Sujet: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Mer 17 Nov 2021 - 16:24
18 Avril 1167.
La matinée était fraîche mais dégagée, plusieurs jours de temps clément annoncés un agréable printemps à venir et cela se répercutait sur le moral des habitants d’Usson pourtant parfois si gris. Des rires se faisaient entendre ça et là dans les discussions, des enfants couraient entre les jambes des adultes, des gens entraient et sortaient de la taverne du coin malgré l’heure matinale, les étales étaient presque aussi pleines qu’à l’époque d’avant la fange. On aurait presque pu croire que la normalité été revenue. Le retour de Sombrebois dans les commerces autant que dans la vie du duché avait apporté un souffle de soulagement et d’espoir à beaucoup, réitérant une fois de plus l’exploit de vivre ailleurs qu’entre les murs, l’humanité se remettait à croire en l’avenir. A croire en elle-même.
C’était bien sûr sans compter les secrets qu’elle gardait, les choses dont elle s’aveuglait aisément pour ne voir que ce qu’il lui convenait. Comme cette jeune femme dont la beauté et la prestance attiraient les regards des passants et faisaient grandir les sourire. Esmée de Sabran avait en effet tout ce que pouvait souhaiter un membre du peuple quand il imaginait une jeune femme de la noblesse. Elle incarnait un idéal, un espoir, une forme de but à désirer autant que respecter. Même sans savoir qui elle était, les gens l’aimaient simplement parce qu’elle existait. Pourtant combien d’entre eux auraient posé sur elle ce regard bienveillant s’ils avaient sut que sur son corps se trouvait la marque des monstres ? Combien de temps aurait-il fallu pour que leur bienveillance devienne crainte, puis peur et enfin haine. Qu’on la jette aux portes du village, en lui jetant pierres et insultes ?
C’était là le drame qui se déroulait réellement en ce lieu. Malgré les épreuves, l’humanité était restée la même. Vaniteuse, cruelle, aveugle. Et une confirmation de cela ne tarda pas à arriver aux oreilles de la jeune femme alors qu’elle passait près de la porte Est, captant d’une oreille distraite la conversation de deux miliciens qui observaient quelque chose au-delà de la palissade.
- Elle est encore là ? demanda le premier.
- Où tu veux qu’elle soit ? A l’auberge ? grogna son comparse.
- Ben je ne sais pas, elle pourrait partir !
Un rire ponctua cette remarque.
- Et pour aller où ? Ce sera partout pareil pour elle. Voir pire. Au moins là elle peut espérer que les caravanes lui donnent quelque chose en passant. Tout à l’heure un marchand lui a jeté du pain. T’aurais vu comme elle s’est jetée dessus. Un vrai clébard. Même si on lui mettait un coup de pied, elle reviendrait en rampant.
- Tu l’as vu toi ?questionna ensuite le plus jeune des deux.
- Nan, elle a détalé dès qu’on s’est mis à vérifier les avant-bras. Ça arrive souvent, ils se glissent parmi les mendiants dans l’espoir de grapiller d’la bouffe. Mais le chef a dit qui fallait renforcer les contrôles. Et pout tout te dire, je ne préfère pas avoir d’mordu entre les murs, on sait jamais avec ces choses-là.
Quelques secondes passèrent, et le jeune ajouta.
- C’est dommage, c’est un joli brin de fille.
- Tu ferais mieux pas tremper ton biscuits dans ce bol-là mon gars. Entre les cheveux et la marque, t’as vraiment envie de te trainer un bâtard de bannie ? dit-il en claquant joyeusement l’épaule de son compagnon. Ils se mirent à rire et s’éloignèrent, le plus jeune saluant Esmée d’un sourire chaleureux en croisant son regard.
En effet, quelques dizaines de mètres plus loin, une jeune femme vêtue de guenille se tenait sous l’ombre d’un arbre, sans doute dans l’espoir de se protéger quelques peu du soleil grimpant. Malgré le mélange de terre qu’elle avait essayé d’utiliser pour les assombrir ou du moins atténué leurs éclats, on remarquer sans peine leur couleur de feu rappelant la fourrure d’un renard. Ses jambes repliées contre elle pour se protéger du froid. Elle tenait dans ses mains un instrument à corde, visiblement son seul bien puisqu’elle ne tenait ni n’avait près d’elle de sac ou de bourse. Son regard alternait entre la route et les portes du village guettant une caravane, que ce soit en partance ou en cours d’approche.
En tendant l’oreille, la jeune noble put l’entendre chanter ou du moins capter des bribes portées par le vent. Un air triste et délicat qu’elle accompagnait de son instrument pour tromper l’ennui et la faim sans doute.
Oh, à toi mon très cher Souverain et Seigneur Mari miséricordieux Le plus noble des rois
Ton cœur d’or pur S’est terni depuis longtemps Dans ma chambre Qu’est-ce que le matin apportera.
HRP:
Bienvenue dans ta première convocation @Esmée de Sabran pour te rappeler le principe, celle-ci n'est pas obligatoire, tu peux très bien esquiver l'opportunité qui se présente à toi. Prévient moi juste si tu ne souhaite pas répondre ! A priori pas de risque de mort ou de blessure grave.
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Jeu 18 Nov 2021 - 21:59
Loin de Marbrume et de ses murs protecteurs, la vie pouvait sembler difficile. Cependant et alors que les derniers jours s’osaient à amorcer le printemps, tout paraissait plus simple. Au Labret et plus particulièrement à Usson, les ruelles s’animaient pour concéder au renouveau d’une saison plus clémente. Il était alors agréable de badauder dans les allées du petit bourg bordées d’étals, de redécouvrir les visages souriants de ses habitants ou de se laisser porter par les rires joyeux d’enfants ravis de pouvoir enfin se dégourdir les jambes. C’était même chose facile, à ce point naturelle qu’il en devenait presque légitime d’oublier la Fange et ses malheurs.
Dans sa robe au tissu précieusement brodé, Esmée n’avait pas vraiment conscience de ce que sa présence ici, au plus près des gens du commun, pouvait avoir de détonnant. Elle avait seulement appris à apprécier sa nouvelle existence et prenait plaisir à déambuler dans les petites ruelles afin d’y réaliser ses propres échanges. Elle y flânait, l’esprit rassasié par ce que la simplicité de cette vie lui inspirait de bonheur. Le Comte de Sabran, bien évidemment, voyait cela d’un très mauvais œil. Il estimait sa fille irresponsable et condamnait ses imprudences avec la virulence d’un père trop inquiet. Pour autant, Esmée profitait de chaque occasion pour fuir son œil inquisiteur. Elle s’y dérobait même avec de plus en plus d’aisance et parvenait parfois – comme aujourd’hui – à se soustraire au chaperonnage d’un garde.
Reste que la jeune femme ne passait que rarement inaperçue. Comment l’aurait-elle pu, alors que des années durant elle avait été façonnée pour seulement paraître ? Elle avait beau veiller à choisir ses tenues décentes et sans fioriture, leur découpe restait par trop élégante. Elle pouvait nouer et attacher ses cheveux avec une ascétique rigueur, leurs boucles demeuraient indéniablement soyeuses. Quant à sa peau, depuis toujours gardée à l’abri du soleil et du froid, elle avait conservé l’aspect tout à la fois velouté et satiné de la soie. Sans ambages ni fausse modestie, Esmée était de ces joyaux normalement taillés pour sublimer la cour et servir à l’ornement d’un blason prestigieux. À Marbrume sans doute aurait-elle déjà été mariée à un fidèle sujet de sa Majesté le Roi. Les jeunes femmes, après tout et encore plus lorsqu’elles étaient bien nées, n’aspiraient qu’à devenir les épouses fidèles et dévouées d’hommes ambitieux. Des hommes souvent capables du pire, simplement pour s’élever, parfois même le long d’une très simple et grossière échelle.
Pinçant les lèvres sur cette réminiscence de son passé de noble accessoire, la désormais labretraine glissa entre les promeneurs pour rejoindre l’éventaire garni de fruits de saison d’un probable maraicher. Ce dernier, réputé pour la qualité de ses produits, avait pour habitude de toujours s’installer au plus près de la palissade, non loin de la porte située à l’Est du bourg, là où la plupart des caravaniers trouvaient un passage ouvert vers le village. Esmée avait déjà plusieurs échangé avec lui et savait que l’homme acceptait de troquer ses poires et ses pommes contre quelques œufs frais et du cresson.
- Mamzelle d’Sabran ! Comme la fois dernière ? - S’il vous plaît, Barthel. Je rajoute une pleine botte de… Elle laissa sa phrase en suspend tandis que son attention se reportait sur les deux miliciens qui devisaient non loin.
Sa bonne humeur s’évanouit aussitôt qu’elle comprit l’objet de leur conversation. Elle veilla toutefois à ne rien laisser paraître de ses plus profondes pensées, se contentant d’afficher une mine navrée tandis qu’elle en revenait au planteur.
- Pauvre âme… Elle soupira, penchant la tête sur le côté pour dire sa compassion à l’égard de celle qui était visiblement le sujet de discussion des soldats. - Ah ça, Mamzelle d’Sabran... Mais l’gardes ont raison. Vaut mieux les avoir dehors qu’dans. - En effet. Admit-elle dans un sourire affété, tout en procédant à l’échange devenu routine entre eux et pour lequel elle concédait six œufs contre autant de pommes, ainsi que du cresson et des carottes pour l’équivalent en poires. Après tout, la misère n'est pas de dimension humaine. Ajouta-t’elle d’un air entendu et tout en sachant que l’homme ne comprendrait pas le sous-entendu. D’ailleurs, il acquiesça vivement et entreprit de soigneusement choisir les fruits parmi les plus beaux, avant de les glisser dans le panier de la noble. - Pour sûr Mamzelle d’Sabran ! Pour sûr ! - À bientôt Barthel. Prenez soin de vous et de votre famille. - L’même Mamzelle ! L’bonjour à vot’ père ! - Je lui dirai votre souci, soyez en sûr.
Le sourire toujours aux lèvres, elle se détourna et salua les miliciens qui passèrent près d’elle, avant d’elle-même reprendre son chemin. Pour autant, chacun des pas qui la faisaient s’éloigner de la palissade s’empesait d’un peu plus de remords et lorsque s’élevèrent les premières notes d’une chanson dont l’air lui parut familier, elle s’arrêta pour rester simplement immobile.
Plusieurs secondes s’écoulèrent ainsi sans qu’elle ne bouge, mais à l’instant où son regard accrocha la corbeille de fruits glissée à son bras, Esmée fit demi-tour.
Elle revint sur ses pas, longea l’étal du maraicher qui lui lança un coup d’œil halluciné et sans un regard en arrière, passa les portes de la palissade ouvertes sur l'extérieur. Un nouveau souffle voulut gonfler sa poitrine d'un élan de fierté, tandis qu'elle imaginait le révolutionnaire dans son attitude. Jusqu'à présent et avant ce moment qu'elle considérait déjà comme charnière, elle n'avait fait qu'exprimer ses convictions dans le secret et la confidence. Maintenant qu'elle avait fait le choix d'enfin assumer sa pensée, elle n'avait plus l'intention de reculer. Un court instant d’hésitation vint néanmoins anémier toute la fougue de son insoumission. Et si son père l'apprenait ? Que dirait-il ?
Un nouveau regard en direction de la barde mit définitivement un terme à ses tergiversations. Si les dieux lui avaient offert d'éprouver la souffrance d'autrui dans la compassion, elle ne voulait plus en ressentir de la honte. Elle prit alors une profonde inspiration avant d'armer un pas résolu en direction de la rousse installée à quelques mètres de là, sous un arbre qui ne pouvait pas la protéger du froid. Elle s’arrêta presque à sa hauteur, choisissant de ne pas interrompre son chant par quelques observations inutiles et attendant respectueusement qu’elle le finisse pour silencieusement l’applaudir.
- Bravo Madame et merci pour cet instant de grâce. Permettez qu’à mon tour je vous offre un peu de répit.
Elle s'accroupit devant la barde et déposa son panier de fruits à ses pieds.
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Sam 20 Nov 2021 - 8:03
18 Avril 1167.
A peine Esmée avait-elle signalé sa présence que la pouilleuse bondit en arrière avec un petit cri apeuré proche du feulement. Elle recula sur son séant de plusieurs pas, son regard verdâtre écarquillé comme si elle craignait que la noble ne se transforme en fangeux juste là sous ses yeux. Elle pressait son instrument contre elle de peur qu’on tente de lui arracher et haletait.
C’était un joli brin de fille, du moins, derrière la crasse et la fatigue. Des traces d’un ruissellement récent sur ses joues tâchées de terre indiquait qu’elle avait dû pleurer il y a peu. Une lèvre inférieure légèrement fendue et un hématome impressionnant mais heureusement surement passager bleuissait le coté et le dessous de son œil droit. Une bastonnade récente sans aucun doute.
Sa « robe » si l’on pouvait vraiment la qualifier ainsi, avait été reprisée et recomposée tant de fois qu’elle avait des allures d’assemblage réalisé par un styliste ayant perdu la raison avant qu’on n’essaie de la brûler puis de la rouler dans la terre pour l’éteindre. Elle terminait au niveau du mollet et n’avait visiblement aucune doublure. Elle était si élimée qu’on pouvait deviner la peau qu’elle était censée protéger par endroit. Le regard affolé passa du panier à la femme plusieurs fois et il fallut de longue seconde pour que l’inconnue parvienne à retrouver suffisamment de calme pour réussir à articuler sans bredouiller chaque mot.
- J’ai pas de quoi payer… dit-elle d’une voix rendue rauque par la peur récente.
Mais comme Esmée ne faisait pas mine de reprendre son bien, la jeune femme, quoi que peut-être pas si jeune comparée à elle, s’approcha doucement, un pied à la fois comme si il y avais des chances qu’un précipice ne s’ouvre entre elle et le panier pour l’engouffrer. Son regard ne quittait pas Esmée des yeux, cherchant le piège. Quand elle tandis sa main, elle s’aperçut qu’elle était sale et qu’une fine trainée de sang s’étirait sur l’arrête de sa paume. Sans doute s’était-elle écorchée en reculant précipitamment sur les pierres. Ses yeux se remplirent à nouveau d’inquiétude et supplièrent la jeune noble.
- Pardon ! dit-elle en s’empressant de ramener sa main contre elle pour grossièrement l’essuyer sur sa robe qui ne gouta que peu le traitement. Quand elle crut avoir assez frotté pour satisfaire le minima de propreté exigée, sa main bondit dans le panier et saisit une pomme avant de reculer tout aussi vivement avec son trésor fermement accroché.
Elle s’inclina plusieurs fois en signe de reconnaissance, dans ce qui se voulait surement être une révérence, mais manqué de connaissance et de maîtrise sans parler de l’empressement qui rendait cela rigide et mécanique.
- Les dieux vous le rendront noble dame, pour sûr, je prierais pour cela ! la remercia t’elle en reculant jusqu’à de nouveau se coller le dos à l’arbre et se laisser tomber par terre. Son postérieur n’avait même pas touché le sol, qu’elle croquait dans la pomme avec une avidité évidente. Toute dédiée à sa consommation, il lui fallut quelques secondes pour s’apercevoir que sa bienfaitrice n’avait pas encore décampée comme le faisait souvent ceux qui avait obtenu la satisfaction illusoire de la bonne action accomplie. Elle avala sa bouchée en cours en l’observant et frotta négligemment le jus sur ses lèvres, fronçant un court instant les sourcils alors qu’elle réveillait la douleur de la coupure sur celle-ci. Elle sembla hésiter et regarda sons instrument.
Contrairement à tout ce qu’elle possédait, à savoir rien, visiblement, il était de très bonne facture. Un bois noble taillé par un artisan visiblement doué. Il n’avait pas toutes les fioritures et décorations des instruments qu’on trouvait chez les nobles, et qui servait presque plus de décoration que d’outils musicaux, mais le bois était minutieusement travaillé, la caisse profonde et large pour une résonnance profonde, et des cordes entretenues, quoi qu’un peu usées. Elle en fit vibrer une de sa main libre.
- Vous voulez que je vous joue quelque chose madame ? demanda la vagabonde pour essayer de comprendre les attentes de cette étrange jeune fille, et de les combler. Peut-être pouvait-elle gagner un autre fruit ?
InvitéInvité
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Sam 20 Nov 2021 - 15:55
En silence et sans chercher à forcer au dialogue, Esmée resta là, face à cette femme aux cheveux sales et à la figure tuméfiée. Elle ne pouvait qu'imaginer ce que la monde avait voulu lui faire endurer. La peur, sinon la terreur, les insultes, les coups... De son regard d'or, la noble s'employa à redessiner les traits de cette pauvre âme malmenée pour l'existence. Sous la crasse, sous les stigmates de ses trop nombreuses violences subies, elle voyait la finesse d'un visage encore beau. Elle ne doutait pas de ce que sa précédente vie lui avait offert de succès, de joie et d'éloges.
Un fugace et triste sourire glissa sur ses lèvres, tandis qu'elle baissait les yeux. Pourquoi les dieux admettaient-ils de voir leurs enfants aussi démunis ? Comment pouvaient-ils les laisser à la merci d'une si évidente cruauté ?
Sur un lourd soupir, la jeune noble pinça les lèvres pour ravaler ce que sa pensée lui inspirait de blasphèmes. Les dieux n'étaient pas responsables. L'humanité n'avait jamais eu besoin de leur concours pour se montrer misérable. il n'était pas raisonnable d'absoudre leurs pêchés en faisant porter le fardeau de leur seule monstruosité aux divinités. En vérité, il existait un fléau bien pire que la Fange et ce dernier prenait sa racine dans le coeur des Hommes.
Lentement, son regard remonta le long de la silhouette amaigrie de la barde. Elle devina sans peine que la pauvre ne mangeait pas à sa faim et le comprit plus aisément encore quand elle la vit prendre une pomme dans le panier. La honte, plus que tout autre sentiment, s'insinua en elle jusqu'à nouer sa gorge. Un goût amer explosa dans sa bouche sans qu'elle parvienne à le déglutir. L'écoeurement au bord des lèvres, Esmée observait le reflet de sa propre déchéance dans ce que la déshérité lui renvoyait de ses peurs.
Elle pourrait et devrait être à sa place.
À l'image d'un oisillon curieux, elle se mit à épier tous ses gestes. Elle étudia jusqu'au tremblement de ses mains, alors qu'elle mordait à pleine dents dans le fruit. Comme pour mieux goûter à cette image qu'elle se représentait en miroir, ses doigts s'enfoncèrent dans la terre pour se crisper dans rugosité. Elle voulait souffrir, endurer la même peine, gagner et également connaître ce sort qui aurait dû être le sien. Une fois de plus, elle se laissa emporter par ses réflexions et se prit à conjecturer chacune des écorchures de la barde. Une histoire pour chaque cicatrice, un récit pour chaque plaie, quand les coutures de son oripeau, comme un chemin de croix, formaient le triste roman de son calvaire.
Elle finit par secouer la tête, autant pour reprendre ses esprits que pour répondre à la question de la vagabonde.
- Merci Madame, mais ne vous souciez pas de moi. Mangez et si le coeur vous en dit, prenez un autre fruit.
Un nouveau sourire trouva à s'épanouir sur les lèvres de la jeune noble. Un autre apanage de sa bienveillance et de la bonté dont elle souhaitait s'armer pour défaire les règles. Lentement et tout en veillant à ne pas paraître intrusive, elle fit un petit pas en direction de la mendiante.
- Me permettez-vous ?
Sans objection de la part de la rousse et pour satisfaire à la curiosité qu'elle devinait ancrée dans les vertes prunelles fixées sur elle, Esmée s'avança pour doucement rejoindre l'arbre et s'installer à côté de la musicienne. À son image elle s'adossa contre le tronc et après lui avoir permis de se resservir dans le panier, détacha la fibule d'argent de son précieux manteau.
- Tenez. Dit-elle en se délestant de la capeline qu'elle vint poser sur les frêles épaules de la barde. Cela devrait vous réchauffer un peu. Elle remonta la capuche bordée d'une épaisse fourrure sur ses cheveux plein de terre et referma soigneusement les pans du vêtement hors de prix autour de sa silhouette malingre.
Si le froid la saisit, Esmée n'en laissa rien paraître. Ses gestes, au contraire, demeuraient lents et mesurés. Elle se montrait toujours délicate et attentionnée, aussi douce qu'elle pouvait se le permettre sans paraître inconvenante. Pas une seule fois, elle n'avait regardé vers les palissades. En vérité et même si elle se doutait des commérages qui devaient déjà animer les ruelles du petit bourg, la jeune noble s'inquiétait surtout du sort de la pauvresse qu'elle avait choisi de prendre sous son aile. Récupérant une outre d'eau dans le panier de fruits et un mouchoir dans une poche dissimulée de son ancien manteau, elle humidifia le linge et lui offrit de nettoyer ses récentes blessures.
- Je me prénomme Esmée. Et vous ? Puis-je connaître votre nom ? Elle tendit sa main vers elle, paume offerte au ciel, attendant visiblement qu'elle y glisse la sienne.
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Dim 21 Nov 2021 - 7:10
18 Avril 1167.
Tel un animal acculé au fond d’une ravine, la vagabonde se figea, son regard fixé sur cette étrange prédatrice qui s’approchait sous de aires de mère aimante. Elle ne pouvez pas vraiment lui refuser de s’assoir après son geste de gentillesse, pas sans risquer que cette haute dame prenne la mouche et la fasse rosser. Mais tout cela semblait un peu trop généreux et doux. Le doute ne fut plus permis quand elle déposa la cape sur ses épaules fine. Oui il y avait forcément un piège, mais lequel ?
La jeune femme balaya les alentours à la recherche d’un quelconque complice, voir d’une bande, en embuscade, prête à se moquer d’elle ou à lui jeter des pierres quand leur camarade aurait fini de la mettre en confiance. Mais il n’y avait rien, ou elle ne voyait rien. Elle ne remercia pas, pas plus qu’elle n’osa prendre un autre fruit, elle se mit même à regarder son trognon avec appréhension, comme si elle avait peut-être fait une erreur en s’en emparant.
Le poison semblait une méthode bien extrême pour se débarrasser d’une pouilleuse, quand une flèche y aurait suffi dans le pire des cas. Et au fond, cela n’expliquait pas le comportement de la dame brune qui en arrivait à lui donner son nom. Vrai ou pas, ce pseudonyme ne fit qu’amplifier son regard plein de doute. Pourquoi voulait-elle savoir comment elle s’appelait ?
Malgré elle cependant, le poids agréable dans son estomac, et la chaleur naissante dans ses épaules à mesure que le vêtement faisait son office grignotèrent lentement ses craintes et instincts et elle s’y pelotonna un peu plus en croquant dans sa pomme. Par Anür, que le vêtement sentait bon. Le propre et la fleur. Si elle avait encore eu un doute sur les origines de sa bienfaitrice ils s’effacèrent pour de bon. A contrecœur, mais reconnaissante, elle capitula en comprenant qu’elle ne serait pas tranquille tant que cette fille n’aurait pas obtenu ce qu’elle voulait, quoi que ce fut.
- Je… Anne. finit-elle par répondre.
Sa voix se teinta d’une funeste logique.
- Vous devriez pas faire ça Dame. Les gens aiment déjà pas trop qu’on me nourrisse. Mais si vous me parlez trop longtemps, c’est sur votre dos que ça va se mettre à parler. Y a une frontière entre votre monde et le miens. tenta-t-elle de la prévenir en profitant autant que faire se peu de la chaleur qu’elle pouvait accumuler dans la cape avant que… Esmée, ne lui reprenne.
Elle lorgna la femme du coin de l’œil. Qu’elle était belle. Son regard se perdit ensuite sur la piste qui s’étiraient non loin pour quitter le plateau. Elle déglutit lentement et une amertume gagna sa langue jusque là parfumée à la pomme. Elle fit bien en sorte de ne pas regarder la jeune femme quand elle reprit la parole, ses yeux profondément fixé dans le lointain et ses joues rosissant sous la poussière.
- Si vous voulez mon corps. Pour vous ou pour votre monsieur, je veux un repas chaud et une nuit au sec, le sol ou le foin me va très bien. dit-elle d’une voix blanche où perçaient un mélange de fatalité et de supplique douloureux. Elle n’était pas idiote. Les gens n’étaient pas gentils sans raisons. Et il n’y avait pas beaucoup de chose qu’elle pouvait négocier.
Dans le pire des cas, si elle se trompait, elle avait surement trouver le bon moyen d’offusquer cette femme et de la faire partir, pour leur bien à toutes les deux.
InvitéInvité
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Mar 23 Nov 2021 - 22:29
Bien sûr la vagabonde se méfiait et c’était évidemment normal. Pour autant, Esmée n’envisageait pas de rebrousser chemin comme si de rien n’était. À présent installée à côté d’elle, la jeune noble n’avait pas l’intention de l’ignorer. Au contraire, avec toute la délicatesse qu’elle était capable de déployer, elle alla cueillir sa main sale et écorchée. Doucement et comme si elle avait à faire à un animal apeuré, elle entreprit de soigneusement nettoyer la blessure dont elle se sentait immanquablement responsable. Elle le fit avec précaution et minutie, silencieuse et concentrée à la tâche au point de ne pas se rendre compte des réticences de sa patiente.
Pour autant, elle devait laisser à cette dernière qu'elle était lucide. Tristement consciente et clairvoyante certes, mais indubitablement sensée. Aussi et tout en laissant filer un lourd silence, Esmée se contenta d'acquiescer, confirmant ainsi la justesse des propos énoncés. Les gens ne manqueraient pas de commérer et de dire leur méchanceté sans retenue en la voyant aussi "proche" d'une mordue. Il n'existait aucun rempart contre la médisance et cette dernière, malgré l'apparition de la Fange, demeurait l'un des plus grands liens de la société. Alors qu’elle s'employait à doctement remplir son office en faisant glisser le linge humide sur les contours de la récente coupure, Esmée ne put que réaliser l'insignifiance de son geste isolé.
Une pauvre goutte dans un océan de souffrances et d'injustices.
Pinçant les lèvres avec déception, elle en vint à se mordre la langue pour ne pas dévoiler le fond de sa pensée. Peut-être, dans sa naïve bêtise, Esmée avait-elle contribué à rendre l'existence de la malheureuse plus difficile encore. Peut-être avait-elle, en lui témoignant un peu de sa bienveillance, attiré sur elle l'attention de quelques envieux. Peut-être en viendrait-elle à regretter son geste une fois l'euphorie de sa révolte dissipée par un fatal retour à la réalité. D'ailleurs, qu'adviendrait-il de cette pauvre âme une fois qu'elle, jeune femme privilégiée, sera retournée à son insouciante existence ?
Il existait bien une frontière entre leurs deux mondes et celle-ci avait permis à Esmée d'échapper à la brûlure d'un fer chauffé à blanc, quand la vagabonde avait été marquée comme une bête. Était-ce juste ? D'ailleurs, un souverain pouvait-il juger de la non-valeur d'une vie seulement pour éteindre ses propres défaillances ? N'avait-il aucune responsabilité à assumer dans les événements du 1er mai ? Ne se devait-il pas d'assurer la protection de ses sujets ? Et s'il s'avérait n'avoir pas été capable de convenablement tenir son rôle, pouvait-il encore prétendre à être légitime ?
Ses sourcils se froncèrent avant que l'offre - parfaitement inattendue - de la vagabonde n'en vienne à lui arracher une exclamation de surprise.
- Plaît-il ?! Demanda-t-elle l'air plus étonné qu'indigné. Je... Non... Il y a erreur Madame ! Chercha-t-elle à la détromper en s'aidant d'un petit rire gêné. N'y voyez aucune offense, mais je ne cherche pas à obtenir vos faveurs de quelques manières que ce soit. Ni pour moi, ni même pour quelqu'un d'autre. Je suis navrée si mon attitude vous a laissé à le croire. Cependant... J'entends vos craintes et vous accorde qu'elles sont non seulement objectives, mais également sages. Confessa-t-elle avant d'ajouter dans un murmure. Même si je regrette d'avoir à l'admettre.
Elle relâcha la main de la vagabonde et entreprit de se relever. Ses yeux d'or baissés sur sa mise, elle prit le temps de soigneusement en lisser la jupe pour ne pas donner satisfaction aux mauvaises langues qui la penseraient soudainement indisposée. Un faible sourire vint glisser sur ses lèvres cependant qu'elle jetait un dernier regard en direction de la malheureuse.
- Connaissez-vous Chanteloup ? Le domaine des Choiseul se trouve à une lieue seulement d'ici. Elle pointa du menton vers l'océan. Vous pourriez peut-être y trouver bon accueil. Souffla-t-elle à la seule attention de la rousse. Cependant les routes sont assez peu sûres. Soyez donc discrète.
Elle finit par la saluer et reprit son panier de fruits en le faisant glissant jusque dans la creux de son coude.
- Puissent les dieux veiller sur vous Anne. Ajouta-t-elle dans un sourire, avant de s'en retourner vers le village.
Elle n'avait pas repris son manteau et le froid encore vif en ce début de printemps, lui arracha un frisson alors qu'elle passait la porte Est. Les regards qui se posèrent sur elle avaient indéniablement perdu de leur sympathie. Au lourd silence qui accompagna son retour, Esmée comprit qu'il lui faudrait probablement rendre des comptes. Cependant, elle n'envisageait pas un seul instant renier ses actes ou seulement s'en excuser. Redressant alors le menton pour s'affirmer dans toutes ses contradictions, elle s'engagea d'un pas volontaire en direction de la place principale. La noblesse du coeur affichée comme l'étendard de ses plus précieuses valeurs, elle se voulait seulement rester digne.
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Dim 28 Nov 2021 - 1:41
18 Avril 1167.
Anne cligna deux fois des yeux et ceux-ci formèrent de joli rond surpris alors qu’elle voyait son offre rejetée par la noble. Alors elle dût comprendre sa méprise et ses joues autant que la pointe de ses oreilles s’empourprèrent vivement et elle planta avec fermeté son regard dans le sol comme pour espérer que celui-ci l’engloutisse elle et sa gêne. Mais par chance, la concernée ne sembla pas lui en tenir rigueur et sa voix laissa même entendre qu’elle était désolée d’admettre cette réalité. Ce qui lui valu un nouveau coup d’œil en coin de la mendiante, rapide, mais plein d’incompréhension.
Celle-ci récupéra sa main aussi vite qu’elle l’avait fait de la pomme et la dissimula sous le manteau, là où on ne risquait plus de lui prendre alors qu’elle suivait les mouvement d’Esmée du coin du regard. Elle allait devoir se séparer de l’agréable protection. Mais ce n’est pas ce qui advint, au contraire, la noble s’éloigna en lui laissant une étrange invitation, mais tout ce que parvint à lancer Anne dans son dos, fut une banalité.
- Que Sérus protège vos pas noble dame !
Quand Esmée quitte finalement le village, il n’y avait plus de trace de la jeune troubadour près de l’arbre. Plusieurs fois cependant, durant la route du retour, elle put percevoir, à la périphérie de son champs de vison, une forme à la chevelure rousse glisser dans un champ, ou se cacher maladroitement derrière un rocher, visiblement peu au fait des techniques de dissimulations de chasseurs malgré les conseils de discrétion de la dame de Sabran. Cependant sa « traqueuse » si on pouvait la qualifier ainsi, se maintenait toujours à bonne distance, prête à détaler comme un lapin au moindre mouvement suspect, ce qui n’arriva bien sûr pas.
Même quand la jeune nobliaute regagna la sécurité de son domaine, la rouquine resta hors de vue plus d’une heure avant d’émerger d’un petit bosquet pour se planter au milieu de la route remontant jusqu’à celui-ci. Elle y demeura de longues minutes, hésitant sans doute sur la conduite à tenir. L’offre était belle, trop belle sans doute. Mais la lumière déclinante la peur de l’inconnue fini visiblement par battre en retrait face à celle bien plus tangible de l’extérieur nocturne. D’un pas hésitant, elle finit par gagner l’entrée du domaine où un homme d’arme au regard dur la jaugea, mais fini par la laisser entrer lorsqu’elle prononça le prénom d’Esmée.
On la convia dans le hall d’entrée d’une solide et même luxueuse maisonnée qui avait dû être destinée au chasse plutôt qu’à la vie à une certaine époque, mais qui ne manquait clairement pas du luxe que seul les puissant peuvent se permettre, même au fond du labret. On fit prévenir la fille du maître des lieux, et le combattant lui tint une compagnie silencieuse et sévère durant toute l’attente.
Elle se triturait les doigts, remuant d’un pied sur l’autre, aussi à l’aise dans cet endroit qu’un tas de purin dans une parfumerie quand Esmée arriva pour la découvrir. L’attente n’avait durée qu’une minute, mais elle était aussi pâle que si des heures étaient passée. Une lueur de soulagement apparu dans ses yeux quand ils se posèrent sur la magnifique brune, très vite remplacée par une nouvelle vague d’inquiétude.
- Vous… vous avez …dit… alors… balbutia-t-elle avant de s’interrompre pour jeter un coup d’œil inquiet au soldat, peut-être par crainte que celui-ci ne la frappe pour son manque de clarté. Elle inspira pour retrouver un soupçon de calme.
- Je suis venue vous demander l’accueil pour la nuit dame Esmée. Je vous en prie…
InvitéInvité
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Mer 8 Déc 2021 - 16:46
Les pensées toujours tournées vers le récent échange qu’elle avait eu avec la ménestrelle, Esmée demeurait inquiète. L’injustice flagrante qu’elle n’avait pu que constater en était venue à doctement érailler sa confiance en les règles et lois établies. Chamboulée, sinon scandalisée par ce qu’elle avait entendu et vu, elle restait estomaquée. Les Hommes étaient décidément capables du pire. Pour autant, admettre qu’il faille aujourd’hui justifier un acte de bonté plutôt qu’un élan de cruauté, allait à l’encontre de tout ce qu’elle avait de valeurs et de principes. Aussi et si ce constat devait l’amener à reconsidérer et son statut, et ses privilèges, peut-être en viendrait-elle à renoncer, elle aussi, à ce que les dieux lui avaient offert de faveurs. Parce qu’il ne lui suffisait pas de prendre conscience d’une triste réalité pour la dénoncer. Et c’était sans doute en cela que les paroles d’un penseur s'armaient de sens lorsqu’il affirmait que la noblesse ne se trouvait pas tant dans la révolte, que dans ce qu’elle exigeait de ses partisans.
La sobriété désenchantée qu’elle accordait désormais à ce propos, lui arracha un cinglant frisson. Certains, bien sûr, n'auraient pas manqué d’attribuer ce soudain émoi au revers d’une trop généreuse donation. Sans son manteau pour la protéger du froid, Esmée avait eu le temps d'apprécier la fraîcheur d'un printemps encore trop jeune pour s'affirmer. Cependant et par chance, le domaine familial n'était situé qu'à une lieue d'Usson. La jeune noble avait alors pu compter sur son pas décidé et tout particulièrement emporté par ses tergiversations afin de rapidement rejoindre Choiseul. Elle n'en avait pas moins poussé la lourde porte d'entrée du pavillon de chasse d'une main grelotante. Reste qu’à l’inverse de nombreux malheureux – qui n’étaient pas forcément du lot des anciens ou des nouveaux bannis – elle n’aurait pas à souffrir plus longtemps du froid. Une injustice dont elle ressentait amèrement l’ironie, alors qu’elle portait sur elle la marque évidente de son indignité.
Ce sentiment, qui ne faisait qu’ajouter à son humeur déjà maussade, s’imprégna jusque dans ses gestes pour en dérober la vénusté. Cependant et tandis qu’elle jetait son panier de fruits plus qu’elle ne le déposait sur le guéridon habituellement chargé de l’accueillir, Gérald fit son apparition. L’air contrarié et les lèvres pincées, l’affidé de son père l’accueillit d’un regard fâché avant de croiser les bras sur son torse.
- Je ne saurais dire, Gérald, ce qui dans votre attitude me laisse à penser que vous êtes malcontent. Votre sourire peut-être ? Ou plutôt votre absence de sourire. D’ailleurs, savez-vous sourire ? Hmm… Cette question existentielle ne peut tenir que de l’ontologie, je vous l’accorde. Toutefois, à bien vous observer, je conçois le bienfondé de cette vexation qui s’affiche si clairement sur votre visage. Elle esquissa un sourire contrit, penchant la tête sur le côté pour lui lancer un regard faussement navré. J’imagine que je suis consignée ?
En guise de réponse, l’homme d’arme se contenta d’acquiescer avant de prendre position devant la porte d’entrée.
- Soit. Apprenez cependant que j’attends une possible visite. Tâchez donc de retrouver un peu de votre joie de vivre d’ici à ce qu’elle en vienne à frapper à notre porte !
Esmée n'avait pas la moindre idée ni de l'heure, ni même du jour où cela arriverait. Elle n'était pas même certaine qu'Anne trouverait le courage de se présenter à Choiseul. Cependant, elle savait que la barde l'avait suivie sur le chemin qui menait au domaine des Sabran. Elle le savait pour l'avoir aperçue ici ou là, derrière elle. Toujours à bonne distance, mais jamais très discrète quand elle tentait de se dissimuler derrière un arbre ou dans un champ aux pousses trop jeunes, elle devait à présent se cacher à proximité de la demeure. Il ne restait donc plus qu'à attendre et c'est précisément ce qu'Esmée entreprit de faire.
Dans l'un des salons qui servaient autrefois à la réception des invités, elle s'installa près d'un feu récemment attisé, en reprenant son dernier travail de broderie. Concentrée sur cet ouvrage qui prenait la forme d'un paon majestueusement représenté, la jeune noble ne prit pas réellement conscience du temps qui s'écoula jusqu'à ce qu'enfin, quelqu'un n'en vienne à la quérir. Alors lorsqu'elle se retrouva dans le hall d'entrée, face à la malheureuse ménestrelle, Esmée eut presque cette impression de l'avoir seulement depuis quittée quelques instants.
- Nul besoin de me prier Anne. Je suis heureuse que vous ayez accepté mon invitation. Elle esquissa un sourire qui se voulait rassurant. Le mépris insensé des devoirs de l'hospitalité témoigne d'une âme pauvre au milieu des richesses. Venez. Nous avons du bouillon chaud et du pain.
Ce n'était certes pas un repas de prince qu'elle proposait de servir à la barde, mais ce dernier trouverait sans nul doute à s'accompagner d'un peu de fromage. L'invitant donc à la suivre sous le regard sceptique de l'affidé toujours silencieux, Esmée conduisit la rouquine jusqu'aux cuisines où elle s'employa à modestement dresser la table pour son étrange invitée.
- Installez-vous et prenez le temps de vous réchauffer. Tout en lui servant une pleine écuelle de soupe agréablement parfumée d'herbes aromatiques, Esmée tenta de la rassurer. Vous n'avez rien à craindre ici, cependant si vous le désirez, je peux vous tenir compagnie. Peut-être voudriez-vous me parler un peu de vous ?
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Dim 12 Déc 2021 - 3:01
18 Avril 1167.
Il sembla falloir toute sa volonté à la barde pour ne pas se jeter sur le repas offert comme un chien affamé, ce qu’elle était probablement. A la place, tachant sans doute de satisfaire à l’étiquette de la maisonnée, elle s’installa bien droite sur sa chaise, son instrument près d’elle appuyé contre le bois et entrepris de boire sa soupe en cuillère soigneuse qui n’avait pas l’assurance d’une noble, mais évitait au moins de trop révéler son statut de crève la faim.
La chaleur du repas redonna rapidement de belle couleur à la peau blanchâtre même si la crasse restait trop présente pour vraiment établir une conclusion sur la beauté de la jeune femme. Plusieurs fois ses yeux glissèrent vers Esmée avec un bouillonnement de curiosité mal contenue. Elle entreprit toute de même de lui répondre avant de céder à ses propres questions.
- Il n’y a pas tant à dire sur moi Dame. Mon histoire est semblable à beaucoup d’autres. Une vie difficile mais supportable. J’avais même un certain succès certains auprès de la bourgeoisie et de la petite noblesse il y a quelques temps. Mais aux premières heures de la sombre crise, j’ai eu la malchance d’être plus lente que les autres à m’enfuir, mais pas assez pour en mourir.
Elle se frotta machinalement l’avant-bras avant de cesser tout aussi prestement en laissant une œillade inquiète vers la porte par laquelle elles étaient venue, comme si l’imposant garde allait bondir par l’ouverture pour la chasser après qu’elle se soit si stupidement trahi. Mais rien ne survint, alors, après avoir déglutit longuement, elle reprit son repas. Elle piochait parfois dans la tranche de pain de tout petit morceau qu’elle prenait bien soin de tremper dans la soupe avant d’ingurgiter, surement pour éviter de soumettre son estomac fragile à des matières trop solide après tant de privation. La pomme avait surement déjà été un exploit.
- On nous traitait pas trop mal près de Lods et Sombrebois, mais depuis que les lieux sont revenu en odeur de sainteté auprès de sa majesté… Disons qu’il fallait faire le ménage alors moi et quelques autres on est venu vers le labret. Peut-être que les ferme embaucheront. C’est déjà arrivé. Quand on est discret…
Elle tira sur une mèche de cheveux rouge feu dont la couleur était à peine camouflée par la terre qu’elle avait essayé d’y mêler.
- Moi je ne suis pas assez discrète. dit-elle comme si elle se maudissait de cette particularité qui ajoutait à son malheur. Malheureusement, une femme chauve ou rasée de près n’était pas beaucoup mieux vu. Elle délaissa sa tignasse pour reporter un regard curieux sur la jeune noble qui dura silencieusement quelques instants. Enfin elle demanda.
- Pourquoi vous m’aidez ? d’un ton presque suspicieux, bien que l’interrogation fut sincère.
- Je veux dire, si vous n’attendez rien de moi. Vous êtes gentille, mais les gens gentils ne sont pas si rares, par contre ceux qui aident, eux, presque autant que de la neige en été. Je pourrais presque écrire une chanson à ce sujet. Alors pourquoi vous, vous le faîte ? Je ne veux pas paraître ingrate mais, j’aimerais comprendre ce qui pousse quelqu’un comme vous, qui a tout, à aider quelqu’un comme moi qui ne possède rien. Ou du moins rien que vous ne puissiez désirer visiblement. Vous n’êtes pas obligé de me parler, mais l’artiste en moi se questionne sur les raisons de cette balade.
C’était surement la plus longue phrase qu’elle avait prononcée jusque-là, preuve que la curiosité et un bon repas déliaient rapidement les langues, même les plus prudente. Elle clignait lentement des yeux en l’observant, comme si elle observait une bête mythique qui aurait prit la fuite si elle avait respiré trop fort.
InvitéInvité
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Lun 17 Jan 2022 - 0:06
Sans jugement, Esmée esquissa un sobre et très modeste sourire qui devait encourager son invitée à ne pas s'encombrer de trop de manières. Elle imaginait sans peine ce qu'il devait en coûter à la barde, pour ne pas se jeter sur le peu de nourriture qu'elle avait posé sur la table. Aussi considéra-t'elle ses efforts d'un regard empreint d'aménité pour en apprécier l’impressionnante dignité. Bien sûr, Esmée ne manqua pas de remarquer les œillades pleines de questionnements que lui lançait la malheureuse. Chose que la jeune noble aurait été bien indélicate de condamner alors que la situation tenait indubitablement du plus insolite rassemblement. Une réunion aux allures cocasses, qu'un repas trop frugal ne parvenait pas à pondérer tandis qu'il se dégustait cuillère d'argent à la main.
C'est que l'image était amusante au regard de cet adage éprouvé quelques années auparavant, quand le Morguestanc et ses habitants renouaient avec la famine. "Lorsque la faim croît, l'orgueil décroît", disait-on alors pour s'épargner l'avilissement dans la honte, tout en se persuadant que vivre d'espoir revenait à mourir de désir. Néanmoins, si à l'époque le Mal n'était encore que peu connu, il est aujourd'hui su qu'il a permis de révéler le pire dans ce que l'humanité possédait d'inhumain. Était-ce alors surprenant de voir une main tendue en réponse à l'évidente détresse ?
Probablement.
Tout en quittant son siège pour s'approcher de la cheminée, Esmée opina du chef pour s'accorder avec les propos de son invitée. Elle entendait son récit d'une oreille attentive et s'associait indubitablement à ce que la voix de la jeune femme parvenait à lui transmettre de ses blessures. C'était alors plus naturel encore, pour elle, de se sentir concernée par le sort de cette malheureuse qui, malgré toutes ses différences, lui apparaissait comme son propre reflet. Chassant cependant ce que cette pensée amenait de trouble dans ses réflexions, Esmée entreprit d'attiser le feu, avant de l'alimenter d'une nouvelle bûche. Ce n'était certainement pas le travail d'une dame, encore moins celui d'une noble héritière de son rang. La Sabran se voulait cependant autonome et volontaire dans sa nouvelle vie au Labret. Sur un soupir, elle reposa le tisonnier qui l'avait aidé dans sa tâche avant de relever ses yeux d'ambre. Au-dessus de l'âtre, elle trouva un chandelier d'allure précieuse dont elle alluma les cierges à la cire fatiguée par l'usage.
- Il est triste de constater que la cruauté est aujourd'hui chose naturellement admise. Pourquoi je vous aide ? La véritable question, celle que tous devraient se poser, est plutôt de savoir pourquoi personne ne l'a fait avant moi ? Nous sommes confrontés à un Fléau tel que le monde n'en a jamais connu. L'humanité n'y survivra pas... Tout du moins pas de la manière dont elle se vautre dans ses vices.
Elle revint sur ses pas sans pourtant reprendre sa place à table. Le regard dédié à ses réflexions et le sourire fané de les constater si sombres, elle avait seulement l'air absorbé. Tenues devant elle, la timide lueur des chandelles éclairant son visage juvénile et joliment dessiné, accentuait sans aucun doute le morose de sa triste mine.
- Je ne devrais pas avoir à justifier de mes actes seulement parce qu'ils sont désintéressés. Alors peut-être que je suis cette insignifiante goutte d'eau qui, dans un océan d'injustice, refuse de suivre le courant qu'un souffle tyrannique et malheureux veut lui imposer. Mais je veux croire que la Fange ne réussira pas à détruire tout ce qui doit normalement nous désigner comme des êtres nés de la volonté des dieux. Et je refuse de sacrifier mon âme sur l'autel de cette malédiction que nous devrions plutôt combattre ensemble.
Elle papillonna des yeux alors que le rose lui montait aux joues. Jamais elle n'avait osé dire ses pensées si ouvertement. C'était alors qu'il faillait admettre le ridicule de son discours. Certains s'oseraient sans aucun doute à la qualifier de philosophe rebelle, voire même d'illuminée trop naïve. D'autres, probablement moins conciliants avec son inexpérience, se contenteraient de la guider vers l'échafaud.
- Vous n'avez rien à craindre des personnes qui vivent ici. Prenez le temps de vous sustenter. Mangez à votre faim. Lorsque vous aurez fini, je vous mènerai à votre chambre où vous pourrez prendre un bain et vous changer avant de vous reposer.
Spoiler:
Désolée pour ce délai...
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Lun 17 Jan 2022 - 15:31
18 Avril 1167.
La seule réaction notable à la tirade de la dame des lieux fut un léger gloussement qui manqua de renverser le contenu de la cuillère que Anne portait à ses lèvres. En se rendant compte, sans doute, de l’impudence de son comportement au vu de la situation, le visage de la barde vira au cramoisi et elle baissa vigoureusement les yeux dans son bol afin d’éviter tout contact visuel avec sa protectrice. Pendant quelques instants, seul le craquèlement des bûches et le bruit discret de sa cuillère raclant son plat occupèrent l’espace. Elle finit cependant, après avoir rassembler son courage, par reprendre la parole.
- Je ne voulais pas me moquer Dame. Votre discours est juste si surprenant… Naïf, sans aucun doute. Mais il est rassurant de voir encore de jeunes esprits tenir à cette mentalité malgré tout ce qui est arrivé.
Elle repoussa doucement son plat vide, résistant à l’envie d’en demander une autre louche. Consciente de son état, elle savait que malgré la plaisir évident de satisfaire son estomac, celui-ci était trop fragile pour accepter d’être solliciter à nouveau si soudainement et avec de telle quantité, même liquide.
- Malheureusement, c’est contre la nature humaine que vous luttez gente Dame. Je connais les écrits saints, j’allais souvent au temple écouter les sermons quand j’étais une toute petite fille. Mais déjà alors je savais que la noblesse que notre espèce est sensée possédée de par sa connexion aux trois n’est qu’un mensonge. L’homme est mauvais. Plus encore pour ses semblables. Et la fange, comme toute crise exacerbe tous ces aspects, bons comme nocifs et ces derniers sont bien plus nombreux.
Elle se leva lentement pour ne pas brusquer ses muscles autant que laisser à son estomac le temps de s’accorder avec son nouveau poids.
- J’espère sincèrement voire un jour des gens comme vous, me donner tort. Peut-être même commencer à croire moi-aussi que nous ne méritons pas amplement ce qui nous arrive si ce n’est pire. Un peu de naïveté pure ne ferait pas de mal à notre peuple. dit-elle finalement en ramassant son instrument pour le serrer contre elle à mi-chemin entre un nourrisson et un bouclier.
Visiblement, un repas chaud avait réussi à ragaillardir quelque peu l’audace et la personnalité de la jeune barde qui venait de plus ou moins tourner au ridicule sa vision enfantine des choses. Pour autant une certaine douleur dans sa dernière tirade laissait à penser qu’en effet elle serait ravie d’un jour trouver assez d’espoir pour s’accorder à une telle vision du monde. Son attitude, bien plus docile cependant, n’avait pas beaucoup évoluer et elle la suivi sans broncher jusqu’à l’étage dissimulant bien mal sa curiosité évidente pour chaque pièce devant laquelle elles passaient.
La maîtresse des lieux, ou du moins sa fille, fini par l’amener à l’une des chambres d’invité avec cette douceur naturelle qui émanait d’elle affichait sur le visage. Comme promis un large bac d’eau pure l’attendait pour une toilette complète et même du savon. Anne en frémit, sans doute d’un mélange d’intérêt et d’appréhension. Cependant quand la jeune noble fit mine de s’éloigner pour lui laisser un peu d’intimité, Anne lui attrapa vivement le bras pour la retenir. Une forme de panique se lisait dans son regard avant qu’elle ne le baisse pour ne pas la dévisager avec trop d’insistance. Elle inspira plusieurs fois avant d’avoir, visiblement rassemblé assez de courage pour oser formuler sa requête.
- Ferez-vous vos ablutions avec moi Dame ? Je… je n’ai pas l’habitude d’être seule chez les gens qui m’accueillent. Je sais ce que vous avez dit, mais j’ai vu le regard de l’homme tout à l’heure. Lui il n’est pas heureux que je sois ici.
Il n’y avait pas vraiment de surprise pour une fille du peuple à proposer une telle chose, les bains publics du temple avaient depuis longtemps mis fin à la pudeur des femmes du communs concernant leur propreté corporelle. Mais qu’en était-il d’une jeune noble élevait depuis toujours dans le luxe et le privilège de l’intimité ?
InvitéInvité
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Sam 12 Fév 2022 - 12:49
Il n'y avait rien de surprenant à s'entendre gentiment moquer quand on faisait montre d'un peu trop d'enthousiasme. Esmée savait son ardent caractère trop idéaliste. Elle était indubitablement naïve et bien évidemment inexpérimentée. Que connaissait-elle du monde et de ses conventions ? Derrière les hautes fenêtres des demeures nobiliaires, les jeunes filles étaient cantonnées à des tâches stupidement inutiles. Broder, danser, parader... Rien qui puisse rivaliser avec le génie meurtrier des monstres nés de la Fange, mais une éducation assassine chargée d'étouffer toute volonté d'affranchissement. L'émancipation comme la liberté étaient réservées aux riches, au puissants, mais plus certainement aux hommes.
Aussi Esmée savait que son discours ne trouverait jamais d'autre écho que les rires. En vérité, il n'y avait eu qu'un prêtre pour voir une lueur d'espoir dans ce qu'elle-même qualifiait de doux rêve et pourtant... Même si elle avait semblé amusée par ses paroles, Anne en était venue à imaginer la grâce d'un tel mirage, et ce seul constat avait suffi à contenter la trop jeune noble. Parce que l'espoir était le commencement de toute chose, parce qu'il se fondait souvent sur une idée jugée absurde, mais aussi et surtout, parce qu'il était plus redoutable que la peur.
Il n'y avait alors rien à ajouter aux propos de la barde. Esmée acquiesça et attendit qu'elle soit prête à la suivre pour la guider à travers la vaste demeure. Le pavillon de chasse hérité des Choiseul comptait de nombreuses pièces. Edifié sur plusieurs étages, il tenait davantage du châtelet alors que son aile principale pouvait accueillir et loger pas moins d'une vingtaine d'invités. Pour autant, l'entièreté du castel n'avait pas encore été réinvestie par ses habitants et propriétaires. Les résidents avaient pris leurs quartiers aux premier et deuxième étages, préférant visiblement se regrouper autour des appartements seigneuriaux.
Dans la chambre qu'Esmée avait fait préparer pour son invitée, tout avait été pensé pour son confort. Un lit assez large dont le matelas de lin était indubitablement gonflé de plumes, trônait au centre de la pièce. Recouvert d'une épaisse couverture en laine et de plusieurs fourrures, il avait l'air douillet, et même chaleureux. En face de son très haut baldaquin, un baquet d'eau attendait sa baigneuse devant un âtre illuminé d'un agréable feu. Dans un coin, chaise et coiffeuse patientaient de se voir investies, alors qu'une chemise de nuit propre s'exhibait sur un paravent.
Tout était en ordre et Esmée avait été sur le point de quitter la pièce pour laisser un peu d'intimité à la barde, mais cette dernière l'avait retenue. Un geste qui l'avait surprise, mais qu'elle comprenait finalement alors que cette dernière lui livrait un peu de ses craintes. Anne avait raison et même s'il lui en coûtait de l'admettre, la Sabran n'avait pas un seul argument à lui opposer. Une nouvelle fois, ses yeux d'ambre parcoururent le visage tristement éprouvé de la ménestrel. Elle ne pouvait pas imaginer ce que cette dernière avait pu vivre à l'extérieur des murs de la grande cité-refuge. La faim, les coups, les injures, la peur... Elle se situait très probablement bien loin de la vérité quand elle tentait de les concevoir.
Sa main libre vint se poser sur celle de la malheureuse en un geste rassurant. Elle sourit, l'air compatissant et opina doucement du chef.
- Je resterai avec vous jusqu'à ce que vous vous sentiez suffisamment à votre aise. En attendant, je m'en vais me faire votre camériste. Venez...
Lui prenant délicatement la main, elle la guida jusqu'au bac. Sans brusquerie et pour lui laisser loisir de refuser une aide qu'elle jugerait intrusive, Esmée s'obligea à la douceur. Toucher aérien et gestes mesurés, elle frôlait pour seulement effleurer la peau meurtrie qu'elle s'employait à dénuder. Silencieusement et comme captivés par le méticuleux de leur tâche, ses doigts dévoilaient ainsi la toile de ses souffrances. Ici un bleu, là une écorchure... Le derme frappé d'injustes sentences livrait son histoire et Esmée la découvrait d'un oeil navré. Finalement bouleversée par cette irréfutable preuve de la cruauté humaine, la noble perdit la grandiloquence de son verbe utopiste pour seulement compatir.
Sans bruit, sa main s'aventura alors sur la nuque de la barde, remonta jusqu'à la base de sa chevelure ternie par la boue et ramena chacune des mèches normalement enflammées sur une épaule trop menue. Il n'y avait décidément rien de glorieux à malmener ceux que le monde avait d'ores et déjà blessés.
- Prenez ma main, je vous en prie. L'amenant à prendre appui sur son bras, Esmée aida la barde à s'immerger dans le bain dont l'eau avait été agréablement parfumée. Installez-vous et... Voilà.
Un sourire au sapide altéré par la mélancolie glissa sur ses lèvres. Empathique, Esmée avait l'impression de partager dans ce moment normalement dédié et la solitude, toute la désespérance de cette femme qui n'avait très certainement pas mérité un sombre sort. Prenant sur elle de lui partager ce sentiment, elle attrapa éponge et savon pour chasser l'immonde et le noyer dans l'eau cristalline. Doctement, presque cérémonieusement, la noble fille du Comte de Sabran se mua ainsi en servante dévouée et les gestes de son pèlerinage, comme un hommage à l'artiste oubliée, devaient lui rendre un peu de sa dignité.
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Sam 12 Fév 2022 - 18:28
Avril 1167.
Visiblement rassurée de savoir qu’elle ne serait pas laissée seule, Anne se laissa guidée dans la chambre. Telle une poupée dans les mains d’une tendre enfant, elle se laissa manipulée et guidée, ses couches de vêtements crasseux lentement ôtée pour révéler sa peau nue. Il n’y en avait à vrai dire pas tant que ça à enlever et elle n’eut bientôt pour seule protection que sa saleté et ses yeux clos.
Esmée était douce, protectrice, presque maternelle, elle sentait son regard peser sur elle sans rien faire pour l’éviter. La route ne l’avait point épargné, contusions et écorchures se multipliaient de ci de là, mais rien qui ne disparaitrait en quelques jours ou semaines si on lui en laissait le temps, chose rare pour une femme vivant sur la route. Pourtant à mesure que la poussière et la saleté disparaissait sous les attentions délicates de la noble, son apparente maigreur perdit en profondeur, comme si la noirceur avec renforcée par des traits habilement placés, les ombres et les creux de son corps.
Ses muscles certes fins n’en demeuraient pas moins toniques et joliment dessinés, et son bassin étroit possédait malgré tout une forme de poire élégante et féminine. La seule chose qui ne changea point était la terrible cicatrice informe qui barrait un ventre plat et ferme et qui visiblement devait dater de plusieurs années au moins. Ce n’est que lorsqu’elle se glissa dans l’eau, tenant la main de sa protectrice, que la transformation devint évidente. Débarrassait de toute ses souillures et rendu luisant par l’eau chaude son corp ne s’avéra finalement pas si différent dans sa qualité de celui de la fille au sang bleu. Plus fin, plus athlétique, destiné à des activités moins délicates que la danse et le crochet, mais pas dénué de beauté, loin s’en faut.
Elle s’immergea le visage sous l’eau chaude et émergea quelques instants plus tard, ses cheveux humidifiés retrouvant le profond rouge sanguin et brulant que le soleil et la saleté avait légèrement passé ces derniers jours. Quand elle rouvrit les yeux, toutes traces de la soumission, de la peur et des doutes qui l’avaient habité jusque là avaient disparu pour laisser place à un amusement doublé d’une satisfaction prédatrice. Son sourire s’étira doucement alors qu’elle poussait un petit gémissement de plaisir alors que la chaleur de l’eau s’introduisait à l’intérieur de ses muscles. Une voix plus assurée et tranquille qu’avant quitta ses lèvres.
- J’ai bien failli vous convaincre de le prendre avec moi ce bain, non ? J’ai cru voir une lueur passer dans votre regard, mais elle a vite été balayée par une peur plus insidieuse, une chose que vous espérez dissimuler aux yeux inconnus sans doute, hmm ? Peut-être la chose que vous pensiez découvrir sur ma personne en faisant ma toilette ?
L’évidence apparu alors à Esmée qui malgré avoir vu jusqu’au détail le plus intime de son anatomie, n’avait finalement pas vu la chose la plus évidente. Des griffures, des bleus, la cicatrice… mais pas la moindre trace de morsure, même partielle et rien d’approchant suffisamment pour en laisser le doute. Tant consacrée à sa volonté d’apporter un soutien moral et compatissant, elle avait manqué ce qui importait. Quand elle tenta d’ôter sa main, celle d’Anne remonta sur son poignet et s’enroula autour comme un étau de fer. Elle ne lui faisait pas mal, une vague pression tout au plus, mais dont elle se trouva parfaitement incapable de s’arracher.
- Inutile de paniquer. Vous seriez morte avant d’atteindre la porte ou que vos cris de détresse rameutent de l’aide. Et puis, si j’avais voulu vous faire du mal, ne croyez-vous pas que j’en aurais déjà eu l’occasion ?
Sur ces mots, elle relâcha sa prise, lui libérant le bras et s’installant plus confortablement dans le baquet d’eau, laissant la chaleur de celle-ci, aussi bien que des flammes, la détendre parfaitement.
- J’aurais de toute façon à m’entretenir avec votre père plus tard, mais mieux vaudrait-il que cela ne commence pas par l’aveu de sa fille ayant compatit pour une soit disant mordue rencontrée sur la route et qu’elle aurait fait rentrer sans aucune surveillance dans sa propre demeure, ne croyez-vous pas ? La questionna-t-elle d’un coup d’œil où la critique le disputait à l’amusement.
- Il a fallu quelques jours pour que mon cas devienne suffisamment intéressant pour attirer votre attention, au point que j’ai cru que je devrais quelque peu forcer le destin. Mais non, vous avez fini par faire votre apparition telle une envoyée des dieux souhaitant dispenser amour et compassion sur le monde. Vous étiez si avide d’aider que je n’ai même pas eu à demander assistance ou même à vous convaincre du bienfondé de ma situation. Ne serait-ce pas là un soupçon de vanité Esmée ?
InvitéInvité
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Sam 12 Fév 2022 - 23:01
Plus que la surprise ou la crainte, ce fut la déception qui s'afficha sur le visage de la jeune noble. Une évidente désillusion qui l'amena à seulement fermer les yeux. Le monde était finalement plus fou que ce qu'elle avait pu en percevoir. Il était tout bonnement contaminé par l'hypocrisie et le mensonge. Cependant la question demeurait de savoir quel esprit suffisamment malade pouvait ainsi feindre l'oppression et la servitude. Ne fallait-il pas avoir l'âme torturée de mille névroses pour ainsi mimer l'infortune ? D'ailleurs, qui admettait les sévices et les coups pour seulement avoir l'opportunité d'une grotesque crânerie ? Tout cela tenait de la plus abjecte comédie et Esmée aurait pu en vomir de dégoût.
La Sabran pouvait néanmoins se prévaloir d'un tempérament fier dont le dédaigneux s'armait d'un indubitable courage pour encaisser l'affront. C'est qu'il convenait d'accorder à la prétendue barde, qu'elle était une habile dramaturge. Une actrice, sinon une tragédienne talentueuse et indubitablement versée dans l'escobarderie. En d'autres temps et probablement en d'autres circonstances, aurait-elle admis le brillant d'un tel talent d'affabulation. Aujourd'hui et ici, à Choiseul, Esmée voyait seulement le triste dans un subterfuge visiblement destiné à berner sa trop grande charité.
Elle en pinça les lèvres, refusant d'adresser un regard venimeux à la créature qui se prélassait désormais dans le bain. Le coeur pourtant en proie à la colère, elle aurait pu lui dire sa morgue avec les mots de son orgueil blessé. Cependant trop réfléchie pour ainsi se livrer à un éclat de fureur, elle attendit de sentir son irascibilité refluer avant d'ouvrir les yeux pour les poser sur Anne.
Elle l'écouta ainsi sans broncher. La laissa railler son innocence et sa naïveté, et s'accorda même avec son propos en opinant du chef, tandis qu'elle lui disait toute sa crédule bêtise. Son père, assurément, apprécierait d'apprendre comme sa fille était stupide et niaise. Il serait également ravi d'apprendre qu'une personne au moins, se soit si soigneusement efforcée de lui prouver son incompétence à la garder en sécurité, quand il la savait pourtant désespérément nigaude.
- Il me faut admettre votre écrasante victoire Madame. Vous avez très sournoisement dupé l'âme charitable d'une jeune fille naïve et innocente. Bravo. Si je m'osais à vous dire toute mon admiration, sans doute me vautrerais-je à vos pieds pour vous témoigner de mon ébahissement. Les dieux cependant me pardonnent de me trouver trop accrêtée pour un tel étalage.
S'armant d'un fin sourire, elle se pencha vers son invitée jusqu'à laisser son souffle effleurer la peau de son oreille.
- En vérité, je mourrais plutôt que de vous donner pareille satisfaction. Toutefois... Continua-t-elle d'un ton plus haut tandis qu'elle se redressait maintenant qu'Anne avait libéré son poignet. Je vous accorde la satisfaction d'avoir obtenu le gîte et le couvert sans trop d'effort. De nos jours, c'est une véritable fortune que vous avez ainsi économisée en abusant de ma candeur. Apprenez cependant que les Sabran ont toujours eu à coeur de dignement recevoir les hôtes de qualité. Peut-être auriez-vous mieux fait de simplement solliciter une entrevue ? Je n'ose imaginer le mal que vous vous êtes donné seulement pour avoir l'air misérable...
Forçant cette fois son air chagriné, Esmée porta une main à son coeur, priant silencieusement pour que cette dernière n'en vienne pas à trembler. Parce que si la jeune femme faisait montre d'un peu trop d'assurance, cette dernière n'était que feinte. Aussi préférait-elle mettre le plus de distance entre elle et la louve qu'elle avait malencontreusement invitée dans la bergerie.
- Tout ça pour me mettre dans votre bain ? Ce n'est pas raisonnable. Elle pencha la tête sur le côté et papillonna des yeux pour simuler un trouble. J'aurais alors aimé ne pas avoir à vous le redire, mais puisque vous insistez... Elle secoua doucement la tête avant de reprendre d'un ton cette fois plus corrosif. Je ne doute pas, Madame, que vos charmes ont trouvé à convaincre bien des esprits réticents. J'admets de plus qu'à Sombrebois coutume est de partager son intimité avec la lie. N'en déplaise cependant à votre arrogance, et même si je vous concède le charme vulgaire de l'audace, je ne mange pas de ce pain là.
Pinçant finalement les lèvres pour avoir enfin l'air sévère, elle redressa le menton dans un ultime élan de fierté avant de conclure d'une voix de guivre.
- Mettons donc un terme à ce jeu finalement ennuyeux et dites-moi simplement ce que vous attendez de moi, Anne. Si tant est que c'est là votre prénom.
Dame CorbeauMaître du jeu
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie Dim 13 Fév 2022 - 6:26
18 Avril 1167.
L’inconnue dénommée Anne, ou quelque soit son nom ne broncha pas de toute la tirade savamment composée que lui offrit la jeune noble. Elle ne se permit même pas de rouler des yeux ou de signaler le temps long. Elle écoutait patiemment sans cesser sa toilette, chassant les dernières traces de saleté accrochée à ses ongles, attendant que la tempête passe. Si les mots eurent un quelconque effet sur elle, elle n’en laissa rien paraître. Excepté peut-être à l’évocation de l’effort que cela nécessité d’avoir l’air misérable, qui lui arracha un sourire presque amer, mais si discret que cela n’aurait pu être qu’un jeu d’ombre des flammes sur ses lèvres.
- Oh ma chère, ce n’est là que le tout début de la partie, votre ennui ne tardera guère à être remplacé par d’autre sentiment quand vous en découvrirez les nombreuses règles alambiquées. J’admets parfaitement la cruauté et le dégout qu’inspirent des comportements comme celui que vous venez de découvrir, mais il y a longtemps pour ma part que j’ai dû me faire une raison et l’accepter. Tout le monde n’a pas la chance que vous avez d’avoir pu vous tromper sur quelqu’un sans que cela ne vous coute. Voyez-y donc une désagréable, mais nécessaire leçon, un peu comme effleurer une flamme du bout du doigt pour comprendre ce que se brûler veut dire.
Elle pressa doucement ses cheveux pour en chasser le surplus d’eau avec le même flegme que si elles discutaient des derniers potins en vogue autour d’une tasse de thé en grignotant des gâteaux.
- Vous devrez cependant apprendre à mieux cacher vos sentiments. Votre phrasé est bon, excellent même. Passionné et froid comme la jeune noble offusquée mais digne que vous voulez paraître. Mais votre colère palpable, aussi voyante qu’une torche dans la nuit et rappelle plus un renard sauvage qu’une dame de la cour. Si vous ne voulez pas connaître d’autres moment aussi cuisant que celui-ci pour votre ego, alors il vous faudra apprendre à ne pas laisser votre cœur ouvert aux yeux de tous. Sinon, même votre rang ne vous sauvera pas des menaces que vous rencontrerez.
Elle se leva, ruisselante et impudique, raclant doucement les surplus de gouttes sur ses membres ciselés facilitant le séchage prochain sans cesser de discourir.
- Cependant, même si la leçon que je viens de vous enseigner avait cet aspect ludique pour vous. Elle était aussi là pour me confirmer les deux choses que je pensais de vous. Tout d’abords vos convictions. Une noble cause protégée par une enfant dans un monde qu’elle ne comprend pas, dit-elle tranquillement en levant une main en signe de paix. N’y voyez pas une critique comtesse, j’estime qu’il faut du courage pour cela, vous n’êtes pas ignorante de votre ignorance et malgré tout vous essayez de conserver vos principes et même de les défendre. La fragilité de cette position ne lui enlève pas sa noblesse et beaucoup de vos semblables moi comprise, devraient parfois se rappeler que c’est cela que l’on attend d’eux au fond. Je suis certaine que si Anne n’était pas morte de faim au milieu des bois il y a des mois de cela, elle aurait réellement aimé conter votre détermination dans une chanson.
Elle sortit du baquet, ses orteils remuant sur le sol comme pour refaire le point avec ses sensations et s’empara du linge épais dont elle se servit pour se tamponner afin de parfaire son séchage, toujours sans montrer aucun signe de décence ou de considération pour la jeune femme près d’elle.
- La deuxième chose que je voulais confirmer, c’est ce que vous avez au pied je dirais. Vous ne boitez pas ou plus, signe que la blessure ne devait pas être trop grave et que le chirurgien embauché par votre père a bien travaillé. J’ai cependant noté que votre démarche était légèrement moins appuyée sur l’un de vos talons quand vous vous êtes éloignée ce matin. Je pense que cela est plus un réflexe mental qu’une douleur non ? Vous essayez tellement de l’ignorer que vous finissez par le mettre en avant malgré toutes vos années de leçon de maintiens et de déplacement. Amusant comme parfois notre esprit nous trahit non ? Mais pas d’inquiétude, je doute que grand monde ne soit au courant pour le moment. En réalité, la fuite éperdue de votre père et ses affaires soudain mises en suspens malgré sa grande réputation sont bien plus accusatrices qu’une démarche étrange. Et c’est en partie cela qu’il va falloir s’empresser de corriger en plus de votre capacité à mentir correctement à ceux qui le méritent.
Enfin elle se glissa dans la chemise de nuit propre et confortable, bien que l’humidité résiduelle en colle étroitement le tissu à ses courbes. Elle laissa son postérieur rencontré le lit et tendit ses bras derrière elle pour ne pas s’affaler complètement alors que ses jambes croisées battaient doucement le vide sur un rythme doux qu’elle seule semblait percevoir.
- Mon nom, pour faire les choses dans les règles, est Roxanne Alénia Miranda, Chatêlaine de sa majesté, Maîtresse du val d'Asmanthe. Et ce que j’attends de vous, c’est de savoir si vous voulez regagner Marbrume et prendre place dans cette partie que vous détestez tant mais où se trouve sans doute l’unique chance d’un jour faire entendre vos idées Esmée.
Contenu sponsorisé
Sujet: Re: [Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie
[Convocation]Une sombre note, une douce mélodie, rime donc ta vie