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 L’inélégance du Hérisson

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Le GoupilContrebandier
Le Goupil



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MessageSujet: Re: L’inélégance du Hérisson   L’inélégance du Hérisson - Page 2 EmptyLun 28 Fév 2022 - 22:29

« Grimbert et Renart »
Jamais, en dépit d’une imagination fertile et d’une très forte inclination pour la zizanie et le jeu, Le Goupil n’aurait pu esquisser ne serait-ce qu’une seconde de cette soirée. Rencontrer un vieil ivrogne au comble du désespoir, à l’insatisfaction manifestement aussi étendue que sa propension à râler ; lui tirer les cartes et improviser une histoire rocambolesque, inspirée de malheurs bien réels qui lui vaudraient, plus tard, d’incarner tout à la fois un Fangeux et un milicien ; transporter des seilles d’une fiente susceptible de valoir de l’or aux yeux de quelques privilégiés, pourtant impunément jetée pour y substituer une eau des plus banale. Et pour quoi ? Récurer la merde laissée par la truandaille – au sens propre.
Le contrebandier en venait à souhaiter que, faute de fertiliser le sol, ces étrons puissent au moins le rendre plus brillant, après avoir si longtemps décanté à sa surface.

Armé de son seau et de sa brosse, le renard se résigna à plier sa grande carcasse pour entreprendre un nettoyage auquel il ne s’était jamais prêté. Au moins cette perspective-ci et les discussions qu'elle inspira lui permirent-elles de réaliser ce qu’il soupçonnait déjà : Edgar était un homme instruit ; probablement issu de la petite ou moyenne bourgeoisie, s’il se fiait à son élocution, à ses connaissances et à ce qu’il avait livré de son histoire personnelle. Ainsi donc, il était ou avait été l’un de ces individus côtoyés en d’autres temps. Peut-être ses ancêtres, à les supposer commerçants comme ce père évoqué, avaient-ils été de lointains concurrents de cette famille que le brigand avait un jour eue.

Accroupi tel un crapaud maigrelet prêt à bondir, l’animal se concentrait sur sa tâche et la douleur qui commençait, peu à peu, à saisir une à une chacune des vertèbres de son dos, plutôt que sur les paroles de son acolyte... À moins qu’il ne s’agisse du contraire. Parce qu’il écoutait trop Edgar et menaçait, une nouvelle fois, de s'esclaffer face à des illustrations ô combien parlantes, mais passablement contestables, le renard préférait se focaliser sur quelque chose de désagréable.

Lorsqu’un raclement de gorge lui échappa en dépit de ses efforts, déclenchant ainsi les hostilités d’une hilarité à faire rougir une hyène, le roublard réalisa avoir perdu. Encore.

— Bordel, ce que tu peux m'amuser, vieux fou, déplora le contrebandier dans un soupir, avant que son nez ne se plisse soudain, ah bon sang ! grogna-t-il aussitôt en se redressant d’un trait, ne me fais pas éclater de rire comme ça, bougre d’âne ! Je sens presque le goût de ce qui nous embaume !

Un avant-bras en travers du visage, le marchand hasarda une grande inspiration pour réprimer un haut-le-cœur. Ce malheureux réflexe ne fit qu'accentuer sa nausée.

— Il faut vraiment quatre heures pour dire que la valeur de la monnaie diminuera et que les prix augmenteront ? C’est pourtant bête comme chou, commenta-t-il en jetant un regard en coin à son complice, dans un sourire rayonnant de fierté et annonciateur du pire, arrêtons de parler d’oseille, tu veux bien ? De toute façon, je te l'ai dit : je n’ai pas un radis, gloussa-t-il en s’accroupissant de nouveau, pardon, j’arrête.

Ces jeux de mots ayant eu le mérite d’apaiser son estomac, le roublard put reprendre son labeur.

— Ainsi donc, tu as eu des étudiants… Intéressant. Je ne t’imaginais pas éminent professeur. Cela étant, tu as un certain potentiel pédagogique, je te le concède bien volontiers, admit Le Goupil en plongeant sa brosse dans l’eau, se décalant un peu, à présent qu’il avait nettoyé autour de lui, à t’entendre, je me dis même qu’on pourrait peut-être enseigner aux plus corniauds les rudiments de l’économie… pour peu que ça leur serve.

Désireux d’innover dans sa technique, le renard tendit jambes et bras et entreprit de décrasser le sol en même temps qu’il marchait. Après une longueur, il se redressa, contempla son sillage et esquissa une moue semi-satisfaite. Il ne lui fallut pas réfléchir plus longtemps pour réitérer la manœuvre dans le sens opposé, afin de rejoindre son seau.

— Deux choses m’ont intrigué dans ton discours, le boiteux, reprit-il en plongeant sa brosse dans l’eau, d’abord, ton mépris vis-à-vis des pratiques commerciales de ton père. Méprises-tu le fait de vendre un bien à un prix plus élevé que sa valeur réelle, ou le fait d’instrumentaliser la crédulité de clients qui achètent en se laissant convaincre de ce qu’ils font une bonne affaire ?

Nouvelle traversée de l’atelier, en testant un petit trot, cette fois, qui aurait pu sembler élégant si la maigreur du renard n’allongeait pas démesurément ses membres au point de lui prêter un aspect caricatural.

— La deuxième chose, c’est au sujet de notre cher roi. Penses-tu réellement que tes trois parasites se soient sentis lésés et qu’ils aient, en conséquence, choisi d’agir ? Ce serait donner du sens à leur comportement et j’émets quelques réserves, à ce sujet.

Puisque le petit trot s’était remarquablement passé – et que le sourire à ses lippes en disait long sur l’amusement qu’il tirait finalement de ce ménage improvisé –, le contrebandier se décida à faire le retour au seau en courant.

— Selon toi, que pourrait donc faire Sylvr...

Rendu glissant par les bons soins du roublard, le sol lui avait inspiré un dérapage incontrôlé, imbroglio de gesticulations absurdes, à l’origine d’une chute au gré de laquelle l’intéressé s’était presque étalé de tout son long, les chausses imbibées par l’humidité du plancher, les mains dans la merde fraîchement détrempée.
Immobile, comme pour être tout à fait certain du ridicule dans lequel il se trouvait, Le Goupil expira lentement.

— J’aurais dû couper la poire en deux et me contenter du trot, déplora-t-il en se relevant enfin, sans plus oser bouger ses doigts souillés avant de les plonger dans l’eau de son seau, bien fait pour ma pomme.

Au moins n’en perdait-il pas son humour.
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Edgar DuvalIngénieur
Edgar Duval



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MessageSujet: Re: L’inélégance du Hérisson   L’inélégance du Hérisson - Page 2 EmptyVen 4 Mar 2022 - 1:00
Le vieil ingénieur, en dépit de son état d’infirmité et de son moral, semblait s’adonner du cœur à récurer la merde. Le Goupil avait définitivement cet atrait qu’il trouvait peu chez d’autres personnes. Il était distrayant. Sa présence à elle seule suffisait à estomper l’amertume d’avoir à effectuer un labeur qui ne seyait ni à sa profession, ni à son envie. Malgré tout, il savait prendre le temps de s’agenouiller, correctement, malgré sa jambe meurtrie. Et frotter énergiquement, encore et toujours, dans l’espoir de jouir d’un renouveau.

« Quatre heures pour ça, c’est peut être un peu gros, je te le concède. Les problèmes que j’ai l’habitude de poser sont davantage d’ordre philosophique. Lorsqu’il s’agit de sciences exactes, c’est le plus compliqué. J’essaie de donner des énoncés qui se rapprochent davantage du monde réel que du monde académique, n’en déplaise à certains détracteurs qui ne sont capables que d’apprendre aux oiseaux à voler. Je n’imaginais pas dire cela un jour, mais cette discussion me refile le… panais ! »

Il étouffa un rire, qu’il réprima presque en un grognement de cochon, avant d’ajouter sans transition.

« Il va falloir que je me fournisse en pain et en vin… Pas que t’es insupportable, mais Serus nous rappelle constamment de quoi on est fait… Et de quoi nous avons besoin avant tout… »

Il se redressa, essuyant son front d’un revers de manche, parcourant avec précaution son atelier, marquant un appui prononcé sur sa canne à chacun de ses pas pour éviter une manœuvre malencontreuse sur le sol humide.

« Si tu veux tout savoir, mon père était un escroc. C’était un véritable esclave de l’argent. Il ne jurait que par ça et il finançait mon éducation sans vraiment s’intéresser au cadeau qu’il me faisait : j’apprenais des choses, j’arrivais à les mettre en œuvre dans la vie réelle en les observant, et parfois je me plaignais que les professeurs étaient de vraies têtes de verge avec leur tonsure. Il ne s’est jamais vraiment intéressé à moi là-dessus. Lui, il voulait juste que je succède à son affaire en son nom. Le genre à croire qu’on obtient tout avec l’argent. Ça ne m’étonnerait même pas qu’il eût été dans une maison de passe ; ma mère était nourricière mais peut-être qu’elle ne lui suffisait pas. Enfin. Je ne méprise ni le fait de vendre un bien à un prix plus élevé que sa valeur réelle — la valeur est subjective et perçu, mon bon Goupil — ni le fait d’instrumentaliser la crédulité des clients — ils agissent, de mon point de vue, selon leur libre arbitre. Ou peut-être que les dieux l’ont voulu ainsi… »

Il s’était dirigé vers son escalier, pensif, assailli de pensées lourdes qui semblaient le décourager momentanément. Il y avait sa couche à changer. À moins de trouver un autre moyen de passer une nuit sans se souiller, quitte à dormir à la dure. Il réprima un bâillement, conscient qu’il venait de passer un semblant de nuit blanche en compagnie du Goupil.

« Pour ta seconde interrogation, je pense qu’un monarque corrompu donne l’exemple que pour réussir, il faut écraser les autres. Nous vivons dans une kleptocratie : Monsieur S. est corrompu, pille son peuple, permet la corruption au point que personne de sa petite milice n’ait agi en ma faveur, et il possède le pouvoir parce qu’il donne l’illusion de maintenir les gens en sécurité à l’intérieur des murs de Marbrume. Tu ne pourras pas me faire dire le contraire ! »

Il arqua un sourcil de surprise, un main tendue vers l’avant, alors que son hôte se rétama à plat ventre.

« E-Est-ce que ça va ? Tu ne t’es pas fait mal ? »

Constatant la souillure qui avait tâché les palmes du binoclard, il réprima une grimace et le laissa reprendre du poil de la bête à sa manière. Il aida l’homme à se redresser, du mieux qu’il pût.

« À mon tour de te poser des questions : je ne suis pas stupide, ça se lit sur ta gueule que tu as des rapports intéressés avec les gens. Tu m’as même confié aimer les bonnes choses. Tu es sans doute comme le paternel à croire qu’on peut obtenir beaucoup de choses avec de l’argent. C’est ton droit, je l’accepte. Il faut dire que tu m’as été d’un grand secour. Ce que je ne comprends pas en revanche, c’est que tu trouves à apprécier ma compagnie sous prétexte que je te fasse rire. Je dois t’amuser avec ma manière de penser, ou quelque chose du genre. Tu as même l’air de dédramatiser cette situation de merde avec des jeux de mots sur les fruits. J’irais même jusqu’à dire que tu as la… pêche ! »

Il se surprit à lui faire un léger clin d’œil, avant de se faire interrompre par un appel grondant. Sa bedaine lui faisait comprendre que…

« La nature a horreur du vide. Du pain, du vin, ça coûte pas grand-chose. Je vais sans doute me sustenter, me saouler et dormir sur le pallier ensuite. Je ne vais pas te demander de me border, mais si tu veux échanger un repas simple et copieux avec moi, je t’invite. Je te te rémunèrerai pas pour cette aide — tu as profité à ta manière de la situation — mais je sais remercier de la juste manière qui soit. Tu te rinces bien les mains, et on y va ? »

Il détourna le regard, inquiet d’être autant sous l’empire de la faim et de l’ébriété.

Sans compter sa guibole qui lui rappelait sa nouvelle condition d’estropié.
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Le Goupil



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MessageSujet: Re: L’inélégance du Hérisson   L’inélégance du Hérisson - Page 2 EmptyLun 7 Mar 2022 - 23:20

« Grimbert et Renart »
De nouveau accroupi en crapaud, au-dessus d’un seau d’une eau passablement souillée dans laquelle il plongeait pourtant ses mains, le renard écoutait avec attention – une attention quasi constante, du reste – les propos de l’homme de guingois. Lorsqu’il en eut fini avec sa toilette, écarta ses longs doigts, les agita pour les égoutter et déplia ses grandes jambes, un sourire persistait toujours sur sa figure.

— Si tu veux mon avis, j’ai plutôt la cerise… Quoique j’ai sûrement cherché ce qu’il m’est arrivé, concéda-t-il dans un gloussement, je ne crois pas être fait du même bois que ton paternel. Pas tout à fait, du moins. J’ai un rapport intéressé au monde, je l’admets, mais reste cependant ouvert à toute contrepartie. N’est-ce pas plus raisonnable, alors que, comme tu le sais, l’or me brûle les doigts ? Oh d’ailleurs… Il faudra que tu me montres ce tour, que tu as fait au puits. Cette façon de jouer avec la monnaie. Une autre fois.

Le roublard se détourna de son hôte, rabaissa les manches de sa chemise et récupéra sa pelisse.

— Il y a quelque chose de fascinant, chez toi, vieil homme. En tant qu’être foncièrement curieux, tes connaissances m’intriguent, inévitablement. Tu as l’apparence d’un académicien sans en épouser les mœurs, ce qui te donne l’air accessible et probablement plus… sympathique, malgré quelques digressions de grand sage, qui pourraient déplaire. Un peu comme quand tu annonces des questions qui ne viennent jamais ou n’en sont pas, hm ? s’amusa-t-il en jetant un regard en coin à son complice, comme il réajustait ses vêtements, je n’aime pas les gens sérieux. Ceux qui ne sont que cela, comme s’ils avaient constamment un manche à balai dans le fondement. Toi, tu n’es pas de ce genre, il ne me paraît donc pas aussi… surprenant que je sois encore ici, avoua-t-il sans détour.

Avec une précaution accentuée, Le Goupil traversa le plancher détrempé pour quitter l’atelier en partie récuré. L’air frais de fin de nuit s’insinua dans le col de sa pelisse, serpenta le long de son dos, épousa l’humidité de braies dans lesquelles on aurait pu croire qu’il avait pissé. Dans un frissonnement, l’animal lâcha un grognement mécontent.

— Je n’attendais aucune rétribution pour le nettoyage, admit-il en renouant avec ses grandes enjambées, sans plus s’inquiéter de glisser au moindre pas, comme tu l’as si bien souligné, j’ai profité de la situation à ma manière… C’est ce que je prétendais, lorsque j’affirmais être ouvert à toute sorte de contrepartie. La diversité des hommes fait leur richesse ; il est rare que je ne trouve pas mon compte dans un échange. Que ce soit en compagnie ou au détriment de mon interlocuteur, avoua-t-il en jetant un regard en coin au boiteux, qui eut cru que nous finirions complices ? L’ivresse y contribue sûrement.

Non loin de l’entrée d’une auberge où Edgar dénicherait de quoi parachever une interminable soirée, le renard s’arrêta. Il examina silencieusement la façade du bâtiment, puis reporta son attention sur son acolyte, dans un large sourire.

— Nos chemins se séparent ici, vieil homme, déclara-t-il sans préavis, je te sais gré de me proposer une lippée, mais suis assez peu porté sur la chose et exècre à la partager… même si la nature a effectivement horreur du vide, comme tu le soulignes si justement. Ce qui n’est pas sans me navrer, parfois, soupira-t-il avec un air presque nostalgique – tout serait tellement plus simple si le vin, le jeu et les femmes suffisaient, et puis regarde-moi ! Un repas copieux ? Et prendre le risque de perdre cette stature remarquable, toute faite de muscles ? Oh… j’ai saisi, vieux fourbe. Tu es jaloux de cet éphèbe que tu as sous les yeux et entends le mettre hors course ! Quelle sournoiserie… Eh bien tu ne m’auras pas à ce jeu-là, vil fripon !

Suspendant ses gestes grandiloquents, le contrebandier esquissa un sourire.

— Plus sérieusement : vois, autour de toi, ces miséreux, ces va-nu-pieds. Il semblerait que pour être dans les normes, il faille rester mince, alors…

Sur ce calembour, le roublard rendit – à retardement – son clin d’œil à son interlocuteur, se détourna, puis reprit un chemin qu’il préférait parcourir seul, persuadé que les sentiments et rapports humains ne pourraient qu’entraver une liberté embrassée pleinement.
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