Une virée qui tourne mal

12 août 1166 :
Je n’arrive pas à croire que j’ai accepté cette offre de travail. C’est vrai que j’ai toujours besoin d’argent, vu que j’en dépense énormément en fille de joie et en boisson, la paye de la Milice étant inexistante et l’argent que me donne Victor, mon allié ne pouvant pas subvenir à tout. Je fais donc des missions d’accompagnement bien payé, mais là, j’aurais dû étudier plus attentivement les petits caractères, le problème, c’est que j’ai beaucoup de mal à lire, et c’est ainsi que je me retrouve dans ce genre de situation.

Je suis donc sur le ponton fixant le petit bateau, en mauvais état, qui va faire la navette du Labret jusqu’à Marbrume. Il ne m’inspire vraiment pas confiance, et même si on n’a jamais vu de Fangeux dans la mer, il y a une première fois à tout. De plus, les pirates n’hésitent pas à braver les lois, surtout que ce convoi transporte également de la nourriture à destination de la capitale.

Moi, je n’aurais qu’à surveiller un coffre, qui vient juste d’être chargé, mais j’ai quand même peur de tomber à l’eau, car je ne sais pas nager, de plus mon armure me fera couler à pic, avant même que l’on puisse me jeter une corde. La seule solution que j’ai trouvée est de rester au milieu du pont, près du mât et de ne pas bouger d’un cil.

En tout cas, je suis arrivé parmi les premiers et je peux donc m’adresser au capitaine :

Je suis le chevalier Desmond de Rochemont, je suis chargé de la sécurité de la marchandise.

L’officier me sourit, me laissant voir des chicots complètement pourris et crache sur le pont, en me disant :

Bienvenu sur l’Invincible ! On attend plus que le représentant de la milice et on sera au complet. Je suis sacrément content que vous nous accompagner, les bandits redoublent d’audace ces temps-ci et avec ce que nous allons transporter, je préfère avoir un solide gaillard comme vous à mes côtés !

Je me contente de hocher la tête, tout en évitant ses postillons et je regarde vers le chemin, curieux de savoir qui va m’accompagner, j’espère en tout cas qu’il saura se battre sur un bateau, car moi, je n’en ai aucune idée. Je prie d’ailleurs silencieusement les Trois pour qu’ils m’épargnent durant tout le trajet, j’ai toujours été un bon croyant, alors il n’y a pas de raison que les choses se passent mal.

Une fois le milicien arrivé, je n’aurai plus qu’à monter en même temps que lui, et vogue la galère.

C’est qui ce borgne ? C’est la première réflexion qui me vient à l’esprit quand je vois débarquer un homme grand et pas très baraqué, ce n’est qu’après que je remarque qu’il est habillé comme un milicien, d’ailleurs le brun se présente comme en faisant partie, un certain Barall Trell, d’ailleurs quand je le vois s’approcher, je remarque que le bandeau ne cache pas son œil, mais que ceux-ci sont de différentes couleur.

En tout cas, il me salue par mon titre ce qui démontre qu’il est intelligent et bien élevé, et ça, c’est le plus important, il monte très facilement et sans peur sur le bateau et je m’empresse de le rejoindre, quoi que beaucoup plus prudemment, n’ayant guère confiance dans l’élément liquide. Je peux ainsi me présenter :

Bien le bonjour, milicien Trell, je suis le chevalier Desmont de Rochemont, j’ai pour mission de veiller que ce coffre arrive à bon port et j’espère également que tout se passera bien, mais le capitaine m’a fait part de ses inquiétudes vis-à-vis des pirates, est-ce que tu les as déjà combattus ?

Oui, je tutoie les gens du peuple, l’avantage de la noblesse, je suppose. En tout cas, je lui laisse le temps de répondre tandis que tout autour de nous, je vois les quelques marins présents s’activer, et que le vent gonfle les voiles. Nous voilà maintenant partie et ce n’est pas exactement comme cela que je voyais mon premier voyage.

Il y a quelques années, c’était de grands et fiers bateaux qui rejoignais le port de Marbrume et je m’étais toujours dit que le jour où j’aurais tout connu de cette ville, je partirai faire le tour du royaume, peut-être même rejoindre la capitale, que l’on disait magnifique. Maintenant, il ne reste plus que quelques caboteurs et cette grande cité doit être en ruine et remplit de Fangeux. Rendu mélancolique par ces souvenirs, je reste prêt du grand mât comme prévu et je demande au garde quand il passe à ma portée :

Je suis novice dans le combat sur mer, est-ce que tu as des conseils à me donner ?

J’espère que oui, j’ai toujours eu différents maîtres d’armes et c’est comme cela que j’ai pu progresser jusqu’au niveau où je suis aujourd’hui, c’est donc avec beaucoup d’attention que j’écoute sa réponse, car ses leçons peuvent me sauver la vie un jour ou l’autre. Une fois qu’il a terminé, je me sens mieux, je ne serais pas complètement inutile en cas de confrontation. De plus, je viens de découvrir autre chose, je n’ai pas le mal de mer !

L’homme qui m’accompagne et que je prenais pour un vétéran est aussi novice que moi et cela ne me rassure pas. De plus, il m’indique bien que les pirates sont suffisamment expérimentés pour n’attaquer qu’à coup sûr, ce qui démontre une certaine intelligence de leurs parts.

Concernant ses conseils, le mieux que je puisse dire, c’est qu’ils sont assez succincts, mon armure va m'handicaper, mais me permettra d’avoir l’avantage en cas de conflit et qu’il faut savoir s’adapter. Finalement, cela ne semble guère être différent d’un combat sur terre, surtout que la mer est calme. Je lui indique donc en souriant :

Je te remercie pour toutes tes indications, je vais faire attention.

Lorsqu’il me demande ce que nous transportant, je lui réponds en le regardant droit dans les yeux :

Je n’en sais rien, et je ne veux pas le savoir. Le principal est que devons faire en sorte que la cargaison arrive indemne au port de Marbrume, c’est la seule chose qui compte.

Il n’est pas bon d’être trop curieux. Moi, en tout cas, je ne le suis jamais, me contentant d’exécuter les consignes, tuant quand il y en a besoin. J’allais d’ailleurs ajouter quelques phrases pour adoucir un peu mes paroles, quand nous sommes brusquement interrompus par un des marins qui crie :

Navire en vue !

Je regarde dans la direction qu’il montre du doigt et je vois effectivement une barque avec une voile. Elle est beaucoup plus rapide que nous grâce à quatre rameurs et un profil beaucoup plus fin. Comme l’embarcation vient du large, j’imagine que ce sont des pirates, de plus ils se dirigent droit vers nous et j'estime qu'ils pourront partir à l’abordage dans dix minutes environ.

Je regarde autour de moi et le capitaine semble terrifié, il faut dire qu’avec seulement deux marins, simplement équipé de coutelas et n’ayant, visiblement, aucune intention de s’en servir, il a de forte chance de terminer prisonnier contre rançon si les choses tournaient mal. J’imagine que ses hommes, eux, seront engagés par les forbans, venant ainsi grossir leurs rangs.

Évidemment, tout ceci ne va pas arriver, car je vais les pourfendre jusqu’au dernier, je dis même au capitaine :

N’ayez pas d’inquiétude, nous allons les rejeter à la mer comme du poissons pourris, ils ne sont que quatre !

Cela fait quand même du deux contre un, mais j’ai vu pire, surtout qu’ils ne possèdent aucune armure, je peux donc dire en souriant au milicien :

Il va y avoir du sport, si vous avez des préparatifs à faire, c’est le bon moment, pour ma part, je suis prêt !

Joignant le geste à la parole, je mets mon casque sur la tête, je perds un peu en audition, mais il ne gêne pas ma vue, et c’est le principal. Je dégainerai mon épée à deux mains au tout dernier moment, pour ne pas être gêné, pensant que finalement ce trajet va être plus intéressant que prévu et avec un peu de chance, j’aurai même droit à une prime !

Le milicien chargé avec moi de la sécurité de la cargaison, conseil au capitaine et à ses hommes de s’enfermer dans la cabine, et ceux-ci trop heureux d'échapper au danger, s’empressent de suivre cette consigne. C’est une bonne idée, cela évitera les dégâts collatéraux, toujours gênant dans ce genre d’affaire. Ensuite, l’homme fait différents préparatifs que je ne comprends pas, pendant que je dégaine ma lourde épée à deux mains.

Nos agresseurs sont malins, car ils lancent des grappins pour rapprocher les deux embarcations, je ne prends même pas la peine de les couper, car ils en lanceront d’autres et je les attends tout simplement de pied ferme. Les quatre hommes arrivent en même temps et comme l’avait prévu Barral, ils sont légèrement armés et sans aucune protection, ce qui est assez suicidaire.

En tout cas, ils semblent surpris par ma présence, car ils échangent des regards inquiets et celui qui semble être leur chef nous apostrophe :

Ecoutez les gars, tout ce que nous voulons c’est la cargaison, soit la nourriture, vous n’allez pas mourir bêtement pour quelques choux ?

De toute évidence, ils ignorent la présence du coffre et pensaient qu’il n’y aurait qu’un seul garde, ce qui leur aurait évité de parlementer, car un a contre quatre, ce dernier n’aurait eu aucune chance. Leur tentative de négociation me fait sourire et j’indique sur un ton léger à notre interlocuteur :

J’ai une meilleure idée, et si vous vous rendiez ?

Ils commencent à rigoler et un des pirates qui n’avaient pas parlé jusqu’à là, me répond :

Tu veux rire boite de métal ! Si nous sommes pris, c’est la potence ou le supplice de la planche pour nous tous, alors tant qu’à crever, autant le faire en combattant.

Je ne pensais jamais penser cela un jour, mais je suis d’accord avec ce malandrin, une mort rapide est préférable à une agonie longue et douloureuse. Mais je ne suis pas tout seul à décidé et sans bouger la tête pour avoir toujours en vue mes opposants, je demande à mon compagnon de voyage :

Tu en penses quoi ? On leur donne ce qu’ils veulent ou bien, on fait notre job et on sauve des centaines d’habitants de la famine ?

Je laisse passer un peu de temps avant de continuer :

Pour moi, la réponse est toute trouvée, on les tue, on balance leurs cadavres à la mer et on pille leur bateau avant de l’incendier.

J’ai dit les choses dans l’ordre et je serais très déçu que l’homme au bandeau flanche au tout dernier moment.

( je te laisse le soin de décider de l'issu finale)

Les premières paroles de Barral m’inquiètent un peu, mais très vite, il indique clairement qu’il est prêt à combattre à mes côtés, ce qui est tout ce que je lui demande pour le moment. Il précise toutefois qu’il serait bon d’en garder un vivant, ce qui semble difficile vu leurs paroles. Sans compter qu’il veut garder la barque qui me semble en encore moins bon état que notre embarcation ce qui n’est pas peu de le dire.

Je soupire devant toutes ses exigences, mais je veux bien faire un effort pour ne pas en décapiter un, du moins pas tout de suite. Le milicien prend ensuite l’initiative, mais ne remporte guères de victoire, jusqu’à ce qu’avec un mouvement digne d’un jongleur, il capture un des pirates. Pour ma part, les deux bandits m’entourent et d’un geste, presque négligeant, je fais tournoyer mon épée, ce qui en éventre celui qui s’était trop rapproché.

C’est vraiment des amateurs et les deux hommes encore libres prennent peur subitement, se sachant condamnés, l’un d’eux saute à l’eau, essayant sans doute de rejoindre le rivage, même si je doute qu’il y a arrive, tandis que le second, celui que je considérais comme le chef, malgré toutes ses belles paroles, lâche son arme et se met en genoux, les mains en l’air en nous suppliant :

Je vous en prie, épargnez-moi.

Je suis déçu par le combat et j’ai encore soif de sang, je pense que si j’aurai été seul, je lui aurai passé ma lame à travers le corps, mais ce n’est pas le cas et je dois me montrer prudent. Je dois acquérir une très bonne réputation auprès de la milice et cette mission pourra en faire partie, je pourrais ainsi faire partie des troupes de la nouvelle armée quand elle sera mise en place.

Mais avant cela, en faisant bien attention, car une personne que je ne nommerais pas à étaler des cordages partout, je récupère les armes, afin de ne pas avoir de mauvaises surprises, chose que j’ai apprise lors de mes campagnes de pacification et j’ajoute bien sûr la décapitation du cadavre pour éviter qu’il ne se transforme en fangeux. Une fois cette précaution prise, je demande à l’homme qui m’accompagne :

Que fait-on d’eux ? Je suppose que tu t’y connais en corde ?

En tant que marin, il devrait pouvoir les neutraliser rapidement, j’attends donc sa réponse avant d’indiquer à l’équipage :

Vous pouvez sortir, tout est terminé.

Ils sortent un par un, méfiant, mais très vite reprenne leurs occupations habituelles, faisant quand même un détour pour éviter le corps que j’ai laissé là. J'interroge donc au guerrier acrobate :

Quelle est la procédure concernant les corps en mer ?

Je n’en ai aucune idée, mais je suis prêt à l’aider si on doit le balancer tout simplement à la mer, les poissons, comme tous les animaux, ne craignant pas les goules, et puis ce sera sympa de les voir le manger, pour une fois que ceux sont eux qui se sont bouffés.

Mon acolyte ne perd pas de temps et attache avec une grande dextérité les prisonniers. Une fois, ceci fait, il répond à ma question sur les corps que l’on doit jeter à la mer et il faut apparemment les couvrir avec une bâche avant de les lancer à la mer.

Je ne comprends pas le pourquoi de cette tradition, c’est quand même gâcher du matériel qui peut encore servir. À moins que ce soit une subtilité religieuse que je ne connais pas. Les matelots eux, accrochent l’esquif des pirates aux nôtres et commencent à faire leur truc de marin, faisant avancer notre bateau.

Je peux enfin rengainer mon épée à deux mains et puisque combattre rapproche toujours les gens, je me tourne vers le milicien et je lui indique :

Tu avais raison, le combat en mer est vraiment très particulier, sans tes conseils, je me serais fait avoir.

Puis je lui pose une question :

Pourquoi avoir choisi cette voie ? Je n'ai pas l’impression qu’il y aura beaucoup de promotion ici. En plus, les pirates attaqueront toujours en supériorité numérique.

C’est un des problèmes de la mer, la concentration des forces. Ici, on peut rapidement réunir une petite troupe, faire un assaut et chacun s’évanouit dans l’immensité de l’océan. J’attends donc la réponse du borgne, puis une fois que je l’ai entendu, je lui demande :

As-tu des infos sur leur base ? On m’a dit que ces forbans posséderaient toute une île.

C’est difficile à croire, mais Marbrume ne dispose plus de grand navire et c’est bien dommage. Il faudrait pourtant faire une expédition punitive pour s’en débarrasser pour de bon. Nous avons de la chance que les Dieux interdisent aux Fangeux de prendre la mer, si nous n’avions plus de pillard, les convois entre le Labret et la dernière capitale de l’humanité seraient enfin en sécurité.

Le milicien répond bien volontiers à mes questions et j’apprends ainsi qu’il s’est engagé pour lutter contre la Fange. C’est un objectif louable, quoique suicidaire et lorsqu’il m’apprend qu’il était présent lors du massacre des paysans lors de la reconquête du Labret, je lui réponds en toute honnêteté :

J’ai vu des goules attaquées mon village natal, mes hommes étaient expérimentés et j’étais sûr de pouvoir les repousser. On pouvait même les qualifier de véritables vétérans et pourtant, ils n’ont tenu qu’une nuit. J’ai été le seul à pouvoir m’enfuir et si un jour, je suis confronté de nouveau à un de ses monstres, je ferais de même.

Je le regarde droit dans les yeux et lui dit :

La mort ou le combat, ne me font pas peur. Ce qui me terrifie, c’est la pensée de perdre mon âme et de devenir une de ces choses.

Je suis un fervent adorateur des Trois et je crains le courroux des Dieux. On change ensuite complètement de sujet et malheureusement, mon interlocuteur n’a pas grand-chose à m’apprendre sur les pirates. Quand il évoque la piste d’informateur, je lui dis :

Je suis persuadé en effet, qu’il y a des vendus, que ce soit au port, parmi les équipages civils ou la milice. C’est dans la nature humaine de survivre, quel qu’en soit le prix.

Les temps sont durs, très durs même pour tout le monde. Les gens sont désespérés, mais ce n’est bien sûr pas une excuse et si j’en choper un, je prendrais un grand plaisir à le décapiter Je demande ensuite au borgne, car je suis curieux :

Tu comptes faire ce métier encore longtemps ?

On ne reste à vie dans les rangs des forces armés et en première ligne. Au bout d'un certain nombre d'année, les anciens sont assignés à des tâches de surveillance, à l’intérieur des remparts, protégé des monstres et de la lie de l'humanité.

Je suis vraiment tombé sur un héros, mettant sa vie en danger pour les autres, tout le contraire de moi. J’ai même du mal à croire qu’il reste encore des gens comme cela. Comme quoi, la vie, c’est comme une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Il commence ensuite à interroger les survivants, mais ces derniers lui répondent :

On sait très bien le sort qui nous est réservé, la pendaison haut et court. On ne dira rien à des salauds comme vous qui n’êtes que des moutons.

C’est bien la première fois que l’on me traite ainsi. Normalement, c’est à ce moment-là que je sors mes instruments de torture et que je commence à m’amuser. Pourtant, je reste calme, ne sachant pas vraiment comment le milicien va réagir à mon « art ». Je ne dis rien, me contentant de faire le moins de mouvement possible pour ne pas tomber à l’eau.

Au bout de quelques heures, nous arrivons enfin à destination. C’est la première fois que je suis autant content de voir le port. Si cela pouvait avoir une odeur différente, ce serait parfait. Une fois accosté, je serre la main à Barral en lui disant :

Grâce à toi, j’ai survécu un jour de plus. Si tu as besoin d’aide, n’hésites pas.

J’attends sa réponse puis je vois que le chariot pour transporter le coffre est déjà arrivé, je regarde les marins faire le transbordement, puis, après un dernier geste d’adieu, je quitte l’endroit. Ma mission se termine enfin, après avoir livré le paquet. Je suis assez mitigé, j’ai accompli ce que je devais faire, mais la mer est vraiment dangereuse et je ne compte pas faire cette action régulièrement.

C’est vraiment dommage, car c’est un lieu sans Fangeux, mais les pirates font de cet endroit, une place où la survie est difficile.