Si léger et pourtant si lourd! [Terminé]

Bourg de Sombrebois
7 Mai 1167


Deux semaines!
Cela faisait deux semaines que j’avais raccompagné Gudrun à Sombrebois.
J’ai une semaine de retard et je m’en veux.
Je pourrais vous trouver des excuses, là n’est pas le problème.
Je pourrais vous dire que, lorsque j’aurais dû arriver le 1er Mai, j’ai finalement quitté les Faubourgs de la Cité pour escorter un convoi. Que c’était ma première participation à une mission depuis que Desmond m’avait recruté. Qu’une demande de son chef, ça ne se refuse pas…
Je pourrais vous dire que la météo instable qui suivit le retour de Gudrun à Sombrebois m’a empêché d’y retourner ou que le nombre croissant de patrouilles m’a découragé.

Mais pour être honnête avec autrui, il faut commencer par être honnête avec soi-même.
J’aurais pu décliner l’offre de Desmond pour ce boulot, mais j’avais fait une promesse.
J’ai réfléchi et une chose m'est apparue évidente; j’avais besoin d’argent! Pour la première fois depuis longtemps, j’avais besoin d’argent.
De cette révélation, une seconde m’est venue et c’est sûrement celle qui m’a poussé à avoir cette semaine de retard.
Nous sommes le 7 Mai aujourd’hui. Cela fait donc plus d’un an que j’ai déserté puisque c’était le 4…
Un anniversaire comme celui-ci, rien de mieux pour faire un peu d’introspection et ainsi pleinement tenir la promesse que j’ai faite à Gudrun.

Aujourd’hui, j’arrive donc au Bourg et profite du monde circulant par cette belle journée pour me glisser discrètement vers le temple. Y ayant déjà séjourné, quelques mois plus tôt, je m’y rends sans trop de peine.

Comme à mon habitude, j’étais vêtu de mes habits de lin noir élimés par le temps, des bandes noires aux chevilles en guise guêtres et mon vieux plastron de cuir noir. Mon épée courte à la ceinture, dissimulée sous ma grande cape noire par-dessus laquelle pendaient deux besaces, une de chaque côté, contenant toutes mes possessions. Pour finir, mon arc usé côtoyait un antédiluvien carquois contenant une dizaine de flèches défraîchies sur mon épaule.
Mon crâne rasé était dissimulé sous ma capuche et je ne me découvris qu’en entrant dans le bâtiment. J’imagine que je ne payais pas vraiment de mine après le convoyage et le trajet de Balazuc à ici, mais au moins étais-je là.

Je m’approchais doucement d’une prêtresse.

Pardonnez-moi ma Soeur, pourriez-vous m’indiquer où trouver Soeur Gudrun? A défaut, pouvez-vous la prévenir que l’homme de la mine est là ? Merci.

J’attendais alors, anxieux, quelque chose de pesant dans la poche. Petit en taille mais lourd de sens.

Bertille terminait de ranger dans le temple du bourg, quand un homme, dont les vêtements faisaient davantage penser à un mercenaire sans le sou qu'à un fier soldat, entra dans le temple et l'interpela. Son crâne rasé était sacrément étrange ! Elle le détaillait du regard, curieuse.

- Attendez ici, j'appelle Sœur Gudrun !

Elle se dirigea vers une des portes qui se trouvaient sur le côté du temple, frappa et sans attendre de réponse, entrouvrit la porte.

- Soeur Gudrun ! L'homme de la mine voudrait vous voir ! J'ai terminé avec c'que vous m'aviez donné à faire, j'y vais !

Bertille salua Éric et sortit d'un pas rapide, le laissant seul dans le calme du temple.

En entendant cette phrase, Gudrun sentit son cœur battre un peu plus vite. Non pas qu'elle n'ait pas eu confiance en Éric pour revenir, mais cela ne l'empêchait pas d'être surprise que ce moment soit déjà arrivé. Elle avait eu le temps de réfléchir de nouveau à toutes ces choses qu'ils s'étaient dites et à cette illumination qu'elle avait eu.

Et de fait, en y réfléchissant à tête reposée, sans qu'il soit là pour la distraire, sa proposition n'avait rien d'intéressant pour elle, mis à part le fait qu'elle en avait eu envie. Quelle folie !

Elle passa la porte pour se retrouver dans le temple. C'était bien lui. Elle sentit un sourire idiot s'épanouir sur son visage. Il n'avait pourtant pas fière allure avec ses habits vieux et poussiéreux, boueux même. Elle-même paraissait sans doute mieux habillée que la dernière fois qu'il s'étaient laissés, sa robe étant propre, sans son vieux manteau de laine sur les épaules, et sans bosse sur la tête. Il était pourtant beau... à sa façon. De corps ou d'esprit, une chose était sûre, ce n'était pas un homme banal. Elle s'avança d'un pas décidé pour le saluer.

- Bonjour Éric. Tu viens d'arriver à Sombrebois ?

Prise au dépourvu elle hésita un instant avant de lui dire.

- Viens par là.

Elle repartit vers la porte dont elle venait et le fit entrer avant de la refermer derrière eux.

- Installe-toi.

Elle lui montrait le banc qui se trouvait le long d'une table, dans cette pièce où elle vivait. Elle remplit un gobelet d'eau, lui posa sur la table et alla s'asseoir sur le lit.

- Je suis heureuse de te revoir. Tout va bien depuis... la dernière fois ?

Euh ! Si c’est vous qui avez soigné un homme blessé à l’abdomen, oui c’est bien moi. Je vais très bien, et merci encore pour votre intervention.

Je n’avais effectivement pas pensé au fait que le temple de Sombrebois était petit et peu pourvu en prêtres et prêtresses. A vrai dire, je n’ai aucune idée du nombre de personnes officiant ici. Je restais donc sagement à attendre qu’elle termine ce qu’elle faisait avant de partir chercher Gudrun ainsi qu’elle me l'annonçait. Je la suis du regard alors qu’elle disparaît dans un couloir.
Ce temple n’est pas grand mais plutôt bien tenu, propre et rangé, il ne sent pas le renfermé. Pour un temple, il est lumineux...J’ai bien dit pour un temple!
Je suis donc à contempler l’édifice où exerce Gudrun lorsque la sœur qui m’a reconnu passe devant moi en me saluant avant de quitter les lieux. C’est fou! Elle m’a sauvé la vie il y a presque sept mois et elle se rappelle de moi? Certaines personnes sont surprenantes, vraiment.

C’est alors qu’elle arriva, vêtue de sa robe bien propre, arborant un petit sourire. Elle avait bonne mine, semblait en forme et totalement remise de sa mésaventure. Je lui souriais en retour, ravis de la voir. Je la saluais à mon tour en inclinant sobrement la tête avant de la suivre.

Bonjour Gudrun, j’arrive à l’instant en effet!

Elle semblait plus contente de me voir qu’en colère de mon retard. Me serais-je inquiété pour rien? Toujours est-il que je la suivais dans le couloir jusqu’à une porte. Elle m'invita à entrer, ce que je fis, puis referma derrière nous. Je déposais arc, carquois, cape et sacoches au sol puis m’installais sur le banc qu’elle m'indiquait. Je la remerciait du verre d’eau tandis qu’elle prenait place face à moi sur un lit. Je buvais une gorgée, anticipant sans doute quelque longue discussion. Ceci fait, je l’observais en souriant, sûrement un peu bêtement, tandis qu’elle prenait de mes nouvelles.

Je suis également très heureux de te revoir, même avec un peu de retard. Je me porte bien depuis que l’on s’est quitté. Et toi? Tu es resplendissante en tous cas.

Je lui lançais un petit sourire malicieux, je pense, en tout cas, c’est l’idée.

Un séjour de repos dans une vieille mine avec un homme étrange, cela requinque!

En vrai? Je trépignais comme un gosse. J’étais là pour une chose précise mais en même temps, je ne voulais pas...Brusquer? Passer pour un homme braqué sur une unique idée? Et si elle n’avait pas envie? Qu’elle avait changé d’idée?
Après tout, c’était là son droit le plus personnel. Il n’était pas difficile de trouver un meilleur parti que moi, j’en étais parfaitement conscient. Moins bizarre, plus fortuné, avec un vrai toit au-dessus de la tête.
Qu’avais-je à offrir? Je transporte toujours tout ce que je possède et le seul toit que je peux revendiquer est celui que je partage parfois à la guilde.
Oui, c’est vrai! Mais j’ai décidé de changer tout cela. J’escompte bien finir par trouver autre chose qu’un lit dans un quartier général de mercenaire.
Je lui souris chaleureusement.

Ça fait grand bien de te revoir Gudrun!

Éric était souriant, manifestement très heureux de la revoir aussi. Il évoqua son retard, du moins ce qu'il semblait considérer comme tel, ce qui la fit sourire intérieurement. Les mots avaient une telle importance pour lui... Son compliment la touchait d'autant plus.

- Est-ce que tu te qualifies toi-même d'homme étrange ? Je n'emploierais pas ce mot pour te décrire.

Cette idée la dérangeait. Son drôle de sourire aussi. Ou faisait-il allusion à son crâne rasé ? Elle n'osait pas lui demander le pourquoi de cette habitude.

Elle eut un petit rire à sa dernière phrase, n'osant pas non plus lui faire remarquer qu'il se répétait. Oui, il était manifestement très heureux d'être ici. Elle s'était souvent demandé ces deux dernières semaines ce que cela lui ferait de le revoir, hors de la mine, dans des circonstances plus normales, où elle ne dépendrait plus autant de lui. La réponse elle l'avait désormais.

- Éric, tu m'as l'air en forme ! Ou es-tu simplement de bonne humeur ? Je n'ai pas pu te remercier convenablement quand nous nous sommes séparés il y a deux semaines... Puisque tu es là, je peux peut-être me rattraper ? Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Il reste une chambre libre au temple si tu souhaites y passer la nuit.

Le plaisir de le revoir cédait la place à la nervosité. Elle s'était imaginé qu'il ne vienne jamais, elle s'était imaginé qu'il vienne lui faire une demande officielle... Mais elle ne s'était pas imaginé qu'il vienne simplement lui faire une visite de courtoisie. Il disait ce qu'il avait à dire d'habitude. Alors, s'il se contentait de simples paroles polies, que fallait-il en conclure ? Une pointe de déception montrait le bout de son nez. Elle lui avait demandé de réfléchir, il avait réfléchi et en était sans doute arrivé aux conclusions qui s'imposaient.

Malgré cette arrière-pensée elle restait contente de le revoir et patienta tranquillement pendant qu'il buvait.

- Tu es quelqu'un de... singulier.

La proposition de Gudrun de lui permettre de dormir à l'abri ne semblait pas plaire à Éric. Sa figure changea d'expression avant de refuser. La déception fut de courte durée, puisqu'il se remit à sourire avant de se lever et venir vers elle pour lui tenir la main.

Il se mit à lui expliquer qu'il avait réfléchi... Elle était un peu émue devant sa déclaration et fut touchée quand il lui dit qu'il avait réfléchi à ce qui était convenable ou non. Elle le laissa continuer sans l'interrompre, heureuse qu'il ait enfin retrouvé son discours habituel. Ses paroles étaient assez maladroites, mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir de la joie, avec une pointe d'anxiété jusqu'au moment où il lui posa une question lourde de sens. Debout toute proche de lui, elle baissa les yeux vers l'objet qu'il avait mis dans sa main. C'était un petit peigne tout simple et propre, avec une fleur comme il en poussait des dizaines dans le sous-bois en cette période. Elle se remémora le moment où il lui avait proposé un peigne pour se coiffer, deux semaines plus tôt. C'était le moment où elle avait commencé à lui faire confiance. Est-ce qu'il l'avait ressenti lui aussi ? Est-ce que c'était une manière de lui demander de faire confiance une nouvelle fois ? Ou était-ce une façon de lui dire qu'il n'avait pas grand chose à lui offrir ?
Elle remonta les yeux pour les fixer sur ceux d'Éric. Elle ne souriait plus.

- Si nous nous étions rencontrés ailleurs, à un autre moment, il est certain que tu ne serais pas un parti convenable pour moi Éric. Mais les choses sont plus complexes que cela et je crois qu'aujourd'hui tu es un parti... plus que convenable. A vrai dire tu ne l'es peut-être pas d'un point de vue objectif... Mais tu l'es à mes yeux. Alors oui, j'aimerais beaucoup que tu deviennes mon époux. Je t'ai fait confiance de nombreuses fois et tu ne m'as jamais déçue... Alors j'ai envie de continuer.

La situation n'avait rien de très romantique, Éric était crasseux et ses vêtements l'étaient tout autant. Il ne sentait pas la rose mais... Elle lui caressa la joue de sa main libre et déposa un rapide baiser sur sa bouche.

- Nous ne sommes plus au fin fond des bois, cela serait peu convenable de dormir ensemble. Non pas que je n'en ai pas envie, au contraire, mais... Je ne pense pas que nous puissions faire la cérémonie aujourd'hui même.

Son sourire disparut. Elle se demandait comment allait pouvoir se dérouler ce mariage sans famille ni proches. Ils n'avaient même pas de témoin. Non, décidément la situation n'avait rien de banal non plus.

Le rire d'Éric était tellement rare qu'elle ne put s'empêcher d'y répondre par un sourire. Ses zygomatiques n'avaient pas autant travaillé depuis très longtemps. Quant à sa douceur, que ce soit dans ses paroles ou dans ses gestes, elle n'en avait jamais connue de pareille. C'était... singulier ? Le bonheur de l'homme en face d'elle se voyait dans ses yeux rieurs.

Il parlait de dormir... Elle n'avait pas compris cela, elle avait interprété ses mots une fois de plus, alors qu'il avait été pourtant clair : dormir. Pas autre chose. Elle se mit à rougir tandis qu'il l'embrassait avec un peu plus de fougue et qu'elle ne pouvait s'empêcher d'y répondre avec autant de passion, sentant un désir peu convenable se répandre dans son ventre. Elle reprit ses esprits quand il se remit à parler.

- Tu n'as jamais assisté à un mariage Éric ? Excuse-moi, je suis simplement surprise... Il n'y a pas grand chose à savoir après tout. Mais chaque chose en son temps, j'aurais dû te proposer de te laver dès le début ! Peut-être que... L'on pourrait laver tes vêtements si tu restes un peu ici.

Elle se dégagea de son étreinte en souriant, perturbée par ses baisers.

- Nous n'avons pas de thermes ici... Et pas de source chaude non plus. Ce sera de l'eau froide ! Viens avec moi !

Sans lui laisser le temps de protester, elle le prit par la main pour l'entraîner vers une autre pièce où se trouvait un grand baquet.

- Là ! Il y a aussi de l'eau déjà prête à côté et je...

Elle se retourna pour le contempler. Elle avait envie de rester à parler avec lui encore un peu. Peut-être pas seulement parler. Mais il fallait être raisonnable.

- Déshabille-toi et mets toi dans l'eau, je m'occuperai de tes vêtements en attendant que tu aies fini, d'accord ?

Il lui demandait de rester, la laissant tiraillée entre ce dont elle avait envie et ce qu'elle devrait faire. Avant qu'elle n'ait le temps de se décider, il commença à se déshabiller, ne faisant pas preuve de plus de pudeur qu'à l'habitude. Soupirant, elle essaya de faire bonne figure pendant qu'il se mettait dans le bain avec autant de naturel que s'il était seul dans la pièce et qu'il lui demandait du savon.

Elle réalisa qu'elle avait vraiment la tête ailleurs... Elle se dirigea vers une petite étagère où elle prit un savon et un morceau d'étoffe propre qu'elle ramena près de lui, avant de lui tendre le savon, gardant ses yeux rivés sur son visage.

- Voilà pour le savon... Je vais rester si tu le souhaites mais je ne sais pas si c'est très raisonnable.

Elle attrapa un tabouret et s'assit le dos contre le baquet, sa tête toute proche de celle d'Éric.

- Je ne suis plus de toute jeunesse et pourtant regarde-moi ! Je me laisse convaincre comme une pucelle à son premier bal...

Ceci dit, ce n'était pas le premier damoiseau venu, on pouvait sans doute considérer qu'ils étaient fiancés désormais. Ce mot sonnait étrangement, car rien ne s'était passé comme cela aurait dû être dans une situation normale. On ne rencontrait pas son fiancé dans une mine, on ne prenait pas de bain avec lui, et la famille... Enfin, d'après ce qu'elle en avait compris, il n'en avait pas. Et le peu de personnes qu'il avait connu était mort. Elle décida de ne pas lui reparler de ce sujet. Elle n'avait pas non plus envie de parler de ce qu'il avait fait pendant ces deux semaines. Il avait dû risquer sa vie dans ces marécages infects, et elle n'avait pas envie d'y penser.

Mais c'était aussi très troublant de rester là sans rien dire pendant qu'il prenait son bain. Alors elle se mit à parler de la première chose qui lui venait à l'esprit...

- J'ai beaucoup prié pour toi ces deux dernières semaines. Et puisque tu es là en chair et en os j'imagine que les dieux m'ont entendu ! Tu sais, cela fait trois ans que je me demande ce qu'ils attendent de moi... Tu es le premier message clair que je perçois. Je commence à me demander si je ne serais pas passée à côté d'autres signes... Tu parlais d'étoiles la dernière fois, t'en souviens-tu ? Je crois qu'ils t'ont envoyé pour que tu en sois une pour moi. Comme celles dont les bateaux se servent pour se guider la nuit.

Elle se tut un instant, songeuse.

- J'ai oublié de te laisser le temps de prier d'ailleurs ! Tu n'as sans doute pas l'occasion de te rendre au temple souvent... Il y a d'ailleurs une autre prêtresse ici à Sombrebois, Soeur Marie-Ange, si tu souhaites te confesser. Je n'ai pas les idées très claires aujourd'hui, j'en oublie l'hospitalité la plus élémentaire !

Ce qui ne serait pas raisonnable, ce serait de ne pas faire ce qui te fait du bien.

Rétorquais-je en haussant les épaules en souriant.

Merci pour le savon, il est plus raffiné que celui que je t’avais donné.

Je tournais la tête tandis qu’elle s'installait dos à moi, contre le bac, la tête non loin de la mienne. Je pouvais sentir le parfum de ses cheveux qui avait une très belle apparence contrairement à la dernière fois. Soyeux et luisants, j’avais envie de glisser mes doigts dedans.
Je plongeais le bloc dans l’eau et commençais à frotter énergiquement pour m’arrêter presque aussitôt sur la phrase de Gudrun.
Je penche alors la tête un peu à la renverse, cherchant son regard pour le saisir, affichant un sourire malicieux.

Mais c’est notre premier bal!

Dis-je, en insistant sur le mot “notre”. Je la taquinais, bien sûr. Si je n’étais pas très au courant des normes liées au mariage, je savais tout de même qu’habituellement l’homme et la femme ne se voyaient pas nus avant la nuit de noce. Cela étant, nous avions étés nus ensemble bien avant qu’il soit question d’une union. De fait, je ne voyais plus d’offense quelconque ni vis à vis d’elle, ni vis à vis des Dieux.

Le silence se fit, rythmé par les bruits que je faisais dans l’eau, jusqu’à ce que la prêtresse se mette à me parler.
Je suspendais mon geste à nouveau, en l'écoutant avec attention. Je me retournais dans le bac pour déposer un baiser sur son crâne.

Je pense que les Dieux nous ont confié la tâche d’être chacun l’étoile de l’autre. C’est quelque chose dont je suis persuadé et que j’escompte bien accomplir chaque jour qui suivra celui-ci. Les années d’incertitudes, j’imagine qu’elles étaient là pour nous permettre de nous trouver.

Elle se tait un instant avant de me proposer de me confesser à l’autre prêtresse, celle-là même qui m’a accueillie donc. Ainsi, elles ne sont que deux pour tenir ce temple, ce qui promet sans doute pas mal de travail. Elle se reproche également son manque d’hospitalité à mon égard, ayant omis de me proposer un temps de prière. Elle avoue être perturbée, ce qui j’imagine, est un peu de ma faute. Plus largement, c’est la faute de la décision que nous avons pris tous deux de nous unir. Moi même, je me sens hasardeux dans mes pensées.

Au contraire, ton hospitalité est à la hauteur de ma situation. Tu as donné de l’eau à un vagabond, tu lui as offert une chambre et maintenant un bain. Pour le reste, je Leur ai beaucoup parlé depuis que je t’ai quitté. Ainsi que tu l’as fait remarquer, je suis ici en un seul morceau, et toi, tu te porte bien, tes prières et mes paroles ont dû être entendues. Nul besoin de déranger Soeur Marie-Ange aujourd’hui.

Je posais le savon sur le rebord du baquet avec le linge propre avant de venir enlacer doucement Gudrun. Derrière elle, je passais les bras le long des siens pour saisir ses poignets et les croiser sur son ventre, glissant ma tête contre la sienne et déposant un baiser dans son cou.
C’est seulement après que je me suis souvenu que j’étais légèrement mouillé…
Je la lâche donc et me recule dans l’eau, perplexe et confus.

Je...Désolé, je n’ai pas pensé à cela!

Éric pencha la tête pour l'apercevoir. Elle le regarda, répondit à son sourire par un autre sourire. Sentit un baiser sur sa tête. Ses paroles finirent par la détendre pendant qu'il prenait son bain. Elle était juste contente d'être là après tout. Effectivement, il n'y avait aucun mal à être assise ici, à profiter du moment présent, à écouter sa voix réconfortante, et ses paroles qui paraissaient, comme toujours, très raisonnables.

Elle sentit soudain qu'il l'enlaçait. Étrangement, elle sentit une chaleur l'envelopper alors que l'eau froide trempait sa robe. Il la relâcha soudainement. Elle se retourna vers lui, surprise. Le souffle court, elle se mit à chuchoter.

- Je... Enfin, non, c'était très agréable. Tu pourrais recommenc... ?

A peine avait-elle prononcé ces mots qu'elle se rendit compte que ce n'était pas une bonne idée. Elle se releva brusquement et alla ramasser les vêtements d'Éric. Juste avant de passer la porte elle se sentit obligée de lui donner une explication.

- Excuse-moi... Je ne peux tout simplement pas rester là, à te regarder.

Les mots qu'il avait prononcés un peu plus tôt résonnaient de nouveau dans sa tête. "Ce qui ne serait pas raisonnable, ce serait de ne pas faire ce qui te fait du bien". Le fil de ses pensées s'embrouillait, mais une chose était sûre.

- Je ne me fais pas confiance pour te résister Éric... Mais il le faut pourtant, le mariage est sacré. Je crois que tu ne penses pas à mal, mais moi j'ai très envie de toi. Alors, je préfère m'en aller avant de te donner de faux espoirs.

Elle sourit, avant d'ajouter une parole qui le consolerait, du moins elle l'espérait.

- J'attends la nuit de noce avec impatience.

Lorsque je la lâcha, conscient de l’avoir passablement trempée, elle se retourna vers moi avec interrogation et … crispation?
Non, ses paroles, basses et hésitantes, montraient de la déception. Elle affirma qu’elle appréciait ce câlin mais s'interrompit alors qu' à l’évidence, elle voulait que je continue.
Je ne pus réprimer un sourire qui déjà s’évaporait alors qu’elle se levait pour aller ramasser le seau contenant mes habits.
Quelque chose clochait et elle l’exprimait clairement. Demeurer là, à m’observer me laver la dérangeait. Ca, je pouvais comprendre le sens des mots mais je ne comprenais pas ce qui l'incommode réellement.
Je la regardais, depuis mon bac elle, sur le pas de la porte et je cherchais à comprendre.

Tu m’as pourtant déjà vu nu, qu’est-ce qui te pose problème?

La réponse suivie alors. Aussi inattendue que délicieuse, aussi surprenante qu’agréable. La phrase qui arrivait ensuite achevait de me convaincre que j’avais bien compris le sens de ses mots. Mon sourire s'élargissait et je sentais mes joues chauffer légèrement.

Je suis flatté de ce que tu me dis. Il en va de même pour moi Gudrun. J’ai envie de ta chaleur et de la douceur de ta peau.

Je me redressais un peu dans le baquet, arborant mon torse nu mouillé.

Si notre mariage futur est pour moi sacré, je ne suis en revanche pas certain qu’il soit une réelle nécessité de résister jusque là...Après tout, du peu que j’en sais, attendre la nuit de noce est avant tout une façon de confirmer la virginité de la mariée…Alors j’attendrais le mariage si c’est ce que tu souhaite, mais sache que également que...je serais ravis que tu change d’avis à ce sujet.

Je souriais toujours, les joues un peu plus rouges et de plus forts picotements dans le ventre. S’avouer notre attirance réciproque était une chose. Clamer haut et fort que l’on souhaitait s’offrir à l’autre avec une impatience...évidente, c’était autre chose. C’était loin de me laisser indifférent. Je m'asseyais dans l’eau, avant que mon envie d’elle ne devienne...apparente. En effet, des ondes de plaisirs avaient suivi les picotements pour se diffuser jusqu’à mon bas-ventre, poursuivant à mon entre-jambes.
Je parlais doucement, lui lançant un sourire conquis.

Cela dit, j’aimerais bien que tu m'approches une serviette avant de filer avec mes habits. A moins que tu ne souhaites me voir te chercher, nu dans les couloirs?

Je tendais la main vers elle, gouttant sur le sol.

Reviens Gudrun, et reste! Ta compagnie vaut largement quelques faux espoirs.

La réponse d'Éric à sa déclaration lui faisait d'autant plus regretter de partir si vite. Il souriait jusqu'aux oreilles, mais Gudrun, elle, ne souriait plus.

- Si, c'est une nécessité, puisque les dieux nous l'enseignent. Nous avons tous des envies que nous serions heureux de réaliser, mais fort heureusement nous savons nous limiter !

Il essaya ensuite de la retenir d'une autre façon, mais elle ne s'y laisserait pas prendre, et elle commençait désormais à s'agacer.

- Vois, je t'en ai déjà amenée une, et tu en as davantage non loin ! Ne raconte pas de bêtises !

Sa dernière phrase fit néanmoins fondre son début de colère et faillit la convaincre de rester. Elle lui dit d'une voix douce mais ferme :

- Finis de te laver seul, ce ne serait ni raisonnable, ni convenable, que je reste.

Sur ce, elle sortit de la pièce, puis sans perdre de temps, elle quitta le temple pour se diriger vers la maison de la femme qui lui rendait service bien souvent. La maison en question n'était pas très loin du temple, elle n'eut donc pas long à faire avant d'arriver. Après un court échange de politesses, elle tendit les vêtements à la lavandière. C'est alors que celle-ci se permit un petit rire.

- Des vêtements d'homme ? C'est inhabituel ! Mais j'crois bien que vot' robe aussi aurait bien besoin d'un petit lavage ma Soeur ! Où avez-vous donc passé pour qu'elle soit dans cet état ?

Gudrun baissa les yeux sur sa robe qui, effectivement, était mouillée à certains endroits, mais était de plus tachée de quelques traces indéfinissables... L'eau du bain avait transformé les traces de poussière laissées par Éric en traces de boue, et en vérité, elle était bien peu présentable. Elle se maudit de ne pas avoir remarqué cela avant de sortir, tout en répondant d'un ton poli.

- Ce sont mes affaires, et je vous saurais gré de ne pas en faire toute une histoire. Hum... D'ailleurs... Si vous voyez passer Bertille, pourriez-vous lui demander de passer me voir au temple ?

Est-ce que ses joues avaient rougi ? Elle espérait que non. Elle avait beau être en colère, la situation était très embarrassante, elle qui n'avait jamais fait la moindre erreur dans le bourg jusqu'ici... Il suffisait qu'Éric arrive pour que tout aille de travers. Elle repartit aussi vite qu'elle était arrivée, pressée de rentrer au temple avant de croiser d'autres personnes.

Le temple en lui-même était vide à part deux personnes qui étaient manifestement là pour prier, en silence. Tout était calme... Elle s'éclipsa sans bruit vers son logement. Éric devait avoir terminé son bain, elle irait se changer ailleurs, puis ils pourraient enfin discuter tranquillement, avoir une discussion normale !

Elle semblait s'agacer de mon raisonnement comme de mes tentatives pour la garder près de moi, aussi décidais-je d’arrêter là. En revanche, hors de question de me laisser abattre et de me défaire de ma bonne humeur.

Alors nous ferons comme tu l’entends et ainsi que tu le souhaites. Ce n’était qu’une suggestion mais je n’y connais guère grand-chose en mariage !

Lui répondis-je toujours souriant avant d’ajouter un petit complément.

La seule chose que je sais avec certitude, c’est que je te veux pour épouse.

Elle filait ensuite avec mes vêtements sous le bras, me laissant seul à ma toilette. Après un petit moment de réflexion, qui permet à mon corps de calmer ses pulsions, je finis rapidement mes ablutions. Sans Gudrun pour me distraire, l’eau du bac était tout de même fraîche, aussi je me décrassais rapidement dans les moindres recoins en frottant la savonnette avec énergie.
Une fois décrassé, je sortais du baquet et m’enroulais dans le linge que Gudrun m’avait laissé. C’est alors que je m'aperçut que j’avais absolument tout laissé dans sa chambre. C’est donc vêtu d’une serviette que je fis l’aller-retour pour récupérer mon rasoir avant de revenir dans la pièce du bac.

J’entrepris alors de me raser ainsi que je le faisais toujours, commençant par le crâne pour finir par l’entre-jambes en passant par le reste. Je me faisais alors la remarque que, sans doute, Gudrun finirait par me demander un jour la raison de cette manie.
C’est pourtant fort simple, la pilosité gène la cicatrisation des blessures et, plus grave encore, peut favoriser les infections. Au regard de ma vie, j’estime donc plus sage d’éviter cela autant que possible. Cela viendra peut-être à changer, mais pour l’heure c’est une habitude, un rituel bien ancré.

Cela me prend un petit moment et une fois terminé, je me réemballe dans ma serviette et retourne une fois de plus au logement de ma prêtresse. Cela peut vous surprendre que je pense à me vêtir, mais nous sommes tout de même dans un temple. Je n’ai peut-être aucune pudeur, mais je ne suis pas dénué de savoir être.

Arrivant dans la chambre, j’y trouve ma promise, de retour de chez la lavandière. Je lui caresse le dos sobrement en déposant un baiser sur son épaule avant de déposer la serviette et de me pencher sur mes sacoches pour chercher ma chemise propre.
En l’extrayant de ma besace, je lui lance un sourire avant de l’enfiler. Cela masque ce qu’il faut masquer mais ce n’est pas une toge non plus, aussi je fais attention à mes mouvements.

Merci de t’être occupé de mes habits Gudrun.

Je lui souriais et lui saisis doucement la main pour y déposer un baiser.