Marbrume


-39%
Le deal à ne pas rater :
Ordinateur portable ASUS Chromebook Vibe CX34 Flip
399 € 649 €
Voir le deal

Partagez

 

 Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Aller à la page : Précédent  1, 2, 3  Suivant
Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptySam 15 Jan 2022 - 17:36
Morgred éprouva un certain soulagement lorsque Clémence l’invita à l’accompagner. Soulagement de la savoir en sécurité, dans une certaine mesure ; de se trouver une occupation et ainsi repousser l’instant où il devrait céder le pas à la fatigue, concéder sa faiblesse, gagner cette couche tristement vacante et glacée qui n’attendait pourtant que lui.
C’était probablement ce qu’il y avait de plus difficile, dans ce deuil : supporter ces instants où le vide était évident. Le lit, la chaise. Ce réflexe ridicule, mais tenace, qui consistait à préparer de quoi dresser cinq couverts quand il n’en fallait plus que quatre. Des détails. Mais des détails nombreux. Envahissants.

— Le temps passe vite et lentement, affirma-t-il après quelques secondes de silence, propices aux réflexions, il s’est déjà écoulé deux semaines, et j’ai parfois l’impression qu’hier, encore, elle était là. D’autres fois, tout paraît figé, arrêté, interrompu par la mort de Margot. C’est comme si… on se sentait impuissant à lutter, comme si, quoi qu’on fasse, la blessure demeurait béante, à vif.

Peu philosophe, Morgred exposait les choses comme il les ressentait. Il avait quelquefois le sentiment de vouloir avancer sans pouvoir y parvenir.

— Les filles vont de mieux en mieux. Elles commencent, peu à peu, à revivre comme elles le faisaient. Philippa semble la moins affectée, je crains… qu’elle réalise pas vraiment. Eulalie s’en sort le mieux. Son tempérament et sa santé y contribuent sans doute : elle a toujours tout relativisé. Avec Béatrice, c’est plus compliqué, avoua le pêcheur en soupirant longuement, elle était très proche de sa mère. Toutes l’étaient, à leur façon, mais Béatrice était plus grande, plus utile à Margot. Alors forcément, la petite en était d’autant plus fière, et leur lien d’autant plus fort. Quand je la regarde, je reconnais sa mère, enfant.

Le marin n’osa pas ajouter que cette ressemblance nourrissait, chez lui, certaines difficultés ponctuelles. Lorsque son moral était au plus bas, voir son aînée, percevoir Margot à travers elle, accentuait l’absence de son épouse.

— Malgré tout… Certaines choses positives en ressortent. Quand on me répétait que même dans les pires situations, on trouve du bon, j’y croyais pas, mais… la disparition de Margot, ça a questionné ma place de père. J’ai toujours été là pour mes gamines, mais je leur faisais jamais sentir. Je laissais la tendresse à Margot et endossais… l’aspect matériel, disons. Aujourd’hui, j’essaye de supporter les deux rôles, dont un que je découvre encore. La mort de Margot, ça nous a rapprochés. Soudés.

À retardement, les paroles de Clémence lui revenaient en mémoire, quoiqu’elles aient été prononcées dans un autre contexte : Morgred avait besoin de ses filles, comme elles avaient besoin de lui. Pour la première fois depuis des années, il était présent pour elles. Au premier plan.

Dans un léger mouvement de tête, le marin soupira.

— J’ignore si vous êtes pas une très bonne amie, comme vous semblez le croire, mais vous me faites beaucoup trop parler… Je me laisse tout le temps prendre, déplora-t-il en se surprenant à sourire, à peine, vous serez toujours la bienvenue chez nous et vous vous imposerez jamais, Clémence. Je vous l’ai déjà dit : les filles seront ravies de vous voir. Je… j’ai beau faire ce que je peux, j’imagine qu’une présence féminine leur manque. Sans doute votre visite les apaiserait-elle, conjectura-t-il en lançant un regard à la sage-femme, que diriez-vous de vous joindre à nous pour le dîner, ce soir ? Ou le déjeuner, demain, si vous préférez. C’est un peu précipité, j’en conviens, mais… je crains que vous veniez jamais, si je vous convie pas officiellement.

Combien de fois encore devrait-elle faire le chemin pour se décider à enfin passer chez eux ? Parviendrait-elle seulement un jour à surmonter cette impression tenace de toujours déranger ?
Revenir en haut Aller en bas
Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyLun 7 Fév 2022 - 17:29
Malgré les années, Clémence n'avait pas su oublier son propre deuil. Des semaines durant, la sage-femme s'était attendu à voir Charles franchir la porte de leur petite maison d'alors. Elle avait continué à préparer les repas en conséquence, tout du moins "commencé", par habitude, avant de tout jeter lorsque la réalité se faisait frappante : Charles ne reviendrait plus.

Ce fut d'ailleurs la raison de son retour chez son père, la jeune veuve ne supportant plus ce quotidien morose, passé dans l'expectative d'un retour qui n'aurait jamais lieu. Elle avait pu ainsi combler cette solitude atroce par la compagnie des siens, même si leurs délicates attentions n'étaient jamais les bienvenues. Pour éviter de songer à sa vie perdue, la future sage-femme s'était trouvé un but qui occupa ses pensées pendant des années, trompant ainsi sa tristesse d'une façon plus constructive. Sa couche, devenue trop grande et trop froide pour être confortable, s'était vue réduite par l'usage d'oreillers venant combler le vide. Et la vie, tout doucement, avait pu reprendre son cours. Évidemment, Clémence ne se voilait pas la face pour autant. Elle avait noté les changements dans sa personnalité, trop marquée par le deuil et la perte de sa famille qui, finalement, n'avait jamais réellement existé. Pour cela, Morgred, avait de la chance. Il n'était pas seul et les responsabilités liées à l'éducation de ses filles, leur bien-être,le tiendrait occupé quelques années.

Ainsi, la sage-femme l'écouta conter ce quotidien nouveau, dictés par de nombreux changements dans leur routine. L'absence d'une mère était toujours difficile à combler. Clémence dirait même que cela s'avèrerait tout bonnement impossible tant cette place, au sein d'un foyer aussi aimant, était importante. Elle se souvenait très bien de ces moments, lorsque, enfant, elle s'était surprise à se rendre dans la chambre de sa mère, sitôt levée, comme à son habitude, pour quémander quelques câlins et baisers. Cette sensation atroce, celle ressenti lorsqu'elle ouvrait cette porte sur la pièce desespérement vide et plongée dans le noir, la jeune femme la ressentait de nouveau, chaque fois qu'elle y songeait.

-Il vous faudra du temps pour vous adapter à son absence. Cela se fait petit à petit, et puis, un jour, tout deviendra plus simple, plus naturel...

...Et Margot ne sera alors plus qu'un souvenir parmi d'autres, un souvenir aux saveurs douces amères… Cela, évidemment, Clémence le garda pour elle. Ce n'était pas une chose à dire à un homme venant tout juste de perdre celle qui, finalement, partageait sa vie depuis toujours.

-Plus ils sont jeunes, plus les enfants s'adaptent facilement au changement, même les plus douloureux. J'avais l'âge de Béatrice lorsque j'ai perdu ma mère. Je m'en souviens encore et je remercie Clarence pour sa seule présence. En m'occupant d'elle, mon esprit à su trouver une sorte d'exutoire à la tristesse. Béatrice finira également pas trouver son équilibre, il faut lui laisser le temps. Quant à Philippa, elle reste malgré tout la plus jeune. Par conséquent, sans même vous en rendre compte, vous devez tout la choyer davantage. Elle ne manque donc pas de l'attention que son jeune âge exige. Il s'agit simplement de la preuve que vous faites du bon travail et ce, de manière parfaitement naturelle. Vous pouvez être fier de vous, Morgred, sincèrement.

La comparaison entre leurs deux situations s'arrêtait là. Clémence, même en ayant, malgré elle, essayé de prendre la place de sa mère, n'en avait jamais été réellement une. Ainsi, il lui était bien impossible d'imaginer l'existence de son ami, et sa nouvelle position au sein de sa famille.

Néanmoins, même si la jeune femme serait plus que ravie de revoir les filles du marin, celle-ci n'avait pas osé leur rendre visite sans réellement savoir pourquoi. Sans doute avait-elle eu peur de lire le manque, la tristesse dans leur regard dont elle se souvenait, pétillants et plein de vie. Clémence ne voulait pas non plus être un poids supplémentaire pour cette famille en souffrance, dont la présence, à coup sûr, donnerait matière à la diffusion de nouveaux ragots. Mais Morgred ne semblait pas se soucier de tout cela. Peut-être n'y songeait-il tout simplement pas…

-Ce serait pour moi un plaisir, vraiment … Mais ne craignez-vous pas que la présence d'une étrangère dans votre foyer donne naissance à quelques commérages des plus désagréables ? s'inquiéta-t-elle. Les gens, surtout ceux étant totalement dépourvus d'une occupation saine, sont dotés d'une imagination redoutable. Et je ne voudrais pas que les filles et vous, vous vous retrouviez dans une position inconfortable… Tout cela, à cause de moi….

Il n'était pas bien difficile d'imaginer la nature de ces commérages. Un jeune veuf faisant entrer une femme seule dans sa maison quelques semaines après le décès de sa pauvre épouse… Les gens y verraient forcément un manque de respect à la mémoire de la défunte. Aucun d'eux ne verraient Clémence comme une simple amie de la famille, seulement une éventuelle remplaçante et, cela, la sage-femme ne pouvait le tolérer.

-Les sombres rumeurs se répandent plus vite que la pestilence. Je ne veux vraiment pas attirer l'opprobre sur vous et les vôtres. Les filles n'ont absolument pas besoin de cela... soupira-t-elle en affichant une mine des plus tristes. Vos filles… Je les apprécie énormément vous savez. Elles sont tellement aimables, il est tout simplement impossible de ne point s'attacher à elles. Clarence les aime beaucoup également… Alors quelque part, j'aimerai les protéger et les préserver autant que possible de la bêtise et de la méchanceté des autres.
Revenir en haut Aller en bas
Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyJeu 10 Fév 2022 - 10:23
Morgred resta un moment silencieux, avança simplement en regardant droit devant lui. Les ragots. Jamais il ne s’en était soucié ; il n’était pas homme à y prêter attention lorsqu’on les lui contait, encore moins homme à les propager par la suite. Combien d’inepties avait-il pu entendre, nées de l’ignorance, de l’ennui ou de la méchanceté ?

Non. Jamais il ne s’en était préoccupé et n’envisageait pas de déroger à cette règle de conduite maintenant, même s’il avait parfaitement conscience des on-dit qui s’échangeraient. Il imaginait déjà les langues, les rictus, les jugements. Il les percevait presque d’ici : les cendres de Margot à peine tièdes, il en ramène une autre chez lui. En voilà un qui perd pas d’temps.

Morgred, le veuf joyeux.

— Vous n’êtes pas une étrangère, même s’ils l’ignorent. Je dois aucune justification aux voisins et commères et j’ai bien l’intention d’inviter qui il me plaît chez moi, comme je l’ai toujours fait. Comme Margot l’a toujours fait.

Combien de fois avait-il entendu dire que Margot le trompait avec ce poissonnier avec qui elle riait beaucoup, sur le marché ? Combien de fois avait-elle entendu dire qu’il la trompait, à rentrer ainsi si tard, la nuit, à une heure où les autres pêcheurs ronflaient déjà ?

— J’ai rien à leur cacher. Qu’ils pénètrent dans ma maison et en retournent chaque parcelle si ça leur chante, ils trouveront rien, affirma-t-il en lançant un regard à Clémence, y a que si ces médisances vous atteignent, que je rétracterai mon invitation. À défaut, je saurai laisser faire ou me défendre, le cas échéant… et il en va de même pour mes filles. Philippa a l’entêtement nécessaire pour croire que ce qu’elle voit, Eulalie la patience d’endurer poliment, et Béatrice la fougue et les arguments pour contredire.

Le pêcheur reporta son attention sur les pavés, médita encore les paroles de la sage-femme. Au fond, il n’avait que faire des propos qu’on pourrait tenir sur lui ; que faire de s’entendre dire qu’il était un piètre mari – ce qui n’était pas fondamentalement faux, du reste – ou un mauvais père.
Imaginer ce que l’on pourrait dire de Clémence, en revanche, le dérangeait bien plus. Sans s’en rendre compte, le marin sentit ses muscles se crisper un peu.

— Je vous remercie de la considération et du soin que Clarence et vous portez à mes filles. Elles sont loin d’y être indifférentes. L’anniversaire de votre sœur, le délicieux repas que vous aviez préparé et les rubans que Clarence leur a offerts sont restés sur leurs lèvres des jours durant, se remémora-t-il avec une certaine tendresse, alors, je vous le redemande. En toute connaissance de cause, de ce qu’on dira de moi… mais aussi de ce qu’on dira de vous… acceptez-vous de vous joindre à nous le temps du dîner ? Ça vaudra pas votre soirée. Même en donnant tout notre cœur, on pourrait jamais l’égaler, mais… je suis sûr qu’on mettra tous la main à la pâte pour vous accueillir comme il se doit.
Revenir en haut Aller en bas
Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyJeu 10 Fév 2022 - 11:43
A dire vrai, la réaction de Morgred ne fut en rien surprenante pour la sage-femme. Certes, Clémence ne le connaissait que très peu, mais il lui semblait bien être le genre d'homme à se ficher des commérages. Sa réponse, d'ailleurs, força même un sourire à l'accoucheuse, qui ne put s'empêcher d'imaginer l'accueil que réserverait la famille du pêcheur à ces racontars, qui ne manqueraient pas de se propager. L'accoucheuse était habituée à attirer les sombres médisances sur sa personne. Jamais elle n'y prêtait vraiment attention puisque cela ne concernait généralement qu'elle. "Veuve noire", "Sorcière","Oiseau de mauvaise augure"... Tant de surnoms lui ont déjà été donnés au fil des années, ceux-ci allant à merveille avec la sombre réputation qu'elle traînait derrière elle comme une seconde peau. Clémence n'était pas vraiment appréciée par ses semblables. Certains disaient même qu'elle était entièrement responsable de la mort de son époux ainsi que celle de son fiancé… Quand bien même un tel raisonnement n'avait strictement rien de logique ou seulement cohérent…

-Je ne me préoccupe pas de ma réputation, sans quoi vivre deviendrait vraiment impossible, railla-t-elle. Le plus gros de ma clientèle se trouve dans les maisons closes. Je suis sage-femme sans être prêtresse. Yvon n'est pas le premier mal né que je conduis au Temple. Je suis veuve… Je vous laisse donc imaginer ce que l'on raconte déjà sur moi.

Riant doucement, Clémence reporta son attention sur sa route… Ou presque. Un seul regard de côté suffit à lui faire réaliser que les commérages à leur sujet avaient déjà commencé à se transmettre… De bouche à oreilles, chaque mots prononcés devaient finir déformés.

-J'ai l'impression que… souffla-t-elle doucement, d'ici la fin de la journée, vos voisins vont me mettre la mort de Margot sur le dos… Prétextant, sans doute, une tentative de séduction de ma part. Les gens adorent ce genre d'histoire. Des drames, l'on appelle cela.

Le sourire de la sage-femme s'étira légèrement, bien consciente du ridicule de la chose.

-Personnellement, je me fiche de tout ceci, mais il serait tout de même malheureux que de telles rumeurs parviennent aux oreilles de vos filles… Elles n'y croiront probablement pas plus que vous, mais je ne tiens pas à...

Sa phrase resta en suspens, la fin s'accrochant aux lèvres qu'elle tenait entrouverte tandis que sa prise se resserra sur le petit Yvon. La femme qui venait de la bousculer, passant volontairement entre Morgred et elle comme pour les séparer, lui lança un regard des plus mauvais avant de disparaitre dans une ruelle. La besace de Clémence, ainsi malmenée, avait fini sur le sol. La sage-femme, silencieuse et impassible, se baissa pour la ramasser avant de reprendre sa route.

-Comme je vous le disais, je n'ai cure des ragots. Un de plus ou un de moins ne pèsera pas plus lourd sur mon dos. Aussi, si cela ne vous gêne en rien, ce serait avec plaisir que je viendrai dîner ou déjeuner quand bon vous semblera, déclara-t-elle en lui offrant un nouveau sourire.

Une fois le quartier du port dans leur dos, les gens se retournant sur leur passage se firent beaucoup moins nombreux. La plupart étaient habitués à voir la sage-femme déambuler dans les ruelles et ne prêtaient guère attention à ses allés et venus. Les plus superstitieux d'entre eux évitaient tout bonnement de la regarder, tandis que ceux la connaissant un tant soit peu, la saluaient poliment avant de poursuivre leur route.

Arrivés dans le quartier du Temple et afin de ne pas imposer sa vue au marin qui y avait perdu son épouse, Clémence le congédia gentiment.

-Merci encore pour votre aide, si précieuse, Morgred.
Revenir en haut Aller en bas
Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptySam 12 Fév 2022 - 11:07
Préoccupé par ce que venait de lui avouer Clémence quant à ce qui se disait d’elle, Morgred ne sortit de ses pensées que lorsque, d’une certaine manière, la sage-femme attira son attention sur ce qui se tramait déjà au port. Il leva les yeux du chemin, observa les gens comme il s’y prêtait rarement, et fronça les sourcils au preste détournement de quelques regards.

Un instant de distraction. Quelques secondes, tout au plus, au cours desquels il ne mira plus devant lui, n’eut plus Clémence dans son champ de vision. Un moment éphémère dans lequel se glissa une sournoise occasion. Il sentit à peine l’effleurement de son épaule, s’inquiéta bien davantage de ne pas entendre la fin de la phrase de Clémence, s’étonna, en reportant son attention sur elle, de la voir ramasser sa besace. Il ne mit guère de temps à comprendre, se retourna d’un bloc, mais ne distingua aucun suspect… Ou peut-être d’innombrables, au contraire.

Ses poings se serrèrent, ses mâchoires se crispèrent, tout son corps parut se tendre de colère. Le comportement des gens l’exaspérait, leur propension à s’immiscer dans la vie des autres, dans leur intimité, le rebutait. Mais plus que tout, il ne supportait pas que Clémence souffre ces brimades. Il n’admettait pas que les ragots puissent exister à l’encontre de la sage-femme, et cela ne faisait que conforter le sentiment qu’il nourrissait à l’égard de la bêtise humaine.
Certes, l’accoucheuse se livrait ponctuellement à une activité condamnable. Mais pourquoi présumer un plaisir sadique à délivrer les mères d’un enfant qu’elles ne désiraient pas ? Pourquoi lui attribuer autant de noirceur ? À l’inverse de Clarence, Clémence ne rayonnait pas, c’était un fait. Cela ne la rendait pas moins douce et aimable. Pour savoir ce qu’elle ressentait à chaque avortement pratiqué, de l’aveu même de la faiseuse d’anges, Morgred ne tolérait pas qu’on puisse lui adresser le moindre reproche.

— À mon retour, je parlerai aux filles de ce qu’elles pourront entendre, marmotta-t-il en reprenant la route du Temple, peut-être pour apaiser les craintes de la sage-femme.

Le marin tenta de calmer ses nerfs pour poursuivre une conversation un tant soit peu normale. Il n’y parvint que très difficilement.

— En ce cas, venez ce soir, si vous le pouvez. J’ai passé ces derniers jours à pêcher et fumer le poisson invendu. Nous avons quelques légumes, de quoi vous faire profiter d’un repas convenable.

Abandonner les quartiers qu’il connaissait par cœur – ces quartiers qui l’avaient vu naître et grandir – fut un soulagement rarement ressenti par le pêcheur. Il eut ainsi la sensation de se soustraire, un temps, aux médisances ; et plus encore d’y soustraire Clémence.
La population de Bourg-Levant divergeait de celle du port. Ici, les gens paraissaient plus respectueux. Plus éduqués, également. Morgred fut agréablement surpris de constater que la sage-femme pouvait être saluée de certains. Sans doute cette considération-ci l’aidait-elle, quoi qu’elle en pense, à poursuivre ses activités. Après tout, même les épaules les plus larges, même l’esprit le plus fermé, ne sauraient endosser la haine, lorsqu’elle se fait inconditionnelle et constante.

Sensiblement apaisé, le marin put aborder le quartier religieux dans de meilleures dispositions. Son corps restait néanmoins tendu, cependant que les cloches retentissaient, que le sanctuaire ne tarderait pas à se profiler. Tout à ses craintes, Morgred s’étonna d’entendre de nouveau la voix de Clémence, après ce silence partagé. Il s’arrêta d’instinct, regarda la sage-femme, la direction du Temple, puis alentour. Ici, en effet, elle ne risquait plus rien. En vérité, elle ne risquait plus grand-chose depuis quelque temps, déjà.

— Y a pas de quoi, admit-il finalement, en reportant son attention sur elle, je vous attendrai à l’entrée du port, quand sonneront les huit coups. Pour… vous guider jusqu’à la maison. Que vous vous perdiez pas, affirma-t-il sans grande conviction.

En théorie, Clémence savait où il vivait pour s’être rendue dans son foyer, en des circonstances néanmoins différentes et plutôt pressantes. Les rues labyrinthiques en avaient toutefois dérouté plus d’un, même si le marin redoutait bien davantage les habitants que le quartier lui-même.

Après confirmation de la sage-femme, Morgred la salua d’un signe de tête, puis rebroussa chemin jusqu’à chez lui. Ses filles accueillirent toutes l’annonce de l’invitation de Clémence avec un sourire – plus ou moins large – et ne tardèrent pas à abandonner prestement leurs occupations pour entreprendre de cuisiner aux côtés de leur père. Un passage au marché, quelques échanges de marchandises et la préparation des légumes et du poisson furent l’occasion d’évoquer par ailleurs les racontars que les enfants seraient susceptibles d’entendre, et dont elles ne devraient pas se formaliser. Sans surprise, Béatrice eut la réaction la plus vive, s’empourprant de colère et peinant, ensuite, à s’en délester. Il n’y eut que la concoction du repas et les bonnes odeurs de cuisson pour l’apaiser un peu.

Morgred délégua la surveillance de ses filles à son frère, peu après le coucher du soleil par-delà l’horizon. Peu désireux de laisser Clémence errer seule dans ces rues où elle avait été si mal accueillie, le marin accéléra le pas. Cela lui valut d’être accosté par l’un de ses collègues.

— Et alors, Morgred ! T’as l’air bien pressé, ricana-t-il en abattant amicalement sa main sur l’épaule du pêcheur.

L’œil torve que ce dernier lui lança ne suffit manifestement pas à faire comprendre à l’importun qu’il n’était pas le bienvenu.

— Est-ce que, par hasard… ce serait pas à cause de la p’tite dame de c’matin ?

Le raidissement du corps de Morgred fut si vif qu’il s’interrompit net.

— Moi j’ai rien vu, c’est c’qu’on a dit à ma femme, se défendit aussitôt l’individu, tu d’vrais faire attention, l’ami. Il s’murmure déjà que c’était elle, à qui t’allais rendre visite les soirs. T’sais, quand tu disparaissais. Un peu comme là, quoi.

La colère trop longtemps tue, endormie depuis la mort de Margot, rejaillit pour de bon, cette fois-ci, et s’incarna en un crochet du droit en pleine figure. Surpris, l'homme chancela brièvement avant que Morgred lui saisisse le col.

— Je suis fatigué, t’entends ? grogna le marin, fatigué de me retrouver seul avec mes filles, fatigué des dernières journées qu’on a eues, fatigué de vos regards en biais et de vos conneries. Alors ta femme, toi, et les autres, allez fermer vos gueules ou je jure devant les Trois que j’vous l’ferai payer quand j’aurai vraiment plus d’patience.

Un instant déconcerté par la colère, la méchanceté, la lueur mauvaise qu’il décela au fond de l’œil d’un collègue qu’il n’appréciait pas nécessairement, mais ne détestait pas non plus jusqu’alors, le marin reprit bien vite contenance et repoussa vivement Morgred.

— C’est quoi, ton problème ?! J’t’avertis pour te rend’ service, butor !

Le nocher n’aurait su dire lequel des deux asséna le coup suivant. Il se souvint simplement d’avoir été séparé de ce collègue à l’âme charitable par deux autres pêcheurs.
Malmené par quelques horions, Morgred se frotta les côtes pour apaiser la douleur. Il essuya également le coin de ses lèvres, cracha dans le sol boueux un mélange de sang et de salive.

Si l’empoignade l’avait un peu calmé, il ne réalisait pas encore combien elle alimenterait davantage les ragots, dès le lendemain. Après tout, pour que le veuf défende si âprement cette femme, s’offusque de ce que l’on disait d’eux… ce ne pouvait être que parce qu’il y avait un fond de vrai. Forcément.
Pour l’heure, néanmoins, Morgred cheminait jusqu’à l’entrée du port où semblait déjà l’attendre la faiseuse d'anges. Cette histoire ne l’avait pas avancé.

— Bonsoir, Clémence, marmonna-t-il en essuyant une dernière fois le coin de ses lèvres d’un revers de main, juste pour s’assurer qu’il ne restait plus de traces visibles de son affrontement, j’suis un peu en retard, désolé. J’ai… rencontré un petit contretemps. Nous y allons ?
Revenir en haut Aller en bas
Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyMer 16 Fév 2022 - 15:32
Clémence salua le marin qui ne se fit pas prier pour quitter prestement le quartier du Temple et les souvenirs malheureux qui se retrouvaient immanquablement liés à ces lieux. La sage-femme se rendit donc seule jusqu'au Temple où elle put laisser Yvon aux bons soins d'un prêtre qui assurerait son dernier voyage. Après cela, il ne lui restait plus qu'à rentrer chez elle afin de faire sa toilette et changer de vêtements. Clémence passa les quelques heures restantes à s'occuper de la maison, discutant un peu avec sa sœur avant de regagner le quartier du port.

Sur le trajet, l'accoucheuse ne put s'empêcher de ressentir une certaine inquiétude. Elle redoutait quelque chose sans réellement savoir quoi… Comme si son instinct, pourtant si peu affiné, lui hurlait que quelque chose n'allait pas. Craignant même d'être suivie, celle-ci lançait, de temps à autre, quelques regards en arrière sans jamais apercevoir quoi que ce soit dans son dos...

Comme elle se sentit rassurée en voyant Morgred arriver… Tout du moins, quelques secondes, guère plus. Rapidement, son sourire amical s'effaça au profit d'une expression évoquant une certaine surprise. Car lorsque son regard se posa sur le visage tuméfié du marin, les yeux de la sage-femme s'arrondirent aussitôt.

-Par tous les dieux, que vous est-il arrivé ? s'inquiéta-t-elle en prenant le visage du marin pour observer l'étendue des dégâts.

Constatant que les marques laissées sur sa peau n'avaient pu être provoquées que par des poings, l'accoucheuse se saisit des mains du pêcheur afin de voir s'il avait rendu les coups. Ses phalanges rougies et légèrement enflées attestaient leur utilisation…

-Mais…bon sang... Vous … Vous vous êtes battus ? Pourquoi ?

Jugeant sa position bien trop proche du marin - et donc trop intrusive - Clémence fit un pas en arrière tout en observant son ami. Mais voilà que son instinct se rappela à elle en lui hurlant que sa présence à ses côtés devait être responsable de cette bagarre. Il n'était guère difficile d'en deviner la raison. Quelqu'un avait dû faire une remarque à Morgred, ou rapporter certaines rumeurs que le marin n'était certainement pas prêt à encaisser. Comment avait-elle pu le mettre dans une position pareille ? L'accoucheuse se sentit aussitôt honteuse et la culpabilité ne tarda pas à se dessiner sur son visage.

- C'est à cause de moi, n'est-ce pas ? s'enquit-elle en levant les mains tout en reculant. Bon sang, je suis sincèrement désolée de vous avoir mis en si mauvaise posture… C'est tellement stupide. Je... Ce n'est pas grave. Je vais rentrer chez moi et vous éviter quelque temps. Êtes-vous blessé ? Vous ne pouvez pas rentrer chez vous dans un état pareil… Les filles vont forcément s'inquiéter...
Revenir en haut Aller en bas
Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyJeu 17 Fév 2022 - 22:33
Sans un mot, les iris dardés sur la sage-femme, Morgred se laissa patiemment ausculter. Les coups avaient été trop francs pour échapper à l’œil aiguisé de Clémence. Dommage. Le pêcheur l’avait pourtant souhaité de tout son cœur.
Un cœur qu’il sentit d’ailleurs se serrer lorsqu’elle esquissa plusieurs pas en arrière, les mains ainsi exhibées, comme pour prévenir tout contact, l’éviter, le fuir.

Était-ce cela qu’il avait infligé à Margot, chaque fois qu’il l’avait repoussée ? Était-ce ce qu’il avait infligé à Clémence, lors de leur première rencontre, au Temple ? L’avait-elle perçu comme il la voyait, là ? S’éloigner, s’esquiver, se dérober à toute approche tandis qu’il était animé des meilleures intentions, à commencer par l’espoir d’octroyer à ses filles un instant de liberté, hors d’atteinte de leurs préoccupations actuelles ?

Brisé par la mort de sa femme, à présent dépendant de l’affection que lui donnaient ses enfants et qu’il leur donnait en retour, Morgred ne supporta pas même l’esquisse d’un rejet.
Encore moins par elle.

— Clémence, l’appela-t-il en se saisissant de l’un de ses poignets avec douceur, pour interrompre son retranchement.

Il avait le sentiment que s’il ne l’arrêtait pas avant qu’elle franchisse cette limite invisible, qui marquait la frontière du port, plus jamais elle ne reviendrait. Que ce « quelque temps » se prolongerait indéfiniment.

— S’il vous plaît, murmura-t-il en relâchant sa main, mes filles savent que je suis venu vous chercher. Si je rentre sans vous, elles seront peinées. J’en serais moi-même navré. Je vous forcerai pas à me suivre, si vous le souhaitez pas, mais retournez pas chez vous pour les mauvaises raisons. Je vous en prie.

Dans la semi-pénombre suivant le crépuscule, s’installait toujours une aura de mystère propice aux plus intrigantes fantaisies. La vulnérabilité qui semblait envelopper le marin était peut-être de celles-là.

— C’est pas la première fois que ça arrive, et ce sera pas la dernière non plus. Le commun des mortels discute pour régler les conflits. Au port et dans les bas-quartiers, on sait pas faire ça. Les gens éduqués parlent entre eux, les rustres frappent, résuma-t-il en évitant soigneusement le regard de la sage-femme.

Il avait beau savoir que Clémence n’était pas nécessairement étrangère à cette réalité pour pratiquer des accouchements et avortements en tout Marbrume, il ne se sentait pas pour autant fier de ce pan de sa personnalité. D’une tendance renforcée par sa propension à s’emporter pour un rien.

— Quoi qu’il en soit… si quelqu’un est à blâmer, c’est certainement pas vous. Ça devrait être eux. Peut-être moi, aussi. Ou les deux, supposa-t-il dans un lent haussement d’épaules, je suis désolé que vous ayez dû assister à ça. J’aurais préféré… que ça se produise pas. Que vous me voyiez pas comme ça, avoua-t-il en se tendant, soudain, les sourcils froncés et, bientôt, les bras croisés, et en même temps, j’imagine que vous êtes en droit de savoir chez qui vous vous rendez pour dîner.

Il s’en voulait. Il s’en voulait terriblement de s’être laissé atteindre par la bêtise des autres, d’avoir cédé à la tentation des poings dans le seul espoir de tous les faire taire, d’accéder à la paix.

— Alors… dites-moi. Je mentirai pas aux filles, si vous préférez rentrer chez vous. J’assumerai.


Dernière édition par Morgred Pêcheur le Ven 18 Fév 2022 - 9:36, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyVen 18 Fév 2022 - 8:52
-Morgred, soupira-t-elle comme pour répondre à son appel tout en observant la main qui la retint. Juste un instant, un si bref instant où elle ressenti une immense tristesse totalement inconnue jusqu'alors.

Lentement, lorsqu'il la relâcha, Clémence releva les yeux pour croiser ce regard qu'elle trouvait de plus en plus troublant. Quand il mentionna la peine qu'occasionnerait son absence à ses filles, la sage-femme se sentit honteuse. Pourtant, que penseraient-elles, ces petites, en voyant l'état dans lequel se trouvait leur père ? Elles qui venaient tout juste de perdre leur mère de manière si brutale et imprévisible... Comment prendraient-elles cette vulnérabilité de la part de leur paternel qui, pour des raisons purement grotesques, rentrerait à la maison avec un visage tuméfié ?

-Vous aviez dit vous ficher des rumeurs… Alors pourquoi ? Pourquoi vous êtes-vous senti obligé de répliquer par des coups? C'est bien ce qu'il s'est passé n'est-ce pas ? demanda-t-elle tout en connaissant la réponse. Elle l'avait pressenti, après tout et l'état de sa main droite attestait qu'il avait sans doute donné plus de coups qu'il n'en avait reçu...À moins que son adversaire eut été des plus mollassons ou suffisamment ivre pour frapper à côté. J'adore vos filles et c'est justement pour cela que je vous dis que mieux vaudrait pour vous que je cesse de graviter ainsi autour de votre famille. Je ne tiens pas à être une source de problème ou d'inquiétude autant pour vous que pour les filles. Vous avez bien assez de tracas comme cela et je ne veux simplement pas en rajouter. Regardez-vous…

Sa main regagna cette joue meurtrie, joue qu'elle avait giflé quelques semaines plus tôt et qui, même alors, n'avait pas arboré pareille teinte. De nouveau, la sage-femme soupira, mais cette fois ne bougea pas d'un pouce et, au contraire, flatta même le front du marin d'une pichenette.

-Ce ne sont pas les rustres qui se battent, seulement les gens qui manquent d'argument ou ceux qui sont acculés sans avoir la possibilité de réagir autrement…

Qu'avaient-ils pu lui dire exactement pour que la situation dégénère à ce point ? L'avait-on accusé du meurtre de son épouse ? Lui avait-on dit qu'il semblait bien nonchalant pour un veuf, même s'il était évident que le marin portait le poids du monde sur ses épaules ?

-Je sais très bien chez qui je viens dîner, justement… Et cet homme-là n'est pas un rustre sans cervelle. Allez-vous me dire ce qu'il s'est passé exactement afin que nous trouvions un moyen pour que plus jamais je ne vous vois dans un tel état ? Ni moi ni quiconque d'ailleurs ? Lui demanda-t-elle tout en prenant, pourtant, le chemin du port.
Revenir en haut Aller en bas
Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyLun 21 Fév 2022 - 20:37
Alors que les questions – légitimes – de la sage-femme s’enchaînaient, Morgred ressentait un sentiment mitigé. D’un côté, il était satisfait, heureux de voir que Clémence n’entendait manifestement pas partir tout de suite. De l’autre, il redoutait ses interrogations, inévitables contreparties.

Lorsque la main de l’accoucheuse trouva sa joue, les yeux du pêcheur se reportèrent sur elle. Son soupir, qu’il ne parvint pas à identifier – déception ? lassitude ? désespoir ? –, raidit un peu plus son corps. Sa pichenette amorça un froncement de sourcils plus appuyé. Ses propos forcèrent une nouvelle fois la déviation du regard.
La fuite. Le déni, peut-être.

Manquait-il d’arguments ?

Non. Mais de preuves, sans doute, car il n’avait jamais que sa parole pour démentir les reproches qu’on lui objectait. Pourtant, s’il était des cauchemars pour hanter ses nuits, des remords pour entraver ses actes, il n’était rien, parmi les torts et les maux dont les on-dit l’affublaient, pour accabler sa conscience.

Était-ce donc qu’il s’était senti acculé, contraint d’employer la force ?

Morgred avait simplement voulu les astreindre au silence. Qu’ils cessent d’énoncer des choses dont ils ignoraient tout, qu’ils cessent d’imaginer, de spéculer, d’envisager quoi que ce soit. Qu’ils cessent de bafouer, de souiller, de salir impunément ceux qui ne le méritaient pas. Celle qui ne le méritait pas.

Le pêcheur serra les mâchoires en fronçant les sourcils, pris d’une douleur aiguë qui lui déchira le crâne. Il en profita pour pivoter sur lui-même, emboîter le pas à Clémence, sans oser lui faire remarquer son avancée de peur qu’elle réalise, renonce, revienne en arrière.

— J’ai… peu dormi, ces derniers temps, avoua-t-il finalement, la tête basse, les yeux rivés au sol.

Tout ce qu’il avait souhaité, c’était les faire taire.

— Je suis pas très patient, vous le savez déjà, alors… quand je dors peu, ça va pas vraiment en s’arrangeant. Au-delà des… nouveautés, qui naissent des circonstances actuelles et qui génèrent des inquiétudes.

Rien de plus.

— Les rumeurs m’atteignent pas, normalement. Je les entends pas. On me les dit même plus, parce que je les propage pas. C’est pas… amusant, vous comprenez, expliqua-t-il en se raclant brièvement la gorge, hasardant un rapide coup d’œil vers la sage-femme, mais là, j’ai croisé un pêcheur sur le chemin. Je pressais le pas, et...

Rien.

— Ça se reproduira plus, Clémence, soupira le marin, il m’a… rapporté des propos, au sujet de Margot, de moi, de vous, songea-t-il sans le dire, j’ai perdu mon sang-froid, mais… ça arrivera plus. Vous, les filles, les autres… Plus personne me verra dans cet état. Plus jamais.

Alors pourquoi mentir par omission ?
Revenir en haut Aller en bas
Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyMar 22 Fév 2022 - 9:14
-Vous dormez mal ? répéta-t-elle sans réelle surprise puisqu'il était évident que la fatigue marquait les traits déjà durs du marin. Je peux vous faire porter quelques plantes, vous savez ? De quoi vous aider à trouver le sommeil et surtout le repos.

Le manque de sommeil pouvait évidemment jouer sur les nerfs, la patience et sur la capacité de réflexion. Un problème que Clémence ne connaissait que trop bien à cause des divers cauchemars qui hantaient ses nuits depuis des années. Elle avait ainsi appris à contrer tout ceci à l'aide de quelques tisanes dont elle usait et abusait même parfois.

-Je comprends, ne vous en faites pas…soupira-t-elle de nouveau tout en réfléchissant aux moyens dont-elle disposait pour aider le pauvre homme.

Autrefois, il pouvait compter sur Margot pour s'occuper de la maison, des repas et sur l'éducation de ses trois filles… L'une d'elle, d'ailleurs, approchait dangereusement de la puberté et des questions qui allaient de paire. Bientôt, Béatrice serait une jeune femme et Clémence doutait que Morgred puisse gérer ce genre de changement propres aux femmes.

Morgred évoqua donc, fort brièvement, les derniers événements. Ceux ayant donné lieu à cette fameuse bagarre responsable des diverses ecchymoses que son visage arborait. Mais voilà, sans doute pour la préserver, le pêcheur évita soigneusement de développer son histoire, chose que Clémence n'apprécia pas du tout. Ainsi, l'écoutant affirmer qu'une telle chose ne se reproduirait jamais, la sage-femme fut volte-face avant de lui lancer un regard plus furibond que doux.

-Cessez ceci, immédiatement, Morgred, gronda-t-elle sans crier pour autant. Cela sonnerait presque comme une promesse qu'il serait probablement impossible à tenir. Margot était fort appréciée dans le coin, je le sais parfaitement et je doute fort que quiconque eût envie de ternir sa mémoire. C'était une femme bien, une excellente épouse et une mère exceptionnelle. Personne ne pourra nier ceci hormis par bêtise et méchanceté qu'il serait bon d'ignorer. Mais… Je sais que ce n'est pas exactement ce qu'il s'est passé… Vous omettez volontairement certains détails pour ne pas me froisser et je peux vous affirmer qu'une telle chose est parfaitement inutile.

Elle avait bien vu les regards des gens qu'ils avaient croisés. Elle avait remarqué leurs échanges à grands coups de messes basses qu'il était aisé de deviner sans avoir besoin de les entendre. Évidemment qu'en voyant le veuf habituellement solitaire se promener dans le quartier les gens ont pu se faire des idées. Cela faisait partie, hélas, de la nature humaine.

-Ni vous, ni moi n'avons quoique ce soit à nous reprocher. Vous auriez dû lui dire qu'il se méprenait et que vous m'avez simplement aidé aujourd'hui… C'était la vérité après tout et si ces gens ne sont pas capables de le reconnaître, c'est qu'ils sont simplement aussi stupides que les coquillages qu'ils ramassent. Vous aviez les arguments pour clouer le bec à ce crétin ! Vous aviez les armes pour contrer sa bêtise sans avoir à user de vos poings… Qu'allez-vous raconter aux filles à présent, hein ?

Sans le vouloir, la sage-femme s'était laissée emporter. Sa voix montait doucement dans les aigus si bien qu'elle ne tarda pas à ameuter les petits curieux. Et de nouveaux il lui fallut faire face aux regards plein de jugements, aux échanges de messes qui se faisaient de moins en moins basses jusqu'à ce qu'une remarque parvienne à ses oreilles, une seule :...Elle est encore là… Chui sûre qu'il trompait Margot avec cette fille…

Profondément outrée par de tels propos, le visage de Clémence se teinta brusquement de rouge, signe que sa colère ne tarderait pas à exploser. Posant ses mains sur ses hanches, elle gronda :

-Mais comment pouvez-vous affirmer pareilles horreurs ?! C'est pas possible d'être aussi ...abrutis ! N'avez-vous donc rien de mieux à faire que formuler pareilles inepties ! C'est sûr qu'à force de cracher les uns sur les autres, le concept même de respect et d'amitié doit vous paraître bien peu familier, s'exclama l'accoucheuse au visage écarlate. Elle finit par pointer le doigts sur chacune des personnes présentes tout en leur lançant un regard noir. Puisque semer le trouble et la discorde semble être un jeu pour vous, je vous invite à regarder votre voisin et de vous demander ce que celui-ci peut dire de vous dès que vous avez le dos tourné. Je suis certaine que cela va nous tenir occupés un moment...

Une fois son discours terminé, Clémence saisit le poignet du pêcheur avant de l'entraîner plus loin. Derrière eux, les commérages avaient laissé place aux disputes. Marchant droit devant elle, l'accoucheuse ne prenait nullement la peine d'observer le chemin qu'elle empruntait. Après tout, elle ne connaissait que très mal ce fichu quartier et pouvait s'y perdre aisément. Ainsi, plutôt rapidement, elle cessa de marcher, relâcha le marin auquel elle tournait le dos et s'étira.

-Bon sang que ça fait du bien, s'écria-t-elle de soulagement avant de se tourner vers Morgred. Pardon, je voulais simplement nous éloigner du troupeau… je ne sais absolument pas où nous nous trouvons. Je propose donc que vous repreniez la tête. Pardon pour avoir provoqué ce petit spectacle. Je doute fort que cela fasse taire les rumeurs, mais cela m'a soulagé de grogner un peu. Je comprends mieux pourquoi Clarence aime tant rouspéter. déclara-t-elle en riant.
Revenir en haut Aller en bas
Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyMar 22 Fév 2022 - 20:23
Le marin s’immobilisa aussi prestement que Clémence s’était retournée vers lui ; surpris de la voir faire ainsi volte-face, surpris de la voir le dévisager de la sorte. Réalisait-elle enfin s’être trop avancée dans le port ? Allait-elle le blâmer de ne pas le lui avoir fait remarquer plus tôt ?

Rien de tel. Morgred n’en détourna pas moins le regard en fronçant les sourcils, comme l’aurait fait un gamin rabroué par un adulte.
Mais le pêcheur restait buté. Qu’importe qu’elle le lui reproche, qu’importe qu’elle prétende pouvoir encaisser la vérité, il s’obstinait à la taire et ne la lui avouerait jamais. Parce que si Clémence avait raison, s’il l’avait secondée aujourd’hui, il n’avait pas fait que cela. Morgred tirait de cette aide un bénéfice strictement égoïste que la sage-femme ne réalisait pas.

Or, peut-être était-ce ce bénéfice qui changeait tout.

Lorsque les curieux se profilèrent, le marin sentit de nouveau son corps se tendre de nervosité, écouta à peine les paroles de Clémence en dépit du ton qu’elle employait. Il savait déjà que sa patience serait mise à rude épreuve. Que pour tenir une promesse qu’il venait de faire, il devrait lutter farouchement.
L’écho d’un murmure ne tarda pas à le démontrer ; les mêmes paroles, à peu de choses près.
Les mâchoires du pêcheur se serrèrent et sa mine s’assombrit. Brièvement. Brièvement, car Clémence s’empourpra pour la seconde fois de la journée, cette fois contre les commérages et les bouches qui les propageaient, révélant de nouveau cette facette si inhabituelle de sa personnalité.

La surprise fut si grande que la colère quitta chaque parcelle du corps du marin. Même son visage n’apparaissait plus courroucé, tant ses sourcils étaient haut perchés.
À cet instant, Morgred sut. Il sut qu’il n’aurait toujours que ses poings pour se défendre, car jamais, il ne pourrait argumenter aussi bien qu’elle.

Ainsi, il ne s’offusqua pas de se laisser entraîner, y compris à l’opposé de sa maison, resta circonspect le temps que Clémence les éloigne, s’arrête, se retourne vers lui. Rit.
À son tour, l’étonnement abandonna le nocher. Il sonda le regard de la sage-femme un moment, puis baissa les yeux en souriant. De son emportement, des vérités énoncées, du trouble qui s’en était suivi, de son soulagement manifeste, de son manque d’orientation.

— Vous êtes incroyable, lui concéda-t-il simplement en lui désignant le passage sur leur droite.

Afin de guider l’accoucheuse, Morgred la dépassa et la conduisit à travers les ruelles du quartier, contournant soigneusement les curieux qu’ils venaient de quitter pour cheminer en silence jusqu’à sa masure, à l’entrée de laquelle il frappa. L’agitation à l’intérieur fut brève.
Le marin s’était attendu à voir son cadet ouvrir la porte, mais Philippa parut le devancer afin, manifestement, de se jeter hors de la maison, droit dans les jupes de la sage-femme.

— Eh bien… Bienvenue, murmura le pêcheur en la conviant à le suivre, tandis qu’il pénétrait dans l’habitation.
— Morgred, bon sang… Qu’est-ce que…

D’un signe de tête, l’intéressé appela son frère à ne rien commenter, puis gagna sa chambre pour se rincer le visage, pendant que sa famille accueillait leur invité. Pour la peine, chacune des filles avait revêtu le ruban offert par Clarence.

— Installez-vous, faites comme chez vous, Clémence. Je reste pas, j’ai… à faire. Passez le bonjour à Clarence de ma part. Oh et, hum… dites-lui que les fleurs étaient une excellente idée. Elle comprendra, sourit Nizier en se faufilant jusqu’à la sortie, bonne soirée à tous. Profitez-en.

Morgred choisit cet instant pour revenir, encore occupé à s’essuyer le visage avec un linge.

— Mais ! Papa ! s’étonna Béatrice en le rejoignant pour poser ses mains sur ses joues, qu’est-ce qui t’est arrivé ?
— J’ai… manqué d’arguments, avoua le marin en gratifiant le front de sa fille d’un baiser, ça fait pas mal, t’inquiète pas. Clémence, prenez place, allez-y. Vous souhaitez boire quelque chose ? On a du lait de chèvre… ou de l’hydromel. Philippa, et si tu laissais un peu d’espace à Clémence ?
Revenir en haut Aller en bas
Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyMer 23 Fév 2022 - 12:58
-Je fais ce que je peux, plaisanta la sage-femme luttant encore un peu contre son hilarité tout en suivant le marin jusqu'à sa maison.

Lorsqu'elle vit la demeure du pêcheur et de sa famille, les souvenirs de sa dernière visite vinrent assaillir l'accoucheuse. Cette mauvaise nouvelle dont elle fut le messager eut le don d'effacer son sourire, même si ce dernier ne tarda pas à réapparaître lorsque Philippa se jeta dans ses bras. Comme elle se sentait soulagée par cet accueil des plus agréable. L'enfant, toujours aussi vive, lui souriait à pleine dents , ou presque.

-Eh bien, je vois que tu gagnes en sagesse, Philippa, railla gentiment la sage-femme désignant la petite zone de vide là où, quelques semaines auparavant, se trouvait encore une dent.

-Oh ! T'as remarqué ? Ze l'ai perdue c'matin… Mais maint'nant, ze parle bizarrement. Tu trouves pas ?

-Ma foi, non, je trouve que tu t'exprimes comme une petite princesse… Une princesse avec un petit cheveux sur la langue.

La petite s'empressa ensuite de guider Clémence à l'intérieur, la tenant par la main comme pour s'assurer que leur invitée ne changerait pas d'avis. Polie et sincèrement ravie de se trouver là, la sage-femme salua tout le monde tout en suivant les regards des uns et des autres qui se posaient sur le visage du pêcheur.

-Qu'est-ce qu'il a fait papa ? Pourquoi il est tout rouze ? L'interroge la benjamine qui tirait sur la jupe de la jeune femme comme pour la supplier de lui répondre.

Mais… Il n'appartenait pas à Clémence de le faire, même si elle regrettait de voir Morgred se dérober ainsi. Il ne mentait certes pas, mais ce silence pouvait laisser place à bon nombre de suppositions sans doutes bien plus graves que ne l'était la réalité. Ainsi, pour ne point encourager le petite à poursuivre ses investigations enfantines, Clémence décida que mieux valait détourner son attention:

-Ces rubans vous vont à merveille, les filles. Vous êtes ravissante. Clarence serait très fière.

En parlant de Clarence, le message laissé par le cadet du marin l'intrigua au plus au point. Des fleurs… Mais de quoi avaient-ils pu parler ces deux-là ? Néanmoins, Nizier ne s'attarda pas et la sage-femme se vit vivement entrainer jusqu'à la petite table familiale, joliment dressée pour l'occasion.

-Réglons rapidement ce souci de place, déclara Clémence face à la mine boudeuse de Philippa. Viens par là. La tenant par les aisselles, la sage-femme porta la petite pour l'asseoir sur ses genoux. Ravie, l'enfant ne tarda pas à serrer l'adulte dans ses bras.

-Je prendrai bien un lait de chèvre, s'il vous plaît. Figurez-vous que depuis que Gaston vit chez nous, j'en suis privée.
-C'est qui Gaston ? Demanda Eulalie qui, visiblement intriguée, vint s'asseoir aux côtés de la sage-femme.
-C'est le plus adorable fripon qu'il m'ait été donné de rencontrer.
-Un homme ? renchérit Béatrice.
-Pire…
-Quoi donc alors ?
-C'est un voleur, un fieffé grigou qui ne se prive pas pour lacérer mes pauvres rideaux. Il adore les pelotes de laine, le lait et le poisson.
-Y'a un voleur chez toi ?
-Oui et le pire c'est que c'est moi qui l'ai invité dans notre maison. Mais comment résister à ses grands yeux bleus et ses petites oreilles pointues.
-Des oreilles pointues ???
-J'ai trouvé ! C'est un chat !
-Bien joué, Béatrice, conclut Clémence avant d'éclater de rire devant la mine déconfite de la petite Philippa.Gaston est le chaton de Clarence.
-Ze veux le voir !
-Eh bien, je suis certaine que Clarence sera plus que ravie de vous le présenter.
Revenir en haut Aller en bas
Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyLun 28 Fév 2022 - 21:40
Cette animation qui ressurgissait soudain au contact de l’accoucheuse, de ses mystères, de ses devinettes, Morgred l’avait presque oubliée. Cependant qu’il versait du lait dans chacun des gobelets, il s'interrogeait alors. Était-ce ce que sa famille et lui avaient apporté aux sœurs Sarravilliers, ce soir où ils avaient participé au repas d’anniversaire de Clarence ? Les deux femmes avaient-elles ressenti ce bonheur simple, cette quiétude douce qui le saisissaient pour l’heure ?

Peu désireux de vouloir interrompre ces dames, le pêcheur leur distribua chacune un verre, puis gagna le modeste âtre sur lequel avaient été mises à chauffer quelques galettes de pâte aromatisées aux épices. Il les disposa dans une assiette, puis déposa le tout au centre de la table, en guise d’amuse-bouche. Tout ce temps, la conversation ne semblait pas s’être tarie.

— On devrait peut-être lui apporter du poisson, médita Eulalie, presque pour elle-même.
— Oh ! On en a des taaas ! s’exclama Philippa en désignant du doigt les poutres au-dessus de leur tête.

Morgred suivit ce petit doigt dressé, soupira en constatant la présence de ses prises, suspendues là pour sécher. Il était à ce point habitué à les voir qu’il n’y prêtait plus attention.

— Navré, marmonna-t-il en reportant son regard sur Clémence, j’aurais dû songer à les déplacer… C’est pas une décoration très… engageante.
— Peut-être, mais ils rendent bien service, souligna Béatrice, d'ailleurs, c’est papa qui a cuisiné, Clémence. Enfin, il s’est occupé des poissons.
— Ze sais pas si ça va être très bon...
— Sur ces bonnes paroles, avança le marin en levant son verre, à votre visite, Clémence. Bienvenue chez nous.

Les fillettes imitèrent leur père, répétant ses paroles en écho, dans une synchronisation quasi parfaite. Chacune but une gorgée, sauf Eulalie, manifestement absorbée par ses pensées. Lorsqu’elle posa ses yeux sur leur invitée, ils semblaient pleins d’espoir.

— Tu crois que Clarence pourrait nous apprendre à lire, quand on ira voir Gaston ?
— Eulalie…
— Mais elle avait proposé, papa ! Et à danser, aussi. Je suis sûre que ça la gênerait pas, hein Clémence ?

Morgred soupira doucement en remuant la tête.
Il devait bien avouer être partagé. D’un côté, constater combien ses enfants revivaient l’enchantait sincèrement. La perspective qu’elles puissent s’instruire, accéder à une meilleure vie, peut-être, le charmait d’autant plus. En outre, se rendre chez les Sarravilliers serait comme une aventure, une échappatoire, loin d’une maison où les fillettes ne pouvaient que déplorer l’absence de leur mère au quotidien.
De l’autre, il ne pouvait décemment pas déléguer la charge de ses filles aux deux jeunes femmes. Elles avaient déjà bien trop à faire.

— Je suis certain que Clarence manque pas d’occupations. Or, vous apprendre à lire va réclamer du temps. Oublie ça, d'accord, Eulalie ? Laisse Clémence et Clarence tranquilles.
— Oui, papa… murmura la cadette en baissant les yeux pour les perdre dans son verre de lait.

Morgred s’en voulut aussitôt.
Revenir en haut Aller en bas
Clémence SarravilliersGuérisseuse
Clémence Sarravilliers



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyMer 2 Mar 2022 - 14:03
Au contact de ses fillettes, Clémence se sentait toujours enjouée, presque ragaillardie comme si ces demoiselles, par leur simple présence, lui apportaient une bouffée d'air frais des plus salvatrices. Toutes les trois, intriguée par la petite devinette offerte par la sage-femme, ne tardèrent pas à rire en découvrent l'identité du fameux voleur aux yeux bleus, ce qui ne manqua pas de faire rire l'instigatrice qui ne prit nullement la peine de masquer sa bonne humeur. À la mention des poissons possédés en grande quantité, l'accoucheuse suivit des yeux le plafond indiqué par la benjamine de la famille. Effectivement, la famille du pêcheur ne manquait visiblement pas de mets marins…

-Eh bien, il me semble que je me trouve chez un pêcheur, par conséquent cette "décoration" n'a rien d'anormal, rétorqua simplement la sage-femme nullement choquée par ce petit détail qu'elle n'aurait probablement même pas remarqué si la petite dernière ne lui avait pas indiqué.

Le sourire de l'accoucheuse resta bien en place sur son visage tandis que Béatrice annonça que le cuisinier du jour n'était nul autre que son père… Choc qui sembla plus ou moins inquiéter la petite Philippa. Mais Morgred ne parut point s'en offusquer, bien au contraire. Ce dernier ignora simplement la remarque avant de lever son verre en sa direction, geste qui fut sitôt imité par ses filles.

-Merci à vous de m'avoir invité. Je suis très heureuse d'être avec vous ce soir.

Elle se fichait bien de la taille de la maison, de sa "décoration", de la qualité du repas et même de l'odeur du poisson qui semblait avoir imprégné les murs. Clémence était réellement ravie de sa présence ici et de pouvoir jouir de ce bonheur si simple et pourtant naturel. Dans son cœur elle se trouvait à présent dans le plus beau des palais et s'apprêtait à déguster l'un des meilleurs repas de toute sa vie en merveilleuse compagnie. Que demander de plus ? Évidemment, elle regrettait aussitôt de ne pas avoir emmené Clarence avec elle. Sa jeune sœur avait beau aimer les belles choses, elle ne se serait pas moins plu au milieu de cette adorable famille.

Tandis que la jeune femme dégustait son verre de lait, son attention fut aussitôt dirigée vers la bien discrète Eulalie. La petite fille lui rappela alors la promesse émise par sa sœur. Promesse que Clarence n'aurait jamais faite sans avoir la ferme intention de la tenir… Mais alors que Clémence allait répondre par l'affirmative, faisant entièrement confiance à sa sœur, Morgred la coupa brusquement… La sage-femme, en voyant la mine déçue de la petite fille, sentie son cœur se serrer douloureusement.

-Occupations ou non, nous avons toutes les deux la possibilité de prendre le temps nécessaire. Je ne suis pas une aussi bonne danseuse que Clarence, je n'ai jamais vraiment été une très bonne élève à l'époque. En revanche, je peux vous apprendre à lire quand vous le souhaiterez… Toutes les trois, déclara-t-elle en lançant un regard sévère au marin. Je suis souvent libre en début d'après-midi. Mais notre porte vous sera toujours ouverte et ce, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Jamais et j'insiste bien sur le jamais vous ne nous dérangerez.

Que pouvait-il y avoir de mal à vouloir se sortir d'un quotidien morose voire pesant ? Que pouvait-il y avoir de mal à vouloir apprendre des choses nouvelles ? Bon sang, ces pauvres petites venaient à peine de perdre leur mère et devaient à présent s'habituer à une nouvelle vie sans elle.

-On peut vraiment venir quand on veut ? demanda alors Béatrice en observant son père.
-C'est bien ce que je viens de dire.
-On peut dormir chez vous aussi ? renchérit Philippa avec une inocence remarquable qui ne manqua pas de faire rire la sage-femme.
- Si votre père est d'accord, je n'y vois pas le moindre inconvénient.
- J'aimerais bien voir Gaston… On pourra y aller, papa ?

Les sourcils levés, le regard de Clémence rejoignit celui des filles et soutint celui de leur père attendant une réponse de sa part.

-Je vous assure que nous serions plus que ravie de les accueillir de temps à autre chez nous. Nous apprécions toute deux votre famille et nous ne mentions pas quand nous vous affirmions que vous serez tous, toujours les bienvenus chez nous….
Revenir en haut Aller en bas
Morgred PêcheurPêcheur
Morgred Pêcheur



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 EmptyMer 2 Mar 2022 - 20:42
La mine déçue de sa cadette avait suffi, en soi, à attiser ses regrets. Ses yeux baissés, son air abattu... Forcément, les commentaires de Clémence, les espoirs qui s’ensuivirent, l'attention concentrée sur lui, n’arrangèrent rien.

Le regard de la sage-femme l'avait incité à détourner le sien. Dans la foulée, c’était sa place qu’il avait cédée pour disposer deux marmites sur le feu.

— Faites ce que vous voulez, capitula-t-il sans prendre la peine de se retourner.

Trop jeunes pour réaliser ce qu’impliquait l’abandon paternel, Philippa et Eulalie parurent se réjouir de cette grande nouvelle, la première par un cri, la seconde par un sourire. Béatrice semblait plus soucieuse, pour sa part. Sans doute ne comprenait-elle pas tous les tenants et aboutissants ; sans doute ne s’imaginait-elle pas combien Morgred s’était senti acculé, combien il lui était déplaisant de passer pour le méchant, le père cruel, combien il appréhendait de rester seul dans cette maison, sans l'unique soutien qu'il possédait encore, mais elle parvint, dans une certaine mesure, à saisir que quelque chose clochait.

Alors, tandis que Philippa élaborait déjà de vastes et ambitieux projets, son aînée se leva pour aller enlacer le pêcheur devant l’âtre.

— Si tu veux pas, j’irai pas, murmura-t-elle en cherchant son regard.

Malgré lui, Morgred sourit imperceptiblement, détournant les yeux des marmites pour les poser sur sa fille. Il ne sut trop quoi penser de cette abnégation, se sentit d’autant plus honteux de confronter Béatrice à un choix aussi ridicule.
La main du nocher trouva naturellement les longs cheveux ondulés, qu’il caressa. Lorsqu’il se baissa pour embrasser le front de l’enfant, il profita de ce rapprochement pour lui glisser, à l’oreille, l’interdiction formelle de ne pas aller chez les Sarravilliers. Le sourire que lui rendit la fillette balaya presque sa mauvaise conscience, cependant qu’il la guidait de nouveau jusqu’à la table.

— Servez-vous, Clémence. Montrez l’exemple, les filles, souffla le marin en désignant l’assiette de galettes, alors… où en sont ces projets ? s’enquit-il en se réinstallant.
— Ze pense que le mieux, c’est que Clémence nous apprenne à lire, et que Clarence nous apprenne à danser ! décréta Philippa en piochant dans le plat.

Morgred n’en doutait pas, la petite avait probablement argumenté en ce sens – potentiellement seule – tout ce temps qu’il avait passé à s’isoler, comme pour se punir lui-même.

— Hum-hum. Et quand ?
— Demain ! On peut demain ?
— Et qui vous emmènera ? Moi je peux pas, je pêche.
— Huum…

Philippa parut forcer une intense réflexion… qui se solda néanmoins par ses grands yeux levés en direction de Clémence.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred   Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred - Page 2 Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
Aux grands maux, les grands remèdes | Morgred
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 2 sur 3Aller à la page : Précédent  1, 2, 3  Suivant

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Cité de Marbrume - Quartiers populaires ⚜ :: Port-
Sauter vers: