[Un souffle de démence] Vers la fuite d'un énième carnage

Plus vite, plus vite. Il aimerait bien le voir, lui, avec une entaille grandissante aux flans et une jolie chute sur les fesses, avancer plus vite ! Alaric sentait la peau de ses côtes se tendre sous ses doigts pressés sur la blessure. Il craignait qu’elle ne se déchire un peu plus, tel un vulgaire bout de tissu sur lequel on aurait trop tiré. Soufflant à intervalles réguliers, réprimant des grognements de douleur, il parvint néanmoins à accélérer la cadence.

Après ce qui lui sembla avoir duré une éternité, il aperçut enfin Rosen qui allait à leur rencontre. Un peu en retrait, il distingua les silhouettes de Desmond et d’une des jeunes femmes qui les accompagnait depuis le début de cette mauvaise aventure. D’un sourire crispé, il remercia Lothaire pour son aide et s’avança vers la baronne de Sombrebois.

Il les laissa se chamailler tandis qu’il s’appuyait contre le mur du manoir afin de soulager sa blessure. Des gouttes de sueur perlaient sur son front et plaquaient ses cheveux trop longs. À ce rythme, cette entaille bénigne se transformerait en vilaine plaie. Rosen avait raison : il avait besoin de soins. Grinçant des dents, il arracha un morceau de sa chemise et demanda à la blonde de serrer l’étoffe autour de ses flans.

- Anastasie était une bannie, répondit-il finalement à l’attention de Desmond.

Il n’y avait pas besoin de plus de détails, tous étaient suffisamment perspicaces – ? – pour comprendre comment il avait été blessé et pourquoi la rousse n’était plus là. Il ne fut pas plus surpris que ça d’apprendre qu’une de leur comparse s’était également retournée contre eux. Il l’avait vu fuir, elle l’avait sauvé en le prenant dans ses bras. Pourquoi avait-elle agi ainsi ? Anastasie non plus ne devait pas être une mauvaise personne, mais dans des situations désespérées, ces femmes avaient dû faire des mauvais choix. Le moindre mal.

- Il y a des pièces qui pourraient nous sauver, confirma-t-il. J’étais dans une chambre avec Anastasie, si elle n’avait pas tenté de nous tuer, on y serait sans doute toujours en sécurité…

Il laissa sa phrase en suspens et réfléchit. Il ne comptait pas avouer à ces camarades qu’il s’était contenté d’assommer la jeune femme et qu’elle devait gésir dans la pièce qu’ils avaient trouvée. Cette cachette n’était donc pas une option… À moins qu’elle se soit réveillée et quitter les lieux, ou que d’autres bannis l’aient récupérée lorsqu’ils avaient forcé la porte. Dans ce cas, ils ne penseraient pas que leurs proies seraient revenues à cet endroit, n’est-ce pas ? La grange pouvait être une option également, mais sans doute beaucoup de fuyards avaient déjà tenté de s’y réfugier, pris au piège par les bannis.

Des râles bien connus des oreilles d’Alaric retentirent dans la nuit. Il se retourna vers la crypte d’où une épaisse fumée se dégageait. Aucune flamme n’était visible, mais la torche devrait ralentir – ou avec un peu de chance – blesser le fangeux qui s’extirpait de son cercueil. Et au vu des gargouillements rageurs que le soldat entendait, la créature n’avait pas l’air d’humeur.

- On ne peut pas rester dehors, décida-t-il. On ne peut pas non plus rentrer par le hall principal.

Il dévisagea Desmond et sa haute stature.

- J’ai une idée.

Tant pis si Anastasie était toujours dans les vapes, cette chambre était la seule issue de secours. Encore fallait-il être capable de l’atteindre. Son bandage de fortune était déjà imprégné de rouge.

Des cris leur parvinrent depuis l’intérieur du manoir, des bruits de pas précipités résonnaient dans la cour intérieure et vers l’entrée de la bâtisse. Pressé par le temps et la peur d’être découvert, Alaric fit signe à ses compagnons de fortune de se fondre dans la végétation luxuriante du manoir. Autant utiliser tout ce qu’ils avaient sous la main à leur avantage. Dans l’obscurité de la nuit, cachés dans l’ombre des arbustes et buissons, il leur indiqua son plan.

- Pour quitter la chambre, j’ai brisé sa fenêtre. On pourrait rentrer par là. Desmond est grand, il pourrait nous hisser, non ? murmura-t-il à l’ensemble de ses camarades.

Et voici que son camarade blessé s’amusait à demander à la blonde de jouer aux doctoresses. Allons donc ! Mais allons donc !

-Holà, holà, mais à quoi êtes-vous en train de jouer ?

Le reste de la petite communauté prenait-elle donc leur aîné pour une simple brute épaisse ? Courrez messire ! Portez-moi messire ! Battez-vous messire ! Avec qui pensait-il donc causer ? Et toutes ces années de savantes études ? Ne servaient-elles donc à rien ? Tout cette expérience accumulée ? A rien non plus ?

-Laissez-moi m’occuper de ça, jeune homme. A défaut d’avoir de quoi vous soigner, je peux au moins jeter un coup d’œil sur cette vilaine plaie. Qui d’autres d’ailleurs auraient besoin de grand soin ici ? Vous non ? Vous aussi madame ? Et je suppose que si vous pleurez vous encore, c’est que vous souffrez quelque part ?

Que le brun le laisse examiner ces plaies, aussi vite que possible, cela valait mieux. Et que les autres aussi, tout inquiets et sur la défensive qu’ils étaient en face de même, dans la mesure du possible. Lothaire n’avait certes pas grand-chose sur lui pour traiter efficacement cette petite équipe, mais il valait mieux l’œil et le doigté d’un expert lorsque cela était possible.

Que les Trois les foudroient à l’instant, était-ce si complexe de faire preuve de raison en période de crise. Du calme d’abord, du calme. Quel étaient leurs priorités ? Du soin, du temps, de la protection, un abri donc. Le jeune blessé à la face si familière mais auquel Lothaire n’arrivait pas à mettre ce satané nom proposait d’aller rejoindre cette pièce où il s’était naguère barricadé avec sa dangereuse fiancée. Cela commençait d’ailleurs à en faire beaucoup, des ‘’compagnons’’ qui essayaient de vous planter leurs coutelas dans la jugulaire. Espérons qu’ils ne rencontreront plus aucune de ces fausses amies.

-Sinon vous, mon garçon, dites-moi si je me trompe mais on s’est déjà vu quelque part, non ?

Lothaire ne goutait que peu aux questions laissés en suspens et celle-ci le taraudait depuis un instant déjà. Un instant de trop visiblement.

-Allons bon, si personne ne possède une meilleure idée que ce jeune homme, nous devrions trouver une pièce où nous barricader en toute discrétion pour la nuit. Nous verrons ensuite au petit matin si nous pouvons nous enfuir. La Fange veille la nuit en dehors de ces murs.

La petite équipe était épuisée, les nerfs à vif et les tenues choisies n’étaient pas nécessairement les plus adaptées contre les fraiches nuits de décembre. Ferbois avait bien choisi sa soirée pour aller visiter cette maudite troupe de saltimbanques dans un manoir situé l’on ne sait trop où. Il leurs fallait survivre à tout prix. Ensembles.

En y pensant d’ailleurs, Lothaire n’avait qu’à peine retenu les noms de chacun. Alaric était donc le jeune blessé qu’il avait aidé (et accessoirement assailli par erreur). S’il suivait encore, il s’était absenté avec une jeune femme blonde, qui s’était révélée être une bannie. A son tour, sa probable amie à celle-ci, la fameuse Hélène, as réussi à prendre en otage la pleurnicheuse dont il n’avait pas retenu le nom. Et enfin viennent la blonde enceinte et le molosse.

-Juste entre nous, vous pouvez me rappelez vos noms déjà ?

Citation :

Lothaire propose d’examiner rapidement les plaies des autres joueurs, à défaut d’avoir de quoi les soigner, en particulier la plaie d’Alaric et de lui faire son bandage.

Après une nouvelle crise d’hystérie de Rosen où je la sens au bord des larmes, Alaric m’informe que sa super copine était en fait une bannie et qu’elle l’a blessé ! Il s’est fait avoir par une femme qui doit peser la moitié de son poids ! Vraiment, je ne comprends pas comment il a pu devenir chef des gardes à Sombrebois, surement à cause de son joli minois, à moins qu’il soit un champion à l’arc ou à l’arbalète.

Heureusement il dispose au moins d’informations utiles et après nous être caché, il expose son plan, qui me semble, pour une fois, intéressant, même si comme d’habitude, je vais devoir faire l’essentiel du travail. Je me demande vraiment ce qu’ils feraient sans moi, ils seraient sans nul doute tous mort au moins vingt fois.

Mais ce n’est pas fini, car le vieux bonhomme m’indique qu’il est médecin, c’est formidable, il aurait dû le dire plus tôt, à moins qu’il ne l’ait signalé au moment où il soignait la femme qui avais perdu une jambe ? C’est bien possible, mais comment j’avais autre chose à faire, je n’y ai pas vraiment porté attention, on a tous un sens différent des priorités et je lui réponds positivement :

J’ai reçu une méchante entaille dans le dos, si vous avez quelques connaissances, une fois à l’abri, je veux bien des soins.

Lorsque mon interlocuteur nous demande nos noms, je lui réponds :

Chevalier Desmond de Ronchemont.

Puis c’est au tour de mon ancienne groupie, qui lui dit tout en reniflant :

Laure Ajéclate.

Je laisse les autres se présenter, puis je commence à faire la courte échelle à tous ceux qui le voudront, avant de monter à mon tour dans la pièce que m’a indiqué Alaric. Je vois tout de suite le cadavre de la jeune fille au sol, égorgé très proprement, je jette un regard nouveau sur le garde et je ne peux m’empêcher de le féliciter, le tutoyant de manière complètement naturelle :

Tu ne l’as pas loupé cette petite, je ne pensais pas que c’était ton style ce genre d’exécution.

Je peux voir en effet, d’après le sang, qu’elle était au sol quand on lui a asséné le coup mortel, c’est d’ailleurs une chose que j’aurais sans doute fais avec un certain plaisir. En tout cas, nous sommes un peu à l’abris maintenant et j’en profite pour demander à Lothaire :

Je veux bien que vous examinez un peu ma blessure, je sens que je continue à saigner.

De plus le bandage à glisser et c’est extrêmement désagréable. J’espère juste que personne ne viendra nous chercher ici, car j’ai beau regarder partout dans la pièce, je ne vois rien qui puisse me servir d’arme. Il y a bien du mobilier en bois, mais il est trop mauvais état pour me servir de gourdin et en plus le casser à la bonne taille ferais trop de bruit. En cas d’attaque, je devrais me contenter de me servir de mes poings.

Pour la quatrième fois de cette mémorable soirée, je repense à ma fière épée à deux mains, elle me manque terriblement.