[Convocation] Parfois, l’une des deux est de trop

7 mai 1167
Sombrebois

Marie-Ange

[Convocation] Parfois, l’une des deux est de trop Tumblr_n0g47hKoVs1qzlcoro1_500

C’est une belle journée, fraîche et ensoleillée. Le soleil baigne la terre de ses premiers rayons de soleil, mais l’on peut déjà deviner que le temps sera doux et clément. Marie-Ange, la prêtresse de Sombrebois, s’est levée depuis un moment déjà afin de se livrer à sa routine habituelle. Ablutions, Confection de potions et de mixtures diverses, prières…

Le quotidien de la mystérieuse Marie-Ange est rythmée par une certaine monotonie. Lorsqu’elle finit tout cela, alors vient pour elle le temps d’accueillir les habitants du château qui souhaitent venir lui rendre visite à son temple avant de se diriger vers celui du bourg.

Avant tous ces changements, la prêtresse avait des journées tranquilles, flânant ça et là dans le bourg ou les marais pour faire la cueillettes de nombreuses herbes médicinales. Mais depuis que le bourg a repris vie, elle a moins de temps pour elle. Oh, elle ne s’en plaint pas, bien au contraire.

Seulement une ombre s’est greffée au tableau. Elle guette, garde un œil sur le village et suit son évolution de près et avec prudence, sachant que le danger peut tomber à tout moment et qu’il lui faudra se montrer prête ce jour-là. Pour l’heure, le soleil point doucement, comme peinant à montrer le bout de son nez. Mais nul doute qu’il y parviendra…

En attendant, Marie-Ange, installée derrière son autel, prépare un bien étrange rituel. Une bougie est allumée devant elle et, les bras et mains joints autour, reposant sur l’autel, la jeune femme murmure :

« M’entendez-vous ? Si vous êtes là… faites vaciller la flamme de la bougie et que nos âmes se lient entre elles entre l’outre monde et le monde et restent ainsi pour les siècles et les siècles… »

La flamme auparavant bien immobile semble soudain, quelques instants plus tard, comme happée par un rayon invisible. Un courant d’air ? Peut-être… Mais Marie-Ange ferme les yeux et sourit.

« Je suis là aussi… Venez à moi. Écoutez le son de ma voix… oui… comme ça… laissez-vous guider jusqu’à moi. »

Est-ce la première fois qu’elle se livre à une telle activité ? Nul ne saurait le dire, car nul ne la voit jamais lorsqu’elle est seule… Mais vous vous en doutiez n’est-ce pas ? Seulement, la prêtresse - ou disons même la sorceresse ! Entend des pas et doit s’interrompre. Qui peut bien venir ainsi de si bonne heure ?

Marie-Ange reçoit la personne venu se recueillir, parle avec elle, écoute les confessions et les doutes puis, ensuite, elle décide d’aller faire un tour dans le bourg pour trouver sa consœur, Gudrun. A vrai dire, depuis l’arrivée de cette dernière, la jeune femme l’observe et l’analyse en silence à tout moment, même quand la dernière venue ne s’en rend pas nécessairement compte.

Elle aurait pu aller la trouver avant, mais elle avait besoin de voir comment cette dernière fonctionnait et surtout si elle remplit bien son rôle. Après tout, chacun se méfie des arrivants de Hendoire… Il ne faudrait pas qu’elle puisse prêcher une mauvaise parole au sein du fief.

Et puis, avec le renouveau, toutes deux étaient très occupées et trouver un moment pour une bonne discussion n’est pas forcément chose aisée. Mais voilà. Le bourg est déjà bien assez perturbé comme cela sans avoir besoin de se fourvoyer sur les paroles d’une nouvelle venue…

Marie-Ange entre donc dans le temple du bourg et attend patiemment que la prêtresse termine son office auprès de quelqu’un venue la trouver. Marie-Ange est patiente… Elle a tout son temps, ou presque. Disons qu’elle a fini ses tâches matinales et qu’il n’est pas encore midi.

Alors elle peut bien se permettre d’attendre son homologue.

« Bonjour sœur Gudrun, la salue-t-elle enfin. Magnifique journée n’est-ce pas ? Le printemps… »

Elle la dévisage d’un air totalement neutre, presque dérangeant.

« Que diriez-vous de venir cueillir quelques herbes avec moi cet après-midi ? Ce serait l’occasion de parler et de faire un peu mieux connaissance. »

La dernière promenade de ce genre qu’elle a proposé, c’était à Rosen. Et nul n’ignore à Sombrebois comment cela avait fini… Mais ça, Gudrun n’en sait rien. Et puis, l’histoire ne se répète pas toujours, bien heureusement. Après tout, chacun l’influence de par ses actes.

Après avoir quitté Éric à contrecoeur, Gudrun jeta un coup d'oeil rapide aux malades hébergés par le temple. Rien d'anormal, elle les laissa se reposer. Elle se dirigea ensuite vers le coeur sacré du bâtiment, où l'attendait une femme dont le visage s'éclaira lorsqu'elle la vit. Elle devait attendre depuis un moment.

Elle avait vraiment passé trop de temps avec Éric, laissant son devoir de côté... Du moins c'est ce qu'elle aurait pensé si la visite du mercenaire avait été simplement courtoise, mais dans le cas présent, elle signifiait beaucoup. Et le mariage faisait bien partie des devoirs de tout un chacun !

La femme souhaitait se confesser, et elles allèrent s'asseoir dans le recoin dédié. Gudrun avait du mal à se concentrer sur sa tâche, son esprit encore ailleurs. La confession se termina, et après un court échange, la femme s'en alla. C'est alors que la prêtresse remarqua soeur Marie-Ange, qui semblait attendre de lui parler. Elle se rapprocha d'elle pour la saluer.

- Bonjour soeur Marie-Ange. Belle journée en effet. Bertille vous a-t-elle porté mon message ?

Les deux prêtresses s'étaient au final peu croisées depuis son arrivée à Sombrebois et elle ne la connaissait guère. Cependant soeur Marie-Ange lui avait semblé efficace et consciencieuse, ce qui la lui rendait plutôt sympathique. Devant la proposition de l'autre prêtresse, elle hésita un petit instant avant d'acquiescer en hochant la tête. Elle avait essayé quelques jours auparavant de regarnir son stock, mais l'excursion avec Desmond et son acolyte avait tourné court, lui laissant une petite appréhension.

- Les réserves sont bien faibles oui... Il faudra que j'aille en chercher rapidement, et il ne sert à rien de remettre à demain ce que l'on peut faire aujourd'hui. Il y a d'ailleurs un sujet que je voulais justement aborder avec vous... Un sujet personnel. Et après tout, puisque vous êtes là, pourquoi ne pas y aller tout de suite ?

Elle venait de vérifier l'état des malades et le temple était vide. C'était l'occasion idéale.

Marie-Ange regarde sa consœur avec bien peu d’étonnement avant de lui répondre.

« Bertille ? Non, je ne l’ai pas vue. Est-ce la jeune fille que j’ai vu en votre compagnie la dernière fois ? »

Armée d’un sourire plutôt avenant, elle rajoute alors à Gudrun :

« Bien, je vais prévenir Sœur Edwige de garder un œil sur le temple en notre absence et prendre mon matériel, je reviens. Je sens que la promenade sera agréable… »

Ah, qu’elle peut paraître bien sympathique notre prêtresse, lorsqu’elle s’en donne les moyens. Comme dit, elle prend ensuite les mesures nécessaires avant de rejoindre sa consœur et, toute deux quittent le bourg par ce beau matin de mai pour fouler le sol tapissé d’aiguilles de pins.

« Alors, quel message souhaitiez-vous me faire porter ? »

Son intonation est neutre, sans réel intérêt apparent, son pas rapide comme celui d’une personne pressée d’arriver à destination, sans toutefois distancer son homologue. La jeune femme ne laisse à présent transparaître aucune émotion.

« Dites-moi, c’est comment, Hendoire ? Le climat, la végétation… trouve-t-on les mêmes plantes que dans le Morguestanc ? Vous deviez sûrement avoir vos herbes locales. Avez-vous eu l’occasion d’en ramener ici ? Cela me plairait de les étudier. »

Ah, Marie-Ange et ses préparations… pour sûr, elle les aime, les plantes ! Elle en éprouve une réelle passion. Le lit végétal est plutôt agréable sous les pieds. Cela fait comme un tapis tout doux… tout mou. Mais il faut faire attention à où l’on pose nos pieds.

Les irrégularités de la terre sont vite masquées ainsi, et se tordre la cheville à la moindre intention devient aisé. Le soleil baigne la forêt de sa claire lumière matinale et beaucoup d’oiseaux chantent, sifflent, célèbre le printemps maintenant bien avancé et se cherchent un partenaire de vie avec qui fonder un nid.

« Y-a-t-il beaucoup de marécages comme par chez nous ? »

Ah, la voilà soudain devenue bien curieuse. Mais n’est-ce pas normal pour qui aime les plantes et autres trésor de la nature ? A chaque pas, la jeune prêtresse avance de façon efficace au sein des épines et de la boue. Sa robe de soie d’un gris foncé volette avec légèreté à chaque qu’elle la soulève puis la relâche pour relever les genoux lorsqu’il faut passer un obstacle comme un tronc d’arbre ou une pierre.

- Tout à fait... Il est difficile de passer à côté sans la remarquer !

Bertille était très certainement la petite fille la plus remuante qu'elle ait jamais rencontré, et d'une curiosité à toute épreuve. La figure de Marie-Ange s'éclaira d'un sourire, comme si cette idée de partir dans les bois lui faisait plaisir. Gudrun se contenta d'acquiescer à nouveau, et repartit régler quelques détails avant de sortir à la porte du temple pour attendre son homologue. Le temps était suffisamment chaud pour lui permettre de sortir sans son manteau désormais.

La jeune femme avait une curieuse manière d'apparaître dans les moments où l'on ne s'y attendait pas, et ce matin ne faisait pas exception. Enfin, cette sortie était la bienvenue, la marche lui permettrait de s'éclaircir les idées.

Une fois la porte du bourg franchie, Marie-Ange commença à lui poser des questions.

- Le message ? Ah oui... Je voulais simplement vous demander de venir pour... Enfin... Je vais me marier. Je voulais vous demander de mener la cérémonie ici, à Sombrebois...

Si son ton était toujours aussi neutre, prononcer ces paroles l'émut un peu. Elle repensait à la demande d'Éric et ne put s'empêcher de sourire légèrement tout en regardant où elle mettait les pieds. Le sol était inégal et Marie-Ange marchait rapidement. Elle tentait de suivre le rythme, mais elle devait se concentrer sur sa marche pour ne pas trébucher à cause de sa mauvaise jambe.

- Hélas, non, il ne me reste plus rien... Vous pensez bien qu'avec un voyage aussi long nous avons dû renouveler les réserves de nombreuses fois. Il me reste des choses à apprendre sur les plantes d'ici... Mais nous avons beaucoup de plantes en commun malgré tout ! Je regrette de ne pas m'y être intéressée davantage dans ma jeunesse, je les connais davantage sous leurs formes séchées et dans les livres que dans la nature. Simplement, je me suis rendue compte ici que si nous avons les mêmes plantes, elles sont parfois un peu différentes chez vous... Tenez, voyez ce chardon ? Chez moi, ce genre de plante faisait trois fois cette taille.

C'était certes frustrant et un peu humiliant d'avouer son manque de connaissances, mais c'était aussi passionnant de pouvoir échanger avec quelqu'un qui s'intéressait au même domaine qu'elle, et à son pays natal à plus forte raison.

- Il y a effectivement des marécages... Mais je suis née à Allange et j'y ai passé toute ma vie, les grands espaces et la nature me sont bien peu familiers. Je ne saurais vous dire exactement ce qu'il y avait au-delà des limites de la ville, même si j'en suis bien sûr sortie quelques fois et que j'en ai eu quelques échos.

La jeune femme blonde se déplaçait avec aisance dans le sous-bois, le fruit d'une longue habitude, supposait Gudrun. Elle même était plus lente, car si l'énergie ne lui manquait pas, elle faisait attention à poser ses pieds correctement et à toujours s'assurer de ne pas tomber, gardant son calme et sa raison habituels, malgré l'ambiance joyeuse de cette matinée qui aurait pu faire tourner la tête à d'autres.

- Vous semblez bien pressée ! Ralentissez un peu ou nous finirons toutes deux par terre ! Je ne pourrais certainement pas vous ramener au bourg si vous tombez... Est-ce d'ailleurs bien raisonnable de sortir sans escorte ?

« Mes félicitations ! répond-telle alors. Quel est le nom de l’heureux élu ? »

Nulle surprise ne se laisse deviner dans la voix de la prêtresse. A vrai dire, elle donne toujours cette impression d’être ailleurs, de reporter son attention sur autre chose. Sur l’environnement, sans doute. Elle regarde régulièrement autour d’elle, cherchant des herbes qu’il pourrait lui être intéressantes.

« Nous pourrons vous célébrer lorsque les choses se seront un peu tassées. »

Oui, avec toute l’agitation que le bourg a rencontré, on peut dire que ce n’est pas le meilleur moment pour des festivités. Soyons logiques… Il sera bien plus agréable de festoyer lorsque les inquiétudes seront passées.

« Vous devez bien exceller dans un autre domaine, si ce n’est les plantes. Nous ne pouvons pas exceller dans tout. Quel est votre point fort d'ailleurs ? »

Mais la réfugiée semble soudain incommodée par le rythme de la marche. A moins que ce soit autre chose ? Marie-Ange ralentit donc. Gudrun aimerait une escorte, maintenant. Visiblement, elle ne semble pas apprécier la promenade.

« Nous n’iront pas bien loin, ne vous inquiétez pas. Mais il ne faut pas traîner, justement. Plus vite nous trouverons les plantes, et plus vite nous serons rentrées et en sécurité. »

Pourtant, il fait si bon. Quel dommage de ne plus pouvoir profiter du soleil et de la bonne odeur de terre fraîche comme autrefois. Aujourd’hui, le danger est partout. Vraiment partout. Même là où l’on ne le soupçonne pas. Une brise printanière agréable vient caresser leur visage.

« Quels sont vos projets ? questionne Marie-Ange. Êtes-vous bien à Sombrebois ? J’imagine que vous devez avoir le mal de vos terres natales. »

Elle soulève un peu la végétation prudemment. Un fangeux pourrait si vite en sortir, tapis dans les fougères.

« Ah, voilà ce que je cherchais. Vous voyez ces feuilles ? En tisane, elles ont des propriétés incroyables. Elles aiguisent nos perceptions et on dit que Rikni nous apparaît sitôt que les effets se font sentir. Il m’arrive d’en prendre parfois lorsque j’ai particulièrement besoin de me sentir réceptive. Voudriez-vous essayer à l’occasion ? »

La jeune femme attrape délicatement la base des tiges pour la couper de son couteau. Elles en récupères plusieurs qui poussaient à proximité avant de sentir l'un de deux rofondément avant de le lui tendre.

« Voyez comme elles sentent bon... »

Une délicieuse odeur chaude et sucrée s'exhale du végétal.

- Il s'appelle Éric... Mais vous ne pouvez pas le connaître, il n'habite pas à Sombrebois.

Marie-Ange semblait avoir la tête ailleurs, toute à sa recherche d'herbes, et lui fit une réponse étrange. "Plus tard". Mais tout de même, c'était de mariage dont elles parlaient, et Gudrun trouvait cela très impoli de paraître aussi peu intéressée, comme si cela n'était pas important à ses yeux. Elle fronça les sourcils.

- Je conçois qu'une fête dans un bourg aussi petit que Sombrebois serait fort mal venue en ce moment. Mais je ne vous demande pas de célébrer quoi que ce soit. Je veux simplement me marier devant les dieux, sans aucun curieux pour assister à la cérémonie. Cela sera entre vous, moi, mon époux et les dieux.

Non, décidément, plus elle y pensait, plus cela l'agaçait. Elle se retint de poursuivre plus loin : la prêtresse était encore jeune, il fallait bien lui accorder quelques maladresses.

- Non effectivement, même à force de travail nous ne pouvons pas aller à l'encontre de ce que les dieux ont voulu pour nous. J'ai passé toute ma vie à soigner les autres, mais ce qui ne m'a jamais fait défaut jusqu'ici, ce sont mes mains... Vous le connaissez, n'est-ce pas ? Ce moment où il faut avoir les doigts agiles et la main ferme alors que le moment est critique ? Ce moment où un simple tremblement peut faire pencher la balance entre la vie et la mort ? Cette situation, je l'ai vécue un grand nombre de fois, mais jamais ma main n'a flanché. De cela, je suis reconnaissante aux dieux.

Le reproche indirect de Marie-Ange lui fit de nouveau serrer les dents, heurtant son amour-propre. Elle aurait bien voulu ne pas traîner, mais les choses étant ce qu'elles étaient... Décidément, la jeunesse et le manque d'empathie de la prêtresse étaient bien difficile à supporter. La patience de Gudrun était mise à l'épreuve devant les nouvelles questions de la prêtresse. Elle s'efforça de garder son ton neutre et poli.

- Sombrebois est un bourg très animé... J'espère bien pouvoir remplir mon devoir ici aussi bien que je pourrais. Évidemment, Hendoire me manque, mais on ne peut pas changer le passé. Ce que j'ai de mieux à faire désormais, c'est de m'établir ici, me créer un nouveau foyer...

Une vie simple et sans complications... Peut-être était-ce un mensonge trop grossier pour être cru ? Peut-être que le fond de vérité qui s'y trouvait ferait suffisamment illusion ? Marie-Ange avait un peu ralenti pour ne pas la distancer, mais Gudrun était toujours occupée à essayer de la suivre au mieux. Elle n'avait pas eu le temps de cueillir quoi que ce soit quand la jeune prêtresse s'arrêta enfin pour lui montrer une plante qui ne lui disait rien. Ses explications firent oublier à Gudrun les frustrations précédentes pour venir animer son visage.

- Rikni ? C'est... intéressant. Vous l'utilisez donc quand vous avez besoin d'être ouverte à ses signes, pour les séances d'interprétation de rêves j'imagine ? Il faudrait effectivement que j'essaie ces effets s'ils sont aussi efficaces que vous me le décrivez ! Être plus réceptive aux signes des dieux... Ah ! Si de simples feuilles pouvaient être la solution !

Elle attrapa la feuille que lui tendait Marie-Ange, la fit tourner entre ses doigts, l'observant sous toutes les coutures avant de l'imiter et d'inspirer l'odeur qui s'en dégageait. Une odeur entêtante, pareille à nulle autre plante qu'elle connaissait.

- Non, décidément, cela ne me dit rien...

Elle glissa la feuille dans le grand sac en lin qu'elle prenait lorsqu'elle allait cueillir des plantes. Il faudrait qu'elle l'étudie attentivement plus tard.

- Comme vous l'avez dit, ne traînons pas.

Elle avait profité de la pause pour aviser un arbre couvert de lichen non loin. Elle s'y dirigea rapidement, puis commença à gratter l'écorce avec son couteau pour récupérer les petites feuilles grises et dures. Ses mains occupées, son esprit s'apaisa et elle prit le temps d'observer Marie-Ange. Elle lui sourit.

- Mais dites-moi, que fait une jolie jeune femme seule dans un bourg aussi reculé que Sombrebois ? Avez-vous grandi ici ?

Marie-Ange sourit lorsque sa comparse dit qu’elle ne peut pas connaître le vagabond. Parfois, les gens sont tellement assuré de quelque chose qu’ils ne se rendent même pas compte que le contraire est pourtant possible. Pourtant, le royaume est si petit à présent.

Un royaume de survivants où la grande majorité de l’humanité a péri. Lorsque Gudrun lui dit à présent qu’elle ne souhaite pas fêter son mariage, l’autre prêtresse ne lui répond rien. Les temps de paix et d’unité ont probablement péri avec le maître des lieux.

« Soit », répond-elle finalement.

Si la nouvelle venue ne souhaite pas s’intégrer au bourg, personne ne pourrait l’y forcer. Décidément, cette sortie lui rappelle de plus en plus celle avec Rosen. Trop de points communs.

« Voilà une qualité appréciable pour notre vocation, lui dit-elle avant de s’arrêter pour poser sa main sur son bras. J’espère que vous vous plaisez à Sombrebois et que cette déchirure s’apaisera rapidement. Vous savez, du temps de Hector, le bourg était uni et sans la moindre tension. C’était… familial. Certes, il n’y avait pas grand monde, mais il faisait réellement bon vivre. Hector était un bon vivant qui s’inquiétait toujours pour chacun. Vous saurez mettre vos qualités en avant pour le bourg, soyez-en certaine. Vous avez une grande force en vous. »

Elle la regarde avec une pointe de compassion, puis lève ensuite la tête pour jauger le temps. Il ne faut pas risquer de se laisser surprendre par le soir ou la pluie.

« Non, je suis arrivée ici en 1165. Sombrebois est rapidement devenue ma famille. »

L’immigrée gratte ensuite l’écorce d’un arbre pour en récupérer du lichen. Des lichens que la jeune femme a souvent récupéré pour faire des tisanes à la baronne afin de soulager ses nausées et autres désagrément de grossesse.

« Si vous le souhaitez, nous pouvons aller au temple et nous recueillir un moment avec cette herbe que je viens de ramasser. Cela nous ferait le plus grand bien. »

Elle lui sourit à son tour. Gudrun lui donne l’impression d’une personne déracinée en recherche de repères. D’une personne à mettre en confiance, d'une personne assez forte pour se reconstruire pleinement et s'intégrer. Oui, elle pourrait être un atout pour le bourg si elle s'en donne les moyens. L'important, c'est bien souvent de le vouloir.

Après un sourire mystérieux et un silence non moins étrange, Marie-Ange finit par accepter de la marier, d'un mot. Même si elle escomptait bien cette réponse, Gudrun était intriguée. Quel point avait donc fait hésiter son homologue sur un sujet qui lui paraissait pourtant si simple ? Avait-elle pris un ton trop dur ? Elle n'avait pourtant pas l'air si fragile... Il faudrait qu'elle fasse plus attention à la ménager à l'avenir. Si on avait chargé quelqu'un de surveiller son comportement ou ses croyances, c'était sans doute Marie-Ange, alors autant ne pas s'en faire une ennemie pour des broutilles.

Elle hocha la tête. Un bourg uni et heureux... Il lui semblait que ce fameux Hector et la période avant sa mort étaient bien trop idéalisées. Ce n'était pas réaliste. Libre à Marie-Ange de se voiler la face : la Fange ne pouvait s'oublier. Tant mieux pour elle si elle se sentait bien ici, mais Gudrun doutait fort de se sentir Morguestanaise un jour. Ces gens étaient trop étranges, désagréables et hypocrites. Et bien qu'Éric fût né ici, ce n'était sans doute pas lui qui allait la convaincre de la valeur de ses compatriotes.

- Oui, ne tardons pas à rentrer. Mais...

Elle hésitait, malgré le sourire encourageant de la jeune prêtresse. L'idée d'entendre Rikni la séduisait beaucoup ; mais si ce n'était pas aux signes de Rikni qu'elle devenait réceptive, mais à ceux du dieu corbeau ? Pourrait-elle dissimuler son trouble ? Arriverait-elle à mentir ? Elle n'avait jamais aimé ces herbes qui engourdissaient l'esprit ou faisaient dormir. Elle n'aimait pas perdre le contrôle de ses pensées et de ses actions. Elle choisit de retarder la décision.

- Commençons par rentrer saines et sauves. Vous me montrerez comment vous l'utilisez.

Elle termina de gratter le lichen, rangea son couteau, et entreprit de rebrousser chemin, marchant toujours prudemment, un pas après l'autre. Le soleil brillait toujours, mais elle n'était pas à l'aise.

- Sortez-vous souvent ainsi ? En dehors des murs, il semble que la vie ne tienne plus qu'à un fil... Je le ressens beaucoup plus douloureusement maintenant que ma jambe me retient de courir.

Oui, un pas après l'autre, comme toujours. Elle ne trouvait pas Marie-Ange très raisonnable de gambader ainsi, enjambant habilement les obstacles.

La migrante n’a pas dit non. Pas oui non plus, d’ailleurs ; elle reste sur sa réserve mais démontre tout de même un certain intérêt. Tant mieux. Marie-Ange approuve ; qu’elles rentrent déjà. Il leur serait bien difficile de faire quoi que ce soit en plein marécages.

« Vous verrez, c’est assez simple. A vrai dire, j’accorde plus d’importance au rituel. »

Mais Gudrun s’inquiète à nouveau de se retrouver hors de l’enceinte protectrice du bourg. Cette dernière a été terminée récemment, au plus grand bonheur de tous.

« Il faut bien continuer à vivre, lui explique-t-elle alors. Je sors à chaque fois que j’ai besoin de récolter des herbes. L’important est de rester prudent. De toute façon, si la Trinité décide de nous ramener à elle, il n’y a pas grtand chose à faire, et ce, où que nous soyons. Nul n’échappe à son destin… » »

Oui, de ne pas trop s’éloigner et de rester discret afin de se fondre dans le décors. Mais la crainte de sa comparse peut se comprendre aisément si celle-ci n’est pas en état de courir ; cela dit, qui peut bien réussir à distancer un fangeux ? Personne. Ils sont bien trop rapides…

Même si laisser ses compagnons se faire dévorer offre une excellente diversion qui laisse généralement le temps de s’éloigner assez pour être hors de portée immédiate. Espérons qu’aucune d’entre elle n’ait à en arriver là aujourd’hui…

« Ne vous inquiétez pas. Nous ne sommes pas bien loin du village. »

Les deux femmes arrivent d’ailleurs bien vite aux portes de Sombrebois et une fois au temple, Marie-Ange met un peu d’eau à bouillir.

« Ce sera bientôt prêt, si vous voulez boire une tisane. »

Au pire, la jeune femme pourra toujours la boire seule. Elle espère que Gudrun acceptera sans rechigner tout de même. Ce serait tellement plus simple. Elle observe l'eau qui commence à fumer légèrement. Il n'y a pas besoin de la faire bouillir à gros bouillon pour l'infusion, alors ce sera prêt dans quelques minutes.

« Comment êtes-vous devenue prêtresse ? Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette voie ? »

Toujours aussi mal à l'aise et concentrée sur ses pas, Gudrun ne prêta qu'une oreille distraite aux paroles de Marie-Ange sur le moment.

Elles finirent par arriver sans encombre au bourg, et se rendirent au temple où Marie-Ange mit de l'eau à chauffer, pendant qu'elle s'asseyait tranquillement à côté. La journée avait été riche en émotions, elle n'était pas sûre d'avoir envie de davantage de surprises. Mais Marie-Ange reprit la conversation, avec une question étrange à nouveau. Elle fronça les sourcils.

- Ce qui m'a... attirée ? C'est le devoir, bien sûr. En tant que benjamine, j'étais toute désignée pour embrasser cette voie. C'est le cas dans beaucoup de bonnes familles, même ici, me semble-t-il. Heureux hasard en vérité, puisque... Enfin, je m'éloigne du sujet. Pourquoi cette question ? Avez-vous eu... le choix ? Vous qui semblez croire au destin ?

L'eau était chaude... Et la décision ne pouvait plus être repoussée. Tant pis : peut-être que céder à la tentation, c'était céder à l'appel des dieux ? D'autant plus que Rikni était celle qu'elle avait la plus priée ces derniers mois... Et pourtant toujours aucun signe. Du moins, pas de signe qu'elle avait su voir. Peut-être que ce coup de pouce arrivait juste à temps ?

Elle attrapa deux timbales et servit l'infusion, en posa une devant Marie-Ange et se rassit, humant le breuvage fumant.

Il ne fait plus si froid, à présent que le printemps bvient de pointer le bout de son nez. Pourtant, il y a quelque chose d’assez froid dans ce petit temple. Peut-être que les pierres qui le constituent ont gardé le froid hivernal, ou bien encore est-ce l’austérité de ce lieu si sommaire et si sombre ?

Il y a quelque chose de hostile chez la nouvelle venue, mais quoi ? Marie-Ange analyse sa comparse, soupèse chaque mot, scrute chaque geste, même du coin de l’œil sans que Gudrun ne s’en rende nécessairement compte.

C’est comme si une simple question déclenchait chez l’immigrée une réaction de prudence, de méfiance. Une répartie de contre-attaque, comme si elle ne souhaitait pas que l’on lui pose la moindre question d’ordre privée. C’est donc en fronçant les sourcils qu’elle donne sa réponse, comme s’il s’agissait presque d’une offense.

Elle ne finit pas sa phrase mais pose une question dans une pirouette dont le but est visiblement de changer de sujet.

« J’ai grandi au temple, explique-t-elle seulement. J’ai trouvé ma voie assez facilement, de fait. »

Oui, Marie-Ange a été recueillie par le temple suite à la perte de ses parents. Il est facile, dans l’enfance, de se trouver une vocation et des réponses dans le cadre qui nous entoure. Gudrun sert l’infusion à toute deux, respire les agréables effluves fumantes.

Marie-Ange trempe directement ses lèvres dans le breuvage.

« Heureux hasard disiez-vous ? », relance la jeune prêtresse pour avoir la suite.

D’une façon ou d’une autre, elle doit réussir à se faire une opinion de la nouvelle venue et apprendre à la connaître. Dans l' absolu, c'est toujours mieux si cela se fait sans heurt. Mais sinon... il faudra bien faire avec.

Ainsi donc Marie-Ange avait grandi au temple. Son chemin à elle avait été tout tracé aussi dans un sens, ce qui la rendait un peu plus sympathique aux yeux de Gudrun. Peut-être arriveraient-elles à s'entendre et à se comprendre un jour. Elle imita la jeune prêtresse et but une gorgée. La chaleur de la boisson l'apaisa davantage, et elle commençait à se détendre légèrement quand Marie-Ange posa une nouvelle question. Un voile de tristesse passa sur ses yeux.

- Heureux hasard, puisque ma précédente union n'a jamais été bénie d'un enfant. Au moins ai-je pu me rendre utile autrement, au temple.

"Heureux" n'était vraiment pas le terme adéquat, mais les mots n'avaient jamais été son fort. Elle n'avait pas envie d'ajouter quoi que ce soit, ni d'y penser. Mais maintenant que le sujet avait été abordé...

- D'ailleurs, je... j'ai dit à Éric que je ne pouvais pas enfanter. Je crois qu'en acceptant sa demande en mariage, je lui fais un cadeau empoisonné, mais je n'ai pas la force d'essayer de l'en convaincre... Est-ce que vous croyez que j'offense Serus en faisant cela ?

Elle but une autre gorgée pour profiter de la chaleur engourdissante de l'infusion. Elle y avait beaucoup réfléchi. Mais elle n'arrivait pas à effacer ce petit doute qui persistait. Alors, même si cela lui en coûtait de demander conseil à une étrangère, peut-être qu'elle aurait un mot ou une phrase qui finirait de la décider sur la conduite à tenir.

Marie-Ange observe sa consœur au fur et à mesure que celle-ci se confie en buvant le breuvage. La jeune prêtresse, elle, en réalité, n’a fait que tremper ses lèvres sans réellement boire. Elle connaît l’effet de ces herbes. Elles sont idéales pour engourdir l’esprit et endormir la méfiance et parfois, en fonction du dosage, toute inhibition. L’idéal pour délier les langues... et parfois, l'esprit en oublie même ce qu'il se passe lorsque le dosage est trop fort.

L'assombrissement d'un nuage voilant le soleil plonge alors la pièce dans l'obscurité un instant. L’immigrée se montre émouvante avec son histoire. Alors c’est ça ? Des regrets, une tristesse dissimulée par une attitude presque austère à première vue. Chercher à se rendre utile. Mais ne s'est-elle pas perdue dans une voie qu'elle pensait pour elle ?

L’infortunée se révèle être stérile ; dure croix que voilà. Enfanter n’est-il pas le but, le devoir de chaque femme ? Gudrun a trouvé le sien ailleurs, logique en soit. Il faut bien combler le vide avec ce que l’on peut.

« Les Dieux ont leur plans, il nous faut les accepter. Si cet homme tient à vous épouser tout de même en connaissance de cause, vous n’avez pas à vous en vouloir. Où est-donc l’offense en ce cas ? Il est prévenu après tout, Il n’y a nulle tromperie de votre part. Et puis, ce n’est pas comme si c’était un mariage politique où l’héritier est important. Alors ne soyez pas trop dure envers vous même. »

La jeune prêtresse observe toujours aussi attentivement Gudrun de son air énigmatique.

« Fermez vos yeux, lui demande-elle. Que voyez-vous ? »

Un bon moyen de jauger sa comparse et l’effet du breuvage, sans doute. Mais de quelle façon ?

« La religion a-t-elle été un refuge pour vous ? Pensez-vous y avoir trouvé votre vocation ? Peut-être était-ce là la volonté de Sérus afin de vous ramener à eux… de vous éloigner de l’ombre qui vous guette. »

La jeune femme se rapproche légèrement de la rescapée afin de la dévisager gravement, son regard planté dans le sien. C'est le bon moment à présent que l'esprit est apaisée par la tisane, d’honnêtes confidences ne devraient pas trop difficiles à obtenir.

« Racontez-moi le rapport que vous avez avec chacun des Dieux, lui enjoint-elle avec fermeté, mais sans la brusquer pour autant. Ce que vous ressentez pour chacun d'eux. Pour trouver la sérénité, il vous faut être en paix avec eux, avec vous-même aussi. Tout va bien... Soyez sans crainte. Parlez librement, ils vous écoutent. En voulez-vous à Sérus pour votre infertilité ? »

Sa voix se fait monotone, calme, apaisante. Un brin autoritaire. Chacune de ses phrases sont prononcées lentement et bien articulées afin de l'inciter à répondre.

Citation :: Tu t'en doute, Marie-Ange a ~~très~~ légèrement droguée Gudrun, et elle en rajoute une petite couche avec l'hypnose. Gudrun sera donc bien moins méfiante, assez détendue, mais si tu veux, tu peux faire un rand sur ton endurance pour voir jusqu'où Gudrun peut tolérer sans se braquer et jusqu'où elle peut aller dans les "révélations" (encore que pour l'instant c'est assez soft niark niark) .

Gudrun sentait une petite boule de chaleur dans sa poitrine. Elle n'était pas d'accord avec Marie-Ange... Mais au lieu de la reprendre, elle se contenta de sourire à cette jeune prêtresse si naïve. Et puis, c'était tout de même réconfortant de savoir qu'au moins une personne ne la jugerait pas trop durement sur ce sujet. Elle sourit et reprit d'une voix douce.

- Oui... Ils ont leurs plans. J'ai peut-être correctement interprété les signes qu'ils m'envoyaient cette fois-ci... Et dire que j'ai failli passer à côté...

Elle ferma les yeux à la demande de Marie-Ange, se laissant bercer par ses paroles.

- Je vois... Une pièce, avec du feu qui craque dans la cheminée. Qu'est-ce... ?

Quel rapport avec Rikni ? Mais pourquoi pensait-elle à Rikni ? Elle ne s'en souvenait plus. La voix de Marie-Ange ramenait ses pensées sur d'autres sujets. Ses questions faisaient remonter des souvenirs pénibles, mais elle avait du mal à faire le tri entre ce qu'elle voulait garder au fond de sa mémoire et ce qui sortait de sa bouche. Elle se sentait étrangement en confiance et les mots coulaient hors de ses lèvres sans trop de difficulté.

- Un refuge ? Peut-être, à un moment. C'est vrai que... Ça n'allait pas très bien avec Einar les dernières années, alors j'ai... passé beaucoup de temps au temple. J'ai honte de le dire, mais je fuyais mon mari, et il ne le méritait pas. C'était un brave homme. Courageux, droit, et fier. Il voulait un fils vous savez ? Non, bien sûr que non... Oh, il n'était pas noble, mais sa famille aurait bien voulu. Il ne leur manquait que ça, un titre... Et puis, il y a eu le bateau... Le naufrage... Mais tout ça... Ce sont des choses passées. Même avant cette époque, les dieux... Je les ai toujours aimés. Non, je ne leur en veux pas, je ne pourrais jamais leur en vouloir. Ils ont leurs plans comme vous dites. Ils nous envoient parfois des signes que nous ne savons pas voir, ou des épreuves que nous ne comprenons pas, c'est vrai. Mais ils sont là... Alors oui, cela me rend triste, mais je ne leur en veux pas. C'est ainsi. Ils m'ont sauvée lors du naufrage, alors que j'aurais pu périr comme nombre de mes compatriotes, mais me voilà ! Est-ce bien, est-ce mal ? Je sais simplement que s'ils m'ont gardée en vie, c'est qu'ils ont des plans pour moi, et je leur en suis reconnaissante. Comment ne pas les aimer après ça ?

Elle venait de tenir le même discours qu'Éric, à peu de choses près. Pourquoi n'avait-elle pas pu le lui dire à lui à ce moment-là ? Étrangement, raconter tout cela ne la rendait ni triste, ni joyeuse. Elle se sentait comme engourdie. C'était une sensation agréable, mais quelque chose au fond d'elle trouvait cela dérangeant.

- Oui, nous avons tous une petite relation personnelle avec chacun d'entre eux n'est-ce pas ? Comme toutes les relations, je crois que cela évolue... J'ai beaucoup prié Anür pour la guérison de mes malades et de mes blessés ; j'ai supplié Serus de m'accorder un enfant ; j'ai demandé à Rikni d'accorder la victoire au combat à mon mari... Et...

Elle s'arrêta et fronça les sourcils. Elle parlait beaucoup d'elle. Si facilement... C'était étrange.

- Je n'ai pas parlé de ça à beaucoup de monde et je vous connais à peine... C'est moi qui écoute d'habitude, et je ne vous laisse pas parler... Je suis confuse. Simplement, aujourd'hui, je ne prie plus pour les mêmes choses. Et j'ai beau croire que chaque dieu a son importance dans l'ordre des choses, il m'arrive parfois d'accorder davantage d'importance à l'un d'entre eux en particulier... Ces derniers temps, je prie beaucoup Rikni. Et surtout... Je prie beaucoup pour moi-même.

HRP:

Petit à petit, la jeune prêtresse constate que les herbes font effet. La nouvelle venue semble se détendre doucement, du moins assez pour pouvoir se confier un peu. Ses traits se décrispent. Son visage se fait moins austère. Sans doute que sous cet air froid se cache un besoin de se fermer, de se protéger. Ce que Gudrun voit ? Un feu de cheminé crépitant. Une vision apaisante semble-t-il.

« Vos projets de fonder un foyer, lui a répondu Marie-Ange sans la moindre once d’hésitation. Que ressentez-vous à cette vision ? »

Elle a écouté attentivement son homologue lui fournir des explications. Les noms, les événements. L’ancienne amante du baron décédé ne va-t-elle pas trop loin ? D’un autre côté, ce n’est jamais trop loin lorsque l’on se soucie de la protection des siens. Cela dit, il y a des limites à ne pas franchir. Mais cette jeune femme en a dépassées beaucoup... Ça peu plaire, ou pas. Sans doute pour peu que l'on soit attiré par les personnalités un tant soit peu dérangeantes.

« Notre voie paraît souvent toute tracée, mais parfois, il ne tient qu’à nous de décider du chemin que l’on emprunte. Et c’est une excellente voie que vous avez prise. »

Elle écoute ensuite son interlocutrice détailler sa façon de percevoir chaque Dieu. Ses prières, ses suppliques, ses demandes. Marie-Ange retient son souffle à la fin du troisième, mais elle est déçue de voir Gudrun changer subitement de sujet. Tant pis… La jeune femme pense de toute façon avoir cerné le principal de la nouvelle prêtresse de Sombrebois, alors il n’est pas crucial de creuser de ce côté là.

« Même ceux qui écoutent ont parfois besoin d’être écoutés. Refermez les yeux. Voyez-vous Rikni ? Que vous dit-elle ? »

Après un petit silence, elle reprend, toujours sur le même ton lent et profond :

« Semble-t-elle bienveillante ? Offensée ? »

Et c'est alors qu'elle se risque à poser une étrange question.

« Votre époux perdu… vous aimeriez lui parler ? Que seriez vous prête à faire pour avoir cette chance ? »

Oui, cela peut paraître aberrant voir totalement inconvenant de dire cela à une femme qui va se remarier. Mais qui sait ?