Marbrume


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 Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred

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Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



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MessageSujet: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyVen 1 Oct 2021 - 9:31
8 mai 1167


S'il y avait bien un endroit dans tout Marbrume que Clémence redoutait, c'était bien celui-ci. Le port, comme à son habitude, grouillait de vie. Une vie bruyante, colorée et particulièrement odorante qui avait le don d'éveiller tous ses sens en même temps au point même de lui donner le tournis. Et ce n'était point la vue de cette immense étendue bleue qui allait l'apaiser, bien au contraire. Le territoire d'Anür, chargé de tous ses mystères, de ces histoires effrayantes dont Clarence raffolait, réveillait, au contraire, toutes les angoisses de la sage-femme. Être si proche de la déesse la mettait fort mal à l'aise, au point même qu'il lui était tout bonnement impossible de regarder la mer sans redouter le courroux de la déité.

Alors, tournant le dos au port, la demoiselle visiblement pressée, se concentra sur les raisons de sa visite. Immobile au milieu de la foule attirée par le marché au poisson, Clémence cherchait désespérément parmi les badauds, la petite silhouette qui l'avait guidée jusqu'ici. Un jeune garçon, probablement âgé de sept ou huit ans et qui ne s'était d'ailleurs pas présenté en venant la chercher chez elle, la privant de la possibilité de l'appeler. Il courait bien trop vite pour lui permettre de le suivre sans heurt, pressé de regagner au plus vite le chevet de sa mère prête à accoucher.

-Par les tous les dieux, comment vais-je le retrouver, bredouilla-t-elle entre ses dents tout en serrant sa besace contre sa poitrine pour ne point blesser les personnes qui ne cessaient de la frôler. Tant pis, je n'ai pas d'autres choix..

Consciente que le garnement devait être loin, la sage-femme décida d'avancer tout de même tout en prêtant l'oreille. Peut-être allait-il finir par s'apercevoir que l'accoucheuse ne le suivait plus. Peut-être allait-il crier son nom… Ainsi, sans la moindre certitude,Clémence reprit sa route en se montrant très prudente. L'endroit n'était pas sûr pour une femme seule, même si sa tenue ne détonnait en rien avec ce décor fort modeste. Quelques pas de plus, un cri attira son attention, celui d'une poissonnière au fort accent des gens de la mer appelant le client en vantant la fraîcheur de sa marchandise… L'instant d'après, une autre l'imita, poussant un peu plus sur sa voix pour se faire entendre… Et encore une autre… Ajoutez à cela les rires gras des marins, certains déjà ivre malgré l'heure matinale. On la bouscula, une fois, puis deux. La troisième fois, sa besace tomba au sol si bien que Clémence manqua presque de se faire piétiner en voulant le ramasser.

-Vous p'vez Pô fair' attention! gronda une passante qui venait de trébucher sur la sage-femme.
-Je vous demande pardon… En fait je cherche…
-J'en ai rien à faire ! Z'êtes sur ma route! Non mais dit'don'... grogna la femme avant de reprendre sa route, laissant en plan l'accoucheuse qui ne savait plus où se mettre.
-Euh… D'accord, désolée,s'excusa la sage-femme en se poussant sur le côté.

Au comble du désespoir, Clémence ne savait décidément plus où aller ni quoi faire. Elle aurait voulu faire demi-tour, mais l'idée même d'abandonner cette pauvre femme à son sort lui était tout bonnement insupportable. Pourtant, que pouvait-elle faire d'autre ? Interroger ces gens tous pressés ou simplement occupés ? Lassée par toute cette agitation, l'accoucheuse décida de s'éloigner du marché en longeant les bâtiments en bois noircis par l'humidité. De là, elle pouvait toujours guetter l'arrivée du gamin sans gêner les allées et venues des passants. Mais combien de temps allait-elle attendre ici alors que le temps lui-même était compté ?
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Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyVen 1 Oct 2021 - 15:02
Attablé au milieu de l’unique pièce de sa masure, Morgred se frotta le visage d’une main en réprimant un bâillement. Il était épuisé. La mort de Margot avait inévitablement changé le quotidien de sa famille, le contraignant à assumer un rôle auquel il n’était pas habitué et qu’il découvrait encore ; la pêche l’occupait beaucoup – il venait de passer l’équivalent d’une journée et demie en mer – et l’absence de sa femme à ses côtés, dans sa couche, entretenait des nuits épouvantables. En tout et pour tout, le marin avait dû fermer l’œil quelques deux heures ces deux derniers jours. Un sommeil bref et agité.

Et malgré tout, il tenait. Il tenait, dans la mesure où la mort de Margot l’avait révélé en tant que père, l’avait rendu simplement accessible à ses enfants.
Dès le lendemain de son veuvage, peut-être même dans l’imminence de celui-ci – il n’était sûr de rien, car les souvenirs de cette terrible nuit restaient assez flous –, le pêcheur avait enfin livré et manifesté son affection par des gestes tendres dont il avait jusque-là délégué l’exécution. Morgred avait ainsi retrouvé le plaisir de presser ses filles contre lui, le bonheur de caresser leurs cheveux, de les coiffer, d’embrasser leur peau de pêche et de recevoir autant d’amour en retour.

Alors, inévitablement, il tenait. La seule perspective du rituel matinal l’y aidait. Et il n’y coupa pas.

Béatrice fut la première à sortir de la chambre partagée avec ses sœurs, improvisée dans un coin de la pièce principale – plus proche d’un grand débarras équipé d’un lit superposé que d’une chambre en tant que telle, d’ailleurs. En dépit de petits yeux encore ensuqués, elle trouva sans mal le chemin jusqu’à son père pour se hisser sur ses genoux et s’éveiller doucement, dans ses bras, au contact de la chaleur de son corps et au rythme des caresses qu’il lui prodiguait dans le dos.
Jamais ses trois filles ne se réveillaient simultanément, aussi Morgred parvenait-il toujours à avoir assez d’espace pour les accueillir. Ce matin ne dérogea pas à la règle non plus : Béatrice céda sa place à Eulalie, et Philippa se propulsa – littéralement – sur lui, à peine la cadette installée.

Timidement, progressivement, un nouveau quotidien s'implantait, même si certaines évidences persistaient. Celles-là ne disparaîtraient certainement jamais – ainsi, personne ne s'installait à l’emplacement jadis occupé par Margot.

— Mangez, après, je vous conduis chez la voisine, les encouragea-t-il en leur désignant quelques tranches de pain et une carafe de lait.
— Encore ?
— Moins longtemps que ces derniers jours. Je vais juste prendre un peu l’air, ce matin, pour être en pleine forme, cet après-midi.
— Tu resteras avec nous ?
— J’ai beaucoup pêché, on manque pas de réserve, alors… J’entends profiter un peu de mes filles.

L’annonce parut toutes les enchanter, mais seule Philippa laissa réellement éclater sa joie dans un grand cri. Les perspectives de cette promesse suffirent apparemment à motiver la troupe : les enfants ne tardèrent pas à manger, à se toiletter et à se vêtir, puis ne protestèrent pas lorsque leur père les conduisit chez l’une des voisines. Alors, seulement, il put prendre la direction du port.

Désireux de s’occuper l’esprit et de se maintenir en activité, Morgred avait plusieurs idées, parmi lesquelles venaient la réparation de l’un de ses filets, l’entretien de sa barque, et un très probable égarement du côté des commerces pour essayer d’y dénicher de quoi régaler ses filles.

Ces projets pleins la tête, l’homme s’enfonça dans les venelles poisseuses d’un quartier qu’il connaissait par cœur, pour y serpenter en évitant soigneusement le chemin des obstacles et commères qu’il inspirait toujours – sans trop se l’expliquer.
Au gré de ses virons, il déboucha à l’angle d’une ruelle au même instant qu’une autre personne qu’il bouscula, mais dont il attrapa aussitôt le bras, par réflexe. Son corps n’ayant pas souffert du choc, Morgred s’était imaginé une femme, peut-être un enfant. Rien n’aurait cependant pu le préparer à trouver cette femme-là, ici, précisément.

— Clémence ? s’étonna-t-il, vous… êtes perdue ?

Lorsqu’il fut certain qu’elle ne risquerait plus de tomber après l’avoir heurté, le marin relâcha enfin l'accoucheuse. Ses sourcils ne tardèrent pas à se froncer de nouveau, sous le coup de la réflexion. Entendait-elle leur rendre visite, à ses filles et lui ? Mais à cette heure-ci, alors que le marché attirait grand monde, à commencer par la canaille, ces ruelles étaient loin d’être sûres pour une femme seule. Et à en croire l’état de sa robe et de sa besace, Clémence avait déjà expérimenté la rudesse de son environnement.

— Je peux peut-être vous aider ? Ou au moins vous accompagner ? Sans vouloir m’imposer, ce… c’est pas prudent de se… « promener », par ici.

Lui-même ne s’y risquait d’ailleurs jamais sans son coutelas, précieusement retenu dans son dos, par sa ceinture.
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Clémence SarravilliersGuérisseuse
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyVen 1 Oct 2021 - 18:16
Le port n'avait jamais été un sur, plus particulièrement pour les femmes seules… Clémence le savait par réputation mais n'avait jamais eu de soucis particulier auparavant. Sa sœur non plus d'ailleurs, qui aimait visiblement se promener dans le coin, allant jusqu'aux bateaux pour discuter avec quelques marins. Au fil de ses petites escapades, la jeune fille ramenait toujours quelques poissons, souvent les plus belles prises de ces messieurs qui se laissaient aisément attendrir par son joli minois et ses belles manières. Mais si Clarence adorait l'effervescence qui semblait régner en ces lieux, ce n'était nullement le cas de son aînée qui aurait préféré se trouver n'importe où ailleurs.

Elle pensa bien rapidement à son ami le marin qui devait vivre non loin de l'endroit où elle se trouvait. Néanmoins, impossible pour la sage-femme de se repérer dans ces venelles bondées qui, en voulant chercher de l'aide, risquait de se perdre d'avantage. Effrayée et perdue, la pauvre fille chercha tant bien que mal un endroit où elle pourrait être vue par l'enfant qu'elle suivait sans gêner les marchands. Elle tourna ainsi plusieurs fois, essayant de longer le marché pour ressortir un peu plus loin… C'est là que Clémence heurta un passant en murmurant un "pardon" qui ne semblait pas avoir été entendu. L'individu la saisit par le bras, le cœur de l'accoucheuse manqua aussitôt un battement, craignant sans nul doute d'avoir bousculé la mauvaise personne. Décidément, il serait grand temps pour elle de faire plus attention. Mais alors que Clémence relevait doucement la tête pour présenter ses excuses à la personne qu'elle venait de bousculer, ses yeux croisèrent un regard devenu étrangement familier.

-Morgred ?

Perdue, la sage-femme l'était, assurément. Elle ne connaissait guère le quartier et ne savait pas où elle devait se rendre. Néanmoins, à présent aux côtés d'un ami, la demoiselle commença à se sentir moins nerveuse, presque rassurée… Jusqu'à ce que son esprit ne lui rappelle les raisons de sa présences en ces lieux. Alors, en guise de réponse, la jeune femme agita la tête.

-Un garçonnet m'a fait mandé pour sa mère. Il m'a guidé jusqu'ici, mais je l'ai perdu de vue…

Tremblante et désœuvrée, l'accoucheuse portait un regard plaintif, presque misérable en direction de la ruelle. Où pouvait bien être cet enfant ? Pourquoi n'avait-il point fait demi-tour pour la retrouver ? Comment se portait sa mère.

-Je… Je ne sais pas où aller. Je ne connais pas cette femme, ce quartier… Il… Le garçon, il ne m'a rien dit, pas même son prénom ni celui de sa mère. Comment suis-je supposée les retrouver ?

Mais Morgred avait raison, les lieux n'étaient point sûrs pour une femme seule. Elle ne pouvait donc continuer à errer de la sorte ainsi, dans un endroit inconnu.

- Mais… Vous avez l'air épuisé, Morgred… Vous semblez même abattu. Je ne voudrai pas vous retenir, vous vous rendiez quelque part ?
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyVen 1 Oct 2021 - 20:27
Réceptif à l’inquiétude de Clémence, Morgred l’écouta calmement, fronçant ponctuellement les sourcils, les bras croisés sur son torse. Assurément, jamais il n’avait vu la sage-femme dans un tel état de panique. Quant à savoir si elle était nourrie par le quartier, les circonstances, la position délicate de sa patiente, rien de tel ou les trois à la fois, le marin l’ignorait.

Il n’avait croisé aucun garçon sur le chemin – quoiqu’à emprunter des voies détournées, cela n’avait rien de surprenant –, mais ne se sentait pas désabusé pour autant. D’un mouvement de tête, en signe de dénégation, il balaya la dernière question de l’accoucheuse.

— Les épouses des marins… du moins, celles qui travaillent pas et sont mères, se rendent des services mutuels. Elles se connaissent toutes, affirma-t-il en sondant sa mémoire, Margot me parlait de l’une d’elles, je crois, parce que le terme approchait.

À retardement, Morgred réalisait ne pas avoir prêté suffisamment d’attention à ces banalités. À l’époque, elles ne l’intéressaient pas. Aujourd’hui, il pourrait entendre les plus accablantes idioties, pour peu qu’elles soient prononcées par sa femme.
Ces constats qui le rattrapaient ponctuellement, depuis son veuvage, nourrissaient les regrets du prêcheur.

— Venez, je vais vous conduire jusqu’à sa maison. Ça sert à rien de rester ici, de toute façon. Même s’il se rend compte qu’il vous a perdue, le gamin passera pas forcément là.

À ces mots, l’homme se détourna pour ouvrir la marche et guider Clémence à travers les rues étroites et peu accueillantes. S’il était plus assuré que la sage-femme, car plus habitué, Morgred n’en comptait pas moins sur la chance pour retrouver cette mère. Ses espoirs reposaient plus particulièrement sur la douleur de la malheureuse, pour se souvenir encore dix ans après des râles et horribles injures poussées par sa propre femme, lors de la naissance de leur aînée.

— Ah ! Ce serait-y pas, Morgred ?
— Oui-da ! Le rev’là, on dirait. Il aurait-y oublié quequ’chose ?
— P’t-êt’ décidé à nous causer, c’te fois ?
— Oh bah tiens ! Qui c’est donc, la p’tite dame ?
— Ah tiens, oui. Margot la connaissait, tu crois ?

Le marin ne fournit aucun effort pour contenir un grognement. Les commères n’avaient pas bougé d’un pouce, et la détresse de Clémence les avait précipités tout droit entre leurs griffes.
Renfrogné, il pressa le pas à hauteur des deux femmes, alimentant d’autres remarques déplaisantes qui attisèrent une méchante humeur. Pas assez fort, toutefois, pour ne pas lui souffler une idée. Prenant sur lui, le pêcheur s’arrêta, pivota sur ses talons et lança un regard aux jacasses.

— Dites. Vous auriez pas entendu parler d’un accouchement ?
— Oh mais r’garde don’ Rothilde, c’est qu’il a une langue, le malotru.
— Ah ça, quand il leur faut quequ’chose, c’est ben tous les mêmes ! Ça vous r’garde pas, ça vous cause pas. Pis suffit d’un service à d’mander, et hop !
— S’il vous plaît, marmotta le pêcheur, crispé jusqu’au bout des doigts.
— P’t-êt’ ben qu’oui.
— P’t-êt’ ben qu’non.

C’en fut trop, dans un râle, le marin fit volte-face. Hasard ou non, cela suffit à forcer un aveu.

— Oh bah si on peut plus plaisanter ! Qu’il est pas patient, c’t bourru-là. J’crois ben qu’c’est pire depuis qu’il est veuf.
— Qu’l’âme de c’te pauv’ Margot r’pose en paix.
— C’est la Viviane. D’ailleurs, on a vu passer son p’tit Marlot… allons, combien donc de fois, Rothilde ?
— Oh ! Ben trois fois au moins, pour sûr !
— Il en avait après une sage-fem… ooooh, mais ce s’rait pas vous, ma p’tite dame ?
— Ooooh, mais t’as don’ raison ! Eh bah ‘faut vous presser, ma mignonne, le p’tit avait l’air paniqué tout à l’heure.
— Aux abois !

Sans attendre qu’elles en aient fini – car ces commères n’en finissaient jamais –, Morgred se saisit du poignet de Clémence pour l’entraîner à sa suite. Il la savait bien trop polie pour se soustraire à leur emprise sans user de formules de politesse qui les retarderaient encore, aussi décida-t-il d’endosser la charge de ce départ précipité, bien conscient qu’un tel comportement n’offusquerait personne de la part d’un bourru comme lui.

— C’était pas celle à laquelle je pensais. Comme quoi, même elles, ont une utilité. Mais je sais où habite Viviane, lui assura-t-il en la faisant bifurquer dans une petite rue.

Pourquoi fallait-il que la malheureuse vive dans les tréfonds des quartiers portuaires ? Pis, comment pourrait-elle accoucher dans ces conditions ?

— Là-bas, hésita-t-il, ce sera pas joli à voir, alors… il vous faudra du matériel ? Si j’peux vous aider un peu, ce sera pas de trop. Croyez-moi.
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Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptySam 2 Oct 2021 - 7:19
Morgred n'avait pas tort, rester planter là ne servait strictement à rien, même si cela lui semblait être la meilleure option. Le gamin pouvait être n'importe où et il était fort possible que ce dernier ne la cherche pas. Pourtant, sa patiente avait besoin d'aide et ce, rapidement. Alors, après avoir simplement acquiescé avec un hochement de tête entendu, Clémence suivit le marin à travers les venelles étriquées du quartier portuaire. Pourtant, la sage-femme expérimentée qu'elle était, savait pertinemment que sa patiente ne pouvait être celle que Morgred venait de lui décrire. Les femmes que Clémence assistaient n'étaient que très rarement des épouses. La plupart d'entre elles étaient même ce que les clercs appelaient des "pécheresses". Prostituées, veuves en manque d'amour ou de tendresse, jeunes filles célibataires, ou victimes de viols, peu d'entre elles pouvaient se targuer de bénéficier de la protection d'un époux. Les seules femmes mariées, parmi ses patientes, étaient d'ailleurs des connaissances de longues dates qui préféraient avoir une personne de confiance auprès d'elles plutôt qu'une inconnue du Temple. Hors, cette femme là étant une inconnue, celle-ci ne pouvait donc pas faire partie de cette poignée d'élue.

Malgré tout, la jeune femme ne dit rien de tout cela à son guide, consciente que celui-ci pourrait tout de même l'aider, ne serait-ce que par sa présence rassurante. Grâce à lui, Clémence put retrouver un peu de son courage égaré dans les allées du marché aux poissons. Sa compagnie rendait ces ruelles beaucoup moins oppressantes, même si celles-ci restaient tout de même trop étroites et beaucoup trop fréquentées pour l'accoucheuse qui peinait encore à s'y repérer.

Il ne fallut guère plus de quelques secondes avant que le duo ne soit remarqué par deux commères en manque de ragots. À l'entente du prénom de l'épouse du marin, Clémence ne put s'empêcher de culpabiliser, même s'il ne semblait pas y avoir de raison valable à cela. Son ressenti l'étonna tant et si bien que l'accoucheuse ne prêta guère attention à la conversation … Tout du moins jusqu'à ce qu'un prénom ne se détache de celle-ci.

-Merci, mesdames, s'écria-t-elle tandis que le marin se saisit de son poignet avant de l'entraîner dans sa course.

Plus ils avançaient, plus le quartier prenait des allures menaçant. A vrai dire, Clémence n'en fut nullement étonnée. Elle avait l'habitude d'évoluer dans ce genre d'endroit où la misère et le danger semblent régner en maîtres.

-Merci, lui répondit-elle simplement sans oser lui exposer les réalités de son métier.

Elle le laissa donc la guider à travers le sombre quartier qui devait à présent longer la partie est du Goulot. Les regards que les deux croisaient ici n'avaient plus rien d'amical, pas même curieux. Des hommes vêtus de haillons crasseux et agglutinés dans une impasse les dévisageaient purement et simplement avec méfiance tandis qu'ils traversaient la ruelle adjacente. Ici, même la présence du marin ne suffisait pas à rassurer la sage-femme qui devinait aisément la situation personnelle de sa patiente.

La fameuse Viviane faisait donc partie de ses veuves contraintes de se prostituer pour subvenir aux besoins de leur famille. Clémence avait déjà vu cela des centaines de fois. Ces pauvres femmes ne pouvaient prendre de travail en laissant leurs enfants seuls. Certaines familles s'entraidaient, évidemment, mais pas toutes et jamais dans un quartier tel que celui-ci où la règle prédominante était celle du "chacun pour soi". La prostitution libérable payait peu, mais vite. Ces femmes recevaient généralement quatre ou cinq clients par semaine, souvent les mêmes : des hommes trop pauvres pour s'offrir les services des filles des bordels. En agissant ainsi, ces veuves désespérées s'assuraient d'obtenir l'intégralité de la somme payée par leur client, mais se retrouvaient également confrontées à l'insécurité, à la maladie et autres soucis écartés par les gardiens des maisons closes. Une situation hautement périlleuse et ô combien triste…

Quelques minutes plus tard, le duo fut accueilli par les cris de joie du fameux gamin qui les pressa de se dépêcher. Il les guida jusqu'à une vieille maison dépourvue de fenêtres et dont la porte fracassée ne devait certainement pas les préserver du froid et encore moins du danger. Depuis la rue, les hurlements de douleur de Viviane avaient attiré la curiosité des badauds qui se pressaient devant l'embrasure de la porte.

-S'il vous plaît, je suis la sage-femme, laissez-moi passer ! leur demanda-t-elle gentiment.

Dès qu'ils entendirent ces mots, deux hommes se détachèrent de l'attroupement pour venir se placer devant le duo, bras croisés.

-V'la qu'c'est ben intéressant. Une sag'femme. Et combien qu'tu payerais pour passer hein?

-Je vous demande pardon ? S'étomaqua l'accoucheuse qui se demandait sincèrement si cet homme plaisantait.

-Ben oui ma p'tite dame. C'est qu't'es ici chez nous et qu'ici, on paye pour passer. Donc, comb'en tu donnes pour voir la Viviane ?

Cette fois, Clémence ne put contenir sa colère face à ces deux voyous. Comment osaient-ils exiger pareille chose alors aucune pauvre souffrait le martyre juste à côté ?

-Je suis ici pour aider cette femme à mettre son enfant au monde en toute sécurité. Et vous… Par les Trois, vous osez m'empêcher de passer par pure pingrerie ? Que diriez-vous à ces enfants lorsque leur mère sera morte parce que vous m'aurez fait perdre mon temps ? Un temps qui, croyez-moi, est particulièrement précieux pour cette femme et son bébé. Poussez-vous, bande de malotru ! Laissez-moi faire mon travail et allez donc faire votre petit numéro ailleurs !

La colère déformait les traits de l'accoucheuse qui ne comptait pas le moins du monde se laisser faire de la sorte. Mais, alors qu'elle pensait devoir faire face à de nouvelles menaces ou encore des coups, les deux hommes la surprirent en éclatant de rire.

-On plaisantait p'tite dame. Allez don' fair' vot' boulot. On rest' dans l'coin au cas où vous aurez besoin d'aid'.

-Ce dont j'ai besoin c'est de calme, de tranquillité et surtout d'air. Donc, s'il vous plaît, éloignez-vous de cette maison.

Les deux hommes s'écartèrent aussitôt, ordonnant aux curieux de se disperser.

-Merci, Morgred, merci infiniment, lui dit-elle en s'inclinant avant de disparaître à l'intérieur.

Néanmoins, même s'ils s'étaient déplacés , les deux "plaisantins" ne semblaient pas vouloir s'éloigner. Au contraire, les deux se placèrent aussitôt de chaque côté de la ruelle donnant accès à ce lieu… Mais pour quelle raison ? Empêcher quiconque de déranger la sage-femme et sa patiente ou pour, au contraire, empêcher cette dernière de repartir ?

-C'est bon, Mor... Momo. Tu peux partir, on s'occup' de la p'tite dame, lui lança le plus grand tout en lui offrant un sourire carnassier.
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptySam 2 Oct 2021 - 17:09
La curiosité humaine le répugnait. Pas celle qui nourrissait l’intelligence, mais celle qui abreuvait envie, jalousie et rumeurs. Cet intérêt malsain porté au malheur des autres pour mieux entretenir les ricanements et moqueries. Autant d’artifices pour oublier une vie proprement misérable. Pour se convaincre, en se mentant à soi-même, d’un bonheur illusoire qui naîtrait de la malchance plus appuyée d’un autre.

Alors, naturellement, cet attroupement de badauds devant la masure l’écœura. Ce n’était pourtant qu’un début.

Lorsque deux hommes se détachèrent du lot, les sourcils de Morgred se froncèrent davantage. Quelque chose, dans leur allure, excitait sa méfiance. Il pressentit aussitôt des problèmes que les deux individus ne tardèrent pas à esquisser.

En d’autres circonstances, le pêcheur aurait sans doute été surpris par la colère de la sage-femme ; elle qu’il trouvait toujours si calme et douce, où qu’ils se rencontrent et quoi qu’ils se disent. Cette colère crachée, cette leçon donnée au beau milieu de la rue, dans l’urgence et le vain espoir d’apitoyer deux malfrats qui n’en avaient probablement cure, auraient même pu forcer l’admiration du marin.
Il était toutefois trop sur la défensive pour s’étonner de pareil comportement. Pis, les mots de l’accoucheuse lui avaient laissé présager le pire, l’incitant à décroiser les bras pour se tenir prêt à saisir son coutelas ou repousser une charge inopportune.

Rien de tel ne survint, mais les rires sonnèrent si faux qu’ils n’apaisèrent aucunement son mauvais pressentiment.

D’un œil torve, Morgred observa les badauds se disperser, les deux hommes s’éloigner. Il acquiesça aux remerciements de Clémence, puis pivota sur ses talons pour mieux surveiller les guetteurs. Positionnés de chaque côté de la ruelle étroite, ils semblaient prêts à attendre autant de temps que nécessaire pour réparer ce qu’ils s’imaginaient sans doute être un affront.

Du surnom ridicule que l’un d’eux osa lui attribuer ou de la menace à peine voilée, formulée à l’encontre de l'accoucheuse, le marin n’aurait su dire ce qui le mit le plus hors de lui ; ce qui réveilla, pour la première fois, cette colère restée endormie depuis la mort de Margot.
Manifestement hostile, l’environnement malmenait sa patience, tant ses sens étaient en alerte. Les longues heures sans prendre la peine de se reposer pleinement n’aidaient pas davantage à détendre des nerfs qu’il sentait à fleur de peau.

De sa mine patibulaire, il toisa un instant son interlocuteur, s’avança vers lui, puis l’empoigna par le col.

— Morgred. Mon nom, c’est Morgred. C’est pourtant simple, non ? grogna-t-il, plus sombre, plus grave que d’ordinaire, je m’occupe déjà de la « p’tite dame », alors dégagez !

Sans ménagement, le pêcheur repoussa l’homme qu’il maintenait. Déséquilibré, celui-ci glissa sur le sol boueux avant de s’y étaler tout à fait. L’espace de quelques secondes, il parut patauger dans la fange, puis leva les yeux vers le fautif, prêt à l’invectiver. En croisant ses yeux, il se ravisa cependant.

Même en dehors de toute colère, Morgred possédait une aura singulière, à mi-chemin entre hostilité et intimidation, alimentée par sa taille, sa stature, sa voix, son regard, sa figure, cette froideur et cette méchanceté qui irradiaient de chacun de ses traits, illustrant un homme qui ne semblait jamais sourire, rire, oublier. Les profondes entailles laissées par le deuil et la fatigue ne le rendaient pas plus agréable, loin s’en faut.
Du reste, il fallait bien admettre que dans ce coin du port où veuves, vieillards, gamins et catins s’entassaient, rares étaient ceux encore en mesure d’opposer la moindre résistance à la petite frappe locale. Alors, forcément, pour deux couards, le pêcheur pouvait paraître dangereux.

— Dégagez, grogna-t-il.
— Tu paies rien pour attendre, Mo… Mor… Mordred, marmonna l’homme de boue, tout occupé à se relever.
— Morgred ! tonna le nocher, le visage déformé par la colère.

Il hurla si vivement, s’emporta si soudainement, pour une telle bagatelle, que les deux individus face à lui s’échangèrent une œillade avant de s’éloigner prestement.

Dans un soupir, Morgred n’en tira qu’une demi-victoire.
Ne plus les savoir dans les parages apparaissait rassurant, mais ces hommes tenaient de ces nuisibles tant redoutés : on n’appréciait pas vraiment de les voir, mais le pire était encore lorsqu’on ne les voyait plus.
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Clémence SarravilliersGuérisseuse
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptySam 2 Oct 2021 - 19:45
Les voix provenant de l'extérieur, même si parfaitement entendues de même que le tumulte qui s'en suivit, ne perturbait en rien la sage-femme qui venait de découvrir l'état de sa patiente. Viviane se tenait à quatre pattes, sa tête reposant misérablement sur une paillasse à l'hygiène douteuse. Deux enfants se trouvaient dans la pièce, observant la souffrance de leur mère avec une telle impuissance dans le regard que le cœur de Clémence se serra aussitôt. Ils n'auraient pas dû se trouver là. Aucun enfant ne devrait assister à pareille scène, pas quand une naissance se déroulait aussi mal. Mais la sage-femme n'avait pas le coeur à les chasser de leur propre maison. Après tout, tout ce qu'ils voulaient c'était d'aider leur mère… Alors, pour les occuper, Clémence leur demanda des linges propres ainsi que de l'eau chaude, simplement pour les distraire tout en leur donnant l'impression de pouvoir agir utilement.

Ceci fait, l'accoucheuse alla se présenter à la jeune femme qui ne cessait de hurler… Après deux accouchement, une telle difficulté à enfanter n'avait rien de rassurant et l'examen qu'elle pratiqua par la suite ne fit que confirmer ses inquiétudes.

La grossesse n'en était pas à son terme… Ni l'enfant, ni le corps de la mère n'étaient prêts pour la délivrance… Viviane perdait beaucoup de sang, beaucoup trop pour espérer survivre à un tel enfantement. Le placenta semblait énorme, suffisamment pour déchirer les chairs de la femme qui tentait veinement de l'expulser. Pour l'aider, Clémence devait l'allonger sur la couche et aller elle-même récupérer le grand prématuré et son enveloppe. Sans doute devrait-elle taillader cette pauvre fille dont le corps n'était point assez souple pour une telle chose.

-Morgred ! Appela-t-elle sans avoir besoin de hurler. Aidez-moi à la mettre sur le lit, je vous prie.

Grâce à l'appui du marin, Viviane fut rapidement dans la bonne position pour que Clémence puisse intervenir … Néanmoins, restait le problème des enfants. Ne voulant pas les inquiéter, la sage-femme invita l'homme à la suivre à l'exterieur afin de lui expliquer la situation.

-Ce que je vais devoir faire… Les petits ne doivent pas le voir. Cela les traumatiserait à coup sûr. Pourriez-vous, s'il vous plaît, les conduire chez une voisine ou à défaut, les éloigner d'ici ?

Sans lui laisser le temps de répondre, la sage-femme retourna à l'intérieur. Elle fouilla dans sa besace pour y trouver les instruments dont elle aurait besoin. Les enfants sortis, l'accoucheuse put s'occuper de sa patiente. La douleur imposée par les instruments et les mains ensanglantés de la praticienne ne tarda pas à emporter la mère dans un profond sommeil. Au bout d'un temps interminable, c'est un bébé difforme et ensanglanté que Clémence plaça dans les linges. La pauvre créature n'avait point eut le temps de se développer correctement, à cause -et elle l'apprit plus tard- d'un avortement raté effectué par une voisine.

Le soleil entamait sa descente lorsque la sage-femme quitta finalement la maison. Sa patiente dormait, bien vivante mais très faible. Il lui faudrait du temps pour se remettre d'une telle épreuve… Beaucoup de temps et surtout des soins quotidiens.

-Si elle survit à cela, plus jamais elle ne pourra enfanter. Sans doute est-ce une bénédiction pour une femme dans sa situation, soupira-t-elle lorsqu'elle arriva à la hauteur du marin. L'enfant est mort… Depuis longtemps sans doute. Je ne peux même pas lui montrer, vu son état… Il faudrait l'incinérer rapidement. Cette pauvre femme…

Clémence ne pouvait pas pleurer, elle n'en avait pas le droit. Pourtant, chaque enfantement raté, chaque avortement, lui arrachait de nombreux regrets. Chassant ses larmes, elle sourit au marin sans pour autant trouver le courage de parler davantage.
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyLun 4 Oct 2021 - 21:00
Immobile à l’entrée de la maison, les bras croisés et le regard vif, le marin quitta son poste dès que Clémence l’appela.

Son chez lui n’était pas luxueux. Une vaste pièce, grossièrement aménagée en trois parties délimitées par des toiles tendues, censées séparer la chambre parentale, celle des enfants et la « pièce à vivre ». Rien de prestigieux, et pourtant, en pénétrant dans cette maison-ci, perdue au plus loin des quartiers portuaires, Morgred eut le sentiment d’être chanceux.

Les directives de la sage-femme l’arrachèrent bien vite à ces considérations. Sans peine, il souleva Viviane pour l’allonger sur son lit – ou ce qui faisait office de lit, à tout le moins –, puis suivit Clémence, tantôt à l’extérieur, tantôt à l’intérieur, au gré des recommandations.
Sans trop savoir à quoi se livrerait l’accoucheuse, la vue des instruments qu’elle sortit de sa besace le convainquit de la pertinence de ses conseils : les petits ne devaient pas assister à cela.

— Eh, les gosses. Venez, les invita-t-il en leur désignant l’extérieur d’un signe de tête.

Un échange de regard inquiet, un coup d’œil lancé à leur mère, à Clémence.

— Venez, réitéra-t-il plus doucement, en s’approchant pour les presser au-dehors, cette fois, vous avez fait tout ce que vous pouviez, faut les laisser travailler toutes les deux, à leur manière, maintenant. Y a pas quelqu’un chez qui vous passez du temps, quand votre mère peut pas vous surveiller ?

Sans aucun doute, les deux enfançons étaient soucieux. Par l’état de leur mère, par l’éloignement de leur maison, par l’incertitude, par cet homme qu’ils ne connaissaient guère et qui n’apparaissait pas nécessairement sympathique. En soi, Morgred n’était sans doute pas plus effrayant que quelques autres. Le fait est, néanmoins, qu’il n’avait pas un soupçon d’hypocrisie et ne possédait plus aucune joie de vivre en lui depuis une bonne dizaine d’années. Son deuil n’arrangeait rien, ce qui le rendait encore moins avenant. Probablement effrayant, pour des gamins.

— Écoutez, reprit-il en s’accroupissant pour être à leur hauteur, je sais que vous aimeriez rester, mais vous pouvez pas. Ma plus grande fille aussi, a voulu voir la naissance de ses sœurs. Mais à elle non plus, on lui a pas permis, expliqua-t-il posément, votre mère serait inquiète de vous savoir à côté, elle serait pas concentrée. Or, Clémence a besoin de toute son attention. Elle s’occupera bien de votre mère, elle est habituée. Tout ce que vous pouvez faire, vous, c’est attendre. Priez les Trois pour qu’ils aident votre famille, d’accord ?

Que ce soit dû à la mention de ses filles, à sa façon de procéder ou aux mots choisis, les petits parurent finalement convaincus de ce que leur place se trouvait ailleurs. Dans un regain d’enthousiasme, le plus âgé déclara qu’ils seraient chez « Tatie » en attendant qu’on vienne les chercher. De ce que le pêcheur comprit, « Tatie » était le surnom donné à l’une de leur voisine. Il n’en eut toutefois la confirmation qu’en suivant des yeux la trajectoire des gamins, depuis le bout de la rue.

À partir de là, il n’eut plus qu’à attendre, lui aussi. Attendre pendant plusieurs heures, posté devant cette maison, sans plus entendre de cris et sans trop savoir si cela était bon ou mauvais signe. Attendre et songer à ses filles, qui ne tarderaient pas à s’impatienter de ne pas le voir revenir. Assurément, si l’intervention s’éternisait, il devrait trouver de quoi se faire pardonner.

Lorsque la porte s’ouvrit enfin dans son dos, il pivota à peine sur lui-même. Clémence lui parut immédiatement épuisée, potentiellement accablée, tant et si bien que son sourire ne le convainquit guère. Ce faisant, peut-être cherchait-elle à se rassurer ou à se donner du baume au cœur. Il ne voyait que cette explication, car elle devait bien savoir, désormais, qu’il n’était nul besoin de faire semblant, avec lui.

— Vous avez fait de votre mieux. Sans vous, elle avait aucun espoir de survie, assura-t-il en lançant un regard à la maison silencieuse, Clémence, vous… Je vous l’ai déjà dit : vous rendez service à ces femmes. Vous les aidez. C’est… pas simple de voir ça, admit-il en détournant les yeux sur la ruelle, les habitations, la crasse, si tout le monde était comme moi, à considérer que tout ceci est inévitable, à vivre, évoluer dedans sans plus le remarquer, ou à peine, ce monde serait triste. Encore plus triste. Faut des gens comme vous pour s’offusquer de ces faits, mais… vous rendez pas malade pour autant. Que ça vous touche, que ça vous affecte, c’est tout à votre honneur. Mais… vous êtes pas responsable de cette misère. Vous pouvez rien y faire. Juste… essayer d’amoindrir les conséquences du mal, déjà ancré.

Morgred se voulait encourageant et rassurant, il avait cependant conscience d’être tout autant réaliste et peut-être trop cru. Il n’en était pas moins sincère.

— J’vais chercher les petits, ils sont pas loin. Je vous raccompagne, ensuite.

Le marin se détourna pour quitter la ruelle – non sans vérifier que les deux hommes présents à leur arrivée n’étaient pas dans le coin –, puis se rendit dans l’une des maisons voisines. Pressés par l’impatience, sans doute, les deux enfants ouvrirent eux-mêmes la porte, puis tentèrent de se faufiler entre les jambes du nocher. Il les en empêcha en les retenant par la tunique.

— Ohé, du calme. Attendez, les enjoignit-il en s’accroupissant de nouveau, votre mère est très fatiguée, alors vous devrez être sages, c’est compris ? Pas de cris, de chamailleries. Soyez dociles et serviables, pour qu’elle se remette vite, d’accord ?

Les marmots acquiescèrent précipitamment et essayèrent encore de lui échapper, en vain.

— Le… Le bébé… Anür l’a rappelé à elle. Il était trop petit pour survivre, vous comprenez ? murmura le pêcheur en les regardant à tour de rôle, mais soyez pas tristes. Il a rejoint Anür et est heureux à ses côtés. Elle le protège, désormais, et un jour, dans très longtemps, vous le retrouverez dans son domaine, vous aussi. Mais d’ici là, prenez soin de votre maman.

Cette fois, il relâcha les enfants et les laissa déguerpir. Dans un soupir, Morgred se releva et se massa la nuque. Il n’aurait su dire si les gamins avaient tout saisi, s’il s’y était bien pris, mais sans doute n’aurait-il pas fait mieux avec ses propres filles. Anür avait été au cœur de leurs conversations, au lendemain de la mort de Margot.
D’un pas plus lent, comme pour permettre à Clémence de réunir ses affaires ou ses esprits, le marin regagna la ruelle quittée plus tôt.

— C’est quand vous voulez, assura-t-il à la sage-femme, et hum… le nouveau-né… vous souhaitez qu’on s’en occupe ? Anür peut pas être plus près.

Il fallait bien un avantage à ce quartier sordide, après tout.
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyMar 5 Oct 2021 - 7:02
Une grossesse n'est jamais sans risque. Toutes ne donnent pas lieu à une naissance, à une nouvelle vie. Certaines entraînent même la mort de la mère, de l'enfant, voire des deux. Tout cela, Clémence en avait parfaitement conscience pour avoir assisté à un grand nombre d'enfantement ratés. "C'est la volonté des Dieux", lui disait sœur Berthilde, son amie mais surtout celle qui lui avait tout appris. Mais avoir conscience, savoir que ce genre de chose se produisait chaque jour ou presque, ne voulait pas nécessairement dire que cela était facile à accepter. Plus particulièrement pour une femme telle que Clémence Sarravilliers.

Mais cette fois, elle savait que rien de ce qu'elle aurait pu faire, même en arrivant plus tôt, aurait suffit à changer la donne. L'enfant était mort, probablement depuis des jours. Le corps de la mère avait simplement rejeté cette masse inerte et sans vie. Clémence avait fait son travail en faisant en sorte que cette femme survive quelques jours, semaines ou mois de plus… Mais … Quelle existence affreuse allait-elle encore mener ? Pendant combien de temps avant que la maladie honteuse ne l'emporte en créant de nouveaux orphelins ?

Morgred avait raison : la sage-femme ne pouvait faire que son travail, aider à la hauteur de ses moyens, même si cela ne suffirait certainement pas. Ce monde ne changerait jamais. La misère ne disparaîtrait pas, bien au contraire… Clémence savait tout cela et pourtant…

-Quelle valeur peut avoir l'espoir dans un monde tel que celui-ci ? Lui demanda-t-elle en soupirant. Mais… Merci, Morgred. Pour vos paroles et pour votre aide, merci… Sans vous, cette femme serait probablement morte à l'heure qu'il est.

Un sourire triste mais sincère vint étirer les lèvres de la sage-femme. L'espace d'un instant, un bref instant, l'accoucheuse ressenti l'envie ou le besoin de s'appuyer contre lui. De poser sa tête pleine de pensées trop lourdes contre son épaule, de lui prendre la main… Néanmoins, se souvenant parfaitement de la réaction du marin lors de leur rencontre au sein du Temple, Clémence se retint, esquissant un nouveau sourire avant de porter son regard sur la maison. Morgred alla chercher les enfants tandis que la sage-femme s'occupa de rassembler ses affaires tout en laissant quelques plantes à sa patiente tout en lui expliquant comment les utiliser. Elle reviendrait lui rendre visite, évidemment. Jamais Clémence n'abandonnerait une mère à son sort, qu'il y ait un bébé ou non.

En partant, la sage-femme prit le petit paquet avec elle, ne voulant point causer de soucis supplémentaires à cette pauvre femme. Elle laissa Morgred se charger des recommandations. Après tout, il était père et savait comment parler à ces petits êtres fragiles et innocents. Prête à partir, Clémence salua la petite famille avant de quitter la maison.

-Comment ça ? Vous voulez dire… Le livrer à la mer ? S'inquiéta la sage-femme qui ne savait que faire de ce petit paquet. Je… D'accord… Mais… Hésitante, Clémence poussa un nouveau soupir avant de poursuivre. Mais… S'il vous plaît, faites le vous-même. Je crains qu'Anür ne lui réserve pas un bon accueil si c'est moi qui l'accompagne. Et puis… La mer m'effraie.
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyJeu 21 Oct 2021 - 10:08
— Le… jeter à la mer ? répéta-t-il en ralentissant le pas, malgré lui.

Pourquoi souhaiterait-il jeter l’enfant à la mer ? Certes, jadis, ils rendaient les corps à Anür, mais au sein d’un cercueil, jamais en tant que tels pour servir de pâture aux poissons. Rien ne justifiait un traitement à ce point barbare, quels que soient l’âge et l’état du défunt.
Comment le percevait-elle donc, pour s’imaginer un seul instant qu’il puisse abandonner l’enfant aux vagues, sans aucune autre cérémonie ? Heurté, l’homme parut s’assombrir sensiblement.

— Je songeais à lui verser de l’eau dessus. Tout au plus à l’immerger partiellement, avant de l’incinérer, comme vous l’aviez suggéré. Comme… cela se fait, à présent

La blessure du deuil encore à vif, il n’était pas simple pour le marin d’évoquer l’incinération des corps. Ça l’était d’autant moins que, croyant et traditionaliste, Morgred était de ceux qui n’appréciaient pas cette adaptation des coutumes, même s’il la savait justifiée par la nécessité. Depuis, il avait souvent songé à sa propre fin, mais jamais, n’avait pu lui associer ce traitement. Mourir, et ne pas être rendu à Anür. Mourir et ne pas voguer une dernière fois sur son empire, comme il l’avait pourtant fait toute sa vie durant. Cela lui semblait inconcevable. Inacceptable.

Aussi improbable que de redouter l’océan.

— Je vois pas pourquoi Anür lui réserverait un mauvais accueil, alors que vous lui rendez l’un de ses enfants, affirma le marin, mais si la mer vous fait peur, je m’en occuperai.

Le pêcheur fronça les sourcils tout en guidant Clémence dans les ruelles, droit vers le port. Nombreux étaient ces hommes et ces femmes qui craignaient les flots, parce qu’ils craignaient Anür. Lui, qui avait été bercé par le son des vagues depuis sa plus tendre enfance, ne parvenait évidemment pas à l’envisager. Il n’y parvenait pas, alors même que la déesse lui avait pris son père un jour de tempête, et lui avait repris sa femme, deux semaines plus tôt.

— Puis-je… vous demander ce qui vous effraie ? Pensez-vous, vous aussi, qu’Anür est à l’origine de la Fange ?

Après tout, Clémence ne lui avait-elle pas avoué avoir marché jusqu’au domaine de la déesse, après la perte de son époux et de sa fille, dans l’espoir de mettre fin à ses jours ? La frayeur qu’elle évoquait serait-elles née du rejet que l’accoucheuse estimait avoir subi ?

Appréhender la mer était un fait qu’il pouvait admettre compte tenu de cette vaste étendue, infinie, aussi calme qu’elle pouvait être démontée, aussi profonde que le ciel apparaissait inatteignable. Il n’était pourtant rien, de l’avis du marin, qu’une traversée sur le domaine de la déité ne pouvait résoudre. Là-bas, au cœur de son royaume, où plus rien n’avait d’emprise. Une vulnérabilité certaine pour une sérénité sans pareille, même pour un homme comme lui. Peut-être, d’ailleurs, surtout pour un homme comme lui.

S’il était néanmoins une chose qu’il ne tolérait pas, c’est que l’on attribue à Anür ce mal ignoble qu’était la Fange. Peu lui importait les prétendus motifs : que la déesse soit en colère et veuille punir des Hommes inconscients et inconstants, le pêcheur n’y croyait pas une minute. Peut-être Anür, comme toute divinité, se montrait-elle parfois capricieuse. Jamais, pourtant, elle ne saurait provoquer une telle catastrophe.

Alors, forcément, c’était avec une certaine nervosité, presque une fébrilité, que le grand brun guettait la réponse de Clémence. 
Comme si l’avenir de leur relation en dépendait.
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyLun 6 Déc 2021 - 12:06
-Oh ! s'écria la sage-femme en réalisant que le marin avait visiblement mal interprété ses propos. À dire vrai, j'imaginais cela de manière un peu plus poétique. Vous savez, comme si la mer venait envelopper le corps de ce petit être de son voile protecteur. Le guidant jusqu'à son sein comme l'aurait pu faire sa propre mère… Mais maintenant que vous le dites, cela donne l'impression de jeter un détritus à la mer. Ce n'était vraiment pas dans mon idée. J'imaginais seulement que la caresse de l'eau serait plus agréable que la morsure des flammes… Je n'ai pas réfléchi. Soupira-t-elle en serrant le petit paquet contre elle. Je suis désolée de vous avoir froissé, Morgred… Toute cette histoire m'a, semble-t-il, légèrement chamboulée.

Baissant la tête pour ne plus avoir à affronter le regard de Morgred, Clémence réfléchit soigneusement à la réponse qu'elle allait lui fournir pour justifier ses propos.

-Parce que c'est moi qui le lui rapporte… souffla-t-elle simplement.

Comment la déesse pourrait accepter la sage-femme meurtrière en son territoire, elle qui arrachait tant de vie innocente avant même que ces petits être n'aient le temps de pousser leur premier cri ? Certes, cette fois, Clémence n'avait rien pu faire pour sauver cette petite âme. Elle n'était en rien responsable de la mort de cet enfant… Néanmoins, elle avait tant contrarié la déesse auparavant et qui la contrariait sans doute encore ... Certainement.

-La mer m'impressionne, de par sa taille et l'inconnu qu'elle inspire. Mais ce n'est pas cela qui m'effraie. C'est Anür elle-même que je crains. Je ne suis pas là bienvenue dans son berceau, Morgred … Je suis … une meurtrière, souvenez-vous.

Un sourire résigné et timite étira alors les lèvres fines de la sage-femme.

-Je prie pour chacun d'eux, vous savez. Je leur donne même un nom comme s'il pouvait s'agir d'une clé pouvant leur permettre d'ouvrir les portes de son royaume. Celui-ci est un garçon, je pense que le prénom Yvon lui conviendrait…
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyJeu 9 Déc 2021 - 10:19
Mutique, le marin continuait de guider la sage-femme jusqu’aux quais en l’écoutant avec attention. Malentendu, pression, incompréhension, désaccord. Un condensé d’états de fait contradictoires astreignant le pêcheur au silence. Il préférait cela plutôt que de débattre et s’emporter. Surtout contre Clémence.

— C’est très joli, Yvon, commenta-t-il néanmoins.

Peu à peu, les ruelles s’élargirent, les habitations s’éclaircirent, disparurent pour céder leur place aux quais surchargés de monde, aux quelques barques et bateaux amarrés, tanguant au rythme lent des vagues paresseuses.

— Faites attention de pas glisser, lui intima-t-il en bifurquant pour longer la vaste étendue d’eau.

En dépit de la forteresse qu’il semblait avoir érigée entre elle et lui – celle-là même qui entretenait son silence –, le marin n’en restait pas moins attentif aux réactions de Clémence.
Ponctuellement, il arrivait que quelques Marbrumiens, peu coutumiers du port, s’aventurent en ces lieux pour s’émerveiller de la beauté d’Anür. L'homme avait ainsi assisté à toutes les réactions possibles, face à ces visites impromptues : l’admiration béate, l’euphorie bruyante ou la détresse infinie. Certains se découvraient une peur panique devant l’incarnation de la déesse. Leurs agissements n’en étaient cependant pas moins imprévisibles que ceux des autres, aussi guettait-il toute trace de malaise chez l’accoucheuse.

En longeant ainsi l’appontement, Morgred finit par mener Clémence jusqu’à son extrémité nord, là où les aménagements des Hommes se faisaient de plus en plus discrets, soit qu’ils n’aient pas éprouvé le besoin de s’étendre davantage, soit, plus probablement, qu’Anür elle-même les en ait empêchés en ruinant un à un chacun de leurs efforts. Là, plus de rues, plus de quais, moins de monde. Rien qu’une plage de roches en partie englouties, aux crevasses mesquines et aux pierres glissantes et tranchantes.

Il n’avait cependant pas conduit la sage-femme ici pour lui faire prendre le moindre risque, uniquement pour qu’il puisse s’immerger partiellement dans l’eau et ainsi bénir le mort-né, en le soutenant par sa seule présence. Il ne se sentait toutefois guère légitime à se prêter à un tel rituel.

— Anür concède aux pirates un bout de son domaine. Elle les tolère, tandis qu’ils pillent, violent et tuent impunément quiconque croise leur route et s’interpose, affirma-t-il soudain en posant un pied sur cette plage inhospitalière, vous arriverez pas à me convaincre que vous êtes une meurtrière, Clémence. Vous m’avez pas convaincu la première fois, pas cette fois non plus, et vous y parviendrez jamais, asséna-t-il sans détour, vous La convaincrez pas non plus. Alors je vous le demande, sans vous y forcer : souhaitez-vous m’accompagner dans la bénédiction d’Yvon ?

Les bottes pour l’instant immergées jusqu’aux chevilles, son corps était tourné face à la mer. C’est pourtant vers Clémence qu’il tendit une main, sans trop savoir si elle y glisserait la sienne pour s’aventurer plus en avant, ou y déposerait simplement ce paquet qu’elle avait maintenu si tendrement, si maternellement contre elle, depuis qu’ils avaient quitté cette masure lointaine.

Lorsqu’il reporta son regard à la fois beau et dur sur la faiseuse d’anges, ses doigts se replièrent d’instinct sur eux-mêmes.

Certes, il avait dressé une forteresse entre elle et lui, mais ses remparts n’en restaient pas moins lardés de fissures. L’une d’elles parut se creuser face à la détresse de Clémence.
Sans nul doute, Morgred avait sous-estimé la peur qui nouait le ventre de la sage-femme. Alors, il se ravisa, revint sur ses pas pour s’approcher d’elle et récupérer, avec une infinie précaution, l’enfant auquel elle semblait à présent s’accrocher.

— Tout va bien, Clémence, affirma-t-il en cherchant son regard, je fais vite.

Assurément, le pêcheur n’avait pas imaginé ainsi le déroulement de cette bénédiction. Sans parler du soutien de la sage-femme à ses côtés, il avait escompté une prière de sa part, qu’il n’osa pas même lui demander, face à la terreur qui l’immobilisait. L’accoucheuse en avait déjà bien trop fait, et l’homme ne le réalisa qu’à retardement, se le reprochant aussitôt.

Il regagna la plage d’un pas vif, ne s’immergea pas aussi loin qu’il l’avait prévu, s’agenouilla pour mettre l’enfant au contact de leur mère à tous, puis supplia la déesse de l’accueillir en son domaine. Son recueillement ne s’éternisa toutefois pas, et le pêcheur eut tôt fait de rejoindre la sage-femme, sur l’épaule de laquelle il se permit de poser une main.

— Retournons au port, l’enjoignit-il en accompagnant son demi-tour, le paquet lové au creux de son bras gauche.
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyVen 7 Jan 2022 - 13:01
L'effroi qu'elle ressenti en posant les yeux sur le berceau de la déesse vie fut bien plus impressionnant qu'elle ne l'aurait pensé. Celui-ci s'agrippa à ses tripes, à son corps tout entier qu'il maintint ancré dans le sol. Incapable de bouger ou même de détourner le regard de l'étendue bleue face à elle, Clémence blêmit de manière inquiétante. Le froid semblait l'envelopper entièrement, rendant ses membres étrangement rigides ce qui, malheureusement, lui évoqua immédiatement la vision d'un cadavre… Tout cela, la sage-femme le mit sur le compte du rejet. Anür la mettait en garde, lui interdisant purement et simplement de faire un pas de plus en direction de son royaume.

Morgred avait tort… La déesse détestait Clémence. Elle l'avait reniée dès le premier avortement, la rejetant avec une violence que la faiseuse d'ange ne pouvait ignorer. Son ventre… Le jeune femme le senti se tordre douloureusement. Son cœur se mit à battre si fort qu'il lui donna des hauts le cœur, qu'elle peinait à contrôler. Sa gorge était sèche… Son souffle court… De quoi la guider jusqu'au bord du malaise sans que la sage-femme ne s'autorise pourtant à flancher. Elle se trouvait là pour Yvon, seulement pour lui et même si Anür ne voulait pas d'elle sur son territoire, cela ne devait pas empêcher Clémence d'aller jusqu'au bout de la mission qu'elle s'était donnée. Quelque chose chercha alors à lui arracher Yvon de ses bras… Il lui fallut donc se raccrocher au petit paquet...

Malgré sa volonté, il fut bien impossible à Clémence de sortir de la torpeur dans laquelle elle s'était plongée… Du moins, jusqu'à ce qu'une voix forte mais douce ne l'a rappelle à… lui.

Silencieuse, la sage-femme inspira profondément, comme si… Comme si la présence de Morgred la rappelait au monde qu'elle venait involontairement de quitter sans même s'en apercevoir. Son cœur battait toujours aussi rapidement même si le rythme lui parut moins oppressant. Le regard qu'elle lui lança alors semblait perdu mais empreint d'une incroyable douceur évoquant autant de remerciement silencieux. Relâchant alors sa prise, Clémence réalisa qu'elle se trouvait de nouveau capable de bouger. Assez du moins pour esquisser un pas vers l'arrière laissant le marin se charger de la sombre besogne. Lorsqu'il lui tourna le dos, la sage-femme se laissa tomber à genoux, les mains jointes pour adresser une prière des plus personnelle à cette déesse qui la méprisait tant.

Sa supplique achevée, Clémence se releva, légèrement chancelante. Morgred la rejoint à ce moment-là, venant poser une main rassurante sur son épaule tremblante. Toujours aussi silencieuse, la sage-femme suivit le marin jusqu'au port, ne cessant de marcher que lorsque la mer fut suffisamment loin pour réveiller un semblant d'assurance.

-Merci Morgred… Lâcha-t-elle finalement. Je suis désolée, ma réaction m'a surprise moi-même. Je ne me savais pas si … faible ? Mais je vous remercie sincèrement pour votre aide, pour moi, pour Yvon et également pour votre patience. Je pense pouvoir me charger du reste seule… Je vous ai sans doute déjà suffisamment retenue et je ne voudrais pas abuser de votre temps.
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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptySam 8 Jan 2022 - 21:33
Pour un homme aussi peu volubile que lui, le silence n’était pas dérangeant. Jamais. Il était au contraire propice à l’introspection, aux pensées, permettait une structuration d’une vie qu’il aimait organisée. Naturellement, le mutisme de Clémence ne le dérangea donc nullement, tout le temps du trajet qui les ramena au port et à son effervescence, qui les enfonça dans la terre ferme et les éloigna de l’étendue d’Anür.
Loin de s’éparpiller, ses réflexions se focalisèrent néanmoins sur l’état de la sage-femme. Peut-être avait-elle accusé le contrecoup le plus vif qu’il ait jamais pu constater face à la mer. Une réaction, presque une révulsion, à la fois viscérale et remarquablement maîtrisée. C’était cette maîtrise qui l’avait longtemps fourvoyé. Jusqu’à ce qu’elle lui apparaisse si raide, si tétanisée, si hagarde.

— Me remerciez pas, marmonna le pêcheur, arrêté à quelques pas de l’accoucheuse, j’aurais pas dû vous amener si loin. Je pensais pas… que vous aviez peur à ce point, admit-il, les mâchoires serrées.

Il s’en voulait. Plus que tout, il s’en voulait.

— On peut pas dominer ses craintes. On peut pas non plus anticiper nos réactions quand on s’y trouve confronté. Pour moi, c’était pas une question de faiblesse.

Jusque-là perdus dans le vague, ses yeux s’abaissèrent sur ce paquet niché au creux de son bras. Il se faisait violence pour ne pas assimiler son contenu à ses filles.

— Vous abusez pas de mon temps, ça… m’occupe un peu l’esprit, de vous aider.

Peut-être les pensées qui l’assaillaient n’étaient-elles toutefois pas nécessairement agréables. Peut-être dictèrent-elles la remise de l’enfant à la sage-femme. Trop tard, sans doute. L’association faisait son chemin, inconsciemment.

— Si vous y voyez pas d’inconvénients, j’aimerais vous accompagner au... Temple, annonça-t-il en se raclant brièvement la gorge.

Les derniers souvenirs qu’il y avait n’étaient pas les meilleurs, mais il faudrait bien qu’il les exorcise un jour. Peut-être pas cette fois, néanmoins, au regard de ce pour quoi ils s’y rendaient. Le marin n’était même pas sûr de pouvoir aller plus loin que le hall du sanctuaire. Oserait-il seulement lever les yeux vers les statues de pierre, si grandes qu’elles semblaient presque soutenir la voûte ?

— Je serais plus rassuré, en vérité, poursuivit-il en reportant son attention sur l’accoucheuse, d’abord parce que vous avez eu une belle frayeur… ensuite parce que je me méfie des gens d’ici. Ils sont tenaces.

Le pêcheur n’avait qu’une crainte : que les deux importuns pistent Clémence en dehors des quartiers portuaires. Qu’ils la traquent à travers Marbrume, guettent l’instant propice, et tentent d’obtenir d’elle ce qu’ils avaient désiré dès le début, et peut-être plus encore. Or, cette seule idée révulsait autant Morgred qu’elle attisait sa colère.
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Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



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MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred EmptyLun 10 Jan 2022 - 9:45
-Je vous en prie, ne vous excusez pas pour cela, vous n'y êtes pour rien, lui répondit-elle, un peu honteuse. Je ne savais pas moi-même que ma peur serait si … intense.

Baissant les yeux en direction du sol, Clémence repensa à cette fameuse fois où elle avait tenté de s'aventurer dans le royaume d'Anür dans l'espoir de s'y perdre. Morgred connaissait cette sombre histoire, la sage-femme lui avait conté le lendemain du décès de cette pauvre Margot. Après avoir été rejetée par la déesse, l'accoucheuse avait d'abord évité de se rapprocher du berceau divin avant de le fuir tout bonnement suite à son tout premier avortement. Comment aurait-elle pu prévoir de ressentir pareil effroi ? Impossible …

Malgré tout, Morgred la surprit en veillant à la rassurer avec quelques paroles douces et compréhensives qu'elle fut grandement étonnée d'entendre, venant de lui. L'homme qui avait tant été comparé à un ours des mers se montrait alors rassurant envers une femme qui s'estimait bien peu méritante. Quelque part, le marin semblait bien différent de l'homme qu'elle avait appris à connaître et à apprécier. Sans doute était-ce dû au deuil et aux étapes qu'il avait encore à franchir avant d'espérer pouvoir retrouver un semblant de normalité dans son existence. Pour preuve, le pêcheur évoqua son besoin de s'occuper l'esprit, chose que l'accoucheuse ne pouvait que comprendre. Après tout, cette bienveillance que beaucoup jugeait naturelle venait justement de ce même besoin. S'occuper des autres, les aider du mieux que possible, revenait à s'oublier soi-même ainsi que les soucis, les remords, les doutes, qui attendaient patiemment la nuit pour revenir hanter l'être tourmenté.

- Ce serait avec plaisir, rétorqua-t-elle simplement, s'écartant légèrement pour l'inviter à la suivre.

Dans d'autres circonstances, peut-être aurait-elle refusé que son ami l'accompagne. L'épisode de la plage l'avait profondément marquée tant et si bien que la sage-femme aspirait, à présent, à la solitude qu'elle trouvait rassurante par moment. Néanmoins, Morgred l'avait grandement aidé ce jour-là, comme souvent d'ailleurs. L'homme semblait toujours apparaître sur sa route au moment où l'accoucheuse avait le plus besoin de soutien. Sans lui, ce petit être n'aurait pas bénéficié de la tendresse d'Anür. Vivienne aurait sans nul doute succombée à cet enfantement malheureux, créant ainsi de nouveaux orphelins. En la trouvant ce jour-là, Morgred avait donc, sans même s'en douter, sauver plusieurs vies.

-Merci infiniment pour votre aide, mon ami. Vous semblez tomber à point nommé, à chaque fois… Je vais finir par vous voir comme mon bienfaiteur personnel, railla-t-elle gentiment . Avec tout cela, je n'ai pas eu le temps de vous demander comment vous alliez, les filles et vous ?

Deux semaines s'étaient écoulées depuis la mort de l'épouse du marin. Deux semaines où, malgré l'invitation du pêcheur, Clémence était restée éloignée de sa famille, par crainte de s'immiscer au milieu d'une période compliquée et ô combien intime.

-J'ai beaucoup pensé à vous ces derniers temps… soupira-t-elle avant de corriger ses propos par craintes que ceux-ci fussent mal interprétés. À vous tous… Je voulais vous rendre visite. J'ai même pris la route de votre maison à plusieurs reprises, mais je ne voulais pas vous imposer ma présence… Et encore moins fournir à vos voisines des sujets de commérages toujours bien déplacés. J'espère que vous ne m'en voulez pas… Je me rends compte que je ne suis pas une très bonne amie.
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