Marbrume



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 Danse Macabre

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Léonice de RaisonBaronne
Léonice de Raison



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyMer 22 Juin 2022 - 11:37
L’éclaircissement de la Vassignac fut bienvenue, mettant Léonice au parfum étrange qui se laissait renifler, morbide, au milieu de ce bal qui comptait de plus en plus de catastrophes. La suite fila avec la rapidité d’un éclair, ainsi que ces pourfendeurs du ciel qui ne laissaient parfois rien d’autres que la stupeur et l’invasion des sensations étrangères au corps humain ; du moins, qui devraient l’être bien plus que ne le laissait supposer le calme apparent de la baronne qui n’en menait pas large. On la secoua, menaçant son intégrité ainsi que sa tenue, la pauvrette devant placer avec cordialité une main contre ses lèvres avant que tout ne s’arrête. Son ventre remuait autant qu’un nid de serpents venimeux, chacun plaçant sa tête de temps à autres au fond de sa gorge comme s’il allait sortir ; mais heureusement, toute forme de liquide ou de serpent resta bien sagement à sa place au fond de son gosier. Léonice parvint à entendre la voix de son ami, se laissant redresser, notant au moment d’avoir passé ses doigts à sa bouche le goût ferreux qu’elle en retenait ; elle s’essuya de l’autre main, reprenant conscience de l’état de son corps et des minuscules sensations de brûlures qu’elle percevait à sa senestre. L’immédiateté de sa position l’immobilisa, figée dans les bras d’un Gyrès soucieux de l’état de son amie, mais qui renvoya Léonice à des contrées plus sombres de son existence. L’adrénaline afflua comme d’une seule voix dans tout son corps ; si sa déglutition fut difficile, sa dextre se posa non longtemps après sur le torse de son compagnon.

« Je vais bien, navrée de vous avoir inquiété», murmura-t-elle à sa seule intention.

Passé la crainte panique d’avoir été empoisonnée, régnait finalement une ferme volonté de ne pas laisser la mort lui rouler dessus comme à trop de personnes en cette soirée. Scrutant les ombres à la recherche d’au moins ses partenaires de conversation, Léonice souffrait d’un sensible mal de crâne qui lui fit manquer quelques phrases de l’échange entre Gyrès et Lazare ; elle en comprit néanmoins l’essentiel, comme la mention très pertinente d’un probable bouc émissaire ainsi que la présence du Thiercelieux.

« Je n’ai pour ma part aucune idée de si je devrais vous attribuer ma confiance,» rajouta-t-elle en toute lucidité. «Certains meurtriers se trouvent parfois bons comédiens, mais je suis d’accord pour dire qu’il serait épuisant de douter de chacun en toute circonstance. Messires les Comtes, Baron, Vicomtesse… je ne vois pas la Baronne mais j’imagine qu’elle n’est pas très loin. Faisons en sorte que cette soirée ne soit pas notre dernière ensemble.»

La baronne ne tremblait plus qu’imperceptiblement, comme prise d’un frais contre sa peau qui ne la quitterait pas avant un moment. Elle se détacha pourtant légèrement du Comte, liant toutefois leur main autant par geste d’affection que par volonté de ne pas le perdre dans le noir, ou d’immédiatement sentir si quelque chose ne devait pas aller. La suite ne fut qu’une succession d’évidences, alors qu’on interpellait chaque invité avec une hésitation dans la voix aussi macabre qu’insuffisante. Léonice répondit à l’appel, presque satisfaite de ne pas avoir un double quelque part, bien que cela signifiait probablement que sa réputation en était encore au stade de sombre inconnue de la haute société. Un léger souffle nasal pour seul signe de son mécontentement, il fut bien le nom du Comte de Malemort pour soudainement envenimer une ambiance au goût de préparation d’incendie. Léonice ne put s’empêcher de légèrement serrer ses doigts contre ceux de son ami ; elle ne s’était jamais sentie l’âme de défendre les victimes d’injustices. Quand cela n’allait pas dans son intérêt, jamais ne viendrait à l’esprit de la jeune veuve de s’inquiéter du sort d’autrui. Mais l’impertinence de tels propos la faisait bouillir comme une petite théière trop chauffée ; comment pouvait-on croire à un coup monté de la part d’un homme qui devait avoir trop conscience de sa différence et des risques qu’il aurait à ainsi se dévoiler ? L’homme aurait prit un nom d’emprunt, assurément, Malemort étant trop proche d’une affaire encore très récente parmi toute la société.

Mais Léonice n'en fit rien, resta silencieuse et aux aguets, au moins autant que pouvait l’être un borgne dans un endroit mal éclairé. Le Sergent en appelant donc aux faux et aux vrais, visiblement décidé à lever le voile sur une inquiétante histoire de multiples devant être singulier. Si Gyrès amorçait le moindre geste pour s’exécuter, la baronne fit en sorte de le retenir, pour peu qu’il se laisse faire. Evitant de peu de marcher sur le Baron au sol, elle se rapprocha du Comte isolé, ayant à cœur d’affirmer ce qu’elle disait quelques minutes plus tôt ; il fallait placer sa confiance quelque part et en assumer les conséquences.

« Cela me paraît un peu trop commode, Sergent.
—… Pardon ?»

Léonice s’exprimait d’une voix claire, suffisamment forte pour qu’elle ne résonne jusqu’aux balcons. Ceux qui l’avaient déjà entendus à une soirée quelques mois auparavant chez ce cher Ocrelac n’auraient aucun mal à la reconnaître, mais pour le reste, peut-être paraîtrait-elle dissonance supplémentaire dans une désharmonie déjà bien installée.

« Cela n’est-il pas trop pratique de s’occuper en priorité d’usurpateurs, aussi nombreux soient-ils ?
—… Regardez où elle se trouve ! » s’épuisa le malheureux dont l’écrasement supposé du pied n’avait visiblement pas suffit à calmer les ardeurs.

Les réactions s’alimentaient à nouveau, courant comme les flammes vers un peuple d’arbres trop rapprochés, gourmandes. Le Sergent tenta tant bien que mal de rappeler tout le monde à l’ordre ; Léonice ne se soucia aucunement du brouhaha dégénéré pour faire trancher de sa voix le tumulte désorganisé.

« Aurais-je entendu le terme de caste ? Qui est le plus impie, le pleutre ignare profitant des ombres pour attaquer, ou un homme n’ayant aucune honte à porter son nom et son visage ?»

De murmures en discussion, Léonice ne laissa à personne le temps de répondre avant d’enchaîner, ce détracteur se sentant probablement suffisamment outré ou humilié pour ne pas reprendre la parole dans l’immédiat.

« Sergent, j’entends que votre prétention de nous protéger soit honnête, mais avez-vous pensé que ces usurpateurs ne soient que de parfaites distractions ? Je compte deux morts suspectes, plus au moins deux malheureux sous ce… Lustre, et vous demandez à tout un groupe de se rapprocher au couvert de l’obscurité ? A votre avis, vers qui la corruption s’est-elle tournée en premier lieu pour laisser apparaître autant de doublons ?»

Les réactions se firent plus mitigés ; au milieu d’indécis, quelques insultes envers la jeune femme fusèrent, d’autres s’attardèrent sur la probable explication que devrait donner les miliciens et autres figures armées pour ainsi faire autorité. Le Sergent perdrait peut-être son sang froid ; et s’il répondit, sa voix se perdit dans les limbes d’un mouvement de groupe autour du lustre.

« Occupons-nous de vérifier qu’il n’y ait pas d’autres victimes, ou pire. Dois-je à tous vous rappeler les événements récents du couronnement ? Je ne compte pas rester inactive au même endroit. Le faux Comte de la Boétie ayant été identifié, vous n’avez pas besoin du vrai, et personne n’est assez audacieux pour emprunter le nom de Malemort,» conclut-elle avec autant de fausse assurance alors que la nervosité lui faisait serrer les doigts de Gyrès.






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Gyrès de BoétieComte
Gyrès de Boétie



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyVen 24 Juin 2022 - 19:13
Lorsqu’il se présenta face à toute l’assemblée suite à l’injonction autoritaire émise par le Sergent, le comte de Malemort souleva bien malgré lui nombres de commentaires acerbes sur sa personne, fait auquel le pauvre malheureux devait être depuis le temps habitué chaque fois qu’il dévoilait son teint mauresque à la bonne société marbrumienne. L’on dissertait à loisir sur le vice prétendument inhérent aux gens de sa race, les piapiatements incessants colportant rumeurs et ragots sur la féroce sauvagerie attribué aux Orientaux, adeptes des rituels macabres commis en l’honneur de leurs déités infernales. Après tout, le mot « étranger » n’est-il pas forgé à juste titre sur la base « d’étrange » ? Et qui a-t-il de plus étrange qu’un individu différent de soi ? C’était d’une logique imparable. Décidément, nous étions bien en sécurité, nous autres, sans ces gens au teint basané, colporteurs du malheur. Il est vrai que le meurtre, l’assassinat politique, le viol et le sectarisme ne sont point ancré en nos mœurs langroises. Regardez donc : comme par hasard, le soir où l’un d’eux se montre à une si somptueuse cérémonie, tout dégénère !

Excuse moi pour cette tergiversation, lecteur, j’ai le vers parfois moqueur, et je me laisse aller face à l’envie facile qui me prend de me moquer de la bêtise humaine.

Hormis cet incident prévisible, je ne m’attendais point à ce que l’ambiance s’électrise avec l’intervention de ma chère et tendre baronne de Raison. Celle-ci n’avait point lâché ma main depuis que j’étais venu à son secours, à ma grande joie (je ne pouvais cacher mes joues rosissantes face à cette marque d’attachement), et, au moment où le sergent m’assénait de m’avancer pour témoigner de mon identité, je sentis la douce Léonice presser ses doigts autour des miens, comme pour me sommer de m’arrêter (car, sans douter, je m’apprêtais naïvement à avancer hors de la masse grouillante pour me présenter face au sergent). Ainsi retenu, je ne pus qu’assister à la démonstration rhétorique de la belle, qui remettait en cause la probité de la garde et démontrait au Sergent que l’on ne pouvait décemment et logiquement guère faire confiance aux autorités présentes. La Baronne soulevait un point important, il est vrai : comment donc autant d’usurpateurs avaient-ils pu s’immiscer en ces lieux sans la complicité de quelqu’un du dedans ? Cette complicité était-elle isolée ou étendue ? Quoi qu’il en soit, comment pouvait-on faire confiance aux hommes d’armes de céans ?

L’officier lui-même perdit ses mots face au bagout qu’affichait la dame aux cheveux flamboyants, et ne pouvait qu’impuissamment constater la véracité de ses propos. Je fulminais intérieurement lorsque j’entendis porté à mes oreilles les injures odieuses adressé à l’encontre de la Baronne, injures lancés par d’hagards imbéciles dont j’avais grande hâte de rabattre le caquet.

« Souffrez, ma mie, que je fasse taire ces impertinents roquets », murmurais-je à l’attention de la baronne, tout en me rapprochant d’elle.

Je n’eus guère le temps de faire l’étalage de ma dévotion envers ma dame, car le sergent repris malaisément la place d’autorité qui était la sienne :

« Il suffit ! Nous ne pouvons accepter telle défiance vis-à-vis de nous autres, qui sommes là pour assurer votre protection ; sans votre aide à tous, il nous sera difficile de faire vérité sur cette affaire. Je somme donc les appelés à s’avancer, du moins à témoigner de leur présence. Est-ce donc le comte Gyrès qui se tient à vos côtés pour que vous vous acharniez ainsi à le protéger ? »

« Je ne peux le nier ni le cacher, en effet », dis-je tout en m’avançant fièrement hors de la foule. Je suis bien le comte Gyrès de Boétie, prince des poètes et poète des princes ; et je veux dire à ceux qui médisent autour de nous que nul n’apparait comme plus coupable que celui qui s’offense de tout et de rien. Qui donc peut porter d’aussi indignes insultes à l’égard d’une si gracieuse dame, hormis un pleutre et un assassin ? Que s’avance donc les indigents, que je les rosse de mon verbe ! », tonnais-je d’un ton de défi, soucieux de préserver l’honneur de ma mie.

« La paix, Comte, la paix ! Nous ne sommes pas là pour nous quereller davantage. Qu’en est-il de la vicomtesse de Malmaison ? De la baronne de Verteuil ? Et du vicomte de Ségur ? Peuvent-ils attester de leur présence ? »

Seul une vénérable dame d’un âge avancée réagit à la sommation, se présentant de sa voix chevrotante sous le nom de baronne de Verteuil. La vicomtesse et le vicomte, que je savais désormais usurpé de son identité (ce qui confirmait mes doutes), manquaient donc tous deux à l’appel. Soit ceux-ci restaient savamment dissimulé parmi l’assemblée, soit ils s’étaient discrètement éclipsés du domaine, ou, tout du moins, de la grande salle de danse.

« Nous avons donc potentiellement deux intrus en ces lieux, et/ou deux disparus », grommela le sergent de sa voix rocailleuse. « Bien ! asséna t-il de son ton martial, « nous clôturons les lieux tant que l’affaire ne sera pas éclaircit. Il vous est interdit de quitter la grande salle ; des gardes passerons parmi vous pour s’assurer de votre identité, et pour vous poser quelques petites questions, tandis que d’autres passerons au peigne fin le domaine de monsieur du Bellay. Evitez néanmoins de grignoter ou de boire quoi que ce soit, à l’avenir, pour ne pas connaître le destin funeste de monsieur de Ponian. »

Ponian devait être l’homme grassouillet assassiné par le petit four infecté qu’il avait âprement dévoré ; sans même un avertissement de la part du sergent, il ne me serait jamais venu à l’esprit l’idée de toucher à quelque met que ce soit, au vu du sort du pauvre malheureux, dont le regard livide hantait encore ma conscience.
Suite aux dernières déclarations de l’officier en charge, les murmures insistants reprirent de plus belle. Les nobles et bourgeois ici présent s’adonnaient à nouveau à ce qu’ils avaient commune mesure de faire : médire et intriguer. Un climat de méfiance régnait sur les lieux, et tout le monde apparaissait comme un suspect potentiel. Surtout un individu en particulier, à qui j’avais le malheur d’être rattaché depuis la plaidoirie de dame Léonice. Le Baron d’Ocrelac avait eut l’intelligente et lâche idée de décamper loin de nous, et s’était déjà intégré parmi un cénacle de mondains tout aussi détestables que lui. Nous n’étions plus que moi, la baronne de Raison et le comte de Malemort, formant par infortune un bien étrange trio (mais qu’il m’était plaisant d’être en compagnie de ma douce !). Des regards haineux et mauvais s’apposaient sur nous, et il ne me fallait guère être savant pour deviner les raisons de cette malveillance.

« Mes chers amis », dis je à l’adresse de mes compagnons, « nous voilà seuls et laissés à nous même. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais je doute qu’il soit pertinent d’attendre ici sagement que l’un de nos appréciable congénère ne lance le lynchage généralisé que tous ici attendent. Et je doute que la garde puisse faire quoi que ce soit pour nous protéger d’un tel mouvement de foule. Les loups autour de nous se dévoilent, et je n’ai pas envie d’être leur repas. De même, je dois avouer que toute cette affaire me chauffe l’esprit, et que je brûle d’en savoir plus, sans attendre le retour des hommes d’armes, qui ne sont bons qu’à poser la question et à brutaliser leur monde. Excusez le peu de confiance que je met en leur esprit lourd et pataud », concluais-je, taquin.



Dernière édition par Gyrès de Boétie le Mar 9 Aoû 2022 - 12:23, édité 2 fois
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyDim 26 Juin 2022 - 17:39



Danse macabre | Automne 1166

Si j’avais en vain tenté d’empêcher la Raison d’intervenir, il me prit une vive envie de soupirer mon dépit lorsque débattèrent l’une et l’autre parties sur la place qu’il me fallait assumer dans ces jérémiades nobiliaires. Le temps de mes interventions incendiaires était révolu depuis bien longtemps, et il m’épuisait d’être encore assorti de sombres pleutres et ignares. Je regrettais davantage encore la distance imposée à moi par ma chère amie de Vassignac que je devinais finalement aussi sensible aux racontars que la vicomtesse de Ségur n’avait pu le profiler l’instant précédent. Une déception en cachait souvent une autre, et celle-ci m’était plus difficile à encaisser que le peu de crédit que je pus un jour accorder à ce malotru dont l’intellect déjà bouffé par la Fange ne l’avait rendu ni plus marquant, ni plus brillant. Dieux savent qu’il aurait pourtant fallu un peu de clarté tant dans cette affaire pour le moins lugubre que dans les remous ténébreux des filaments d’ombre serpentant entre nous autres. Je me contentai toutefois d’ouïr les âneries tant beuglées que murmurées, ne leur accordant qu’un dédaigneux profil qui ne put se départir de sa hauteur innée, tant par la taille que l’indifférence. L’indifférence, oui, la seule réponse qu’il était judicieux d’accorder à la bêtise profonde, en particulier auprès de qui se veut rayonner en société en jetant quelques bribes de joute à qui tolère de s’y adonner, tout ridicule confondu. Quelle importance, si mon allure me donnait tort, mon âme noble se tachera les éconduire en toute circonstance. Car il me fallait être ici irréprochable, et j’en avais conscience plus que quiconque. Pas le moindre de ces maroufles personnages ne se devait paraître plus propre, plus net, plus impeccable que je ne le devais ; moi, depuis ma dissidence affirmée à l’égard du pseudo-roi et son cortège d’hypocrites, depuis ma carnation hâlée et ses inconvénients au regard des Trois, depuis mon profil atypique et mon peu d’appétence pour l’équitation au profit de la marine de guerre.

Il me tardait que l’on cesse de faire mon procès avant même d’avoir déterminé mon hypothétique participation à ce manège d’un côté comme de l’autre, car je n’avais en tête qu’une chose – et qui me semblait pour le moins primordiale – à savoir découvrir les instigateurs de cette morbide réception. La contemplation de la vulnérabilité nobiliaire était chagrinante, vexante même, lorsque nous étions sensément des plus éduqués et capables de déterminer quels dangers convoitaient nos possessions. Cette soirée dansante était un échec de bout en bout. Et je me savais me retrouver en ligne de mire, lorsque j’aspirais plus tôt à ne retirer mon masque sous aucun prétexte ; et voilà que la seule excuse à cette décision se trouvait me courir entre les jambes et s’enrouler à mes chevilles comme autant de vipères venimeuses. Du coin de l’œil, lorsque je balayais les trois groupes majeurs s’étant agglutinés sous les torches tant de la scène musicale que de la volée de marches crevant le mur, pareils – me disais-je – à des essaims de frelons hargneux, je notais autant d’œillades à mon encontre que de sages évitements, consciencieuses manœuvres pour ne pas s’associer à moi ou “aux miens”. Car ces deux énergumènes à mes côtés tachaient de défendre ma position avec bien plus de ferveur que je n’en aurais démontré ce soir ; ce qui n’arrangeait pas tout-à-fait mes affaires. À quoi bon, je naquis coupable.

Fort heureusement, d’autres sujets furent abordés, et en particulier celui de la présence inopportune de ces élucubrateurs, colporteurs de mensonges et de faux. Quatre d’entre eux au moins se trouvaient parmi nous, et un seul avait véritablement été découvert par le fortuit fruit du hasard ; il s’agissait de nul autre que ce poète de pacotille, dont les vers de goujat avaient éraflé nos oreilles lettrées. Celui-ci se tenait comme accoté à son milicien attitré, qui ne cessa jusque là d’incarcérer son bras dans sa poigne rustre, près d’un sergent échangeant dans un premier lieu avec la Boétie puis notre assemblée désaccordée. Ce dernier sembla garder son sang-froid en dépit de la pression que ses épaules supportèrent au sein de cette ronde de lions tenant plus du chat échaudé que du roi de la savane. L’on nous enjoint à vaquer à nos occupations au sein de la grand salle tandis que l’enquête requerrait notre pleine coopération devant les interrogatoires que mèneront soldats et invités, des danses de couple que ni les uns ni les autres n’avaient prévues et qui attisaient le mécontentement général. Les palabres de Gyrès, ce “prince des poètes”, résonnèrent à mes oreilles avant que je ne puisse véritablement y prêter attention. J’abandonnai mes observations anarchiques pour porter un regard las, non pas du discours mais de la tournure des évènements, sur le locuteur qui se sentait des airs de grand inquisiteur.

Je me contenterai d’épargner à ma nuque de finir sur le billot sociétal. S’il faut pour cela pactiser avec ces “esprits lourds et patauds”, qu’il en soit ainsi. Nous n’approcherons pas les malheureux sans leur bonne volonté, si vous contemplez véritablement l’idée d’enquêter.

Cela ne tombait-il pas sous le sens ? Le cordon de miliciens et mercenaires gardant le pendu décroché de peur qu’il ne s’évade sur un coup du sort ne saurait guère être forcé par l’approche suspecte de trois énergumènes dépareillés comme nous l’étions. Notre trio atypique ne souffrirait d’aucune porte ouverte, si bien qu’il était nécessaire de trouver une clef adéquate à nos impulsions de détective.

Sergent d’Archambault, puis-je vous accaparer un instant ?

J’interpellais le susnommé d’une main tout juste hissée en l’air, réalisant à la lueur d’une torche lointaine que mon gant de coton blanc s’était fendillé de meurtrissures sombres prenant en ampleur par effet de capillarité ; je remarquais par ailleurs que mon bras me faisait sensiblement souffrir. L’abaissant alors, j’attendis que ce chef de garde se montre disponible, pour l’heure affairé à démêler les nœuds de la présence de l’usurpateur dévoilé. Ce faisant, il me fallait demander à mes confrères de s’écarter légèrement, tout en prenant soin de ne pas se blesser sur les morceaux de ferraille ou de verre éparpillés au sol. Une chose m’avait échappée lors de ce ramdam assourdissant : la coupelle où j’avais conservé l’amuse-bouche ayant mené le Ponian à trépas. Qu’importe l’état dans lequel j’allais le retrouver, il aurait été judicieux de le présenter au gradé. Si je remarquais un morceau de la coupelle qui avait dû se briser dans la manœuvre de recul que nous avions tous fomenté, il m’était ardu de remarquer le feuilleté qu’avait laissé échapper ce gras personnage dans l’auréole de clair-obscur qui nous encerclait. Toutefois, me tournant, me retournant et soulevant la longue cape me couvrant jusqu’à traîner au sol, je notais la présence de cet élément de buffet en partie consommé et m’en vint le quérir sous un morceau de céramique plutôt que de le toucher directement. J’annonçai cette heureuse trouvaille à mes comparses tout en me redressant, et perçus par delà l’épaule de l’automnale Raison l’approche du Sergent lui-même et d’un de ses collaborateurs subordonnés.

Madame, monsieur, salua-t-il sobrement avant de lever le nez sur moi. Loin de sa paire de marches, l’homme était plutôt courtaud, sa chevelure grisonnante ayant tout à envier à celle qui restait éternellement noirâtre sur mon crâne touffu. Comte de Malemort, je crois ?
Lui-même, victime de sa mauvaise notoriété, rétorquai-je tout en présentant à son soldat le support improvisé de ce restant de petit fou. Monsieur de Ponian mangeait cela avant de s’effondrer, peut-être cela vous permettra-t-il d’aller vous renseigner en cuisine. Il s’agissait du dernier élément sur un plateau dévalisé de ses mignardises, sans autre victime.
Fine observation. Guettiez-vous le malheureux ?
Pas le moins du monde, madame de Raison fut la première à lui faire parvenir de l’aide, je ne l’avais jusqu’alors pas remarqué. Toutefois, je saurais vous décrire les quatre convives ayant rejoint l’étage en compagnie de la première victime, continuai-je tout en désignant d’un regard morne le linceul étalé sur le corps inerte du valet. Aussi, monsieur de la Boétie, plus qu’un poète dévoué à la Trinité, a côtoyé au sein du Temple nos guérisseurs et médecins sacrés afin de tirer moult enseignement illustrant ses contes et vers. Peut-être saurait-il vous aiguiller quant à la nature de ces tragédies ? proposai-je tout en coulant un regard de biais sur le concerné, une mire insistante qui au combien le priait de jouer le jeu.
Est-ce bien vrai, cela ? Et madame, une qualité qu’il serait utile de mentionner ? Une prophétie d’Anür ou encore un talent pour l’hypnose ? rétorqua le Sergent, un brin sarcastique.
Ça serait drôlement ut-...
Silence, Rompard.
Sachez que j’ai tout autant à cœur de résoudre cette affaire. Votre seule tête n’est pas à risque, ici, et la mienne saurait aussi bien sauter à toute occasion. Voyez par vous-même, mes accointances avec le reste des convives ne m’avantagent guère ici.
Que proposez-vous exactement ?

Devais-je véritablement répondre à cela, lorsque j’avisais mes voisins dans un mouvement d’évidence démontrée par l’ouverture de ma paume de main. Nous ne passions pas inaperçus, avions sans doute des compétences qu’il aurait été utile de mettre à profit, et avions pu observer une majeure partie des invités de par notre peu d’attrait pour la soirée en elle-même. Au contraire des coqs et des poules caquetant au loin, notre intellect valait cent fois le leur, et nous n’avions que faire des affaires cancanières visant à salir la réputation d’untel ou d’unetelle par ces temps bien assez troublés.

Une assistance, tandis que vous devrez contenir ces invités. Les hommes de monsieur du Bellay peuvent avoir eux aussi été infiltrés. Si bien que cela s’avèrera de plus en plus ardu à mesure de temps et d’éreintement.

Je notai l’affaissement des sourcils d’Archambault, dans un froncement passager qui suggérait sa méfiance à l’égard des mêmes gardes, dont il ne semblait pas connaître l’origine. Peut-être était-ce là notre chance de nous innocenter et de recouvrir notre liberté volée.



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Léonice de RaisonBaronne
Léonice de Raison



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyLun 27 Juin 2022 - 11:46
Léonice finit par lâcher la main du Comte maintenant qu’il reprenait de son usuel verbe, surprenant une partie de l’assemblée tandis que le sergent tentait de rappeler tout le monde à l’ordre. Si la baronne ne souhaitait pas autant mettre le feu aux poudres avec son allocution, ses mots resteraient peut-être suffisamment gravés dans les esprits pour leur permettre d’enfin se secouer les puces et de faire quelque chose d’utile, sans attendre que la mort ne vienne prendre son dû sur toutes les vies présentes dans cette salle. Elle laissa les hommes continuer de s’écharper, consciente de la tension exceptionnelle parmi ces gens, mais bien heureuse de ne pas voir que cela dégénérait de trop pour l’instant. Les yeux de Léonice s’habituaient progressivement à l’obscurité, lui permettant de distinguer tant le Comte de Malemort dans son dos que les regroupements de convives ci et là : se mêlaient alors pleutres, consciencieux, faussaires et usurpateurs parmi tout le reste. Léonice sentait une sourde crainte lui tambouriner la poitrine, mais elle eut l’intime conviction que si elle désirait survivre à cette nuit, mieux valait tenter de garder les idées claires et le cœur calme. Gyrès intima à ce trio de malheureux qu’ils formaient de se lier… et si l’idée n’était pas mauvaise, la manière qu’il avait de le présenter était sommes toutes surprenante. Docile, la baronne se contenta de hocher la tête d’abord envers le Prince des poètes puis vers sa réponse. Lazare semblait plus mesuré que la jeune femme ne l’aurait imaginé, mais cela ne fit que confirmer sa propre mise en avant, aussi dangereuse soit-elle. Même s’il était fort probable que le conte des événements à Dartigau se fasse de manière délicate.


La baronne se plia aux demandes du Comte quand il leur demanda de légèrement reculer. La jeune femme s’inquiétait de le voir ainsi scruter le sol, à la recherche de quelque chose qu’il aurait fait tomber, semblerait-il, et se mit à le singer discrètement, essayant de deviner ce qui pouvait bien le préoccuper ; l’homme trouva de quoi assouvir sa propre curiosité et Léonice préféra attendre une meilleure occasion pour le questionner à ce sujet. Peu importait sa propre prise de position, ils restaient en grande partie des inconnus, ou du moins surtout la baronne dont le nom n’évoquait que trop peu auprès de ses pairs, de toute façon. Le sergent finit par s’approcher de leur groupe ; il reçut une inclinaison respectueuse de la part de Léonice qui, malgré son ton peut-être audacieux dans les minutes précédentes, n’en oubliait aucunement les prérogatives sociales qui la liait aux bonnes affaires. Le Comte de Malemort semblait savoir où le guidait sa propre conversation. On la mentionna puis lui adressa indirectement la parole, quand bien même le ton du Sergent se montrer sarcastique. Composée, le visage de Léonice ne répondit que par un sourire, attendant le moment propice qui arriva juste après la proposition de Lazare.


« Je rejoins l’avis du Comte. Vous ne prenez que peu de risques à nous laisser vous aider. Je crains de ne connaître aucune capacité en matière d’hypnose, mais vous ne devriez pas sous estimer la capacité d’une Dame de savoir rester calme, lucide… comme d’user de mots pour obtenir les informations qu’elle désire. »


Un fin sourire étirait ses lèvres ; assurée, Léonice espérait tout de même que le sergent se plie dans leur sens, malgré une moue clairement dubitative. Son nez se fronçait en même temps que les regards se jetés, affamés, dans leur direction commune.


« Ma connaissance des lettres et des intrigues des bourgeois comme des nobles vous seront utile pour déterminer les responsables de ces disparitions. »


L’homme aux côtés du Sergent n’hésita pas à montrer son dédain, mais peut-être que la désolation de ne pas comprendre ce qu’il se passait plus vite attaquait la raison de ce pauvre Sergent. Il finit par céder de façon à ce que personne n’entende sa réponse ; peut-être que la gêne le rendait prudent, mais un hochement de tête suffit à faire comprendre au trio qu’il avait son feu vert.


« Faites-moi des rapports réguliers. Si je trouve vos actions suspectes, je n’hésiterai pas à vous mettre aux arrêts.
—Bien-sûr. Merci de votre confiance, Sergent. »


L’homme ne tarderait alors pas à repartir vers un tumulte qui se gangrénait dans un coin de la salle ; cette histoire de multiples usurpateurs n’ayant toujours pas été réglé. Léonice se tourna vers ses deux camarades de fortune ; aucune indication ne leur avait été fête avec exactitude, leur offrant un relatif champs libre.


« Messieurs, par où commençons-nous ? Comte de Malemort, vous mentionniez les cuisines, tout à l’heure, et il me semble que ce couloir non loin mène aux cuisines ; j’en ai vu quelques serviteurs aller et venir au cours de ce début de soirée. Nous pourrions ainsi vérifier que tout le monde aille bien, et ramener ceux qui auraient besoin de l’être vers la salle principale. Gyrès, pourriez-vous nous attraper une torche ? J’ai l’impression que l’obscurité s’épaissit… »





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Gyrès de BoétieComte
Gyrès de Boétie



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyMer 29 Juin 2022 - 15:22
A ma grande joie, mes deux compagnons semblaient plutôt enthousiastes à l’idée de sortir de notre immobilisme. Malgré tout, je percevais une certaine réticence, du moins une certaine aigreur, chez le comte de Malemort : le regard qu’il m’apposa, ainsi que la tonalité de sa voix, semblait trahir le peu de sympathie que l’homme nourrissait à mon égard. Ce manque de déférence m’exaspérait quelque peu, je dois l’avouer ; néanmoins, bon prince, je décidai de passer outre : j’avais déjà suffisamment peu d’allié dans la présente salle pour me faire un nouvel ennemi, dussait-il me faire grincer les dents à chaque fois que j’entendrais sa e voix lancinante d’âme sombre torturé. J’avais comme la désagréable impression de me retrouver en la compagnie d’un Dartigau bis, l’homme à tout faire de la belle Léonice de Raison, la puanteur et la folie sanguinaire en moins.

Sur l’impulsion du seigneur de Malemort, notre trio d’infortune sollicita l’attention du sergent d’Archambault, l’officier garant de la « sécurité » toute relative des convives. Je ne sais guère si c’est le talent rhétorique du Comte, la voix charismatique et séduisante de la Baronne ou bien mes explications rocambolesques sur mes connaissances imaginaires des poisons et contrepoisons qui convainquit le chef des miliciens de s’adjoindre nos services. Le sergent devait vraiment avoir une bien maigre confiance en ses propres hommes pour laisser trois parfaits inconnus mener ainsi l’enquête sur les tragiques évènements de cette soirée macabre ; du moins nous croyait-il plus probe que les miliciens présents dans le domaine du baron du Bellay.

Autour de nous, les ténèbres s’épaississaient ; l’obscur se refermait, petit à petit, lentement mais inexorablement. Cette avancée lugubre était dû à l’affaiblissement des trop rares et précieuses sources de lumières présentes dans la grande salle. Ainsi, sur la recommandation de la baronne de Raison, je saisissais volontiers, de manière certes quelque peu maladroite, une des rares torches accrochés au mur. La nuit est sombre et pleine de terreur, comme l’on dit ; qui sait quelles sont les horreurs qui, au fond, s’y cachent ? Au vu de la présente situation, et de la paranoïa qui me gagnait, je ne tenais guère à mourir égorgé au gré de la nuitée s’instaurant en ces lieux.
La baronne de Raison, qui s’était mue en cheffe des opérations, indiqua une piste ma foi forte intéressante à exploiter en premier lieu, à savoir les cuisines du domaine. Qui sait ce qui pouvait se tramer là-bas, près des fourneaux ? Les cuisiniers, dans une affaire d’empoisonnement, étaient toujours les premiers suspects. Du moins, en nous rendant là-bas, parviendrons-nous à trouver quelques éléments nous permettant d’élucider le meurtre de monsieur de Ponian.

D’un pas lourd et malassuré, nous nous engageâmes tous trois dans le sombre couloir menant aux cuisines, après avoir passé le contrôle sommaire des hommes du Sergent. Le faible halo de lumière émanant de la torche que je tenais du bout de mes bras endoloris bravait les ténèbres environnantes, qui semblaient prêtes à nous dévorer à tout instant. Les crépitements du feu sonnaient comme une douce musique brisant l’assourdissant silence dans lequel était baigné le corridor. Celui-ci avait quelque chose d’imposant de par la hauteur de son plafond, et d’interminable de par sa longueur. Nous semblions tout trois perdu au milieu de cette immensité. Aux murs, sur notre gauche, des tableaux peints à l’huile représentaient visiblement les glorieux ancêtres du barons : des femmes à l’allure sévère et aux robes bouffantes ne laissant point apercevoir le moindre centimètre de peau (être décousu étant, dans la haute société, « l’apanage des trainées ») ainsi que des hommes emmitouflés dans leurs armures guerrières nous écrasaient de leur regard obtus et froid. Sur notre droite, les grandes fenêtres en verre longeant l’ensemble du couloir laissait passer les maigres lueurs de l’astre lunaire, réconfortante clarté en ces lieux noirs comme de l’encre.

Chaque bruit semblait suspect et manquait de me tétaniser ; néanmoins, nous parvinrent fort heureusement aux cuisines du domaine sans encombre, même si je sentais que ma tension était à son apogée. Apposant ma main gauche sur les portes d’airain nous séparant des cuisines, il ne me fallut étrangement qu’une faible poussé sur l’épais morceau de bois pour faire bouger le battant. M’avançant en premier vers le seuil, je constatais que le lieu était lui aussi plongé dans l’obscurité.

« Le lieu semble désert », indiquais-je à mes compagnons d’une voix tremblante qui se voulait sûre d’elle. « Il n’y a pas l’air d’avoir âme qui vive ».

C’était sans compter sur le cri que j’entendis sur mes côtés.




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Lazare de MalemortComte
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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyJeu 30 Juin 2022 - 15:24

Danse macabre | Automne 1166

Il me fallait admettre avoir compté sur l’incontinence verbale de la Boétie pour assommer d’Archambault en détails abracadabrantesques sur l’effet de la valériane à dose concentrée sur la bile jaune, ou encore l’origine de la belladone et ses traîtresses vertus quant à la circulation du sang dans les phalanges. Je n’en écoutais pas la moitié, préférant à cela lorgner le sergent et ses clignements de paupières circonspects, les lèvres pincées comme n’osant guère interrompre ce laïus scientifique, sous hypnose. Et dieux que cela servit nos intérêts, car à la première respiration marquée du comte, l’on nous permettait de vaquer à nos occupations, sous bonne garde, afin de se débarrasser de nous. Je gage, au scepticisme peu dissimulé de cet homme d’armes, qu’il ne nous percevait que comme un essaim de moucherons inoffensifs voire affabulants mais toutefois exaspérant avec lequel il préféra abandonner la lutte au regard des menaces et invectives que l’on se jetait dans son dos. Une majorité de ses hommes affectée à la garde des issues du manoir, il se retrouvait en sous-nombre pour désamorcer le pugilat verbal qui s’annonçait en recoin de salle. Toutefois, avant qu’il ne nous abandonne, je tâchais de récupérer la coupelle morcelée et le petit four potentiellement empoisonné en hélant ledit Rompard qui me le tendit avec peu de sympathie.

Sur l’initiative de la Raison après avoir suggéré que l’on se rende aux cuisines à notre place, nous étions de ce cortège dépareillé à se doter de l’une des rares torches pour mieux nous diriger vers la porte menant au rez-de-chaussée de l’aile est, ce qui ne manqua pas de forcer les quelques réfugiés à se déplacer sous une aurore plus rassurante, auprès des rebelles agglutinés entre deux escaliers. Et parmi eux, la Vassignac, l’Ocrelac et la Ségur qui nous avaient faussé compagnie un peu plus tôt, nous adressant parfois une œillade suspicieuse que j’estimais ne pas avoir méritée, pas plus que mes congénères d’appoint. Nos pas résonnèrent bien vite dans la coursive éclairée de quelques chandelles se disputant leur place, épinglées aux murs étroits, avec celle des portraits et décors encadrés habillant la galerie d’art. Passé l’angle droit, une sorte de cloître vitré laissait pénétrer quelques rais lunaires par les carreaux découpés aux jointures de fer, une atmosphère presque apaisante passé le brasier des échanges de la grand salle. Je m’autorisais un instant de contemplation par les fenêtres, scrutant le jardinet du Bellay qui semblait en bien meilleure forme que les espaces municipaux laissés pour compte depuis l’avènement du fléau ayant pour le moins placé l’esthétisme paysagiste en dernier point sur leur liste de priorités. Le faste du baronnet n’avait rien à envier à l’avant-Fange, toujours plus excessif dans ses dépenses dont je ne pouvais attribuer la source qu’aux fruits d’investissements aux alentours de la capitale, outre son héritage conséquent placardé sur les cloisons de son palais.

Le silence toutefois était aussi sirupeux que la mélasse, et le crépitement de la torche que trimballait la Boétie ne pouvait que me rappeler le craquement de l’os. Nos pas eux-mêmes firent monter en moi une anxiété qu’il m’était difficile à appréhender, bon dernier de notre file indienne, lorsque je jetais malgré moi un regard par delà mon épaule pour m’assurer ne pas être suivi par une entité indicible. Je pensais même, au loin, capter les tremblements discrets de la poigne comtale sur le manchon de notre source de lumière, peut-être était-ce une vue de l’esprit ou l’effet d’un hanap de vin. Enfin, nous finîmes par atteindre l’orée des cuisines desquelles il ne suintait aucun son. Le jeune homme – il me fallait admettre que Gyrès me succédait d’au moins quinze ans – repoussa l’un des battants pour s’engouffrer sur le pas d’une salle aussi enténébrée que celle que nous venions de quitter. En cas de doute, je l’entendais nous informer sur la désertion des lieux, trahissant par la même occasion son peu de sérénité. C’était sans compter sur le cri que je perçus depuis un recoin de la cantine, suivi d’une supplique qu’il m’était ardu d’entendre depuis la queue de peloton.

N-Nous n’y sommes pour rien, m-monsieur du Bellay, je v-vous l’assure ! T-Tous les mets ont ét-té préparés comme vous le vouliez !

Il m’aurait été difficile de jauger d’où provenaient ces garanties, mais elles semblaient émaner d’un endroit au plus près du sol. M’avançant quelque peu, j’invitais Gyrès à pénétrer à l’intérieur afin que nous ayons davantage d’espace que dans cet étroit corridor et que nous y voyions plus clair au sein de la machinerie du banquet. Ouvrant une paume, je proposais à l’un des deux jeunes gens, peut-être davantage la rouquine à mes côtés, de faire la causette et surtout de rassurer la bavarde pendant que je m’insérais à mon tour parmi l’âtre, les potagers et quelques ustensiles d’ores et déjà rangés. Ils ne tardèrent pas à remarquer qu’il y avait ici trois jeunes gens en tabliers bruns, deux femmes ainsi qu’un garçon, cheveux attachés sous un foulard blanc, cachés sous la table centrale où se faisait la découpe du poisson, des fruits et de la volaille ayant servi à fourrer les amuse-bouche du dîner. Je déposais sur le plan de travail la soucoupe brisée et sa coiffe un brin moins appétissante qu’elle n’avait dû l’être une heure plus tôt. Mains libres, je m’emparai de chandelles à embraser à la flamme dansante de la torche pour ôter à cet endroit glauque sa mante effrayante, espérant que la Boétie ne s’en aille pas me griller la barbe d’un geste peu assuré, puis m’en retournai les déposer aux quatre angles de la pièce afin de favoriser mes recherches.

Car aussitôt la lumière fut, je m’en allais fouiller les quelques placards et barils à la recherche d’un ingrédient fallacieux ou d’un flacon suspect. Et lorsque l’on leur indiqua que nous n’étions ni du Bellay, ni même ses envoyés, et que ces cachottiers sortirent de leur tanière, je leur pointai le petit four, démonstratif, pour enfin leur demander…

Cet apéritif a causé ce soir le trépas de l’un des invités de votre seigneur. Que pourriez-vous m’en dire ? Qui l’a préparé, à partir de quels ingrédients, qui en a servi une assiette en salle… ?

La cuisinière s'exprime en...:


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Léonice de RaisonBaronne
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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyDim 3 Juil 2022 - 12:08
Toute cette suspicion permanente était étouffante, mais pas plus la crainte de tomber nez à nez avec un fangeux. Léonice préférait penser au pire pour affronter le moins terrible, et c’est peut-être d’apparence sereine qu’elle se dirigea avec sa compagnie de fortune en direction des cuisines. Son corps ne la trompait pas totalement ; ses mains jointes à son ventre, le moindre éclat un peu trop fort la faisait sursauter. Bruit de conversation, chute dans l’obscurité ou encore gloussements effrayés, Léonice n’était à l’aise que de visuel ; sa longue chevelure dont on ne devinait plus que les boucles à la lueur d’un flambeau avait au moins pour avantage de parfaire l’illusion et de concentrer les regards dans sa direction.

Une fois à l’intérieur des cuisines, le silence régnait comme le faisait remarquer Gyrès, mais plus pour très longtemps. Le trio réalisa bien vite que la salle, sans être bondée, possédait quand même quelques chats perdus en tablier dont la terreur de la punition fit hurler l’une des pauvrette. Bien vite et, sous l’impulsion du Comte de Malemort, Léonice avança d’un pas tranquille afin de faire ce qu’elle connaissait le mieux ; apaiser, manipuler, rassurer en espérant calmer suffisamment les agitations des cœurs et des corps pour tirer quelques informations au clair.

« Nous ne sommes pas venus ici pour accuser qui que ce soit, nous cherchons juste à démmêler toutes ces étranges circonstances. Allez, rassemblez-vous que nous puissions vous voir, j’étais également inquiète qu’il n’y ait de blessés… »

Difficile de savoir ce qui persuada ce groupe de s’avancer ; il fut difficile de savoir si tout le monde était sorti de sous les tables, mais leurs mines déconfites les menaient tout droit vers la catégorie des très bons acteurs ou simplement des gens qui ne comprenaient pas ce qui venaient de se passer. Après avoir calmé les premières crises d’angoisse, Léonice laissa Lazare faire apparaître face au groupe le petit four à moitié consommé, affichant un mouvement de tête qui laissait penser qu’elle était en accord avec ce qui venait d’être dit. Une nouvelle agitation se fit au milieu des cuisiniers et autres domestiques présents dans la salle ; la surprise s’affichait livide sur leurs traits parfois juvéniles. Voyant que personne n’osait répondre, la baronne se tourna vers son confrère de Malemort.

« Celui qui a servit ce met, ou qui l’a préparé, ne sera pas considéré comme coupable de quoique ce soit. Nous ne savons rien et peut-être que l’homme s’est simplement étouffé… mais nous avons tout de même besoin de connaître la vérité. »

Toujours rien. Qu’il était délicat de demander des aveux, en même temps. Léonice plongea alors de manière aléatoire son regard dans celui du jeune garçon, peut-être moins paniqué que les autres, afin de l’interroger.

« Tu te souviens de qui à préparer ces petits fours ? Avec quoi ? »

Peut-être que Léonice était finalement dotée de quelques sorcelleries, puisqu’en baissant les yeux le domestique avoua à demi-mots être le responsable des petits fours. Il tournoya dans la cuisine pour montrer chaque ingrédient utilisé, chaque ustensile, indiquant qu’il avait également porté les mets avant que les invités n’arrivent. Tandis qu’il faisait sa démonstration, Léonice singea le Comte de Malemort en cherchant du regard tout ce qui pourrait lui sembler suspicieux ; mais à la lueur de la torche et des quelques bougies allumées, rien de trop peu ordinaire ne sembla sortir du lot. Laissant un instant les domestiques à leurs affaires, Léonice se rapprocha des deux Comtes pour leur glisser un mot à voix basse.

« Je ne vois rien d’étrange, et aucun d’eux ne semble mentir ou cacher quelque chose… mes connaissances en poisons sont limités, mais, l’un d’entre vous connaîtrais un moyen de vérifier que le marchand ait bien été empoisonné ? »




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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyMar 5 Juil 2022 - 13:51
Contrairement à mon intuition première, les cuisines étaient bien peuplé de cuisiniers ; ceux-ci, visiblement au courant de toute l’agitation ayant eu lieu dans la grande salle, étaient resté terrés auprès de leurs fourneaux, dans l’obscurité, craignant visiblement l’irascible courroux de leur maître, le sieur du Bellay. Après tout, cet attitude était compréhensible : comme je l’avais souligné tout à l’heure à mes deux camarades d’infortunes, il n’y avait pas meilleur coupable que le cuisinier lors d’une affaire d’empoisonnement. Il restait en toutes les mémoires langroises le spectaculaire écartèlement d’une bande de marmitons royaux, suspectés d’être responsable de l’empoisonnement d’un quelconque banneret lors d’une réception s’étant tenu en la capitale du Royaume. Les malheureux, touchés par l’arbitraire du souverain d’alors, furent ainsi exécuté sur la place publique, à la grande joie des badauds présent, qui apprécièrent grandement ce divertissement mortifère.

Déléguant le soin de rassurer les serviteurs affligés à mes deux compères, je parcourais d’un regard inquisiteur la grande cuisine, cherchant de mon implacable regard le moindre élément suspect. Mes talents d’investigateurs étaient certes loin d’être épatant ; mais je pensais alors être plus malin que n’importe quel milicien. Passant près de la table où étaient découpés les poissons, je ne pus m’empêcher d’étouffer un saisissant haut-le-cœur ; penchant la tête vers les corps sans vies des créatures marines, une épouvantable odeur de rance vint assaillir mes tendres et raffinées narines. Quelque peu vert, je terminais ma tournée des lieux en rejoignant doucereusement la Baronne et le Comte, qui venaient d’achever leur interrogatoire. Face à la question que nous adressait la dame de Raison, je m’empressais de répondre afin de faire l’étalage de mes savantes hypothèses :

« Je ne puis malheureusement me targuer de posséder les connaissances que le Comte de Malemort m’a prêté tout à l’heure auprès du sergent. Peut-être que ces gens-là ne sont point des empoisonneurs », dis-je en indiquant de mon auguste tête les cuisiniers ; « néanmoins, s’il y a bien là un ingrédient suspect, c’est le maquereau déposé là-bas sur la table, car je doute quelque peu de sa fraîcheur. »

Mon trait sarcastique n’était visiblement pas au goût de tout le monde ; peut être ma légèreté du moment était-elle mal placé compte tenu des circonstances macabres de la soirée. Décidément, mes rigolarderies tapaient quelque peu à côté en cette funeste nuitée. Toussotant pour évacuer le malaise ambiant, je reprenais instantanément une mine sérieuse et grave, afin de faire l’exposition de mes non moins sérieuses théories sur l’infâme meurtre dont nous avions été témoin.

« Malgré tout, il y a là une problématique qu’aucun de vous, chers compagnons, n’a soulevé pour le moment : comment se peut-il que seul monsieur de Ponian soit mort suite à son engloutissement du petit four ? » questionnais-je rhétoriquement d’un ton docte. « Ceux-ci étaient pourtant ma foi fort populaire auprès du reste de l’assemblée ; pourtant, personne d’autre n’a succombé des suites de la digestion de la viennoiserie empoisonné. »

Tout en réfléchissant à haute voix, je m’étais mis à faire de nombreux aller-retour d’un pas lent et posé, caressant dans le même temps mon menton de mes longs doigts fin. Je ne sais pourquoi, mais telle manière d’agir me permettait de fluidifier et d’organiser mes pensées ; la promenade favorisait usuellement ma réflexion. Un éminent savant du monde antique avait bien découvert le phénomène physique de la poussée dans sa baignoire ; qui avait-il de mal à se dégourdir quelque peu les guiboles pour élucider un crime ?

« Cela m’amène donc à faite le constat suivant », repris-je tout en virevoltant soudainement vers mes compagnons, le doigt dressé et pointé vers le haut ; « ou bien l’infection du petit four s’est faite dans un laps de temps très resserré hors des cuisines, et est donc l’œuvre d’un serveur ou d’un invité factieux qui l’a précisément soumis à l’appétit du bourgeois grassouillet (auquel cas, nous pouvons d’ors et déjà cesser de faire peser les soupçons sur les cuisiniers ici présent), ou bien l’empoisonnement ne visait personne en particulier. Monsieur de Ponian a simplement fait preuve de malchance en subissant la cruelle ironie du destin, en ayant été punit par sa gourmandise, en quelque sorte. Triste farce et pathétique fin pour l’homme. Ce qui nous amène à nous interroger sur le motif des empoisonneurs : visaient-ils Monsieur de Ponian en particulier ? Ou bien l’identité de leur victime ne leur importait finalement que peu, tant que sa mort provoquait le chaos auquel nous avons pu assister, et cela aux premières loges ? »


Dernière édition par Gyrès de Boétie le Mer 20 Juil 2022 - 11:12, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyMer 6 Juil 2022 - 22:01

Danse macabre | Automne 1166

Les trois cuisiniers restés en embuscade sous le plan de travail s’alignèrent proprement contre les fourneaux que je venais d’inspecter, afin de me laisser libre chemin vers le restant des placards en cèdre massif, dames-jeannes encordées de clisses tressées, et autres vivres dont l’infâme maquereau que je préférais ne pas approcher plus avant et dont les effluves me rappelaient aux étés du port de Marbrume et sa saleté nauséabonde sous le soleil de plomb. L’on balbutiait, tremblait peut-être, bien qu’une forme de soulagement se soit dégagée des trois commis lorsqu’à mesure de discours ils réalisèrent que nous n’avions guère rapport avec le baron du Bellay. Tout du moins, nous n’en étions que des invités, pas même des mercenaires, ce qui semblait d’autant plus détendre l’atmosphère ravivée par la lueur des chandelles éparses. La Raison se faisait plus rassurante ce faisant, leur assurant que nous n’étions non point à la recherche d’un bouc émissaire à pointer du doigt et porter au gibet, mais à découvrir les circonstances de ces tragédies étrangement bien coordonnées. Il fallait se l’avouer, cette recrudescence de crimes en un si petit endroit – relativement à l’étendue de Marbrume et ses faubourgs même désertés – en un si court laps de temps ne pouvait tenir du hasard, toutefois, l’hypothèse soulevée par la Boétie faisait sens. S’il était peu probable que le lustre ait visé qui que ce soit de particulier parmi la cohue, et que l’apparent suicide du majordome ait été dirigé contre quiconque d’autre, le hasard aurait tout aussi bien pu frapper le Ponian et sa malencontreuse gourmandise. Nous aurions nous-mêmes pu en faire les frais si nous avions été plus véloces et plus affamés au point de nous jeter sur le dernier feuilleté.

L’oreille tendue face aux réponses offertes sur un plateau, et aux hypothèses de la Boétie, il fallait se rendre à l’évidence que ces jeunes gens n’avaient pas l’allure de coupables. Aussi bas de plafond pouvaient être les hommes et femmes de maison sans grande éducation, paraître aussi peu suspects ne me paraissait pas être de leurs habitudes. Abandonnant mes recherches infructueuses, ayant espéré trouver une épice étrange ou encore un flacon mystérieux, dont l’odeur m’aurait aussitôt fait bondir, j’en revenais à l’îlot central où se trouvait finalement l’arme du crime, éhontément exposée. De ces fouilles dont je rentrai bredouille, je notais l’engourdissement de mon bras blessé auquel je n’avais plus assez prêté attention. Si bien que je me baissais pour ramasser ma cape légère afin de mieux la déchirer sous la lame d’un couteau de cuisine que j’essuyais négligemment sur un tablier laissé à gésir dans un recoin. Tout en retroussant ma manche, elle aussi lacérée, sur un bras teinté de nuances de carmin dont on décelait encore les coups de pinceaux et d’éponges, je tâchais de me retourner pour mieux dissimuler cette blessure aux yeux sensibles. Je n’avais pas conscience de la gravité de la plaie, si bien qu’enrouler ce bandeau de tissu s’avéra plus complexe que prévu. Toutefois je détournais du mieux possible l’attention de mes confrères et des jeunes gens qui n’avaient pas à être exposés aux quelques séquelles des évènements de la grand salle…

Les réserves ne présentent aucun élément suspect, ce pourquoi je demandais à ces jeunes gens de m’indiquer qui d’entre eux ou des valets avait été chargé d’amener ce plateau en salle. Le cas présent, il est peu probable que cet amuse-bouche ait été trafiqué d’ici à être exposé, présentai-je tout en jetant un regard de biais sur le trio d’employés du Bellay. Des suites de la chute de feu monsieur de Ponian, je n’ai trouvé parmi les débris de vaisselle que cet élément de buffet là, et aucun autre. Ce qui porte à croire qu’il s’agissait de la dernière mignardise disponible ; la probabilité qu’elle ait été altérée parmi les autres et ait été toutefois la dernière à avoir été consommée me paraît très faible.

L’espace d’un instant, je m’affairai à déchirer un autre pan de ma pèlerine souple, non sans regret, car les petites coupures piquetant mon derme heureusement sombre suintaient encore leurs larmes rubescentes. Il me fallut cercler mon bras avec minutie afin d’appauvrir ce flot inquiétant. Au plus tôt nous réduisions les pistes, au plus tôt le sergent d’Archambault serait enclin à nous libérer tous. Et c’était à cet instant ma motivation principale.

Néanmoins, l’hypothèse du hasard de la victime est à mon sens plus plausible, car la coïncidence entre cet évènement et de la chute d’un lustre de cette facture est factuellement très arrangeante. Il me plaît à penser qu’il s’agirait d’un même saboteur, peut-être même au service de monsieur du Bellay, si l’empoisonneur tout comme le trafiquant se devaient être affiliés à sa valetaille.

Je marquais une pause, levant une main comme pour requérir le silence le temps de fomenter et organiser mes songes brumeux. La tête me tournait petit à petit, et je prenais une profonde inspiration malgré les relents puissants de la carne aquatique éviscérée dans un recoin de la pièce. Une chose dans tout ce chaos ne trouvait que peu de lien. Le suicide orchestré du serveur ne trouvait guère de place dans toute cette mascarade, et la supputation qui me harcelait l’esprit me semblait des plus capillotractées.

… Ce maladroit serviteur ayant chuté du balcon aurait-il été à la source de ce carnage, afin de quitter cette misérable terre en grande pompe ? L’assomption me paraît grossière, je me dois vous l’accorder.

Ma manche rabattue sur les bandages de fortune que je venais de m’octroyer, je lorgnai mes deux compères enquêteurs pour entendre leurs propres conjectures et aviser, peut-être, d’une suite des recherches ailleurs que dans ces cuisines dont l’air drôlement épais et chargé d’effluves divers et variés me garantissait presque le mal de mer.



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyVen 8 Juil 2022 - 14:47
Il était presque fantastique de voir à quel point la moins noble du trio était la baronne, à peine décontenancée par les odeurs désagréables de poissons mal nettoyés. La mention de maquereau par Gyrès fit pincer les lèvres de la belle dans un sourire qu’elle espérait discret ; la surprise de la remarque mêlée à l’étrangeté de toute la soirée finissait par avoir progressivement raison de ce qu’elle pensait encore être relatives aux bonnes manières. A la question légitime de Gyrès, Léonice se permit tout de même de lever un doigt en l’air afin de reprendre la parole.


« Pas à notre connaissance, non, mais il a déjà été soulevé que tous les invités ne se trouvaient plus dans la salle de réception lorsque les miliciens ont bloqué l’entrée. »


Sous-entendu donc que d’autres empoisonnés pouvaient très bien se trouver ailleurs. Mais cela ne retirait pas le fait que les petits fours avaient été produits en grands nombre et qu’ils avaient été grandement consommés. Tout dépendait finalement du type de poison utilisé ; une poudre jetée sur seulement une petite poignée de petits fours, réduisant le nombre de morts et de malades à cette même poignée de main ? Léonice secoua ses boucles oranges tout en restant dans sa réflexion. Non, c’était peut-être un peu tiré par les cheveux, mais en même temps la baronne avait du mal à déceler l’erreur dans leur équation. Alors que son ami Gyrès parvenait à de premières conclusions sous forme interrogatives, Léonice ne put que remarquer l’étrange manière qu’avait le comte de Malemort de bander son bras. Il était vrai que personne ne s’était préoccupé de trop regarder les différents types possibles de blessure, mais puisque l’homme prenait à son tour la parole, il ne sembla pas bon à la flamboyante de lui faire la moindre remarque. Elle chercha toutefois du regard quelques torchons avec lesquels ils pourraient presser un peu plus efficacement une quelconque blessure, et qui s’imbiberait moins vite que le tissu déchiré de Lazare. Léonice finit par poser les yeux vers deux tissus spongieux, probablement faits pour nettoyer les couverts une fois la plonge faite, mais qui ferez parfaitement l’affaire. Comme si de rien n’était, la jeune femme se proposa d’un geste à refaire le bandage auprès de l’homme, sans perdre le fil de la discussion. Elle attendit, tranquille, qu’il en ait terminé avec son hypothèse, même si toute la situation continuait de lui donner la nausée.


« Imaginons alors que les victimes ne soient faites que d’un pur hasard, mais que l’idée même qu’il y ait des victimes ait été préméditée. Qu’est-ce qui pourrait motiver de telles manœuvres ? Je crois qu’il était moins effrayant de se dire que les… victimes avaient fait quelque chose de suffisamment malheureux pour ainsi perdre la vie. »


Léonice se sentit cruelle, mais pas moins sincère dans sa pensée.


« Je ne suis pas certaine que notre cher du Bellay ait quoique ce soit à gagner à organiser un bal macabre… quelqu’un voulait peut-être entacher sa réputation ? »


Elle eut un arrêt, peu importait que Lazare l’ait autorisé à l’aider avec son bras ou non.


« Ou l’un de ses invités. Dans tous les cas… peut-être devrions-nous nous rendre à l’étage ? Les musiciens auraient sûrement vus ou entendus quelque chose, et tous n’étaient pas dans la salle quand nous sommes partis. »





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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyVen 15 Juil 2022 - 16:58
Je dois dire que la discussion dans laquelle j’étais présentement engagée avec le comte de Malemort et la Baronne de Raison prenait une tournure ma foi excitante. Il me plaisait, face à cet épais mystère concernant l’identité et les motivations du ou des meurtriers, d’émettre, de partager et d’écouter toutes sortes d’hypothèses plus ou moins raisonnables, fruit de réflexions passionnés. Il s’agissait là d’une épreuve de logique enthousiasmante, mettant à l’épreuve mes brillantes méninges ; d’autant plus que je constatais à cette occasion que mes deux compagnons n’étaient pour leur part point en reste intellectuellement parlant.

- « Je souscris aux paroles de la Baronne, dis-je d’un ton grave et pensif. Nous pouvons d’ores et déjà écarter le baron du Bellay de la liste des suspects, car je n’adhère que peu à l’idée qu’un mondain tel que lui, soucieux de son apparence et de sa réputation, puisse prendre le risque d’entacher son prestige personnel en tuant hasardement, au cours d’une réception de son cru, quelconques individus. Néanmoins, nous n’avons pas toutes les clés en nos mains, et certains éléments cachés peuvent obstruer notre compréhension du tableau d’ensemble. »

L’honnêteté et la probité m’oblige à avouer que je ressentais à ce moment-là une certaine forme de jalousie en voyant ainsi la belle Léonice s’occuper de la blessure du comte de Malemort d’une manière aussi soignée et appliquée. Que la peste soit du lustre ! Un quelconque éclat de verre n’aurait-il pas pu m’entailler l’avant-bras, que je puisse à mon tour souffrir de la délicate méticulosité dont faisait preuve la baronne dans ses offices thérapeutiques ? Pareille pensée était indigne d’un gentilhomme, certes, surtout en de si lugubres circonstances ; mais le cœur a ses raisons que la raison ignore, comme l’a jadis dit quelqu’un.

- « Je dois également dire, cher Comte, que je partage vos interrogations concernant le malheureux laquais : quelle peut donc bien être sa place au sein cette danse macabre ? Quelle peut bien être la nature de son suicide ? Le remord ? Ou l’aurait-on contraint à agir de la sorte ? Le tempo de son acte malencontreux est aussi à souligner, survenant peu de temps avant le l’engloutissement du met fatal par Monsieur de Ponian. Pourquoi diable se mettre en scène de la sorte » ?

Nous restâmes tous trois tût l’espace de quelques secondes, ramonant nos matières grises à la recherche d’une raison convenable pour nos esprits cartésiens.

- « Je pense qu’il n’est en tout cas guère pertinent de s’attarder en ces lieux », finis-je par lâcher dans un soupir, « car j’ai bien peur que les braves marmitons ici présent n’ont rien d’autre à nous apprendre. Suivons la seule piste qui nous reste, mise en avant par la Baronne de Raison, en nous intéressant auxdits musiciens. Si nous pouvions parvenir à mettre la main, au passage, sur ces dames de chambre qui accompagnèrent, avec le malheureux laquais, la cocotte dévêtue de tout à l’heure, peut-être pourrions-nous en savoir plus », concluais-je dans un ton intrigué.

Nous n’eûmes guère le temps de potager davantage, ni même de rebrousser notre chemin, qu’un homme au visage plongé dans la pénombre surgit sur le seuil. Cette apparition soudaine ne manqua pas de me faire couler moult sueurs froides le long du corps, mon impression d’effroi se renforçant davantage lorsque l’étrange individu s’avança à la lueur des lumières émanant des fourneaux. La clarté nous permit de deviner que l’homme était un milicien, comme en témoignait l’écusson de la dynastie des Sylvur cousu sur ses vêtements déchirés. Il apparaissait comme exténué et essoufflé, comme s’il avait couru de manière ininterrompue jusqu’ici.

« Le sergent… m’a… demandé… de venir… vous prévenir, », finit-il par articuler péniblement entre deux crachats à la texture ocre et baveuse qui vinrent teinter douteusement le dallage des cuisines.

« Les convives, là-bas, dans.. la… grande salle… Ils sont devenus comme fous, harangués comme des mâtins carnassiers par des hâbleurs de mauvais augures. Ils s’en sont pris à nous, et ont forcés différents accès vers le reste du domaine. On était pas suffisamment nombreux pour les contenir, et on peut pas à nous seuls venir à bout d’une foule en furie », dit-il d’une mine penaude, comme s’il semblait justifier sa présente défection. L’un d’eux, le comte Iago, a armé d’autres de ses gens avec les épées de nos gars tombés au combat, et il projette de vous faire la peau, surtout à toi, le métèque ! »

Le milicien, tout en parlant de sa voix mauvaise et rauque, se tenait l’une de ses épaules, où il avait visiblement été blessé. Ses déclarations me firent l’effet d’une série de taloches impeccablement administré, tant je restais coi face à la gravité de la tournure que prenait les évènements. Nous étions pris en chasse, et nous étions dorénavant les proies du pire des dangers : une poignée d’individus incontrôlables et délurés, motivés par la seule haine. L'écho de cris aux allures démoniaques nous parvinrent depuis le long couloir que nous eûmes précédemment traversée, trahissant la venue de la horde maléfique voulant ardemment nous dépiécer.

« Barrez-vous, fuyez loin d’ici, pauvres fous ! »
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyDim 17 Juil 2022 - 16:16

Danse macabre | Automne 1166

Si mes bandages clandestins faisaient bien peine à voir, il en était une qu’ils rebutaient au point de vouloir les défaire aussitôt pour les réarranger. L’initiative de la baronne de Raison me surprit tout autant qu’elle me tint au respect. À mesure que j’en terminais avec mes hypothèses parfois abracadabrantesques, je me devais l’admettre, je lui offris simplement ma patte blessée tout en relevant cette manche agaçante de lâcheté qui n’avait de cesse de placer ses lambeaux sur mon chemin écorché. Quelques torchons relativement propres prirent aussitôt la place durement conquise de mes filaments de coton trop fins pour retenir les ruisseaux purpuracés étendant leurs capillaires dans les fibres de ma chemise autrefois albâtre. La flamboyante rousse les appliqua avec délicatesse bien que la situation actuelle nous exhorte à une certaine hâte lorsque nous savions d’ores et déjà l’atmosphère à la tension et à l’insécurité. Alors je conservai les bandelettes souillées d’humeurs dans ma paume ennuyée par l’inaction pour mieux en refaire usage et les nouer avec assurance autour de ces carrés à l’épais tissage, les sécurisant contre les éraflures profondes que le tranchant des projectiles s’appliquèrent à creuser. J’avais en attendant laissé la parole non seulement à cette guérisseuse d’appoint qui n’avait pour l’heure rien à envier aux miliciens versés dans ces arts peu ragoûtants qui s’en iraient frotter sans le moindre charme les fleurs caractéristiques du souci endémique à même vos plaies béantes, mais aussi à mon confrère comte de son pays. L’office achevé avec soin, je la remerciai d’un hochement appuyé afin de ne pas interrompre les hypothèses de la Boétie qui me semblaient pour le moins pertinentes, et pour lesquelles j’avais maintes fois acquiescé pour manifester mon accord ou encore ma compréhension.

De la même façon, je ne puis qu’agréer votre hypothèse quant à la place de monsieur du Bellay parmi les exactions de ce sombre projet. Je ne le pense, pour l’heure, que victime de son faste ayant donné malgré lui une scène d’exception aux suppôts du mal.

La proposition qui s’ensuivit, et fit écho à l’idée émise par le renard automnal en notre compagnie, devait nous mener tout droit vers l’étage supérieur tout en profitant de cette migration pour intercepter un membre assurément traumatisé du quintet musical ayant autrefois contribué à l’ambiance légère et dansante de ce bal masqué. Si chanceux, peut-être aurions-nous l’occasion d’alpaguer l’un des fuyards n’ayant daigné rejoindre le cortège de la salle centrale qu’une fois les premières victimes faites, de ceux qui ayant accouru auprès de la blanche traîne arrachée s’étaient privés d’une bien grande partie de la réception. Je n’eus toutefois pas l’occasion de rétorquer qu’une rumeur précipitée de pas accourant dans notre direction tendit toutes les fibres de mon corps et insuffla un vertige entre mes méninges, lequel me fit m’accoter au plan de travail pour jouer de mes yeux dans leurs orbites et garder un semblant de dignité. Du battant resté ouvert sur la noirceur lunaire du corridor, un visage marbré de carmin et de peine que j’attribuais à sa posture voûtée et renfrognée s’avança jusqu’à nous six – six, si je comprenais les trois commis tétanisés. L’on bafouille, l’on bégaye, l’on nous annonce urgemment les palabres d’Archambault. La situation vira soudain à un vinaigre des plus aigres lorsque mes oreilles captèrent les explications pour le moins claires et pourtant inconcevables du milicien qui ne s’était pas gardé manifester son irrespect à mon égard. Lui aussi chançard de son état n’eut guère l’occasion de m’entendre tonner des réprimandes quant à la nécessité de me traiter avec les honneurs que me sont dus. Ce n’était néanmoins ni le moment ni l’endroit pour tel rossage, et aussitôt mon instinct de préservation s’empara de mes jambes flageolantes pour agir pressamment.

Je me ruai hors des cuisines pour mieux déloger les gonds verrouillés des fenêtres à claire-voie afin d’en ouvrir une à la hâte. Assuré de laisser une marque sanguinolente sur les carreaux sertis parmi les losanges de fonte, je jetai également mon gant souillé un peu plus loin encore afin de peut-être mener ces rebelles armés de torches et de fourches sur une piste erronée. Ma survie en dépendait à en croire les rumeurs courues par la Boétie quant à ce Iago de malheur et son esprit étriqué. En quelques pas, je revins m’enfermer parmi les cuisines et en verrouiller le battant d’une planche savamment affalée sur deux crochets percés dans la muraille froide.

P-Par la réserve !

La plus réservée du trio de popotiers s’annonça à son tour en présentant une porte dérobée à laquelle je n’avais précédemment pas fait attention ; discrète, elle ne se discernait que par une alcôve profondément creusée dans le mur porteur de la pièce.

Où cela nous mènera-t-il ? lui demandai-je alors que j’ouvris déjà le battant dans un grincement faiblard, tout en soufflant quelques chandelles sur mon passage.
Dans l’couloir du quartier des servants… m’sieur.
Ne perdons pas plus de temps, déclarai-je à mes comparses en leur présentant la travée nous menant dans la pièce sombre qu’une torche aurait embrasée si la nôtre fût été à ma portée. Ce stratagème ne retiendra pas bien longtemps ces pourceaux revanchards.
Soufflez les chandelles
, ajoutai-je à l’attention du trio hagard.

S’il me fallait me baisser pour franchir l’ouverture grossière de la réserve gavée de tonnelets et caisses débardées depuis le port, le plus important demeurait d’en trouver l’autre issue, que je cherchais tout d’abord à tâtons d’une paume contre la pierre glaciale. Lorsque l’on s’invita à ma suite boutefeu en main, le battant clos se jetant a priori dans les quartiers des domestiques se découpa en rectangle goudronneux sur la façade claire. Mais plutôt que de l’ouvrir franchement, c’est avec précaution que je lorgnais le corridor par l’entrebâillement afin de ne pas me jeter dans les tentacules armés de ce Matamore. Rien à l’horizon. Je rejettais le battant avec discrétion pour ne pas le choquer contre la paroi, et m’infiltrait dans ce long couloir bien moins précieux, bien moins orné, que celui que nous avions parcouru, certes dans une pénombre sirupeuse, et menant aux cuisines. D’une autre issue, directement vers senestre, émanait la clameur agitée des gardes, mercenaires, nobles gens n’ayant pas succombé à l’appel des armes – une majorité de femmes assurément, et quelques robes peu enclines à s’essayer à l’exercice. Plutôt que de m’évertuer à déchiffrer les palabres étouffées par l’épaisse cloison de pierre, je me faufilai, le pas aussi léger qu’il m’était possible de l’exécuter, sur la paillasse usée coiffant le sol fait d’une seule dalle rocheuse. Une pièce passait déjà vers dextre, une chambre de bonne sans aucun doute, dont le battant entrebâillé n’offrait rien à se mettre sous la dent. Puis une seconde, sous la porte de laquelle des plaintes pleurnichardes s’exfiltraient. Nous approchions déjà l’extrémité de la coursive longeant la salle de bal lorsque je m’arrêtai d’une traite.

Une volée de pas. La pièce, là, dépêchons, pressai-je avant de pointer le battant aux sanglots refoulés pour que tous s’y engouffrent en dépit de qui en avait l’usage pour ses atermoiements.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’une fois la pièce close derrière mon passage hâtif, source de protestation restée en suspens, je notai le canari vif des chausses de qui reniflait bruyamment. Accroupi contre une table de chevet, le dos rond, ses mains enfantines protégeant sa tignasse bouclée teinte châtaigne, un homme suppliait les Trois de l’épargner. C’est bien nez-à-nez que nous tombions sur…

… Monsieur du Bellay ?


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Léonice de RaisonBaronne
Léonice de Raison



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyLun 18 Juil 2022 - 13:05
Léonice ne put empêcher le poisseux carmin de se coller à ses mains malgré toutes ses précautions ; par incidence de contenu, ses vêtements s’en retrouvèrent d’autant plus marqués. La jeune femme n’hésita pourtant pas bien longtemps, consciente qu’au seuil des urgences souvent vitales, l’hésitation était une aussi mauvaise maîtresse que la hâte. La baronne montrait ainsi toute l’expérience tragique et malheureuse du temps de la Fange avant Marbrume, de la noblesse qu’elle sacrifiait pour s’occuper de ce qui lui paraissait important, bien heureuse qu’on ne la freine pas par soucis d’égo. Elle hocha la tête, s’essuyant les doigts sans conviction contre un morceau de tissu qu’elle récupéra sur la table près des poissons.

L’arrivée impromptue d’un des miliciens fit sursauter la jeune femme qui prévoyait déjà de sortir, avec une tranquillité naïvement peu inquiète, continuer une enquête qui plus que nécessaire relevait d’un certain attrait intellectuel. Les multiples annonces relevaient néanmoins d’un domaine qu’elle trouva dangereux et… non, Léonice eut du mal à réellement comprendre ce qu’elle venait d’entendre. Incapable d’oraliser le mauvais pressentiment qui venait de lui étreindre la poitrine, Léonice chercha du regard quelque chose à utiliser pour la défense. Le couteau planté dans les maquereaux aurait été une solution acceptable si elle ne se sentait pas trembler à l’idée d’avoir une lame entre les mains ; courageuse mais pas audacieuse, une vieille poêle pleine de jus de cuisson arriva rapidement à ses mains. Elle prit le temps d’éponger l’intérieur avec un morceau de viande, puisqu’il n’y avait plus de torchons de disponibles, avant de complètement abandonner son air de noble et de prendre le tissu de sa propre robe pour ne pas laisser une coulée de cuisson derrière elle.

« Par les Trois, cette soirée… »

Avec un instant de retard, tel un musicien peu expérimenté qui raterait le dernier temps d’une valse, la femme à la poêle se hâta à la suite de ses comparses sous l’aide astucieuse des trois serviteurs. Léonice ne pensa même pas à les remercier, contrainte à une hâte désagréable mais nécessaire, priant pour que ses jambes ne lui fassent pas défaut ; trop consciente de n’être qu’un élément peu utile en cas d’affrontement, Léonice ne voyait pas l’un des deux Comtes prendre sa défense ; Gyrès lui était un ami touchant et sincère, mais l’homme possédait trop peu de compétences martiales pour risquer sa propre vie ; Lazare, lui, n’était certainement pas idiot au point de se laisser en danger pour le bienfait d’une noble que la sélection naturelle n’avait toujours pas rattrapée. De course en sensation de fuir une injustice, le trio s’enfonça au milieu du mauvais rangement jusqu’à atteindre une pièce obscure et où les pas des plus hargneux chasseurs étaient encore lointains ; mais suffisamment proches pour s’en inquiéter.

Le souffle court, les mains poisseuses et sales qui entouraient le manche de la poêle dans un état pas plus enviable, les cheveux de Léonice s’effondraient dans une sauvage bataille où boucles ressemblaient davantage à broussailles peu soignées. L’intervention de Lazare eut de quoi l’étonner, et c’est l’arme levée que la baronne s’approcha pour constater que le gros poussin en train de renifler n’était autre que leur hôte qui, surpris d’être ainsi découvert, émis un bruit peu gracieux plein de fluides qui pendaient à son menton.

« P-p-p-pitié !
— Quelle pitié ? Baron, pardonnez ma soudaine ardeur… mais quel est ce fou… cette affaire ? »

La noble tâchait de ne pas s’abaisser à un niveau déshonorant, mais la panique se reflétait bien malgré elle sur sa manière de parler qui se calquait parfois un peu trop sur celle d’Hector ou de ses servants. Du Bellay gémissait des demi-excuses qui ne surent satisfaire la jeune femme exaspérée, toutefois consciente qu’on ne tirait jamais rien d’un enfant pleurnichard.

« Baron… s’il vous plait, s’il y a des choses que nous devrions savoir, faites preuves de décence et partagez-les-nous. Nous sommes tous les quatre en danger pour certainement des raisons différentes, mais ne croyez-vous pas qu’il serait de bon ton d’éclaircir… à moins que vous ne soyez vraiment responsable de tout ceci, et que vos pleurs ne soient ceux que de la culpabilité ?... »

Là était peut-être l’une des manières de prouver ses capacités sociales, mettant au service les divers constats de dialogues entre vipères ; pour obtenir ce que l’on désirait, mieux valait pincer suffisamment fort l’égo ou l’accusation sur un être affaiblis. Frapper la jambe valide d’un unijambiste n’aurait pas su faire meilleur effet, puisque soudain le gros poussin se gonflait un peu plus, attrapant la robe froissée de Léonice qui leva un peu plus sa poêle.

« N-non ! Je n’ai rien à voir… je ne voulais pas que ça soit… oh ce sont eux ! Pitié, vous devez me croire !
— Eux, qui ? s’impatienta la dame.
— Les p… puri… Purificateurs ! »

L’annonce arriva comme un coup de poignard en pleine nuit ; le murmure pourtant presque crié arracha une mine déconfite à Léonice.

« Je… attendez, mais de quoi parlez-vous ? »

Dans une visible confusion, Léonice se tourna vers ses deux camarades, inquiète de sentir quelque chose lui échapper par manque cruel de connaissance…





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Gyrès de BoétieComte
Gyrès de Boétie



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptyMer 20 Juil 2022 - 11:15
L’on dit qu’il est de ces émotions virulentes, descelles qui nous prennent aux tripes, et qui nous poussent à agir de manière inconsidérée. Les grandes passions nous enflamment et nous consument. L’on rapporte ainsi, par exemple, que le Comte Geoffroy de Sabledoré, l’en apprenant la prise d’un castel ennemi après un long siège éreintant, fut pris d’un si grand excès de joie qu’il en mourut, emporté par une fièvre subite dû à son humeur extrême.

Je crus ainsi, l’espace d’un bref instant, que la précipitation du Comte Lazare hors des cuisines était synonyme de fuite, que l’homme nous abandonnait tous deux, moi et la Baronne de Raison, à notre sort, se jetant lui-même inconsciemment dans la gueule du loup. Mon jugement hâtif et le sentiment d’abandon qui en émanait furent vite tous deux tués dans l’œuf lorsque je compris l’habile ruse de chasseur qu’employa le seigneur de Malemort. Tétanisé, demeurant l’esprit embrumé, j’étais pour ma part incapable de réfléchir quant à la marche à suivre ; l’aide providentielle apporté par les marmitons, sollicité par le nobliau au teint mauresque, nous permirent de trouver une sortie de secours dissimulé dans les coins sombres des cuisines. Bien que paniqué face à la meute de loups enragés qui nous traquaient inlassablement, je fus pris d’une sorte d’enhardissement dû aussi bien par l’assurance contagieuse que portait le comte de Malemort que par jalousie envers le même homme : je n’avais pas envie de passer pour un pleutre, pour un incapable, devant la Baronne de Raison. Je saisis alors, dans le tumulte précipité qui suivit la découverte du passage secret, le premier ustensile de cuisine qui me tombait sous la main : l’Infortune porta ma dextre sur l’ignoble couteau découpeur de poisson, encore imprégné de l’épouvantable odeur putréfiée de son hôte. Néanmoins, l’arme était d’un tranchant acéré, et je ne doutais pas de son efficacité ; je n’étais certes point un maître escrimeur ni un brillant spadassin, mais en tant que noble d’une aussi prestigieuse maison que la mienne, j’avais reçu dans ma jeunesse l’éducation martiale nécessaire à tout aristocrate juvénile.

M’engouffrant à la suite du Comte, torche dans une main et couteau dans l’autre, j’étais suivi de près par la Baronne, qui me talonnait. Le cheminement fut on ne peut plus compliqué, tant le passage était exigu et plongé dans un noir de jais, rendant notre avancée lente et difficile. Par les Trois ! Que de quantités de tonneaux et d’amphores en toute sorte stockée en ces lieux asphyxiant ! Ce Du Bellay était visiblement un poivrot de la pire espèce, pour s’encombrer d’autant de liqueurs. Je manquais plus d’une fois de trébucher tête la première au sol, perdant l’équilibre lorsque je percutais les obèses et copieux tonnelets.

« Jarnicoton ! Dans quel guêpier nous sommes-nous fourrés ? Que diable allais-je faire en cette soirée ? », murmurais-je pour moi-même.

Sortant péniblement du conduit, la Baronne et moi-même suivirent messire Lazare, qui avait prit la tête des opérations, étouffant au maximum le bruit de nos pas pour ne point attirer l’attention sur nous, pauvres proies traquées. Le quartier des domestiques était d’une sobriété propre aux chambres et allés de bonne, dont l’esthétique paraissait presque misérable face aux fastes du reste du domaine. Comme ailleurs, l’absence de source lumineuse, couplé à l’odeur de poussière émanant du lieu, était propice à nourrir l’inquiétude et l’angoisse en moi-même. Soudain, sans que l’on puisse crier gare, nous nous engageâmes sur l’indication du comte de Malemort dans une chambre adjacente, d’où émanaient de lourds sanglots transis.

Je fus partagé à la fois entre le rire et la stupeur lorsque je découvris l’identité du pleureur : face au pathétique spectacle que nous offrait le Baron du Bellay, je ne pouvais m’empêcher d’afficher un maigre sourire au coin des lèvres. Voilà donc où avait disparu le sire des lieux, planqué dans la chambre d’un de ses serviteurs, tandis que l’on s’entretuait à quelques mètres de là ! Ni le ridicule ni la honte ne tuait, visiblement, pour que le personnage s’abaisse à pareille saynète. L’hôte malheureux, tout en étouffant un son peu gracieux émanant de sa glotte, se précipita aux pieds de la Baronne de Raison, l’assommant de suppliques diverses sur sa non-culpabilité. La belle Léonice, menant un efficace interrogatoire, parvint enfin à arracher la source des inquiétudes tourmentant le Baron. Celui-ci, apeuré et épouvanté, articula deux mots qui me jetèrent dans un effroi semblable au sien.
Face à l’incompréhension qu’affichait la Baronne face à cette révélation d’ampleur, je me hâtais de la renseigner sur l’identité du danger qui nous frappait.

« Des hérauts de la Fin des Temps, des Prophètes de la Nuit Eternelle, voilà ce que sont les Purificateurs. Des fanatiques sanguinaires, à l’origine des évènements tragiques du Couronnement, d’où est parti leur funeste renommé. Il s’agit des affreux croquemitaines du Morguestanc, que l’on soupçonne d’être à l’origine de la plupart des malheurs frappant Marbrume. Je suis surpris que vous n’ayez point ouï dire à leur sujet, chère Baronne. »

Un grondement sourd se fit entendre au dehors. L’orage, qui avait éclaté quelques temps auparavant, se faisait de plus en plus menaçant.

« Oh, si vous saviez comme j-je regrette ! Ce sont des hommes, mais ils ont le regard froid et sans pitié des bêtes. Je n’ai rien à voir avec eux, je v-vous le jure, par les Trois ! », se lamentait le ridicule baron emmitouflé dans son étouffante tenue d’apparat jaune fluo tout en effectuant quelques saints gestes exorcisant sur sa poitrine.

« Qu’avez-vous fait, Du Bellay ? Fricoter avec ces démons valait-il vraiment la peine de damner ainsi votre âme ? Quel merdier avez-vous provoqué, avec vos manigances ? », dis-je crûment, empreint de colère, à l’encontre du baronnet.

« J-je n’ai rien fait ! , » asséna l’homme-poussin dans un couinement agaçant. « Tout au plus leur ai-je apporté mon assistance en échange de bons procédés, mais rien de plus, rien de grave ! Je n’ai jamais rejoint leur immonde culte, je vous conjure de me croire ! »

« Alors, que vous veulent vos amis, pour s’en prendre ainsi à vous ? Une vengeance, j’imagine ? »

Le baron, dont le visage demeurait coincé à mi-chemin entre la peur et l’indignation , n’eut guère le temps de s’expliquer, car le bruit de pas lourds se firent entendre dans le corridor adjacent. L’angoisse et la frayeur reprirent ainsi instantanément droit de cité en son regard et, se jetant genoux à terre, le séant redressé en arrière et les mains jointes dans un geste suppliant adressé à notre égard, le baron nous tint à peu près ce langage :

« Oh, ce sont eux ! Ils arrivent pour moi ! Mes bons seigneurs, protégez-moi, si vous aimez les Trois ! »
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Lazare de MalemortComte
Lazare de Malemort



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MessageSujet: Re: Danse Macabre   Danse Macabre - Page 2 EmptySam 23 Juil 2022 - 8:29

Danse macabre | Automne 1166

Les Purificateurs. Qu’avaient-ils à voir avec toute cette mascarade ? Les explications balbutiantes, les babillages justificatifs, les tremblements paniqués du Baron n’avaient ni queue ni tête. Et cette chasse à l’homme articulée par la démagogie de ce Thiercelieux n’avait pour effet que de grignoter ma patience autrement entamée par un hanap de vinasse aigre et petit à petit achevée par les bêtises infantiles du Bellay. Si barons et bannerets avaient, par le passé, su faire valoir leur bravoure et leur pugnacité au combat comme feu mon aïeul Amardias de Maerle, seigneur de Sansebray, d’autres méritaient encore d’enfouir leur pathétique et leur répugnant dans les jupons de la première bonne femme venue. Toute politesse gardée pour ceux de la Raison qui s’enquit des travers de la situation auprès d’un canari éplumé, je m’en allais guetter à la lucarne l’éventuel passage des gens d’armes improvisés qui auraient su bêtement s’engouffrer par la fenêtre au carreau peinturluré de sang. Et bêtes furent-ils pour la plupart lorsque je les perçus gambader parmi les soigneux jardins de la propriété, piétinant les parterres fleuris, le flair faussé par une soif de sang aveugle et sourde. Ces fascistes en tuniques et tenues de soirée n’auraient pu avoir l’allure plus manche s’ils l’avaient originellement voulu, et bien que conscient que ma vie jouait les funambules peu assurés sur le fil de leurs épées, il me rassurait de les savoir imbéciles.

Je tendis l’oreille aux aveux du poussin nigaud tout en tâchant de me presser dans un angle mort tant du battant de porte autant que des carreaux gondolés dans leurs serres de fonte. Ainsi, cet aplaventriste acagnardé dans son palais démesuré avait non seulement eu affaire à ces extrémistes religieux, mais pire que cela, s’était encanaillé d’une alliance – aussi temporaire et légère fut-elle à ses yeux – à double-sens. Sens qui, néanmoins, ne lui servit guère ce jour, au regard du désastre retentissant de cette réception aux effluves de couronnement morguestanais. Ces suppliques me laissaient à croire que sa part, même minime, même risible, du marché n’avait pas été respectée ou mal exécutée. Ces crapules fondamentalistes avaient beau avoir la réputation d’être imprévisibles et particulièrement impitoyables, j’osais douter de leur intérêt à terroriser la classe noble qui pouvait se targuer d’en compter parmi ses rangs d’oignons. Bien plus qu’on ne souhaitait l’admettre.

Un éclair fendit l’empyrée que je pensais nocturne mais était ultimement tapissé de lourds cumulus menaçants. Et le tonnerre grondant annonça une pluie drue qui se mit à battre le pavé d’une force peu commune. C’était bien notre veine. Les hommes jetés en pâture à l’orage ne tarderont pas à se mettre à l’abri, et nous nous retrouverions de nouveau chassés dans l’enceinte du bâtiment qui, si grand puisse-t-il être, ne saurait nous protéger éternellement de nos poursuivants sans en connaître les moindres recoins. Alors je perdis patience. Me ruant plus avant pour aller attraper le Bellay au col et le redresser un peu plus dignement, étourdi par cette approche fugace lorsque les chiffons protégeant mon bras se gorgeaient de vin, je lui adressai quelques mots.

Suffit de vos boniments, ‘Baron’, mes compères et moi-même avons déjà vu la neige tomber. La cabale de ces calotins vous est destinée, et n’a pas été motivée par votre arrogante couardise. Parlez ! Que leur doit une chiffe de votre trempe ?!

Le hoquet apnéique de cet oiseau de malheur assourdit ses ridicules sanglots en un instant, son corps tout entier secoué d’un tremblement exagéré alors que je le soulevais sur ses pattes flageolantes. Il entrouvrit ses lèvres luisantes d’un fluide dont je préférais ne pas savoir la provenance, sans parvenir à articuler le moindre mot. Se rendit-il compte que son jeu d’acteur était aussi nauséabond qu’une fosse à purin ? Qu’il lui était préférable de parler à qui n’avait pas autorité qu’à quelque milicien qui se présenterait à point nommé dans cette chambre de bonne ?

Une dette impayée… ! amorça-t-il avant que nous ne captions les rumeurs d’une volée de pas dans le corridor du quartier des serviteurs.

Et le voilà qui échappa à ma poigne distraite pour se recroqueviller contre la table de chevet, gémissant ses suppliques à l’encontre de qui approchait jusqu’à titiller le loquet du battant. Le pas s’était allégé, comme séparé une ou deux pièces plus loin. M’apprêtant tout de même à devoir affronter une potentielle exécution, le sang bouillonnant, je me retournai vers la porte s’entrebâillant pour apercevoir un grand et jeune homme de la vingtaine dont la tignasse brune se coiffait d’un masque scintillant relevé en couvre-chef. Un qui saurait d’ailleurs attiser la mémoire de la Boétie, pour l’avoir croisé non loin du buffet. Surpris par notre présence à tous, l’arriviste fomenta un pas de retraite avant d’apercevoir le bouton d’or tout juste éclos dans un recoin de la pièce.

Père, qui sont ces gens, vous a-t-on fait du mal ?

“Père” ? Cette réception burlesque réservait encore son lot de surprises. Il n’était pas quinze années séparant les deux hommes, toutefois l’allure du cadet était des plus honorables, lui mettions en parallèle le boudin solaire qui se redressait d’un sursaut. Ce dernier, à qui je jetai une œillade accusatrice par-dessus mon épaule, secoua franchement le chef pour rassurer son garçon et l’inviter à entrer pour se protéger des chiens infernaux du Thiercelieux. Le garçon refusa.

Père, nous devons fuir, sur-le-champ ! Je n’ai guère l’intention de me celer céans en espérant échapper à la barbarie de vos invités, je vous en conjure, accompagnez-moi !
Passons par la réserve, jusqu’aux vitraux de l’accès aux cuisines. Ces “barbares” se sont déjà engouffrés par là pour et ne devraient pas y revenir de sitôt. Il est plus judicieux de profiter du déluge, allons !
Mais, que vais-je…
Nous n’en avons pas fini, monsieur.

Nous n’avions aucune autre alternative sûre. Sectaires et vengeurs armés se réunissaient aussi entre ces maudits murs et leur décoration effrontée, et notre enquête, pourtant tout juste amorcée, se devait toucher à sa fin en ces lieux. Le Bellay fils guetta le couloir dans son intégralité avant de nous inviter à nous échapper en rebroussant chemin. En faire nos otages ne me poserait pas le moindre souci éthique ou consciencieux au regard des révélations de l’aîné, si l’occasion se devait être présentée d’ici à ce que nous soyons sains et saufs. Car l’Esplanade elle-même ne saurait nous abriter, et je gageais qu’il nous faille crapahuter jusque dans les quartiers populaires.


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