Dans le brouillard [Ft. Ombeline]

Le milicien ne tarda pas à s'endormir, assommé par l'alcool et le chagrin. Ombeline l'écouta grommeler dans son sommeil, lui laissant toute la place de se retourner lorsqu'il se fit un peu plus agité. La disparition de Sydonnie le frappait donc à ce point... Elle avait de la peine pour lui et s'inquiétait désormais pour son amie qui s'était volatilisée. Tout ce qu'elle pouvait espérer, c'était que la sergente se soit envolée pour une nouvelle vie, peut-être même avec une autre identité, et non pas qu'elle se soit jetée du haut de la falaise. Il y avait déjà bien assez de morts au quotidien.

La jeune femme profita de ce répit pour ouvrir sa fenêtre et laisser l'air froid de l'hiver s'engouffrer quelques minutes dans sa chambre. Dehors, la ville était bien silencieuse. L'heure tardive, la saison et la crainte des fangeux avaient rendus les rues terriblement tranquilles et même aux abords des maisons closes on ne faisait pas grand bruit. Une fois entre les murs de l'établissement, on se laissait aller à un peu plus de gaieté, mais les affaires n'avaient jamais été aussi mauvaise que cette année.
La brunette eut une pensée pour ses camarades disparues quelques mois auparavant. Elle regrettait leur disparition brutale, mais au moins elle savait ce qui leur était arrivé. Mieux valait faire son deuil rapidement dans cette cité. Les choses seraient-elles différentes au Labret ? Y aurait-il un semblant de paix apporté par la petitesse de la communauté vivant sur place ou faudrait-il au contraire craindre à chaque instant pour sa vie à cause du manque de protections ? Allait-elle à la mort sans le savoir ?

Ruminant ses pensées, Ombeline ne vit pas le temps passer et lorsque Alaric ouvrit les yeux, elle était de retour sur le lit et amusée par les difficultés qu'il avait à se sortir de la torpeur. Il devait payer cher le prix de sa beuverie.

— J’ai pas l’habitude de boire autant.

Elle se fendit d'un nouveau rire.

— Je veux bien te croire, fit-elle en se redressant à son tour. Tu devrais rentrer, en effet. Ça pourrait te revenir cher de passer toute la nuit ici et on va se demander dans quel caniveau tu t'es effondré si tu ne retournes pas à ta caserne.

Elle proposa une main secourable au milicien qui tanguait pour qu'il retrouve son équilibre puis lui ouvrit la porte de sa chambre. La lumière dans la grande salle en contre-bas était toujours allumée même si le volume des conversations n'était plus le même. On s'était retranché dans les chambres, d'après les multiples couinements et soupirs qui montait du couloir, ou l'on s'était rentré chez soi pour éviter de se faire passer un savon. Restait les irréductibles, les comploteurs, les grands buveurs et les mis à la porte de leur domicile. Ceux-là, on les retrouveraient au matin, affalés sur leur table.

— Ne t'en fais pas pour moi, il n'y à qu'à toi que tu as fait du mal ce soir, lui avoua-t-elle avec un sourire désolé. Fais attention dehors, on ne sait jamais ce qui peut trainer. Tu peux demander de l'eau à Dom au bar, avant de partir. On ne te demandera pas de payer.

Donner aux soûlots de quoi faire passer la gueule de bois était un service gracieusement offert pas le responsable des cuisines. Il disait savoir mieux que personne à quel point un homme pouvait avoir besoin de descendre un godet d'eau fraîche après s'être empoisonné à l'alcool.
La jeune femme accompagna son client au rez-de-chaussée, puis jusqu'à la porte de la Balsamine. Elle lui assura souhaita un retour sain et sauf jusqu'à sa caserne et le suivit du regard un moment avant de retourner dans sa cage. Elle n'avait pas trouvé le courage de l'inciter à revenir puisqu'elle savait ses jours comptés dans cet endroit de débauche et avait bien saisi que ce n'était pas non plus le genre du milicien de fréquenter les bordels.
Ce soir-là avant de se mettre au lit, elle adressa une prière aux Trois pour qu'ils gardent un œil sur cette âme en peine dont elle avait croisé la route ainsi que sur Sydonnie, où qu'elle soit.