[convocation] Le gout salé d'une larme

Alice se débattait dans ses bras, mais l’archer ne pouvait pas la lâcher. Elle finirait par disparaître définitivement de sa vie, sans qu’il ne puisse plus jamais avoir espoir de l’avoir à ses côtés.

« Théo non ! Je dois y aller ! Ils comptent sur moi ! »

L’Ambassadrice repoussait celui qui avait été son mari dans une autre vie, abattant ses petits poings contre le torse puissant du soldat. C’était une bataille de volontés. Repousser sans blesser, retenir sans léser.

« Je m’en fiche, j’ai autant le droit qu’eux de te garder. »

Désespéré, malade d’amour, l’archer en aurait presque tremblé. Cette Alice, qui n’était plus tout à fait la sienne, il l’avait tant attendue. Le désespoir avait été si profond, et l’espoir qui avait suivi si puissant, qu’il lui était impossible de tout perdre de nouveau. Il avait essayé d’écouter les arguments de sa femme. Vraiment. Et le pire c’est qu’il les comprenait parfaitement et y adhérait. Sauf quand il s’agissait de l’une des rares choses qu’il ne pouvait pas partager.

Et alors qu’il s’apprêtait à continuer sa supplique enfantine, un coup brutal dans la nuque fut la dernière chose qu’il sentit pendant longtemps.

***

La tête lourde, Théophile finit par rouvrir les yeux. Ses paupières, aussi pesantes que du plomb eurent tôt fait de ses refermer un instant, avant de s’ouvrir complètement. Ce qu’il voyait était bonnement impossible. C’était le dortoir qui s’étalait sous ses yeux, le lit du Rouquin à côté du siens. D’ailleurs, son ami avait une mine inquiète, la mine des mauvais jours. Pas qu’il soit quelqu’un de très expressif habituellement, mais à cet instant, l’archer savait que quelque chose ne tournait pas rond. Et, malgré ce qui martelait dans son crâne, il comprenait qu’il en était la cause.

« De retour parmi les vivants Castaing ? »

« Qu...Comm... »

Le rire cynique de son camarade informa l’archer qu’on se moquait de lui, et de son état d’hébétement.

« Grincheux t’avais perdu de vue hier. Il paraît que t’as courus comme si la fange voulait te bouffer le cul. On t’as cherché pendant un moment. Au port, à bourg-levant, au labourg. On a fait tous les endroits où t’as l’habitude d’aller, on a même été voir certaines de tes amies sauf que personne t’avais vu. On a fini par te retrouver, évanoui, pas loin d’un bordel. N’importe qui aurait pu te détrousser, t’as eu de la chance qu’on te ramasse avant. »

Ce que lui racontait Le Rouquin donnait mal au ventre au borgne. Comme si une substance acide rongeait son estomac, au même titre que son âme. Alice...elle était partie...elle avait reprit ce maudit bateau pour son Enclave. Et il ne lui restait plus rien ici. Plus rien à part ce que lui avait proposé le Seigneur de guerre, et ce que lui-même avait pensé de sa proposition. Alice… il l’avait de nouveau perdu…

Son corps était mal en point, autant que sa tête qui le malmenait dès que ses paupières avaient la mauvaise idée de vouloir rester ouvertes plus de quelques secondes. Que s’était-il passé ? Dès qu’il tentait de réfléchir, son crâne menaçait d’exploser, entraînant la nausée à sa suite. Pire qu’une gueule de bois, Théophile n’avait jamais ressenti ça. Les courbatures lui semblaient celles, lointaines, qu’il avait ressenti lorsqu’il avait eu la fièvre à son arrivée à Marbrume. Pourtant, il lui semblait aller bien quand il discutait avec Alice. Enfin, c’était relatif. Son corps était sain à ce moment-là, son coeur lui, avait été piétiné sans relâche pendant toutes ces heures. Quand il repensait à Sa Douce, les miettes qu’elle avait laissé dans sa poitrine menaçaient d’exploser à leur tour.

Pendant ce temps, Le Rouquin attendait, patiemment, que son camarade reprenne un peu ses esprit. Seul le bruit de la mastication coupait le silence, signe que Bart avait certainement sorti un bâton de réglisse. En ce concentrant sur ça, sur l’odeur familière qui se dégageait, et le calme ambiant, l’archer finit par se sentir légèrement mieux, suffisamment pour tenter une question complète.

« Bart, toi qui connaît bien la cité, est-ce que tu sais comment rentrer en contact avec le Vicomte Dédale des Marches Boréales ? C’est un Seigneur de Guerre. »

« Je connais la plupart des nobles qui savent se battre et ce nom ne me dis rien. Tu t’es pris un sacré coup sur la tête mon vieux. Et je pense que t’as d’autres soucis pour le moment. Chef est aussi furieux qu’inquiet. Tu va avoir des comptes à lui rendre. »

Pour sûr, après avoir rameuté l’équipe pour le chercher toute la journée, sans compter qu’ils avaient certainement dû enchaîner une garde sans lui, Chef allait lui faire bien sentir. Peut-être même que ce serait le Sergent qui serait à l’oeuvre. Et pour le moment, il n’avait aucune explication qu’il pouvait réellement donner. Après tout, quelles étaient les possibilités qu’il retrouve Alice par un tel hasard ? Qu’elle ait autant changé ? Qu’elle endosse ce rôle qui ne lui correspond pas ? Qu’ils se retrouvent chez un noble et qu’ils soient en train de parler de renverser le pouvoir en place ? Les jours qui se profilaient promettaient d’être terriblement difficiles…

« Oui, je crois…. »

Mais tout avait eu l’air si réel...Théo pouvait presque encore sentir la chaleur de sa Douce contre lui...Que s’était-il passé la veille ? Son seul moyen de le savoir serait de remonter la piste depuis Marbrume. Alors qu’il retombait dans l’inconscience, l’esprit du milicien répétait en boucle ce qu’il devrait chercher ardemment pour avoir ses réponses : peuple des routes, Seigneur de guerre, produit dangereux, peuple des routes, Seigneur de guerre, produit dangereux, peuple des routes...Seigneur de guerre...produit dangereux...

FIN