[Terminé]Une sainte curiosité [Rosen et Gudrun]

Maintenant qu’Alaric vient de partir pour Marbrume, il va falloir que je me débrouille seule pour surveiller le bourg autant que possible face à cette menace qui vient de s’installer depuis plusieurs jours. Temporairement je l’espère…

Et alors que je fais un tour pour vérifier que rien d’anormal ne se passe, je vois la nouvelle prêtresse avec qui j’ai eu un léger différent il y a deux jours, Gudrun, venir vers moi. Sur le coup, je me dis au vu de comment la conversation a tourné que ce n’est sans doute pas bon signe, mais bien vite, elle semble étrangement prête, finalement, à parler du sujet que j’ai tenté d’aborder.

Ce sujet si délicat… tellement délicat qu’il l’est même pour un réfugier de Hendoir, alors même qu’il fait parti de sa culture. Pourquoi donc ce revirement, alors ?

« J’ai connu mieux, mais je vais bien, je vous remercie. »

C’est ce que j’ai répondu à sa salutation, mais je n’ai pas eu l’occasion de lui dire que je n’avais pas le temps ce matin qu’elle s’est éloignée après m’avoir demandé de venir m’entretenir avec elle. Chiabrena… Comme si c’était le moment !

Je commence à en avoir plein le dos, moi, d’Etiol, de ses sectaires, et de ses prêtres pas foutus de le crédibiliser un tant soit peu ! Mais je n’ai pas vraiment le choix, alors je vais tâcher de faire en sorte d’en finir au plus vite avec cette conversation afin de reprendre ma surveillance.

Mais ce sujet est délicat et je ne me vois pas en parler en plein milieu du bourg, là où tout le monde peut nous surprendre. Mais serait-ce mieux, entre quatre murs au temple ? Après tout, dit-on, les murs ont des oreilles… Et à l’extérieur, en espace dégagé, nous pouvons trouver un endroit où personne ne peut nous entendre de loin ou se cacher derrière quoi que ce soit.

Alors soit, parlons dehors et finissons en promptement. Je soupire avant de reprendre la parole à mon tour pour lui répondre, faisant bien attention de ne pas parler trop fort.

« Je vous l’ai dit l’autre jour. Je voulais juste savoir pourquoi c'est si différent ici que chez vous. J’avais besoin de réponses à mes questions... » 

Après une courte pause le temps de chercher mes mots face à ce sujet épineux, je reprends.

« Est-ce à cause des dérives ? Parce que des dérives, il y en a partout. Il y a bien les purificateurs qui tuent au nom des Trois… Ce n’est pas pour autant qu’on ne doit plus croire à Anür, Rikni ou Sérus. Le simple fait de dire que l’on pense que tout le mal de ce monde pourrait venir d’Etiol pourrait nous mener au bûcher. Pas pour autant que l’on tuerait des gens ou qu’on voudrait le vénérer, mais c’est comme ça. Et moi… » 

Je prends une grande inspiration.

« J’aimerais juste savoir. Je n’arrive pas à me dire que les Trois soient assez cruels pour nous infliger tout ça. Pour nous asséner la fange, la famine, la folie humaine… Je n’arrive pas à me représenter cela. Sinon, comment parvenir encore à croire en eux et à s’en remettre à eux ? Pourtant ce mal, il vient bien de quelque part. »

Je la regarde un instant. Certes elle ne sera jamais assez à l’aise pour aborder un tel sujet, à juste raison, et je crois pouvoir dire la même chose pour moi. Mais j’espère qu’elle finira par comprendre que mon but n’est pas de lui attirer des ennuis mais réellement de comprendre tout ça. La confiance, il est souvent difficile de parvenir à l’accorder, surtout à un inconnu. Mais…

« Vous êtes la seule ici à qui je peux poser ce genre de questions, vous comprenez ? Bien entendu, cette conversation restera entre nous, lui confirmé-je de mon côté également avant de terminer sur une dernière question. Par chez vous, dans vos croyances… C’est bien comme ça que vous voyez les choses, n’est-ce pas ? » 

Je crois… qu’il nous manque dans le Morguestanc quelque chose dans cette vision étriquée qui est adoptée. Comme une pièce de ce puzzle qu’est la vie… J’aurais sans doute bien des questions encore, mais je crois que nul prêtre, de toute façon et malgré sa foi et ses connaissances, ne saurait répondre à aucune d’elles.

Après tout, nous restons des humains, de ridicules insectes sur l’échiquier des déités, tous autant que nous sommes. Ce serait comme espérer d’une fourmis qu’elle nous explique l’humanité… amusant, n’est-ce pas ?

La conversation prend alors rapidement une dimension inattendue. Comprendre… Quelle drôlerie. Je suis allée la voir pour comprendre, moi aussi. Et maintenant, elle aussi, elle veut comprendre. Pas exactement la même chose, mais il y a quelque chose d’ironique dans cette similitude, je dirais.

Et plus je pressens ce qu’elle cherche à comprendre, et plus je me demande si je n’ai pas fait une erreur. Mais je ne peux plus vraiment reculer, maintenant que je suis engagée dans ce sujet. Quand le vin est tiré, il faut le boire… et j’espère au fond de moi qu’elle ne m’attirera pas d’ennuis.

Après tout, je la connais à peine. Mais je ne pense pas, de part ses origines et ce qu’elle endure à cause d’elles, qu’elle puisse s’amuser à aller faire une telle dénonciation ou qu'elle en parle. Mais tout est toujours possible, et je me rends compte que je prends un sacré risque aujourd’hui, bien plus grand que le précédent.

Et lorsqu’elle achève sa dernière question, je me fige presque. Ai-je bien compris où elle veut en venir ? Les signes, les contresignes… j’en ai tellement que je ne m’y attarde plus. Mais mon opinion est toute faite désormais.

Essaie-t-elle donc elle aussi de m’attirer sur ce chemin là ? Il n’y a pourtant rien de surprenant à cela, lorsque l’on a un point de vu ou une conviction, on cherche toujours à en convaincre les autres autour de soi. Mais là… je ne m’y attendais pas. Je m’attendais à des réponses un peu fades, un peu fuyantes. Un oui par-ci, un non par-là. Juste ce qu’il faut pour s’en sortir sans trop de casse.

Mais croire en Etiol est une chose, et le vénérer si je puis dire, en est une autre. Et moi, dans tout ça… je me sens certainement autant perdu qu’un naufragé de Hendoire au moment ou celui-ci se trouvait pris dans la tempête en mer !

Et que répondre à toutes ces questions ? Si je comprends bien, je me trouve en face d’une personne qui, en plus d’y croire – Bon Dieux ! n’est-ce pas déjà suffisant ? Cherche visiblement à m’endoctriner plus profondément.

Mais le plus dérangeant dans cette affaire, et qu’elle n’a pas répondu à la seule question qui nécessitait pourtant une réponse. Celle qui m’a poussé à prendre ce risque inconsidéré.

« J’ignore tout de votre vision des choses, à Hendoire. Mais ici, Etiol est seulement synonyme de mort et de torture pour ceux qui veulent répandre sa… parole, je dirais. Alors si c’est ça… vous comprenez bien que je ne souhaite pas de ça. Ces gens-là sont tous des sectaires, une secte qui s’appelle le Cloaque. Ici… il n’y a rien de bien sain dans cette croyance, je peux vous l’assurer. Seulement des dérives macabres dont Etiol sert de prétexte. » 

Ça, c’est ce que je veux bien dire. Desmond lui, je crois qu’il pourrait rire en m’ébouriffant les cheveux s’il m’entendait dire ça. A lui, il serait inutile d’essayer de mentir. Et je mentirais si je dirais que cela ne m’attire pas et ne m’a jamais attiré. Mais ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, je ne veux plus faire de mal aux personnes qui ne le méritent pas.

Et que j’ai un bourg à tenir lié à une étroite surveillance. Alors même si cette voie m’attire au plus profond de moi, je ne pense pas qu’il soit judicieux que je cherche à l’embrasser. Et pourtant... Les ténèbres hurlent au fond de moi. Bonjour Ténèbres, mes vieilles amies...

« Mais quelque chose me dit que vous n’êtes pas des détraqués assoiffés de sang, vous autres, et je vois bien que quelque chose m’échappe. Alors qu’en est-il pour vous ? »

Encore faudrait-il qu’elle veuille bien m’expliquer ce qui m’échappe… Peut-être faut-il juste le craindre, lui faire des offrandes comme à la Trinité, et le considérer avec un certain respect. Je l’ignore, et j’ai tellement de questions que j’aimerais poser, mais il serait inutile de le faire si la prêtresse réfugiée ne répond déjà pas à celles que j’ai posées. 

J’écoute attentivement chacun de ses mots, chacune de ses phrases. Une méprise ? J’essaie de contenir mon désarroi, mais je crois que cela devient vraiment difficile lorsqu’elle fait entendre que tout n’est que rumeur et que même les sectaires du cloaque ne doivent pas être mauvais.

Je pince mes lèvres, je sens une tension me parcourir de l’intérieur. Pourquoi en irait-il autrement de cette secte ?! J’ai envie de bondir, de lui demander si deux pauvres femmes enceintes enlevées auprès de leurs maris et que l’on force à s’entre-tuer au nom d’Etiol pour survivre rentraient dans la case de criminels à condamner.

Mais je me retiens très fort, car de toute façon là n’est pas le sujet et que, malgré tout, là où se situe la sombre ironie et que je pourrais bien rejoindre les sectaires. La logique, je crois qu’il ne faut pas la chercher.

« Il y a du bon dans toutes mauvaises choses et de mauvaises choses dans toutes bonnes choses… », réponds-je alors, sans trop savoir que dire de plus sur le moment.

Je me sens indignée et confuse à la fois. Comprendre n’est pas toujours aisé.

« Et je veux bien croire comme dit qu’à Hendoire, il n’y a aucune dérive concernant Etiol, mais… mais ce n’est pas le cas ici. Le cloaque… je vous assure qu’il s’agit essentiellement d’une communauté de tueurs sans la moindre pitié. »
 
Il y en a au moins une, certainement tranquillement installée à l’auberge actuellement, qui pourrait lui confirmer allègrement le contraire… Je me gratte la joue nerveusement. Finalement, elle y aura répondu à ma question, pour me confirmer plus ou moins la vision des choses que je lui ai exposée.

Et après ? Est-ce que cela changera grand-chose à ma vie ? La prêtresse semble encore croire que j’ai des préjugés sur elle malgré que je lui répète que ce n’est pas le cas.

Mais il y a quelque chose d’inquiétant néanmoins… Si elle ne voit pas le mal de cette secte, ne pourrait-elle pas finalement les rejoindre tôt ou tard afin de retrouver la partie de ses mœurs perdue ?

Je ne pense pas qu’il y ait de gros risques, mais à mon avis, il y en a quand même. Mais quelque part au fond de moi, je suis contente d’arriver doucement à sortir de cet épais brouillard, à trouver des réponses à mes questionnements interminables. Oui, je sais qu’Etiol existe.

Et à présent, je me sens moins tiraillée entre le chemin à prendre. Je me suis longtemps demandé quel camp choisir entre sombrer dans l’ombre ou aller vers la lumière. Aujourd’hui, je sais qu’un équilibre entre la mi-ombre est possible. Reste à savoir pourquoi notre clergé la condamne…

Et je pense avoir beaucoup de réponses à présent.

« Je comprends ce que vous ressentez ici. Mais ne vous trompez-pas sur leur compte. Ils ne sont pas comme vous... »

Ce serait comme dire que les purificateurs sont bons et bienveillants !  

« Mais dites moi, pour revenir à lui... vous entendez quoi par ‘rendre ce qui lui est dû’ ? Parlez-vous de quelque chose en particulier, ou seulement le fait de prier et de le reconnaître ? »

Parce qu’à mon sens, les seuls offrandes que souhaite ce maudit corbeau, ce sont des sacrifices. Alors prier et le considérer pour éviter de s’attirer ses foudres, d’accord, mais après ?

C’est un dieu sombre après tout, et il risque d’être compliqué de s’attirer sa reconnaissance si pour cela il faut faire couler le sang humain – chose nécessaire de ce que j’ai compris pour le libérer de ses marécages… mais que, pourtant, Gudrun réfute. Mais peut-être n’ose-t-elle pas tout me dire encore.  

Pas de sacrifice humain, voilà une bonne chose j’imagine. Pas que cela me rebuterait foncièrement ; il y a tellement de gens que je pourrais aimer voir morts. Mais présentement, je dois me tenir tranquille et me faire oublier. Et puis, je vais être mère d’ici peu de temps, ce qui compliquerait quand même pas mal ce chemin de vie.

Pour revenir à la nouvelle prêtresse du village, elle semble toujours aussi méfiante. Le fait qu'elle puisse prendre le parti - ou la défense - des sectaires me pose quand même un certain problème. Il n'y a plus qu'à espérer qu'elle ait réellement une vision érronée de la réalité. Autrement... je risque rapidement d'avoir un souci de plus à régler. Mais quelque chose me dit que ce n'est qu'une méprise innocente de sa part.

« Il n’y a pas de malentendu et ce n’est pas contre vous. Je vous l’ai dit, il y a quelque chose qui m’échappe le concernant, quelque chose qui échappe visiblement à tout le monde, ici. Rien de plus je puis vous l'assurer, soyez tranquille. Ça me paraît bien oui, une confiance mutuelle », confirmé-je en lui souriant.

Oui, quelque chose qui échappe à tout le monde. Autant à cette secte qui veut tuer tout le monde qu’au clergé qui le condamne. A moins que c’est pour la peuplade de Hendoire que quelque chose échappe… Qui peut le savoir au fond ? Tout cela ne change pas ce que je peux ressentir au fond de moi.

Qu’il y a bien un fossé entre les Trois et moi, et que quoi qu’il en soit, nous sommes tous d’accord pour dire qu’Étiol est un Dieu mauvais. Et que si je veux réussir à retrouver le destin qui est le mien et qui m’appelle, il me faut me donner les moyens d'y parvenir.

Mais je réalise qu’elle n’a dit ‘pas de sacrifices humain’ d’autres sacrifices, alors ? Des animaux ? Quelque part, je trouve l’idée décevante, frustrante. Tuer un humain, je trouve que cela est bien plus agréable.

« Pas de sacrifices humain vous dites ? Des animaux donc ? »

Je ressens une curieuse sensation. Un peu comme si l’image que j’en avais ne correspond pas à celle que je commence à avoir. Pourtant j'ai quand même la conviction que la clé se situe quelque part par-là. Quand je l'aurai enfin trouver, tout ira pour le mieux.

« Vous croyez ?! »

C’est une blague. Si maintenant les prêtres ne savent même plus comment vénérer leurs Dieux… Qui aller voir ? Oh, moi je sais qui aller voir. Mais on en revient donc à la case départ. Une case départ qui ne mène nul part. Je dévisage la prêtresse pour chercher à comprendre.

Visiblement, malgré tout ce que je peux dire ou faire, nous tournons en rond et elle n’arrive pas à s’ouvrir assez pour me répondre concrètement. J’aurais essayé. Sourire ou parler de confiance ne mène visiblement à rien. La suite me le prouve bien lorsque elle se met à présent à faire marche arrière. Pourquoi ce brusque revirement ?

Sans doute devrais-je réellement me méfier d’elle. Après tout… elle prend bien la défense du cloaque… n’est-ce pas ?

« Vous êtes prêtresse, mais vous n’avez aucune certitude de comment pratiquer envers les Dieux ? » 

Au fond de moi, je commence à sentir quelque chose monter désagréablement.

« Et vous ne voulez toujours pas comprendre ce que je vous dis. » 

La colère.

Mais je reste calme. Un peu désespérée ou exaspérée, peut-être. Certainement déçue. Mais l’essentiel est que de toute manière, j’ai tout de même les réponses à mes questions. Ces réponses, je les trouve de moi même un peu plus chaque jour. J’en reviens à ce que je disais à Edwige, au fond.

Qu’il faut agir selon notre nature propre, que l’on ne saurait être accablé pour quelque chose dont nous ne sommes pas responsable. Personne ne choisit d’être comme il est. Si les Dieux nous ont fait ainsi, c’est pour une bonne raison et notre destinée y est sans doute liée.

« Pourquoi être venue me parler alors si c’est pour rester sur vos positions ? Vous me parliez pourtant de confiance, il y a quelques secondes. A moins que vous n'aviez prévu d'assassiner des gens ici, je n'ai aucune raison de vous causer du tort. Vous pouvez parler librement. »

Qu’a-t-elle donc à cacher ? Alors c’est ça... Les réfugiés de Hendoire agissent exactement comme le cloaque et font couler le sang – humain - pour Étiol ?

Voilà qui expliquerait pourquoi elle prend leur défense et pourquoi elle refuse d’assumer. Je crois que les ennuis n'ont pas finis de pleuvoir...

Je ne comprends pas. Pourquoi tout est-il toujours si compliqué ?! J’ai beau chercher, je ne vois pas où est le problème. Elle vient me chercher pour reparler d’Etiol, elle me parle de confiance, je lui parle de confiance, donc nous nous parlons de confiance…. Et elle est incapable de me parler franchement et ouvertement de ce maudit Dieu.

Que je doive rester avec mes tourments et mes questions, ça passe encore. Mais qu’elle me réponde de la sorte et et ferme la conversation sans que je ne puisse comprendre pourquoi, je n’arrive pas à le tolérer. Et puis, elle pourrait tout aussi bien aller dire que je suis une hérétique…

Décidément, il n’y a vraiment rien à faire, dans ce monde, il ne faut VRAIMENT faire confiance à personne.

« Soeur Gudrun, l’arrêtai-je avec autorité avant qu’elle n’ait l’occasion de faire assez de pas pour s’éloigner, poursuivant ensuite d’une manière moins ferme. J’ignore bien pourquoi vous réagissez de la sorte comme si je cherchais à vous piéger ou vous attaquer, mais vous m’en voyez sincèrement peinée. Avant de partir, expliquez moi quel est le problème exactement et dites moi à quelles questions je n’ai pas répondu que je le fasse. »

Nom d’un chien ! Comment peut-elle seulement faire son rôle et aider les gens si elle n’est pas même capable de me parler ouvertement religion ? Si seulement je comprenais pourquoi ça coince autant.

« Je ne voulais pas vous offenser à nouveau, j’ai du mal à m’expliquer je crois. Je voulais juste… » 

J’ai comme un étrange instant d’indécision, d’indignation mêlée de détresse aussi, peut-être , qui entrecoupe ma phrase. Quelque chose qui bloque dans ma gorge.

« Je voulais juste de l’aide. Je voulais juste que vous m’expliquiez comment… faire, comment prier, le vénérer… » 

Bordel, je comprends plus rien… un instant fou j’ai cru qu’elle allait essayer de me reconvertir et maintenant… maintenant, elle s’en va outrée comme si je l’avais traité d’hérétique. Je n’ai jamais vu une prêtresse agir d’une telle sorte. Un prêtre n’est-il pas sensé guider et aider ?! N’est-il pas sensé faire le lien entre ses semblables et les Dieux ?

« S’il y a des rites, je sais pas ! Des enseignements… Ce n’est pas le genre de prêche qu’on nous enseigne ici. Alors si vous ne voulez pas m’instruire… comment suis-je supposée faire ? Vous me parlez d’équilibre entre les Dieux, et j’ai de plus en plus le sinistre pressentiment qu’il… que… qu’il faut que je fasse quelque chose pour l’apaiser. Mais quoi ? J’ai besoin de certitudes, que vous me dites réellement ce que je dois faire que je ne fasse pas n’importe quoi. Alors, ne pouvez-vous vraiment pas m’aider ? »

Suis-je donc désespérée à ce point ? Certainement, mais la consolation, c’est que cela ne se voit visiblement pas.  A ce rythme là, j’aurais plus vite fait d’aller me trancher la gorge dans les marais pour me vider de mon sang afin de contribuer à sa libération et au rétablissement de cet équilibre…

La prêtresse s’est arrêtée sitôt que je l’ai appelée pour m’écouter placidement. Et maintenant que j’ai terminé, je me rends compte que je me suis sans doute trop laissée emportée.

Tant pis, je ne peux de toute manière pas revenir en arrière. Ce qui est fait et fait… et si je veux de l’aide, autant y aller franchement. Après tout, puisque on a parlé de confiance…

De plus, ce n’est certainement pas elle qui devrait s’amuser aller dénoncer ça. Après tout, ce n’est pas un crime, pour elle… C’est même logique d’y croire vu ses mœurs.

Mais sa question me glacerait presque le sang. Elle veut savoir. Savoir comment je peux en arriver là alors qu’évidemment, tout dans ma culture natale est censé me tourner bien loin de ce sujet.

Au moins, son ton semble déjà moins hostile. Va-t-on finir par arriver à quelque chose de concret ?

« Parce que j’y crois… »

N’est-ce pas là la meilleure des raisons ? N’est-ce pas là une raison suffisante sans qu’il y ait besoin d’en dire plus ? Mais puisqu’il faut toujours en dire plus, et puisque c’est visiblement le prix pour avoir de l’aide.

« Parce que rien ne va jamais. Parce que je n’ai rien demandé, mais qu’il est rentré dans ma vie à de multiples reprises et que je sens son appel depuis longtemps maintenant. »

Je ne pourrais pas tout lui dire. Mais je peux au moins expliquer le principal. Essayer, en tout cas…

« J’ai fait une très mauvaise rencontre, il y a quelques mois. Ça aurait pu être pire, j’ai survécu après tout… enfin je crois. Des fois, la mort est sans doute préférable… mais depuis, j’ai l’impression qu’il s’acharne sur moi… »

Je la regarde, cherchant à savoir ce qu’elle peut bien penser de mon histoire, de mon mobile. Mais je n’ai jamais vraiment été douée pour ça… si je sais à peu près anticiper les réactions, je n’ai jamais vraiment su ce qu’il se tramait dans toutes ces têtes.

Ce que les gens pouvaient ressentir. Pendant longtemps, je n’en avais pas la moindre idée. Ces derniers mois, j’ai commencé à le comprendre petit à petit. Mais ça reste encore assez mystérieux par moment…

« Je crois que les Dieux ne m’ont jamais vraiment porté dans leur cœur. Je n’ai jamais été une bonne personne… j’ai fait bien trop de mal dans ma vie, et j’ai beau avoir changé et faire mon possible pour le rattraper, j’ai l’impression que ça ne sert à rien. Aujourd’hui, je ne sais plus vraiment qui m’aura méprisé le plus, là-haut… ou en bas. Qui tenir responsable de ce qui a fait ce que j’ai pu être avant mon mariage. J’étais… différente des autres. Tellement différente… je l’étais depuis toujours. »

Elle semble à nouveau ouverte, mais pour combien de temps, je l’ignore.

« Quand je parle de certitudes, je veux dire… je demande juste que vous m’aidiez réellement à... »

à quoi au juste ?

« … à faire ce qu’il faut pour pratiquer décemment… je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire. Je ne connais que les déviances… des déviances condamnables que j’aimerais éviter. Mais vous… que faites vous ? Vous sacrifiez des animaux ? C’est le genre d’offrande qui le satisferait vraiment ? Il ne verrait pas là un affront ou que sais-je... ? Il semblerait que c’est du sang humain qu’il veut, de ce que j’ai cru comprendre. Mais si les animaux font l’affaire, ce serait vraiment bien. »

Plus pratique en tout cas… sacrifier des innocents me paraît inconcevable, au jour d’aujourd’hui. Et quand bien même, j’aurais du mal à assassiner des gens au vu de ma situation actuelle. Cela me demanderait une sacrée organisation… que je ne pourrais réaliser seule.

Ma dernière question a été prononcée avec un léger malaise, une sorte d’inquiétude. Je n’ai aucune idée de comment elle va réagir à mes paroles. Elle a l’air si… susceptible ?

Susceptible de se braquer au moindre mot de travers, en tout cas. J’ignore si c’est ce qu’elle fait elle même, mais c’est ce qu’elle a dit qui était fait me semble-il. Mais Etiol est-il vraiment le genre de Dieu à se satisfaire d’un tel sacrifice ? Il me semblait que c’était du sang humain qu’il désirait. Mais peut-être que les déviances sont telles que tout a été conséquemment déformé...