Marbrume


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 Un mensonge en appelle d'autres

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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyLun 22 Nov 2021 - 22:46
Fière d’avoir été complimentée relativement à ses talents de distilleuse, Javotte affichait un sourire ravi qui étirait ses lèvres d’une oreille à l’autre. Malheureusement, cet air de satisfaction bienheureux ne faisait qu’accentuer l’aigreur de son faciès tout en crêtes et en arêtes saillantes. La paysanne était indubitablement laide. Elle possédait néanmoins un charme certain, un petit « je ne sais quoi » qui, tout simplement, la faisait paraître sympathique. Et ce n’était pas le fait de son langage aux expressions drolatiques, ni même celui de ses mimiques rocambolesques, non, Javotte avait ce trait particulier des gens qui, à défaut de posséder un physique parfait, vous offraient loisir de constater toute la beauté de leur âme.

Esmée l’appréciait alors sans mesure et malgré toutes les réticences de son père. C'était d'ailleurs et probablement pour cela qu’elle connaissait si bien ses défauts et qu’elle s’obligeait à tempérer ses propos souvent déplacés voire outrecuidants. Cette elle voulait d'autant plus intervenir qu'elle avait surpris et compris le soudain changement d'attitude du prêtre. Bien qu'elle ne puisse clairement l'affirmer, il lui semblait avoir noté un changement dans le ton et le timbre de sa voix.

- Les paroles de Javotte ont assurément dépassé sa pensée. Le Père Savatier n’a rien d’un faquin.
- Bah tiens ! C’sûr qu’c’est pas dans ton décolleté qu’il va s’pencher. Y’a rien à voir ! Bougonna-t-elle avant de rajouter d’un ton piqué d’amusement tandis qu’elle lorgnait vers Esmée et la chemise dont le col baillait ostensiblement. Quoique…

Suivant le regard de son amie, la jeune noble baissa les yeux sur sa tenue. L'embarras comme la surprise furent tels qu'elle en lâcha un piaillement gêné en même temps qu'elle lança son gobelet vers Javotte. Cette dernière rattrapa le récipient de justesse et tout en s'esclaffant, pointa du menton vers Cunégonde qui revenait avec une couverture.

- C'bon, t'vas p'vouar cacher c'qui doit pas êt'e vu !

Toute afférée à maintenir le vêtement récalcitrant fermé sur son buste, Esmée n'eut que le temps de relever la tête que déjà l'hôtesse lui balançait un couvre-lit par-dessus ses épaules. Elle ne put que subir cet assaut de tissu rugueux et batailla sans la moindre grâce pour garder chemise et couverture précautionneusement autour d'elle. Alors quand Cunégonde eut la brillante idée "d'inviter Amaury à rejoindre Esmée sous la couette", la noble n'était déjà plus en mesure de s'en offusquer. D'ailleurs, comment aurait-elle pu s'en fâcher ou pire s'y opposer, alors qu'il était probablement aussi gelé qu'elle ?

Aussi se contenta-t-elle de simplement rentrer la tête dans les épaules et de se faire aussi petite que possible pour ne surtout pas gêner à l'installation du prêtre. Elle se laissa emmitoufler avec lui par la vieille dame dans ce cocon trop rêche, mais agréablement chaud. Et se sentit rougir à l'instant où, chastement pressée contre lui, elle réalisa n'avoir jamais été aussi proche d'un homme.

Par chance, la remarque de Cunégonde - toute anodine qu'elle était - lui offrit un court instant de répit. À l'extérieur, le temps semblait en effet virer à la tempête et ce fait suffisait à l'amener vers d'autres préoccupations. Rester ici n'était pas envisageable... Pas quand elle avait promis de rentrer avant la tombée de la nuit.

Elle en était là de ses réflexions quand le prêtre reprit place à ses côtés. Avec un sourire contrit, elle le laissa s'installer à sa convenance, tout en veillant à ne pas laisser échapper le pan du couvre-lit qu'elle était chargée de garder entre ses doigts. Respiration bloquée et regard baissé, elle ressentait cette proximité avec bien trop d'intensité pour ne pas s'en sentir troublée. D'ailleurs, à l'instant où il se pencha vers elle pour presque chuchoter, un frisson dévala le long de son dos.
Lentement, ses yeux cherchèrent l'attache de ses prunelles, alors qu'elle se tournait à peine et seulement pour l'apercevoir. Tout en penchant légèrement la tête sur le côté, elle se redressa quelque peu et se faisant, frôla involontairement son épaule.

- Pardon...

Commença-t-elle, avant de mordre sa lèvre inférieure avec violence. De toute évidence, il serait difficile sinon impossible de ne pas demeurer aussi proche de lui, s'ils envisageaient de tenir une conversation tout en gardant le couvre-lit autour d'eux. Cependant et au fur et à mesure que cette proximité contribuait à l'envelopper d'une chaleur bienvenue, Esmée se sentait bien. L'alcool avait délié des saveurs nouvelles dans sa bouche et sur sa langue. Quant à son esprit, étrangement embué, il voulait lui donner l'impression de flotter alors qu'elle se trouvait persuadée de n'avoir jamais été plus lucide.

- J'ignore si ce projet a un avenir. Soupira-t-elle tout en avançant son visage pour poser le menton contre son bras. Pour l'heure il figure ce que ma pensée aimerait voir se réaliser. Un endroit où personne n'aurait à souffrir de la faim ou du froid. Un lieu d'accueil pour les déshérités et pour ceux qui, victimes de la Fange, ne peuvent plus vivre à Marbrume. Pourtant je m'interroge... Elle papillonna des yeux, le regard perdu dans le vide jusqu'à relever ses prunelles d'or vers son interlocuteur. Pensez-vous que les dieux aient pu vouloir nous punir avec la Fange ? Je ne peux pas croire que c'est là leur oeuvre... Mais si j'ai tort, quel avenir restera-t-il à ces gens ? Devons-nous les chasser et accepter de les voir persécutés ?


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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyJeu 25 Nov 2021 - 22:06

« Un mensonge en appelle d’autres »
La rudesse de la couverture sur ses épaules, son ventre vide accueillant passablement mal cet alcool trop fort qu’il n’avait pas l’habitude d’ingurgiter, le tambourinement à l’intérieur de son crâne et un appesantissement généralisé malmenaient le prêtre et le sourire qu’il s’efforçait de conserver. Afin de préserver le peu de contenance que ne lui avaient pas encore ôté les derniers évènements et ce rapprochement inconvenant vis-à-vis de cette jeune femme – noble de surcroît –, Amaury respirait profondément, les yeux fermés. Il tâchait ainsi de se recentrer et d’apaiser peut-être les tourments qui l’assaillaient.

— Ce n-n’est rien, murmura-t-il en rouvrant les yeux, lorsque sa compagne d’infortune s’excusa de l’avoir effleuré.

Des deux, elle était probablement la plus incommodée, même si elle n’en montrait rien, une fois de plus. À ce constat, le prêtre perdit son timide rictus et s’en voulut aussitôt d’avoir cédé à l’autorité de Cunégonde.
Une femme du rang d’Esmée ne devrait pas souffrir du froid, endurer le poids d’une couverture aussi inconfortable ou la proximité d’un homme du peuple dont elle ne savait rien. Dans un froncement de sourcils, il se ramassa un peu plus sur lui-même. Ce faisant, Amaury escomptait se réchauffer plus vite, pour mieux s’éclipser et ne plus importuner la demoiselle.

— Il est n-normal de dout-ter, admit-il finalement, les yeux rivés sur un défaut dans le plancher, les Dieux incarnent la perfection, et s’ils nous ont créés, nous ne sommes malheureusement pas à leur image. C’est de cette imperfection que naissent nos torts, les maladies, et probablement la Fange, poursuivit-il avant de remuer doucement la tête de gauche à droite, je ne peux imaginer un seul instant notre Mère nous punir pour un mal quelconque. En tous cas pas de cette façon. Certaines morts... débuta-t-il en baissant d’un ton, cependant que ses yeux se levaient brièvement sur Cunégonde, apparemment occupée à discuter avec Javotte, certaines morts restent hors de notre entendement et parce qu’elles ne sont pas à la portée de notre compréhension, elles engendrent de la colère. Si cette ire est intelligible, elle ne saurait remettre en cause la volonté d’Anür qui, en tant que Mère, n’aspire pas à la souffrance de ses enfants. Nous sommes mortels et faillibles. C’est ainsi qu’Elle nous a voulus, et le lui reprocher serait faire preuve d’impertinence et d’ingratitude. Bien que douloureuse pour ceux qui survivent, la mort constitue une fin logique. Celle à laquelle toute chose est destinée.

L’imperfection des hommes. C’était à cela qu’Amaury s’était raccroché depuis toujours, pour excuser certains gestes hors de sa perception. L’abandon de sa mère, d’abord. Les sévices de ses tuteurs, ensuite. Les moqueries des autres enfants, enfin. Lui-même était un monstre de tares. Comment pourrait-il blâmer autrui ?

— La Fange est contre nature. Elle relève les morts, engendre une existence distincte de celle que poursuivait l’être originel pendant sa vie, comme si… une chose différente s’éveillait en lieu et place du défunt. Elle va à l’encontre du rôle d’Anür et la prive de l’opportunité d’accueillir des âmes qu’elle a pourtant façonnées. Comment Anür pourrait-elle se trouver à l’origine de telles abominations, qui la contredisent dans leur essence même ?

Son froncement de sourcils s’accentua et un soupir franchit la barrière de ses lèvres.

— Je ne comprends pas pourquoi les victimes de la Fange sont aujourd’hui bannies. Elles souffrent déjà de cette marque laissée par les monstres, et voilà que leurs semblables leur en apposent une autre sur l’avant-bras, déplora-t-il dans une moue navrée, à leur mort, ces hommes et ces femmes représenteront un danger, mais… Ils devraient au contraire être aidés et soutenus, non pas poussés hors des remparts avant leur trépas, comme si… comme s’ils n’étaient plus dignes d’être considérés comme des êtres humains, réalisa-t-il, le regard dans le vague, plus humains, mais pas tout à fait Fangeux. Tolérés, mais loin de la cité.

Amaury n’avait jamais compris l’idée même du bannissement. Si le criminel devait être puni à la hauteur de son méfait, l’exclusion des murs de Marbrume lui semblait trop souvent irréfléchie et inadaptée. Il ne fallait néanmoins pas se leurrer : le prêtre concédait volontiers une part d’ombre et de lumière en chaque individu, mais était convaincu de la nécessité de préserver un équilibre parfait et constant par tous moyens.
De fait, il ne voyait aucun mal à pendre ou décapiter l’être qui se serait livré au meurtre, ni à écarteler celui qui, par sa perversion, aurait causé de longues et atroces souffrances à une ou plusieurs victimes. En somme, le jeune homme estimait que le châtiment devait être proportionné à la transgression commise et la reproduire, d’une certaine manière, à l’encontre de son auteur.
Cette conception ne suffisait pourtant pas à le persuader des bienfaits d’un bannissement, alors que c’était prendre le risque d’engendrer toujours plus de Fangeux.

Contester cet état de fait, discuter la réglementation en vigueur, c’était néanmoins s’opposer au roi. De là à ce que se profile un crime de lèse-majesté, il n’y avait qu’un pas.
Et soudain, Amaury se souvint du rang de son interlocutrice, baissa davantage la tête, renoua avec un bégaiement dont il s'était momentanément libéré.

— P-pardon. J-je ne d-devrais pas rem-mettre en question les ch-choix de n-notre souverain, estima-t-il sans oser lever les yeux, s-ses décisions sont hors de mon ent-tendement.

Pourtant, ce projet de refuge ne s’opposait-il pas, lui aussi, à l’entreprise de sa majesté ? En offrant une deuxième chance à ces réprouvés, que l’ancien duc lui-même leur avait refusée en préférant les exiler par-delà les murs, cette jeune femme ne risquait-elle pas de s’attirer les foudres de son monarque ?
Peut-être son rang le lui permettait-il. Ou peut-être était-ce une idée soufflée par le roi lui-même, au titre de l’une de ces intrigues politiques qu’il comprenait si mal, trop sincère qu’il était.

— Q-quoi qu’il en soit… Je t-trouve votre projet t-très beau, m-même s’il s’exp-pose aux m-médisances. L’ignor-rance et la p-peur poussent parfois les g-gens à commettre des er-reurs qu’ils n’auraient pas faites en d-d’autres circonstances.
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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyVen 26 Nov 2021 - 21:56
Un nouveau soupir glissa entre les lèvres de la jeune noble. Un souffle silencieux et seulement chargé de ses regrets. En d’autres circonstances sans doute, ou peut-être en d’autres temps, aurait-elle été capable de le retenir. Aujourd’hui et à tout jamais marquée par ce que la Fange lui avait dévoilé de ses horreurs, elle pensait comprendre le malheur avec bien trop de justesse pour ne pas s’en sentir affectée. Le Fléau inarrêtable, l’ordre social chamboulé sinon brisé, les croyances malmenées par la peur et le chagrin, toutes ces choses qui faisaient leurs vies, et les fondements de leurs existences n’étaient plus que des vestiges d’un passé pourtant proche. Alors, s’il était normal de douter, il lui arrivait parfois de tout remettre en question. Les paroles du prêtre n’en demeuraient pas moins sensées, réfléchies et indéniablement sages. Elles témoignaient d’une pensée éclairée, sinon lucide, mais aussi et surtout d’une intelligence fine, aiguisée par l’étude.

Penchant la tête sur le côté, Esmée laissa son regard s’échapper vers l’âtre et se perdre dans les flammes dansantes du feu devenu plus vif. Le temps lui semblait loin, celui où elle s’impatientait d’enfin pouvoir faire son entrée dans le monde. Quand elle passait le plus précieux de ses jours à seulement parfaire ses gestes afin de les rendre admirablement gracieux. Quand elle n’avait d’autre crainte sinon celle de rater un insignifiant pas de danse. Quand son seul souci consistait à apprécier l’étoffe et la découpe d’une robe qui devaient sublimer sa silhouette. Aujourd’hui, depuis qu’ils avaient choisi de vivre à Usson dans l’ancienne propriété des Choiseul et depuis qu’elle admettait l’inconsistance de ses anciennes inquiétudes, elle avait ce sentiment d’avoir déjà vécu toute une autre vie. Alors son ton, sans doute, s’empesa d’un peu de nostalgie tandis qu’elle murmurait ce constat d’une voix dont le timbre se faisait morose.

- La Fange a emporté ma mère et mes deux frères. Je n’ai eu de cesse de prier Anür et les Trois pour qu’ils n’aient pas eu à rejoindre les rangs des monstres nés du Fléau. Mais… Sa bouche se plissa légèrement, tandis qu’elle pinçait sa lèvre inférieure entre ses dents. Certaines réalités sont malheureusement irréfragables. Elle se redressa légèrement et reporta toute son attention sur le Prêtre. Même si elle est contre nature, la Fange existe et il nous faut apprendre à vivre avec elle, avec ses abominations et ses cruautés. Vous avez raison, bien évidemment. Les Trois et plus particulièrement Anür ne peuvent être à l’origine de la Fange. Cependant, si je m’accorde avec vous pour dire que les Dieux nous ont créé imparfaits et que la Fange est née de ces imperfections… Commença-t-elle avant d’esquisser un énigmatique sourire. Certains pourraient prétendre qu’ainsi ils ont indirectement contribué à l’apparition du Fléau. Non ?

Esmée avait conscience de ce que son propos pouvait amener de controverse. Il frôlait le blasphème et cela d’autant plus qu’elle s’osait à jouer sur les mots. Jamais, à la Cour, elle ne se serait permise une telle incartade et à être parfaitement honnête, elle n’aurait très probablement pas lancé un tel débat si l’alcool n’avait pas aidé à délier sa langue. Prenant soudainement conscience de cette évidence, la jeune femme papillonna des yeux avant de poser sa main libre sur l’avant-bras du Prêtre. Se faisant, elle en oublia le couvre-lit qui en profita pour échapper à son emprise. Il coulissa dans sa nuque, lui arrachant un nouveau frisson alors que le rugueux de sa toile glissait sur sa peau tendre. Ce contact désagréable, l’amena très rapidement à reconsidérer l’impétueux de son geste d’excuse.

- Certaines choses sont au-delà de notre entendement à tous. Ses doigts se replièrent pour disparaître dans le creux de sa paume, avant qu’elle ne reprenne son office en remontant la couverture sur son épaule. Gageons alors que les Dieux ont seulement souhaité nous rendre faillibles pour que nous puissions éprouver notre foi avec plus d’ardeur. Un timide sourire glissa sur ses lèvres. Notre souverain, sans aucun doute, a conscience de ce que ces questions nous obligent à prendre des décisions parfois difficiles. L’ignorance et la peur sont effectivement sources d’erreurs… Mais elles sont aussi des outils. Elle avait ajouté ces derniers mots dans un chuchotement résigné.

Sigfroi de Sylvrur était un homme ambitieux et intelligent. S’il avait choisi de bannir les mordus, c’est qu’il y avait vu un, sinon plusieurs avantages. Cette décision tout particulièrement incisive devait sans aucun doute témoigner de la fermeté du pouvoir en place. Elle devait aussi démontrer la force, les convictions et le courage d'un homme prêt à tout pour la sécurité des honnêtes gens. Un homme qui devait faire ses preuves en tant que nouveau Roi. C'était alors de ces manoeuvres politiques habiles que de sacrifier une minorité détestée et crainte pour contenter une majorité suspicieuse et effrayée. En cela fallait-il également saluer l'initiative comme un coup de génie, puisqu'il frappait au ventre d'une population affamée en la délestant d'un autre lot de bouches à nourrir.

- Ne vous excusez pas d'avoir un avis à défendre et une opinion à faire valoir. C'est en cela que vous accomplissez l'oeuvre des Trois. En tant que Prêtre vous êtes l'un de leurs représentants. Un guide pour ceux qui, probablement comme moi, s'estiment parfois perdus.

Elle avait baissé les yeux et son regard s'était inévitablement porté vers sa cheville. Sous le tissu, soigneusement cachée par quelques bandages, la morsure d'un fangeux la désignait comme l'une de ces nouveaux bannis. Peu de gens connaissaient son secret. À Usson, depuis la mort de la prêtresse qui l'avait soignée, ils n'étaient plus que trois à être au courant.

- Je vous ai entendu, tout à l'heure, lorsque vous discutiez avec Cunégonde. Vous parlez effectivement avec le coeur. Les personnes capables d'une telle chose sont devenues trop rares. Ramenant ses jambes vers elle pour les enrouler dans ses bras, elle finit par poser son menton au sommet de ses genoux. Je vois les Fangeux comme ce qu'il y a de plus laid en nous et je crois qu'un monstre sommeille en chacun de nous. Vous parlez d'équilibre et j'imagine cette bête tapie dans nos entrailles, avide et affamée. Un monstre qui se nourrit de nos mauvaises actions, de nos craintes et de toutes nos faiblesses. Et la mort survient, que le divin de notre vie s'éteint, ce monstre gavé de nos propres pêchés s'éveille pour semer le chaos.

Après un court silence, elle tourna la tête vers lui posant sa joue au creux de son coude.

- Les gens de bien sont précieux. Ils sont notre dernier rempart contre ce monde qui, aujourd'hui, ne nous promet plus que la mort ou le silence… Alors peut-être que la première chose à faire est de pousser un cri de révolte ? Peut-être faut-il seulement oser faire ce qui est juste et avoir simplement le courage d'agir ? Parce que la terreur et la fatalité sont faites pour moitié au moins de l’inertie... Elle laissa filer un petit rire, surtout pour atténuer le séditieux de sa pensée. J'imagine que je vous fais l'effet d'une idéaliste trop naïve. Néanmoins, je crois qu'il est important de protéger ce qui nous différencie de l'abominable et s'il y a dans le monde une seule personne qui pense comme moi, j'aimerais qu'elle puisse me convaincre que c'est là ce que les Trois attendent de nous.

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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptySam 27 Nov 2021 - 12:00

« Un mensonge en appelle d’autres »
Amaury avait écouté la jeune femme avec attention, analysé chacune de ses paroles, réfléchi à chacune des questions émises en saluant leur pertinence. À n’en pas douter, Esmée avait bénéficié d’une éducation de qualité, en mesure de lui apporter les outils nécessaires à la compréhension du monde qui l’entourait – probablement d’une manière plus incisive encore que ce qu’il avait pu appréhender au gré de ses voyages.

— Je s-suis navré, pour votre m-mère et vos f-frères.

Même s’il ne s’agissait que d’un murmure, le prêtre n’en était pas moins sincère. Il ne pouvait cependant qu’imaginer le mal engendré par une telle séparation, à défaut de l’avoir connu ; qu'esquisser la virulence de la douleur, en songeant au jour où il perdrait l'unique famille qu’il possédait encore.
Fuir toute forme d’affection et demeurer seul, était-ce là, la clé du bonheur ? Vouer son existence aux tiers sans jamais ressentir quoi que ce soit pour eux ? En serait-il capable ? Pourrait-il se protéger des souffrances que la mort de Cunégonde, qu’il connaissait pourtant si peu, insufflerait en lui ? N’éprouverait-il pas une pointe de tristesse et de désarroi s’il devait apprendre la disparition de Javotte ou d’Esmée ? Qu’adviendrait-il de lui s’il lui suffisait d’une discussion autour d’un verre d’alcool pour s’attacher ne serait-ce qu’un peu ? Le Père Harold l’avait-il préservé de cet autre fléau, jusque-là, en agissant au premier plan ?

— La plupart du temps, les gens se contentent d’affirmations sans jamais questionner. Leur dire que les Trois ne sont pas à l’origine de cette calamité leur suffit, tant cette assertion les rassure, quoiqu’elle ne les convainque jamais vraiment, admit-il dans un soupir silencieux, rares sont ceux qui, comme vous, songent à cette potentielle conséquence indirecte… Mais peut-on blâmer une mère pour les torts que son enfant, devenu adulte, commettra ? On ne pourra éventuellement lui reprocher que de lui avoir inculqué de mauvaises valeurs. La cause originelle du problème n’en restera pas moins la naissance même d’un monstre honni. Néanmoins, comme je vous l’ai dit, désavouer cette femme pour la vie qu’elle a donnée serait faire montre d’impertinence et d’ingratitude. Plus encore s’il s’agit d’une déesse... précisa-t-il dans un sourire pâle, qu’il s’agisse d’enfants ou d’actes, on ne sait jamais vraiment quelles conséquences ils emporteront sur le long terme.

Amaury n’était pas de ceux qui se contentaient d’affirmations, aussi avait-il abouti aux mêmes interrogations lorsqu’il avait questionné l’origine de la Fange. L’analyse d’Esmée ne l’avait donc ni surpris ni pris au dépourvu, contrairement aux développements qui avaient suivi.

À ces pensées et sans le réaliser, la main qui tenait jusque-là le couvre-lit se décala sur son avant-bras, à l’endroit même où s’était empreinte dans ses chairs une morsure à la fois brûlante et glacée. Le geste esquissé par la jeune noble, fugace, avait été la source d’un inévitable rosissement de ses joues, d’innombrables fourmillements dans ses membres et d’une certaine tension dans le haut de son dos. Amaury s’était imperceptiblement redressé et son échine s’était sensiblement raidie, au passage d’une décharge aussi vive qu’éphémère.

Il balaya ce souvenir d’un froncement de sourcils, réajusta la position de la couverture pour ne pas exposer leurs épaules au froid ambiant, toutefois en passe d’être chassé par l’ardeur de l’âtre.

— J’ai toujours imaginé la Fange comme une sorte de maladie. Pas de celles qui emportent, mais de celles qui relèvent. Pas de celles qui affectent du vivant, mais de celles qui s’insinuent après la mort. Elle altérerait alors l’existence même du défunt, qui ne serait plus lui-même. C’est… sans doute absurde, cependant, concéda-t-il dans un mouvement de tête, si ce que vous dites est vrai, si la Fange est... en chacun de nous, à s’enorgueillir de nos méfaits, pourquoi ces monstres sont-ils apparus si récemment ? Je ne puis croire que nous péchions plus que nos ancêtres et je ne crois pas non plus, malheureusement, que les plus mauvais d’entre nous soient les seuls affectés, lorsque vient leur mort.

Une fois de plus, le prêtre sentit les muscles de son dos se contracter, sans qu’un contact épisodique avec Esmée en soit cette fois la cause.
Il avait toujours eu l’impression tenace d'être l'hôte d'une malédiction, sans pouvoir l’identifier. Une part obscure dont il ignorait tout et qui contribuait inévitablement à l’effrayer. Quoi qu’il fasse pour la chasser, elle demeurait, comme un poids sur ses épaules, désireux de le pousser à la faute, à choir, à s’enliser, à se perdre et à s’oublier.

Ce pan de lui-même, qu’il savait exister sans le comprendre, était-ce la Fange ?

La peur viscérale qui le tenaillait invariablement – celle de ne pas se connaître, d’être capable du pire sans en avoir seulement conscience – s’éveilla alors. Elle le réchauffa si vivement que le poids de la couverture et la chaleur du corps d’Esmée devinrent soudain insupportables.
Souplement, il se déroba. Si vite, si agilement que son mouvement fut à peine perceptible, froissa tout juste l'étoffe, cependant qu’il en ramenait le pan dont il avait la charge sur l’épaule de la jeune femme, afin de préserver son modeste confort.

— J-je vais m-mieux. M-merci.

Assurément, Amaury n’avait plus froid, comme en attestaient les quelques perles de sueur sur son front, mais prétendre qu’il se portait mieux paraissait excessif.
Ses terreurs, d’ordinaire propices à l’éveil lorsqu’il se trouvait seul et s’apprêtait à gagner le domaine des songes, le saisissaient cette fois au pire moment. En un lieu et en un instant où il ne pouvait rien faire pour lutter contre elles. En un lieu et en un instant où on l’astreignait à l’inertie.

Son regard clair chercha en vain une issue. La bâtisse était trop exiguë pour lui garantir l’isolement dont il avait besoin et la tempête le maintenait à l’intérieur, au cœur d’une attention que ses mouvements avaient attirée. La résignation fléchit ses genoux, le poussa à s’accroupir lentement au pied de la noble, cependant que ses doigts glissaient sur la couverture qu’il n’avait toujours pas lâchée, comme s’il s’agissait là de tout ce qui le rattachait encore à la réalité.

— J-je ne suis pas un guid-de, Madame, murmura-t-il, la tête basse, je c-crois en ce que je d-dis, mais j-je ne suis s-sûr de rien. C-certaines choses sont au-d-delà de notre ent-tendement à tous. J’essaie de c-comprendre le m-monde d’aujourd’hui, de r-restituer la parole des d-dieux, mais… je s-suis aussi perdu que l-les autres. Il n-n’y a qu’en les T-Trois et en ma foi qu-que je ne d-doute pas.

Les limbes qui menaçaient de l’engloutir paraissaient d’autant plus perceptibles qu’elles altéraient son élocution alors même qu’il évoquait les déités.

— V-vous êtes courageuse et s-sensée, Madame. Et, quoique vous p-prétendiez, je décèle de g-grandes certit-tudes dans vos pa-roles et d-dans vos actes, jaugea-t-il en relâchant enfin le couvre-lit, vous êtes adm-mirable. Aussi, s-s’il est un cri qui d-doit être pouss-ssé, le v-vôtre sera entendu des T-Trois. J’en suis conv-vaincu, affirma-t-il en marquant une pause, à p-présent, v-veuillez m’excuser, je vous p-prie.

Amaury se releva avec lenteur, s’inclina respectueusement devant la jeune femme, sans oser porter son regard sur elle, puis se détourna pour s’éloigner du foyer et s’approcher au contraire d’une fenêtre, sous l’œil étonné de Cunégonde.

Reflet des inquiétudes du religieux, au-dehors, la tempête semblait peu encline à s’apaiser.
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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyMer 8 Déc 2021 - 14:53
Son premier réflexe avait été d’esquisser un geste pour le retenir mais, c’eut été déplacé et tout particulièrement inconvenant. Esmée s’était donc contentée de baisser les yeux pour acquiescer, tandis que le prêtre prenait poliment congé. Si Cunégonde et Javotte lui avaient lancé quelques regards curieux voire interrogatifs, elle n’avait pas souhaité ajouter au malaise qui voulait lui dire sa culpabilité. Il était évident qu’Amaury avait fui sa proximité, sans doute parce qu’elle l’avait embarrassé sinon indisposé. Alors elle avait simplement ignoré leurs œillades pour se concentrer sur le feu qui continuait de crépiter dans l’âtre. Ainsi versée dans une contemplation méditative, elle se remémorait ses paroles.

Elle avait noté un changement dans son discours, dans sa manière d’exprimer ses pensées, ses convictions et ses doutes, mais elle n’avait pas su réagir. Pas même lorsqu’il s’était crispé pour se préserver de son contact. C’était pourtant évident. À croire que son père avait définitivement raison quand il voulait la mettre en garde sur ce que sa « nouvelle » nature pouvait engendrer de malaise, même inconscient. Plus humain, mais pas totalement fangeux… Alors qu’était-elle donc devenue ?

Elle pinça les lèvres comme pour contraindre son mal imaginaire à demeurer silencieusement tapi en elle. Malgré le feu qui continuait de brûler dans la cheminée, malgré la couverture restée sur ses épaules, un froid terrible s’insinua en elle. L’alcool aidant probablement à exacerber son mal-être, elle se recroquevilla presque entièrement sur elle-même. Elle n’était ni courageuse, ni sensée. Elle avait seulement eu la chance de bien naître et s’était sentie à ce point privilégiée et au-dessus de tout, qu’elle en était venue à se croire intouchable. Si elle était admirable, ce n’était que parce qu’elle avait souhaité être admirée. D’ailleurs, une fois de plus, elle s’était montrée trop égoïste pour seulement tenir une conversation ordinaire. Persuadée qu’elle était que tous n’existaient que pour aider à son mieux-vivre, elle n’avait pas pensé – pas même une seconde – que son discours pourrait paraître irrespectueux.

Même en ayant souhaité rendre ses réflexions métaphoriques, ces dernières frôlaient l’outrageant. Pourtant, Esmée ne se sentait pas proche de ces courant émergeants qui prônaient l’avènement de la Fange ou l’existence d’un quatrième dieu. Comme tout le monde, après le naufrage du Firmament, elle avait entendu parler de la Quatoria et de ces réfugiés Hendoriens qui priaient les Trois, mais également Étiol, le Seigneur des Limbes et de la Corruption. Certains affirmaient alors qu’Étiol était à l’origine de la Fange, qu’en tant que rival d’Anür, il accueillait dans son domaine les esprits des défunts les plus vils et que sur son territoire, ces derniers conservaient leur forme physique. Se pouvait-il alors qu’Étiol soit le Quatrième Dieu d’un panthéon jusque-là incomplet ? Aurait-il pu créer la Fange seulement pour punir une humanité qui l’avait oublié et qui donc, ne le vénérait plus ? Et… Prétendre que la Fange se trouvait en tout être humain, ne revenait-il pas à donner de la consistance à ce mythe ?

Elle baissa un peu plus la tête, honteuse de s'être aussi tristement illustrée alors que les paroles de son père lui revenaient en mémoire. Elle était trop jeune, trop inexpérimentée, sottement immodérée et tout bonnement inconsciente. Sur un soupir, elle s'osa cependant à relever les yeux. Javotte avait fini par se lasser et en était revenue à sa conversation avec Cunégonde. Quant à Amaury, toujours debout devant l'une des rares fenêtres de la fermette, il demeurait immobile.

Esmée ne pouvait décemment pas concevoir qu'un prêtre puisse être perdu. Pourtant, à l'observer ainsi à la dérobée, elle lui concédait cette idée qu'il puisse parfois se sentir isolé. Mais, n'était-ce pas alors un choix ? Son travail d'enlumineur, son défaut d'élocution à l'apparition chaotique, son affectation à Usson... Tout confinait à cette idée qu'il puisse ne pas se sentir l'âme d'un meneur. Peut-être n'avait-elle que plus sévèrement enfoncer ce clou en le comparant à un guide. Depuis toujours elle avait cette conviction que les prêtres étaient les seuls détenteurs de la vérité. Cependant, lui-même disait seulement essayer de comprendre le monde d'aujourd'hui... L'idée terrible qu'elle ait pu, avec ses folles idées, tourmenter la saine pensée d'un disciple des Trois l'amena soudain à écarquiller les yeux. Par Anür... Elle devait s'excuser.

L'embarras acquis jusqu'au bout de ses doigts, elle ramena une mèche de ses cheveux encore humides derrière son oreille. Courageuse qu'il disait... Tout en se mordant la lèvre inférieure, elle étouffa un petit rire de gorge espérant surtout ne pas attirer l'attention des deux femmes qui continuaient de tranquillement converser. Puis, lentement, elle déplia ses jambes pour discrètement se remettre debout. À pas feutrés, elle glissa plus qu'elle n'avança vers le prêtre toujours debout devant la fenêtre. Ses bras enroulés autour d'elle pour tenir la couverture sur ses épaules, elle s'approcha ainsi et jusqu'à presque se trouver à sa hauteur.

- Si mes paroles vous ont offensé, je vous présente mes plus plates excuses. Je n'ai pas souhaité vous mettre mal à l'aise. Elle avait murmuré pour que cette confession lui soit exclusivement réservée et se faisant, avait relevé son visage vers lui. Je manque de discernement et me laisse souvent emporter par mon imagination. Vous avez assurément raison. La Fange ne peut être qu'une mala...

Laissant sa phrase abruptement en suspens, elle se figea. Les membres tétanisés et la respiration coupée, elle pâlit tandis qu'une expression affolée s'imprimait sur son visage. Son regard glissa précautionneusement sur le côté, vers cet endroit au-dehors où elle avait cru capter un mouvement. Au tressaillement des lèvres, suivit le tremblement de ses doigts qui en vinrent à lâcher le couvre-lit. Ce dernier échoua mollement sur le sol alors que Javotte se redressait presque d'un bond. Il ne lui fallu pas longtemps pour comprendre ce qui avait si soudainement effrayé son amie.

- Esmée ?! Esmée ! ... Pichate ed’baudet ! Lança l'Ussonienne tandis qu'elle sautait sur ses jambes. Faut qu't'éteind l'feu Cunégonde ! Toi l'bigot ! Viens m'aider... Elle fit signe à Amaury tandis qu'elle entreprenait de pousser la table vers la porte d'éntrée. Va alloir s'barricader. Esmée, reste pas al'f'nêtre ! C'est t'y pas l'moment d'rêvasser.

L'affolement dans la voix, elle avait froncé les sourcils en constatant que son amie ne réagissait pas, malgré ses injonctions. Pour autant, elle ne voulait pas clairement nommer ce qui rôdait vraisemblablement à l'extérieur. L'identifier trop clairement ne pouvait que lui donner plus de force quand il suffisait déjà d'imaginer le pire à venir.

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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptySam 11 Déc 2021 - 12:08

« Un mensonge en appelle d’autres »
Les déclinaisons de blanc et de gris donnaient presque corps au blizzard. Inconsciemment, les iris céladon du prêtre suivaient les bourrasques, les tourbillons erratiques de flocons qui auraient pu paraître beaux s’il leur avait accordé la moindre attention.
Seuls ses doigts trop fermement crispés sur ses bras trahissaient son trouble, qu’une figure lisse niait pourtant. Rien ne semblait jamais transparaître chez lui, comme si tout demeurait au-dedans. Était-ce cette manie de tout intérioriser qui l’avait conduit là où il se trouvait aujourd’hui ? Était-ce parce qu’il n’avait jamais protesté contre les coups donnés qu’ils avaient redoublé ? Contre les moqueries assénées qu’elles s’étaient multipliées ? Contre les aspirations non partagées qu’il se trouvait à présent prisonnier ? Endurait-il parce qu’il était bon, ou parce qu’il était faible ? Par nonchalance ou par abnégation ? Pourquoi endurcir son corps, si son esprit restait si médiocrement manipulable ?

Ces pensées altérèrent le masque de marbre posé sur son faciès, inspirèrent un froncement de sourcils, raidirent ses mâchoires, embrasèrent la peau de son dos, qui n'appelait plus qu’à la sentence.

Amaury n’aurait su dire ce qui, de l’air glacé s’insinuant par la modeste fenêtre, ou de la douceur incarnée par la présence désormais toute proche d’Esmée, mit un terme à ses questionnements. Quel que soit le responsable, il chassa les malheurs du prêtre, et força un sourire que les paroles de la noble achevèrent de figer.

Trop conscient de ce que son départ aurait pu être interprété comme une fuite puisant sa source dans les propos de la demoiselle, le religieux avait pris la peine de clore leur conversation avant de s’écarter. Il avait ainsi espéré que la jeune femme ne s’estimât pas l’instigatrice de son éloignement – car c’était bel et bien le cas : s’il s’était isolé, ce n’était que parce que ses propres terreurs l’y avaient poussé. Le fait qu’elles aient resurgi au cours de leur échange verbal importait finalement peu.
Ici comme ailleurs, il avait cependant échoué, astreignant son interlocutrice à des excuses insensées. Le sourire qu’il arborait trahissait alors autant de remords que de désarroi.

Il fondit en même temps que les dernières paroles d’Esmée périrent sur ses lèvres.

Alors que, peu avant, la brûlure de la honte, attisée par l’alcool, l’avait étouffé de l’intérieur, la froideur de la peur explosait désormais au creux de ses entrailles, à l’instant de capter cette silhouette vaporeuse dans la tempête.
Trop loin pour en distinguer les contours exacts. Trop proche pour ne pas exciter cette crainte que tout habitant connaissait à présent – celle d’être confronté à la mort incarnée, qui rôdait dans les landes, se terrait dans les marais, envahissait l’humanité pour l’éteindre.
Gelé au plus profond de son être, Amaury avait renoué avec la réalité, éprouvait de nouveau ce que ses yeux discernaient. Et tandis qu’il ne voyait précisément plus rien, l’absence accentuait paradoxalement l’épouvante ressentie.

L’appel de Javotte lui rendit une respiration qu’il avait instinctivement retenue, rétablit les bribes de conscience qu’il lui restait. La paysanne avait raison : ils devaient se protéger, se dissimuler. Si l’ombre esquissée était bel et bien la figure du Mal, ils devaient fuir et prier les Trois.

— Madame !

En pleine possession de ses moyens, le prêtre ne put que constater combien la jeune femme demeurait figée par l’horreur. Il n’y avait pas une parcelle de son corps qui ne trahissait pas la crainte, que ce soit dans l’immobilisme irréel qu’elle maintenant en dépit d’incroyables tremblements, dans la crispation de ses membres, dans l’effarement de ses yeux d’or.

— Esmée !

La frayeur justifiait-elle de briser les barrières de la bienséance ? Face à l’effroi, les Hommes devenaient-ils égaux ? Les mains qu’Amaury referma sur les avant-bras de la noble avortèrent ces interrogations, alors qu’il se plaçait devant elle à dessein, afin d’occulter la fenêtre.

— Reculez, par pitié.

La pression de ses doigts sur le tissu de cette chemise trop grande, dissimulant des membres qu’il devina aussi fins que délicats, se renforça autant que le lui permettait la frontière mince entre fermeté et violence pour contraindre la jeune femme à reculer.

— Cunégonde...
— Allez-y, j'm’occupe d’elle.

La voix ferme de la vieillarde chassa momentanément l’inquiétude du garçon. Il plongea une nouvelle fois ses prunelles dans celles de la jeune femme, puis se détourna pour enfin prêter son concours à Javotte, visiblement désireuse de déplacer une table contre l’entrée, à laquelle ils ajouteraient ensuite une commode.

Que l’âge lui ait donné la maturité nécessaire ou qu’elle soit douée d’un exceptionnel sang-froid, Cunégonde avait, pour sa part, géré la situation d’une main de maître. Ainsi, l’injonction de l’Ussonnienne avait été immédiatement exécutée : puisant une eau probablement croupie au cœur d’un seau toujours laissé à portée du foyer – une précaution que Gautier avait manifestement très rapidement prise –, la vieillarde avait noyé le feu crépitant pour l’éteindre dans un nuage de vapeur et une complainte sifflante. Sa besogne à peine achevée, elle s’était mise à fouiller les placards sans s’expliquer. C’était au cours de ces recherches qu’Amaury l’avait interpelée pour s’occuper d’Esmée.

— V'nez, ma jolie, sourit la matriarche en se saisissant doucement du bras droit de la noble, mon Gautier m’a parlé d’un passage… Il avait fait aménager un p'tit endroit pour ce genre de situa… ah ! Là !

La doyenne abandonna la jeune femme afin de s’approcher d’un buffet. Au pied de celui-ci, une encoche révélait la présence d’une trappe discrète qu’un œil averti pouvait cependant distinguer, tant parce qu’elle se découpait nettement dans le sol que parce que les gonds la trahissaient, aussi ténus soient-ils ainsi encastrés au pied du meuble. L’ouverture s’actionna dans un grincement que la matriarche tâcha d’étouffer du mieux qu’elle put.

— Allez, ma p’tite, entrez là-d’dans ! J’vais chercher de quoi nous éclairer, là, en bas.

Et Cunégonde de reprendre aussitôt son furetage. Elle ne tarda pas à trouver son bonheur du côté de la chambre de son défunt fils et put alors rejoindre rapidement Esmée dans ce semblant de cave creusée et aménagée d’une façon plus archaïque encore que ne l’était la maison.
Soutenus ça et là par quelques poutres de bois, les murs de la pièce – somme toute aussi peu large que haute – étaient restés à vif, quoique la terre damée les composant possédât la dureté de la roche.

— Javotte ! Amaury !

La commode à peine mise en place, les deux intéressés s’étaient reculés. Hypnotisé par cette porte d’entrée qu’il savait ne pas être suffisamment solide, le prêtre doutait de l’utilité de leurs aménagements, si ce que prétendaient les rumeurs au sujet des Fangeux était vrai. À ces pensées, son regard accrocha la couverture abandonnée à même le sol.

En dépit des appels discrets de la matriarche, il s’éloigna de la trappe pour récupérer le couvre-lit sans oser lever les yeux sur la fenêtre située au-dessus, de peur d’y voir un faciès qu’il imaginait hideux.
L’on disait des monstres qu’ils étaient obstinés. L’on disait d’eux qu’ils étaient intelligents. L’étaient-ils au point de comprendre que les barricades ne pouvaient exister que parce que des gens les avaient dressées là ? L’étaient-ils au point de déduire de la présence de vêtements étendus que leurs propriétaires se trouvaient à proximité ? Et qu’en était-il de leur flair ?
Prêt à s’engouffrer à son tour dans cette cave inhospitalière, Amaury hésita au dernier moment.

— Amaury ! répéta Cunégonde.
— J-juste une seconde !

Habilement, il échappa aux doigts noueux de la vieillarde pour rejoindre la proximité du foyer à présent éteint, où restaient pourtant suspendus vêtements, manteau et cape. Le religieux se hâta de les décrocher, puis gagna enfin le refuge souterrain. En appui sur l’unique marche menant à cet aménagement, Amaury rabattit la trappe derrière lui dans un grincement lugubre.

Dans ce lieu exigu où il ne pouvait même pas se tenir debout, où la promiscuité était de mise, seule la lueur vacillante d’une modeste bougie illuminait leurs gestes mesurés.

— Là ! Mon Gautier a prévu une planche !

Cunégonde dut mouvoir la chandelle pour qu’Amaury distingue le morceau de bois. Guidé par l’éclairage de la vieillarde, il put le placer dans les supports scellés à cet effet, censés empêcher quiconque de soulever la trappe depuis l’extérieur. Quiconque ne posséderait pas la force que l’on prêtait aux Fangeux, tout du moins.
Ce fut le dernier son franc qui fut susceptible de trahir leur présence. Après cela, un silence pesant parut s’abattre, propice à ce que le froid s’insinue plus sournoisement encore au creux des êtres.

Le prêtre réprima un tremblement. Cette mésaventure avait chassé la brume jetée par l’alcool dans son esprit. Sans bruit, il se saisit de la couverture – abandonnée, comme les vêtements trempés, au pied de ce simulacre d’escalier –, chemina à genoux jusqu’à la jeune noble et l’enveloppa de nouveau, comme si les derniers évènements ne s’étaient jamais produits ; comme s’il ne s’agissait là que d’un mauvais rêve. Pour donner corps à cette illusion, le garçon esquissa un sourire bienveillant que la lueur pâle de la bougie éclaira à peine.

— Voilà qui est m-mieux, murmura-t-il, n-ne vous inquiét-tez pas, Madame, nous s-sommes en sécurité, à p-présent.

Était-ce là l’ébauche de ce que deviendrait son existence ? Était-ce là le rôle des prêtres, celui que son mentor avait revêtu avant lui ?
Mentir pour rassurer ?
Était-ce ce qu’il devrait faire chaque jour de sa vie, à présent ? Affirmer des choses en lesquelles il croyait sincèrement, sans pouvoir apporter la moindre preuve de ce qu’il avançait ? Prétendre que tout irait bien, quand ils se trouveraient pourtant acculés, presque déjà ensevelis ? Supporterait-il un tel futur ?

— D-d’ailleurs... souffla-t-il en baissant les yeux, ne v-vous inquiétez pas n-non plus de m’avoir offensé, car ce n-n’est pas le cas. V-vous n’avez rien dit ou f-fait de mal. Le prob-blème ne v-vient pas de vous.

Un nouveau sourire encourageant étira ses lèvres. Cette fois, Amaury se détourna pour s’asseoir à même le sol, aux côtés de la jeune femme. Combien de temps devraient-ils attendre ainsi ? Pourraient-ils se contenter de quelques minutes, si aucun pas ne foulait le plancher au-dessus d’eux ? Devraient-ils, par mesure de sécurité, patienter plusieurs heures durant ? Le pourraient-ils seulement dans cette humidité ambiante, alors que l’unique bougie qui les éclairait semblait déjà avoir toutes les peines du monde à se maintenir ?

— Vous d-devriez vous rep-poser, Mesd-dames, suggéra-t-il en rapprochant ses genoux de son torse, les enserrant de ses bras, je v-veillerai.
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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyMar 21 Déc 2021 - 18:29
Debout devant la petite fenêtre de la fermette, Esmée demeurait immobile. Incapable de réagir, elle ignorait les injonctions de son amie et n’entendait pas même les mots du prêtre qui pourtant se tenait devant elle. Comme abandonné de toute vie, son corps s’était raidi tandis que son regard désormais éteint, continuait de fixer un point sans ancrage dans le blizzard extérieur. La peur avait tétanisé chacun de ses membres et son esprit, dévoré par l’indomptable angoisse née de ses souvenirs, n’aspirait plus qu’à abdiquer. Dans ses veines, son sang ne voulait plus circuler. Glacé par l’effroi il en était venu à encager son coeur dans un étau oppressant et abominablement nourri des visions d'un passé trop proche pour être ignoré.

Alors la jeune noble s’y était abandonnée. Engloutie par l'abysse infernal de ses sombres réminiscences, elle dérivait et tanguait invariablement vers le sigisbée de ses cauchemars. Le Fléau, monstrueux soupirant de ses nuits, s’invitait sans pudeur dans ses pensées. Son visage affreux lui souriait, ses griffes térébrantes la mutilaient et ses crocs, aiguisées par une faim insatiable, déchiquetaient tout ce qu’il lui restait de raison. Autour d'elle, le monde s’effaçait. Il s’étiolait dans un tourbillon floconneux et blanc pour mieux se fondre dans un nouveau décor. Alors, lorsque les cris de terreur achevèrent de la soustraire à la réalité, Marbrume lui réapparut (enfin).

Elle papillonna des yeux, consciente de ce que cette vision avait d'improbable, mais incapable de se ressaisir. La panique s'empara d'elle. Elle s'ancra si profondément dans son esprit qu'elle en vint à imprégner ses gestes. Son souffle reflua, mais livré au chaos, il n'aida qu'à emballer les battements de son coeur. Un épouvantable frisson remonta le long de son échine, alors qu'à ses pieds, elle imaginait les victimes agonisantes de la Fange se noyer dans leur propre sang. Elle se figurait leurs râles et leurs suppliques, et aussitôt se rappela les mains tendues vers elle, et les regards implorants.

Lentement, la jeune noble se mit à secouer la tête, tandis que les murmures de sa contestation anémiée ne parvenaient pas à franchir le seuil de ses lèvres. Elle voulait fuir, quitter cet endroit maudit et ne plus jamais avoir à subir le témoignage de sa mémoire surchargée d'horreurs. Mais le spectre endeuillé de ce terrible jour ne voulait pas l'épargner. Il continuait de creuser la tombe de sa conscience et l'amenait à frôler la folie.
Un ultime sanglot trouva un passage dans sa gorge et alors qu'elle amorçait un pas vacillant pour se soustraire à la psychose, son regard se heurta à deux prunelles auréolées de jade. Des yeux clairs qu’elle eut le sentiment de découvrir pour la première fois, mais auxquels elle s’arrima sans réserve, captivée par ce que leur couleur fascinante lui inspirait de sérénité. Un prêtre...

Ses paupières se refermèrent sur cette nouvelle pensée, chassant par la même occasion une perle de douleur qui roula sur sa joue pâle. Aux cris nés de ses souvenirs, succéda un sifflement tenaillant. Un bruit aigu et continu, désagréable mais différent de ce que sa mémoire prétendait commémorer. Elle rouvrit les yeux tandis que son esprit renouait avec la réalité et alors qu'un son neuf voulait l'atteindre. Son prénom… Elle en reconnut les syllabes, tandis qu’Amaury se saisissait de ses avant-bras et éprouva ce phonème comme la conjuration d’un mauvais sort.

La vie reprit ses droits en même temps qu'elle sentit la pression de ses doigts sur sa peau frissonnante. Il avait les mains froides, elle s'en rendit compte malgré le vêtement qui lui avait été prêté. Cependant, ce contact suffit à amener quelques nouvelles couleurs à ses pommettes affadies par l'effroi. Doctement guidée, elle recula jusqu'à oublier la fenêtre qu'il occulta presque entièrement. Elle aurait pu se glisser dans ses bras, s'y réfugier pour ne surtout pas avoir à endurer - une fois de plus - la vue de l'abominable, mais Cunégonde l'en empêcha.
Ses mains noueuses remplacèrent celles du prêtre et la forcèrent à reconsidérer le refuge qu'elle avait espéré trouver avant l'inévitable. Parce qu'aucune porte, ni aucune barricade ne pourrait endiguer le Mal. Parce qu'il trouverait à les atteindre malgré toutes leurs précautions. Parce qu'il se tenait déjà parmi eux et qu'ils n'en avaient pas même conscience. Cependant, elle n’en dit rien et se laissa guider jusqu’à la cachette que l’ancienne s’échina à dévoiler silencieusement.

Le regard d’Esmée passa de l’un à l’autre de ses compagnons d’infortune. Incertaine alors que le refuge souterrain faisait naître l’aporie dans son raisonnement, elle resta immobile au-dessus de cette fosse obscure qu’elle assimilait à une tombe.

Le retour de Cunégonde mit un terme à ses tergiversations et alors que la vieillarde l’encourageait à avancer dans cette presque sépulture, Esmée amorça un pas résigné vers la première marche du mausolée. La planche de bois craqua sous le pied menu, en même temps qu’elle se libéra de la poussière accumulée sur sa surface depuis – très certainement - plusieurs mois. Son gémissement plaintif, reprit en chœur par ses quelques consœurs, ajoutait au lugubre de cette descente en figurant le chant funèbre d’une procession qui devait pourtant les mettre à l’abri. Un nouveau frisson glissa dans le dos de la noble, alors qu’elle atteignait ce qui pouvait être sa dernière destination. Un terrier creusé dans une terre aujourd’hui gelée, une basse-fosse dans laquelle elle ne tenait pas debout malgré sa petite taille.

Pourtant Cunégonde se voulait rassurante. La misérable chandelle qu’elle avait apporté avec elle n’éclairait que faiblement l’endroit exigu, mais Esmée pouvait voir son sourire lénifiant. Sans un mot, elle alla se recroqueviller dans un coin de l’alcôve souterraine. Le froid était revenu hanter ses membres. À moins que ce ne fusse la peur ? Relevant les yeux vers la trappe toujours ouverte sur l’étage, elle attendit tout en retenant son souffle. Depuis les tragiques et monstrueux événements du couronnement, c’était sans aucun doute la première fois qu’elle renouait si concrètement avec ses anciens démons. Cependant, elle n’avait rien oublié de la leçon durement apprise ce jour-là. La question se posait alors de savoir si cet enseignement avait soufflé ce qu’il lui restait d’humanité.

Elle espérait bien que non. Pour autant, le temps lui parut long jusqu’à l’arrivée de Javotte et il lui sembla plus interminable encore jusqu’à ce qu’Amaury ne les rejoigne. Alors, lorsqu’enfin il apparut à l’entrée de la cachette, lorsqu’il les rejoignit et que la trappe fut fermée et même barricadée derrière eux tous, Esmée ne put que soupirer de soulagement avant que le silence ne s’installe.

Quelques instants passèrent ainsi sans que personne n’ose prononcer un seul mot.

Si elle avait eu le désir de réprimander le prêtre pour son inconscience – qui se souciait de quelques vêtements humides quand la mort se trouvait aussi proche ? – Esmée s’en trouva honteuse quand il l’enveloppa (amoureusement :lol:) dans la couverture dont ils avaient précédemment partagé la chaleur. Elle baissa la tête et esquissa un sourire velléitaire dont la saveur se fana presque instantanément quand le fracas d’une vitre brisée vint contredire les derniers mots du prêtre. Ils n’étaient pas en sécurité et les coups frappés contre le bois de la rudimentaire porte du lieu ne pouvaient qu’en attester. Comme Javotte, la jeune noble releva les yeux vers le plancher au-dessus d’eux. Cependant et contrairement à l’Ussonienne sa main ne trouva pas de couteau acéré attaché à sa ceinture. Elle alla seulement cueillir celle du prêtre installé à côté d’elle afin de la presser de ses doigts tremblants.

- Anür… Elle murmura, avant qu’un premier bruit de pas n’en vienne à suspendre les battements de son cœur.
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Icare de SabranComte
Icare de Sabran



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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyVen 24 Déc 2021 - 11:25
Il n'y a que sa fille pour le mettre dans un tel état de colère. Sa fille, ses désobéissances et son incomparable capacité à se mettre inconsciemment en danger. Il lui a pourtant expliqué la situation assez clairement. Il lui a donné les consignes à respecter, mais rien n'y fait. Esmée n'est qu'une tête de mule. Une fois encore, elle a échappé à la vigilance de son garde. Chose qui, au goût du Comte de Sabran, témoigne d'un manque de sérieux de la part de l'homme d'armes chargé de la protection de sa progéniture. En d'autres temps, en d'autres lieux et en d'autres circonstances, Icare n'aurait pas hésité à renvoyer cet incapable. Cependant, ici et depuis l'arrivée de la fange, les personnels compétents se faisaient plus rares encore qu'un bon gigot.

Serrant les dents et laissant ses doigts étreindre plus fermement les rênes de sa monture, le noble sait leur temps compté. La tempête qui s'est abattue sur le Morgestanc ne semble pas faiblir. Elle a englouti le paysage dans un épais brouillard, libéré un vent gelé sur le plateau campagnard et apporté une pleine marée de neige dans d'épais nuages qui assombrissent désormais le ciel. Ce climat détestable complique les recherches, mais le Sabran n'envisage pas retourner à Choiseul sans sa fille. Surtout qu'il sait le danger proche et prêt à attaquer quiconque se montrerait imprudent.

"Il y a du monde chez Gautier." Gérald semble formel alors qu'il brandit sa torche devant lui en rejoignant son noble employeur. "Ils ont dû se réfugier là quand la tempête les y a forcé. Le planteur disait vrai."

Icare n'a jamais été de ceux qui hésitent. Alors lorsqu'il entend confirmer les indications du métayer croisé précédemment, il pousse sa monture à avancer vers la fermette.

"Allons-y."

Ce sont les premiers mots qu'il prononce depuis qu'il leur a été rapporté l'existence d'une brèche dans la grande palissade. Cependant Gérald connaît l'homme assez bien pour savoir ce qu'il attend de lui. Le serviteur lui ouvre donc la voie tout en veillant à emprunter le chemin le plus sûr pour la chariote qui les accompagne.
Arrivé devant la maisonnette, le garde descend de cheval pour faire le tour de la masure avant de revenir devant la porte qu'il tente d'ouvrir sans y parvenir. Ce constat n'en agace que davantage le noble qui met finalement pied à terre. Le pas qu'il arme vers la fermette est colérique et le coup de talon qu'il assène au battant rudimentaire, le fait exploser sans sommation. Pour autant, la porte refuse toujours de s'ouvrir. Elle a été bloquée. Signe supplémentaire d'un présence dans la masure.

C'est alors Gérald qui trouve la solution en brisant le carreau d'une fenêtre grossièrement découpée dans le torchis. Il est le premier à s'introduire dans la pièce désertée. Sans attendre, il avance jusqu'à la cheminée pour tester la cendre encore chaude d'un feu récemment éteint. Derrière lui, Icare n'a pas hésité à le suivre. Emmitouflé dans un lourd manteau noir et bordé de fourrure, il a l'allure lugubre et la mine fermée. A sa ceinture, la pointe de la lame séculaire des Sabran en vient à râcler le sol, avant qu'il ne se redresse pour embrasser la pièce d'un regard furieux.

De son côté Gérald a continué à inspecter le lieu et ses pas résonnent sur le parquet quand il avance, et se déplace. Finalement, il trouve la trappe et d'un signe de la main, l'indique au noble qui s'agace de voir la ridicule barricade chargée de garder la porte de la maisonnette fermée.
Aussi, lorsqu'il rejoint le mercenaire pour l'aider à soulever la trappe, c'est d'un ton furieux qu'il hurle tout en frappant du poing sur l'ouverture.

"ESMÉE !"

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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyVen 24 Déc 2021 - 14:31

« Un mensonge en appelle d’autres »
Le sol inconfortable et glacé sur lequel ils se trouvaient aurait pu se dérober sous leur poids que la sensation de vertige, à l’instant de saisir le fracas des bris de verre, n’en aurait pas été moins vraisemblable. Amaury se sentit chuter sans que son corps ne bouge d’un pouce, perçut son sang se figer dans ses veines comme s’il gelait soudain, endura l’impression du soulèvement de ses organes se contractant un à un sur eux-mêmes. Chaque pas, chaque éraflement de griffes trop acérées sur le plancher se répercutaient, décuplés, en écho dans son esprit. Chaque grincement du bois sous le poids des monstres – car ils semblaient au moins deux – ravivait l’amertume inspirée par l’échec d'une barricade vaine, insufflait le froid dans son échine et paralysait ses membres.

Les yeux perdus dans le vide, le prêtre ne songea pas à guetter le plafond d’où s’abattrait pourtant le courroux impie, pas plus qu’il n’accorda un regard à ces doigts, venus le quérir, qu’il serra d’instinct dans sa paume.

Inspirée par la murmure de la jeune noble, la main libre du religieux se fraya un chemin jusqu’à son médaillon, le saisit à travers le tissu fin de sa chemise trop ample. Le mouvement désormais concentré au-dessus de la trappe éveilla alors une salve de tremblements.

De froid. De peur. De dégoût. Mais surtout de colère.

Une rage, une fureur qu’il ne réservait qu’à lui-même, non pas à l’idée de périr ici, englouti, comme bien d’autres, par le fléau gangrenant à présent les terres, non pas face à la perspective de mourir tout court, mais plutôt devant celle de succomber comme il avait toujours vécu : en faible. Aux portes du chaos, Amaury se trouvait impuissant.

Face aux monstres, le combat était perdu d’avance. Qu’importe que l’on soit fier soldat ou humble paysan : trop fortes, les bêtes les surpassaient. N’y avait-il pourtant pas davantage d’honneur à disparaître l’arme au poing, à se défendre jusqu’à l’ultime instant ?

Jamais, encore, le garçon n’avait été à ce point confronté à ce qu’était désormais le quotidien morguestanais. Les confessions recueillies au gré des pérégrinations conduites aux côtés de son mentor avaient déjà esquissé les malheurs d’une existence rude, devenue proprement impossible au lendemain de l’apparition de la Fange. Les soins dispensés occasionnellement par le père Harold avaient révélé la laideur et le danger que représentait l’increvable fléau.
Ce quotidien, auquel ses voyages lui faisaient échapper, et l’abjection d’une vie qu’il refusait de regarder, préférant peindre le beau, auraient dû le préparer à ce climax qu’il atteignait aujourd’hui.

Paradoxalement, ce fut au cœur d'une obscurité quasi totale qu’Amaury délaissa ses orbières pour recouvrer la vue.

La soif de se rebeller, de s’opposer, de se battre lui brûlait à présent la gorge. Malgré l’horreur des Fangeux, malgré la confiance aveugle qu’il vouait aux dieux et le respect accordé aux desseins d’Anür, mourir en résigné lui apparaissait improbable.
Et pourtant, que pourrait-il faire, lorsque les monstres pénétreraient dans cette cave ?

Rien, sinon attendre son heure.

Amaury ouvrait les yeux, mais il les ouvrait trop tard.

Ce retour à l’impuissance raviva une frustration qui lui inspira des larmes imperceptibles et accentua l’étau de ses doigts sur son médaillon. Les coups alors portés contre la trappe, avec une ardeur rare, firent céder la fine cordelette autour de son cou dans un sursaut de surprise, auquel succéda un silence aux allures d’éternité.

Dans cet instant de flottement, le prêtre se demanda, ridiculement, si les créatures étaient en mesure de parler, avant d’imaginer seulement s’être fourvoyé dès le commencement. Et si la silhouette dans le blizzard n’avait jamais été l’un de ces monstres, qu’il se figurait à présent au-dessus de leur tête ?

En quête d’une réponse à ce hurlement manifestement destiné à la jeune noble, Amaury reporta son regard sur elle, sans libérer sa main.
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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyJeu 10 Fév 2022 - 16:08
Cueillis par la peur, les mots de sa prière n'avaient pu que s'étioler dans ce qu'il lui restait de souffle. La nature voulait cependant que l'esprit humain soit encombré d'une guigne que d'aucun s'osait à travestir en qualité. L'espoir... Celui qui se liait à ce que l'instinct animal insufflait de révolte dans la pensée d'un survivant. Ses yeux s'en étaient retrouvés asséchés, alors qu'ils s'élevaient pour affronter une probable mort.

Un pas, puis un autre...

La créature se faisait prédateur au-dessus de leurs têtes et l'imagination de la jeune noble rendue trop justement fertile par le souvenir, concevait le monstre logiquement meurtrier. Elle le voyait pourvu de griffes et se figurait les macabres éperons graver leur sombre destin dans le bois du parquet. Elle connaissait déjà leur cantate et l'entendait affreusement rimer avec le thrène de sa mémoire.

Ses doigts avaient alors resserré leur étreinte autour de la main du prêtre. Ils l'avaient pressée avec la force du désespoir et comme à vouloir y laisser la marque de son existence. Un épitaphe dont le syntagme se trouvait dans l'instant présent. Dans ce que ses pensées avaient de commun avec celles du prêtre. Dans ce que leurs destins se conjuguaient incidemment à l'aulne de leur dernier soupir.

Au premier coup porté sur la trappe normalement dissimulée, la jeune noble sursauta. Au second, elle se résigna. Elle était prête. Prête à embrasser cette fatalité que les dieux lui avaient promis depuis le couronnement ou peut-être bien de plus longue date encore. Mordue, marquée dans sa chair et jusqu'au plus profond de son être par le délétère de la Fange. Empoisonnée par ce Fléau qui du tréfond des Hommes faisait resurgir le monstrueux. Quelle abomination viendrait alors se peindre sur son visage ? À moins qu'elle ne fusse entièrement dévorée ? Ou... Peut-être ne ferait-elle que déchiqueter ce qu'il reste de l'humanité... Hommes, femmes, enfants... Enfin parviendrait-elle peut-être à engloutir la misérable carcasse de cet atroce nouveau monde.

C'est alors pourtant qu'un simple cri lui rappela l'essentiel. Un cri comme l'appel d'un père qui, plus sévèrement que bien des ignominieux, avait subi et enduré le deuil.

- Papa ? ... Sa voix n'avait été qu'un murmure. Le chuchotement d'une enfant trop longtemps perdue dans les méandres d'un cauchemar qui ne voulait pas la voir s'envoler. Pourtant, elle tenta de se redresser, avant qu'un vertige n'en vienne à la confondre.
- Pichate ed’baudet ! Furent les derniers mots qu'elle entendit, avant de s'effondrer.

Sans réellement saisir ce que le soulagement avait volé de force à son amie, Javote s'empressa d'enjamber la vieille Cunégonde pour rejoindre l'escalier. Son adroite inélégance en gage d'une incroyable dextérité, elle s'empressa de rapidement monter les marches pour aller desceller la trappe qui les gardait enfermés - et supposément protégés - sous terre.

- Par les vénérables roustons d'Serus ! C'le Comte ! C'LE COMTE ! Elle tambourina à son tour contre le bois du passage. Hey ! M'Seigneur ! On est là ! Y'a vot' fillotte ! Elle va bien hein ! C'est-y pas qu'on vous a pris pour un fangeux !

Le rire qu'elle lâcha dans un presque couinement résonna étrangement dans la cachette creusée à même la terre, mais il était l'indéniable témoin de son soulagement quand, la trappe enfin ouverte, une main gantée de cuir l'empoigna vigoureusement pour l'extirper du terrier.

- Ohwowowowo ! J'vous jure qu'elle respire ! HEIN L'BIGOT ?! Lança t-elle en direction d'Amaury. Dis-lui donc à M'sieur l'Comte d'Sabran qu'sa fille va bien !

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AmauryEl potiprêtre écriteur dessineur
Amaury



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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptySam 12 Fév 2022 - 11:18

« Un mensonge en appelle d’autres »
Face à l’imminence d’une fin précoce, l’esprit du prêtre se refusait désormais à envisager la plus petite perspective de rédemption. Ce cri, trop articulé pour être monstrueux, n’en restait pas moins inquiétant dans ce qu’il recelait de rage. Alors, au cœur de l’or des iris de la jeune femme, Amaury avait cherché une réponse que seules ses lèvres lui livrèrent dans un souffle tout juste audible. Reléguant un peu plus profondément les frontières de l’indicible, la réalité s’ancra de nouveau.

Papa.

Là où il avait entendu la colère, il n’y avait eu que la peur. Là où il avait craint le pire, ne poignait que le meilleur. Pourtant, alors que le prêtre se surprenait à renouer avec l’espoir, le vacillement de la demoiselle, le relâchement de l’étau au sein duquel elle gardait sa main prisonnière, écarquillèrent d’effroi les paupières du garçon.

Étouffé par l’exclamation de la Labrétienne, le prénom de la noble mourut sur les lèvres de l’enlumineur qui, d’instinct, avait enserré ses épaules pour lui épargner tout heurt. Ainsi lovée contre lui, la dame ne risquait plus rien et, cependant, Amaury n’en tirait aucun apaisement.
Les doigts glacés de sa senestre se frayèrent un chemin parmi quelques mèches fuligineuses d’une coiffure qui n’en avait plus que l’appellation, trouvèrent un front qu’ils jugèrent brûlant. Peu avancé par son diagnostic, le religieux approcha finalement son visage, s’immergea dans une fragrance délicate aux arômes fleuris, typiquement printaniers. Alors, passé le soulagement de sentir la chaleur d’un souffle presque ensommeillé contre sa joue, le garçon réalisa l’inconvenance d’une proximité qui l’empourpra. Paradoxalement, l’effroi le saisit avant qu’il ne songe seulement à s’écarter.

— C’le Comte ! C’LE COMTE !

En dépit de ses efforts, la salive du prêtre s’obstina à demeurer bloquée dans sa gorge. Il savait Esmée noble, mais n’avait pas même envisagé son hypothétique place au sein de sa caste. À plusieurs reprises et bien malgré une attention qu’Amaury tâchait de préserver, le comportement de la demoiselle lui avait fait oublier son ascendance originelle jusqu’à instiller, à tort, l’idée qu’elle puisse être un égal.

Un Comte.

Le père de cette jeune femme, à présent inconsciente, occupait l’un des plus hauts rangs de la noblesse marbrumienne, faisant de sa fille une Vicomtesse, à tout le moins. Une Vicomtesse qu’il avait compromise à quelques égards : en l’entraînant dans sa chute, dans une neige qui l’avait trempée jusqu’aux os et peut-être insinué en son sein une maladie latente ; en partageant une proximité inappropriée au sein d’une couverture inconfortable, gardant captive la chaleur dégagée par leur corps ; en entretenant une conversation sans y mettre les formes et en la laissant finalement croire, à tort, qu’elle l’avait froissé par un avis qu’il avait pourtant jugé pertinent. La caresse brûlante du souffle de la jeune femme sur sa peau incarna l’ultime affront consenti.
Rongé par le remord, Amaury se redressa enfin en tâchant de détourner le visage, sans pour autant retirer un appui nécessaire au soutien de la noble.

L’appel de Javotte peina à le faire émerger d’une rencontre qu’il ressassait désormais.

— Elle...
— La p’tiote s’est évanouie, pas d’quoi en faire un drame ! tempéra Cunégonde en devançant Amaury pour entreprendre, à son tour, une sortie périlleuse, ’faut avouer qu’elle a eu son lot d’frayeurs. Comme Javotte vous l’a dit… oh hisse ! Oh mes vieux os… marmonna la doyenne avant de poursuivre naturellement, on vous a pris pour un Fangeux, m’sieur l’Comte. Vous et l’grand dadais qui vous accompagne… C’est-y pas qu’il pourrait pas m’aider, c’lui-là, d’ailleurs, au lieu d’bayer aux corneilles !

Salvatrice, l’intervention de Cunégonde avait permis à Amaury de se ressaisir dans une modeste mesure.
Il n’avait besoin d’aucun soutien pour que son élocution vacille d’elle-même. Indéniablement, l’effet ne pouvait que s’en trouver accru lorsque la gêne lui nouait la gorge – c’est ainsi qu’il avait eu les plus grandes peines pour s’exprimer, à l’instant où la caste d’Esmée lui était apparue évidente. Naturellement, l’idée de froisser un Comte, par un bégaiement ridicule qui ne ferait que rallonger un échange en ce temps de crise, ne pouvait qu’exalter une appréhension légitime et resserrer un peu plus un carcan au sein duquel le religieux s’imaginait prisonnier.

Son souffle franchit difficilement le seuil de ses lèvres, comme il se mouvait enfin, de nouveau conscient de son corps. En dépit de l’infinie précaution avec laquelle l’une de ses mains glissa dans le dos d’Esmée jusqu’à cueillir son épaule, cependant que l’autre rabattait la couverture rêche sous ses genoux, où elle se logea, il n’y eut pas un geste qu’il ne maudit pas.
De quel droit se permettait-il de porter ainsi une Vicomtesse ?

Contractés par un effort qu’il ne dispensait jamais, tendus par un comportement d’une audace invraisemblable, les muscles du religieux paraissaient sur le point de rompre. Tant de nervosité lui donnait un air grave et austère, presque funeste, qu’un froncement de sourcils, appuyé par la concentration, ne faisait qu’accentuer.
Chacune des marches foulées aurait pu l’alléger d’un poids lestant ses entrailles, tant leur escalade progressive sonnait enfin le glas d’une succession d’outrages. Elles accrurent au contraire un malaise, probablement entretenu par l’aura écrasante d’un père aux abois.

— Mon-seigneur, salua-t-il en s’arrêtant une marche en dessous du noble.

Jamais, de l’instant où il s’était relevé avec Esmée dans ses bras, à celui de s’arrêter à portée du Comte, Amaury n’avait hasardé un regard vers la lumière.
Sa tête s’inclina plus encore après ses paroles.
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Icare de SabranComte
Icare de Sabran



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MessageSujet: Re: Un mensonge en appelle d'autres   Un mensonge en appelle d'autres - Page 2 EmptyMer 23 Fév 2022 - 20:34
Son soulagement est réel, mais la colère du Comte de Sabran demeure vive. Le regard rivé au visage de l'insupportable domestique de sa fille, il l'extirpe de leur stupide cachette sans chercher à la ménager. Il n'y peut rien, sa voix suffit à l'agacer, alors il la secoue un peu plus et la garde sous son emprise d'une poigne de fer. Ses lèvres se pincent et il plisse les yeux en entendant ses ridicules explications. Comment ont-elles pu le confondre avec un fangeux ? Tout en prenant une profonde inspiration, il se redresse et soulève la gueuse pour l'obliger à se mettre debout. Il est sur le point de la corriger quand il entend la voix d'une autre rustaude. Combien sont-ils dans ce trou ? Il se le demande.

D'un signe de tête incisif, il envoie Gerald porter secours à la vieillarde qui crapahute hors de la fosse. Elle est bavarde et jacasse, preuve qu'elle n'est pas blessée. Cependant et plus important, son discours confirme la présence de sa fille dans cette pauvre barraque en plus de le rassurer sur son état.

Il s'apprête à descendre dans ce presque terrier quand une nouvelle tête pointe hors de l'abri. C'est un jeune homme, presque un adolescent. Sûrement le bigot dont parlait Javotte. Il tient Esmée dans ses bras et peine visiblement à gravir les marches de la grossière échelle en bois.

Voir sa fille évanouit ranime sa colère et Icare en vient à lâcher un juron. Le gringalet qui la porte a l'air instable sur les cannes qui lui servent de jambes. Il paraît même à deux doigts de s'effondrer. Pour sûr, ce n'est pas ce gosse qui aurait pu tenir tête à un fangeux s'ils avaient eu affaire avec un monstre. Heureusement qu'il est poli. C'est d'ailleurs le seul qui semble capable de rester à sa place, puisqu'il garde le visage baissé.

"Laissez."

Son ton tient davantage de l'ordre, il en a conscience. Il ne laisse d'ailleurs pas grand choix au freluquet quand il se penche pour récupérer Esmée dans ses bras.

La soulevant pour mieux la ramener contre lui, il en profite pour s'assurer de sa bonne santé, avant d'amorcer un pas en direction de la sortie.

"Gérald..."

Ce signal suffit à faire réagir l'homme d'armes qui se dépêche de dégager le bric-à-brac qui devait garder la porte d'entée fermée. Son travail achevé, il attend les ultimes consignes du Comte. Ce dernier quitte les lieux sans un mot, mais finit par s'arrêter un peu plus loin dans la neige pour lancer par-dessus son épaule.

"Qu'ils se dépêchent."

Gerald fait signe à la troupe de le suivre. Dehors, une cariole attend ses passagers pour rejoindre Choiseul.


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