Cachez ces Saints que je ne saurais voir !

Sujet: Re: Cachez ces Saints que je ne saurais voir ! Mar 14 Sep 2021 - 8:46

« Renard attaquant un lièvre »

Surpris que la prêtresse daigne obtempérer en lui donnant un avis un tant soit peu constructif, Le Goupil se mit à réfléchir. Sourcils froncés, mine affairée, regard baissé et perdu dans le vague, il décortiquait une à une les paroles que lui livrait cette femme, sans l’interrompre. Bien sûr, il restait ce qu’il était, aussi son analyse souffrait au moins de deux motivations : s’il apparaissait sincèrement curieux, il n’excluait aucune occasion de tester les assertions de Gudrun. Mais peut-être n’était-ce que pour mieux comprendre, au final.

— Je ne demande jamais de manière détournée, ma sœur. Ce n’est pas mon genre. Je ne cherche donc pas à manger, affirma-t-il en levant les yeux sur elle, retrouvant son sourire narquois, si tel avait été le cas, je l’aurais fait avant de trop en dire sur ma… façon de penser.

Cela étant, le questionnement de la prêtresse en appelait un autre : le Temple aidait-il quiconque se présentait, misérable, à sa porte ? N’importe qui, quelle que soit sa religion ? Même si, le cas échéant, il prétendait ne plus en avoir ?

— Au sujet de ma foi, inutile d’espérer ou de vous interroger. Aucun dieu ne saurait la raviver, se livra-t-il exceptionnellement, tandis qu’une étincelle malsaine, de colère, de rage, de fureur, illuminait son iris, je vous ai expliqué pourquoi je vous questionnais : les gens comme vous, pleins de certitudes, de ferveur aveugle, de passion, me fascinent.

Avec lenteur, le contrebandier articula ses interminables membres. Il inclina son torse en avant, rabattit ses longues jambes, croisa ses bras sur ses cuisses, sa tête pendant lamentablement dans le vide.

— L’imagination et l’innocence enfantines suffiraient donc, médita-t-il en évoquant enfin le sujet qui lui importait le plus, parce qu’on leur assure que les déités existent, ils y croient, reformula-t-il de manière rhétorique, intéressant.

Les explications de la prêtresse se défendaient : par essence, les enfants ne remettaient pas en cause la parole des adultes. Ceux-là affirmaient, leur progéniture acquiesçait. Il n’y avait que l’apprentissage de la critique, les aléas de la vie, pour contester l’inaltérable.

— Avant, débuta-t-il sans préciser à quelle époque charnière il faisait référence, tant cela relevait de l’évidence, je voyageais beaucoup. J’ai connu des mœurs différentes des nôtres, des cultures variées. En deux mots : une richesse humaine peu accessible au commun, jusqu’au naufrage des Hendois. Il se murmurait, dans certaines de ces contrées, que des peuplades lointaines ne priaient qu’un dieu. Que d’autres encore, en louaient une dizaine, prétendit-il, immobile, selon vous, les enfants croient aveuglément ce qu’on leur dit. C’est donc l’adulte qui, à l’origine, soutient qu’il n’existe qu’une divinité, qu’il en existe trois, quatre, dix, vingt, bref : qui induit ce culte, en déduisit-il en relevant enfin la tête, ce même sourire au coin des lèvres, présage de mauvais augure, nouvelles questions. Qui décide du nombre des dieux ? Pourquoi cette différence entre les populations ? Les uns sont-ils dans le faux et, si oui, lesquels et pourquoi ?

Ces interrogations, Le Goupil n’allait pas les chercher bien loin : jadis, il se les était posées. Confronté à cette diversité, à cette ardeur dans le regard des autres, il avait sondé l’origine de cette multiplicité. Face au vacillement postérieur de ses convictions religieuses, il avait fini par se demander si tous les Hommes n’étaient pas dans le vrai ; s’ils n’étaient pas la cause, plutôt que l’effet, de ces déités qu’ils priaient ; si ces divinités n’existaient pas que parce qu’on croyait fiévreusement en elles.

De là à ce qu’il n'ait plus foi en rien, pour se débarrasser de ce qui était devenu un fardeau, une malédiction, il n’y avait eu qu’un pas. Il l’avait franchi sans hésiter.

— Ah et, tiens… Puisqu’on parle de l’avant. Une question subsidiaire, mais non moins importante, ma sœur, l’avertit-il en ricanant d’avance, lequel de ces dieux est à l’origine de la Fange, selon vous ?

Sujet: Re: Cachez ces Saints que je ne saurais voir ! Mar 14 Sep 2021 - 21:51

L'inconnu s'était calmé, semblant réfléchir. Et pourtant... Il lui affirmait qu'il ne se remettrait pas en question son avis sur les dieux. Heureusement que tous n'étaient pas aussi étroits d'esprit que cet homme !

- Nous ne parlons que depuis quelques instants et vous pensez déjà me connaître ? N'êtes-vous pas vous même plein de certitudes ? La certitude que les dieux n'existent pas pour commencer ?

L'évocation du naufrage la déstabilisa légèrement, mais la suite de son discours semblait montrer qu'il n'avait pas fait le rapprochement avec son nom, et elle reprit son air impassible, presque froid. En revanche, les questions de l'outrancier personnage l'agacèrent de nouveau. Elle pouvait bien jouer la comédie pour sauver sa peau auprès du clergé marbrumien, mais lui demander de le convaincre de l'existence de trois dieux et seulement trois, c'en était trop. Elle mettait dans ses prêches beaucoup de bonne volonté, et elle ne s'en sortait pas trop mal, mais pour le reste ses prêches n'avaient jamais été formidables. Et prêcher des choses dont elle n'était pas convaincue elle-même, c'était au delà de ses capacités.

- Je ne vois plus bien l'intérêt de continuer cette discussion. Vous êtes fermé à mes paroles et vous le resterez. Quel est l'intérêt de se poser des questions sur quelque chose que l'on méprise ? Quant à la Fange, nous ne sommes pas encore sûrs de son origine, il serait bien maladroit de dire quoi que ce soit à ce sujet. Je vous avais accordé du temps pour parler, mais si ce que je dis vous importe peu, je vais vous laisser pour m'occuper d'affaires plus urgentes. Je... Puis-je vous laisser seul dans ce temple sans craindre de détériorations de votre part ?

Elle était tiraillée entre la peur qu'il ne mette à exécution sa menace d'uriner dans les vasques, et la culpabilité de devoir faire appel à la garde de Sombrebois pour le jeter hors du temple.

Sujet: Re: Cachez ces Saints que je ne saurais voir ! Mer 15 Sep 2021 - 14:11

« Renard attaquant un lièvre »

Immobile, attentif, patient. Autant d’adjectifs qui seyaient mal au contrebandier, d’ordinaire. Et pourtant. Il restait là, aussi figé, aussi apaisé, aussi silencieux que les statues des dieux. En un mot : sage.

Évidemment, ça ne pouvait durer.

Lorsque la prêtresse en eut fini avec son interminable sermon, l’immobilisme du marchand en pâtit le premier, interrompu par un froncement de sourcils, d’abord, un mouvement de la tête sur la gauche, ensuite, un réajustement de ses bésicles, enfin. L’attention qu’il lui portait jusque-là périt en deuxième : son sourire étira largement ses lèvres, ses yeux se fermèrent, son corps se redressa. Et finalement, sa patience se brisa pour se muer en un éclat de rire proche de la démence, tandis qu’il se relevait tout à fait.

— Ooooh, ma sœur... soupira-t-il une fois son fou rire surmonté, vous me faites réaliser combien le corps des prêtres est comme tout autre métier : chacun ses spécialités. La transmission du culte ne fait manifestement pas partie de vos prérogatives principales, à défaut de quoi la croyance à Sombrebois aura tôt fait de choir, je le crains, gloussa-t-il en s’approchant, j’ose espérer que vous êtes plus douée pour prodiguer des soins ou assurer des cérémonies, sans quoi les blessés et malades, futurs mariés, adultes en devenir et que sais-je encore, auront du souci à se faire.

Dressé devant elle, droit comme un piquet, il se délectait des quelques centimètres de plus qui lui donnaient l’ascendant. Ceux-là mêmes qui la contraignaient à relever le menton pour soutenir son regard.

— Vaquez donc à vos non-occupations pour m’épargner votre ignorance, votre incompétence, votre paresse ou les trois à la fois, Gudrun, l’encouragea-t-il, acerbe, et soyez sans crainte pour votre précieux Temple. J’ai à faire à Sombrebois, alors, si détériorations il doit y avoir, elles attendront un peu… Le moment où votre méfiance se sera tarie.

Dans un ricanement perfide, Le Goupil se détourna pour remonter l’allée de bancs. Ses grandes enjambées ralentirent néanmoins bien vite, jusqu’à s’interrompre tout à fait, tandis qu’il se trouvait à hauteur de cette vasque, évoquée plus tôt.

— Ma sœur ? l’interpela-t-il de nouveau.

Cependant qu’il tournait le dos à la prêtresse, le contrebandier plongea sa main dans le liquide, en recueillit dans sa paume, puis jeta le tout en direction de la femme, sans se soucier de savoir s’il la toucherait ou non.

— Pisse les dieux vous préserver du mâle qui rôde.

Et il s’éloigna pour de bon, cette fois, en laissant l’écho de son rire résonner dans le sanctuaire.