L'oreille du milicien [PV Gaël de Conques] - TERMINE

Je faisais ce que je pouvais pour retenir mes larmes.
Je m’étais réveillé ce matin avec un cruel sentiment de vide, submergée par des vagues de mélancolie. Les souvenirs de mon ancienne vie, ma situation actuelle… Je me sentais étranglée par une vie qui n’était pas la mienne, comme si j’étais une autre.

La veille, j’avais reçu six clients, afin de récupérer assez d’argent pour quelques jours et, maintenant, je me sentais minable.
Alors, j’étais restée seule dans ma chambre toute la matinée, à pleurer en silence, sous ma couverture. Finalement, je m’étais habillée sobrement et j’étais sortie. La fraicheur de la journée et la grisaille ambiante se mariaient bien à ma morosité tandis que j'errais sans but réellement précis.
Au fond de moi, je n’avais besoin que d’une seule chose. Une personne avec qui parler, une personne qui m’écouterait et, peut-être, me soutiendrait. Quelqu’un qui serait amical et n’attendrait pas une faveur.
Pour cela, encore fallait-il avoir des amis.

Je m’arrêtais soudainement, une pensée me traversant l’esprit. Une pensée que je rejetais, mais qui revenait dans la foulée.

Gaël… !

Je pivotais alors et pris la direction du quartier de la milice tandis que la neige se mettait à tomber. Je relevais le col de mon manteau au mieux et accélérais le pas, la température glaciale motivant mon allure.
Le plus difficile, ce fut une fois devant la grille.
Comment aborder les gardes et leur demander sans risquer… Je ne voulais pas que l’on me reconnaisse. Les langues parlent vite et souvent mal.
Si quelqu’un me reconnait alors que je demande à voir le jeune-homme, les autres vont… Il sera embêté par ses camarades… Sans doute ne souhaite-t-il pas que l’on sache qu’il connait une prostituée. Cela fait mauvais genre tout de même.

Alors, je restais là, appuyée contre un mur, face à la grille, de l’autre côté de la rue. Je n’arrivais pas à me résoudre à prendre le risque de le mettre mal à l’aise sans pour autant parvenir à repartir. Je serais mes bras autour de moi, pour me maintenir un peu au chaud.
Une petite voix, que je ne voulais pas écouter, me disait que, de toute façon, il ne voudrait surement pas me voir.

Certainement la pauvre jeune fille eu à attendre un moment, le froid allongeant les minutes, il y en avait des verts à passer ici, mais aucun qui n’était Gaël.
L’on entendait certains se plaindre du mauvais temps alors qu’ils étaient obligés de travailler dehors, du moins quand leur supérieur n’écoutait pas.

Enfin, l’un des hommes eu l’air de dénier lui accorder de l’attention, il passa les grilles pour se diriger tout droit jusqu’à la jeune femme sans aucun détour. Une fois devant, il regarda autour de lui, et se frotta les mains pour les réchauffer.
Il était grand et tout fin ce garçon, brun, d’un brun plus foncé que Gaël, il n’avait pas vraiment les épaules de celui qui inspire grand chose, une grand asperge, affublé de tissu vert.

«-Mam’zel, l’chef m’envoie vous dire qu’il faut pas v’nir chercher l’client ici, ça fait mauvaise réputation v’voyez. C’pas qu’y’a pas des intéressés mais…» Il regarda derrière lui, pour croiser la silhouette d’un homme qui l’observait prendre la situation en main. «-Bon écoutez, l’coutiller il est pas vilain, mais si l’sergent il vient, il va sévir. Alors faut q’vous partiez maintenant. Vous comprenez c’que j’dis ?»

Le ton de la grande asperge n’était pas violent, plutôt sympathique a vrai dire, mais un peu condescendant, prenant un peu la prostituée devant lui pour une potiche sans cervelle, il ralentissait même sur certain de ses mots, pour être sûr qu’elle avait le temps de tout comprendre.
Certainement des miliciens qui l'avaient reconnu, et les rumeurs allant bon train, il ne fallut pas longtemps pour que l’on s’inquiète de voir les prostitués tapiner directement devant la caserne, c’était le genre de situation qui avait déjà débordée auparavant.

Avec le froid, j’avais déjà les joues roses et le nez glacé, mais lorsque cette espèce d’asperge verte vient me demander de quitter l’endroit, je virais cramoisie.
J’étais là depuis un petit moment déjà et j’eu un peu de mal à desserrer les lèvres, qui, elles, devaient-être bleues.

Je…

Je baissais la tête pour cacher ma honte. Le milicien n’était pas agressif, plutôt tendre dans ses paroles, mais avec la matinée sombre que j’avais passée, tout ce qu’il disait résonnait en moi comme autant d’horreur.
On m’avait bel et bien reconnu et c’est comme prostituée que l’on me connaissait dorénavant. Mes larmes recommencèrent à couler.

Je suis désolé Monsieur… Je ne voulais déranger personne… Je cherche quelqu’un…

Une pensée fila dans ma cervelle congelée et je relevais sur l’homme en vert un regard plus assuré bien que larmoyant.

Cela n’a rien de professionnel… Je cherche un ami, Gaël. Je n’osais juste pas approcher de la grille. Gaël, un jeune homme brun hirsute, plus petit que vous…

J’avais tout tenté pour que l’on n’aille pas penser que mon objectif était d’accrocher le jeune homme. C’était d’ailleurs la première fois que je pensais à lui comme un ami.
Le milicien devant moi pouvait sans doute voir de l’espoir dans mon regard.

A la réaction de la grand échasse, on pouvait voir que le nom ne lui disait pas rien, sûrement doutait-il de cette “amitié” dont parlait la prostituée mais après tout il avait d’autres choses à faire.
Heureusement, il n’était pas de ceux qui se mêlent des ragots, et il devait bien se débarrasser d’elle avant le retour du sergent.

«-J’connais c’gars là… Mais à c’t’heure-ci, vous le trouverez pas à la caserne. L’est en patrouille…»

Il jeta un coup d'œil derrière lui pour s’assurer que le sergent n’était toujours pas là, un autre milicien passa près d’eux à ce moment, sûrement rentrait-il à la caserne, un jeune blondinet à la voix un peu criarde.

«-Hey, Laperche, t’as pas autre chose à faire que d’traîner dans l’froid?»

Le blondinet arrêta son regard sur Olga, soudainement très intéressé, il se recoiffa légèrement un sourire tordu sur le visage, son regard descendant sur elle pour certainement essayer d’imaginer ce qui pouvait bien se cacher sous le manteau.

«-Ha mais fallait dire qu’t’étais en bonne compagnie. T’pas honte d’parler à des filles trops jolies pour toi. Bien l’bonjour ma belle…»

«-Elle cherche Gaël, un ami à elle.»

A la réponse de Laperche le blondinet se mit à pâlir, immédiatement il détourna son regard, comme paniqué d’avoir osé la regarder de cette façon.

«-Ou-ouais… Gaël. J’vois… Hm eu… L’est pas ici maintenant.»

Le blondinet semblait presque terrifié, ce qui agaçait visiblement le grand brun.

«-Et t’saurais pas où il est? T’sais te rendre utile un peu ?»

«-Hey ho ! J’ai l’air d’en avoir quelque chose à foutre de où qu’l’est lui?» Un petit silence marqué d’un échange de regard entre les deux, le blond soupira. «L’est en patrouille à la Hanse, devrait être sur l’retour maintenant.»

Il n’osait toujours pas regarder Olga en lui parlant.

«-T’vois quand tu veux.» Laperche tourna à nouveau son attention sur la demoiselle. «V’pourrez sûrement l’trouver là bas, ceux qui vont en patrouille dans c'quartier, z’aiment bien y traîner avant d’rentrer, par contre j'sais pas dans quel établisemment traîne sa coutillerie à lui.»

Le petit criard s'était éclipsé pendant le reste de la conversation, fuyant presque jusqu’à la grille.
Laperche se massa le crâne, se préparant à partir, mais il restait quand même, s’assurant que la jeune femme avait bien tout compris.

Au moins, l’asperge semblait faire montre d’un désir de m’aider, même si son regard m’avait clairement indiqué qu’il croyait moyennement à mon histoire d’amitié.
Le second milicien, en revanche, nous rejoignait avec un regard assez appuyé en ma direction, regard qui me mettait mal à l’aise. J’y étais pourtant relativement habituée maintenant, mais il y avait chez lui quelque chose d’un peu … pervers.
Après quelques protestations, le prénommé Laperche, si c’était bien son nom et non un sobriquet, finit par réussir à tirer l’information de son collègue.

Ce dernier avait brusquement cessé de me reluquer dès lors qu’il avait entendu que j’étais une amie de Gaël. Mon milicien hirsute avait sans doute laissé quelques traces.
Je gratifiais le plus grand d’un sourire faiblard avant de le remercier et de filer en direction de La Hanse.

Je marchais d’un bon pas en direction du quartier indiqué, pataugeant presque plus qu’autre chose. Le sol détrempé par la neige fondue transformait certaines allées en champs de gadoue et y évoluer était parfois compliqué.
Alors que la première taverne du secteur de La Hanse était en vue, j’avais bien compris qu’il s’agissait de ce type d’endroit dont avait parlé Laperche, il me revient en mémoire que, malheureusement, ce n’est pas le genre d’établissement qu’il manque dans les parages. Je m’arrêtais pour essayer de réfléchir lorsqu’une charrette passa à toute vitesse à côté de moi. Beuglant de dégager le passage, le cocher n’essaya même pas de ralentir.
Contrainte à faire un bond sur le côté, je plongeais les deux pieds dans la boue, m’enfonçant jusqu’aux chevilles. Puis, relevant la tête pour l’insulter, c’est une vague de gadoue que les roues m’envoyèrent…
J’en étais maintenant couverte, demeurant interdite quelques instants.

Mon moral, déjà mit bien à mal, s’effondra complètement. J’étais totalement ignoble, réduite à un tas de boue à qui il ne restait sans doute plus qu’à se jeter dans l’océan.
Je ne pouvais même plus entrer dans une taverne pour chercher le jeune-homme, on m’en jetterait immédiatement.
Sanglotante, je pris malgré tout la direction du premier bar, grelotante de froid, complètement trempée, humiliée…
Je ne savais même plus si je voulais le voir.
Que penserait-il de moi en me voyant ainsi… ?

Des rires gras se laissaient entendre dans la rue, déjà à cette heure si, certains étaient capables d’être ronds comme des tonneaux.
Deux miliciens avaient d’ailleurs décidé de se soulager sur le côté d’un bâtiment, ils semblaient tous les deux s’amuser de la neige fraîche pour laisser exprimer leur art.
L’un d’eux, roux et le visage rouge, certainement pas que du froid avait remis sa ceinture, il frappa l’épaule de son comparse pour attirer son attention sur la jeune femme qui semblait hésiter à rentrer dans la taverne qu’ils étaient entrain d’honoré.
Le rouquin eut un petit rire, peu discret à cause de son état en voyant la tête de son collègue face à la dégaine de la demoiselle.

«-Ben… Alors mademoiselle ? Qu’est ce qu’un brin d’fille comme vous fiche dans cet état ?»

Malgré l’inquiétude qu’il feignait en essayant de faire taire le roux qui ricanait, lui aussi avait du mal à cacher son sourire.

«-C’est vrai ça, voulez pas qu’on vous paye un p’tit bain chaud à l’intérieur ? Faudrait pas attraper froid.» Relança le rouquin, qui se bidonnait presque.

Son collègue lui mit un coup de coude dans les côtes pour le faire taire.

«-Ferme là Régisse, t’as même pas de quoi payer l’repas pour ta femme avec ce que tu viens de dépenser, et t’vois bien que tu gênes la dame. On peut faire quelque chose pour vous peut être?»

Quelque part, Olga avait peut être de la chance d'être, malgré la boue, toujours agréable à l'œil.

Ca sentait l’alcool et les problèmes !
Deux soulards vêtus de vert s’approchaient de moi en titubant avant que ne leur prenne l’envie d’uriner dans la neige. Ils cherchaient visiblement à dessiner quelque chose mais mon éducation me hurlait de ne pas chercher à savoir quoi.
Cela me suffit à me remettre en route vers la taverne qu’ils venaient de quitter et j’aurais pu passer sans problème, si l’un d’eux n’avait pas refermé son pantalon en tournoyant dans ma direction.

L’un des deux, un rouquin au visage aussi rouge que sa tignasse, me fit une proposition qui m'écœura après que son compagnon m’ai demandé la raison de ma présence ici.
Ils s’étaient approchés et l’odeur de crasse et de bière me brûlait le nez. Faisant comme si ma condition n’était pas celle qu’il semblait, je répondais à la première question avec le peu d’honneur qu’il me restait, m’adressant exclusivement à celui des deux qui semblait le moins attaqué.

Bonjour ! Peut-être pourriez-vous m’aider, en effet. Je cherche un ami, un de vos collègues. Un brun hirsute, Gaël ! Le connaissez-vous ?

Je me faisais violence pour ne pas perdre contenance, même si ma confiance en moi c'était replié.

On m’a dit qu’il serait surement dans le secteur…

J’essayais de faire abstractions des regards plus qu’insistants du rouquin.

Les deux miliciens se regardèrent en coin, le rouquin haussa les épaules, tous les deux un air un peu déçu.

«-Ah évidemment… Une jolie fille cherche un milicien et c’pas pour nous.» Commenta Régisse en levant les bras à demi vers le ciel, comme suppliant les dieux.

«-Encore une fois t’es marié du con!» Son collègue lui mit une claque à l’arrière de la tête. «C’est sacré le mariage. Pas vrai mam’z’elle? Elle comprend elle.»

Le milicien marmonnait quelque chose à propos de l’amour, complètement enivré il avait totalement oublié la question.

«-Hm… Gaël ouais… On était en patrouille avec lui. Mais il reste jamais boire, c’croit trop bien pour ça j’suppose. Il a dit qu’il devait faire une course dans l’coin. Un truc en rapport avec le temple… Nan… J’sais plus.»

Le rouquin se frottait le menton, essayant de remettre les choses dans l’ordre, puis il s’énerva donnant à son tour une claque à son comparse pour le sortir de son monologue.

«-Oh ! Robert ! L’DeConques ! Il est allé où ?»

La claque secoua le romantique en toc qu’était Robert.

«-Hein?! Quoi? Oh ouais… Gaël DeConques. Y avait une histoire de temple, mais c’pas là qu’il allait, j’crois qu’il a parlé d’chercher un cadeau pour une fille. J’lui ai conseillé un ami artisan qui se débrouille pas mal pour peu chère.»

Il lui expliqua la route, essayant de combattre l’intoxication dans son sang, heureusement c’était suffisamment clair.

De nouveau, je me retrouvais à ne prêter qu’une oreille distraite à ce que racontait l’un des deux, le roux en l’occurrence. Il grognait sur le fait que je n’étais pas intéressée par eux mais, fort heureusement, son compagnon se chargea de le rappeler à l’ordre. Un petit taquet précisément placé derrière le crâne mit fin à la comédie que nous jouait le rouquin.
Je hochais poliment la tête aux paroles de l’autre homme.

Oui, vous avez raison, le mariage est quelque chose de sacré et de précieux !

Finalement, sous l’impulsion de son collègue, Poil de carotte commençait à faire fonctionner sa cervelle.
Ils avaient fait une patrouille avec le jeune homme mais ce dernier ne restait guère boire avec eux. Il avait prétexté quelque chose à faire en rapport avec le temple, ou du moins, avoir quelque chose à faire, pour s’esquiver. L’autre, qui s’appelait Robert, compléta les informations. Gaël avait une course à faire, on lui avait indiqué un artisan compétent pour ce qu’il souhaitait faire. Il semblait que le brun avait un cadeau à acheter pour une fille. Étrangement, je sentais une petite boule se former dans mon ventre, comme de la déception.

Finalement, l’homme m’expliquait le chemin et je les remerciais tous les deux avant de reprendre ma route.

J’étais frigorifiée, épuisée et complètement déprimée. A cela s’ajoutait mon état déplorable, les vêtement trempés et boueux. De la boue, j’en avais jusque dans les cheveux.
Mais j’étais décidée à trouver le jeune milicien ! J’avais besoin de quelqu’un et il semblait bien être le seul à correspondre au profil.

Gaël tenait entre ses doigts gantés de cuir le petit poisson sculpté maintenant rattaché à une chaîne. Robert n’avait pas menti, l’artisan n’avait pas été cher et le travail bien fait, on aurait dit que la petite chaîne ajoutée à la sculpture avait toujours été là.
La neige avait bien commencé à tomber depuis qu’il était sorti de la caserne, il était bien content d’avoir pris un manteau pour sa patrouille, il remit celui-ci plus correctement en sortant de la boutique, espérant se protéger un peu plus du frais.
Il chassa un petit flocon qui avait élu domicile sur son cadeau, avant de le ranger précieusement, il eu soudainement l’étrange impression d’être observé.
Le milicien releva la tête, fronçant les sourcils et observant la foule pour y déceler l’origine de sa paranoïa soudaine.
Enfin ses yeux s'arrêtèrent sur une silhouette frigorifiée et emmitouflée, pas étonnant que même ainsi vêtue la jeune femme semblait grelottante, même de sa poisition Gaël pouvait remarquer qu’elle était trempée. Pourtant c’était bien lui qu’elle observait depuis l'autre côté de la rue, il tenta de soutenir son regard, voir si elle attendait quelque chose, osant même un pas en avant pour voir sa réaction.

Il était là !
Il venait de sortir d’une échoppe à laquelle je ne prêtais guère attention.
Ce qui comptais, c’était qu’il était là ! Je l’avais enfin trouvé.
Il posa son regard sur moi, à une certaine distance, tandis que je l’observais, dans son manteau. Je ne pus m’empêcher de lui trouver une certaine prestance. Un fin sourire commençait à étirer mes lèvres, jusqu’à ce que la réalité me rattrape.
Je baissais les yeux sur moi-même, constatant l’atroce état de ma tenue.
J’étais couverte de boue, trempée jusqu’à l’os et congelée. Je me sentais tremblante, l’eau et la terre sur mon visage, semblait geler sur ma peau et j’imaginais parfaitement mes cheveux totalement en désordre et sales.

Mais il était là !
Et je répondis au pas qu’il fit vers moi en avançant soudainement dans sa direction, sentant les larmes me monter aux yeux dans un mélange d’absolue tristesse, de soulagement et même de plaisir. Je manquais de peu de m’étaler au sol, pour finalement arriver à quelques dizaines de centimètres de lui.
Alors, les sanglots se libérant avec fougue, je me jetais dans ses bras.

Ga…Gaël !! Prononçais-je difficilement, d’une voix grelotante et étouffée par le froid. Alors, je l’enlaçais, venant chercher la chaleur de son corps.
Je venais de pourrir son manteau sans même m’être assurée qu’il m’avait reconnu ni même s’il avait envie de me voir.

Par les dieux ! La silhouette se jeta sur lui, ne comprenant pas ce qu’il se passait il se laissa enlacer, l’air perdu, alors que quelques passants jetaient des coups d'œil intrigués par la situation.
Enfin il reconnut pendant un maigre instant le visage rougit de froid d’Olga, la pauvre dame tremblait dans ses bras, il pouvait presque entendre ses dents claquées.

«-Bon sang ! Mais que vous est-il arrivé mademoiselle ? Vous allez attraper la mort !»

Il retira son manteau rapidement pour l’enrouler autour d’elle, frottant son dos pour essayer de la réchauffer un tant soit peu, il se demandait si quelque chose de terrible ne s’était pas produit pour l'amener à lui dans un pareil état.

«-Allons, vous me raconterez tout ça plus tard, on doit vous réchauffer.»

Gaël la saisit par les épaules, il ne voulait pas la brusquer mais il était urgent de l'emmener au chaud, il la poussa jusqu’à passer la porte d’une auberge, c’était plutôt calme à cette heure ci.
Les gens travaillaient soit encore, soit il préférait les tavernes.

«-J’ai besoin d’une chambre et d’un bain aubergiste !» Il n’avait pas l’habitude d’hausser la voix, mais dans la précipitation il n’avait pas attendu d’arriver jusqu’au commerçant. Il fouillait d’ailleurs déjà dans sa bourse alors qu’il marchait vers celui-ci laissant Olga près du feu.

L’aubergiste jetait des coups d’oeil à la jeune femme dans un drôle d’état, encore plus au milicien qui voulait payer pour une chambre et un bain, il se demandait si le garçon n’était pas entrain de profiter d’une pauvre mendiante, mais après tout, tant que le gars payait bien et qu’il ne cassait rien, il n’allait pas refuser les pièces.

«-Hm… C’pas mes affaires. V’voulez un repas avec ça?»

«-De la soupe bien chaude. Ce serait possible?»

«-C’est vous qui payez.» L’aubergiste haussa les épaules, gueulant plus loin à une de ses aides de préparer ce qu’il fallait.

J'eus beaucoup de mal à retenir un soupir lorsqu’il glissa son manteau sur mes épaules tandis que mon sourire se faisait plus franc au fur et à mesure qu’il me frottait le dos. J’écoutais à peine ce qu’il disait, trop heureuse de l’avoir trouvé et, surtout, soulagé par la douceur immédiate qu’il me témoignait.
Transit de froid, hagard, je le laissais me guider, sans me préoccuper plus que cela de la destination. Je lui faisais toute confiance et je savais pertinemment qu’avec lui, je ne craignais rien.

C’est ainsi qu’il me trimballa jusqu’à une auberge où il commanda une chambre et un bain tandis que je l’attendais sagement prêt du feu où il m’avait laissé. Je l’observais simplement pendant qu’il discutait avec l’aubergiste, visiblement surpris par le ton du jeune-homme.
Je ne le savais pas, mais en réalité, j'étais complètement assommée par le froid.

Finalement, le jeune milicien me conduisit à la chambre où il régnait une agréable douceur. Au regard de ma chambre, celle-ci était plus vaste et bien plus chaleureuse. Les meubles en meilleur état, le lit plus grand et la grande fenêtre donnait sur la rue et non sur une façade crasseuse.
Je me laissais totalement faire, ayant visiblement laissé ma langue et ma volonté quelque part dans la neige.

Immédiatement après avoir passé le pas de la porte, Gaël se mit à récupérer la couverture, la préparant déjà pour qu’Olga puisse se couvrir une fois sortie du futur bain.
Les travailleurs de l’auberge n’était pas des feignants, après quelques instants, on frappait déjà à leur porte alors que Gaël s’apprétait à parler à la jeune femme.

Il récupéra les deux bols de soupe de la part de la serveuse, allant les déposer sur la table, à sa suite une autre collègue venait pour l’aider à préparer le bain.
Très clairement les deux jeunes filles, murmuraient à propos des deux jeunes gens qui avaient loué cette chambre, et elles n’hésiteraient pas à y aller de leurs commentaires une fois sorties.

«-Olga ? Voulez-vous manger d’abord ou voulez-vous commencer par un bain?»

Demanda Gaël sans se retourner alors qu’il préparait lui-même la petite table, il avait posé ses gants et sa besace un peu plus loin des bols pour ne pas gêner.
Le bain lui était maintenant près à accueillir la jeune femme, les travailleuses eurent des petits rires complices qu’elles tentaient de masquer en les laissant seuls.

Enfin Gaël se retourna pour pouvoir observer un peu plus l’état de la demoiselle.

«-Il serait certainement plus sage de vous laisser vous débarrasser de ces vêtements avant tout, la soupe peut attendre, je demanderai à la faire réchauffer.» Il rougissa quelques secondes après, le temps qu'il comprenne ce qu'il insinuait.

«-Bien sûr je vais vous laisser vous occuper de ça sans vous gêner, j'irais attendre dehors, ne vous en fait pas. Il faudra metrte vos vêtements à sécher, n'oubliez pas.»

Hein ? Oh euh…!

Me réchauffant doucement, je venais de réaliser ce qu’il me disait. Dans sa galanterie, il avait fait venir un bain et moi, j’avais à peine remarqué le passage des deux demoiselles.

Euh, je…!

Je l’observais alors, tandis qu’il se débarrassait de ses affaires, pour finalement croiser son regard lorsqu’il se tourna vers moi. Mon sourire se fit plus marqué et le plaisir d'être seule avec lui me réchauffait déjà le cœur. Je l’écoutais choisir à ma place, estimant que le bain était plus urgent. Une douce volute s’élevait du baquet et je croyais sentir comme une essence de fleur émaner de l’eau.
Brusquement, mon cœur se serra.

Non ! Couinais-je soudainement. Reste ! S’il te plaît…

Je l’avais tellement cherché qu’il était hors de question de le laisser s’échapper. Je me contrôlais cependant pour ne pas laisser mon trop-plein émotionnel noyer le seul que je pensais pouvoir compter comme ami. Alors, les pommettes rosies par le froid, je précisais mes pensées avec un petit sourire amusé.

Ce n’est pas comme si tu ne m’avais jamais vu…Tu ne me déranges absolument pas.

Je ne cherchais pas à provoquer le moindre malaise chez-lui, c’était un état de fait. Je retirais donc son manteau pour le poser sur le dossier d’une chaise avant de commencer à défaire le mien. Du moins, je m’y essayais, mais mes doigts gelés ripaient sur les boutons. J’ai réussi à en vaincre un et m’attaquais au suivant. Je m’arrêtais dans mon geste pour chercher son regard.

Merci Gaël, merci du fond du cœur… Je… Je te cherchais…

Je rebaissais immédiatement la tête à cet aveu, craignant de le faire… Fuir où je ne sais quoi. Et mes doigts qui tremblaient ne me facilitaient pas la tâche, me faisant passer pour une potiche complète.

Mais je comprendrais que tu ais autre chose à faire.