Bercée par la voix de Marie-Ange, Gudrun prit une dernière gorgée, terminant son infusion. Elle soupira en serrant la tasse encore chaude entre ses mains.
- Fonder un foyer... J'aimerais, je crois. Je ne sais pas si c'est possible désormais. Ça ne me semble pas raisonnable, d'espérer une telle chose.
Un foyer, c'était un endroit sûr, un endroit avec une famille, avec des enfants.
Elle reporta son regard sur sa jeune collègue, avant de fermer les yeux comme elle le lui demandait. Voir Rikni... Des écailles reptiliennes se présentaient à son esprit, dévoilant petit à petit une femme au visage dur, se tenant la tête droite, et dont les yeux fiers la regardait. Elle avait l'impression que ces yeux la jugeaient, la sondaient au plus profond d'elle-même. Il n'y avait nulle part où cacher les sentiments qui l'agitaient. Mais ces sentiments, elle n'aurait voulu les lui dissimuler pour rien au monde : on ne ment pas à une déesse, surtout si celle-ci daigne s'intéresser à vous. Aucune parole ne sortit de sa bouche, et pourtant Gudrun pouvait ressentir un message.
- Je crois... Je pense qu'elle me dit... de continuer à lutter. Pour moi-même. Ou plutôt, pour ce qui est important pour moi.
Elle frissonna.
- Elle n'est pas offensée.. Ni bienveillante. Mais... Je pourrais en faire plus. Il suffirait de... Prendre des risques... Il faut avoir le courage de se battre pour ces choses-là, sans attendre son aide. Elle n'accorde pas la force à ceux qui ne se lancent pas.
Le visage à la fois dur et serein de la déesse la faisait se sentir à la fois honteuse de sa passivité, et désireuse d'en faire plus. Oui, cela lui donnait confiance en l'avenir. Elle devait garder foi en elle. Et agir pour elle. Elle était toujours aussi détendue, mais une nouvelle détermination prenait racine en elle, doucement mais sûrement.
Elle rouvrit à demi les yeux pour regarder Marie-Ange, avec un léger sourire.
- Avec Einar, nous ne parlions guère. Je n'ai rien de plus à lui dire qu'au moment où nous nous sommes quittés. Et puis, si je l'avais en face de moi... Cela voudrait dire qu'il est vivant. Que nous nous sommes retrouvés. C'est déjà assez douloureux de prendre la décision de me remarier, alors qu'il est peut-être encore en vie, quelque part ! Oh, j'ai bien conscience que les chances qu'il ne soit pas mort sont plus que minces. Et celles de nous revoir le sont d'autant plus. C'est grâce à Éric que j'ai fini par en accepter l'idée, à contrecœur. Je vous le dis, cette rencontre était un signe des dieux. Et je suivrai la voie qu'ils me montrent.
Oui, quand elle arrivait à décrypter les messages des dieux, tout semblait tellement plus simple. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas ressenti une telle sérénité.