qui ne figuraient qu'une seule vérité. S'il agissait, s'il venait à libérer son ami, Jacob deviendrait l'un de ces parjures qu'il exécrait. Alors la question se posait avec la sincérité du dévoué, qui de l'ami ou du prince fallait-il privilégier ? Le devoir était-il vraiment cet étau opprimant les libertés du coeur et de l'âme ? Ou figurait-il comme le nautonier menant sa barque vers l'enfer de sa nouvelle vie ? Une existence imaginée par les dieux et imposée par le sort. Une survivance qu'il tentait de mener sans Alys et que, plus que jamais, il endurait dans la solitude.
Il n'avait jamais été enclin à s'épancher et n'était jamais parvenu à expliquer, ni même à seulement dire ses ressentis. Jacob était un taiseux, depuis toujours. Seule expression de son désarrois, la colère lui permettait d'extérioriser ses frustrations et tous ses sentiments qu'il se trouvait lui-même incapable de comprendre. La milice avait été un exutoire. Pendant deux années, elle lui avait permis de s'oublier. Aujourd'hui, maintenant qu'il avait été forcé de l'abandonner, elle venait ajouter à ces spoliations qui le vidaient de force.
Malgré lui, son regard se porta sur les miliciens restés à l'extérieur de la caserne. Elle ne se trouvait pas parmi eux et n'aurait de toute façon pas aidé à soulager ses états d'âme. Le souvenir de leur dernière discussion demeurait assez vif pour qu'il ne s'illusionne pas sur ce qu'elle aurait pu lui dire. Les mots qu'ils avaient échangés ce soir là, presque des insultes, étaient autant de raisons valables pour ne plus chercher à s'entendre. Il avait été odieux. Égoïste jusqu'au bout de ses contradictions. Malhonnête et tout simplement injurieux. Oui... Il avait été odieux. À l'image de ces anciens collègues qui s'amusaient à torturer Alphonse, il s'était montré ignoble.
« Oh ! Bâtard d'pirate ! Réveille-toi ! »
Cela ne faisait pas moins d'une heure qu'ils étaient sur lui. Insultes aux lèvres et sévices au coeur, ils le malmenaient avec la hargne de l'ignorant. Leur coutillier avait exigé des réponses. Il était impensable de n'avoir rien d'autre à servir au Sergent Langlois, quand il serait de retour, que des interrogations et des incertitudes. Aussi avaient-ils cherché à obtenir un nom ou seulement une information à laquelle se raccrocher pour coller une identité au fameux "appât à maquereau". Pour cela, ils avaient tenté différentes approches, de la carotte au bâton et jusqu'à ce qu'Alphonse finisse par perdre connaissance. Cela était arrivé assez rapidement. Déjà mal en point après la course poursuite dans les bois et l'arrestation musclée qu'il avait subie, le Sarosse n'avait pas tenu face à la torture. Par chance, son esprit avait choisi de sombrer avant qu'il ne flanche. Les miliciens n'avaient rien obtenu de plus qu'un prénom. Celui-là même qu'Alphonse lui avait volé et qu'il lui cédait comme une grâce repentante. Qu'il en use, qu'il en abuse même. Qu'il s'en fasse un bouclier contre le mauvais sort qui l'avait dépouillé. Jacob préférait voir son ami mentir, plutôt que d'avoir à creuser sa tombe.
Un nouvel éclat de rire lui fit froncer les sourcils, tandis qu'à côté de lui, Hugues étouffait un juron. Les miliciens avaient jeté cailloux et immondices sur Alphonse. Ils l'avaient roué de coups. L'un d'entre eux avait failli l'étrangler avec la corde passée autour de son cou – chose qui serait probablement arrivée si le coutillier n'était pas intervenu. Ils lui avaient craché dessus, l'avaient insulté. Ansgarde lui avait même refusé un peu d'eau à boire. Son repas, servi dans une écuelle crasseuse et seulement composé d'un peu de bouillie mélangée à de la terre, avait été déposé devant lui, mais hors de portée. Des sévices qu'il avait toléré, la rage au ventre et seulement pour n'avoir pas à justifier d'un comportement inadapté. Les choses étaient cependant sur le point de dégénérer. Montant d'un cran supplémentaire dans l'abjecte, l'un des miliciens – sûrement pour impressionner ses compagnons d'armes – avait choisi de se faire bourreau sordide. Debout, face au prisonnier avachi dans l'avilissement, il avait entrepris de se défroquer et envisageait sérieusement de se soulager sur lui. En l'absence du Sergent Langlois et alors que leur coutilier se trouvait occupé ailleurs, les soldats avaient achevé d'encourager leur bêtise ordurière. Ce pas de trop, ce dernier écart vers le nauséeux, fit exploser ce qu'il restait de contenance au noble.
La colère au poing il se redressa et dans un élan rageur, se porta jusqu'au milicien. Pantalon sur les genoux ce dernier n'eut pas le temps de réagir alors qu'un coude armé de rancoeur s'enfonçait dans son flanc. Déséquilibré et gêné par ses chausses, il s'écrasa lourdement sur le sol, tandis que ses camarades se levaient pour intervenir. Si tous semblaient vouloir éviter l'affrontement, l'un d'entre eux cependant porta une main à son épée. Un geste surtout exécuté par réflexe, mais qui fut accueilli avec rogne. Le duelliste savait répondre à la provocation, il l'encourageait même et s'en trouvait plus aguerri.
« Tire ton arme ! Ose et viens m'affronter ! »
Jacob avait craché ces mots en direction du milicien, main déjà refermée sur le pommeau de sa lame. Quant à Hugues, ce dernier s'était relevé et presque aussi rapidement que son ancien élève, il s'était précipité pour se placer derrière lui, en renfort.
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| | | Ansgarde CorvinMilicienne
| Sujet: Re: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Lun 29 Juin 2020 - 12:36 | | | Sur le chemin qui la ramenait à la caserne (elle avait toujours trouvé ce mot pompeux pour une simple grande hutte qui abritait sommairement les miliciens de passage au village) Ansgarde se demandait si le retard dans la livraison du bois n’aurait pas des conséquences désastreuses pour la construction d’un nouveau silo. Le stock disponible était bien insuffisant pour la structure qui avait tout d’abord été envisagée et ils ne pouvaient se permettre que la dernière récolte se gâte. Ce qui, si elle en jugeait par les explications du bourgmestre, était imminent… Le tout premier maître d’œuvre, rentré blessé d’une rencontre avec des bannis, tenait le lit depuis une semaine. Elle était passée le voir en compagnie du bourgmestre et d’une guérisseuse mais son état n’avait pas permis qu’elle connaisse beaucoup plus ses intentions quant au silo. Si on avait fait à elle, simple milicienne dont les cheveux de flamme n’inspiraient guère la confiance, c’est qu’ils voyaient la situation sous un jour bien compliqué. Elle le savait. Et se réjouissait d’avance du défi à relever. Tout en marchant elle passait en revue ses connaissances. La priorité serait de faire vite et solide, avec peu. Son regard s’attarda sur les maisons de torchis de part et d’autre de la grande rue (en fait, la seule). Les réalisations après Fange n’avaient rien à voir avec celles « d’avant ». On ne disposait pas des mêmes conditions de travail, ni même de la main d’œuvre nécessaire à édifier ce qu’il faudrait. Chaque entreprise était un casse-tête pour le maître d’ouvrage car les circonstances dramatiques pourvoyaient bien moins de moyens tout en exigeant un résultat au-delà de ce qui se faisait avant. Et aujourd’hui c’était son tour… Cela aurait pu l’effrayer, songea-t-elle en donnant un petit coup de pied dans un caillou, ç’aurait été compréhensible non ? Pourtant ce qu’elle ressentait en fixant le ciel qui se parait des teintes orangées du soir ne ressemblait pas à la peur.
Bien que n’étant qu’une fille elle avait vécu chaque jour à l’atelier avec son père et les ouvriers. De ses grands yeux curieux avant même de savoir parler elle s’était bercée du rythme des madriers immenses patiemment façonnés et des voix rudes et savantes donnant les ordres. Plus rien ne subsistait aujourd’hui : ni les hommes ni les lieux. Elle était la seule rescapée de ses souvenirs doux-amers et la dernière détentrice de l’antique savoir familial. Si peu expérimentée par rapport à son père, si dérisoire dans son gambison informe qui faisait tache, et pourtant nécessairement plus vaillante que les hommes qu’elle devrait remotiver et diriger demain. La frêle Alcyone n’avait pas eu peur pour son avenir, alors Ansgarde ne devrait pas trembler non plus. Cette idée la gonfla de motivation.
Les ombres s’étiraient sur le chemin solitaire du retour. La soirée était douce pour un mois de septembre, aussi prenait-elle tout son temps. Rentrer à la caserne signifiait revoir l’impitoyable comte de Rivefière et l’étrange prisonnier qui l’avait invectivée tout à l’heure. Comment ne pas leur préférer le coucher du soleil…. Ansgarde haussa les épaules lorsqu’elle aperçut devant une petite forme venir à sa rencontre en courant.
« Ansie ! Faut qu’tu viennes voir ! Y s‘disputent fort là, y vont s’battre ! » lâcha Louis le fils du tanneur qu’elle avait affectueusement surnommé « P’tit Loup » lors de ses premières visites. L’enfant lui prit la main d’un air affolé et la ramena au camp au pas de course.
***
La jeune rouquine déboula au beau milieu d’un duel de regards entre Baudri et le comte. La vue de Guy cul par terre toutes braies descendues devant le prisonnier, Baudri la main à l’épée et de l’autre côté Jacob et Hugues non moins engageants suffit à lui faire comprendre l’essentiel de la situation. Gaubert et Ansbert manquaient à l’appel. Elle sentit son sang s’échauffer sous le danger de la situation et vint se placer instinctivement entre les deux factions opposées qui se toisaient méchamment tout en repoussant doucement P’tit Loup sur un côté pour lui épargner toute menace.
« Il suffit !! » Sa voix d’ordinaire discrète dans la plupart des discussions s’était muée en rugissement. Avec sa natte à moitié défaite par une journée d’efforts physique qui tenait lieu de crinière elle avait tout d’une lionne dans son bon droit au milieu de mâles querelleurs. Sans toucher à ses armes la milicienne se tenait légèrement tassée sur elle-même –dans ces situations un coup était vite parti- en regardant l’un et l’autre à tour de rôle.
« On a juste quelques jours à passer ensemble à s’supporter, c’est quand même pas compliqué de pas vous entretuer d’ici là, si ??! » Sa voix contrefaite était profonde, puisée de son ventre et résonnait aux oreilles des hommes comme un grondement annonciateur de bien pire s’il le fallait. Car dans ce même noyau au centre de son être se tenait ce nœud de colère douloureuse alimenté depuis des années sans trouver de remède. Elle le maîtrisait à grand peine mais parfois il avait du bon pour l’aider à puiser des forces de dernier recours, une énergie qui la consumait à vif mais qui s’avérait presque infinie. Parce qu’à cet instant alors qu’elle les toisait tous avec colère tout en faisant des allers-retours d’un pas énervé entre les deux camps, elle avait à peine ouvert les vannes. Elle pila soudain devant Baudri les yeux sur son épée à demi tirée.
« Baudri, allons. Qu’est-ce que tu fais ? Jt’en prie pense à ce que tu risques quand t’auras amoché un comte. » lui dit-elle d’une voix plus basse et posée comme s’ils parlaient seuls-à-seuls. Elle avait ôté un de ses gants et une petite main calme s’était posée sans qu’il s’en aperçoive sur celle du milicien qui empoignait la garde de son arme. Tandis qu’elle captait son attention en lui parlant la menue pattoune repoussait avec douceur la lame dans son fourreau et s’accaparait la main désormais vide pour être sûre qu’il ne soit plus tenté et renforcer le contact qu’elle établissait avec lui. Ou le cas échéant connaître immédiatement ses intentions. De fait elle avait tourné sa phrase de telle façon à laisser entendre qu’il ne pouvait qu’avoir le dessus sur le comte. Ainsi elle laissait entendre qu’elle prenait son parti, on était toujours plus enclin à trouver sympathique quelqu’un qui se rangeait de notre avis et écouter ce qu’il pouvait dire.
En se retournant elle capta le regard de P’tit Loup et son visage reprit une expression grave. D’un hochement à peine perceptible elle espéra qu’il avait compris lorsqu’il détala comme un jeune lièvre. Les enfants sont bien plus vifs, leur esprit agile ne s’encombre pas des considérations futiles de l’âge adulte et celui-ci était d’une bonne graine. Il avait sûrement saisi ce qu’elle attendait de lui. Son pas rageur la mena au-devant du Rivefière tandis que les autres miliciens commençaient à grogner. Il ne fallait pas qu’ils commencent à s’en prendre à lui… Surtout pas lui. Il y eut une seconde de flottement durant laquelle elle se sentit flancher. Oui, clairement. Elle ne se souvenait nettement de leur dernier entretien que de sa fuite fantomatique dans les rues endormies de Marbrume. Ses pas résonnant sur les pierres de la route n’avaient pas réussi à couvrir l’écho des mots affreux qu’il lui avait balancés à la figure. Il lui avait ôté ses derniers rêves, pire les avait piétinés et jeté les morceaux comme des immondices. Tout s’était brisé ce soir-là, et pourtant…
S’il avait pu déchiffrer l’intensité de ses émotions durant cet instant suspendu dans le temps il y aurait vu un tumulte silencieux de douleur et de regrets, mais pas de haine. Bien que les plaies de ce soir où ils s’étaient déchirés fussent encore béantes, elle prenait sur elle de ne pas lui faire endurer de reproches. Juste pour une seconde volée, rien que pour eux. L'évidence insupportable qu'il allait la détester la torturait, mais elle n'avait pas le choix. En elle tout était mort ce fameux soir de toute façon. Puis le fil de l’histoire trancha net ce moment et les yeux de la combattante se réduisirent à deux fentes menaçantes braquées sur le Rivefière. Elle ne pouvait protéger qu'un seul d'entre eux et elle avait fait son choix sans avoir à réfléchir. Peut-être comprendrait-il un jour et alors la jugerait-il moins sévèrement. Peut-être.
« Vous… » Un souffle de colère laborieusement réprimée. « Gaubert vous tolère à DEUX pendant une sortie de la plus haute importance UNIQUEMENT en souvenir du temps où vous étiez d’la milice maritime et qu’vous veniez aider nos gars ! » L’allusion aux missions menées conjointement entre maritimes et externes était placée d’entrée dans le but que ses camarades remettent un nom sur ce visage qu’ils connaissaient forcément puisque Jacob avait déjà prêté main forte à leur coutillerie avant le décès de son père. Ils avaient également connu de belles soirées de retour, dont certaines mémorables qui ne manqueraient pas de raviver leur sympathie à son égard. Du coin de l’œil elle crut voir Guy remonter braies et pantalon en hochant de la caboche. « De quel droit osez-vous remettre en cause nos méthodes ?? J’me souviens pas qu’on vous ait d’mandé votre avis ! » Uriner sur un prisonnier avant de connaître son identité ne pouvait décemment pas porter le nom de « méthode », elle le savait et le mettait en évidence aux yeux de tous. Même si la milice n’était pas connue pour faire dans la dentelle il valait mieux éviter de s‘attirer des ennuis inutiles. « Ça vous plaît pas ? Regardez ailleurs ! Ça vous convient toujours pas ? Faites la route tous seuls la prochaine fois ! » Personne à Marbrume ne souhaitait même à son pire ennemi –encore moins un ancien frères d’armes- de devoir se rendre au Labret sans escorte. C’était une condamnation à mort pure et simple. Ses mots durs n’avaient pour unique but que de détourner l’animosité de ses compagnons du noble et du prisonnier sur elle. C’était risqué, oui. Mais la rouquine avait ses raisons… « Hugues ! Dites à votre apprenti de ranger son engin avant de blesser quelqu’un ! Si vous vous en prenez à l’un vous vous en pr… » Elle pointait sur eux un doigt accusateur lorsqu’un hurlement furieux retentit.
« CORVIN !! »
La jeunette soupira intérieurement. Visiblement P’tit Loup avait mené sa mission à bien puisque cette explosion de décibels ne pouvait appartenir qu’au coutillier Gaubert. Elle se retourna aussitôt pour lui faire face, droite. Elle savait que devant lui personne n’oserait s’en prendre au Comte. Il tenait ses ordres de leur Sergent qui lui avait chaudement recommandé de bien traiter les deux esplanadiens.
« Quelle femelle s’permet de parler comme ça à un Comte ? » Il arrivait sur les avertissements de P’tit Loup qui l’avait juste prévenu que quelque chose allait mal à la caserne. Il n’avait pas le contexte et voyait seulement sa seule milicienne hurler sur deux nobles. Ansbert arrivé à sa suite se pencha vers lui pour chuchoter quelques mots en la regardant d’un air mauvais. « Tu prendras la garde cette nuit entière si ça t’permet de réfléchir à ta place ici ! Bougresse ! » Tel un ours prêt à attaquer sur ses pattes arrières il était si près d’elle qu’elle pouvait sentir son haleine. D’accord, il s’était éclipsé pour boire un godet de bienvenue. La sanction énoncée ne la fit pas réagir, contrairement au garçonnet qui fit la moue et semblait vouloir contester. Elle l’attrapa par une épaule et le plaça derrière elle. « Oui, chef. » Elle avait toujours eu cette façon digne d'affronter la tourmente sans ciller que ça le foutait en rogne, le Gaubert. De tous ses éléments elle était la seule qui n'avait jamais contesté ses ordres. Il appréciait cela sans que sa nature rustre ne se l'avoue, et la haïssait pour les mêmes raisons car apprécier une "femelle" était au-delà de ses capacités. « Et sois un peu r'connaissante que j'te fasse pas fouetter. » Lui n’avait même pas cherché à comprendre ce qui s’était passé en son absence. Aussi injuste soit la sanction Ansie s’en fichait. Jacob était sauf. Et pour le moment le prisonnier aussi. « Merci, chef. » Sa voix ne portait nulle trace d'ironie quand elle prononça ces mots. Ce qui fit grogner le coutillier. Elle sentit l'enfant se tortiller dans son dos pour échapper à sa prise en geignant. Sa main le libéra donc et il s'enfuit en courant. Gaubert soupira profondément puis la poussa devant le comte. « Excuse-toi d’avoir mal parlé à m’sieur l’Comte maintenant. » Cette fois son sang se figea. Ce n’était pas tant qu’elle n’avait rien à se faire pardonner, c’était simplement que son regard la brûlait. A l’agonie, les yeux bien trop brillants, elle dut faire face à celui qui la torturait par sa simple présence. « Veuillez me pardonner. » Il manquait « monsieur le Comte de vous avoir si mal parlé » mais rien d’autre ne voulut sortir qui ne soit trop amer. Sans attendre de réponse elle tourna les talons et sortit avant de regretter.
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| | | Jacob de RivefièreComte
| Sujet: Re: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Mar 25 Aoû 2020 - 11:29 | | | S'il y avait une seule personne qu'en cet instant il n'avait pas envie de voir face à lui, c'était bien Ansgarde Corvin. Cependant et comme si les dieux avaient décidé d'attiser sa colère déjà flamboyante, elle se tenait là, entre lui et le paltoquet qu'il s'apprêtait à corriger. Comment osait-elle ainsi s'immiscer dans cette querelle qui ne la regardait en rien ? Et de quel droit choisissait-elle de se placer comme le médiateur d'une situation qu'elle ne pouvait que deviner ? Comble de l'insolence, elle préférait prendre le partie des gougnafiers en remettant en cause ce qu'il estimait être une juste intervention. Pire encore ! Comme pour mieux l'humilier, elle laissait entendre à cette tête de pipe de Baudri qu'il pourrait l'emporter sur lui. Elle allait trop loin, beaucoup trop loin ! De rage, ses doigts se crispèrent sur le pommeau de sa lame au point d'en faire blanchir les phalanges. À sa tempe, le sang battait la mesure de sa colère jusqu'à obscurcir sa vision. Il tremblait d'une fureur contenue et seulement enchaînée aux murmures qui, dans son dos, l'appelaient au calme. Par les Trois et par tout ce qu'il restait de leurs moments de complicité... Pourvu qu'elle n'en vienne pas à piétiner les vestiges de ses dernières convictions. Pas elle, pas maintenant, pas encore... Serrant dents et mâchoire, il s'accrocha à cet espoir tandis qu'elle revenait vers lui d'un pas de despote. Cependant, un doute s'insinua dans son esprit. Méritait-il ce traitement de faveur qu'il appelait de tous ses vœux ? Le souvenir encore vif de leurs derniers échanges - ou plutôt celui de leur ultime dispute - lacéra ce qu'il pouvait avoir d'optimisme à ce sujet et pourtant... Durant un très court instant, dans cet espace infime où deux regards se croisent et s'attachent à suspendre le temps, il trouva la force d'y croire encore. Le bouillonnement reflua et le ciel assombri retrouva sa couleur d'été. Un bleu limpide et lumineux qui voulait dire ses regrets, et partager ses promesses. Sans plus réfléchir, il se laissa aller à ce moment d'accalmie. Malheureusement, et c'était décidément trop vrai entre eux... Rien ne durait jamais. L'orage revint, vif et tranchant, comme le souffle chaud de sa hargne tandis qu'elle l'apostrophait. « Vous... » Ce seul mot suffisait à creuser le gouffre qui les séparait depuis ce fameux soir. Il s'accompagnait pourtant de toute sa mercuriale. Des affirmations largement réfutables et seulement armées de mépris, destinées à blesser, à détruire et à l'amener toujours plus bas dans ce qu'il avait d'estime pour elle. Comme si des miliciens avaient pu lui refuser le droit de se joindre à leur escouade ? Comme si uriner sur un prisonnier pouvait être qualifié de méthode ? Comme s'il méritait de se retrouver seul ? … Il serra les dents plus fort et jusqu'à en creuser ses joues. Derrière elle, les miliciens échangèrent des regards inquiets et l'un d'entre eux leva une main pour appeler à la tempérance. Lorsqu'elle pointa vers lui un doigt accusateur, l’amphore explosa et il se trouva prêt à la cueillir d'une main vengeresse. Cependant, son geste fut empêché par la poigne robuste d’Hugues, tandis que le hurlement furieux de Gaubert mettait un terme au réquisitoire outrageant. Le coutilier, probablement revenu à la hâte, ne ménagea pas ses efforts pour réprimander sa recrue. La punition était sévère et donnait le ton de l'exemple. Cependant, le zèle qui amena le supérieur à envisager un châtiment plus rude ne trouva pas écho dans l'esprit du Rivefière. Bien au contraire, le seul fait d'imaginer Ansgarde soumise à la morsure du fouet crispa jusqu'au moindre de ses muscles. Sa respiration s'alourdit au point d'en faire frémir son nez et sa bouche, pincée jusqu'à se tordre, laissa filer un grognement sourd. L'idiote ! Les fondements même de son emportement s'effondrèrent. Une seule pensée demeurait et elle ne tenait plus qu'à cette unique vérité : personne ne porterait la main sur elle, jamais en sa présence. C'était tout simplement inconcevable qu'il permette une telle chose et encore moins en son nom. Cristallisé autour de cette conviction, son regard s'auréola de glace pour promettre le pire à celui qui oserait s'y risquer. Mais se fut sa voix qui le ramena à ce que la réalité infligeait à sa résolution. « Veuillez me pardonner. » Oh, comme il aurait voulu pouvoir mettre un terme à tout cela. La retenir alors qu'elle tournait les talons pour quitter les lieux. Tendre les bras pour conjurer ce que cet instant lui rappelait de ce soir là, lorsqu'il l'avait laissée s'enfuir. Lorsque le bruit de sa course vers la délivrance s'était mué en un souvenir lointain que sa voix, appelant le retour de l'Alcyon, n'était pas parvenu à raviver. Comme il aurait voulu... Comme il aimerait encore effacer ce que ses yeux brillants disaient de son ignominie, mais déjà Gaubert s'était avancé jusqu'à lui. « J'suis désolé M'sieur l'Comte. Faut pas en vouloir à mes gars à cause d'cette bougresse. J'paye la tournée pour oublier t'ça. D'accord ? » Après avoir jeté un coup d'oeil en direction de son ancien maître d'armes, Jacob opina du chef. « Oublions tout cela oui et pour que tout soit rendu à la normale, c'est à moi de payer la note. » D'un mouvement de tête, il invita les autres miliciens à se joindre à eux. « Allez Guy dépêche-toi de renouer tes braies... » Un dernier regard pour suivre la silhouette de la rouquine qui s'éloignait et un autre pour son vieil ami toujours attaché au poteau derrière lui. Il ne fallait pas qu'il reste ici, vraiment pas. ******* La nuit était tombée sans qu'il trouve le sommeil. Les mots qu'elle lui avait jeté au visage sous couvert d'une colère encore gonflée de leurs derniers échanges, s'étaient mués en une sombre litanie qu'il n'avait de cesse de ressasser. Il avait été furieux et ne s'était contenu qu'avec peine. Pourtant, son emportement était retombé aussi subitement qu'il avait jailli, à l'instant même où elle avait relevé les yeux vers lui. Brillant... Son regard hantait sa pensée et venait compresser sa poitrine de remords. L'espace d'un instant, il en perdit le souffle alors que serrant les dents, il tentait une nouvelle fois de trouver le repos en se tournant sur sa couche. Mais rien n'y faisait et l'écho des rires gras des miliciens qui avaient oublié la querelle au fur et à mesure des verres vidés à ses frais venaient ajouter à son agacement. Ils étaient retournés à leur caserne, ivres et trop contents de pouvoir se reposer sur les épaules de « la bougresse rousse ». Tout ça grâce à l'intervention de leur coutilier et du Comte qui, par la magie de l'alcool, était devenu leur meilleur ami. Lui avait rongé son frein, rappelant à ses compagnons de boissons comme Ansgarde avait pris leur défense et donnant le change jusqu'à avoir l'occasion de prendre congés. Un fois installé dans la rudimentaire chambre de l'auberge, il avait espéré pouvoir s'endormir vite pour que cette journée et son enfer prennent fin. Cependant le sommeil l'avait fui et le temps s'était égrené jusqu'à le rendre presque fou. Alors, de guerre lasse et parce qu'il avait besoin de savoir et d'enfin mettre des mots sur leurs silences trop pesant, il abandonna drap rêche et oreiller garni de paille pour se mettre debout. D'un geste agacé, il enfila la maigre armure de cuir qu'un forgeron avait renforcé de plaque, ainsi que son manteau blasonné. Son baudrier d'armes, toujours à porté de main, fut noué avec dextérité autour de sa taille et sans plus hésiter, il quitta la pièce où Hugues faisait mine de dormir. En dévalant les escaliers de la rudimentaire auberge, il se fustigeait déjà pour sa bêtise. Qu'espérait-il ? Elle le détestait sûrement et c'était là tout ce qu'il méritait après les horribles choses qu'il lui avait dites. Mais s'il ne pouvait lui exprimer ses regrets, il pourrait au moins partager la sanction injuste de sa nuit de garde. En quelques pas, il se trouva presque sur la place où le prisonnier avait été attaché. Il pouvait déjà distinguer sa silhouette, collée au poteau et... Fronçant les sourcils, il stoppa son allure pour lentement se fondre dans l'ombre d'un bâtiment annexe. Alphonse n'était pas seul. Quelqu'un se tenait près de lui, accroupi. Guettant la faveur d'un rayon de lune, le Rivefière observa en silence, curieux de ce qu'il pensait comprendre. Tout près de lui, Ansgarde paraissait échanger quelques secrets avec celui qu'elle avait pourtant fustigé et malmené pour se conformer à ce que la milice attendait d'un bon soldat. Finalement, elle lui offrait de son eau. Choisissant de ne pas intervenir, il attendit dans l'ombre et continua de l'observe tandis qu'elle apportait quelques soins rudimentaires au pauvre hère qu'elle avait si méchamment rabroué devant les autres. Était-ce là une surprise ? Peut-être bien... Mais peut-être avait-il seulement oublié ce qui la caractérisait depuis toujours. Après tout, l'Alcyon tenait du fabuleux. - HRP:
Petit interlude pour faire vivre ce rp en attendant le retour d'Alphonse. En espérant qu'il sera ravi d'avoir de la lecture à son retour
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| | | Ansgarde CorvinMilicienne
| Sujet: Re: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Mar 1 Sep 2020 - 19:27 | | | « Est-ce qu’il reste une petite place pour moi ? »
Le petit garçon lui tournait le dos, assis sur un parapet qui supportait de gros anneaux de métal où attacher les chevaux. Les jambes ramenées à lui, avachi, elle le vit hésiter et finalement hausser les épaules. Elle prit donc place à ses côtés.
« Merci pour tout à l’heure. Sans toi j’aurais été en très mauvaise posture. Tu as été parfait P’tit Loup. »
Nouveau haussement d’épaules. Ansie choisit de ne pas insister pour le moment et leva le nez pour regarder les premières étoiles qui s’allumaient dans le ciel. Un ange passa.
« Pourquoi t’as rien dit ? »
La grogne enfantine finit par s’exprimer d’une curieuse voix plus aiguë que d’habitude.
« Je n’avais pas le choix, P’tit Loup, j’aurais aim… »
« Mais t’avais rien fait de mal ! Tu les as laissés faire des trucs pas juste !!! »
La détresse que laissait transparaître ce brusque accès de colère la toucha au cœur. Il avait eu peur, elle pouvait le sentir tout comme elle devinait qu’il était au bord des larmes. Sans lui laisser le choix de la fuite elle passa un bras autour de ses épaules et, d’une légère pression qui ne rencontra pas grande opposition, plaqua le petit corps bouillonnant contre elle. Il lutta le temps d’un sursaut, puis enfin laissa aller son front contre l’épaule de la jeune fille. Dans ces moments-là uniquement, elle regrettait cette carapace de métal et de cuir durci si peu favorables aux étreintes.
« Tu as raison. J’aurais pu me défendre, et peut-être que j’aurais dû le faire pour éviter d’être punie. »
Aux légers tressaillements qu’elle sentait sous sa main elle sut qu’il laissait la tension s’écouler comme il pouvait. Une main bienveillante se perdit dans les doux cheveux bouclés du petit, celle qui avait cherché à apaiser Baudri tout à l’heure.
« Mais… Si je ne l’avais pas fait, quelqu’un d’autre aurait été puni injustement alors qu’il tentait simplement de protéger une personne. »
Sous ses mains câlines le chagrin s’apaisait, elle avait réussi à se faire écouter et cela la ravissait. Même si elle ne savait jamais trop comment expliquer les réalités amères des adultes à un enfant courageux. Parfois il y avait de quoi effrayer. Il posa les questions qui lui venaient en tête sur la logique de tout cela, sur le chevalier blond et le prisonnier et il lui parla avec douceur et avec des mots simples de l’abnégation des rousses sans cervelle et de la témérité des petits garçons. Il lâcha même quelques mots en fronçant ses sourcils d’une drôle de façon à propos du brun maigre qu’ils avaient trouvé dans les bois, une piste qui l’interpella et qu’elle se promit d’explorer le lendemain. Puis elle le raccompagna chez lui car il se faisait bien tard pour rester dehors, même pour un héros, et ils s’éloignèrent tous deux des bruits de rires des hommes enivrés.
***
La vive jeune fille sentit le corps entier du prisonnier tressaillir lorsqu'elle plaqua sa main contre sa bouche et amenait sa tête contre elle.
« Pas un bruit ! » chuchota-t-elle à son oreille. De l'autre main elle agita une gourde pleine devant ses yeux et attendit quelques secondes qu'il se calme avant de le relâcher. Ses mains liées ne lui permettaient pas de boire seul, aussi elle versa patiemment le contenu de l'outre entre ses lèvres craquelées. De nombreuses pauses durent être marquées, elle lui expliqua que c'était nécessaire après avoir été privé d'eau une journée entière, sinon il risquait de régurgiter l'eau ou de suffoquer. Il semblait tellement fragile qu’elle avait l’impression de donner la becquée à un oisillon trop tôt tombé du nid… Comment se pouvait-il que le sort l’ait placé cette nuit entre ses mains à elle ? Quelles avaient été les épreuves qu’il avait dû endurer depuis… Sa voix était calme, presque douce, bien différente des aboiements de la journée. On pouvait même noter une certaine déférence lorsqu'elle le vouvoyait. Lorsqu'il eut bu tout la moitié de l'eau elle s'arrêta et sortit un petit contenant des replis de ses vêtements. Là, dans l'obscurité, elle accepta de répondre à ses questions afin qu'il se laisse soigner. Le baume dont elle ne se séparait jamais était un bien précieux en mission, et il n'était que la deuxième personne avec qui elle le partageait. Quand ce fut fini, et le reste de l'outre absorbé, ils restèrent encore un bon moment à parler à voix basse. Sans rien en laisser paraître, elle tentait de réanimer un peu ce corps meurtri en lui rendant le respect qu’il méritait. La milicienne lui fit manger un pain de sa fabrication composé de noix, amandes, noisettes et fruits secs agglomérés entre eux par du miel à peine épaissi d’un rien de farine. Cette nourriture avait le mérite d’être nourrissante et de reconstituer rapidement les réserves d’énergie perdues en mission. Puis lorsque ce fut fait, la rouquine se releva et reprit le chemin de son poste de garde lorsqu'une ombre bougeant imperceptiblement le long d'un mur la fit tirer son arme en un éclair.
« Qui va-là ?! »
Sur ses gardes, elle se prépara à... tout. |
| | | Jacob de RivefièreComte
| Sujet: Re: Réminiscence d'une amitié [Jacob de Rivefière] Lun 1 Fév 2021 - 23:32 | | | Il avait attendu, patiemment et tout en observant la scène qui se déroulait sous son regard. Avait-elle seulement conscience des risques qu'elle prenait ? C'était de la pure folie. Si quelqu'un la surprenait tandis qu'elle s'occupait de panser les plaies d'un paria, son sort se trouverait rapidement scellé. Laissant filer un grognement sourd entre ses lèvres, il fronça les sourcils. Il y avait ici suffisamment de dangers pour ne pas davantage provoquer le destin. D'un regard jeté à la ronde, il se prit à surveiller les alentours. Aucun bruit suspect, aucun mouvement, rien... Si quelques miliciens demeuraient éveillés pour parer à une attaque - fangeuse ou non - la plupart d'entre eux s'étaient retranchés dans la caserne.
Usson avait cet avantage d'offrir un certain confort. Surtout en comparaison d'autres villages du Labret. Sa proximité avec la cité marbrumienne y était assurément pour beaucoup. Cependant, Usson devait sa force à bien d'autres apanages. Alors ce petit village déjà utile avant l'arrivée de la Fange, avait vu son intérêt grandir et même devenir vital pour l'humanité toute entière une fois le Fléau répandu.
Il avait plusieurs fois séjourné ici, à Usson. Il y avait même passé plusieurs semaines lorsque les intempéries s'étaient chargés de ruiner ce que l'humanité avait érigé de palissades pour se protéger des fangeux. À l'époque, il n'avait pas imaginé un seul instant se retrouver en charge de la lignée des Rivefière. Il ne l'espérait pas non plus. Pour être parfaitement honnête, il avait toujours cru mourir bien avant son aîné. C'était de ces éventualités d'avenir celles qui lui paraissait la plus plausible. C'était même celle qu'il avait longtemps souhaité. Le mal qui le rongeait alors était ce vieil ami toujours logé dans son ventre. Un compagnon devenu frère, ancré dans ses tripes avec le féroce d'un insatiable démon. Un monstre que la boue et le répugnant n'avaient pu engloutir.
Alors ce soir, tandis qu'il se tenait adossé contre le bois grinçant d'un bâtiment au toit de chaume. Tandis qu'il se trouvait une fois encore en proie à ses sombres tergiversations et alors qu'il avait espéré trouver quelques réponses à ses doutes, il eut envie d'abandonner. Abdiquer face à ce que le Destin lui avait montré de sa décadence. Abjurer jusqu'à sa foi, pour défier l'injustice d'une vie brisée par le caprice d'un homme. Fuir et renoncer pour une fois encore se sentir libre... Juste un temps, l'espace d'un instant, entendre à nouveau son rire, voir son ami triompher ou seulement l'écouter chanter.
Absorbé, l'état presque méditatif, il se remémora ces moments heureux. Quand il avait accompagné Alys dans ses pas de jeune première. Lorsqu'il avait applaudi Alphonse, le nouveau champion marbrumien des arts. Quand, au son de quelques notes de musique, il l'avait tenue dans ses bras. Ansgarde...
Sa mâchoire se contracta malgré lui, alors qu'il reportait une nouvelle fois son attention sur les silhouettes de ceux qui avaient été parmi ses plus proches amis. Alphonse le désoeuvré, celui qu'il avait traqué comme un animal et Ansgarde... Celle à qui il avait offert une promesse et qu'il avait abandonnée à sa propre cruauté. Trouverait-il un jour quelques limites à son déshonneur ? Baissant les yeux pour définitivement se livrer à sa culpabilité, le Rivefière hésita à tourner les talons. Mieux aurait valu qu'ils ne croisent jamais sa route. Mieux aurait valu qu'il ne le reconnaisse pas. Mieux aurait valu qu'elle reste loin de lui... Mais elle se dirigea vers lui, alors qu'il retenait son souffle et avant qu'il puisse seulement réagir, une fois de plus, elle le dévoila.
Qui va là... ? Hmm... Qui... ? Il soupira.
« Un idiot. Je suppose... »
Sortant de l'ombre, il avança d'un simple pas pour qu'elle puisse le reconnaître. Aucune autre réponse n'était plus appropriée.
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